dimanche 30 avril 2006

1148 - Nuremberg après Nuremberg

... après Nuremberg, après le procès d'Eichmann à Jérusalem, après les centaines de procès du même ordre organisés dans toute l'Europe pour punir les criminels de guerre nazis, que reste-t-il des grands idéaux défendus par Robert Jackson lors de son discours inaugural ?

Probablement pas grand-chose.

Appliquée aux guerres, la Justice des Hommes, qu'elle soit internationale ou non, reste et restera sans doute pour longtemps encore celle du Vainqueur appliquée au Vaincu, qui pourra du moins profiter d'une meilleure défense et de meilleures garanties qu'il n'en bénéficiait autrefois. C'est sans doute un progrès considérable, mais ce n'est assurément pas suffisant.

Contrairement aux attentes, "l'internationalisation" de la Justice ne l'a pas non plus rendue plus efficace et moins politique pour la cause.

Comme le Procès Milosevic l'a démontré, ce sont toujours les vaincus - et pas les vainqueurs - qui comparaissent devant la "Justice internationale", ce qui, quelque part, donne tristement raison à Hitler lorsqu'il soulignait, "Que nous ayons raison ou tort, nous devons gagner. C'est la seule voie. Et elle est moralement juste et nécessaire. Et quand nous aurons gagné, qui nous demandera des comptes sur la méthode ?"

Du reste, et qu'on l'accepte ou non, on est bien forcé de constater qu'aujourd'hui encore, la plupart des criminels de guerre échappent tout bonnement à la Justice, quand ils ne bénéficient pas carrément d'une loi d'amnistie plénière, telle que la France l'accorda à l'ensemble de ses militaires engagés dans la guerre d'Algérie.

On a exécuté des célébrités comme Goering ou Eichmann, et des milliers d'anonymes. On en a condamné un nombre plus grand encore à des peines d'emprisonnement plus ou moins longues, mais la plupart ont échappé à toute sanction, et même à toute enquête, et sont tranquillement retournés à la vie civile.

A lui seul, Auschwitz aura englouti 1 100 000 âmes, dont 1 000 000 de Juifs. Mais "sur les quelque 6 500 SS qui ont travaillé à Auschwitz et qui auraient survécu à la guerre, environ 750 seulement ont jamais été condamnés" (1)

(1) Rees, pages 374-375

samedi 29 avril 2006

1147 - "Je devais obeir aux regles de la guerre et a mon drapeau."

... enfermé dans sa cage en verre blindé, Ricardo Klement, alias Adolf Eichmann, ne se fait évidemment aucune illusion sur le sort qui l'attend et assiste, impassible, à l'interminable cortège des témoins et survivants des camps.

Comme la plupart des criminels nazis qui ont défilé avant lui sur les bancs de Nuremberg et d'une multitude de tribunaux à travers toute l'Europe, Eichmann se contente de rappeler sans cesse qu'il n'a fait "qu'accomplir son devoir de soldat", qu'il n'a fait "qu'obéir aux ordres" d'individus toujours mieux placés que lui dans la hiérarchie, et qu'il ne pouvait s'y soustraire.

L'issue, bien entendu, ne fait aucun doute.

Le 15 décembre 1961, Adolf Eichmann est reconnu coupable de l'ensemble des chefs d'accusation retenus contre lui, et condamné à la mort par pendaison. Lorsqu'il monte finalement sur l'échafaud, peu après minuit, le 1er juin 1962, l'infatigable bourreau des Juifs ne montre aucune émotion particulière. "Je devais obéir aux règles de la guerre et à mon drapeau", déclare-t-il. "Je suis prêt".

Après sa mort, les autorités israéliennes, soucieuses d'éviter toute possibilité de pèlerinage ultérieur, font incinérer son cadavre et disperser ses cendres, comme les autorités américaines l'avaient fait pour les pendus de Nuremberg, seize ans plus tôt...

vendredi 28 avril 2006

1146 - Eichmann à Jérusalem

... juridiquement, l'enlèvement d'Eichmann par un commando armé, dans la capitale d'un État étranger et souverain, cet enlèvement contrevient à toutes les règles du Droit international.

Mais compte tenu de la personnalité de l'accusé, et des faits qui lui sont reprochés, on trouve en vérité fort peu de gens pour s'en indigner.

Plus délicate est en revanche l'analyse que l'on peut faire du procès que les Israéliens lui organisent, en 1961.

Certes, les Israéliens ne l'ont pas abattu en pleine rue, et ont refusé toute idée d'exécution sommaire. Ils lui ont offert un procès public, et même la possibilité de se faire assister par plusieurs avocats, c-à-d au final - et pour reprendre l'expression de Robert Jackson à Nuremberg - "bien plus qu'il n'en a jamais accordé à âme qui vive"

Pour autant, il n'est pas question ici d'un quelconque "tribunal international", ni d'un tribunal siégeant dans un "pays neutre" : c'est à Jérusalem que s'ouvre le procès d'Eichmann, le 11 avril 1961; et dans ce procès, juges, procureurs, public, tous sont Juifs, donc survivants ou héritiers plus ou moins directs des victimes des camps.

Difficile, dans ces conditions, de prétendre à la "présomption d'innocence", ou au "principe d'impartialité" : même si les faits qui lui sont reprochés sont accablants, la condamnation d'Eichmann à la peine de mort est acquise d'avance.

Et nul en Israël ne comprendrait qu'il ne finisse pas au bout d'une corde...

jeudi 27 avril 2006

1145 - d'Adolf Eichmann à Ricardo Klement

... comme beaucoup d'autres criminels de guerre nazis, Eichmann a jugé préférable, dès la capitulation allemande, de mettre la plus grande distance possible entre lui-même et les soldats et policiers alliés.

Après de multiples péripéties, et plusieurs changements d'identité, il se retrouve en Italie en 1950, sous le nom de Ricardo Klement, qu'il conservera jusqu'à la fin. Un passeport humanitaire, obtenu grâce aux bons soins d'un moine franciscain, lui permet de partir pour l'Argentine, où il débarque le 14 juillet 1950.

Toujours sous le nom de Ricardo Klement, Eichmann fait venir sa famille en Argentine, et y mène une vie paisible. Mais dès 1954, des rumeurs de plus en plus insistantes font état de sa présence dans le pays.

Jusque-là, Eichmann a bénéficié d'une chance inouïe et aussi du fait que son nom, bien que cité à plusieurs reprises au Procès de Nuremberg, n'a pas vraiment retenu l'attention des Alliés, lesquels ont mis beaucoup de temps à réaliser l'importance, dans l'extermination des Juifs d'Europe, d'un homme qui n'était "que" simple lieutenant-colonel de la SS.

Mais à la fin des années 1950, l'étau se resserre de plus en plus autour d'un Eichmann que l'âge et un paisible exil ont fini par rendre insouciant.

Le 11 mai 1960, un commando du MOSSAD israélien l'enlève en pleine rue de Buenos-Aires et l'embarque quelques jours plus tard dans un avion pour Israël. Le 23 mai, l'annonce officielle de sa capture déclenche des tonnerres d'applaudissement au Parlement israélien, dont les députés sont bien décidés à l'envoyer à la potence...

mercredi 26 avril 2006

1144 - "vous devez être un protecteur des Juifs !"

... en novembre 1944, alors que des dizaines de milliers de Juifs chassés de Budapest meurent comme des mouches le long de la route qui les conduit à Vienne, Heinrich Himmler, chef suprême de la SS, convoque Adolf Eichmann à une réunion organisée dans son train privé, à Triberg, en Forêt Noire.

Depuis des semaines, le Reichsführer SS, qui a depuis longtemps réalisé que la guerre est perdue, multiplie les offres de Paix aux Alliés occidentaux. C'est déjà lui, qui, en avril, a eu l'idée du rocamboleque échange "Juifs contre camions". Et puisque les Alliés occidentaux tiennent tant aux Juifs, pourquoi ne pas leur livrer les Juifs qu'ils réclament ?

"Jusque-là, dit-il à Eichmann, vous avez exterminé les Juifs, mais désormais, si je vous en donne l'ordre comme je le fais, vous devez être un protecteur des Juifs !" (1)

Se passe alors un événement incroyable, et à vrai dire parfaitement incompréhensible pour tout esprit rationnel : alors qu'il vient de recevoir l'ordre supérieur d'arrêter toute nouvelle déportation de Juifs, et même celui de protéger les Juifs, alors qu'il sait la guerre perdue et lui-même en bonne place sur la liste des criminels que les Alliés souhaitent traîner devant les tribunaux, alors que la plus élémentaire prudence lui commanderait de négocier une "porte de sortie" avec les Alliés, Eichmann retourne à Budapest et décide... de désobéir aux ordres et de continuer à déporter frénétiquement les Juifs (!), ce qu'il fait pour ainsi dire jusqu'au dernier jour avant de se réfugier en Autriche, échappant ainsi aux troupes russes.

Pour Eichmann, l'oeuvre de sa vie - déporter et exterminer les Juifs - est terminée. Ne lui reste plus qu'à tenter de sauver sa propre vie.

(1) Rees, page 329

mardi 25 avril 2006

1143 - "Je suis de retour !"

... en débarquant à Budapest, le 19 mars 1944, en compagnie de l'armée allemande, Eichmann a immédiatement exigé la livraison au Reich de 100 000 travailleurs juifs.

Le 25 avril, alors que "l'évacuation" de ces derniers bat son plein, Eichmann se retrouve pourtant au centre de la rocambolesque affaire des "Juifs contre camions", dérisoire tentative du chef suprême de la SS, Heinrich Himmler, de provoquer la rupture entre Alliés occidentaux et soviétiques en proposant aux premiers de leur livrer quelques centaines de milliers de Juifs en échange de "dix mille camions équipés pour les opérations hivernales contre les forces soviétiques" (1)

La tentative avorte très vite, ce qui permet à Eichmann de se replonger à plein temps dans la déportation des Juifs hongrois. Mais le 9 juillet, c'est le coup de théâtre : de plus en plus inquiet face à l'avancée inexorable des Alliés, le Régent Horthy décide de "lâcher du lest", et d'interdire toute nouvelle déportation de Juifs hongrois. Du coup, voilà Eichmann réduit au chômage technique, et même à l'alcoolisme et la dépression, faute de nouveaux Juifs à "évacuer".

Heureusement pour lui, le renversement du Régent Horthy par un coup d'État orchestré depuis Berlin (15 octobre 1944) lui redonne un nouvel espoir. "Je suis de retour !" (2) s'exclame-t-il, triomphant, devant Rudolf Kastzner - notable juif qui a lui aussi participé aux tractations "Juifs contre camions" du mois d'avril.

Et de fait, les déportations de Juifs repartent de plus belle. Mais comme la progression de l'Armée rouge menace directement Auschwitz, c'est vers Vienne, à 200 kilomètres de là, que se dirigent, sans vivre, sous la neige et à pieds, les dizaines de milliers de Juifs chassés de Budapest...

(1) Saviez-vous que... - 1020
(2) Rees, page 328

lundi 24 avril 2006

1142 - Eichmann à Budapest

... le 20 janvier 1942, alors qu'il pénètre dans une grosse villa sise Am Grossen Wannsee, 56-58, en périphérie de Berlin, Adolf Eichmann est lieutenant-colonel de la SS.

Surtout, il est devenu le collaborateur direct de Reynhard Heydrich, numéro 2 de la SS et chargé par Hermann Goering de mettre en place les détails pratiques de la Solution finale à la question juive (1)

C'est Eichmann qui va collecter, puis remanier à plusieurs reprises, les minutes de la Conférence. C'est surtout lui que Heydrich va confirmer comme responsable et grand organisateur du transport des Juifs vers les camps, activité dans laquelle Eichmann va s'engager avec un zèle digne d'éloges, au point qu'il fera même de cette mission le but et l'oeuvre de sa vie.

Jusqu'en 1944, Eichmann ne ménage pas ses efforts pour envoyer vers les camps de la Mort le maximum de Juifs possible. Le 18 mars 1944, le jour-même où Hitler ordonne à ses troupes de pénétrer en Hongrie pour tuer dans l'oeuf toute vélléité hongroise de changer d'alliance et de se tourner du côté des Alliés, Eichmann débarque à Budapest avec le mandat et la ferme intention de régler le sort de la communauté juive de Hongrie, forte de quelque 800 000 âmes, et jusque-là relativement épargnée par la guerre.

Mais en mars 1944, le vent de l'Histoire a définitivement tourné le dos à l'Allemagne...

(1) Saviez-vous que... 1002 à 1005

dimanche 23 avril 2006

1141 - la Solution palestinienne

... si l'Allemagne de 1937 souhaite déjà se débarrasser massivement de ses Juifs, elle n'en est pas encore au stade d'envisager l'extermination de ces derniers à l'échelle industrielle.

Différentes missions - dont celle à laquelle participe Adolf Eichmann - sont donc envoyées un peu partout dans le monde, y compris en Palestine, afin d'y étudier la possibilité d'un exil des Juifs allemands. Mais du fait de l'opposition des Britanniques, qui administrent alors ce territoire, la "Solution palestinienne" fait rapidement long feu, comme le feront par la suite tous les autres projets visant à "relocaliser" les Juifs à Madagascar ou dans les pays baltes.

En attendant, l'épisode "palestinien", bien que très vite avorté, a permis au fort modeste Adolf Eichmann d'acquérir une certaine réputation dans un domaine - celui de la "Question juive" - promis à un bel avenir dans une Allemagne qui se radicalise de jour en jour.

En 1938, à la faveur de l'Anschluss, et alors qu'il vient d'être promu lieutenant, Eichmann est envoyé en Autriche pour y former le Zentralstelle für jüdische Auswanderung, ou "bureau central pour l'émigration juive", lequel a la charge de déporter et d'expulser tous les Juifs d'Autriche.

Comme on combat mieux ce que l'on comprend, Eichmann se lance avec ardeur dans l'étude du judaïsme. Il rencontre plusieurs leaders du mouvement sioniste, et va même jusqu'à suivre des cours auprès d'un rabbin.

Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, Eichmann est capitaine et chargé, au sein du Reichssicherheitshauptamt (Office central de la Sécurité du Reich ou RSHA) de "l'évacuation" de l'ensemble des Juifs de l'Europe occupée...

samedi 22 avril 2006

1140 - un certain Adolf Eichmann

... dans toutes les guerres, il existe des individus - à vrai dire la
majorité - qui se contentent de faire leur boulot du mieux qu'ils
peuvent. Il en existe aussi qui s'efforcent d'en faire (beaucoup) plus,
quitte à souvent outrepasser - et parfois très largement - les ordres reçus.

Adolf Eichmann est assurément de ceux-là et constitue à maints égards une véritable énigme, tant l'on peine à comprendre l'extraordinaire énergie que cet individu, au demeurant très banal, se mit à déployer dès lors qu'il se vit confier un rôle, au départ fort subalterne, dans la déportation et l'extermination des Juifs d'Europe.

Né en 1906, Adolf Eichmann est un fils de bourgeois très ordinaire, et un élève médiocre qui, un peu par hasard, intègre le parti nazi autrichien au début de 1932, avant de rejoindre la SS quelques mois plus tard, sur les conseils avisés d'un vieil ami de la famille du nom de... Ernst Kaltenbrünner.

Dès l'arrivée de Hitler au Pouvoir, en janvier 1933, Eichmann rentre en Allemagne pour y devenir SS à plein temps, avec le grade de sergent-chef, et ce dans le premier camp de concentration qui vient d'ouvrir ses portes : celui de Dachau, dans la banlieue de Munich.

En 1934, il se retrouve adjudant dans la Sicherheitspolizei (ou SIPO), c-à-d dans la "Police de Sécurité" du Reich puis assigné au Sicherheitsdienst (SD) de Berlin, c-à-d au coeur-même du "Service de Sécurité" mis en place dès 1932 par Reynhard Heydrich, numéro 2 de la SS et futur organisateur de la Conférence de Wannsee sur la "Solution finale à la question juive".

La "Question juive", justement, prend sa véritable signification dans la vie d'Eichmann lorsque, en 1937, promu sous-lieutenant, il se voit soudain envoyé en Palestine afin d'y étudier la possibilité d'un exil massif pour les Juifs allemands...

vendredi 21 avril 2006

1139 - procès uber alles

... "les "procès de Nuremberg" ne constituèrent évidemment qu'une part infime - quoi que probablement la plus connue - des centaines de procès qui furent organisés à travers toute l'Europe pour juger les organisations, les entreprises, les criminels de guerre nazis et leurs innombrables collaborateurs étrangers.

Furent ainsi jugés, et souvent condamnés à mort, parfois par contumace, des gens comme Rudolf Höss (ex-commandant du camp d'Auschwitz), Karl Hermann Frank (responsable de l'annihilation du village de Lidice), Pierre Laval (chef du gouvernement collaborationniste de Vichy), Léon Degrelle (chef du mouvement fasciste belge "Rex") ou, plus près de nous, Klaus Barbie (chef de la Gestapo de Lyon) ou Maurice Papon (secrétaire général de la préfecture de Gironde).

Mais à vrai dire, ces multiples procès n'eurent jamais le retentissement international du Procès de Nuremberg, ni ne mirent en accusation des individus aussi importants et représentatifs qu'un Hermann Goering ou un Joachim Von Ribbentropp.

Un seul d'entre eux échappa pourtant à cette règle. Il fut organisé en Israël du 11 avril au 15 décembre 1961, et mettait en scène un individu dont le rôle exact, bien qu'évoqué à plusieurs reprises à Nuremberg, était largement resté dans l'ombre.

Il s'appelait Ricardo Klement, encore qu'on le connaissait surtout sous son patronyme d'Adolf Eichmann...

jeudi 20 avril 2006

1138 - les autres "procès de Nuremberg"

... pour la plupart des gens, le "Procès de Nuremberg" se résume au seul procès des principaux criminels nazis ("majors"), tenu à Nuremberg du 18 octobre 1945 au 1er octobre 1946.

Rien qu'à Nuremberg, il y en eut pourtant douze autres, organisés cette fois par les seuls Américains, à l'intérieur de leur propre zone d'occupation, du 9 décembre 1946 au 13 avril 1949.

Beaucoup moins connus que le premier, ces douze procès subséquents mirent néanmoins en accusation des individus, des organisations ou des entreprises aussi importants et représentatifs que les médecins nazis (procès numéro 1), les Einsatzgruppen du Front de l'Est (procès numéro 9), la famille Krupp (procès numéro 10) ou le conglomérat I.G. Farben (procès numéro 6), à qui appartenait notamment l'immense complexe industriel de Monowitz (ou "Auschwitz III")

Plus d'une dizaine de condamnations à mort furent prononcées au terme de ces différents procès qui, il faut bien le dire, intéressèrent de moins en moins une opinion publique désireuse de tourner la page et n'ayant, dans la plupart des cas, jamais entendu parler des différents protagonistes ainsi mis en cause.

Lorsque les Américains se décidèrent enfin à mettre la clé sous la porte, et à restituer le Palais de Justice de Nuremberg aux autorités allemandes, le Monde avait changé de nature et, en remplaçant le nazisme par le communisme, avait échangé un péril pour un autre...

mercredi 19 avril 2006

1137 - éteindre les lumières

... A minuit, le colonel Andrus, livide, s'adresse aux journalistes présents. Goering est mort, leur dit-il, et les autres exécutions en seront bien évidemment retardées.

A vrai dire, Andrus est véritablement hors de lui (1), et ses subordonnés, sur les nerfs. C'est donc dûment menottés et escortés d'impressionnants policiers militaires américains que chacun des condamnés, à commencer par Von Ribbentropp, est conduit à la potence.

Le bourreau, là encore, est américain...

Après les exécutions, qui se déroulent heureusement sans le moindre problème, les cadavres sont ensuite disposés dans les cercueils déjà alignés, et photographiés pour les archives. Ils seront ensuite chargés dans des camions qui, ironie du sort, les conduiront au crématoire de Dachau (2) Pour éviter tout risque de pèlerinage, leurs cendres seront alors dispersées dans l'Isar.

Dans la prison de Nuremberg, les lumières s'éteignent.

La dernière bataille de la Seconde Guerre mondiale vient de se terminer...

(1) "In an act of petty revenge, he ordered the surviving prisoner's rations cut, and all bread and sugar allowances, cancelled", Irving, page 444
(2) Irving, page 435, Wieviorka parle quant à elle, sans autre précision, d'une incinération au "cimetière Est de Munich"

mardi 18 avril 2006

1136 - l'évasion de Goering

... Tous les condamnés à mort du Procès de Nuremberg l'ont été à la pendaison.

Les trois militaires - Keitel, Jodl, Goering - qui jugent cette méthode inique, adressent un pourvoi pour être fusillés, mais le Conseil de Contrôle allié le refuse, comme il refuse toutes les demandes de grâce des autres condamnés.

Au soir du 15 octobre 1946, une délégation du dit Conseil, suivie de plusieurs journalistes - deux par zone d'occupation - arrive discrètement à la prison de Nuremberg afin d'assister aux exécutions.

Les Américains ordonnent alors au médecin de la prison de réveiller les condamnés à 23H15, et de ne les informer qu'à ce moment du caractère imminent de leur exécution. En attendant, les intéressés se couchent à 21H00, comme c'est la coutume. Certains acceptent les somnifères que leur tend le médecin.

Comme c'est également la coutume depuis le suicide de Robert Ley, un garde jette régulièrement un regard dans chaque cellule. A 22H47, l'un d'eux se met à hurler.

Goering vient de s'empoisonner pour, a-t-il écrit à sa femme, "ne pas se soumettre au châtiment tel qu'il a été défini par ses ennemis".

lundi 17 avril 2006

1135 - le verdict

... Le 30 septembre 1946, après 403 séances et quasiment un an de procédures, vient enfin le moment du verdict, dont la lecture prendra deux jours complets, les accusés ne connaissant finalement le sort qui les attend que dans l'après-midi du 01 octobre (la matinée étant en effet consacrée à l'énoncé des verdicts, et l'après-midi à celui des peines).

En tout, le tribunal prononcera douze condamnations à mort - dont celle de Martin Bormann, par contumace.

A l'énoncé de sa condamnation à mort, Goering reste impassible. Pour sa part, Fritz Sauckel se met à pleurer, comme il pleurera quelques jours plus tard, en entendant le bruit des menuisiers occupés à ériger les potences (1)

Les sept condamnés à des peines de réclusion resteront à la prison de Nuremberg jusqu'au 18 juillet 1947, date de leur transfert à Spandau (2). Sur les sept, seul Rudolf Hess ne recouvrera jamais la liberté.

Les trois acquittés sont quant à eux libérables immédiatement, mais la police allemande les attendant à la sortie du tribunal, le colonel Andrus leur a gentiment offert l'hospitalité de sa prison quatre jours de plus. Néanmoins, quand ils en sortiront finalement, ils seront aussitôt arrêtés, puis inculpés, emprisonnés et jugés par des tribunaux allemands, qui les condamneront ensuite à des peines de réclusion de huit ou neuf ans, avant de les libérer après deux ou trois ans seulement.

(1) Irving, page 420
(2) située en zone d'Occupation britannique, la forteresse de Spandau n'abritera jamais que les sept condamnés du Procès de Nuremberg. Après la libération de Von Schirach et Speer, le 30 septembre 1966, Rudolf Hess en deviendra le seul locataire jusqu'à son suicide, le 17 août 1987. L'entretien de la prison coûtait chaque année deux millions et demi de marks au gouvernement allemand

dimanche 16 avril 2006

1134 - que la Bête meure

... après ses différents témoignages à Nuremberg, et en vertu de la Déclaration de Moscou du 30 octobre 1943 sur la "territorialité" des crimes, Rudolf Höss fut finalement livré le 25 mai 1946 aux autorités polonaises, lesquelles lui organisèrent un procès à l'issue jouée d'avance.

Condamné à mort le 2 avril 1947, il se retrouva à Auschwitz, dans le bâtiment-même où il travaillait autrefois à l'extermination des Juifs. Pour les autorités polonaises, le lieu de cette exécution publique offrait assurément toute la valeur du symbole. Mais quand il fallut procéder à la pendaison, la foule qui se pressait aux portes du camp était devenue telle que chacun était convaincu que Höss serait mis en pièces bien avant d'arriver à la potence.

Comme on ne pouvait pas davantage se résoudre à tirer sur cette foule, les autorités décidèrent alors de recourir à un stratagème, en laissant sortir du camp une voiture couverte et escortée de nombreux soldats. Une voiture dont tout le monde pensa qu'elle contenait le monstre d'Auschwitz. Le lendemain, ce fut donc devant une audience clairsemée que Rudolf Höss fut finalement conduit à la potence.

"Comme il montait au gibet, gravissant les marches, et le connaissant comme un nazi coriace, j'ai cru qu'il allait dire quelque chose", raconta un témoin de la scène."J'ai cru qu'il allait faire une déclaration à la gloire de l'idéologie nazie pour laquelle il mourait. Mais non, il n'a pas dit un mot" (1)

Rudolf Höss fut pendu le 16 avril 1947. Il avait 47 ans.

(1) Rees, Auschwiz, pp 368-369

samedi 15 avril 2006

1133 - sociopathie

... à Nuremberg, les témoignages de Rudolf Höss suscitent à plusieurs reprises l'ahurissement des juges et de toutes les personnes qui assistent aux audiences, et qui n'en reviennent pas de l'extraordinaire détachement dont l'accusé fait preuve à l'égard des centaines de milliers de personnes qu'il a vues mourir dans son camp.

"J'avais des ordres personnels de Himmler", affirme Höss. "Les raisons que Himmler me donnait, je devais les accepter (...) Himmler me disait que si les Juifs n'étaient pas exterminés à cette époque, c'étaient les Juifs qui extermineraient à jamais les Allemands (...) maintenant, naturellement, je me rends compte que ce n'était pas bien" (1) (...) mais je ne vois pas ce que vous voulez dire quand vous parlez d'être bouleversé parce que, personnellement, je n'ai tué personne. J'étais juste le directeur du programme d'extermination à Auschwitz (...) il m'arrive de rêver une fois de temps en temps, mais le lendemain matin, je ne me souviens pas de quoi il retournait. Je n'ai jamais fait de cauchemars" (2)

"A Auschwitz, durant ma dernière année là-bas, en 1942, 1943, j'avais beaucoup à faire (...) Le téléphone sonnait toutes les nuits et on me convoquait quelque part. J'étais épuisé, non seulement à cause des exterminations mais aussi à cause des autres tâches. Ma femme [qui vivait avec lui à Auschwitz] se plaignait souvent que je passe si peu de temps avec ma famille et que je ne vive que pour mon travail. C'est seulement en 1943, après que je sois allé à Berlin, que mes médecins ont fait savoir à mes supérieurs que j'étais surmené et épuisé. J'ai pris six semaines de vacances vers la fin de l'année"

(1) Gellately, page 368
(2) ibid pp 388-389

vendredi 14 avril 2006

1132 - la mémoire qui flanche

... capturé et roué de coups par les soldats britanniques, Rudolf Hoss a été emprisonné au camp de Heide où, pendant trois jours, les interrogateurs se relayent jour et nuit pour le frapper à coups de bâton à chaque fois qu'il fait mine de s'endormir.

Pour finir Höss craque totalement et rédige des aveux complets.

Sur le strict plan du Droit, ces aveux lui ont donc été arrachés sous la torture, et un tribunal moderne les considérerait sans doute comme juridiquement nuls.

Plus grave encore, et sans qu'on sache s'il existe une relation de cause
à effet, Höss ne va cesser de se contredire à plusieurs reprises au fil des témoignages suivants, tandis que sa mémoire lui fera défaut plus souvent qu'à son tour.

Ainsi, dans une déclaration écrite du 16 mars 1946. il affirme "j'ai personnellement organisé, selon des ordres de Himmler reçus en mai 1941, le gazage de deux millions de personnes entre juin/juillet 1941 et la fin de 1943, lorsque j'étais commandant d'Auschwitz" (1) A l'audience de Nuremberg, le 15 avril, il déclare pourtant avoir "personnellement rencontré" Himmler à Berlin, et ce "au cours de l'été 1941" et aussi penser "qu'environ trois millions de personnes furent mises à mort à Auschwitz, dont environ deux millions cinq cents mille dans les chambres à gaz" (2)

Un chiffre que les historiens ramèneront par la suite à environ un million, tout en faisant remarquer que cette rencontre, si elle a réellement eu lieu, ne peut dater, au mieux, que de juin 1942 (3)

Comme on s'en doute, ces multiples incohérences seront largement exploitées par les révisionnistes dans les années qui vont suivre...

(1) Irving, page 351
(4) Wieviorka, page 119 et 122
(5) Gelatelly, page 372

jeudi 13 avril 2006

1131 - "Rappelez-les sinon vous ne ramènerez qu'un cadavre !"

... Lieutenant-colonel de la SS, commandant du camp d'Auschwitz de mai 1940 au 1er décembre 1943, puis à nouveau à partir de mai 1944, Rudolf Höss s'est, comme tant d'autres, discrètement éclipsé à la capitulation, a changé d'identité, et a trouvé du travail dans une ferme du Schleswig-Holstein.

Pendant des mois, les Alliés le recherchent en vain. Beaucoup le croient mort. Pourtant, le 11 mars 1946, alors que le Procès de Nuremberg se déroule maintenant depuis six mois, les Britanniques parviennent enfin à retrouver sa femme, et la forcent, grâce à un odieux subterfuge, à leur révéler l'endroit où se cache son mari (1)

Pris par surprise avant qu'il ait eu le temps de s'empoisonner, puis forcé de se déshabiller entièrement, Höss est ensuite copieusement passé à tabac par les soldats britanniques, qui l'auraient assurément achevé sur place si un médecin anglais ne finissait par s'interposer :
"Rappelez-les, dit-il au chef du détachement, sinon vous ne ramènerez qu'un cadavre !" (2)

Sous bonne garde, Höss est alors emmené en camion jusqu'à Heide puis, toujours nu, contraint de marcher dans la neige jusqu'à une cellule où des interrogatoires pour le moins musclés vont se poursuivre sans discontinuer...


(1) "nous avons alors fait savoir à Frau Höss que le train [qu'elle entendait manoeuvrer à proximité de sa cellule] était là pour emmener ses trois fils en Sibérie, à moins qu'elle ne nous dise où était son mari et sous quelle identité il se cachait. Sinon, elle aurait deux minutes pour dire au revoir à ses fils" (Rees, page 366)
(2) Irving, page 350

mercredi 12 avril 2006

1130 - le dernier volet

... A Nuremberg, le volet "crimes contre l'Humanité" fait sa première apparition le 3 janvier 1946.

L'Accusation fait d'abord citer Otto Ohlendorf (1), qui détaille par le menu les exactions des einsatzgruppen qui, sur le Front de l'Est, ont opéré des massacres massifs sur la population juive.

L'objectif des einsatzgruppen, affirme Ohlendorf, était d'exterminer totalement la population juive. "Y compris les enfants ?" demande le procureur soviétique. "Oui", répond Ohlendorf. Le procureur insiste : "Tous les enfants juifs ont-ils été massacrés ?" - "Oui", répond-il.

Vient ensuite le tout de Dieter Wisliceny (2). L'intéressé, intime d'Adolf Eichmann, parle quant à lui fort longuement de la manière dont s'opérait, concrètement, la déportation des Juifs vers les camps.

Alors que les débats se poursuivent de manière aussi monotone que d'habitude, un événement inattendu fait soudain sensation : la défense de Kaltenbrunner a en effet réclamé l'audition de Rudolf Höss - ancien commandant du camp d'Auschwitz - comme témoin à décharge (!)

Bien que des déclarations de Höss aient déjà été lues en séance, c'est la première fois que quelqu'un songe à le faire témoigner personnellement à la barre et, ironiquement, afin d'innocenter un haut responsable de la SS, lequel a toujours affirmé n'avoir jamais visité Auschwitz.

Les déclarations de Höss, écrites et orales, ont été suffisamment évoquées - y compris dans ces pages - pour qu'il ne soit pas utile d'y revenir longuement ici.

En revanche, si personne ne s'y attarde sur le moment, les conditions dans lesquelles ces déclarations ont été obtenues susciteront maints débats passionnés dans les années suivantes...

(1) diplômé universitaire en Droit et en Économie politique, professeur à l'Institut des Sciences économiques appliquées, colonel puis général de la SS, Otto Ohlendorf était le chef de l'Einsatzgruppe D qui opérait en Ukraine puis en Crimée. Reconnu coupable lors du "procès des Einsatzgruppen" (procès numéro 9), il fut pendu à la prison de Landsberg le 8 juin 1951
(2) capitaine dans la SS et collaborateur d'Eichmann, Dieter Wisliceny fut témoin de l'Accusation à Nuremberg avant d'être livré aux autorités tchèques, qui le condamnèrent à mourir par pendaison en février 1948

mardi 11 avril 2006

1129 - l'Affaire de Katyn

... Le 14 février 1946, lorsque les Russes évoquent longuement l'affaire de Katyn, l'indignation éclate dans les rangs allemands.

Le 8 mars, l'avocat de Goering réclame l'audition des soldats allemands appartenant au bataillon que les Russes accusent d'avoir commis ce massacre.

L'Accusation russe refuse catégoriquement, et menace à son tour de faire citer de nouveaux témoins dont l'audition, souligne-t-elle perfidement, risque de retarder considérablement les travaux de la Cour.

Le tribunal délibère longuement, avant de dégager un compromis : les deux parties auront chacune le droit de faire citer trois témoins.

Il faut néanmoins attendre le 1er juillet avant que le premier témoin allemand ne dépose.

Sans surprise, ces nouvelles auditions n'apportent rien : chacun se renvoyant la responsabilité au fil des témoignages. La culpabilité de l'un ou l'autre camp ne pouvant être établie de manière formelle, l'affaire de Katyn disparaît purement et simplement du jugement final, ce qui, quelque part, constitue tout de même une victoire morale pour les Allemands.

"Devenue pour les Polonais un formidable enjeu de mémoire, l'affaire devait trouver son dénouement le 14 décembre 1992. Ce jour-là, Boris Eltsine remettait à Lech Walesa le double du document ordonnant le massacre des officiers polonais.

Cet ordre était signé de la main de Staline" (1)

(1) Wieviorka, page 96

lundi 10 avril 2006

1128 - la deuxième bombe polonaise

... en avril 1943, les autorités allemandes signalent la découverte à Katyn, prés de Smolensk, d'un gigantesque charnier où auraient été assassinés plus de 4 000 officiers polonais prisonniers de guerre.

A la demande du CICR, et devant les dénégations russes qui leur en attribuent au contraire la responsabilité, les Allemands mandatent alors une commission d'enquête internationale, laquelle finit par conclure que chacun de ces prisonniers a été assassiné d'une balle dans la nuque entre mars et mai 1940, donc par le NKVD russe.

Fin 1943, la région de Smolensk est reconquise par l'Armée rouge, qui mandate une nouvelle commission d'enquête, cette fois exclusivement nationale, laquelle double non seulement le nombre de prisonniers polonais assassinés, mais conclut qu'ils l'ont été au cours de l'automne 1941, donc par les Allemands.

En préparant le Procès de Nuremberg, les Alliés occidentaux, qui se doutaient de la vérité, ont prudemment tenté d'écarter Katyn de l'acte d'accusation. Sans succès.

Les Russes ont même porté la barre à 11 000 morts, chiffre qui - étrange coïncidence - correspond par ailleurs... au nombre d'officiers polonais envoyés en URSS durant la période où ce pays occupait la Pologne (!)

Sans le savoir, les Russes ont eux-mêmes amorcé la deuxième bombe polonaise...

dimanche 9 avril 2006

1127 - "Vous ne connaissez pas les Russes aussi bien que moi !"

... outre de nombreux documents, et le témoignage à la barre de l'ex Maréchal Von Paulus, l'Accusation russe peut également compter sur de nombreuses images d'atrocités, d'instruments de tortures et d'amoncellements de cadavres filmés par l'Armée rouge à la libération des camps de concentration polonais.

Pour autant, la projection de ces films n'impressionne pas davantage Goering que ne l'avaient impressionné, quelques temps auparavant, la projection d'autres films - cette fois anglo-américains - détaillant d'autres atrocités et d'autres piles de cadavres ensevelies au bulldozer (1).

"N'importe qui peut faire un film d'horreur", commente Goering. "Il leur suffit d'exhumer des cadavres de leur tombe, et ensuite de filmer un tracteur qui les y repousse" (...) Ils auraient tout aussi bien pu tuer quelques centaines de prisonniers de guerre allemands et les revêtir d'uniformes russes pour leur film d'horreur. Vous ne connaissez pas les Russes aussi bien que moi" (2)

Curieusement, alors que, quelques jours auparavant, le juge soviétique - le général Nikitchenko - faisait encore circuler parmi ses collègues une note exprimant son appréhension à l'égard de la durée du procès et de son effet déplorable sur l'opinion publique, il reste cette fois sourd aux multiples demandes de ses collègues d'abréger l'interminable déballage des crimes supposément commis par l'armée allemande à l'endroit de la population soviétique...

C'est alors qu'explose la seconde bombe polonaise

(1) les images les plus connues étant celles, britanniques, du camp de Bergen-Belsen
(2) Irving, pp 348-349

samedi 8 avril 2006

1126 - la part russe

... un mois après les Français, c'est au tour des Russes, le 8 février 1946, de développer le volet des "crimes de guerre", cette fois pour ceux commis à l'Est.

Au cours de la guerre, sur les quelque 5 millions de prisonniers de guerre russes (1), près de 3 millions sont morts de faim, de froid, d'épuisement, de mauvais traitements... ou carrément envoyés à la chambre à gaz, souligne non sans raison l'Accusation russe.

Avant même l'invasion de l'Union soviétique, Adolf Hitler n'avait d'ailleurs nullement caché ses intentions : "Nous devons oublier la notion de camaraderie entre soldats", avait-il ainsi déclaré à ses officiers supérieurs le 30 mars 1941, soit trois mois avant le déclenchement de l'Opération Barbarossa. "Un communiste n'est un camarade ni avant ni après la bataille. C'est une guerre d'anéantissement" (2)

Le 11 février, les Russes sortent d'ailleurs un fameux lapin de leur chapeau, en la présence du Feld-Maréchal Von Paulus - le battu de Stalingrad - dont le témoignage sur les exactions de l'armée allemande en Russie suscite l'indignation des officiers allemands accusés au Procès. "C'est une honte de sa part de témoigner contre nous !", rugit Keitel. "Demandez à ce sale cochon s'il se rend compte qu'il est un traître", renchérit Goering. "Demandez-lui s'il a pris des papiers de citoyen russe" (3)

(1) l'URSS n'était pas signataire des Conventions de Genève
(2) Kershaw, page 509
(3) Wieviorka, page 90

vendredi 7 avril 2006

1125 - les occasions manquées

... Étrangement, parmi les témoins cités par l'Accusation française, ne figure aucun Juif survivant de la déportation.

Pire encore : alors que les Juifs représentent plus de 90% des victimes d'Auschwitz, la France a carrément choisi, pour parler de ce camp, le seul témoignage d'une résistante communiste non-juive et membre de l'Assemblée nationale, une femme toujours en vie après trois ans de détention dans les camps allemands (!)

"Le convoi dans lequel je me trouvais fut le premier convoi de femmes déportées, le seul de non juives emmenées à Auschwitz-Birkenau", souligne Marie-Claude Vaillant-Couturier, sans réaliser la portée de ce constat.

Bien que fort peu pugnace, le contre-interrogatoire de l'intéressée n'en soulève pas moins quelques lièvres (1), dont les révisionnistes s'empareront, plus tard.

Ainsi, lorsque le Dr Marx - au nom fort peu prédestiné puisqu'il est avocat commis d'office pour défendre la SS - lorsque le Dr Marx relève le chiffre des "700 000 déportés juifs hongrois" cités par l'intéressée, et s'étonne du fait que les services d'Adolf Eichmann n'en aient renseigné que la moitié, Marie-Claude Vaillant-Couturier se fait cinglante "Je ne veux pas discuter avec la Gestapo !", s'écrie-t-elle. "J'ai de bonne raisons de croire que déclare la Gestapo n'est pas toujours exact !".

Peut-être. Mais dans le cas présent, c'est bel et bien la Gestapo qui a raison.

En tout cas, Marx, lui, n'insiste pas. Il est vrai que la tâche de cet avocat commis d'office pour défendre l'organisation la plus haïe de toute l'Europe, il est clair que sa tâche est impossible...

(1) "Once, finally articulating his feelings about this woman's testimony [le juge] Biddle noted his own scepticism, and wrote "This, I doubt", but he continued to write down what the witness told the court" - Irving, page 347

jeudi 6 avril 2006

1124 - y a-t-il un Juif survivant dans la salle ?

... quarante ans après le témoignage de Marie-Claude Vaillant-Couturier sur les conditions de vie à Auschwitz, le journal "L'Humanité" publiera une nouvelle interview de l'intéressée :

"(...) la jeune femme, communiste et résistante, tombait dans une souricière tendue par les policiers de Vichy (...) Presque tous les hommes pris dans ce coup de filet contre le PCF clandestin ont été fusillés, et toutes les femmes déportées. "Le convoi dans lequel je me trouvais, explique Marie-Claude Vaillant-Couturier, fut le premier convoi de femmes déportées, le seul de non juives emmenées à Auschwitz-Birkenau. Il comptait 230 détenues" (...) Les principales cause de mortalité étaient l’épuisement, la faim, le typhus, la dysenterie, les coups. "Une de mes camarades fut tuée devant mes yeux à coups de gourdin, parce qu’elle ne comprenait pas l’allemand. Cela dit, précise Marie-Claude, tout était pire quand on était juif. La « sélection » à la descente du train. Les mères et les enfants, les personnes âgées, tous ceux qui ne semblaient pas en bonne santé, gazés immédiatement" (1).

Certes mondialement connu et bouleversant, ce témoignage, présenté par l'Accusation française à Nuremberg afin d'illustrer la monstruosité du système concentrationnaire nazi à l'égard des déportés en général, et des déportés juifs en particulier, reste néanmoins celui d'une déportée "atypique", qui en plus de ne pas être juive était encore en vie trois ans après sa "livraison" aux autorités allemandes (!)

Il existait pourtant, au moment où se déroulait le procès de Nuremberg, des rescapés juifs qui auraient sans doute pu apporter un éclairage complémentaire.

L'Accusation ne fit hélas pas appel à eux...

(1) L'Humanité, 25/01/05

mercredi 5 avril 2006

1123 - les graines du négationnisme

... malgré toute leur bonne volonté, Russes et Français ne disposent pas des moyens et du temps suffisants pour instruire comme il conviendrait une thématique - celle des "crimes de guerre" et des "crimes contre l'Humanité" - qui deviendra pourtant essentielle dans les années à venir, en particulier dans le cadre des futures actions en révisionnisme et négationnisme.

A Nuremberg, les Britanniques, et surtout les Américains, vont au contraire dépenser des trésors de moyens et d'énergie pour tenter de démontrer - avec un succès souvent très relatif - l'existence d'un vaste complot (conspiracy) destiné à lancer "des guerres d'agression"... que tout le monde oubliera bientôt.

Un chiffre résume à lui seul l'ampleur du problème : en 403 séances, alors que le Tribunal va littéralement éplucher des centaines de milliers de documents et de dépositions diverses sur tous les crimes du Troisième Reich, il n'entendra que 33 témoins à charge. Et pas un seul de ceux-ci ne s'avérera être un rescapé des camps, déporté et interné parce que Juif.

A cet égard, la présentation, par l'accusation française, le 26 janvier 1946, du témoignage de Marie-Claude Vaillant-Couturier est aussi symptomatique que malavisée.

Mondialement connu, et reproduit quantités de fois, ce témoignage, bien que bouleversant, porte également en son sein une part de maladresse que ne manqueront pas d'exploiter, plus tard, les révisionnistes.

Après une brève description de son arrestation "J'ai été arrêtée le 9 février 1942 par la Police française de Pétain, qui m'a remise aux autorités allemandes au bout de six semaines", et une description cette fois longue et véritablement hallucinante des conditions de vie après son arrivée à Auschwitz, le 23 janvier 1943, ainsi que du sort qui attend en cet endroit les Juifs déportés, vient le moment du contre-interrogatoire, où l'intéressée reconnaît qu'elle a été déportée à Auschwitz... parce que communiste et résistante, ce qui, souligne Irving, fait manifestement tiquer le juge Biddle (1)

(1) "Cross-examined, this female witness admitted "curtly (in German!)" as Biddle noted with surprise, that she had been arrested for resistance activity, as a communist" (Irving, page 348) Irving souligne également, ce que relève aussi le juge Biddle, que de nombreux éléments de sa déclaration ne correspondent pas à des faits dont elle a été personnellement témoin

mardi 4 avril 2006

1122 - "Ils sont d'une patience..."

... ce n'est que le 17 janvier 1946 que l'Accusation française peut enfin exposer le volet "crimes de guerre" du Procès de Nuremberg.

En vérité, la liste des crimes retenus est si longue et variée que Français et Russes ont jugé préférable de se partager la tâche : à la France tous les crimes commis à l'Ouest, à la Russie tous les crimes commis à l'Est.

Pendant des mois, les uns et les autres vont donc parler assassinats de partisans, représailles sur les population civiles, déportations, tortures et exécutions sommaires, mais aussi viols, pillages économiques ou encore réquisitions de travailleurs forcés : "715 000" rien que pour la France, affirme l'Accusation.

Là encore, la forme écrite domine. Juges, accusés et aussi spectateurs s'efforcent donc tant bien que mal de trouver un quelconque intérêt dans l'interminable lecture des biens volés, en particulier au profit personnel d'Hermann Goering. "Ils sont d'une patience...", s'étonne du reste Champetier de Ribes à Edgar Faure, en parlant des juges.

Suivent néanmoins quelques auditions de témoins, comme celui de Maurice Lampe, résistant envoyé au camp de Mauthausen, ou celui de Victor Dupont, qui a passé 20 mois à Buchenwald. Mais c'est surtout, celui de Marie-Claude Vaillant-Couturier, sur Auschwitz, qui fait sensation,... bien que peu de gens se rendent compte à cet instant qu'il est aussi, et peut-être surtout, le témoignage d'une femme envoyée à Auschwitz parce que résistante et communiste, et non pas tout simplement parce que juive...

lundi 3 avril 2006

1121 - le cadavre dans le placard

... grâce à Alfred Seidl, avocat de Rudolf Hess, l'affaire du "protocole secret" du Pacte germano-soviétique d'août 1939, bien que censurée dans sa plaidoirie, est désormais connue du monde entier.

Mais si le monde entier est désormais au courant, le jugement final du Tribunal de Nuremberg - politique oblige - parlera à peine du pacte, et ne fera aucune mention du "protocole secret".

"Cadavre dans le placard du procès", écrira sobrement Léon Poliakov. Mais ce ne sera hélas pas le seul...

Car les Russes ont la rancune tenace, et ne pardonnent pas à Hess de les avoir ainsi traînés dans la boue, fut-ce bien malgré lui et par avocat interposé. Lors des délibérations, le juge soviétique exige la mort de l'ex-secrétaire de Hitler. Pour finir, l'intéressé se voit condamné à la prison à vie pour les deux premiers chefs d'inculpation, alors que, objectivement, il paraît difficile de lui reprocher grand-chose à cet égard.

Pire encore : de tous les condamnés à des peines de prison, y compris à des peines de prison à vie (1), il sera le seul à y rester jusqu'à la fin de ces jours. A demi-aveugle grabataire et mentalement diminué, il se suicidera dans sa cellule le 17 août 1987, à l'âge de 93 ans. Il venait de passer les quarante-six dernières années de sa vie en prison.

Depuis 1966, il était le dernier locataire de Spandau...

(1) également condamnés à vie, Walther Funk sortira de Spandau en 1957 pour raisons de santé, Erich Raeder en 1955...

dimanche 2 avril 2006

1120 - la censure du soviétiquement correct

... le 25 juillet 1946, la séance du Tribunal débute avec deux heures de retard.

Les juges doivent en effet examiner au préalable le texte de la plaidoirie finale d'Alfred Seidl, avocat de Rudolf Hess. Un texte qui reprend une nouvelle fois l'affaire du "protocole secret" du pacte germano-soviétique d'août 1939

Lorsque les juges entrent dans la salle, le Président Lawrence annonce que la plaidoirie a été censurée.

Il en faut plus pour décontenancer Seidl qui, devant une salle pleine à craquer, prend alors la parole.

"Je vais omettre, déclare-t-il, les constatations décisives qui suivent parce qu'elles traitent des conséquences du pacte germano-soviétique du 23 août 1939 sur la compétence du tribunal - l'une des puissances siégeant au tribunal peut-elle être juge du crime contre la paix dont
elle a été le complice ? Il appartient au tribunal d'examiner d'office dans quelle mesure il peut se considérer comme compétent à propos de ce pacte secret. Je continue à la page 63" (1)

Dans la salle, l'émotion est à son comble : pour une fois qu'il se passe quelque chose, les journalistes ne vont certes pas s'en priver, qui cherchent par tous les moyens à se procurer un exemplaire complet de cette plaidoirie dont les pages 59 à 62 ont été supprimées...

(1) Wieviorka, page 75

samedi 1 avril 2006

1119 - "Si l'on parle ici d'agression, alors les deux pays sont coupables !"

... en tentant d'évoquer le Pacte germano-soviétique de 1939, et en particulier l'existence d'un "protocole secret" au dit Pacte, Alfred Seidl, avocat de Rudof Hess, vient d'allumer la mèche de la première bombe polonaise

L'affaire reprend trois jours plus tard, cette fois lorsque l'avocat de Von Ribbentropp interroge un témoin sur l'existence de ce "protocole secret", déclenchant aussitôt une nouvelle intervention du procureur russe, le général Rudenko, qui demande que la question soit retirée.

Le juge Lawrence hésite, puis ordonne la suspension de séance. Sur le banc des accusés, le général Jodl ricane : "Alors ils [les Russes] veulent maintenant cacher qu'il existait un traité secret. Cela me paraît difficile. J'avais à l'avance l'indication de la [future] ligne de démarcation dans mes plans, et j'ai préparé (1) la campagne en conséquence" (2)

L'audience reprend. Les juges ont finalement accepté d'autoriser le témoin (3) à répondre. Et oui, le témoin était au courant de l'existence d'un "protocole secret".

Vient maintenant le tour de Ribentropp lui-même. Oui, finit-il par dire, la ligne de démarcation prévue entre Allemands et Russes en cas de guerre avec la Pologne fut la ligne des fleuves de la Vistule, du San et du Bug. L'Ouest de cette ligne devait revenir aux Allemands, et l'Est aux Russes - et c'est précisément ce qui arriva. De plus, ajoute Ribentropp "on détermina d'autres sphères d'intérêt en Finlande, dans les pays Baltes et en Bessarabie"

Le 1er avril 1946, Alfred Seidl revient à la charge. Au moment où, interrogeant Von Ribbentropp, il s'apprête à lui lire un extrait de l'affidavit de Gauss, le procureur soviétique se précipite et lui interdit, pour la seconde fois, d'en faire lecture. Interruption de séance. Seidl est cette fois autorisé à lire l'extrait qu'il réclame. Ribentropp en confirme l'authenticité "Si l'on parle ici d'agression, alors les deux pays sont coupables !", conclut-il

Mais l'affaire n'est pas encore terminée...

(1) Jodl s'attribue ici la paternité d'une campagne qui, pour l'essentiel, a pourtant été préparée par le général Von Manstein. A ce sujet, voir Benoît Lemay "Erich Von Manstein, le stratège de Hitler"
(2) Wieviorka, page 73
(3) il s'agit de Fraulein Blank, secrétaire de Ribentropp