lundi 31 août 2015

4550 - un sévère problème de poids

... comme tous les militaires, les Amiraux japonais veulent de plus gros jouets guerriers que leurs adversaires potentiels,... mais ils les veulent aussi le plus rapidement possible, et c'est bien là où le bât blesse !

Car avec des pièces de 460mm, mais aussi une vitesse réclamée de 30 nœuds et un blindage qui dépasse tout ce que l'on a connu jusqu'ici, il n'est plus question de partir des plans d'un Nagato simplement agrandi : tout doit être conçu et construit à partir de zéro, ce qui s'annonce non seulement fort long mais aussi extraordinairement coûteux.

L'inévitable comparaison avec les futurs cuirassés américains, qui disposeront eux aussi de neuf canons en trois tourelles triples, est à cet égard édifiante : là où les 406mm américains, leurs canons et leurs tourelles, pèseront respectivement 1, 120 et 1 500 tonnes, les 460mm japonais en avoueront 1.4, 145 et 2 500 (1) 

Et les problèmes liés à l'adoption d'un calibre aussi extravagant ne se limitent pas au poids : là où une tourelle double de 410mm d'un Nagato produit un effet de souffle de 3.5 kg/cm2 à une distance de 15 mètres, une tourelle triple de 460mm en générera le double (!), ce qui contraindra les ingénieurs à positionner les canons secondaires et antiaériens, et tous les équipements, au centre du navire, le plus loin possible des tourelles principales, puis à les recouvrir eux aussi d'épaisses plaques de blindage qui vont encore alourdir le poids de l'ensemble...

(1) ces mesures, qui varient selon les ouvrages mais aussi le type de munitions utilisées, ne sont données qu'à titre indicatif

dimanche 30 août 2015

4549 - "j'en ai une plus grosse que la tienne !"

... depuis le début des années 1920, et obéissant en cela à la logique quasi-phallique du "j'en ai une plus grosse que la tienne !", Britanniques, Américains, mais aussi Japonais (avec les Nagato et Mutsu), disposent de quelques cuirassés armés de pièces de 16 pouces (406mm) (1) qui, sur le papier, portent (un peu) plus loin et frappent (un peu) plus fort que les traditionnels 14 et 15 pouces (356 et 381mm) qui composent encore l'essentiel des arsenaux.

En pratique, et en l'absence de radars de tirs - qui pour l'heure ne relèvent encore que du concept - l'expérience a pourtant démontré qu'il était virtuellement impossible de mettre un coup au but à plus de 20 000 mètres sur un navire en mouvement (2), et aussi qu'un "petit" 356mm de "seulement" sept-cents kilos avait à peu près le même potentiel de pénétration et de destruction qu'un "gros" 406mm d'environ une tonne.

Dit autrement, les canons de 16 pouces sont victimes de la Loi des rendements décroissants, laquelle, appliquée au domaine de l'Armement, soutient que les avantages liés à chaque nouvelle amélioration d'une arme augmentent moins vite que leurs inconvénients, en sorte que l'on se retrouve toujours à dépenser de plus en plus d'énergie et d'argent pour obtenir de moins en moins de résultats (3).

Si le stockage de 400 obus de 356mm représente 300 tonnes, celui d'un nombre équivalant d'obus de 406mm en réclame 100 de plus, et là où un 356mm se contente d'un canon de 80 tonnes, le 406mm en exige un de 120 tonnes. Et comme les tourelles, leurs mécanismes de rotation, d'élévation et d'approvisionnement, suivent une trajectoire analogue, on se retrouve vite avec une hausse vertigineuse du poids, de la complexité,... et du coût.

Or, pour leurs nouveaux cuirassés, les militaires japonais exigent rien moins que des canons de 460mm (18,1 pouces) qui ne constituent eux-mêmes qu'une étape intermédiaire vers d'autres, encore plus gros, dotés de canons de... 510mm (20,1 pouces) !

(1) les canons des Nagato et Mutsu font en réalité 410mm, soit 16,14 pouces
(2) les records de portée officieux, de l'ordre de 24 000 mètres, ont été établis le 8 juin 1940 par un 280mm du croiseur de bataille Scharnhorst sur le porte-avions Glorious, et le 9 juillet 1940 par un 380mm du Warspite sur le cuirassé Conte di Cavour
(3) à ce sujet : Saviez-vous que... Quand le mieux devient l'ennemi du bien

samedi 29 août 2015

4548 - si tu passes par Panama...

... en 1934, après avoir annoncé leur intention de se soustraire aux traités de limitation des armements, les responsables japonais ont demandé à la Direction des Constructions navales de réfléchir aux caractéristiques que devraient nécessairement posséder leurs nouveaux cuirassés en vue d'un affrontement, de plus en plus probable, avec l'US Navy.

Très vite, celle-ci est arrivée à la conclusion que les Américains disposent, avec le Canal de Panama (1), d'un atout capital, qui leur permet, au gré des besoins, de faire passer très rapidement leurs cuirassés d'un océan à l'autre.

S'en prendre au Canal lui-même paraissant impossible (2), les ingénieurs ont alors estimé - avec raison - qu'à la condition de jauger au moins 60 000 tonnes, tout rival américain potentiel serait... trop gros pour franchir les écluses (3)

Et comme les militaires nippons exigent d'autre part de disposer de canons d'une puissance et d'un calibre encore jamais vus, il est dores et déjà évident que leurs nouveaux cuirassés vont dépasser - et de très loin - tout ce que le monde a connu jusqu'ici...

 ... et se fracasser sur le mur des rendements décroissants

(1) le Canal de Panama avait été inauguré juste avant la 1ère G.M.
(2) durant la guerre, les Japonais imaginèrent cependant divers plans - jamais menés à bien - pour bombarder les écluses du Canal au moyen d'hydravions amenés sur place par des sous-marins géants
(3) plus gros cuirassés américains jamais construits, les 52 000 tonnes de la classe Iowa, mis en service à partir de 1943, avaient une largeur maximale de 33 mètres, ce qui leur laissait environ... 20cm de part et d'autre pour franchir les écluses du Canal, d'une largeur de 33,53 mètres. Leurs successeurs de la classe Montana, commandés mais jamais construits, auraient fait 10 000 tonnes de plus en déplacement, et quatre mètres de plus en largeur, ce qui les aurait effectivement empêché d'emprunter le dit Canal !

vendredi 28 août 2015

4547 - "respecter l'esprit des traités"

... Londres, 15 janvier 1936

Opérées à grands prix - voire au prix de cuirassés neufs ! - et avec des résultats très inégaux, la rénovation de ces dix cuirassés ne constitue cependant qu'un pis-aller, qui ne saurait pallier l'absence de cuirassés neufs...

En 1934, avec un préavis de deux ans - conformément aux traités - le gouvernement japonais signifie dès lors son intention de ne pas renouveler l'Accord naval de Londres, à son expiration en 1936.

Et de fait, lorsque s'ouvrent les travaux de la Deuxième Conférence de Désarmement Naval de Londres, le 9 décembre 1935, les délégués japonais - mais aussi italiens, et pour des raisons analogues - n'ont cette fois plus la moindre intention de prolonger les "vacances du cuirassé", comme le réclament pourtant Britanniques et Américains.

Et le 15 janvier suivant, comme ils l'avaient déjà fait en se retirant de la Société des Nations le 27 mars 1933, les Japonais claquent carrément la porte, tandis que les Italiens refusent de signer le nouveau traité naval qui, le 25 mars, n'est finalement endossé que par la Grande-Bretagne, les États-Unis et la France.

Officiellement, tous les ponts ne sont pourtant pas encore rompus, puisque le Japon, tout en se réservant le droit de construire des cuirassés "jaugeant jusqu'à 45 000 tonnes", accepte de "respecter l'esprit du Traité de 1936"

Mais en pratique, c'est une toute autre affaire...

jeudi 27 août 2015

4546 - qualitativement du moins...

... mais les deux Fuso, les deux Hyuga, et même les deux Nagato - plus modernes et plus puissants cuirassés dont dispose la Marine impériale - font également l'objet de soins attentifs, sous forme de caissons pare-torpilles, de plaques de blindage, de canons antiaériens supplémentaires,... et de multiples plate-formes "en pagode", plaquées autour du mat avant, qui vont conférer à tous ces bâtiments une silhouette ô combien caractéristique.

Mais si ces reconstructions représentent d'authentiques exploits techniques - les superstructures des Nagato étant par exemple entièrement démontées et remplacées (!) - ce sont aussi des exploits ruineux, et des exploits qui altèrent, et parfois très fortement, les qualités nautiques des bâtiments, rendus très lourds du haut, et donc davantage sujets au roulis... et au chavirage.

A l'aube de la 2ème G.M., les dix cuirassés dont dispose le Japon n'en sont pas moins devenus supérieurs à leurs contemporains occidentaux, comme le Hood ou le Warspite qui, pour des raisons essentiellement budgétaires, sont loin d'avoir bénéficié de telles faveurs, et qui, contrairement à eux, continuent donc de présenter l'aspect qui était le leur vingt ou vingt-cinq ans plus tôt.

Reste que si la Marine impériale dispose à présent de bâtiments bien meilleurs qu'autrefois, le problème de leur infériorité numérique demeure entier...

mercredi 26 août 2015

4545 - faire du neuf avec du vieux

... la conquête de la Mandchourie, l'assassinat d'Inukai Tsuyoshi, son remplacement par l'Amiral Saito Makoto (1) - premier d'une longue liste de Premier Ministre directement issus des rangs de l'Armée ou de la Marine - tout cela ne peut évidemment que ramener cuirassés et croiseurs de bataille à l'avant-plan.

Mais à dix unités seulement, comment affronter l'US Navy, la Royal Navy... et probablement les deux à la fois ?

La première étape, qui va s'échelonner sur près de dix ans, va consister à offrir une "seconde jeunesse" à tous ces bâtiments, c-à-d à les doter d'une "aptitude maximale au combat" qui, en théorie du moins, en fera plus que les égaux de leurs contemporains occidentaux.

La rénovation des vieux cuirassés nippons, qui constitue un des plus formidables faits d'ingénierie des années 30',  s'apparente en réalité à une véritable reconstruction, qui débute en toute logique par les plus anciens, mais aussi les plus vulnérables d'entre eux, soit les quatre croiseurs de bataille de la classe Kongo, mis en service entre 1913 et 1915.

Allongés de plus de sept mètres, dotés de nombreuses plaques de blindage supplémentaires, de canons améliorés, de multiples passerelles et, surtout, de machines développant une puissance double de celle d'origine (!), les Kongo vont ainsi se métamorphoser en "cuirassés rapides", et donc en parfaits escorteurs de porte-avions pour la guerre qui s'en vient... 

(1) contraint à la démission le 8 juillet 1934 suite à un scandale de corruption, Saito Makoto sera lui-même assassiné par d'autres ultra-nationalistes le 26 février 1936 !

mardi 25 août 2015

4544 -des "patriotes irréprochables"

... Tokyo, 15 mai 1932

Au terme du Traité naval de Londres du 22 avril 1930, les pays signataires - dont le Japon - se sont engagés à ne construire aucun nouveau navire de ligne (1) avant 1937.

Difficilement ratifié par le Parlement japonais, ce traité exacerbe les tensions : le 22 avril 1932, une dizaine d'officiers ultranationalistes de la Marine impériale font irruption au domicile du Premier Ministre Inukai Tsuyoshi et, "au nom de la Patrie", l'abattent sur-le-champ.

C'est le putsch, un putsch qui, comme celui d'Hitler en novembre 1923, échoue lamentablement mais qui, là aussi, ne vaut à ses responsables que des peines légères, puisque le public se prononce largement en leur faveur, imitant en cela Sadao Araki, à présent Ministre des Armées, qui n'hésite pas à qualifier les meurtriers de "patriotes irréprochables" !

Tout comme l'Allemagne bientôt nazie, le Japon se rapproche de plus en plus de la guerre : à l'automne 1931, l'Armée impériale a en effet envahi la Mandchourie qui, le 18 février 1932, est très officiellement devenue le Mandchoukouo, le "Grand État mandchou", soustrait à la Chine et placé sous le contrôle absolu de Tokyo

Et comme l'appétit vient en mangeant, militaires et ultra-nationalistes se prennent déjà à rêver de nouvelles conquêtes...

(1) généralement utilisé pour les cuirassés et croiseurs de bataille, le terme "capital ship" peut également désigner les porte-avions

lundi 24 août 2015

4543 - prolonger les vacances

... Londres, 22 avril 1930

Comme le Japon n'est qu'un archipel, la conquête de cet "espace vital" - en Chine ou ailleurs - passe inévitablement par une puissante Marine de Guerre qui, tout aussi inévitablement, devra un jour affronter celle des États-Unis ou de la Grande-Bretagne, toutes deux numériquement plus importantes, et dont l'alliance face au Japon apparaît plus que probable.

Face aux 36 (!) cuirassés et croiseurs de bataille qu'Américain et Britanniques sont - théoriquement - en mesure de mobiliser contre elle, que peut faire la Marine impériale japonaise qui, par la faute du Traité de Washington, est toujours réduite à 10 unités ?

Certes, les Américains sont farouchement isolationnistes, et les Britanniques fortement engagés dans la défense de leurs îles et de la Méditerranée, jugées bien plus prioritaires que l'Extrême-Orient, mais l'inégalité des forces en présence n'en est pas moins criante.

A Londres, le 22 avril 1930, les délégués des cinq nations signataires parviennent pourtant à s'entendre sur un nouveau Traité naval qui, bien que plus particulièrement consacré aux croiseurs (1) et aux sous-marins, n'en prolonge pas moins les "vacances du cuirassé" pour les six prochaines années.

Mais signe de l'escalade des tensions, la ratification de ce nouveau traité va bientôt provoquer une tragédie...

(1) ce traité introduisit en particulier la distinction entre croiseurs "lourds", c-à-d dotés de canons d'un calibre maximum de 203mm, et "légers", c-à-d dotés de canons ne dépassant pas 155mm

dimanche 23 août 2015

4542 - "Avant qu'un nouveau monde apparaisse un combat mortel s'engagera entre les puissances de l'Ouest et de l'Est"

... depuis des mois, et à l'instar du propagandiste - et futur ministre - Sadao Araki, beaucoup font observer que le Japon doit nourrir 65 millions de personnes sur un territoire 40 fois moins étendu que le Canada ou l'Australie, par ailleurs 10 fois moins peuplés. 

De pareilles disparités, estiment-t-ils, sont profondément injustes et ne peuvent que justifier les revendications du Japon sur la Chine, ainsi que sa vocation à diriger l'Asie toute entière. 

Trois ans après la signature du Traité de Washington, qui a reconnu le Japon comme troisième puissance navale au monde, le nationaliste Okawa Shumei écrit que la destinée du Japon est de "libérer l'Asie" et donc, inévitablement, d'entrer en guerre contre les États-Unis. 

"Avant qu'un nouveau monde apparaisse", dit-il, "un combat mortel s'engagera entre les puissances de l'Ouest et de l'Est (...) Le Japon est le pays le plus puissant d'Asie, et les États-Unis le pays occidental le plus puissant. Ces deux pays sont destinés à s'affronter, et seul Dieu sait quand cela se produira"

Et puisque la guerre de plus en plus présente dans les esprits, le Japon se militarise très rapidement : dès le début des années 1930, les magasins de jouets nippons prennent des allures d'arsenaux miniatures, tandis que les écoles se dotent de véritables terrains de manœuvre où chaque enfant apprend, sous une discipline de fer, à manier sabres et fusils en bois... et à détester ses futures victimes chinoises

A un écolier qui fond en larmes lorsque prié de disséquer une grenouille, son professeur, après l'avoir giflé, lui hurle "pourquoi pleures-tu sur cette stupide grenouille ? Quand tu seras grand, tu devras tuer cent, deux cents Chinois !"...

samedi 22 août 2015

4541 - "Que peut faire le Japon lorsque deux de ces trois portes lui sont désormais fermées ?"

… aussi impopulaire soit-il - et particulièrement au Japon - le Traité de Washington a au moins l’avantage d’envoyer les cuirassés "en vacances" pour plusieurs années. 

Réduits aux missions d’entraînement, aux visites protocolaires, et aux inévitables séjours en cale sèche pour entretien et modernisation, ceux-ci coulent des jours paisibles, à peine obscurcis par le passage dans le ciel d’avions de plus en plus nombreux et de plus en plus performants dont certains, à commencer par l’Américain Billy Mitchell, affirment qu’ils enverront bientôt les cuirassés du monde entier au cimetière des éléphants. 

Le monde est en paix, mais le ver, lui, est déjà dans le fruit : en Europe, un agitateur du nom d'Adolf Hitler ne cesse de marteler le droit inaliénable de l'Allemagne à disposer d'un lebensraum, d'un "espace vital" qui ne pourra bien entendu être acquis qu'au détriment des peuples voisins, et au prix d'une nouvelle guerre

Et au Japon aussi, cette théorie de l'"espace vital" fait de plus en plus d'émules : de 30 millions d'âmes en 1867, la population japonaise est en effet passée à près de 65 millions en 1930, bien plus que ce que les agriculteurs nippons sont en mesure de nourrir, même en poussant les rendements à l'hectare au maximum, en sorte que l'archipel n'a à présent plus d'autre choix que d'importer des denrées alimentaires, et en particulier du riz, dont les achats ont triplé entre 1910 et 1920. 

Dès le début des années 1920, les militaristes ont ainsi résumé le défi : "Il n'y a que trois manières pour le Japon d'échapper aux conséquences de l'excès de population : l'émigration, la conquête des marchés commerciaux, ou l'expansion territoriale. La première porte - l'émigration - nous est fermée depuis le vote de lois anti-migratoire par de nombreux pays étrangers. La seconde se referme à cause des barrières douanières et l'abrogation des traités commerciaux. Que peut faire le Japon lorsque deux de ces trois portes lui sont désormais fermées ?" 

vendredi 21 août 2015

4540 - ferrailler ou convertir

… commandés peu après l’Armistice de 1918, les successeurs de ces dix bâtiments étaient déjà en construction au moment de la signature du Traité de Washington

Lancés entre 1920 et 1921, et déplaçant chacun plus de 40 000 tonnes pour 10 canons de 410mm, les cuirassés Tosa et Kaga devaient ainsi succéder aux deux Nagato, tandis que les croiseurs de bataille Amagi, Akagi, Atago, et Takao en auraient fait de même pour les quatre Kongo.

Mais condamnés par le Traité bien avant d’être achevés, tous ces bâtiments sont à présent voués à une inévitable démolition à laquelle le Kaga (1) et l’Akagi vont néanmoins échapper, puisque transformés en porte-avions (2) sur le lieu-même de leur construction.

Car, conséquence imprévue du Traité pour toutes les puissances signataires, les porte-avions, jusque-là simples navires "expérimentaux", lents et de faible tonnage, vont se voir proposer plusieurs de ces grandes coques à l’abandon, lesquelles vont leur permettre d’entrer enfin dans l’âge adulte et, bientôt, de pousser vers la retraite les cuirassés dont ils sont eux-mêmes issus…

(1) pour cette conversion en porte-avions, le Japon n’avait initialement retenu que les coques de l’Amagi et de l’Akagi, mais le grand tremblement de terre du 1er septembre 1923 allait à ce point déformer la coque du premier qu’on décida finalement de le ferrailler et de le remplacer par la coque du Kaga 
(2) les Américains en feront de même avec les coques des Saratoga et Lexington, les Britanniques avec les Furious, Courageous et Glorious, et les Français avec le Béarn

jeudi 20 août 2015

4539 - en attendant ce jour...

… mais en attendant ce jour de la revanche, il faut faire avec ce que l’on a, ou plus exactement avec ce que l’on est autorisé à conserver, et qui mérite donc qu’on s’y attarde quelque peu.

A 27 000 tonnes et 8 canons de 356mm, et mis en service entre 1913 et 1915, les quatre Kongo (Kongo, Hiei, Kirishima, Haruna), sont des croiseurs de bataille d’inspiration d’autant plus britannique que le premier cité a été construit dans un chantier naval anglais (1), et les trois autres au Japon, sur des plans légèrement modifiés, mais avec de nombreuses pièces importées directement de Grande-Bretagne.

Mis en service entre 1915 et 1918, les Fuso et Yamashiro, ainsi que leurs successeurs et quasi-jumeaux Ise et Hyuga, sont des cuirassés d’environ 30 000 tonnes et 12 canons de 356mm curieusement dispersés sur toute la longueur du navire en pas moins de six (!) tourelles doubles qui ne contribuent guère à l’efficacité du blindage.

Plus modernes, et nettement plus puissants, les Nagato et Mutsu, mis en service en 1920 et 1921, dépassent quant à eux les 33 000 tonnes, et disposent d’un armement composé cette fois de huit pièces de 410mm réparties en quatre tourelles doubles.

Prévus pour être remplacés à bref délai, tous ces bâtiments vont pourtant connaître une longue et fort étonnante carrière...

(1) le Kongo fut le dernier grand navire de ligne japonais construit à l’étranger

mercredi 19 août 2015

4538 - la règle du 5/5/3

… il n’est pas surprenant que le Traité de Washington ait été dénoncé par les milieux nationalistes japonais avant-même que son encre ne soit sèche : à cette époque où le nombre de cuirassé et le calibre de leurs canons sont encore source de fierté - et d’anxiété - nationale, toute réduction de l'une ou de l'autre ne peut en effet être perçue que comme une défaite, a fortiori si elle ne s’accompagne pas d’un effort comparable au sein des autres pays signataires.

Car même s’ils devront se résoudre à ferrailler une partie de leur flotte, Britanniques et Américains conserveront tout de même18 cuirassés et croiseurs de bataille chacun alors que les Japonais, eux, devront se contenter d’un ratio de 60% (également connu comme la règle du 5/5/3) qui, en pratique, condamne donc leur Marine impériale à ne posséder que 10 navires de ligne au maximum, chiffre insuffisant en cas d’alliance - probable - entre Londres et Washington dans le Pacifique.

Qu’importe que le Japon, qui en 1921 a consacré un tiers (!) de son budget national rien que bâtir et entretenir sa marine de guerre, n’ait en réalité pas les ressources techniques et financières pour poursuivre dans cette voie ni, a fortiori, pour construire une flotte plus grande : ce qui compte, c’est le fait de se le voir interdire formellement, d’être considérée comme une nation de second ordre, et condamnée à le rester.

C’est là, dans cette différence de traitement aussitôt perçue comme une injustice et comme une humiliation supplémentaire infligée par l’Homme blanc, que se trouve l’acte de naissance officieux du Yamato qui, pour l’heure, et puisque toute nouvelle construction est interdite pour au moins dix ans, n’existe encore que dans les limbes mais qui devra, un jour, laver l’honneur de la Nation toute entière…

mardi 18 août 2015

4537 - réduire les forces

… Washington, 6 février 1922

Conclu par les vainqueurs de l’Allemagne, et souvent évoqué dans ces pages, le Traité de Washington de février 1922 est, rappelons-le, une initiative américaine qui vise à empêcher, ou du moins à limiter, une course au réarmement naval, en particulier dans le domaine ô combien ruineux des cuirassés et croiseurs de bataille qui, paradoxalement, n’ont pourtant pas démontré grand-chose lors de la guerre qui vient de s’achever.

Selon les termes de cet accord, qui engage également Italiens et Français, seuls les Britanniques seront autorisés à construire deux nouveaux cuirassés - les futurs Nelson et Rodney - mais avec un tonnage limité à 35 000 tonnes, et des canons qui ne dépasseront pas 406mm,… soit le déplacement et le calibre des Nagato et Mutsu japonais, ou des trois Colorado américains.

En contre-partie, la Grande-Bretagne devra se contenter de 22 cuirassés et croiseurs de bataille, chiffre à ramener à 18 dès l’entrée en service des Nelson et Rodney, prévue pour 1927.

Comme les États-Unis pourront également en conserver 18, l’US Navy deviendra donc, à cette date, l’égale de la Royal Navy… sans avoir à tirer un seul coup de canon, une perspective qui n’enchante évidemment personne à Londres mais que l’on est néanmoins résolu à accepter.

La réduction de la puissance navale japonaise est en revanche une toute autre histoire…

lundi 17 août 2015

4536 - no satisfaction

… Scapa Flow, 21 juin 1919

Sur ordres, la Hochseeflotte allemande, internée depuis l’Armistice de novembre 1918, vient de se saborder au beau milieu de la rade de Scapa Flow.

Mais bien que définitivement débarrassée de cette menace, la Royal Navy, en cet été de 1919, est loin d’être satisfaite, car même s’ils n’ont que fort peu connu le combat, ses cuirassés et - surtout - ses croiseurs de bataille n’en ont pas moins été fortement éprouvés par ces quatre années de guerre.

Surtout, ils doivent à présent affronter la concurrence - pour l’heure amicale - de leurs homologues américains et japonais, à la fois plus gros, plus modernes, et plus puissamment armés, perspective d’autant plus inquiétante qu’à Washington, les partisans de la "Big Fleet", de la "Grande Marine" ne font pas mystère de leur intention de ravir à la Grande-Bretagne le titre de Maîtresse des Océans, et qu’à Tokyo, on entend bien faire du Japon la puissance dominante en Asie et dans le Pacifique !

Conséquence inévitable : si les populations continuent de croire en la "Dernière des Guerres" et à cette nouvelle "Société des Nations" régie non plus par la haine mais bien par la Raison, les amiraux, eux, se préparent tranquillement pour le prochain conflit, qu’ils estiment inévitable et pour lequel ils réclament de nouveaux bâtiments bien évidemment plus gros, plus puissants, et plus chers, que leurs prédécesseurs.

Mais comment réussir à les financer ?

dimanche 16 août 2015

4535 - si foutrement gros

... plus de 72 000 tonnes en charge; neuf canons de 460mm pesant plus de 140 tonnes chacun, tirant des obus de près d'une tonne et demie à 42 kilomètres de distance, et installés dans trois tourelles triples de plus de 2 400 tonnes chacune, protégées par un blindage de 65 centimètres d'épaisseur.

Mais aussi douze canons de 155mm et douze autres de 127mm, un blindage de 41 centimètres à la flottaison, 260 mètres de long et 39 mètres de large, sept (!) hydravions embarqués, ou encore près de 3 000 officiers et marins,...

Avec son jumeau Musashi, le Yamato fut, et de loin, le plus gros et le plus puissant cuirassé du monde.

Mais ce navire de tous les superlatifs, conçu et construit pour terrasser tous ses homologues occidentaux, non seulement présents mais aussi à venir, fut aussi, avec le Tirpitz allemand, un des plus inutiles jamais construits.

Un navire de guerre qui, de toute la guerre, ne tira que quelques obus... sur une poignée de bâtiments en fer blanc, et sans même parvenir à en triompher !

Comment en arriva-t-on là ? et comment expliquer pareil paradoxe ?

C'est de tout cela dont je vous propose de parler dans les chroniques qui vont suivre...

samedi 15 août 2015

4534 - Ten-gō Sakusen

... l'anéantissement du Bismarck dans l'Atlantique, puis celui du Prince of Wales et du Repulse au large de Kuantan, furent des tragédies qui auraient pu - et qui aurait dû - être très facilement évitées si les politiciens n'avaient pas nourri d'ambitions excessives, et si les amiraux ne s'étaient pas ensuite efforcés d'aller bien au-delà de celles-ci, et bien au-delà de ce que bâtiments et équipages étaient en mesure d'accomplir.

Le risque, bien sûr, fait partie de la guerre,  mais en donnant leur assentiment au départ de ces trois navires, ni Hitler ni Churchill ne s'attendaient à les voir disparaître corps et biens. pas plus d'ailleurs que Lütjens et Phillips, qui les commandèrent jusqu'à la fin.

De même, si officiers et marins savaient qu'ils risquaient la mort par le simple fait de se trouver à leur bord, et en guerre, chacun espérait néanmoins la victoire, et comptait bien s'en sortir vivant.

Il fut cependant une mission où politiciens et amiraux n'espéraient aucune victoire, tout simplement parce que la victoire n'était depuis longtemps plus possible; une mission ordonnée par les premiers, et lancée par les seconds, "pour l'Honneur", et comme un ultime défi lancé aux futurs vainqueurs; une mission dont personne, parmi l'équipage, ne pensait revenir et dont la plupart, de fait, ne revinrent pas; une mission "de sacrifice" dont l'issue était connue d'avance et qui n'eut même pas le mérite de prolonger la guerre d'une seule minute, ni de la modifier d'une seule virgule.

Cette mission, pourtant, eut un retentissement immense, bien que posthume, peut-être parce que son principal protagoniste était lui-même totalement hors-norme et "so damn big"...

... si foutrement gros 

vendredi 14 août 2015

4533 - la revanche de Kuantan

... après Kuantan, il devint évident, bien que difficile à admettre, que les cuirassés, ces symboles-par-excellence de la puissance virile, avaient vécu, et représentaient désormais plus un boulet qu'un atout.

Par principe plus que par véritable utilité, la Grande-Bretagne acheva les deux derniers King George V, et même le Vanguard, néanmoins jugé si peu prioritaire qu'il n'entra en service qu'après la guerre (1) 

Aux États-Unis, la construction des cinq Montana de 60 000 tonnes et douze canons de 406mm, fut suspendue en mai 1942, puis définitivement abandonnée un an plus tard au profit de nouveaux porte-avions; et même la classe précédente des Iowa n'échappa pas aux coupures : sur les six unités commandées avant Kuantan, quatre seulement entrèrent finalement en service - bien qu'avec beaucoup de retard - avant la Capitulation japonaise, tandis que les deux derniers demeurèrent à jamais inachevés. 

Le Japon alla encore plus loin : après avoir enfoncé toutes les limites du raisonnable, en commandant cinq Yamato de 70 000 tonnes dotés de neuf pièces de 456mm, puis dressé les plans de deux autres, encore plus gros, équipés de 6 à 8 canons de 510mm (!), ils annulèrent la construction des quatrième et cinquième Yamato et de leurs deux successeurs et, surtout, convertirent le troisième en un gigantesque porte-avions de 65 00 tonnes 

Car en juin 1942, un véritable désastre s’était en abattu sur la Marine impériale qui, à Midway, avait perdu son invincibilité, en même temps que quatre de ses précieux porte-avions. 

 D'une certaine manière, ce fut, six mois plus tard, la revanche de Kuantan... 

(1) ce fut également le cas du Jean Bart français, dont la construction avait été interrompue par l'Armistice de juin 1940.

jeudi 13 août 2015

4532 - cinq ans trop tard

... peut-être parce qu'il se savait lui-même responsable du désastre, l'Amiral Tom Phillips préféra demeurer sur la passerelle du Prince of Wales en train de sombrer, ce qui lui évita de devoir affronter les questions d'une commission d'enquête, et peut-être même celles d'une cour martiale.

Abasourdie par la nouvelle, l'opinion publique britannique s'en désintéressa pourtant très vite, tant l'incroyable succession de mauvaises nouvelles en provenance d'Extrême-Orient l'incita à passer à autre chose.

La Royal Navy, elle, ne pouvait pas se permettre un tel luxe : attribuant, non sans raison, la perte de ces deux bâtiments à l'absence d'une protection aérienne dédiée - et permanente - elle lança, dans les semaines suivantes, un programme d'urgence pour la construction de porte-avions légers, destinés à entrer en service "dans les plus brefs délais" : seize navires - la classe Colossus - furent commandés au printemps 1942, quatre furent terminés avant la fin de la guerre, aucun ne connut le combat...

Pour ne plus se retrouver avec un nouveau Kuantan, et avec un cuirassé paralysé par l'impact d'une seule torpille, la Royal Navy ordonna également de nouvelles modifications au Vanguard, son ultime cuirassé, qui se vit dès lors doté de nouvelles cloisons étanches et d'arbres d'hélices complètement repositionnés et désormais séparés de plus de 15 mètres l'un de l'autre, autant de changements qui repoussèrent sa mise en service... à mai 1946.

C'était déjà cinq ans trop tard...

(1) Saviez-vous que... A l'arrière de l'avant-garde

mercredi 12 août 2015

4531 - "convenablement menés"

... ce ne fut qu'à 11h58, soit une heure après le début de l'attaque, que le message d'alerte, et l'appel au secours, fut lancé, et non du Prince of Wales, pourtant déjà blessé mortellement par une torpille, mais bien du Repulse, après que son commandant, William Tennant, ait décidé, de sa propre initiative, d'enfreindre le silence radio imposé par l'Amiral Phillips !

Trente minutes plus tard, les chasseurs australiens décollaient de Sembawang; encore cinquante minutes, et ils déboulaient au-dessus de Kuantan,... où le malheureux Repulse s'était déjà englouti, et où le Prince of Wales vivait ses ultimes secondes.

Dix médiocres chasseurs d'un côté, soixante-quinze bombardiers-torpilleurs lourdement chargés et à court d'essence de l'autre : on ne connaîtra jamais les pertes que les premiers auraient réellement pu infliger aux seconds, mais il ne fait aucun doute qu'appelés à la rescousse à 10h15, ils seraient apparus avant qu'une torpille ne frappe le Prince of Wales sur son bâbord arrière, ou qu'appelés à 11h00, ils se seraient présentés avant que cinq autres torpilles n'en fassent de même sur le Repulse.

On pourra toujours écrire que même ainsi, ces deux bâtiments auraient certainement subi des dégâts, et peut-être même coulé devant Kuantan; on pourra toujours écrire que même s'ils avaient survécu à cette attaque, ils auraient sans doute succombé dans les jours où les semaines suivantes, tant la situation des armées occidentales en Extrême-Orient était devenue intenable; et on pourra toujours écrire qu'ils étaient de toute manière condamnés par l'Histoire.

Mais il n'en demeure pas moins que le 10 décembre 1941, au large de Kuantan, ils furent sacrifiés en vain, et périrent sans gloire, parce qu'ils n'avaient pas été...

... "convenablement menés" 

mardi 11 août 2015

4530 - le monde du silence radio

... ce n'est qu'à 10h15, après avoir été repéré - cette fois pour de vrai - par un bimoteur de reconnaissance japonais que l'Amiral Phillips mit enfin un terme aux errances de la Force Z, en ordonnant de cingler à toute vitesse vers Singapour.

Mais pour une raison qui aujourd'hui encore reste un mystère, le silence radio fut maintenu, et le fut encore 45 minutes plus tard, lorsque les premiers bombardiers japonais firent leur apparition dans le ciel !

Plus rien, pourtant, ne justifiait pareil silence, qui privait la flottille de tout espoir de voir enfin arriver des chasseurs britanniques ou australiens !

Phillips estimait-il alors, comme le soutiennent parfois ses défenseurs, que plus aucun soutien aérien n'était encore possible, quel que soit l'endroit de la côte où on le demanderait ?

Même si c'était le cas, il aurait tout de même pu - et dû - essayer au moins d'en réclamer un !
 
Pire encore : lorsqu'il se décida enfin à rompre le silence radio à 12h20, alors que le Prince of Wales était déjà en train de couler (!), ce fut pour réclamer non pas des chasseurs mais bien... des destroyers, puis quarante minutes plus tard,... des remorqueurs !

De la première attaque aérienne contre le cuirassé à son engloutissement final, quelque deux heures plus tard, jamais, à aucun moment, l'Amiral Phillips n'avait sollicité le moindre soutien aérien...

lundi 10 août 2015

4529 - la multiplication des erreurs

… c’est le lendemain matin, parvenu au large de Kuantan, que les erreurs de l’Amiral Phillips commencèrent vraiment à se multiplier.

Bien que convaincu d’avoir été repéré par un avion japonais vers 06h30, Phillips refusa une nouvelle fois de rompre le silence radio pour réclamer le soutien aérien que Palliser, à l’évidence, n’avait pas demandé.

Même si ce refus s’avéra en définitive bénéfique  – cet avion, si tant est qu’il ait été japonais, n’ayant rien signalé à personne – il n’en constituait pas moins une grave erreur… mais néanmoins bénigne par rapport à celles qui allaient suivre.

Le Walrus expédié en reconnaissance n’ayant rien remarqué sur Kuantan, Phillips, plutôt que de reprendre aussitôt la route de Singapour, s’entêta en effet, et contre toute logique, à s'en assurer en personne, puis, n'ayant rien découvert lui non plus, décida d'y expédier un destroyer avec pour mission d’y voir d’encore plus près. 

Le destroyer rentré tout aussi bredouille une heure plus tard, l’Amiral perdit encore de longues minutes à tourner en ronds, avant de s’en repartir non pas vers le sud et Singapour, mais bien vers l’est et un ridicule remorqueur hâlant trois barges, aperçu quelques heures auparavant.

C’était perdre beaucoup de temps, et prendre beaucoup de risques supplémentaires, pour une simple mission d'inspection qui aurait très facilement pu être confiée à un simple destroyer.

On pourra toujours écrire qu’au bout du compte, les deux ou trois heures ainsi perdues à errer en vain ne changèrent rien, puisque les bombardiers-torpilleurs japonais, qui avaient décollé de Saigon à l’aube, auraient de toute manière retrouvé, et attaqué, la flottille quelque part entre Kuantan et Singapour, mais les quelques dizaines de kilomètres qu'elle aurait gagné en partant immédiatement auraient du moins permis à la cavalerie aérienne, une fois celle-ci prévenue, de se porter plus rapidement à son secours et auraient, peut-être, empêché le drame qui allait suivre...

dimanche 9 août 2015

4528 - la mauvaise déduction

... ni Phillips ni Palliser ne pouvaient savoir que ce débarquement était en réalité… inexistant, et on ne saurait donc reprocher au premier d’avoir finalement voulu se rendre à Kuantan plutôt que de s'en retourner directement à Singapour.

Mais le vrai problème, c’est que l'Amiral ne jugea pas utile d’en informer son subordonné, ni de réclamer un soutien aérien que la RAF, si près de Singapour, aurait cette fois été en mesure d’assurer.

Les défenseurs de Phillips – il y en a – considèrent qu’en recevant de Palliser un message l’avisant d’un débarquement japonais à Kuantan, Phillips "en déduisit" que Palliser s’attendrait forcément, vu l’importance stratégique de l’endroit, à ce que lui, Phillips, s'y rende immédiatement, et qu’en conséquence, il ne manquerait pas de réclamer un soutien aérien sur zone au bénéfice de son supérieur hiérarchique.

Avec cette certitude en poche, Phillips, ajoutent-ils, n’avait alors aucune raison de rompre le silence radio, et ainsi de trahir éventuellement sa position, pour confirmer ses intentions et réclamer lui-même ce soutien aérien qu’il pensait déjà acquis.

Que cette "déduction" soit correcte ou non – ayant disparu avec le Prince of Wales, Phillips n’était évidemment plus là pour le dire – le fait demeure que jusqu’à l’annonce, dans l’après-midi du lendemain, des premières attaques japonaises au large de Kuantan, Palliser n’eut pas la moindre idée de la position et des intentions de son supérieur,… et ne songea donc pas à réclamer un quelconque soutien aérien à cet endroit...

samedi 8 août 2015

4527 - les premières erreurs de jugement

… aussi malavisées pouvaient-elles parfois sembler, les décisions prises jusqu’ici par l’Amiral Phillips ne constituaient pas encore de véritables erreurs de jugement, mais la situation se mit hélas à changer au fil des heures.

Cela commença au crépuscule du 9 décembre, lorsque l’Amiral, bien que se sachant formellement repéré par trois hydravions de reconnaissance japonais, décida de conserver le silence radio et de ne pas informer Singapour de sa position et de ses intentions du moment… alors que l’État-major japonais, lui, les connaissait désormais parfaitement !

A ce stade, il était déjà évident que le raid prévu sur Singora serait un échec puisque les Japonais, prévenus, s’empresseraient de lancer navires de guerre, sous-marins et avions sur la route de la Force Z… et de faire lever l’ancre à tous les cargos que Phillips envisageait d'attaquer le lendemain. 

Pourtant, et de manière inexplicable, ce n’est que deux heures plus tard, après avoir aperçu une mystérieuse fusée éclairante en avant de la flottille, qu’il se décida enfin à changer de cap et à revenir sur ses pas !

Vint alors, peu avant minuit, le fameux message qui précipita le drame : expédié par Arthur Palliser, son propre chef d’État-major demeuré à Singapour, le dit message stipulait qu’un débarquement japonais était en cours à Kuantan.

Connaissant l’importance stratégique de l’endroit, qui se trouvait par ailleurs sur le chemin du retour vers Singapour, Phillips décida aussitôt de s’y rendre et d’y attaquer dès l’aube du lendemain...

vendredi 7 août 2015

4526 - un sérieux manque de considération

... au plan formel, et puisque la Royal Navy avait refusé d'intégrer un commandement unifié, rien n'obligeait Phillips à inviter des représentants de l'Aviation lors de la réunion d'urgence tenue sur le Prince of Wales dans l'après-midi du 8 décembre.

Mais ne pas les inviter témoignait néanmoins d'un sérieux manque de considération à l'égard de ces hommes dont on attendait pourtant qu'ils fournissent des renseignements, et surtout une couverture aérienne, lorsqu'on s'approcherait de Singora (sud-est de la Thaïlande) au matin du 10.

La RAF avait certes dit qu'elle "ferait de son mieux" mais, quelques heures après l'appareillage, même cette vague promesse ne valait plus rien puisque Phillips avait déjà reçu, de son propre chef d'État-major demeuré à Singapour, un message radio sans équivoque, l'avisant que cette couverture aérienne ne pourrait être assurée au moment et à l'endroit prévus.

En dépit de cette nouvelle peu encourageante, Phillips décida néanmoins de poursuivre comme si de rien n'était, ce qui, vu la proximité de Singora des aérodromes japonais, représentait tout de même un très gros risque.

Cet homme qui avait toujours sous-estimé le potentiel de l'Aviation ne pouvait il est vrai que sous-estimer davantage celui de l'Aviation japonaise, contre laquelle il se croyait relativement immunisé en autant que ses bâtiments demeurent en mer et, selon ses propres termes, "convenablement menés".

Mais était-il lui-même capable de les mener... convenablement ?

jeudi 6 août 2015

4525 - partir ou rester

... venu à Singapour pour une simple "mission de dissuasion", Phillips se retrouva donc sous les bombes et avec seulement un cuirassé, un (vieux) croiseur de bataille, et quatre (fort modestes) destroyers réellement opérationnels.

Que devait-il faire à présent ? Toute retraite vers l'Australie étant politiquement et moralement exclue, le choix se limitait en pratique entre attendre deux ou trois jours au port pour y accueillir les deux croiseurs (dont un hollandais) et les six destroyers (dont quatre américains) promis et déjà en route,... ou prendre immédiatement la mer avec les (faibles) moyens dont il disposait.

Attendre l'aurait placé dans une meilleure position tactique, avec davantage de canons antiaériens mais aussi de bien meilleurs renseignements sur la position et l'ampleur exacte des débarquements japonais. En revanche, cette option aurait mis ses bâtiments, et en particulier le précieux Prince of Wales, à la merci d'un nouveau Pearl Harbor - singapourien cette fois - en plus de lui valoir les critiques acerbes de l'Armée et de l'Aviation, déjà occupées à perdre pied dans toute la péninsule malaise.

A contrario, et même si cela revenait à avancer en aveugle et avec seulement la vague promesse de la RAF de "faire de son mieux" en matière de couverture aérienne, prendre la mer ne pouvait que satisfaire fantassins et aviateurs,...  mais aussi Churchill qui, depuis le début de la guerre, ne cessait de fustiger la Royal Navy pour son "manque d'agressivité".

Sans hésiter, Phillips se décida donc pour la sortie immédiate, une décision qui, rétrospectivement, était une erreur, mais que l'on ne saurait une fois encore lui reprocher, considérant les circonstances du moment.

mercredi 5 août 2015

4524 - le grand absent

... mais en définitive, le drame de Kuantan n'aurait jamais eu lieu sans les décisions souvent malavisées, et les nombreuses erreurs de jugement, commises par l'Amiral Phillips.

Si la responsabilité personnelle de ce dernier est écrasante, elle doit néanmoins être analysée en fonction du contexte et de ce que chacun savait - ou croyait savoir - des événements, mais aussi des intentions, et des moyens, de l'ennemi japonais.

Réglons d'abord le cas du porte-avions, ou plutôt de l'absence de porte-avions, qui empêcha la Force Z d'écarter les appareils de reconnaissance puis les bombardiers-torpilleurs japonais.

Un porte-avions, l'Indomitable, avait été prévu... mais se trouvait en réparation aux États-Unis après s'être malencontreusement échoué en Jamaïque; un autre, l'Hermes, était disponible en Afrique du Sud, où il venait d'arriver pour un carénage de routine... mais il était beaucoup plus ancien et moins performant.

Lors de son escale au Cap, Phillips ne voulut pas attendre le premier, et ne songea pas à réclamer le second.

On ne saurait cependant lui en faire grief : depuis des jours, Churchill multipliait en effet les pressions pour qu'il rejoigne Singapour le plus rapidement possible, et personne, ni à Whitehall ni au 10 Downing Street, ne semble s'être souvenu de la présence, ou de l'intérêt, du petit Hermes

C'est donc sans aucun porte-avions à leurs côtés que le Repulse et le Prince of Wales firent leur entrée à Singapour le 2 décembre 1941, et c'est toujours sans porte-avions qu'ils en sortirent six jours plus tard pour leur ultime voyage...

mardi 4 août 2015

4523 - les racines du mal

… en installant une base navale et militaire à Singapour, et en transformant l’île toute entière en place-forte, la Grande-Bretagne entendait faire contrepoids à l’expansionnisme japonais dans la région.

Mais en ne lui offrant pas les moyens de résister seule en cas de conflit, elle la rendait tributaire d’une aide qui ne pouvait venir que de Grande-Bretagne ou des États-Unis, ce qui, dans le meilleur des cas, prendrait nécessairement des semaines, et peut-être même des mois

Si pareille conception avait encore un sens au lendemain de la 1ère G.M, ce n’était plus le cas en 1941, vu les progrès réalisés par l’Aviation, et avec des bombardiers japonais désormais stationnés en Indochine et parfaitement capables de rallier Singapour d’un seul coup d’aile pour y semer la mort.

Pour affronter cette nouvelle menace, les Britanniques auraient dû, au strict minimum, expédier de nombreuses escadrilles de chasse et de bombardement sur l’île, mais en décembre 1941, on y comptait moins de 200 appareils, dont aucun ne pouvait être considéré comme modernes et qui, de fait, furent rapidement écrasés sous le poids et la qualité de leurs adversaires japonais.

Ce sous-équipement aérien avait son pendant naval : jusqu’à l’arrivée du Prince of Wales et du Repulse… six jours avant le début des hostilités (!), la Royal Navy n’avait jamais voulu y stationner un bâtiment plus gros qu’un simple croiseur, en sorte que c’est réduits à eux-mêmes, et à quatre fort modestes destroyers, que ces derniers appareillèrent le 8 décembre 1941 pour leur ultime voyage.

Cette insouciance, et ce manque de moyens, pouvaient bien sûr s’expliquer par les impératifs de la guerre en Europe, qui drainait depuis deux ans l’essentiel des ressources humaines et matérielles de l’Empire, mais aussi, et peut-être surtout, par l’infatuation traditionnelle des Occidentaux, et particulièrement des Britanniques, à l’égard des Asiatiques, donc des Japonais, presque unanimement considérés comme des combattants de piètre valeur, de surcroît aussi mal commandés qu’équipés.

A Singapour comme dans tout l’Extrême-Orient, cette sous-estimation chronique du véritable potentiel de l’adversaire eut des conséquences catastrophiques dès les premières minutes du conflit et, en gros, durant les six mois suivants…

lundi 3 août 2015

4522 - la question de la responsabilité

... mais tout cela est cependant de peu d'importance en regard de la question essentielle : à qui la faute ?

Sur un plan général, on peut certainement reprocher à Churchill d'avoir singulièrement manqué de vision en envoyant à Singapour une flotte limitée à trois bâtiments seulement, dont l'un n'était qu'un croiseur de bataille périmé, et un autre un porte-avions certes moderne mais qui, hélas, serait gravement endommagé, et laissé de côté, lors de la traversée.

On peut surtout lui reprocher d'avoir pensé que la dite force suffirait à "dissuader" les Japonais de partir en guerre et, s'ils le faisaient malgré tout, quelle resterait néanmoins en mesure de sérieusement les gêner dans leurs opérations, donc de les inciter à la prudence.

Hélas pour Churchill, l'arrivée du Prince of Wales et du Repulse à Singapour le 2 décembre 1941, ne dissuada nullement les Japonais d'attaquer Pearl Harbor... mais aussi Singapour, six jours plus tard, et ne les incita pas davantage à bouleverser radicalement leur plan de bataille pour tenir compte de leur présence.

Pour défendre Singapour, Churchill, son gouvernement, son État-major, comptaient surtout sur les Américains, et plus précisément sur leurs cuirassés, ancrés à Pearl Harbor, et sur leurs bombardiers à long rayon d'action, stationnés aux Philippines.

Personne n'avait hélas envisagé la possibilité que les premiers soient coulés ou gravement endommagés dès les premières minutes du conflit, et les seconds quasiment tous anéantis dans les heures suivantes, laissant dès lors Singapour, et les navires qui y étaient stationnés, à la merci d'une attaque ennemie...

dimanche 2 août 2015

4521 - mon cuirassé pour un peu d'électricité

... car bien qu'importante, et particulièrement visible, ce n'est pas cette voie d'eau qui condamna le Prince of Wales, mais bien l'impossibilité de l'endiguer suite à la défaillance, aujourd'hui encore largement inexpliquée, de toute l'électricité sur l'arrière du bâtiment !

En quelques instants, quatre des huit dynamos se retrouvèrent en effet hors-service. Il était théoriquement possible d'alimenter l'arrière avec les quatre dynamos restantes, mais pareille procédure n'avait jamais été testée, et en pratique, malgré tous les efforts des électriciens, aucune dérivation du courant par les circuits existants ne put être menée à bien.

Sans électricité, il était impossible de communiquer avec les compartiments arrière, mais aussi de les éclairer et de les ventiler, ce qui, au niveau des machines et des chaufferies survivantes, s'avéra rapidement catastrophique.

Sans électricité, il était également impossible d'actionner le gouvernail, ou de pointer une bonne partie des canons antiaériens.

Mais sans électricité, il était surtout impossible de démarrer et de faire fonctionner les pompes, c-à-d la seule chose qui aurait peut-être pu sauver le cuirassé du naufrage...

samedi 1 août 2015

4520 - les limites d'une comparaison

… on a souvent comparé, y compris dans ces colonnes, la torpille qui frappa le Prince of Wales sur son extrême arrière à celle qui avait touché, à peu près au même endroit, le Bismarck sept mois auparavant.

Mais cette comparaison a cependant ses limites : dans les deux cas, il est vrai, le bâtiment fut aussitôt rendu ingouvernable, mais le Bismarck ne fut jamais menacé dans son intégrité structurelle, ni même dans son fonctionnement, alors que le Prince of Wales, lui, s’éteignit comme une chandelle qu’on souffle, et aurait probablement fini par couler même en l’absence de toute nouvelle attaque japonaise !

L’origine du problème est bien connue : en faisant explosion, de manière particulièrement chanceuse, à hauteur de l’arbre d’hélice extérieur bâbord, la torpille tordit immédiatement ce dernier, qui tournait alors à quelque 200 tours par minute, et cet arbre tordu occasionna à son tour de sévères dommages au tunnel dans lequel il était enchâssé, en plus de provoquer d’intenses vibrations qui firent sauter de nombreux rivets maintenant les plaques de la coque en position.

Par les brèches ainsi ouvertes, plus de 2 000 tonnes d’eau s'engouffrèrent dans le bâtiment, qui s’enfonça rapidement par l’arrière, et s'inclina de 11 degrés sur bâbord.

Bien qu’importante, cette voie d’eau n’était cependant pas décisive et aurait pu, et aurait dû, être facilement maîtrisée grâce aux énormes pompes dont le cuirassé était équipé.

… si du moins l'on était parvenu à mettre les dites pompes en route !