dimanche 30 septembre 2007

1666 - une disparition trompeuse

... pour réussir le "grand coup" envisagé pour la fin de l'automne 1944, il était indispensable d'économiser avions, pilotes et carburant, donc de réduire encore plus drastiquement toute forme d'activité aérienne.

De fait, à partir de la fin de septembre 1944, et à l'exception de ceux directement affectés à la défense du Reich, les avions allemands disparurent pour ainsi dire du ciel, ce qui donna aux Alliés l'impression - trompeuse - que la Luftwaffe était définitivement vaincue, ou du moins hors d'état de lancer quelque initiative que ce soit.

"Cela devait-être, écrivit le général Galland, la plus grande et la plus décisive des batailles aériennes de la guerre. Le 12 novembre 1944, la totalité de la chasse était prête à l'action, soit (...) quelque 3 700 avions et pilotes, une force que la Luftwaffe n'avait jamais possédée auparavant. Plus de 3 000 de ces appareils étaient affectés au "gros coup"

(...) A présent, il n'y avait plus qu'à attendre le temps favorable, de bonnes conditions atmosphériques étant essentielles pour une telle action de masse. La décision de retirer tant de chasseurs du combat (...) avait été difficile; mais contrairement à ce qui s'était passé auparavant, les hauts responsables gardèrent leur calme et n'insistèrent pas pour lancer nos forces dans de vaines et coûteuses actions " (1)

Mais si la chasse allemande était à présent prête, Hitler, lui, venait de changer d'idée...

(1) Fana de l'Aviation, HS 28, page 71

samedi 29 septembre 2007

1665 - l'éternel retour du "grand coup"

... au début de 1944, la Luftwaffe avait rêvé au "grand coup", c-à-d à la possibilité de lancer en une seule fois plusieurs milliers de chasseurs contre un grand raid de bombardiers américains.

Les nécessités opérationnelles, et en particulier le déclenchement du Débarquement en Normandie, puis celui de l'offensive soviétique d'été, l'avaient contrainte à y renoncer, et à plutôt expédier ses avions sur tous les secteurs menacés du Front.

Les problèmes logistiques rencontrés par les Alliés occidentaux en septembre 1944 (1) ainsi que la venue des pluies d'automne sur le Front de l'Est lui offraient à présent un répit de nature à ramener le "grand coup" sur le devant de la scène.

La réduction drastique de ses opérations aériennes, ainsi que la dissolution de ses unités de bombardement, lui avaient d'autre part permis de verser un grand nombre de pilotes dans la chasse, et à économiser ainsi l'essence nécessaire au "grand coup", tandis que l'augmentation de la production industrielle lui avait procuré plusieurs milliers d'avions neufs.

En les lançant tous à la fois, dans une seule opération, elle disposerait pour la première fois, avec deux ou trois mille chasseurs, de la supériorité numérique sur les Américains, dont chaque grand raid mobilisait jusqu'à un millier de bombardiers, et un nombre quasiment équivalent d'escorteurs.

Elle pouvait alors espérer en abattre quatre ou cinq cents, c-à-d près de la moitié, ce qui, pour les Américains, constituerait un niveau de pertes inacceptable et les dissuaderait pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, de se relancer dans pareille aventure.

Le temps ainsi économisé offrirait alors à l'industrie allemande la possibilité de sortir de nouveaux avions, mais aussi de nouveaux tanks et de nouveaux sous-marins, dont on attendait bien entendu monts et merveilles...

(1) Saviez-vous que... no 1576

vendredi 28 septembre 2007

1664 - chasseur du peuple

... comme la Volkswagen de Ferdinand Porsche, le "Volksjager" d'Ernst Heinkel devait être simple - pour ne pas dire simpliste - et le plus économique possible.

Sa construction devait utiliser un maximum de matériaux non stratégiques (comme le bois) et être à la portée d'ouvriers peu qualifiés, voire d'une main d'oeuvre concentrationnaire. Et il devait être à ce point facile à piloter qu'on pourrait le confier... aux adolescents des jeunesses hitlériennes (!)

En vain les responsables de la Luftwaffe supplièrent-ils le Führer de renoncer à un projet qui non seulement condamnerait une multitude d'adolescents inexpérimentés à une mort certaine, mais qui, de surcroît, drainerait de précieuses ressources qui auraient dû être affectées en priorité au biréacteur Messerschmitt 262.

Mais, comme à son habitude, Hitler se montra inflexible. Le 8 septembre 1944, le cahier des charges fut envoyé aux avionneurs allemands. Le 15, deux projets avaient été retenus. Le 24, le contrat fut accordé à la société Heinkel. Le développement débuta le 30 septembre, et le premier prototype prit l'air le 6 décembre 1944, soit trois mois après l'envoi du cahier des charges (!)

Une performance incroyable et à ce point inimaginable qu'elle n'avait évidemment pu être réalisée qu'au mépris total de la survivabilité de l'avion et du pilote, l'un et l'autre étant quasiment considérés comme "consommables".

De fait, le produit final - le Heinkel 162 se désintégra en vol lors de sa première présentation officielle, le 10 décembre suivant, tuant son pilote.

Mais il en fallait bien plus pour arrêter un avion que l'on prévoyait de construire à 1 000 exemplaires jusqu'en avril, puis à raison de 2 000... par mois dès mai 1945 (!) De fait, à la capitulation de l'Allemagne, les Alliés découvrirent des centaines de Heinkel 162 à divers stades de construction, abandonnés dans les forêts, les mines ou les tunnels ferroviaires.

Quant aux rares exemplaires qui parvinrent au Front, la pénurie d'essence ne leur permit guère de voler beaucoup, pour le plus grand bien de leurs pilotes...

jeudi 27 septembre 2007

1663 - le cheval emballé

... à mesure que la production d'essence diminuait, celle des avions ne faisait... qu'augmenter. En septembre 1944, l'industrie allemande livra ainsi plus de 3 800 aéronefs, son plus haut niveau de toute la guerre (!)

Même si ce résultat doit être relativisé (les 4/5 de cette production étaient composés de chasseurs Me-109 et FW-190 souvent démodés mais bien plus faciles à construire que les bombardiers quadrimoteurs alliés), il n'en était pas moins aussi impressionnant que finalement inutile.

Tel un cheval emballé, l'industrie continuait de produire des avions que les militaires ne pouvaient plus mettre en oeuvre, faute de pilotes et d'essence.

Dans cette machine devenue folle, et alors que les premiers Messerschmitt 262 à réaction entraient à peine en service, on continuait même à rêver à de nouveaux "avions-miracle", soi-disant si simples à piloter qu'ils pourraient être confiés à de simples pilotes de planeurs.

Au début de son règne, Adolf Hitler, qui se souciait encore de plaire aux citoyens allemands, avait demandé à Ferdinand Porsche -célèbre concepteur des Auto-Union de compétition - de fabriquer une "voiture du peuple".

A l'automne 1944, alors que Ferdinand Porsche était depuis longtemps occupé à construire des tanks, Adolf Hitler, qui ne souhaitait plus que les citoyens allemands lui survivent, chargea donc Ernst Heinkel de réaliser un "chasseur du peuple".

mercredi 26 septembre 2007

1662 - mon Reich pour un baril

... à l'automne 1944, la Luftwaffe continuait de recevoir de nouveaux avions, mais arrivait de moins en moins à les faire voler.

Son problème se résumait en vérité à une banale affaire d'essence.

Si les avions à réaction étaient plus performants que leurs devanciers, ils consommaient également beaucoup plus d'essence que ces derniers. Pour les guérir de leurs nombreuses maladies de jeunesse, il aurait fallu multiplier les essais en vol, donc consommer de l'essence. Et si l'on parvenait encore à trouver des recrues pour les piloter, la formation de ces derniers était réduite à sa plus simple expression, toujours par manque d'essence.

Le retournement d'alliance, qui avait vu la Roumanie rejoindre le camp allié à la fin août, avait porté un coup d'autant plus dur à l'approvisionnement pétrolier qu'il avait, du même coup, permis aux bombardiers américains de se recentrer sur l'attaque des raffineries allemandes, comme celle de Leuna, plutôt que sur celles de Roumanie.

L'un dans l'autre, les 175 000 tonnes d'essence produites en avril étaient passées à 55 000 tonnes en juin, 16 000 en août, 7 000 en septembre et à peine 2 500 en octobre, alors que les seuls besoins mensuels de la Luftwaffe étaient estimés à 150 000 tonnes (!) En conséquence, les stocks laborieusement constitués par cette même Luftwaffe avaient diminué de 580 000 tonnes en avril à 180 000 tonnes en septembre.

La Luftwaffe n'eut alors plus d'autre choix que de dissoudre ses unités de bombardement les unes après les autres, de limiter le soutien aux troupes terrestres à leur plus simple expression - particulièrement à l'Est - et, sur les aérodromes, de faire tirer ses avions par des chevaux ou des boeufs plutôt que de les manoeuvrer au moteur...

mardi 25 septembre 2007

1661 - tragi-comédie

... en 1944, après trois ans de travail acharné, les capricieux bombardiers quadrimoteurs à deux hélices Heinkel 177 commençaient enfin à entrer en service sur le Front de l'Est (1) mais, faute d'essence, ils ne volaient quasiment jamais (!)

Lorsque débuta l'offensive d'été des Soviétiques, la Luftwaffe, mobilisa tout ce qui pouvait voler pour tenter d'endiguer la ruée des blindés russes.

Aux traditionnels Junkers 87 et Henschel 129 antichars s'ajoutèrent donc les malheureux Heinkel, qui n'avaient jamais été prévus à cette fin et subirent donc de lourdes pertes. A lui seul, le KG1 perdit ainsi le quart de ses 40 Heinkel en une seule journée d'attaques à basse altitude, qui ne détruisirent pas un seul tank soviétique.

La pénurie d'essence, et l'inanité de telles attaques convainquirent peu après la Luftwaffe de renoncer à cet avion sur lesquels les ingénieurs s'acharnaient pourtant depuis 1939, autre et remarquable exemple du gaspillage de ressources qui caractérisait l'Allemagne de cette fin de guerre.

Si les avions plus anciens et plus conventionnels, comme le célèbre Stuka, obtinrent de bien meilleurs résultats (2), ils ne pouvaient de toute manière que retarder de quelques jours l'inexorable progression de l'Armée rouge.

Lorsque les traditionnelles pluies d'automne transformèrent à nouveau le théâtre d'opération en bourbier infect, mettant provisoirement un terme à l'offensive russe, l'Armée rouge avait progressé de plus de 500 kilomètres, reconquis tout le terrain perdu depuis 1941, et campait désormais aux frontières-mêmes d'un Reich plus que jamais sur la défensive et dans l'attente d'un miracle...

(1) plusieurs d'entre eux avaient néanmoins servi, comme avions de transport, lors du siège de Stalingrad
(2) à la fin de la guerre, Hans-Ulrich Rudel totalisait à lui seul plus de 500 tanks soviétiques détruits avec cet avion pourtant périmé depuis 1940...

lundi 24 septembre 2007

1660 - à l'Est, du nouveau

... depuis l'échec du "grand coup" sur Koursk, en juin 1943, les troupes allemandes engagées à l'Est n'avaient cessé de reculer.

Un an plus tard, elles tentaient tant bien que mal de conserver le peu qui restait des conquêtes de 1941 et 1942, sans trop savoir comment elles parviendraient à contenir l'offensive d'été des Soviétiques, que chacun savait imminente.

En tout état de cause, les fantassins et tankistes allemands, déjà dramatiquement inférieurs en nombre à leurs adversaires soviétiques ne pourraient guère compter sur l'aide des pilotes de la Luftwaffe. Trois années de combats, et la nécessité de secourir les unités engagées à l'Ouest, avaient en effet réduit les effectifs à peau de chagrin.

Même les mythiques "Experten", tous titulaires d'un palmarès de plus de 100 victoires, faisaient à présent défaut, depuis que nombre d'entre eux avaient été expédiés à l'Ouest pour y succomber presque aussitôt, sous les coups d'adversaires mieux équipés et plus aguerris que ceux qu'ils avaient l'habitude de combattre à l'Est.

S'ils faisaient toujours de leur mieux, les jeunes pilotes qui les avaient remplacé n'arrivaient pas à la cheville de leurs aînés, et périssaient en grand nombre, souvent dès leurs premiers engagements.

Lorsque les Soviétiques lancèrent leur offensive, le 10 juin 1944, quatre jours après le Débarquement de Normandie, tout le dispositif allemand vola très rapidement en éclats et, faute de renforts, la défaite se transforma en déroute.

N'attendant que cette occasion, les alliés de l'Allemagne en profitèrent pour jeter l'éponge les uns après les autres... et pour se retourner contre leurs anciens camarades. La Roumanie inaugura le bal à la fin du mois d'août, suivie le 6 septembre par la Bulgarie.

Pour la Luftwaffe, cela se traduisit non seulement par la perte de nombreux avions et pilotes alliés, mais aussi par celle du pétrole roumain.

Plus que jamais, le manque d'essence allait constituer le coeur du problème...

dimanche 23 septembre 2007

1659 - vases communicants

... en mai 1944, il y avait déjà plus d'un an que la Luftflotte Reich accaparait l'essentiel des maigres réserves de la Luftwaffe pour s'opposer aux incursions des bombardiers britanniques et américains.

Conséquence inévitable : les unités qui combattaient de la Scandinavie à la Méditerranée, et de l'Atlantique à l'Ukraine se voyaient de plus en plus privées de pilotes et d'appareils au profit de la défense du Reich.

Lorsque le Débarquement se produisit sur les côtes normandes, la Luftflotte 3, qui devait défendre l'intégralité de la France, de la Belgique et de la Hollande, ne disposait que de quelques 500 appareils pour s'opposer aux... 12 000 avions (dont 3 000 chasseurs) mobilisés par les Alliés pour appuyer le Débarquement.

Il fallut donc, une fois de plus, puiser dans les effectifs des autres unités et, une fois de plus, ce furent les unités engagées sur le Front de l'Est qui finirent par payer le plus lourd tribut, sans pour autant que leur sacrifice soit en mesure, en qualité et quantité, de changer la donne.

Avant même le Débarquement, la situation des Luftflotte 5 (Finlande), 1 (Nord-Est), 6 (Russie) et 4 (Ukraine) était pourtant dramatique puisque, à elles quatre, elles n'alignaient qu'un peu plus de 1 900 avions, dont environ 400 chasseurs, sur un Front s'étendant sur plus de 5 000 kms (!)

Lorsque les Soviétiques déclencheraient leur offensive d'été, dans la foulée du Débarquement de Normandie, on pouvait donc s'attendre à un désastre d'une ampleur inimaginable.

Et c'est exactement ce qui se produisit...

samedi 22 septembre 2007

1658 - flèche brisée

... confrontés à l'écrasante supériorité aérienne alliée, et réalisant qu'ils ne parviendraient jamais à produire autant d'avions que ces derniers, les responsables de la Luftwaffe s'étaient engagés très tôt dans la recherche désespérée d'un "avion miracle", dont la supériorité intrinsèque serait telle qu'elle compenserait à elle seule la pure et simple infériorité numérique.

Cet avion, le biréacteur Messerschmitt 262, promettait certes beaucoup sur le papier. Mais les difficultés pour le construire et le mettre au point étaient telles que lorsqu'il entra finalement en service, fin 1944, la situation était devenue à ce point dramatique pour l'Allemagne que son apparition releva plutôt de l'anecdote.

Il existait bien une alternative, et plus précisément un chasseur certes conventionnel - donc à hélices et moteurs à pistons - mais offrant les mêmes performances que le capricieux et très fragile Messerschmitt.

Pour atteindre un tel niveau de performances, ce bimoteur - le Dornier 335 "Pfeil" ("flèche") - utilisait une formule originale, dite push-pull, avec une hélice tractrice à l'avant, et une hélice propulsive à l'arrière.

Remarquablement agile pour un chasseur lourd, le Do-335 répondait à toutes les attentes, que ce soit en version de chasse de jour ou de nuit. Mais, comme souvent, il ne rencontra pas lui non plus les faveurs des technocrates du Ministère de l'Air, qui lui préférèrent les chimères à réacteur ou moteur-fusée.

A la capitulation, en mai 1945, seuls 11 exemplaires de présérie avaient été livrés...

vendredi 21 septembre 2007

1657 - trop peu, trop tard

... finalement évalué en juin 1943, et jugé supérieur à tout ce qui existait jusque là, le Heinkel 219, hérissé d'antennes radar, dut encore patienter avant d'entrer en production.

Début 1944, alors que les villes allemandes n'étaient déjà plus que ruines et cendres fumantes, seuls 26 exemplaires avaient été livrés, qui s'adjugèrent pourtant de nombreux succès, y compris contre des De Havilland "Mosquito" qu'aucun appareil de la Luftwaffe n'avait jusqu'alors réussi à intercepter (!)

Au vu des seuls chiffres de production, Hermann Goëring, chef suprême de la Luftwaffe annonça alors l'abandon pur et simple du "UHU", et la réaffectation de sa chaîne de montage à la fabrication du tout aussi remarquable Dornier 335.

Il n'en fallait pas plus pour pousser Ernst Heinkel à partir à l'assaut du Ministère de l'Air, afin d'exiger la reprise immédiate de la fabrication des "UHU".

Ne voulant pas déplaire à Heinkel, Goering céda. Ne pouvant se déjuger, ni se fâcher avec Claude Dornier, il décida néanmoins de prendre une demi-mesure, en limitant la production du Heinkel à 50 exemplaires par mois, contre 500 pour le Dornier.

Mais comme la chaîne de montage initialement prévue pour le Heinkel redevenait indisponible, il fallut trouver un nouvel emplacement pour le construire, ce qui entraîna de nouveaux retards.

Au final, à la capitulation de l'Allemagne, seuls 268 Heinkel avaient été livrés, en compagnie de... 11 Dornier (!)

Dans le même laps de temps, les seuls Britanniques avaient construit plus de 16 000 bombardiers quadrimoteurs, qui avaient transformé les villes allemandes en paysages lunaires...

jeudi 20 septembre 2007

1656 - les mauvais choix

... si l'Allemagne faisait ce qu'elle pouvait avec les moyens dont elle disposait, ces choix dans le domaine aéronautique furent souvent très discutables.

Le bombardier Heinkel 111 fut ainsi produit en série jusqu'à la fin de 1944 alors qu'il était démodé dès 1940 tout comme, quoique dans une moindre mesure, le chasseur Messerschmitt 109, dont les évolutions successives, qui ressemblaient plutôt à de l'acharnement thérapeutique, n'apportaient plus grand-chose à la Luftwaffe.

Dans d'autres cas, le régime nazi se laissait gagner par la folie des grandeurs, et poussait à la construction de machines certes futuristes - comme les ailes volantes Horten - mais que son industrie n'aurait jamais été en mesure de produire quand bien même les ingénieurs seraient finalement parvenus à les mettre au point.

Le même phénomène se reproduisit dans la chasse de nuit, où l'on s'entêta à maintenir en service un chasseur démodé - le Messerschmitt 110 - ou à convertir des bombardiers en chasseurs - comme le Junkers 88 - tout en rêvant à des chimères qui ne dépassèrent jamais le stade de la planche à dessins.

Le cas du Heinkel 219 "Uhu" illustre à lui seul les dérives qui poussèrent la Luftwaffe à négliger un appareil excellent qui, s'il était entré en service plus tôt, aurait rendu la tâche des bombardiers britanniques bien plus difficile.

Commandé en août 1941, le prototype ne vola pas avant l'été 1942, les moteurs initialement prévus n'étant pas disponibles. Après les premiers essais, il fallut allonger le fuselage et modifier les empennages.

Lorsque l'avion fut enfin près, un responsable du Ministère jugea indispensable de faire modifier les bâtis-moteurs afin de permettre leur interchangeabilité, ce qui renvoya l'avion sur les planches à dessins pendant plusieurs mois...

mercredi 19 septembre 2007

1655 - tendre est la nuit

... lorsque les bombardiers américains rentraient au bercail, leurs cousins britanniques prenaient la relève, forçant là encore la Luftwaffe à combattre avec les moyens du bord.

Mais si les chasseurs monoplaces comme le Me-109 ou le FW-190 restaient efficaces de jour, il en allait tout autrement la nuit : faute de radar, le pilote ne pouvait compter que sur ses yeux pour débusquer les bombardiers tapis dans l'obscurité, avec une efficacité toute relative.

L'apparition des premiers radars embarqués résolut en partie le problème, mais le poids et l'encombrement de ceux-ci, la traînée générée par les antennes, ainsi que la surcharge de travail qu'ils imposaient, en limitèrent l'installation sur de lourds bimoteurs nécessairement multiplaces.

Ironiquement, le radar redonna une seconde jeunesse au Messerschmitt 110, totalement surclassé en tant que chasseur diurne. Jusqu'à l'apparition du Mosquito britannique, les chasseurs de nuit allemands pouvaient du reste évoluer sans trop de risques, ce qui permit également de convertir en chasseurs des appareils qui n'avaient jamais été conçus pour ce rôle - comme les bombardiers Junkers 88 ou le Dornier 17 - mais dont la vitesse était néanmoins suffisante pour intercepter les lourds et lents Lancaster et autres Halifax.

La chasse de nuit demeurait néanmoins un exercice délicat et jonché d'accidents. C'était aussi un exercice futile dans la mesure où la Luftwaffe, malgré la qualité de ses avions et de ses pilotes, ne fut jamais en mesure d'interdire le ciel allemand aux bombardiers britanniques...

mardi 18 septembre 2007

1654 - trop pointu

... grâce à son moteur-fusée, le Messerschmitt 163 volait plus vite que n'importe quel chasseur à moteur à pistons, et même à réaction, de l'époque

L'autonomie était en revanche inférieure à 80 kms, effectués pour l'essentiel en vol plané puisque les quantités de carburant embarquées n'offraient qu'environ deux minutes de propulsion.

Fondamentalement, le Me-163 était donc une arme à un coup, qui permettait tout juste à son pilote de rejoindre une flotte de bombardiers ennemis, de sélectionner l'un d'eux et d'effectuer une seule passe de tir avant de devoir rompre le combat et atterrir en planant.

Encore fallait-il que le pilote soit en mesure de viser. Or, avec une vitesse près de trois fois supérieure à celle des bombardiers qu'il était censé attaquer, et des canons de 30mm n'offrant que quelques centaines de mètres de portée utile, ce dernier n'avait tout simplement pas le temps suffisant pour viser et tirer avant de percuter sa cible. Il eut fallu un système de tir automatique, et des roquettes air-air, qui n'entrèrent jamais en service.

Le plus grave défaut de la formule résidait cependant dans l'extrême dangerosité des carburants eux-mêmes, qui non seulement obligeaient le pilote et le personnel au sol à porter constamment des combinaisons anti-acides, mais qui risquaient à tout moment d'exploser, en particulier lors des chocs liés au décollage et à l'atterrissage.

Avec des caractéristiques aussi pointues, rien d'étonnant dès lors à ce que le Me-163 ne soit entré en service qu'au compte-gouttes (environ 300 exemplaires construits) pour un bilan final éminemment décevant : si quelques avions alliés furent effectivement abattus, plus de 80 % des Komet perdus le furent au décollage ou à l'atterrissage, par explosion des carburants, tuant presque systématiquement le pilote.

De fait, l'ensemble du programme fut un échec total, dont les vainqueurs de l'Allemagne, passé le stade de la simple curiosité, se désintéressèrent totalement après la guerre.

lundi 17 septembre 2007

1653 - défense de zone

... le radar renseigne l'opérateur sur l'arrivée des bombardiers, et lui en indique le nombre ainsi que la cible vers laquelle ils se dirigent.

Mais le radar peut être brouillé, et l'opérateur se méprendre sur les intentions réelles de l'ennemi.

Lorsque cela se produit, les chasseurs allemands décollent trop tôt, trop tard, ou dans la mauvaise direction, et ne sont donc pas en mesure de les intercepter.

L'idéal serait donc de disposer également d'une défense de zone, c-à-d d'intercepteurs placés à proximité immédiate des sites industriels et des grands centres urbains, et capables d'intervenir à vue, dès l'arrivée des bombardiers.

Hélas, il faut de fort longues minutes à un chasseur conventionnel pour décoller et grimper à 6 000 ou 7 000 mètres - c-à-d à l'altitude où évoluent les bombardiers - en sorte que la cible sera déjà écrasée sous les bombes avant qu'eux-mêmes n'aient eu le temps de se placer en position de combat.

En 1944, la Luftwaffe fondait de gros espoirs sur le Messerschnitt 163, un avion-fusée capable de grimper presque à la verticale, d'atteindre l'altitude de 10 000 mètres dans le temps record de trois minutes, puis de fondre sur ses proies à la vitesse tout aussi record de 900 kms/h, ce qui lui permettrait d'échapper sans problème aux chasseurs d'escorte alliés, et le rendrait quasiment invulnérable aux tirs de défense des bombardiers, dont les mitrailleuses, à moins d'un improbable miracle, n'auraient pas la moindre chance de l'atteindre,

Figé dès 1941, le concept du "Komet", dû à Alexander Lippisch, était celui d'un planeur de combat, décollant sur un chariot largable, et se posant sur un patin escamotable, qui compliquait terriblement sa récupération et sa remise en service.

La propulsion était assurée par un moteur-fusée Walther utilisant deux produits chimiques hautement corrosifs - de l'eau oxygénée (T-Stoff) et un mélange d'hydrate d'hydrazine et de méthanol (C-Stoff) - dont le simple contact générait une réaction chimique violente et souvent... explosive.

dimanche 16 septembre 2007

1652 - et si on n'a pas de bombardiers...

... les raids quasi-quotidiens des grands bombardiers quadrimoteurs alliés incitaient Hitler, mais aussi le peuple allemand, à réclamer des représailles.

Le problème, c'est que la Luftwaffe, conçue dès l'origine comme force aérienne tactique, ne s'était jamais vraiment intéressée au concept et, en 1944, n'avait plus ni le temps ni les moyens de le développer.

Elle disposait bien d'une grande quantités de bimoteurs de bombardement (comme le Junkers 88), mais ceux-ci n'avaient ni le rayon d'action ni une capacité d'emport suffisants.

Et ce n'était certes pas les quelques centaines de "quadrimoteurs à deux hélices" Heinkel 177, ni la poignée de quadrimoteurs soi-disant "transatlantiques" (comme le Junkers 290) qui pouvaient y changer quelque chose.

Faute de grives, la Luftwaffe décida donc de recourir à la formule de l'avion-gigogne. Produits à plusieurs centaines d'exemplaires, les "Mistel" n'étaient rien d'autre que des Junkers 88 inhabités, débarrassés de tout équipement, truffés de deux à trois tonnes d'explosifs, et sur le dos desquels on attachait un chasseur monomoteur Me-109 ou FW-190.

Le pilote du chasseur assurait le décollage et le convoyage de l'ensemble, puis se libérait du bombardier après avoir lancé celui-ci sous un angle de 15 degrés vers la cible, sur laquelle il explosait quelques secondes plus tard.

Le système avait l'avantage d'être simple et rapidement disponible,... et l'inconvénient rédhibitoire d'être très vulnérable à la DCA et surtout à la chasse alliée. A la moindre apparition d'un chasseur allié dans le ciel, le pilote allemand n'avait d'autre choix que de se séparer immédiatement du bombardier - qui explosait alors n'importe où - et de s'enfuir à tire-d'aile.

De fait, malgré des prémisses encourageantes, la formule du "Mistel" s'avéra un échec si total qu'on ne connaît aucun exemple de cible effectivement détruite par eux...

samedi 15 septembre 2007

1651 - presque kamikazes

... les "Sturmbocks" étaient des unités d'élite, où le recrutement s'effectuait sur une base volontaire.

Dans la situation désespérée qui était la sienne en 1944, la Luftwaffe en était venue à considérer que chaque attaque d'un de ces avions devait presque obligatoirement se traduire par une victoire. Si elle n'en était pas encore au point de former des pilotes authentiquement suicide - elle y viendrait - les "Sturmbocks" étaient assurément ce qui s'en approchait le plus.

Les pilotes de "Sturmbocks" devaient en effet signer un engagement stipulant que "toutes les fois que je serai en présence d'un bombardier, je m'empresserai de l'attaquer à la distance la plus courte possible et tenterai de le détruire en l'abordant si ma passe de tir échoue".

Si toutes les armées du monde ont connu des pilotes qui, par décision personnelle, précipitèrent finalement leur appareil contre un avion, un véhicule ou un bâtiment ennemi, cet engagement solennel, marquait une étape supplémentaire, dans laquelle le sacrifice du soldat était quasiment exigé par contrat.

On n'était plus très loin de la logique qui, à l'autre bout du monde, pousserait l'État-major japonais à organiser des escadrilles kamikazes dans une tentative désespérée d'endiguer l'avance américaine.

"Il était bien clair pour nous, souligna un de ces pilotes, qu'une fois le document signé, ne pas en respecter les termes nous rendait passible de la cour martiale sous l'accusation de couardise face à l'ennemi" (1)

Pour autant, on ne connaît que très peu de cas où des pilotes de "Sturmbocks" ont effectivement suivi leur contrat à la lettre.

"En de rares occasions, des pilotes, ayant réussi à se placer en position de tir et se trouvant confrontés à un enrayage, ont sans doute eu recours à cette tactique (...) [Mais] nos armes étaient suffisamment fiables, et une telle méthode n'a presque jamais été employée" (2)

(1) Fana de l'Aviation, HS 28, page 25
(2) ibid, page 35

vendredi 14 septembre 2007

1650 - Sturmbock

... sur des chasseurs légers comme le Focke-Wulf 190, le tir des mitrailleuses de défense des bombardiers, bien qu'imprécis, s'avérait fréquemment mortel.

Vu le nombre et la concentration des mitrailleuses, et le temps qu'il fallait pour se mettre en position de tir, on finissait toujours par se prendre quelques balles. Et il n'en fallait pas beaucoup pour détruire, ou du moins endommager gravement un chasseur.

L'idée de blinder les avions de chasse s'imposa donc tout naturellement, et donna naissance aux "Sturmbock". Pour d'évidentes raisons de poids, le blindage se limitait aux pare-brise, au moteur, ou encore au bord d'attaque des ailes, ce qui s'avérait néanmoins suffisant pour se prémunir des tirs des bombardiers, dont on pouvait désormais s'approcher sans trop de risques.

Avec un armement un peu plus puissant, on n'était pas loin de l'arme idéale.

Combiné à un armement renforcé, le blindage frontal supplémentaire faisait hélas prendre près de 200 kilos à un FW-190 ainsi équipé, qui se retrouvait alors en situation d'infériorité dans un combat classique chasseur contre chasseur.

S'ils étaient apparus en 1942, ou même en 1943, les "Sturmbock" auraient assurément remporté de forts nombreux succès. Mais en 1944, avec une escorte alliée omniprésente, ils étaient plus souvent chassés que chasseurs...

jeudi 13 septembre 2007

1649 - système D

... en attendant l'apparition d'un "avion-miracle", ou la mise en service d'armes plus performantes, la Luftwaffe de 1944 devait faire avec ce qu'elle avait, c-à-d essentiellement des monomoteurs Messerschmitt 109 et Focke-Wulf 190.

Apparu en 1935, le Me-109 était depuis longtemps arrivé au bout de son potentiel de développement, et ne se prêtait pas à l'installation d'un moteur plus gros, ou de canons plus puissants. Et, sauf à être mené par un pilote très expérimenté, les améliorations dont il continuait de faire l'objet s'avéraient finalement plus dangereuses pour ses utilisateurs que pour ses adversaires.

Le FW-190 promettait davantage. Sur le point d'entrer en service, sa version "long nez", propulsée par un moteur en ligne, valait bien les dernières versions des Spitfire et Mustang anglais et américains, et ne constituait de toute manière qu'une solution provisoire jusqu'à l'apparition d'une version plus évoluée à hautes performances - le Ta-152 - attendue pour la fin de 1945.

D'ici-là, on pouvait toujours tenter de remédier à un problème dont se plaignaient amèrement les chasseurs allemands : du fait de la trop faible portée utile de leurs canons, ceux-ci devaient s'approcher à 300 ou 400 mètres des bombardiers avant d'ouvrir le feu, ce qui les exposait à subir durant plusieurs secondes les tirs de défense de ces derniers.

En elles-mêmes, les mitrailleuses qui équipaient les B-17 et autres B-24 n'étaient ni précises ni rapides. Mais à raison d'une dizaine de ces armes par avion, et de packs d'une vingtaine d'avions chacun, on aboutissait au final à une concentration de plusieurs centaines de mitrailleuses, capables de cracher en quelques secondes des milliers de projectiles vers des chasseurs nécessairement plus légers et plus fragiles....

mercredi 12 septembre 2007

1648 - Amerika, Amerika...

... l'obsession d'Hitler d'attaquer New-York, fut-ce avec un seul bombardier (!) illustrait autant son mépris des réalités que sa volonté d'offrir à la population allemande ce qu'elle réclamait, à savoir des représailles sanglantes et massives contre ceux qui, jour après jour, nuit après nuit, incinéraient les villes allemandes.

Contre la Grande-Bretagne, l'Allemagne nazie était encore en mesure de lancer des représailles, au moins symboliques. Contre les États-Unis, en revanche, il n'y avait tout simplement rien à faire, et il s'en faudrait encore de longues années de progrès technique continu avant de voir des avions voler d'une traite sur plus de 10 000 kilomètres.

Comme ce constat purement technique n'empêchait pas Hitler d'y croire, ni la population allemande de le souhaiter, des dizaines d'ingénieurs, de techniciens, de dessinateurs, continuèrent donc de s'échiner jusqu'à la fin de la guerre sur les plans d'un "Amerika bomber" capable de traverser l'Atlantique, de délivrer son chargement de bombes et d'en revenir.

Personne parmi eux n'osa jamais faire remarquer au Führer que cette performance était rigoureusement irréalisable avec les moyens et techniques de l'époque. Et comme il fallait malgré tout lui donner un os à ronger, des constructeurs comme Messerschmitt et Junkers réalisèrent, à grands frais, une poignée de prototypes dont on espérait qu'ils parviendraient, un jour, à satisfaire aux performances requises.

Messerschmitt réalisa ainsi trois exemplaires du Me 264... presque aussitôt détruits par les bombardements alliés. De 1942 à 1944, Junkers réussit pour sa part à fabriquer 31 grands quadrimoteurs Ju-290.

Aucun de ces avions n'atteignit jamais New-York.

Dans le même temps, et selon des spécifications infiniment plus réalistes, les Britanniques produisirent, à eux seuls, plus de 16 000 quadrimoteurs, qui transformèrent les villes allemande en amas de ruines fumantes.

mardi 11 septembre 2007

1647 - V1, V2 et autres merveilles

... son industrie s'avérant incapable de construire autant de bombardiers que la Grande-Bretagne ou les États-Unis, l'Allemagne nazie chercha - une fois de plus - "l'arme miracle" qui lui permettrait d'organiser de sanglantes représailles en l'absence de tout bombardier

Mises en service peu après le Débarquement de Normandie, les fusées V1 et V2 emportaient chacune une tonne d'explosifs. De par leur imprécision, elles ne pouvaient servir qu'à bombarder des villes, ce qui n'aurait aucune influence sur l'issue de la guerre.

Véritable "avion sans pilote, la V1 restait vulnérable - encore que difficile à atteindre - par la chasse et l'artillerie antiaérienne. De fait, sur les quelque 10 000 fusées V1 qui furent lancées jusqu'à la capitulation de l'Allemagne, plus de la moitié furent abattues... ou tombèrent tout simplement en panne bien avant d'atteindre leur objectif.

Avec une vitesse qui dépassait celle du son, la V2 était en revanche impossible à intercepter, mais n'était pas plus fiable pour la cause, en plus d'être incomparablement plus difficile et coûteuse à produire

Bien qu'impressionnantes, ces deux armes étaient de toute manière moins efficaces que les bombardiers : "Pour acheminer à Londres un tonnage comme celui du raid qui avait provoqué la tempête de feu sur Hambourg, il aurait fallu trois mille fusées V2. Mais durant les sept mois de leur engagement, seules 1 359 d'entre elles furent tirées sur cette ville. Comparé à ce qui se produisait chaque jour en Allemagne, tout cela maintenait les dégâts dans une limite militairement insignifiante. Dès le départ, l'arme de représailles n'était pas en mesure de venger l'Allemagne" (1)

(1) Jorg Friedrich, L'Incendie

lundi 10 septembre 2007

1646 - d'impossibles représailles

... En 1944, il y avait déjà bien longtemps que le Bomber Command britannique larguait sur l'Allemagne bien plus de bombes que la Luftwaffe n'était capable d'en larguer sur l'Angleterre.

Conçue dès l'origine comme force aérienne tactique, la Luftwaffe avait complètement délaissé l'aspect stratégique, et ce n'étaient certes pas les quelques centaines de Heinkel 177, qui venaient enfin d'entrer en service opérationnel après des années de problèmes techniques, qui y changeraient quelque chose.

Le Heinkel 177 se voulait réplique allemande aux gros bombardiers quadrimoteurs américains et britanniques. Et de fait, il disposait bel et bien de quatre moteurs... mais de deux hélices seulement.

Sur le papier la formule des deux moteurs jumelés à l'intérieur d'une même nacelle, et entraînant une hélice commune par l'intermédiaire d'un réducteur, offrait l'avantage d'une importante réduction de traînée aérodynamique.

En pratique, elle s'avéra si catastrophique que les équipages de Heinkel, écoeurés, surnommèrent leur monture "le briquet volant de la Luftwaffe", en raison de l'incroyable propension que manifestaient les moteurs surchauffés à s'enflammer en plein vol.

Tout au long de leur existence, les moteurs du "Greif" occasionnèrent en effet un nombre inimaginable d'accidents, et firent preuve d'une fiabilité pathétique. Ainsi, le 13 février 1944, sur quatorze appareils prêts à décoller pour Londres sous le regard d'Hermann Goering, treize prirent le départ, huit furent contraints de rentrer prématurément à la base pour cause de surchauffe moteur, quatre atteignirent l'objectif, et trois seulement en revinrent (!)

Une telle répétition d'ennuis ne pouvait évidemment qu'exercer une fâcheuse influence sur la production de l'avion, qui ne fut construit qu'à un peu plus d'un millier d'exemplaires, chiffre ridicule comparé aux seize mille quadrimoteurs classiques construits par les Britanniques durant la même période, mais un chiffre incroyable rapporté à la faible disponibilité de l'avion, et à son rôle encore plus anecdotique dans le déroulement de la guerre.

Car lorsque le "Greif" fut à peu près au point, à la fin de 1944, il n'y avait de toute manière plus assez d'essence ni d'équipages entraînés pour le faire voler. La plupart des exemplaires survivants furent alors ferraillés sans presque jamais avoir servi...

dimanche 9 septembre 2007

1645 - de la colère à l'apathie

... dans les années 1920, Douhet avait prophétisé un nouveau genre de guerre, dans laquelle de grands "croiseurs aériens" - les bombardiers - en attaquant les industries et les villes de l'adversaire, détruiraient non seulement sa capacité mais aussi sa volonté de combattre, et pousseraient la population civile à demander, et à obtenir la Paix.

Au début de la campagne de bombardements, le premier sentiment du civil allemand, en découvrant les ruines de sa ville et de sa maison, fut assurément l'incrédulité. Si personne n'arrivait à comprendre comment "une telle chose avait pu arriver", ce premier sentiment céda bientôt la place à une immense colère, et à l'exigence de représailles aussi immédiates que destructrices.

Le régime nazi exploita naturellement ce sentiment pour renforcer temporairement l'unité nationale et l'ardeur guerrière. Mais parce qu'il ne fut jamais en mesure de concrétiser ses promesses de représailles, c-à-d de "rendre les coups au centuple", il se décrédibilisa et, lentement mais sûrement, se vit priver du soutien d'une population de plus en plus démoralisée.

Bien loin de galvaniser les troupes, et de les inciter à "lutter jusqu'au bout", le "tourisme des cendres" organisé par le Ministre de la Propagande Joseph Goebbels après le bombardement de Dresde acheva au contraire de les démoraliser : ayant vu ce qui arrivaient à leurs villes, et constaté l'impossibilité de rendre la pareille à l'ennemi, les "soldats-touristes" perdirent tout bonnement l'envie de continuer à se battre.

L'erreur de Douhet, l'erreur des Alliés, fut de croire que cette démoralisation inciterait les civils ou l'armée à se révolter contre Hitler. Dans un État en guerre totale, et dans un État aussi totalitaire que l'Allemagne nazie, une révolte massive était tout simplement impossible et, de fait, elle n'eut jamais lieu.

Au lieu de se rebeller, comme l'y incitaient pourtant les tracts que les quadrimoteurs lançaient sur les villes en même temps que les bombes, la population allemande se réfugia dans sa "sphère privée", et sombra tout simplement dans l'apathie et l'attente de la Fin...

samedi 8 septembre 2007

1644 - moral bombing

... soixante ans plus tard, dénoncer les bombardements alliés sur l'Allemagne est devenu une routine, presque une religion.

A l'appui de leurs dires, les détracteurs font remarquer qu'à aucun moment, ces bombardements, qui tuèrent des centaines de milliers de personnes et détruisirent un nombre effrayant de maisons, de bâtiments ou d'oeuvres d'Art, qu'à aucun moment ces bombardements n'interrompirent la production de guerre, ni ne poussèrent la population allemande à se révolter.

Néanmoins, si les chiffres bruts de la production d'armement continuèrent à progresser malgré les bombes, la qualité de cette production, et sa disponibilité auprès de ceux qui en avaient besoin sur le Front, ne cessèrent de décroître, et on ne saurait prétendre qu'elle n'aurait pas été encore supérieure, de meilleure qualité, et plus disponible, sans les bombardements.

On ne saurait non plus nier les effets du "moral bombing" sur la population civile allemande.

Comme le souligne Kershaw, "les interviews réalisés après guerre dans le cadre de l'United States Strategic Bombing Survey ont confirmé cette impression : un Allemand sur trois a répondu que les bombardements avaient influé sur son moral plus que tout autre facteur; neuf sur dix ont dit que les raids aériens avaient été ce qu'ils avaient eu à subir de plus dur pendant la guerre; trois sur cinq ont reconnu qu'ils s'étaient lassés de la guerre à cause des bombardements, et le pourcentage de la population qui ne voulait pas poursuivre la guerre était nettement plus élevé dans les villes massivement bombardées que dans celles qui ne l'avaient pas été du tout

(...) Conclusion générale : les bombardements n'ont pas renforcé le moral mais l'ont sérieusement fragilisé. Le fatalisme, l'apathie, le défaitisme et d'autres effets psychologiques ont été beaucoup plus forts dans les populations bombardées que dans les autres" (1)

(1) Kershaw, Le Mythe Hitler, pages 252-253

vendredi 7 septembre 2007

1643 - bunkerisation

... à mesure que l'habitat traditionnel des Allemands s'enflammait et se transformait en gravats, à mesure que les attaques croissaient en nombre et en fréquence, le bunker devenait logement permanent autant que creuset dans lequel se diluait la résistance de ses occupants, qui auraient bien réclamé bien la Paix - comme le souhaitaient les attaquants - n'étaient les dénonciateurs et autres indicateurs de la police, lesquels notaient soigneusement les propos des uns et des autres.

Le bunker protégeait la vie. Mais l'inconfort, l'humidité, la promiscuité, la peur perpétuelle, le bruit des bombes, la rendaient infernale. Le "syndrome du bunker" minait le moral de la population plus sûrement que les tracts ou les destructions elles-mêmes.

C'est presque avec soulagement que chacun précipitait dehors dès la fin de l'alerte,... pour contempler les ruines de ce qui avaient été sa ville et sa maison.

Le Troisième Reich avait fait construire des milliers de bunkers pour protéger la population, mais c'est dans les bunkers que la population apprenait progressivement à se détourner du Troisième Reich.

Encore celle-ci aurait-elle pu s'estimer heureuse si elle avait su qu'à des milliers de kilomètres de là, chez l'allié japonais, rien ne protégeait contre les bombes, ce qui permettait aux statisticiens américains d'aligner de bien meilleurs chiffres d'efficacité guerrière que leurs homologues britanniques, quant à eux perpétuellement confrontés à l'incroyable résistance du béton allemand...

jeudi 6 septembre 2007

1642 - s'enterrer ou mourir

... quels que soient leurs moyens, ni la Flak ni la chasse allemandes ne pouvaient empêcher le bombardement des villes.

Pour se protéger, la population n'eut alors d'autre choix que de se réfugier dans les caves, puis dans les bunkers.

"Le programme de construction du Führer du 10 octobre 1940 (...) prévoyait que quatre millions de mètres cubes de béton devaient être construits au plus vite d'ici l'été suivant, pour pouvoir abriter un demi-million de personnes (...) Le 7 mai 1943, lors de la première bataille de la Rühr, on en était à 5.1 million de tonnes. Dans l'intervalle, en septembre 1942, on avait pris la décision de construire le Mur de l'Atlantique. (...) La construction de bunkers fut donc privée de 10.4 millions de mètres cubes. (...) Un petit bunker de 20x30x30 mètres nécessitait au maximum huit mille tonnes de béton armé (...) La construction d'un grand bunker prenait neuf mois, coûtait 700 000 marks et, selon l'US Bombing Survey, était "la grande expérience de l'Allemagne. Il n'existe aucun abri aux États-Unis ou en Angleterre comparable à ce qu'on appelle des "bunkers"" (1)

Sans surprise, les bunkers visaient d'abord et avant tout à protéger la population qui travaillait dans les usines d'armements puis, par extension, les usines d'armements elles-mêmes, qui s'enterrèrent bientôt dans les mines et les galeries souterraines. Sans surprise non plus, les Alliés se mirent alors en devoir de réaliser des bombes de plus en gros grosses, capables de percer les plafonds des bunkers, ce qui, en retour, incitait les constructeurs de bunkers à réaliser des plafonds de plus en plus épais.

Comme on ne pouvait tout de même pas bétonner l'intégralité du territoire allemand, le nombre de places disponibles dans les bunkers demeura toujours inférieur à celui de la population à protéger. Il s'ensuivait donc une véritable course vers les abris dès le déclenchement de l'alerte et, souvent, des piétinements qui tuaient des dizaines de personnes...

(1) Jorg Friedrich, L'Incendie

mercredi 5 septembre 2007

1641 - viser la lune

... à la différence de leurs "petits frères" embarqués à bord des avions de chasse, les gros canons de la Flak allemande n'étaient limités ni par leur recul, ni par leur poids ou leur encombrement.

En revanche, pour d'évidentes raisons physiques, il n'était pas possible de pointer une pièce de 128mm pesant plusieurs tonnes aussi rapidement et facilement qu'un petit canon de 20mm n'avouant que quelques centaines de kilos. Surtout, il n'était pas possible d'en obtenir les mêmes cadences de tir.

En 1944, les responsables allemands durent convenir que même leurs nouveaux 128mm seraient incapables de faire face à la menace des bombardiers Boeing B29 (600 kms/h et 10 000 mètres d'altitude) dont l'arrivée était considérée comme imminente.

A l'évidence, il fallait trouver autre chose, et se tourner vers les missiles qui, avec les V1 et V2 faisaient alors leurs premiers pas.

Hélas, la dispersion des efforts et l'irréalisme des cahiers des charges - en particulier au niveau du téléguidage - entraînèrent une nouvelle fois les ingénieurs sur des chemins certes prometteurs mais qui n'avaient aucune chance d'être convenablement défrichés avant la fin de la guerre.

Naquirent ainsi une poignée d'engins certes exotiques comme le Schmetterling, l'Enzian, le Wasserfall, ou encore le Rheintochter, mais qui, à nouveau, ne furent efficaces que bien après la guerre, aux mains des vainqueurs de l'Allemagne...

mardi 4 septembre 2007

1640 - tellement civils

... lorsque l'on commença, à partir de 1943-1944, à démanteler les effectifs des unités de FLAK pour combler les pertes subies sur les différents fronts, ce furent des civils, et souvent les enfants des écoles qui prirent la relève.

Ainsi, le 6 mars 1944, le Flak Abteilung 437 - dont les canons de 105mm étaient installé au coeur de Berlin - était désservi par 36 soldats de l'armée régulière, 90 écoliers et... 29 prisonniers russes.

"Nous étions dans une situation bizarre, raconta un de ces adolescents, traités tantôt comme des soldats, tantôt comme des enfants (...) On espérait que nous abattrions des avions ennemis avec nos canons de 105mm, mais nous n'étions pas considérés comme assez vieux pour porter les fusils lorsque nous devions essayer de capturer les équipages qui descendaient en parachute"

De même, dans le district de Siemensstadt, le Leicht Flak Abteilung 722 alignait lui aussi ses trois canons de 37mm... à moins de 100 mètres de l'école où étudiait Godfried Gottschalk, "Lufwaffenhelfer" de 16 ans : "Un garçon est entré dans la classe et a crié 'Voralarm!' Nous nous sommes tous levés pour nous ruer dehors vers les canons, en attrapant casque d'acier et masque à gaz"

Il ne restait plus à ces "enfants" qu'à débâcher les canons, comprimer les ressorts d'armements, puis glisser un chargeur de 6 obus dans chaque culasse...

Si les bombes tombaient sur l'école avant qu'ils arrivent à leurs canons, ils mouraient en civils innocents, injustement pris pour cible. Si elles tombaient deux minutes plus tard, et cent mètres plus loin, ils devenaient soldats morts au combat. S'ils abattaient un B17 américain, tuant les dix hommes d'équipage, ils étaient décorés comme héros de la Nouvelle Allemagne. S'ils le rataient, ou si aucun bombardier ne se présentait à portée de tir, ils rebâchaient les canons et retournaient tranquillement en classe dès la fin de l'alerte.

L'innocence, c'est seulement une question de lieu et d'époque...

lundi 3 septembre 2007

1639 - surconsommation

... avec l'apparition, en 1941, des gros bombardiers quadrimoteurs, l'artillerie antiaérienne classique dut affronter un ennemi qui volait de plus en plus haut et de plus en plus vite.

Avec leur cadence de tir de plusieurs centaines de coups à la minute, les canons de petit calibre restaient en mesure de dresser de véritables murailles d'acier devant tout appareil volant à moins de 3 000 mètres.

Au dessus de 5 000 mètres, en revanche, la cadence de tir des canons de gros calibre ne pouvait, pour des raisons purement mécaniques, dépasser les quelques coups par minute.

Pour espérer atteindre, depuis le sol, un avion volant à 400 kms/h et à 6 000 ou 7 000 mètres d'altitude, il n'y avait donc d'autre solution que de multiplier le nombre de canons, ce qui se traduisait par une augmentation vertigineuse de la consommation d'obus.

En 1942, on estimait par exemple que la destruction d'un bombardier allié en plein vol nécessitait une moyenne de 4 057 obus. Mais il en fallait plus de 33 000 à la fin de 1944 (!) Dans le même intervalle, la consommation d'obus, estimée à 500 000 par mois en 1941/42 était passée à plus de 3 millions par mois en 1944 (!)

En 1944, plus de deux millions de soldats et de civils étaient liés directement ou indirectement à l'artillerie anti-aérienne allemande, qui absorba 30% de tous les canons et 20% de tous les obus produits durant l'année...

dimanche 2 septembre 2007

1638 - la Flak

... la Luftwaffe, ce n'était pas seulement les avions. C'était aussi, et on l'oublie souvent, la FLAK, c-à-d l'artillerie antiaérienne.

Cet oubli est d'autant plus injuste que la Flugzeug Abwehr Kanone allemande était finalement plus efficace que les chasseurs allemands eux-mêmes. De juillet 1942 à mai 1945, les Britanniques attribuèrent ainsi la perte de 2 278 de leurs bombardiers à la chasse allemande, et de 1 345 du fait de l'artillerie antiaérienne, mais reconnurent que 8 848 autres appareils avaient été endommagés plus ou moins gravement par la FLAK, contre 1 728 par la chasse.

Très efficaces à basse altitude, les canons de petit calibre (20 et 37mm), généralement montés sur affûts double ou quadruple, devinrent rapidement la terreur des aviateurs alliés qui, lorsqu'ils le pouvaient, cherchaient toujours à se maintenir au dessus de 3 000 mètres, à la limite de portée de ces armes.

Les canons de gros calibre (de 88 à 128mm) prenaient le relais jusqu'à des hauteurs d'environ 10 000 mètres, mais ne pouvaient, pour des raisons purement mécaniques, offrir les mêmes cadences de tir, mobilité et rapidité d'élévation.

S'il était facile de déplacer les canons de la FLAK légère d'un emplacement vers un autre, l'opération s'avérait autrement plus ardue pour les canons de la FLAK lourde qui, en règle générale, demeuraient donc concentrés en des endroits précis - comme les indestructibles "tours à Flak" de Berlin ou Vienne que les aviateurs alliés apprenaient rapidement à éviter lorsqu'ils traversaient l'Allemagne.

De fait, à chaque raid aérien, seuls 5% des quelques 10 000 canons de FLAK lourde étaient réellement en mesure d'entrer en action, les autres ayant été prudemment pris à revers par les bombardiers alliés...

samedi 1 septembre 2007

1637 - missiles enchantés

... si la précision des obus et des roquettes reste acceptable dans le cadre de combats terrestres, elle s'avère rapidement insuffisante dans la guerre aérienne.

Plus la distance à la cible augmente, plus la vitesse du chasseur et du chassé est importante, plus leurs mouvements sont désordonnés et aléatoires, et plus la précision diminue, en sorte qu'il devient nécessaire de tirer de longues rafales, et de gaspiller quantités de projectiles, pour en voir finalement un ou deux arriver au but.

Par rapport à l'obus ou à la roquette, le missile a l'avantage d'être guidable, c-à-d de pouvoir infléchir sa trajectoire en fonction des mouvements de la cible. Si les missiles actuels sont du type "shoot and forget", donc capables de se diriger tout seuls vers la cible grâce au capteur infrarouge ou à la tête-radar placée dans leurs entrailles, il en allait tout autrement lors de la 2ème GM.

Les V1 et V2, premiers missiles opérationnels, ne pouvaient obéir qu'à une trajectoire décidée à l'avance, ce qui, indépendamment de leurs dimensions, les rendaient totalement inaptes au combat aérien. Pour être utilisables dans ce contexte, les missiles devaient donc, tout au long de leur vol, demeurer sous le contrôle d'un opérateur placé au sol ou installé à bord de l'avion. Le guidage pouvait s'effectuer par radio, mais imposait alors un appareillage aussi complexe qu'encombrant, qui pouvait de surcroît être brouillé par l'adversaire.

La solution la plus simple restait le guidage par fils. Mais si celui-ci échappait à toute tentative de brouillage, il limitait la portée pratique à deux ou trois kilomètres, c-à-d à la longueur du fil lui-même.

La Luftwaffe fondait de gros espoirs sur le X-4, ancêtre des missiles filo-guidés actuels, suffisamment petit pour être installé sous les ailes d'un chasseur classique. Mais bien que testé dès le mois d'août 1944, le X-4, en dépit de prémisses encourageantes, n'était toujours pas ppérationnel à la capitulation de l'Allemagne (1)...

(1) les tests effectués démontrèrent par ailleurs que ce missile, bien que prévu pour les chasseurs monoplaces, ne pourrait en réalité être installé que sur des biplaces, en raison de la surcharge de travail qu'il aurait imposé à un pilote seul