mercredi 31 décembre 2014

4317 - faute d'évolution...

… la faiblesse principale du Hood réside donc dans son blindage trop mince, en particulier au niveau du pont, ce qui le rend très vulnérable aux tirs plongeants, effectués à grande distance,… ou aux bombes d’avions, récemment devenues la principale menace des navires de surface, toutes marines confondues.

La Royal Navy est naturellement consciente du problème et, à plusieurs reprises lors des années 1930, a d’ailleurs prévu de le soumettre à un ambitieux programme de refonte, lequel aurait entièrement modifié sa silhouette comme sa vocation.

Hélas, l’évolution de la situation politique en Europe, ainsi que le manque de navires, ont constamment remis ces belles intentions à une date ultérieure, en sorte qu’à l’exception d’antennes radar et de quelques canons antiaériens supplémentaires, le Hood de 1941 est demeuré fondamentalement identique à ce qu'il était lors de sa mise en service, en 1920.

Déjà insuffisante à cette époque, sa protection n’est désormais plus que marginale, en sorte que la tragédie qui va suivre est - malheureusement - en tout point prévisible.

Fidèle à sa réputation de porte-drapeau de la Flotte, c’est pourtant lui qui, en ce moment, trace la route dans l’Atlantique au bénéfice du jeune Prince of Wales, quant à lui accablé par de tout autres problèmes…

mardi 30 décembre 2014

4316 - "un boxeur poids-lourd avec une mâchoire en cristal"

… du Hood, l’historien Iain Ballantyne a écrit qu’il était "a Heavyweight with a Glass Jaw", "un boxeur poids-lourd avec une mâchoire en cristal" , ce qui résume parfaitement le problème.

Par l’apparence, le tonnage, ou encore l’armement, rien ne le distingue d’un véritable cuirassé comme le Prince of Wales ou le Bismarck.

Mais le Hood n'est qu'un croiseur de bataille, c-à-d un bâtiment qui, par rapport à un cuirassé, a troqué une bonne partie de son blindage - dans son cas un tiers - au bénéfice d’une plus grande vitesse.

A l’origine, au début du siècle, l’idée était d’utiliser des navires de ce type pour écraser les croiseurs adverses et servir d’éclaireurs rapides à une flotte de cuirassés mieux protégés mais plus lents.

Lors de la 1ère G.M., parce qu’on manquait de navires, et parce qu’ils "ressemblaient tellement à des cuirassés", Britanniques mais aussi Allemands, ont cependant utilisé leurs croiseurs de bataille à contre-emploi, avec un résultat qui, au Jutland, s’est avéré catastrophique.

Bien sûr, et par rapport à ses devanciers, le Hood a bénéficié de diverses améliorations, et en particulier de plusieurs tonnes de blindage supplémentaires, mais il n’en est pas moins demeuré un navire incapable de soutenir longtemps le feu d’un véritable cuirassé…

lundi 29 décembre 2014

4315 - "Procédez pour couvrir la zone au sud-ouest de l’Islande"

… Ouest des îles Féroé, jeudi 22 mai, 22h30

"Bismarck et consort ont appareillé. Procédez pour couvrir la zone au sud-ouest de l’Islande", c’est par ce message pour le moins laconique que Tovey, en quittant à son tour la rade de Scapa Flow, a informé Holland des dernières informations en sa possession.

Sur la passerelle du Hood, chacun est néanmoins confiant : leur bâtiment n’est-il pas le plus gros et le plus puissant de la Navy, et ce depuis vingt ans ? Et ne sont-ils pas accompagnés du Prince of Wales, soit du plus récent et du plus moderne cuirassé de Sa Gracieuse Majesté ?

Mais c’est précisément là, dans cette double singularité, que résident le problème et le drame à venir !

S’il s’agissait d’un film de boxe, on verrait bien le Hood dans le rôle du vétéran un peu fatigué mais-à-qui-on-ne-la-fait-pas, et le Prince of Wales dans le rôle du jeune loup aux dents longues, sûr de sa force et de sa musculature, mais qui a encore tout à apprendre, et à démontrer, sur le ring.

Hélas, la guerre n’est pas un film de boxe, et la force menée par l'amiral Holland, bien que cohérente sur le papier, n’est en fait que  l’addition de deux faiblesses qui, pour l’heure, peinent à se frayer un chemin dans la houle…

dimanche 28 décembre 2014

4314 - le deuxième appareillage

… Scapa Flow, jeudi 22 mai, 22h00

Après le départ du Hood et du Prince of Wales, John Tovey, a longuement hésité sur la suite des opérations : devait-il prendre à son tour la mer avec son King George V ou, au contraire, attendre au port que la situation se décante et que l’on sache ce qu’il était advenu du Bismarck et du Prinz Eugen, aperçus la veille dans le Grimstadfjord ?

Le commandant-en-chef de la Home Fleet a finalement opté pour la seconde alternative, qui lui offre du reste l’avantage de demeurer en contact avec Londres par téléphone plutôt qu’au moyen de messages radio toujours susceptibles d’être interceptés par l’ennemi.

Et l’ennemi, justement, s’est décidé à bouger : dans l’après-midi, une nouvelle reconnaissance aérienne menée au-dessus du Grimstadfjord a en effet révélé que les deux bâtiments allemands avaient disparu !

Cette fois, plus question d’hésiter : si nul ne sait encore s’ils opteront pour l’ouest ou l’est de l’Islande, tout laisse à penser qu’ils sont bel et bien déjà en route vers l’Atlantique !

Alors, à 22h00, Tovey quitte donc Scapa Flow avec le King George V, mais aussi avec le porte-avions Victorious, le vieux croiseur de bataille Repulse, quatre croiseurs légers (2) et une dizaine de destroyers…

(1) mis en service en 1916, le Repulse est surtout connu pour avoir été, en compagnie du Prince of Wales, la malheureuse victime d’une attaque menée par l’Aviation japonaise au large de Singapour le 10 décembre 1941
(2) croiseurs Aurora, Galatea, Hermione et Kenya

samedi 27 décembre 2014

4313 - un repos bien mérité

… Hvalfjord, jeudi 22 mai, 18h00

C’est peu dire que l’équipage du Suffolk, relevé 24 heures auparavant par son jumeau Norfolk, a été soulagé de rallier le Hvalfjord islandais : après des jours passés dans le Détroit du Danemark à monter la garde, mais surtout à se faire constamment ballotter par la fureur des éléments, la perspective de passer quelques jours de repos au port, et d’y goûter enfin un véritable repas chaud, a été accueillie avec des cris de joie.

Car même au printemps, le Détroit du Danemark est un des endroits les plus inhospitaliers du globe, où tempêtes, et brouillards sont fréquents, où il faut sans cesse se méfier des icebergs, et où un navire comme le Suffolk n’a du reste nullement sa place.

Le Suffolk est en effet un des nombreux exemples de ces croiseurs mis en service un peu partout dans le monde au cours des années 1920 et 1930, et qualifiés de "Washington" en référence au Traité du même nom.

Selon les termes du dit Traité, le Suffolk est un croiseur "lourd", non par référence à son tonnage (presque deux fois inférieur à celui du Prinz Eugen !) mais bien à son armement, composé (comme sur le Prinz Eugen) de huit pièces de 203mm.

Mais à l’instar de tous les bâtiments de la classe County à laquelle il appartient, le Suffolk a été conçu pour les Tropiques et les longues routes maritimes de l’Empire, pas pour monter la garde durant des semaines dans un enfer glacé où il n’est que le jouet de la mer en furie…

vendredi 26 décembre 2014

4312 - l'émoi

… Scapa Flow, mercredi 21 mai 1941, 23h56

Laissons à présent le Bismarck et le Prinz Eugen voguer vers le Détroit du Danemark, et passons dans le camp britannique, où l’examen des photos ramenées par le Spitfire ayant survolé le Grimstadfjord a naturellement semé l’émoi : le monstre, accompagné d’un autre presque aussi gros, s’est donc décidé à sortir de sa tanière polonaise !

Mais si le Grimstadfjord ne constitue sans doute que son ultime escale avant qu’il ne tente de se frayer un passage dans l’Atlantique, quand va-t-il appareiller et, surtout, quelle route va-t-il emprunter ?

Quatre passages sont en effet possibles qui, à l’évidence, vont contraindre la Royal Navy à disperser le peu de moyens dont elle dispose.

Depuis Scapa Flow, les deux passages les plus proches, donc les plus dangereux pour le Bismarck et par conséquent les moins probables, se situent en Mer de Norvège, entre les îles Orcades et les îles Shetland, puis entre les Shetland et les îles Féroé.

Vient ensuite le passage entre les Féroé et l'Islande, et finalement celui entre l'Islande et le Groenland, à travers le Detroit du Danemark, que Lütjens avait d’ailleurs emprunté en janvier avec les Scharnhorst et Gneisenau, lors de l’Opération Berlin.

Si le Bismarck se décide lui aussi à passer par ce Détroit, il faut à l’évidence y expédier d’urgence la task force la plus rapide dont on dispose - soit celle de l’amiral Lancelot Holland, composée du vieux croiseur de bataille Hood (qui lève l’ancre à 23h56) et du tout nouveau cuirassé Prince of Wales - puis attendre que les sentinelles postées en permanence dans le Détroit y confirment - ou non -  l’arrivée du monstre…

jeudi 25 décembre 2014

4311 - livrés à eux-mêmes

... Grimstadfjord, mercredi 21 mai 1941, 20h00

Le Bismarck et le Prinz Eugen repérés bien plus tôt que prévu, que faut-il faire à présent ?

Catastrophique pour le moral des équipages et le prestige de la Kriegsmarine, tout retour à Gotenhafen ou dans un quelconque port allemand est exclu par principe, ce qui ne laisse donc à l'amiral Lütjens d'autre choix que d'appareiller le soir-même, c-à-d avant que la Royal Navy ait eu le temps de rameuter le ban et l'arrière-ban de sa flotte.

Vers 20h00, les deux bâtiments, toujours flanqués de leurs destroyers d'escorte, quittent donc le Grimstadfjord à la faveur de l'obscurité.

A l'aube du 22 mai, les trois destroyers, qui n'ont pas l'allonge suffisante pour une telle traversée (1), tirent leur révérence : le Bismarck et le Prinz Eugen sont à présent livrés à eux-mêmes, et à leur destin.

A 24 nœuds, ils obliquent lentement vers le nord-ouest en direction de l'Atlantique, ou plus exactement en direction du Détroit du Danemark où, malheureusement pour eux, et pour la suite de l'Opération Rheinübung, les Anglais les attendent déjà...

(1) en véritables lévriers des mers, les destroyers peuvent courir très vite, mais pas longtemps, ce qui leur impose donc de fréquents passages à la pompe, ou plus exactement à un pétrolier ou même à un gros bâtiment de guerre, pour se ravitailler en mazout.

mercredi 24 décembre 2014

4310 - l’alerte au monstre marin

… Grimstadfjord, mercredi 21 mai 1941, 13h15

A ScapaFlow, où mouille la Home Fleet, l’alerte au monstre marin a donc été donnée bien plus tôt que ne l’envisageaient les Allemands.

Reste que pour l’heure, l’identité du dit monstre et de celui qui l’accompagne, ainsi que leurs intentions respectives, sont encore loin d’être établies.

Comme insouciant du péril qui le guette, le Bismarck, toujours flanqué du Prinz Eugen mais aussi des destroyers d’escorte Z-10 Hans Lody, Z-16 Friedrich Eckoldt (1) et Z-23, continue pour sa part de remonter imperturbablement vers le Nord, en longeant les côtes de Norvège occupée.

Le 21 mai, vers 11h00, histoire de faire le point sur la situation, et de donner quelque repos aux équipages, la petite flottille  jette l’ancre dans le Grimstadfjord, au sud de Bergen, ultime étape avant l’Atlantique,

Mais à 13h15, les sirènes d’alerte retentissent : évoluant à grande vitesse et très haute altitude, donc hors d’atteinte de la DCA, un appareil ennemi - en l’occurrence un Spitfire de reconnaissance du Coastal Command - survole le fjord avant de remettre aussitôt le cap sur sa base…

(1) le 31 décembre 1942, lors de la Bataille de la Mer de Barents, le Z-16 Friedrich Eckoldt sera coulé par le croiseur britannique Sheffield, qu'il avait confondu, dans l'obscurité, avec l'Admiral Hipper - Saviez-vous que... 3861

mardi 23 décembre 2014

4309 - atypique

… en face, le vice-amiral John Tovey, 56 ans.

Entré dans la Royal Navy comme cadet à l’âge de 14 ans, commandant du destroyer Onslow lors de la Bataille du Jutland, puis du cuirassé Rodney dans les années 1930, Tovey a pris la tête des Mediterranean Fleet's Light Forces, - c-à-d des croiseurs et destroyers - au début de la guerre (1), avant d’être nommé, en novembre 1940, commandant-en-chef de la Home Fleet, un choix qui est loin de ravir Churchill, avec lequel il entretient d’ailleurs de fort mauvais rapports.

Contrairement à ses prédécesseurs à ce poste, Tovey a insisté pour assumer son commandement en mer, parmi ses hommes, plutôt qu’à terre, dans un bureau d’État-major.

C’est certes bon pour le moral des marins appelés à risquer leur vie sur les bâtiments de Sa Gracieuse Majesté, mais c’est plutôt un handicap lorsqu’il importe de coordonner les mouvements de nombreux navires et d’avoir une vue d’ensemble - et si possible dépassionnée - de la situation : on le félicitera de son choix après la destruction du Bismarck, on lui reprochera ce même choix après le désastre du convoi PQ-17 (2)

Insouciant des critiques, Tovey a hissé sa marque sur le King George V, le plus récent des cuirassés britanniques, un bâtiment dont la fiabilité des tourelles quadruples, sans être exemplaire, est tout de même meilleure que celle de son cadet Prince of Wales, entré en service à peine quatre mois auparavant, et toujours occupé à plonger techniciens et ouvriers dans des abîmes de perplexité...

(1) Saviez-vous que… 3740
(2) Saviez-vous que… PQ-17

lundi 22 décembre 2014

4308 - un immense honneur

… lui aussi marin et officier de carrière, Ernst Lindemann, 42 ans, a été officier subalterne durant la Grande Guerre, puis modeste officier d’Artillerie durant les années de disette de la  République de Weimar, lorsque la minuscule Reichsmarine peinait à mettre en oeuvre une poignée de bâtiments surannés.

Grâce à l’arrivée des Nazis au Pouvoir, ce spécialiste de l'Artillerie navale a commencé à sortir de l’anonymat, jusqu’à se voir confier la responsabilité du Bismarck, en août 1940.

Un immense honneur assurément, mais un honneur d’autant plus surprenant que Lindemann n’avait jusqu'ici jamais commandé en mer...

S’il ne s’entend pas du tout avec Lütjens, il n’est, pas plus que lui, un nazi convaincu : lors de la visite d’Hitler à l’équipage du Bismarck, le 5 mai 1941, il n’a d’ailleurs pas hésité à mettre ouvertement en cause la conviction du Maître de l’Allemagne selon laquelle les États-Unis n’entreraient jamais en guerre…

Si cette sortie publique a naturellement jeté un froid parmi tous les officiers présents, elle n’a pourtant pas ému Hitler outre mesure, preuve s’il en était encore besoin que le Führer n’écoute guère que lui-même, et certainement pas les marins qui, à l’aube de l’invasion de l’URSS, lui sont moins utiles que jamais…

dimanche 21 décembre 2014

4307 - "le succès ou la mort"

… à la tête de Rheinübung, Johann Günther Lütjens, 51 ans.

Entré dans la Kaiserlische Marine à l’âge de 18 ans, il a servi sur un torpilleur durant la Grande Guerre mais a dû, comme tant d’autres, attendre l’arrivée d’Hitler au Pouvoir, en 1933, avant de voir sa carrière enfin décoller.

Promu contre-amiral en 1937, puis vice-amiral en 1940, il a dirigé le volet naval de Weserübung - l’invasion de la Norvège - au printemps, puis commandé, non sans succès, les Scharnhorst et Gneisenau lors de l’Opération Berlin, début 1941, raison pour laquelle Raeder, qui le tient en haute estime, lui a confié le commandement de Rheinübung, et le sort du cuirassé Bismarck.

Lütjens n’est pas un nazi, mais, comme l’immense majorité des officiers de carrière, marins ou non, il sait gré à Hitler, et aux Nazis, d’avoir rétabli la conscription, restauré la grandeur de l’Allemagne… et bonifié son propre statut social.

Pour ses subordonnés, et pour Ernst Lindemann, commandant du Bismarck, Lütjens est un officier hautain et totalement dénué d’empathie, mais en fait, il est d’abord, et surtout, un fataliste qui, depuis sa rencontre avec les canons du Renown, en avril 1940 (1), n’a cessé de jouer au chat et à la souris avec la Royal Navy.

A l’équipage du Bismarck, il n’a d’ailleurs pas fait mystère de sa philosophie : ce sera, leur a-t-il dit, "le succès ou la mort"

(1) Saviez-vous que… 3581

samedi 20 décembre 2014

4306 - ruses de guerre

... 20 mai 1941, 13h00

Car tirant leçon de ses précédentes incursions dans l'Atlantique, et en particulier des problèmes rencontrés par les Scharnhorst et Gneisenau avec les convois HX-106 puis SL-67, la Kriegsmarine a assigné un rôle bien précis - bien que fort théorique - à chacun des deux navires.

Si le convoi n'est pas escorté, le Bismarck et le Prinz Eugen pourront tous deux s'en prendre aux malheureux cargos, mais s'il se trouve protégé par un cuirassé ou un croiseur de bataille anglais, le Bismarck aura alors pour mission d'occuper celui-ci afin de permettre au Prinz Eugen de mener sa tâche destructrice en toute quiétude.

Voilà pour la théorie et, toujours en théorie, il est également prévu que l'ennemi n'apprenne l'appareillage des deux bâtiments qu'une fois ces derniers déjà rendus dans l'Atlantique, raison pour laquelle le Tirpitz - qui n'est pas encore opérationnel - s'en vient prendre aussitôt la place de son aîné au même quai de Gotenhafen.

A la guerre, toute ruse est bien sûr bonne à prendre, mais celle-ci est quelque peu puérile : avant de rallier l'Atlantique, il faut d'abord quitter la Baltique, puis la Mer du Nord en longeant les côtes norvégiennes sur plusieurs centaines de kilomètres.

Et la présence de deux navires de guerre de cette taille a peu de chances d'y demeurer longtemps inaperçue : de fait, dans l'après-midi du 20 mai, les Bismarck et Prinz Eugen sont repérés, et identifiés, par le petit croiseur suédois Gotland.

La Suède est neutre mais fait affaire avec les deux camps, qui ont chacun leurs représentants à Stockholm, en sorte que l'information est bientôt connue de l'attaché naval britannique, puis de toute la Royal Navy...

vendredi 19 décembre 2014

4305 - "nous sommes un navire heureux, et nous sommes un navire chanceux, mais à la longue la chance sourit seulement à ceux qui la méritent".

... Gotenhafen, 19 mai 1941, 02h00.

Dans la nuit dans 18 mai, le croiseur Prinz Eugen appareille pour ce qui constituera sa première - mais dans son cas pas sa dernière - mission de la guerre.

En prenant possession de son bâtiment à sa mise en service, en août 1940, le commandant Helmuth Brinkman a déclaré à l'équipage, "nous sommes un navire heureux, et nous sommes un navire chanceux, mais à la longue la chance sourit seulement à ceux qui la méritent".

Et il faut croire que cet équipage est particulièrement méritant puisque, de toutes les grosses unités de la Kriegsmarine, le Prinz Eugen sera la seule encore à flots - et même en service ! - à la Capitulation allemande...

Aux premières heures du lendemain, le Bismarck lève à son tour l'ancre pour l'Atlantique, ou plus exactement, et dans un premier temps, pour l'île de Rugen, où les deux bâtiments se sont donnés rendez-vous.

Même s'il s'agit pour lui aussi de sa première mission de guerre, son équipage est confiant : depuis des mois, on n'a cessé de lui répéter que ce cuirassé était "le plus puissant navire de guerre au monde", et de fait, de l'interminable et massive silhouette jusqu'aux énormes canons et aux non moins massives tourelles, tout dans le Bismarck inspire la puissance et force le respect, sinon l'adoration.

De toute manière, l'objectif de Rheinübung, et le rôle du Bismarck, n'est pas de rechercher l'affrontement avec la Royal Navy... 

jeudi 18 décembre 2014

4304 - une opération de relations publiques

… dans quelques jours, plusieurs milliers d’hommes des deux camps vont mourir pour rien, dans une mission qui, bien qu'en principe militaire, relève en fait du politique, ou plus exactement d’une "opération de relations publiques" adressée à un homme - Adolf Hitler - qui, parce qu’il ne croit pas au "produit" - la flotte de surface - que la Kriegsmarine cherche à lui vendre, et parce qu’il ne s’y intéresse d’ailleurs nullement, est donc tenu dans l’ignorance des "détails".

S'il connaissait ces "détails", si son esprit n'était pas tout entier accaparé par d'autres considérations bien plus "terrestres", le Führer s'objecterait sans doute à cette sortie telle qu'elle a été conçue et décidée par le Haut-commandement naval, ou il y mettrait de telles restrictions qu'elle en deviendrait virtuellement impossible - et c'est d'ailleurs ce qui arrivera dans quelques mois avec le Tirpitz (1)

Le Bismarck et le Prinz Eugen sont certes des navires neufs et puissants, avec des équipages correctement entrainés et prêts à se battre, mais la flotte de surface à laquelle ils appartiennent est déjà au bout du rouleau, ses autres bâtiments en carénage ou en réparations ou, comme le Graf Spee et le Blücher, carrément au fond de l’eau.

La Kriegsmarine dispose bien, ici et là, de quelques croiseurs légers, mais ceux-ci sont vieux, sous-armés, et dépourvus de l’endurance nécessaire à une telle mission en sorte que, contrairement à ce qui avait été prévu au départ, il ne se trouve aucun autre navire pour les accompagner dans ce qui relève tout de même d’une mission à très haut risque face à une Royal Navy qui, en dépit de ses propres difficultés, demeure aux aguets et très supérieure en nombre.

S'il n'en tenait qu'à lui, Hitler désarmerait sans doute croiseurs et cuirassés, récupérerait leur acier pour en faire des tanks, et muteraient leurs équipages comme fantassins sur le Front de l'Est. 

A plusieurs reprises, dans les mois et les années à venir, il menacera d'ailleurs de le faire, mais reculera toujours devant ce qui aurait constitué à la fois un aveu d'échec pour son régime ainsi qu'une victoire facile pour la Grande-Bretagne.

Rétrospectivement, on ne peut s'empêcher d'observer que ce fut une erreur...

(1) Saviez-vous que... Coulez le Tirpitz

mercredi 17 décembre 2014

4303 - le silence stratégique

… Gotenhafen, 5 mai 1941

Bien conscients des réticences du chef suprême du Troisième Reich, Raeder et les hauts responsables de la Kriegsmarine se gardent donc bien de lui révéler les détails - et les risques ! - d’une opération qu’ils sont toujours aussi résolus à lancer bien qu’elle ne repose plus à présent que sur les seuls Bismarck et Prinz Eugen (1)

De toute manière, Hitler, de son côté, écoute peu de gens en dehors de lui-même, et certainement pas les marins !

En fantassin dans l’âme, et son esprit tout entier absorbé par la future Opération Barbarossa, il ne prête donc qu’une oreille fort distraite aux propos de l’amiral Lütjens et du commandant Lindemann, avec lesquels il dine le 5 mai, lors de sa visite d’inspection au Bismarck et au Tirpitz à Gotenhafen. 

"Après avoir mangé son repas végétarien en silence, il se lança dans un monologue sur la nécessité d’envahir la Roumanie afin d’y protéger les « minorités allemandes » (…) Sa visite de quatre heures prit fin après un autre discours de Lütjens, où ce dernier réitéra le succès qui pourrait être atteint avec le Bismarck. Lütjens déclara avec emphase que l’objectif serait de détruire les Anglais où qu’ils se trouveraient (…) du côté du Führer, il n’y eut à nouveau aucune réaction.

Le Haut-commandement naval avait décidé de tenir Hitler dans l’ignorance jusqu’à ce que le Bismarck et le Prinz Eugen aient appareillé. Ils craignaient autrement de ne pas obtenir son autorisation"
(2)

(1) rentrés de l’Atlantique en février et mars 1941, l’Admiral Hipper et l’Admira Scheer se trouvaient alors en Allemagne pour carénage et remise à niveau, de même que le Lützow, qui sortait à peine de réparations suite à ses dommages contractés en Norvège l’année précédente.
(2) Ballantyne, op cit

mardi 16 décembre 2014

4302 - la menace

… au final, et bien que prévue comme une deuxième Opération Berlin largement majorée, Rheinübung ne va donc elle aussi mettre en œuvre que deux bâtiments, dont l’un est certes le plus puissant cuirassé d’Europe, mais dont l’autre n’est en définitive rien de plus qu’un grand croiseur lourd !

Et il faut sans conteste beaucoup d’optimisme, pour ne pas dire d’aveuglement, pour s’imaginer que ces deux navires pourront à eux seuls se jouer de tous ceux que la Royal Navy parviendra à rassembler et à lancer contre eux !

Dit autrement, le risque de fiasco, et même de désastre, est considérable, et difficilement compréhensible venant d’une Kriegsmarine qui, comme nous l’avons vu, est déjà cruellement à court de moyens.

A l’évidence, le but premier de Rheinübung est donc bien plus politique que militaire : à l’aube de l’invasion de l’URSS, il s’agit de convaincre Hitler de maintenir son soutien à une flotte de surface à laquelle il croit moins que jamais.

A l’amiral Lütjens qui, au retour de l’Opération Berlin, lui en vantait les résultats ainsi que sa profonde conviction de faire encore mieux avec le Bismarck "qu’aucun cuirassé anglais ne pouvait espérer vaincre" (sic), le Führer, nullement impressionné, s’est au contraire empressé de lui faire remarquer le danger représenté par les porte-avions britanniques et leurs avions-torpilleurs qui, quelques mois plus tôt, à Tarente, ont réussi à mettre le corps de bataille italien hors de combat.

Et Lütjens n’a hélas eu d’autre choix que d’admettre que ceux-ci constituaient effectivement une "menace"…

lundi 15 décembre 2014

4301 - une opération déjà maudite

… Brest, 9 avril 1941

Car à peine arrivé à Brest le 22 mars 1941, le Scharnhorst a aussitôt été mis en cale sèche, histoire d’analyser l’étrange maladie dont ses machines étaient victimes depuis plusieurs semaines.

Et la dite maladie s’est avérée bien plus grave qu’initialement prévu  puisque les chaudières vont devoir faire l’objet de soins intensifs, lesquels dureront jusqu’en juillet, privant ainsi le Scharnhorst de toute participation à Rheinübung !

Et comme il est dit que le Scharnhorst ne va jamais sans le Gneisenau, celui-ci se voit pour sa part constamment pris pour cible par les bombardiers britanniques : le 6 avril - nous en sommes déjà à la troisième attaque en deux semaines ! - le croiseur de bataille essuie une torpille d’avion par l’arrière, laquelle lui fait embarquer 3 000 tonnes d’eau, met ses machines hors-service et l’expédie lui aussi illico en cale sèche pour plusieurs semaines !

Et comme la cale sèche ne protège nullement des bombes,  les avions britanniques remettent le couvert dans la nuit du 9 avril 1941, en larguant une trentaine de tonnes de bombes, dont quatre au moins frappent le Gneisenau par tribord !

Si les dégâts n'ont rien de décisif, ils n'en vont pas moins contraindre la Kriegsmarine à maintenir le croiseur de bataille en réparations bien plus longtemps que prévu, le privant également d’une Opération Rheinübung déjà maudite…

dimanche 14 décembre 2014

4300 - une raison avant tout politique

… mais en plus d’être lourdement engagée en Méditerranée, la Royal Navy doit également déployer d’importants moyens en Extrême-Orient, où l’expansion japonaise se fait de plus en plus inquiétante (1), en sorte qu’il ne lui reste plus grand-chose pour protéger les convois dans l’Atlantique.

A cette logique militaire s’ajoute cependant des considérations que l’on pourrait qualifier de "politiques".

Raeder est en effet parfaitement au courant du fait qu’Hitler se propose d’envahir l’URSS - le "grand-oeuvre" de sa vie - au début du printemps (2)

Si la Kriegsmarine ne jouera bien évidemment aucun rôle dans cette immense offensive purement terrestre, Raeder tient cependant à éviter une réédition du "cas polonais", lorsque le Führer, dès les premiers jours de l’invasion de la Pologne, avait décrété l’arrêt immédiat de toutes les nouvelles constructions de grands navires de guerre.

Dans ce contexte, la meilleure manière d’éviter de nouvelles coupures dans les budgets et les moyens consacrés à la flotte de surface est encore de se présenter avec l’équivalent d’un "beau bulletin de notes" AVANT l’invasion de l’URSS, d’où la nécessité pour les grands navires de se relancer de toute urgence dans la Bataille de l’Atlantique,... et de faire fi des objections de l’amiral Lütjens qui réclame un report de Rheinübung jusqu’en juillet, afin de pouvoir également disposer du cuirassé Tirpitz

Prévue comme sortie massive, Rheinübung se voit donc privée avant-même son lancement d’un de ses principaux atouts.

Et ce n’est pas fini…

(1) à l’automne 1940, profitant de la Chute de la France, les Japonais avaient commencé à installer des bases militaires en Indochine
(2) prévue pour le 15 mai, l’Invasion de l’URSS (Opération Barbarossa) dut être repoussée au 22 juin en raison du mauvais temps mais aussi de la nécessité d’intervenir préalablement en Grèce afin de soutenir l’armée italienne menacée de déroute.

samedi 13 décembre 2014

4299 - Opération Rheinübung

…schématiquement, "Rheinübung" n’est donc qu’une simple réédition - mais à bien plus grande échelle - de "Berlin", et une opération que l’on va d’ailleurs confier au "héros" de celle-ci, soit à l’amiral Günther Lütjens,

En effet, il s’agit toujours de s’en prendre aux convois et aux cargos britanniques de l’Atlantique, mais en mobilisant cette fois des moyens si importants que l’on n’aura plus à craindre la présence éventuelle d’un cuirassé, ou même d’un porte-avions, britannique parmi eux.

A l’origine, les cuirassés Bismarck et Tirpitz, ainsi que le croiseur lourd Prinz Eugen, doivent quitter leurs ports allemands et percer dans l’Atlantique nord, où ils seront rejoints par les croiseurs de bataille Scharnhorst et Gneisenau,  qui mouillent à Brest depuis leur retour de "Berlin", le 22 mars.

Seulement voilà : le Tirpitz, qui n’est entré en service que le 25 février, n’est pas du tout prêt pour cette aventure que le grand-amiral Raeder tient pourtant à lancer le plus rapidement possible.

Pour Raeder, il importe en effet de ne pas laisser aux Britanniques le temps de souffler, et aussi de profiter du fait qu’une bonne partie des bâtiments de la Royal Navy est actuellement engagée en Méditerranée pour défendre la Grèce et bientôt la Crète (1), pour ravitailler Malte (2), ainsi que pour soutenir les troupes britanniques menacées d’anéantissement en Libye depuis l’arrivée de l’Afrika Korps d’Erwin Rommel (3)

(1) le 22 janvier 1941, les Britanniques avaient commencé à débarquer des troupes en Grèce, en guerre contre l’Italie depuis le 22 octobre
(2) Saviez-vous que… Voir Malte et puis mourir
(3) nommé le 6 février à la tête du tout nouveau corps expéditionnaire allemand en Afrique, Rommel avait lancé, le 24 mars, une offensive qui finirait par repousser toutes les forces britanniques jusqu’en Égypte.

vendredi 12 décembre 2014

4298 - mention "peut mieux faire"

… pour la Kriegsmarine, l’Opération Berlin est considérée comme une grande réussite : en deux mois de mer, les Scharnhorst et Gneisenau ont en effet coulé ou capturé 22 navires ennemis, pour un total de 114 000 tonnes.

Reste que ce résultat ne signifie toujours pas grand-chose en regard de l’investissement requis… ni des performances bien supérieures et obtenues à bien moindre coût par des sous-marins ou de simples cargos armés !

Mais la croisière de ces deux bâtiments, pourtant modernes, a également démontré leur totale incapacité à attaquer un convoi dès lors que celui-ci se trouve placé sous la protection d’un cuirassé britannique, fut-il vieux et époumoné.

Du problème à la solution, il n’y a qu’un pas, très - et trop ! - vite franchi : si des croiseurs de bataille ne peuvent s’en prendre à un convoi protégé par un cuirassé, il n’y a qu’à envoyer des cuirassés à leur place !

En pratique, cela revient cette fois à monter une opération à bien plus grande échelle, qui mobilisera tous les grands navires de surface disponibles, et en particulier les deux nouveaux cuirassés Bismarck et Tirpitz

jeudi 11 décembre 2014

4297 - ... même résultat

... avec ce nouveau cuirassé britannique en invité-surprise, l’attaque contre le SL-67 s’avère donc tout aussi infructueuse que celle contre le HX-106 un mois auparavant.

… sauf que cette fois-ci, les croiseurs de bataille allemands ont la possibilité de suivre le SL-67 à distance, et donc de servir de rabatteurs pour tous les U-boot du voisinage, lesquels vont s’adjuger une dizaine de cargos dans les jours suivants, et parviendront même à mettre une torpille au but sur le Malaya, dès lors contraint de rallier une cale sèche américaine où il restera immobilisé durant quatre mois

La guerre étant travail d’équipe, les équipages des Scharnhorst et Gneisenau peuvent donc s’estimer d’autant plus satisfaits que leur propre croisière est encore loin d’être terminée : le 9 mars, c’est en effet le Marathon, un 6 000 tonnes grec isolé, qui fait les frais de leurs obus; le 15, alors que les deux navires remontent lentement vers le nord-ouest, un autre convoi se présente, largement dispersé et surtout non-escorté, ce qui lui fait perdre six cargos dans l’immédiat, et une dizaine d’autres le lendemain !

Mais une fois de plus, les survivants ont rempli l’éther de messages de détresse, rameutant les cuirassés Rodney et King George V et forçant l’amiral Lütjens à retraiter aussitôt vers le port de Brest, que ses navires atteindront sans encombre le 22 mars...

mercredi 10 décembre 2014

4296 - même problème...

... 22 février 1941

Après leur échec du 8 février contre le HX-106, les Scharnhorst et Gneisenau doivent attendre le 22 février pour que se présente enfin la proie tant espérée : un petit convoi de navires marchands alliés... non escorté par un cuirassé ou un porte-avions britannique !

Et même s’il se disperse aussitôt, le dit convoi va néanmoins perdre cinq navires, dont un pétrolier de 6 000 tonnes, qui succombent les uns après les autres sous les obus des croiseurs de bataille allemands.

Mais comme les cargos survivants s’empressent naturellement de couvrir les ondes de messages de détresse, les dits croiseurs jugent plus sages de changer d’air, et de troquer l’Atlantique Nord pour l’Atlantique Sud.

Le 7 mars, les voilà donc au large du Cap Vert, en vue du convoi SL-67, mais aussi de son chien de garde, le cuirassé Malaya, tout aussi vieux et époumoné que le Ramillies, mais lui aussi doté des mêmes et inévitables canons de 380mm !

Les mêmes causes entrainant les mêmes effets, les deux croiseurs de bataille allemands n’ont à nouveau d’autre choix que de décrocher sans demander leur reste...

mardi 9 décembre 2014

4295 - pas assez de punch

… car le vrai problème, c’est qu’à la différence du Ramillies, les Scharnhorst et Gneisenau ne sont pas des cuirassés mais bien des croiseurs de bataille.

Leurs pièces de 280mm sont certes modernes et d’une portée qui égale au moins celle des 380mm du Ramillies, lesquelles datent de la 1ère G.M.

Mais à moins d'un coup vraiment heureux, ces "petits" obus de 280mm ne peuvent causer grand tort à un véritable cuirassé, alors qu’a contrario, il suffirait d’un seul coup de 380mm pour endommager gravement l’un ou l’autre des navires allemands, ou pour les contraindre à ralentir à un point tel qu’ils en deviendraient une proie facile.

Au début de la Campagne de Norvège, il a d’ailleurs suffit d’un seul 380mm du tout aussi vieux cuirassé Renown pour mettre la tourelle arrière du Gneisenau hors service et pour le forcer à prendre la fuite en compagnie du Scharnhorst (1)

Et lors de Bataille du Cap Nord (2), le 26 décembre 1943, on verra ce même Scharnhorst succomber après avoir été atteint par un projectile de 356mm du cuirassé Duke of York qui, après avoir traversé tous les ponts, éclatera dans une des chaufferies et coupera net plusieurs conduites alimentant les turbines en vapeur, réduisant presque instantanément la vitesse du malheureux croiseur de bataille de moitié, et le livrant ainsi à la merci de ses adversaires…

(1) Saviez-vous que… 3581
(2) Saviez-vous que… Auf einem seemannsgrab da blühen keine rosen

lundi 8 décembre 2014

4294 - vieux mais encore d'attaque

... 8 février 1941

Au matin du 8 février, les guetteurs du Scharnhorst aperçoivent les premiers cargos du HX-106, mais aussi - et c’est là tout le problème - la silhouette caractéristique d’un cuirassé britannique, en l'occurrence le Ramillies, certes fort vieux (il a été lancé en 1916) et passablement époumoné (ses machines lui autorisent à peine une vingtaine de nœuds) mais néanmoins doté d’un solide blindage et - beaucoup plus inquiétant - de 8 pièces de 380mm.

Sur le papier, le Scharnhorst, comme le suggère d’ailleurs son commandant, pourrait profiter de son considérable avantage de vitesse (au moins une dizaine de nœuds) pour occuper le Ramillies, en laissant ainsi au Gneisenau tout le loisir de s’en prendre aux cargos.

Seulement voilà : les ordres du Führer excluent toute prise de risque et en particulier d’engager le combat en présence d’un cuirassé ou d’un porte-avions ennemi, ce pourquoi Lütjens préfère donc battre en retraite, laissant ainsi le HX-106 poursuivre tranquillement sa route sous la seule menace des U-Boot qui, quelques jours plus tard, réussiront quant à eux à envoyer deux cargos par le fond...

Dans les années suivantes, on reprochera à Hitler son "excès de prudence", et à Lütjens sa trop grande docilité à appliquer les directives, et à se priver ainsi d’une formidable opportunité de restaurer la réputation de la Kriegsmarine.

Mais c’est passer à côté du vrai problème...

dimanche 7 décembre 2014

4293 - le retour aux affaires

… 22 janvier 1941

Le 23 octobre 1940, le Panzerschiff Admiral Scheer a en effet repris la mer pour une croisière qui durera jusqu'en avril 1941 et se traduira par la destruction de 100 000 tonnes de navires alliés.

Le 30 novembre, le croiseur lourd Admiral Hipper a appareillé à son tour pour l’Atlantique et une mission de trois mois qui, jusqu’à son retour à Brest, en février 1941, lui permettra d’envoyer également une douzaine de cargos par le fond.

Sans être véritablement extraordinaires en regard des moyens engagés, ces résultats n’en paraissent pas moins suffisamment encourageants pour inciter le grand-amiral Raeder à passer à la vitesse supérieure avec les croiseurs de bataille Scharnhorst et Gneisenau, enfin guéris de leurs blessures contractées lors de la Campagne de Norvège.

Le 22 janvier 1941, les deux croiseurs de bataille reprennent donc la mer sous le commandement de l’amiral Günther Lütjens - retenez bien ce nom - et dans le cadre d’une "Opération Berlin", qui vise elle aussi à s’en prendre aux convois alliés dans l’Atlantique.

Leur première tâche est d’intercepter et de détruire le convoi HX-106, soit une quarantaine de cargos partis d’Halifax (Nouvelle-Écosse) le 30 janvier à destination de Liverpool.

Sur le papier, l’affaire ne devrait pas poser de gros problèmes et correspond d’ailleurs en tout point au type de mission - la guerre de course - pour laquelle ces deux navires sont conçus.

Mais un invité-surprise va malheureusement venir gâcher la fête…

samedi 6 décembre 2014

4292 - un atout... menacé

… grâce à la chute de la France, la Kriegsmarine dispose maintenant de ports ouvrant directement sur l’Atlantique, un atout capital dont la Kaiserlische Marine aurait bien voulu disposer au cours du conflit précédant !

Hélas pour elle, tous ces ports sont à présent sous la menace constante d’un ennemi qui, depuis 1918, a énormément progressé au plan technique : l’avion de bombardement.

Passe encore pour les sous-marins, dont l’Organisation Todt est déjà occupée à construire les alvéoles bétonnées qui, particulièrement à Lorient, les protégeront efficacement contre les appareils britanniques.

Mais il en va tout autrement pour les grands navires de surface, qui ne peuvent compter que sur un nombre sans cesse croissant de pièces de DCA et d’escadrilles de chasse,… sans pour autant recevoir l’assurance de ne jamais être victime d’une bombe !

En février 1942, confrontée à la perspective de les voir tous anéantis sur place, la Kriegsmarine n’aura d’ailleurs d’autre choix que de les exfiltrer de France au terme d’une spectaculaire opération (1) qui va d’abord les conduire en Allemagne, et finalement en Norvège.

Mais en cette fin de 1940, nous n’en sommes pas encore là et la Kriegsmarine est au contraire occupée à profiter des ports français pour relancer ses grands bâtiments dans l’Atlantique…

(1) Saviez-vous que… 3600 à 3605

vendredi 5 décembre 2014

4291 - la preuve est faite

… Tarente, 11 novembre 1940, 23h00

A l’automne de 1940, désespérant d’arriver à coincer un jour leurs adversaires italiens en haute mer, les Britanniques se sont mis à envisager la possibilité d’utiliser leurs nouvelles capacités aéronavales pour les bombarder dans leurs ports, et plus précisément dans celui de Tarente, qui héberge la plupart d’entre eux.

Dans la soirée du 11 novembre, vingt-et-un biplans Swordfish, qui ont décollé du porte-avions Illustrious, passent donc à l’attaque et, profitant de l’insouciance des Italiens qui n’ont pris aucune précaution particulière, réussissent à torpiller trois des cuirassés présents dans la rade - soit près de la moitié du corps de bataille italien - en ne perdant que deux des leurs dans l’aventure (1)

Touché par trois fois, le Littorio est enfoncé par l’avant et va passer les quatre prochains mois en réparations; le Caio Duilio est échoué sur le fond et ne rejoindra l’escadre italienne qu’en mai de l’année suivante; quant au Conte di Cavour, il est en si piteux état qu’il ne reprendra plus jamais la mer (2)

Si quelqu’un en doutait encore, la preuve est à présent faite qu’une poignée de ridicules biplans de toile et de bois est parfaitement capable d’envoyer par le fond des cuirassés dotés des plus épaisses plaques de blindage connues.

Et à Berlin, où l’affaire a naturellement été suivie et analysée de près, l’inquiétude est à présent d’autant plus vive que la Kriegsmarine, après une pause de plusieurs mois, est elle-même occupée à renvoyer ses gros navires de surface en mission dans l’Atlantique…

(1) Saviez-vous que… 3746 à 3749
(2) Remis à flots après huit mois d'efforts, le Conte sera remorqué jusqu’à Trieste pour des réparations définitives, mais s’y trouvera encore à la Capitulation de l’Italie, en septembre 1943, lorsqu’il sera saisi par les Allemands et finalement sabordé par ces derniers en février 1945

jeudi 4 décembre 2014

4290 - la plaisanterie italienne

… des trois puissances de l’Axe, l’Italie est sans conteste le maillon le plus faible.

Depuis le début de la guerre, "Italie" rime d’ailleurs avec "plaisanterie", y compris sur mer où, pourtant, elle dispose d’une jolie flotte, comprenant en particulier quatre cuirassés (Conte di Cavour, Giulio Cesare, Andrea Doria et Caio Duilio) datant de la 1ère G.M. mais quasiment reconstruits à neuf, quatre autres (Littorio, Vittorio Veneto, Roma (1) et Impero (2)), flambants neufs ou encore en construction, et qui, au radar, ou plutôt à l’absence de radar-près, peuvent rivaliser avec ce qui se fait de mieux en Allemagne ou en Grande Bretagne (3)

Hélas, ces énormes navires, qui se classent parmi les plus rapides du monde, engloutissent d’énormes quantités de mazout dont l’Italie, tout comme l’Allemagne, est dépourvue.

Un malheur ne venant jamais seul, ils n’ont également cessé d’accumuler les déconvenues dans les quelques rares combats qui les ont jusqu’ici opposés aux Britanniques, en sorte que Mussolini, à l’instar Hitler, préfère de loin les laisser au repos dans leurs ports plutôt que de leur faire courir des risques en haute mer.

Mais encore faudrait-il que les dits ports soient sûrs...

(1) entré en service en juin 1942, coulé le 9 septembre 1943 par une bombe planante allemande
(2) jamais terminé, ferraillé en 1948
(3) ces quatre bâtiments de quelque 40 000 tonnes étaient dotés de neuf pièces de 381mm en trois tourelles triples

mercredi 3 décembre 2014

4289 - ... et peu fiable

… sur les King George V, les deux tourelles quadruples pèsent environ 1 500 tonnes chacune, et l’unique tourelle double quelque 900 tonnes (1)

L’économie de poids entre une seule tourelle quadruple et deux tourelles doubles est donc considérable, et d’autant plus qu’il faut y ajouter celles réalisées sur les affûts, la moindre longueur de la coque, etc.

En revanche, une tourelle quadruple est plus exiguë et mécaniquement bien plus complexe qu’une tourelle double, ce que les essais en mer vont bientôt démontrer.

Sur le King George V, et plus tard sur ses quatre jumeaux, les incidents de tir, dont l'enrayage d’un ou plusieurs canons ou même le blocage de la tourelle au complet, sont fréquents et ne seront hélas jamais résolus de façon vraiment satisfaisante.

En plus de réduire parfois jusqu’à 50% (!) la cadence de tir théorique, et de diminuer ainsi dramatiquement l’efficacité du bâtiment au combat, ces problèmes à répétition frustrent les canonniers britanniques, lesquels ne peuvent qu’envier le confort et la sûreté d’emploi des tourelles triples des Nelson et Rodney de la génération précédente, ou de celles, doubles, des Queen Elizabeth de la Première Guerre mondiale (2)

(1) sur les Bismarck et Tirpitz, les tourelles doubles pèsent environ 1 110 tonnes chacune.
(2) pour son ultime cuirassé, le Vanguard, qui ne sera mis en service qu’en 1946, la Royal Navy réutilisera d’ailleurs des canons et des tourelles doubles datant de la 1ère G.M .

mardi 2 décembre 2014

4288 - très moderne, pas assez puissant...

… Newcastle-upon-Type, 01 octobre 1940

Preuve supplémentaire qu’Allemands et Britanniques continuent de se marquer à la culotte, le King George V, lancé le 21 février 1939 est mis en service le 01 octobre 1940 (contre 14 février 1939 et 24 août 1940 pour le Bismarck)

Son jumeau Prince of Wales, lancé le 03 mai 1939 sera à son tour mis en service le 19 janvier 1941 (contre 01 avril 1939 et 25 février 1941 pour le Tirpitz)

Du lancement à la mise en service de ces quatre bâtiments, il se sera donc écoulé entre 17 et 22 mois, auxquels il convient naturellement d’ajouter les nombreux mois encore nécessaires à leurs différents tests en mer, ainsi qu’à l’entraînement de leurs équipages respectifs.

Un délai supplémentaire et inévitable qui, dans le cas des deux derniers cités, va avoir - mais n’anticipons pas - une importance capitale...

Bien que plus moderne dans sa conception, avec notamment une installation radar complète, un pont blindé placé très haut, une artillerie secondaire de 134mm à double fin, des caissons pare-torpilles sandwich, ou encore deux tourelles quadruples et une tourelle double au lieu des quatre tourelles doubles du Bismarck, le King George V est plus petit, plus léger, moins rapide,… et d’autant moins puissant que son artillerie principale de 356mm, comme les essais - et les combats ! - vont d’ailleurs le démontrer est la source d’innombrables problèmes…

lundi 1 décembre 2014

4287 - très puissant, pas assez moderne

 … avec 42 000 tonnes - quasiment 50 000 à pleine charge - 250 mètres de long, 12 canons de 380mm, et une vitesse de 30 noeuds, le Bismarck est sans contredit le cuirassé le plus gros et le plus puissant jamais construit en Allemagne, et même en Europe.

Mais ce n’est pourtant pas un navire moderne : privé de la possibilité de construire de nouveaux bâtiments pendant une génération, ingénieurs et architectes se sont en effet très largement inspirés des Bayern et Baden de 1916, lesquels se voulaient eux-mêmes répliques aux Queen Elizabeth britanniques de 1914 !

En témoignent notamment la disposition très basse du pont blindé, l’existence d’une complexe et très pesante artillerie secondaire de 12 pièces de 150mm couplée à une artillerie antiaérienne principale de 16 canons de 105mm disposés ailleurs, ou encore le besoin de quatre tourelles pour les seuls huit canons de 380mm de l’artillerie principale.

En France, en Angleterre, aux États-Unis, chacun en est au contraire arrivé à la conclusion qu’il était préférable, eu égard aux bombes d’avions de plus en plus lourdes, de positionner le pont blindé le plus haut possible.

De même, l’installation d’une artillerie secondaire à double fin - donc efficace aussi bien contre les navires que contre les avions - ainsi que de tourelles triples, voire quadruples, pour l’artillerie principale, facilite l’implantation et le réapprovisionnement en munitions, et offre une sérieuse réduction de poids, que l’on peut dès lors investir ailleurs, et en particulier dans du blindage supplémentaire.

... ou dans des caissons sandwich pare-torpilles, dont le Bismarck est malheureusement dépourvu...