vendredi 30 novembre 2012

3556 - l'inévitable massacre

... heureusement pour Sturdee, et le prestige de la Royal Navy, le Kent, qui était au large au moment où sont apparus les navires de Spee, a été en mesure de maintenir le contact et de guider le Glasgow, puis le reste de la flotte britannique, dans la direction du Leipzig, serre-file de la colonne allemande en pleine retraite.

Plus rapides que les croiseurs allemands, les Invincible et Inflexible gagnent du terrain minute après après minute. A 13h00, parvenu à limite de portée - environ 20 000 mètres - l’Inflexible ouvre le feu sur le Leipzig, dont les pauvres 105mm sont évidemment incapables de répliquer à pareille distance.

Spee prend alors une décision courageuse - ou insensée selon le point de vue où l’on se place : abattre en direction des Britanniques avec les Scharnhorst et Gneisenau afin de laisser à ses trois petits croiseurs, mais aussi aux deux ravitailleurs, une chance de s’échapper.

Vain espoir : avec les moyens dont il dispose Sturdee est bien assez fort pour venir à bout des deux croiseurs-cuirassés allemands avec les seuls Inflexible et Invincible, et pour laisser le reste de son escadre en découdre librement avec les Leipzig, Nürnberg et Dresden, lequel, seul navire allemand à posséder des turbines à vapeur, sera également le seul à échapper au massacre qui va suivre...

jeudi 29 novembre 2012

3555 - double surprise


... Port Stanley, 8 décembre 1914, 07h50

Au matin du 8 décembre, les Gneisenau et Nürnberg, qui constituent l’avant-garde de la flotte allemande, se présentent donc devant Port Stanley, totalement inconscients du danger qui pèse sur eux.

Quelques minutes plus tard, la vigie du Gneisenau signale de la fumée - sans doute les dépôts de charbon que les Britanniques sont occupés à incendier - puis quelques mats - peut-être l’un ou l’autre cargo qui cherche à s’échapper.

Mais plus au large, les guetteurs du Scharnhorst, qui bénéficient d’une meilleure vue d’ensemble, distinguent soudainement des mats tripodes, caractéristiques de croiseurs de bataille anglais !

Inutile d’insister : on rappelle en catastrophe les deux navires téméraires, et c’est sans la moindre fausse honte que toute l’escadre allemande décroche vers le sud-est de toute la vitesse dont elle est capable...

Et les Allemands sont sur le point de réussir leur retraite car les Britanniques, qui étaient occupés à charbonner, ont été autant, sinon davantage, surpris qu’eux !

Le temps de rallumer toutes les chaudières et de monter en pression et il est déjà 09h30 lorsque le Glasgow franchit enfin les passes, et plus de 10h00 avant que les Inflexible et Invincible soient en mesure d’en faire de même.

Spee a déjà disparu derrière l’horizon et, pire encore, le vent pousse dans sa direction les torrents de fumée noire vomis par les croiseurs britanniques...

mercredi 28 novembre 2012

3554 - and the winner is...

... Port Stanley, 7 décembre 1914

Le 6 décembre, l’escadre allemande a repris la mer à destination des Falklands, que Spee se propose de bombarder avant de rentrer en Allemagne.

Curieuse décision a priori : n’était le fait qu’elles sont anglaises, les Falklands n’offrent en effet aucun intérêt militaire, a fortiori pour des navires comme ceux de Spee, qui ont déjà brûlé plus de la moitié de leurs munitions et doivent encore parcourir plus de 13 000 kms d’océan hostile avant de rentrer en Allemagne !

Spee, il est vrai, ignore totalement que deux croiseurs de bataille britanniques ont appareillé de Grande-Bretagne à destination des Falklands, sans doute espère-t-il y compléter son approvisionnement en charbon à bon compte,... à moins que son triomphe de Coronel l’aie tout simplement rendu trop téméraire.

Quelles que soient ses raisons, celles-ci vont en tout cas causer sa perte car, à son insu, l'ennemi vient de remporter la course : au matin du 7 décembre, accueillis par les hurrahs des habitants des Falklands, et après une traversée de 13 000 kms, l’Inflexible et l’Invincible sont arrivés à Port Stanley.

Spee, lui, ne s’y présentera que le lendemain matin

Les jeux sont faits.

mardi 27 novembre 2012

3553 - la course est lancée

... aussitôt parvenus sains et saufs en mer libre, l’Inflexible et l’Invincible ont mis le cap au Sud,... et Elmer Sperry vers la terre ferme avec la satisfaction de l’homme qui sait qu’il va bientôt faire fortune en vendant son nouveau modèle de compas à toutes les marines du monde...

Le 19 novembre, les deux croiseurs de bataille se ravitaillent aux îles du Cap Vert, avant d'en faire de même le 26 au large de Bahia (Brésil), où la Royal Navy a d’ailleurs rassemblé toutes ses unités disponibles dans la région, à savoir les croiseurs-cuirassés de 10 000 tonnes Carnarvon, Cornwall et Kent, ainsi que les croiseurs légers Bristol et Glasgow (quant à lui rescapé de Coronel).

Sans même parler du vieux cuirassé Canopus, volontairement échoué à Port Stanley pour renforcer les défenses des Falklands, la puissance de feu mise à la disposition du vice-amiral Sturdee dépasse maintenant de très loin celle que Spee est en mesure de lui opposer.

Reste cependant à savoir lequel des deux arrivera le premier aux Falklands !

Car le temps presse ! Les lois internationales interdisant à un belligérant de demeurer plus de 48 heures dans un port neutre, Spee a quant à lui quitté Valparaiso le 3 novembre; le 26, il a atteint l’extrême-sud du Chili; le 1er décembre, il a doublé le Cap Horn sous la tempête habituelle, puis s’est immobilisé pour trois jours face à l’île Picton, afin de se ravitailler en charbon et remettre ses navires en état...

lundi 26 novembre 2012

3552 - cap au Sud


... ni les objections ni les suppliques de Jellicoe n’ayant réussi à faire fléchir Churchill, les Inflexible et Invincible ont donc quitté Scapa Flow le 4 novembre pour le Sud de l’Angleterre, afin de se préparer à leur long voyage outre-mer.

Car de l’Angleterre aux Falklands, il y a près de 13 000 kms à parcourir, ce qui pour des navires qui chauffent au charbon, n’est pas une mince affaire (1) et va d’ailleurs imposer plusieurs escales et la présence de nombreux charbonniers ravitailleurs.

Mais le 10 novembre, alors que les deux croiseurs de bataille, chargés de houille jusqu’à la gueule, sont à présent sur le départ, un brouillard à couper au couteau s’abat sur le Solent.

Le radar restant à inventer, et les compas magnétiques n’ayant pas été recalibrés faute de temps (2), l’appareillage est impossible !

Heureusement, quelqu’un à l’Amirauté a alors la bonne idée de se souvenir d’un étrange ingénieur américain, Elmer Sperry, qui, quelques temps auparavant, est venu offrir ses services ou plus exactement ceux d’un non moins étrange "gyrocompas" de son invention.

Le temps de le rattraper à son hôtel, de le jeter dans un train avec son "machin américain", puis d’installer celui-ci sur la passerelle de l’Invincible, et les deux navires peuvent enfin appareiller et même, grâce au mystérieux appareil, sortir du Solent l’un derrière l’autre en plein brouillard et sans s’échouer !

(1) après-guerre, toutes les marines du monde entreprendront d’ailleurs la - fort coûteuse - conversion de leurs bâtiments de guerre à la chauffe au mazout, plus efficace et plus facile à transborder de navire en navire, y compris en pleine mer
(2) très sensibles aux masses métalliques, ces compas devaient régulièrement être recalibrés, en particulier après des travaux sur le blindage ou l’armement.

dimanche 25 novembre 2012

3551 - "le seul homme capable de perdre la guerre en un après-midi"

... à 54 ans, le vice-amiral John Jellicoe, commandant-en-chef de la Grand Fleet (1) est un homme sur les épaules duquel pèse une responsabilité écrasante : préserver le seul avantage militaire de la Grande-Bretagne.

En nombre de cuirassés comme de croiseurs de bataille, la Grand Fleet dispose certes d’une confortable avance sur la Hochseeflotte (2) allemande, mais il suffirait d’un rien, et en particulier d’un décision malheureuse de l’intéressé, pour que cette avance soit réduite à néant, avec des conséquences potentiellement catastrophiques sur le déroulement de la guerre en Europe, ce pourquoi le Premier Lord de l’Amirauté, un certain... Winston Churchill, a dit de Jellicoe qu’il était bien "le seul homme capable de perdre la guerre en un après-midi", boutade que Jellicoe, on s’en doute, n’a que fort modérément apprécié, et qu’il est bien décidé à démentir.

Et la meilleure manière d’y arriver est évidemment de ne prendre aucun risque, et surtout de ne disperser à aucun prix les moyens dont il dispose, et ce afin de toujours être en mesure de se présenter face à l’ennemi avec davantage de navires que lui,... quel que soit le moment où le dit ennemi se décidera enfin à apparaître (3)

C’est dire la consternation de Jellicoe lorsqu’il a appris que Churchill, mais aussi le Premier Lord de la Mer John Fischer, entendaient le priver, et pour plusieurs semaines, de deux de ses croiseurs de bataille - en l'occurrence les Inflexible et Invincible - "en vue d’une mission secrète de la plus haute importance" (4)

(1) durant la 1ère G.M. la Grand Fleet était la composante principale de la Royal Navy
(2) équivalant allemande de la Grand Fleet, la Hochseeflotte était la principale composante de la Kaiserliche Marine
(3) ce moment, la Bataille du Jutland du 31 mai 1916, se terminera pourtant sans véritable vainqueur ni vaincu
4) Jacques Mordal, 25 siècles de guerre sur mer, tome 2, page 86

samedi 24 novembre 2012

3550 - le compromis idéal


... à sa mise en service, le 20 octobre 1908, un an à peine après celle du Scharnhorst, l’Inflexible avait autant révolutionné la catégorie des croiseurs que le Dreadnought l’avait fait pour celle des cuirassés.

De fait, à 18 000 tonnes, et avec 8 canons de 305mm, l’Inflexible - premier navire de la classe Invincible - était presque aussi lourd, presque aussi puissant - et tout aussi cher ! - que le Dreadnought.

Extérieurement en tout point semblables aux cuirassés, ces nouveaux "croiseurs de bataille" sacrifiaient simplement un peu de blindage au bénéfice de la puissance motrice, ce qui leur permettait d’atteindre une vitesse de 25 nœuds, cette fois supérieure de 2 à 3 nœuds à celle des croiseurs-cuirassés comme le Scharnhorst.

Ces croiseurs de bataille reprenaient en fait à leur compte les missions dévolues aux jusque-là aux croiseurs-cuirassés (comme la reconnaissance à grande distance ou la lutte contre les destroyers et croiseurs ennemis) mais avec cette fois la possibilité, grâce à leur puissance de feu et malgré quelques concessions sur le blindage, de "tenir leur rang" face à de véritables cuirassés.

Sur le papier, le croiseur de bataille se présentait donc comme le compromis idéal entre le cuirassé (fortement armé et protégé, mais lent et lourd) et le croiseur traditionnel (très rapide mais limité en armement et dépourvu de blindage)

Le désastre de Coronel, et l’obligation d’envoyer très rapidement aux Falklands des navires capables de vaincre ceux de Spee, représentaient à cet égard l’occasion idéale de passer de la théorie à la pratique...

... à condition de persuader au préalable un amiral qu'en se défaisant de deux d’entre eux, il ne risquait pas de perdre la guerre...

vendredi 23 novembre 2012

3549 - celui qui ne craint rien

... lorsqu’ils avaient été commandés, en 1904, les Scharnhorst et Gneisenau étaient des navires ultra-modernes, qui faisaient la fierté de leurs concepteurs comme de leur propriétaire, la Kaiserliche Marine.

Hélas pour eux, à leur mise en service (en octobre 1907 pour le premier, en mars 1908 pour le second), ils avaient déjà perdu l’essentiel de leur intérêt suite à l’apparition, en Grande-Bretagne, d’un nouveau modèle de cuirassé, appelé à révolutionner le genre et faire de fort nombreux successeurs !

Avec ses 20 000 tonnes et ses 10 canons de 305mm, le Dreadnought (1) n’était pas seulement deux fois plus lourd et deux fois mieux armé que ses devanciers : il était aussi, grâce à ses turbines à vapeur - une première pour un navire de guerre de cette taille - presque aussi rapide - à quasiment 22 nœuds - que les croiseurs-cuirassés contemporains,... comme les Scharnhorst et Gneisenau, qui, du coup, perdaient là leur seul avantage.

Pire encore : dans la foulée du Dreadnought, ces même Britanniques avaient également mis en service, deux ans plus tard, un autre modèle de navire, que toutes les marines du monde allaient également devoir imiter, et qui constituait le dernier clou planté dans le cercueil des croiseurs-cuirassés...

... le croiseur de bataille

(1) littéralement "celui qui ne craint rien"

jeudi 22 novembre 2012

3548 - expédition punitive

... de retour à Valparaiso après leur combat au large de Coronel, Spee et ses hommes sont naturellement accueillis en héros par l’importante communauté allemande de la capitale chilienne.

Les uns et les autres ont cependant tort de pavoiser, car à Londres, la nouvelle du désastre a rapidement fait l’effet d’une bombe : il faut de toute urgence venger la perte des deux croiseurs et des quelque 1 600 marins britanniques !

Dans un scénario en tout point semblable - mais avec près de 30 ans d’avance ! - à celui du Bismarck, la Royal Navy va donc monter une véritable expédition punitive qui, partie d’Angleterre devra - et quel qu’en soit le coût ! - laver l’affront, et restaurer l’honneur anglais, en expédiant tous les navires de Spee par le fond !

Un rapide examen des cartes a convaincu l’Amirauté que les Allemands, après s’être ravitaillés à Valparaiso, s’empresseront de doubler le Cap Horn puis attaqueront les Falklands sitôt passés dans l’Atlantique.

Au large des côtes argentines, ce petit archipel britannique constitue en effet une cible militaire, mais aussi un bon endroit pour se ravitailler loin des regards et avant d’entreprendre le long chemin du retour vers l’Allemagne.

Pour protéger les Falklands, il n’y a rien,... si ce n’est, pour l’heure, l’antique cuirassé Canopus, que l’on va immédiatement dépêcher sur place même si chacun le sait bien trop lent pour pouvoir s’en prendre aux navires allemands.

Heureusement pour elle, la Royal Navy dispose depuis peu d’un nouvel atout dans sa manche...

mercredi 21 novembre 2012

3547 - une pure exécution

... en manœuvrant face aux Britanniques, Spee s’est de surcroît arrangé pour laisser ces derniers dans son ouest.

Aussi, lorsque les Scharnhorst et Gneisenau ouvrent le feu, vers 18h50, les croiseurs allemands sont déjà sous une demi-obscurité alors que les croiseurs britanniques, eux, continuent de se silhouetter clairement sur l’horizon et sous les derniers rayons du soleil, offrant ainsi un considérable avantage aux pointeurs allemands.

Le Scharnhorst tire sur le Good Hope, le Gneisenau sur le Monmouth, le Leipzig sur le Glasgow,... et les résultats ne se font pas attendre : si le Leipzig, avec ses modestes 105mm, ne peut occasionner de gros dommages au croiseur léger britannique, les Good Hope et Monmouth sont en revanche soumis à un feu véritablement dévastateur.

De fait, dès la troisième salve allemande, le combat vire à une exécution pure et simple, qui va bientôt engloutir le Good Hope, mais aussi tout son équipage et son bouillant amiral.

Brûlant d’un bord à l’autre, le Monmouth n’est quant à lui plus qu’une épave chauffée à blanc, que le Nürnberg, en retard sur ses camarades, va bientôt achever de quelques obus avec, là encore, tout son équipage.

Devant Coronel, où la nuit est maintenant tombée, Spee, qui a consommé énormément de munitions et est au courant de la présence du Canopus dans les parages, Spee, donc, juge inutile de poursuivre le Glasgow et l’Otranto, lesquels ont mis à profit l’obscurité pour disparaître sans demander leur reste.

Au final, Coronel se solde par un écrasante victoire pour les Allemands, qui ne comptent que de dégâts mineurs et seulement trois blessés dans leurs rangs alors qu’ils viennent d’envoyer par le fond deux croiseurs britanniques et leurs quelque 1 600 marins !

mardi 20 novembre 2012

3546 - le poids des traditions


... Coronel, 01 novembre 1914, 16h20

C’est donc au large du port chilien de Coronel que les deux flottes se rencontrent, dans l’après-midi du 01 novembre 1914.

Avec un croiseur léger, deux croiseurs-cuirassés déjà anciens, et un croiseur auxiliaire qui n’est en fait qu’un vieux paquebot armé, l’amiral Cradock n’est certes pas en force, et la sagesse - ou la simple logique - lui imposerait d’ailleurs de battre en retraite.

Mais depuis Nelson, il n’est pas de coutume, dans la Royal Navy, de refuser le combat, même contre un adversaire supérieur...

Amiral d’une flotte sans passé, donc sans tradition à défendre, Spee n’est pas soumis à ce genre de pression et dispose de toute manière, avec les Scharnhorst et Gneisenau, de croiseurs-cuirassés non seulement plus modernes et mieux armés, mais surtout capables d’utiliser la plus grande partie de leur armement.

Car devant Coronel, la mer s’est considérablement creusée, ce qui interdit aux Monmouth et Good Hope de tirer de leurs casemates (trop) basses, régulièrement noyées par les embruns.

De fait, vers 18h30, alors que les deux flottes, après avoir manœuvré pendant plus de deux heures, se retrouvent maintenant sur des routes à peu près parallèles - donc en principe en mesure d’utiliser leurs batteries latérales - les croiseurs-cuirassés britanniques, malgré un nombre de canons théoriquement important, ne peuvent en fait opposer que deux pièces de 234mm et douze de 152mm contre les douze 210mm de leurs adversaires allemands...

lundi 19 novembre 2012

3545 - l'insoutenable poids des ans

... informé de la présence d’une escadre anglaise au large des côtes chiliennes, Spee a décidé de se porter à sa rencontre.

Par rapport à son adversaire, l’amiral allemand a l’avantage de posséder une flotte à la fois plus moderne et plus homogène, et même, avec le Scharnhorst, d’un navire qui s’est régulièrement classé parmi les premiers à tous les concours de tirs de la Kaiserliche Marine.

Avec des 210mm seulement, et un fort modeste blindage, les Scharnhorst et Gneisenau ne boxent certes pas dans la même catégorie que le Canopus britannique.

Mais tout cuirassé soit-il, ce dernier est surtout un navire hors d’âge, qui était d’ailleurs destiné à la casse avant que le déclenchement de la 1ère G.M., et le manque criant de navires, ne poussent la Royal Navy à faire à nouveau appel à ses services.

Bien que théoriquement capables de 18 nœuds - ce qui est tout de même 4 à 5 nœuds plus lent que les croiseurs-cuirassés allemands - les machines du Canopus n’en donnent plus aujourd’hui que 10 à 12 au maximum, ce qui serait bien insuffisant pour engager et maintenir le contact avec les croiseurs de Spee, raison pour laquelle l'amiral Cradock a d’ailleurs décidé de laisser le vieux cuirassé en arrière, et de se lancer à l’attaque avec ses seuls croiseurs qui, malgré la bravoure de leurs équipages, accusent tout de même un sérieux - et hélas irrémédiable - déficit de puissance par rapport à leurs adversaires...

dimanche 18 novembre 2012

3544 - barrer le passage

... Grâce à l’immensité du Pacifique, et à l’état plus que rudimentaire des moyens de communication alliés, la flotte allemande a jusqu’ici pu bénéficier d’une remarquable impunité.

Les choses vont néanmoins changer à la mi-novembre, avec la décision des Britanniques de prendre enfin la menace allemande au sérieux et de mobiliser, face aux côtes chiliennes, des moyens suffisants pour barrer à Spee la route du Cap Horn, et lui interdire ainsi de passer dans l’Atlantique.

Et de fait, avec un cuirassé, deux croiseurs-cuirassés, un croiseur léger et un croiseur auxiliaire, les moyens dont dispose le contre-amiral Christopher Cradock sont importants... sur le papier du moins.

Car en pratique, la réalité est hélas fort différente : le croiseur auxiliaire Otranto ne dispose que de quatre canons de petit calibre et souffre de toute manière de n’être qu’un ancien paquebot civil reconverti; bien que récent, le Glasgow est largement dépassé en puissance de feu par les croiseurs allemands alors que les Monmouth et Good Hope (navire-amiral de Craddock) sont des navires désuets et surchargés de canons qui le sont encore bien davantage.

Le principal, et à vrai dire le seul atout, de Cradock est le cuirassé Canopus, dont les quatre canons de 305mm surclasseraient aisément les 210mm allemands... si Craddock se décidait à les utiliser !

samedi 17 novembre 2012

3543 - coups de canons au paradis

... "Messieurs les Français, tirez les premiers !", et de fait, à Papeete, ce sont ces derniers qui, vers 07h00, ouvrent le bal dès qu’ils aperçoivent les croiseurs-cuirassés allemands.

Beaucoup de bruit pour rien : irrémédiablement surclassés en portée, en précision ou en simple puissance de feu, les quelques canons français ne peuvent rien contre la force de frappe des navires allemands qui, en quelques minutes, vont leur régler leur compte mais aussi transformer la rade en parc à ferraille, et une bonne partie de la ville en amas de ruines fumantes.

Pour autant, Spee est loin d’être satisfait puisque les Français, dès le début de l’attaque, ont mis le feu aux précieuses réserves de charbon, privant ainsi les Allemands du fruit de leur facile victoire.

A 11h00, l’affaire est définitivement terminée, et les navires allemands déjà en route pour Les Marquises, où l’y attend le Nürnberg, de retour d’Hawaï avec des nouvelles de la guerre.

Repartis après quelques jours, les trois croiseurs allemands, mais aussi leurs indispensables charbonniers d’accompagnement, arrivent à l’Île de Pâques le 12 octobre, et y retrouvent les croiseurs légers Dresden et Leipzig.

A l’exception de l’Emden - parti comme nous l'avons en croisière solitaire le 13 août - c’est donc au complet que l’Ostasiengeschwader va donc entamer sa traversée vers le Chili...

vendredi 16 novembre 2012

3542 - si loin de la guerre...

... Papeete, 22 septembre 1914.

Nulle part ailleurs qu’à Tahiti, la guerre qui sévissait en Europe n’aurait paru plus lointaine, et plus abstraite.

Avant le 22 septembre 1914, on y avait certes entendu parler de la présence d’une escadre allemande dans le Pacifique, et on s’y était même préparé, mais dans ce paradis de la Polynésie française, qu’aurait-on bien pu faire, contre des croiseurs-cuirassés, avec seulement une misérable canonnière, une dizaine d'antiques canons et moins d’une cinquantaine de soldats et de gendarmes depuis longtemps alanguis par la douceur des Tropiques ?

A Papeete, avant le 22 septembre 1914, il n’y avait même pas de poste de TSF qui aurait au moins permis de se tenir informé, voire de lancer un SOS...

Pourtant, c'est immédiatement salués par les coups de canons des Français que les Scharnhorst et Gneisenau, pavillon impérial en tête de mat, se présentent devant la ville le 22 septembre, une ville dont Spee, toujours à la recherche de charbon pour compléter son approvisionnement, a appris qu'elle en abritait quelque 5 000 tonnes, ce qui lui serait assurément bien utile pour rejoindre Valparaiso...

jeudi 15 novembre 2012

3541 - ardent charbon

... Eniwetok, 20 août 1914

Le 13 août, Spee rend sa liberté de manœuvre à l’Emden - le plus petit de ses croiseurs - ainsi qu’au Prinz Eitel Friedrich - un paquebot transformé en croiseur auxiliaire.

Dans les semaines suivantes, ces deux bâtiments, devenus navires corsaires, vont ainsi pouvoir mener un fructueuse guerre de course - dont nous reparlerons dans une autre chronique - au détriment des cargos marchands alliés.

Repartie à destination des Marshall, la petite escadre allemande arrive à Eniwetok le 20, où elle va demeurer quelques jours, histoire d’analyser la situation... mais aussi de se ravitailler en charbon.

Car à cette époque qui précède la chauffe au mazout, il n’est pas question de ravitailler en route, de navire en navire : le charbon des navires ravitailleurs doit en effet être transbordé par sacs, et à la main, ce qui ne peut se faire que dans une rade ou alors à l’arrêt, sur une mer étale.

Le 8 septembre, Spee expédie le Nürnberg à Honolulu (Hawaï) - les Américains sont encore neutres pour trois ans - afin d’informer l’État-major allemand de ses intentions et aussi en rapporter des nouvelles de la guerre, lesquelles, dans le Pacifique du moins, sont tout sauf encourageantes puisqu’au retour du Nürnberg, Spee va apprendre la perte des Samoa allemandes.

Plus question donc de se ravitailler là-bas...

mercredi 14 novembre 2012

3540 - la grande traversée

... Pagan, 11 août 1914

Au déclenchement des hostilités, les Scharnhorst et Gneisenau - composantes principales de l’Ostasiengeschwader - se trouvent à Ponape, dans la colonie allemande des Caroline.

Mais le reste des navires - du moins de ceux qui peuvent raisonnablement envisager la perspective d’une longue traversée vers l’Allemagne - sont largement dispersés à travers toutes les colonies et comptoirs allemands d’extrême-orient.

Il faut donc commencer par les rassembler ce qui, compte tenu de l’état très rudimentaire des moyens radiotéléphoniques de l’époque, n’est assurément pas une mince affaire.

Un premier rendez-vous est donc fixé à Pagan, aux Mariannes, où les Scharnhorst et Gneisenau arrivent le 11 août et s’y trouvent bientôt rejoints par les croiseurs légers Emden et Nürnberg,... mais aussi par tous les charbonniers et ravitailleurs sur lesquels l’amiral von Spee a pu mettre la main.

Car comme pour les Russes en route vers Tsu-Chi-Ma sept ans auparavant, le problème essentiel est bien moins l’état de la mer et la présence éventuelle de forces ennemies que le manque de charbon, que les navires engloutissent en quantités gigantesques, et qu’il sera très difficile, pour ne pas dire impossible, de se procurer en route...

mardi 13 novembre 2012

3539 - Ostasiengeschwader

... août 1914

Si l’Australie s’est naturellement rangée derrière la Grande-Bretagne dès la déclaration de guerre du 4 août 1914, le Japon, devenu principale puissance militaire en Asie depuis son écrasante victoire contre la Russie tsariste (1), va rapidement l’imiter, adressant tout d’abord un ultimatum à l’Allemagne le 14 août, avant de lui déclarer officiellement la guerre le 23.

A Tokyo, on brigue en effet les colonies allemandes d’Extrême-Orient, à savoir les îles Marianne, Caroline et Marshall et, bien entendu, les possessions allemandes en Chine, et en particulier Tsingtao, port d’attache des croiseurs-cuirassés Scharnhorst et Gneisenau.

Face à pareille opposition, le commandant-en-chef de l’Ostasiengeschwader, l’amiral Maximilian von Spee, qui a sa marque sur le Scharnhorst, ne se fait aucune illusion : inutile d’espérer résister dans le Pacifique face à trois marines aux moyens bien supérieurs aux siens, et pas question non plus de se retrancher à Tsingtao, où les Japonais ne tarderont pas à débarquer (2)

Autant tenter de rentrer en Allemagne en passant par le Cap Horn... et en détruisant au passage tous les biens et tous les navires français, britanniques ou australiens sur lesquels on pourra mettre la main.

(1) Saviez-vous que... Tsu-Chi-Ma
(2) le siège de Tsingtao, entamé le 31 octobre, se solda par une écrasante victoire japonaise et la chute de la ville, le 7 novembre 1914

lundi 12 novembre 2012

3538 - ils étaient deux croiseurs-cuirassés...

... octobre 1907

Prussiens tous les deux, et généraux de surcroît, Gerhard Johann von Scharnhorst (1755-1813) et August Neidhardt von Gneisenau (1760-1831) ont combattu Napoléon, et exercé une influence si profonde sur l’armée prussienne et ses institutions qu’en 1905, la Kaiserliche Marine a décidé de leur rendre hommage en donnant leur nom aux deux navires de sa nouvelle classe de croiseurs spécialement conçus pour le service outre-mer.

Avec leurs 12 000 tonnes, leurs 8 canons de 210mm (mais aussi 6 de 150 et 18 de 88mm !), et leur léger blindage, les Scharnhorst et Gneisenau correspondent alors à l’idée que l’on se fait d’un "croiseur-cuirassé", soit un bâtiment capable d’opérer seul à grande distance, de servir d’éclaireur à la flotte, de surclasser facilement, grâce à son blindage et son puissant armement, tous les destroyers et torpilleurs contemporains, et même, avec une vitesse de pointe d’environ 23 nœuds, d’échapper à un éventuel cuirassé.

Mis en service en octobre 1907, le Scharnhorst est expédié deux ans plus tard en Extrême-Orient, et plus précisément à Tsingtao (aujourd’hui Qingdao), ville portuaire que le gouvernement chinois a été contraint de concéder à l’Allemagne une décennie auparavant.

Le Gneisenau l'y rejoint l'année suivante, formant avec lui l’ossature de l’Ostasiengeschwader, ou "escadron d’extrême-orient", soit la force navale que l’Allemagne entretient en Asie,... peu de choses au demeurant, puisqu’au déclenchement de la Première Guerre mondiale, la dite force ne comprend toujours, en plus des deux navires précités, que quatre croiseurs légers d’environ 3 000 tonnes et armés de modestes pièces de 105mm, ainsi qu'une poignées de petites canonnières, autant dire rien pour affronter à la fois Britanniques, Australiens et même Japonais !

dimanche 11 novembre 2012

3537 - Auf einem seemannsgrab da blühen keine rosen

... "Auf einem seemannsgrab da blühen keine rosen", sur la tombe d'un marin ne fleurissent pas les roses, cette chanson que fredonnaient les sous-mariniers allemands, qui perdirent plus de la moitié des leurs lors du conflit (!), peut aussi s'appliquer aux marins d'un énorme navire de surface de la Kriegsmarine, tombé au combat dans les eaux glaciales de l'Arctique, en ne laissant moins d'une quarantaine de survivants sur un équipage de près de 2 000 hommes !

A la lecture de ces chiffres, chacun - y compris en Allemagne-même - penserait spontanément au Bismarck (bien que tombé dans l'Atlantique en laissant plus d'une centaine de survivants sur quelque 2 200 hommes), voire à son jumeau Tirpitz (bien que disparu dans un fjord norvégien en n'emportant que 800 hommes sur 1 500), mais assurément pas au croiseur de bataille Scharnhorst.

Infiniment moins prestigieux pour l'Allemagne - et aussi pour ces adversaires - que les deux précédents, et donc beaucoup moins connu qu'eux, le Scharnhorst est depuis longtemps tombé dans l'oubli le plus total, ce qui d'autant plus injuste qu'il n'avait démérité à aucun moment de sa carrière, et avait même disparu au combat dans des circonstances au moins héroïques - ou stupides, selon le point de vue où l'on se place - que le puissant cuirassé Bismarck

Mais pour comprendre le Scharnhorst, et la tragédie du Scharnhorst, il faut remonter bien avant sa naissance, ou plus exactement bien avant sa renaissance...

samedi 10 novembre 2012

3536 - le Tirpitz repensé

... après la tragique disparition du Bismarck, en mars 1941, Hitler aurait sans doute dû suivre son inclination première, laquelle lui dictait de mettre immédiatement à la ferraille les autres grands navires de la Kriegsmarine - dont le Tirpitz.

Très vulnérables (en particulier aux attaques aériennes), gros consommateurs de carburant comme de main d’oeuvre, d’un entretien aussi difficile que coûteux, ces "casernes flottantes" n’offraient plus qu’un intérêt limité, qui n'allait d'ailleurs que continuer à s'amenuiser au fil des mois.

Pour des raisons tenant avant tout du prestige national, le Tirpitz et ses congénères furent néanmoins maintenus en activité, avec une rentabilité de plus en plus dérisoire, laquelle alimentait la colère et les frustrations d’Hitler qui, pourtant, se refusa jusqu’au bout à ordonner leur ferraillage.

Frustrés et en colère, les responsables de la Royal Navy l’étaient également, qui multipliaient les tentatives pour mettre un terme définitif à l’existence du monstre, allant jusqu’à l'appâter au moyen de convois entiers, comme le malheureux PQ-17.

Mais tapis dans son fjord, et craignant autant ses adversaires que ses adversaires le craignaient, le monstre ne se montrait jamais, et pour finir, à la consternation des marins, ce furent les aviateurs qui eurent le dernier mot.

La Royal Navy se trouva pourtant un lot de consolation, sous la forme d’un autre navire de guerre, plus petit et hélas moins prestigieux que le Tirpitz.

Mais ceci est une autre histoire...

vendredi 9 novembre 2012

3535 - d'atout relatif à charge extravagante

... tout au long de l’année 1942, et au moins jusqu’au début de 1943, la présence du Tirpitz en Norvège mobilisait une part aussi disproportionnée qu'indue des ressources aériennes et surtout navales des Britanniques, ce qui, pour une Allemagne sur le point de s’emparer de Malte et d’Alexandrie, pouvait être vu comme une victoire et valait sans doute de dépenser force Reichsmarks dans l’entretien et les réparations d’un cuirassé qui, à part dans le rôle d’épouvantail - ou devrait-on dire "d’aimant à moyens ennemis" ? - n’était plus utile à rien d’autre.

Mais au début 1944, les ambitions s’étaient toutes envolées, la Méditerranée était définitivement perdue, et avec la réussite du Débarquement de Normandie, en juin, les moyens que la Grande-Bretagne maintenait encore pour monter la garde devant les côtes de Norvège ne représentaient plus grand-chose pour elle, et n’auraient de toute manière pu servir que dans le Pacifique,... où l’Allemagne n’avait aucun territoire à conquérir ou à défendre.

A contrario, le Tirpitz, de plus en plus malmené par le Temps et les bombardements, était quant à lui devenu une charge extravagante pour un Troisième Reich désormais contraint d'économiser la moindre goutte de carburant pour encore faire rouler ses Panzer et voler ses Messerschmitt, mais forcé d'en brûler des milliers de litres pour acheminer, sur de voraces destroyers, les équipements et pièces de rechange indispensables à ses réparations; pour un Troisième Reich maintenant obligé de recruter ses soldats chez les adolescents allemands ou les musulmans albanais (!), mais continuant d'en entretenir des milliers d'autres, adultes et authentiquement aryens, à des milliers de kms de la guerre, au fond d'un fjord norvégien sans le moindre intérêt militaire...

jeudi 8 novembre 2012

3534 - pour qui sonne le coût

... de son arrivée à Trondheim, en janvier 1942, à sa mort près de Tromsø, en novembre 1944, le Tirpitz n’avait pour ainsi dire tenu que le rôle d’un épouvantail qui, par sa seule présence, avait de fait inquiété, sinon terrorisé, les Britanniques, les contraignant dès lors à immobiliser d’importants moyens qui se seraient sans doute avérés plus utiles ailleurs.

Pour autant, ce rôle avait-il vraiment été rentable pour l’Allemagne ?

Le maintien d’un cuirassé de 50 000 tonnes et de son équipage de 2 000 hommes, mais aussi des nombreux navires, avions et canons indispensables à sa protection au fond d’un fjord perdu du bout du monde, à des milliers de kilomètres du port allemand le plus proche, tout cela représentait en effet un énorme défi logistique, donc un coût phénoménal pour le Troisième Reich, et un coût qui ne cessait de croître à mesure que le Tirpitz subissait autant les attaques et les dommages causés par ses adversaires que la simple usure due au Temps.

En termes strictement comptables, on pourrait sans doute établir que les moyens constamment mobilisés contre le Tirpitz, et les multiples attaques dont celui-ci fit l’objet, coûtèrent bien plus cher à la Grande-Bretagne que son entretien et ses nombreuses réparations n’en coûtèrent à l’Allemagne.

Mais pareil raisonnement ne tient cependant pas compte du contexte, ni des ressources relatives des uns et des autres...

mercredi 7 novembre 2012

3533 - de l'inconvénient de n'être que le second


... tout au long de sa brève et pas du tout glorieuse carrière, le Tirpitz fut un navire mal aimé, y compris par ses propres utilisateurs, qui ne pouvaient s’en séparer mais ne savaient pas quoi en faire.

Désuet dès sa mise en service, mais parce qu’il était arrivé le premier, le Bismarck avait eu la possibilité de remporter une grande victoire contre un navire de son espèce, et s’il avait disparu à peine quelques jours plus tard, au moins avait-il eu l’opportunité de mourir, là encore, contre des navires semblables à lui, et dans des circonstances qui l’avaient aussitôt fait entrer dans la légende.

Malheureusement pour lui, le Tirpitz n’avait jamais eu cette chance : sitôt ses essais terminés, la Kriegsmarine, qui craignait qu’il ne subisse le sort de son jumeau, l’avait en effet envoyé en Baltique pour y servir d’épouvantail à de bien fantomatiques navires russes.

En janvier 1942, une opportunité s’était néanmoins présentée, sous la forme des convois de navires marchands que la Grande-Bretagne expédiait en URSS, et contre lesquels le Tirpitz, ainsi que d’autres grands navires de surface, auraient pu jouer le rôle de prédateurs.

Hélas, cette avenue s’était bien vite transformée en un nouveau cul-de-sac, forçant le cuirassé à réendosser sa tenue d’épouvantail, de plus en plus mitée à mesure que les Britanniques lançaient attaque après attaque contre lui.

Et c’est en véritable handicapé, incapable de prendre la mer, que le pauvre Tirpitz, devenu vulgaire ponton à peine flottant, avait fini ses jours, sans jamais avoir eu la possibilité de remplir la mission pour laquelle il avait été conçu...

mardi 6 novembre 2012

3532 - enfin utile...

... comme l’Américain Billy Mitchell l’avait déjà pressenti au début des années 1920, l’avion était donc venu à bout du plus gros blindage d’Europe, même si, pour y arriver, il lui avait fallu bien plus de tentatives et bien plus de bombes que prévu.

Débarrassée de son dernier ennemi, la Royal Navy britannique, qui pendant trois ans avait également, et vainement, multiplié les tentatives, allait se montrer mauvaise joueuse, considérant que le Tirpitz n’avait pas véritablement été coulé par l’Aviation puisque sa quille était encore visible au-dessus des flots !

Ironiquement, ce n’est que bien après sa mort que le Tirpitz allait enfin s’avérer utile à quelque chose : à partir de 1948, Allemands et Norvégiens allaient en effet travailler main dans la main pour découper et ferrailler les quelque 50 000 tonnes du monstre toujours piégé dans la vase.

Extrêmement difficiles, et interrompus à maintes reprises par la météo, les travaux allaient s’échelonner sur près d’une décennie, et ne s’achèveraient qu’en 1957, laissant enfin la Norvège libre d’une occupation qui avait débuté dans le Faettenfjord de Trondheim, le 16 janvier 1942...

lundi 5 novembre 2012

3531 - la chute finale

... avant d’expédier le Tirpitz à Tromsø, les Allemands avaient imaginé de l’ancrer au-dessus d’un massif de sable et de rochers qui, en cas de naufrage, lui éviterait au moins de chavirer.

Des travaux avaient d’ailleurs été menés en ce sens, mais l’explosion de près d’une trentaine (!) de Tallboy sur ou à proximité du cuirassé a réduit tous cet effort à néant.

De fait, après s’être stabilisé quelques instants à 20 degrés de gîte, le grand navire reprend sa glissade. A 40 degrés, son commandant n’a plus d’autre choix que d’ordonner l’évacuation générale.

Vers 09h58, l’explosion d’une des soutes à munitions déchire les entrailles du Tirpitz et projette les 1 100 tonnes de la tourelle C à plusieurs mètres de hauteur.

Quelques instants plus tard, le navire se renverse, quille en l’air et superstructures profondément enfoncées dans la vase.

C’est fini : en moins de 20 minutes, une trentaine de bombardiers lourds viennent de venger trois années d’humiliations, et mettre un terme définitif à la triste et peu édifiante carrière du plus puissant navire de guerre allemand, dont plus de 700 hommes, piégés à l’intérieur, vont connaître une mort atroce...

dimanche 4 novembre 2012

3530 - et la chance l'abandonna

... Tromsø, 12 novembre 1944, 09h35

C’est donc en passant par la Suède neutre, sous la couverture radar allemande, qu’au matin du 12 novembre, une trentaine de Lancaster sont repartis à l’attaque du Tirpitz qui, à 21 000 mètres d'eux, ouvre soudainement le feu de ses tourelles avant à leur élévation maximale.

Depuis quelques mois, le cuirassé dispose en effet de nouveaux obus de 380mm à fragmentation qui, sur le papier, sont supposés offrir une certaine efficacité contre les avions mais qui, en pratique, ne servent qu’à faire du bruit et occuper les artilleurs.

De fait, les Lancaster, nullement impressionnés par ce vacarme, poursuivent leur progression comme si de rien n’était et sans se soucier davantage des tirs de 105, 37 et finalement 20mm du Tirpitz.

Cette fois, la chance a définitivement tourné, et aucun nuage ne viendra sauver la mise : opérant par groupes de cinq avions comme lors de l’attaque du 15 septembre, les Lancaster larguent leur Tallboy les unes après les autres.

Étonnamment, l’une d’entre elles se contente de ricocher sur le blindage du pont, près de la tourelle B, par bâbord avant, puis glisse à la mer sans exploser, mais deux autres frappent le Tirpitz de plein fouet, toujours sur bâbord, et traversent plusieurs ponts avant d’éclater à l’intérieur du bâtiment, ouvrant une brèche d’une soixantaine de mètres par laquelle des milliers de tonnes d'eau s'engouffrent immédiatement...

samedi 3 novembre 2012

3529 - swedish design

... passer en Suède et remonter son territoire sur plusieurs centaines de kilomètres constituerait, à n’en point douter, une violation flagrante de l’espace aérien d’un pays neutre.

Mais si les Suédois ont quelque peu flirté avec l’Allemagne nazie au début de la guerre, s’ils continuent de vendre à cette même Allemagne nazie les aciers spéciaux et autres roulements à billes indispensables à son effort de guerre, et si quelques centaines de Suédois se sont portés volontaires pour servir dans la SS Allemande (1), le gouvernement de Stockholm sait à présent dans quel camp se trouveront les futurs vainqueurs de la guerre.

La population suédoise dans son ensemble ne l’ignore pas non plus : sa plus grande vedette, l’actrice et chanteuse Zarah Leander, n’a-t-elle pas renoncé à sa longue (débutée en 1937) et très enrichissante (200 000 Reichsmarks par an) carrière au sein de la UFA allemande (2) pour rentrer en Suède, dès l’été de 1943 ?

A supposer-même que les Suédois s’en aperçoivent, il y a donc peu de chances qu’ils s’indignent sérieusement du passage d’une escadrille complète de bombardiers britanniques au-dessus de leur territoire.

L’Opération Catechism du 12 novembre va d’ailleurs en apporter la démonstration...

(1) Saviez-vous que... Deux lettres blanches sur fond noir
(2) Saviez-vous que... Zarah Leander

vendredi 2 novembre 2012

3528 - viser le trou

... pour les pilotes des Squadron 9 et -617, l’attaque du 29 octobre a naturellement laissé un goût amer, qui ne peut être effacé que par un nouveau raid, cette fois victorieux !

Mais l’annonce du déploiement d’un Staffel de FW-190 à seulement quelques dizaines de kilomètres du mouillage du Tirpitz complique maintenant la donne, car sans escorte de chasse, et avec quasiment tout leur armement défensif démonté pour gagner du poids, leurs Lancaster seraient en effet des proies faciles pour les avions ennemis.

Heureusement, il y a une solution : l’étude des fréquences et portées des radars allemands - nous sommes au tout début de la "guerre électronique" - vient de démontrer qu’il existe, à mi-longueur des côtes norvégiennes, un "trou" dans lequel des appareils venant de la mer, et volant à basse altitude, pourraient s’introduire tout en demeurant inaperçus.

En mettant ensuite cap à l’est, on se retrouverait bien vite en Suède, dont il suffirait alors de remonter le territoire sur quelques centaines de kilomètres, à l’abri des reliefs montagneux, avant de repasser en Norvège, quasiment à la verticale du Tirpitz et en tout cas bien avant que les chasseurs allemands, enfin prévenus par leur réseau de radars, soient en mesure d’intervenir...

jeudi 1 novembre 2012

3527 - deuxième essai

... Tromsø, 29 octobre 1944

Le Tirpitz ne devant plus jamais reprendre la mer, ses réserves de mazout ont été réduites au strict minimum (de quoi continuer à alimenter les génératrices) et son équipage à quelque 1 500 officiers et marins... sans illusion sur le sort qui les attend et qui préfigure en fait celui de toute l’Allemagne nazie.

De fait, le 29 octobre, les Britanniques sont de retour, sous la forme de 37 Lancaster des inévitables Squadron 9 et -617, armés des non moins inévitables bombes Tallboy de 5 tonnes.

Les générateurs de fumée ne sont pas encore opérationnels mais, cette fois encore, la chance est du côté du Tirpitz puisque d’énormes nuages font irruption au-dessus de son mouillage quelques instants à peine avant l’arrivée des Lancaster, dès lors forcés de bombarder à l’aveuglette et surtout sans le moindre résultat,... si ce n’est celui de tordre bien inutilement un des arbres d’hélice du monstre.

Pitoyable bilan en vérité surtout rapporté au coût des trente-deux (!) Tallboy larguées en cette occasion, ainsi qu'à la perte d’un Lancaster, contraint à effectuer un atterrissage forcé en Suède.

Pour les Allemands, il ne saurait cependant être question de pavoiser : les Britanniques - personne n’en doute - ne tarderont pas à lancer une nouvelle attaque, ce pourquoi la Kriegsmarine s’empresse une fois de plus de réclamer de la Luftwaffe qu’elle fournisse au Tirpitz la protection aérienne qui lui fait cruellement défaut depuis des mois.

Mais comme nous l’avons vu lors de l’affaire du PQ-17, les relations entre marins et aviateurs allemands n’ont jamais été très bonnes, et la Luftwaffe de cette fin d’année 1944 n’est de toute manière plus que l’ombre de ce qu’elle était il y a deux ans à peine, en sorte que sa promesse de déployer un Staffel de chasseurs FW-190 à Badurfoss, à 75 kms de Tromsø, ne va pas apporter grand-chose...