lundi 31 octobre 2005

967 - l'illustre inconnu

... on a souvent présenté Alfred Rosenberg comme le principal - sinon le seul - "idéologue du Nazisme", mais la vérité force à reconnaître que personne, parmi les leaders nazis, n'avaient réellement lu - et encore moins compris - la prose particulièrement indigeste de l'intéressé.

Compagnon de la première heure de Hitler, rédacteur en chef du Völkischer Beobachter - journal officiel du parti nazi - puis Ministre des Territoires occupés, Rosenberg était un architecte devenu journaliste, philosophe, et bien entendu antisémite. Un homme qui rendait les Juifs responsables de tous les malheurs de l'Allemagne et en particulier de s'être assurés le contrôle de la Presse, du théâtre et de l'Économie.

De lui, Hans Fritsche, haut fonctionnaire au Ministère de la Propagande, dira "Autrefois, je pensais qu'Alfred Rosenberg était un pur théoricien incapable de tout travail pratique - fût-ce le plus simple. Pour ce qui est de ses écrits, je n'ai lu personnellement que le premier chapitre du Mythe du XXème siècle (...) C'est tellement mauvais, j'ai toujours eu l'impression que Rosenberg incarnait le mysticisme allemand"

Un jugement sans appel, que confirmera Hermann Goering lui-même : "Ce n'est pas un officiel. C'était un auteur. Je ne connais personne qui puisse dire qu'il a été l'ami de Rosenberg. Il est du genre à faire bande à part; il est difficile à comprendre ou à approcher (...) je n'ai jamais rien lu de lui, hormis le premier chapitre du Mythe du XXème siècle, qui comme je l'ai dit m'est tombé des mains"

Sepp Dietrich. nazi fanatique et général SS de triste mémoire, sera encore plus laconique "Rosenberg ? - Je n'y ai jamais rien compris, trop compliqué !"

Idéologie nazi qu'aucun nazi ne lisait ni ne comprenait, Alfred Rosenberg fut néanmoins reconnu coupable des quatre chefs d'inculpation formulés par le Tribunal de Nuremberg, et pendu le 16 octobre 1946

dimanche 30 octobre 2005

966 - le remplaçant

... Ernst Kaltenbrunner était un officier de police autrichien qui, en 1943, succéda à Reinhard Heydrich comme chef de l'Office central de la Sécurité du Reich (RSHA)

Au physique comme au mental, Kaltenbrunner était en quelque sorte, et tout comme Heydrich, l'incarnation-même de l'Aryen, du représentant de la "race des Seigneurs". C'était également un fonctionnaire efficace, qui prenait beaucoup de plaisir à son travail, lequel consistait à traquer et éliminer sans relâche les ennemis de l'État, et en particulier les Juifs. Un travail dont il s'acquitta avec zèle jusque dans les dernières heures de la guerre.

Impitoyable envers les Juifs, Kaltenbrunner l'était aussi vis-à-vis des prisonniers de guerre alliés, n'hésitant pas à déclarer en 1944, "Tous les bureaux du S.D. et de la police de sécurité doivent être informés que les pogroms de la population contre les aviateurs terroristes anglais et américains ne doivent pas être contrariés, au contraire, cet état d’esprit hostile doit être encouragé".

Après l'attentat du 20 juillet 1944 contre Hitler, ce fut également lui qui dirigea les enquêtes de la Gestapo, et envoya des dizaines d'accusés dans les chambres de torture, puis devant les pelotons d'exécution, s'attirant en retour la reconnaissance du Führer.

Arrêté par les Américains en mai 1945, Kaltenbrunner fut jugé à Nuremberg et pendu le 16 octobre 1946, à l'âge de 43 ans

samedi 29 octobre 2005

965 - le simple suiveur

... comme tant d'autres hauts dignitaires nazis, Hans Frank était un ami personnel d'Adolf Hitler, dont il fut même l'avocat attitré

Hitler haïssait les avocats, qu'il tenait pour des êtres nuisibles et sans valeur. Il fit néanmoins une exception pour Frank, et le nomma Gouverneur Général de Pologne, avant de lui envoyer tous les Juifs dont l'Allemagne ne voulait plus et dont Frank ne savait que faire. Ce dernier s'en plaignit amèrement,... mais les seuls qui l'entendirent furent les organisateurs des camps d'extermination.

A l'été 1942, la marionnette Frank se rebella néanmoins. Pas beaucoup. Juste un peu. Juste quelques discours prononcés dans des amphithéatres universitaires, où il prôna le retour à l'ancien droit constitutionnel, depuis longtemps remplacé par le "Führer Prinzip"

Il n'en fallait pas plus pour que Hitler le démette de toutes ses fonctions au sein du parti, et lui interdise de s'exprimer publiquement. Mais comme il n'avait personne pour remplacer Frank, ou parce qu'il lui conservait son amitié, il le maintint à son poste de Gouverneur Général.

Frank voulut démissionner, redevenir avocat. Il adressa plus d'une dizaine de lettres en ce sens à Hitler. Toutes ses demandes furent refusées, et Frank resta à son poste.

A Nuremberg, en 1946, Frank fit valoir ces lettres, soutint qu'il n'avait rien à voir dans la déportation des Juifs de Pologne, que tout cela était de la responsabilité de Himmler, que la décision était celle de Hitler, et que ni l'un ni l'autre n'étaient plus là pour porter leur juste part du blâme qui, du coup, retombait tout entier sur lui-même et ses co-accusés.

"J'ai essayé de me suicider parce que j'ai tout sacrifié pour Hitler", déclara-t-il. "Et cet homme pour qui nous avons tout sacrifié nous a laissé tout seuls. S'il s'était suicidé quatre ans plus tôt, c'eût été parfait".

Hans Frank fut condamné à mort et pendu le 16 octobre 1946. Il n'était certainement pas le plus coupable ni le plus antisémite des dignitaires nazis. Il eut surtout le tort de ne jamais avoir su dire non...

vendredi 28 octobre 2005

964 - le Pornocrate

... "quelles que soient ses opinions politiques, on finit toujours par trouver plus extrême que soi", c'est sans doute ce qu'Adolf Hitler aurait pu dire de Julius Streicher, antisémite véritablement pathologique, fondateur et éditeur de l'utra-antisémite "Stürmer".

De fait, les opinions de Streicher à l'égard des Juifs, de leur circoncision, ou de leurs liens avec Satan, étaient si extrêmes, et souvent si ridicules, qu'elles embarrassaient fréquemment les leaders nazis eux-mêmes, surtout à l'époque où le régime se devait malgré tout de composer tant soi peu avec l'opinion et de se donner une image respectable.

Tombé en disgrâce dès 1940, et déchu de toutes ses fonctions officielles, Streicher ne dut en vérité son salut, et la poursuite de ses activités éditoriales, qu'à l'indéfectible fidélité de Hitler envers ses partisans de la première heure : Streicher avait en effet adhéré au NSDAP dès 1922, et pris part au "putsch de la Brasserie" de 1923.

A son procès, à Nuremberg, en 1946, Streicher tenta de profiter des incontestables faiblesses des quatre grands axes d'accusation qui, à force de vouloir se rejoindre, finissaient par ne mener nulle part (*). Il fit notamment observer, non sans logique, qu'ayant cessé toute activité officielle dès 1940, il pouvait difficilement être tenu pour responsable d'un quelconque "complot" visant à la domination du monde et à l'extermination du peuple juif.

S'il reconnut l'antisémitisme virulent, avant et pendant la guerre, du journal qu'il avait lui-même fondé, Streicher en nia pour autant l'influence sur le peuple allemande, donc sur le sort final des Juifs eux-mêmes. Mieux encore : il n'hésita pas à se présenter comme antisémite... sioniste.

"Je ne dis pas que Hitler avait raison [d'exterminer les Juifs], déclara-t-il. " Je crois que c'était une mauvaise politique. J'étais partisan d'instaurer un État juif séparé à Madagascar, en Palestine ou ailleurs, mais pas de les exterminer. En outre, en exterminant quatre millions de Juifs (...) ils ont fait de ces Juifs des martyrs. Par exemple, à cause de l'extermination de ces Juifs, l'antisémitisme a beaucoup régressé dans certains pays étrangers où il avait bien progressé"

(...) Je suis réellement sioniste. Je connais des hommes comme Chaim Weizmann et d'autres sionistes et je partage leurs opinions. Les Juifs devraient être dans leur pays, ne pas être autorisés partout".(**)

Pareilles subtilités de langage n'émurent guère les juges, qui le condamnèrent à la mort par pendaison, sentence exécutée le 16 octobre 1946.

(*) le procès de Nuremberg sera analysé dans les "Saviez-vous que..." de février 2006
(**) Goldensohn/Gellately, Les Entretiens de Nuremberg, pp 318 et 323

jeudi 27 octobre 2005

963 - le cher Heinrich

... à tous égards, Heinrich Himmler fut la doublure de Hitler, qu'il tenta d'ailleurs d'évincer à la fin de la guerre.

Né en 1900, et élève-officier durant la Première Guerre mondiale, Himmler fut - tout comme Heydrich et beaucoup d'autres Nazis - membre des "corps francs" anti-communistes dès sa démobilisation, puis rejoignit le NSDAP au début des années 1920.

En 1929, Hitler, qui se méfiait de plus en plus de l'autonomie des SA d'Ernst Röhm, le nomma commandant de son tout nouveau Schutztaffel, ou "échelon de protection", véritable garde prétorienne deviendrait tristement célèbre sous ses simples initiales de SS.

Malgré des débuts plus que modestes - quelques centaines d'hommes seulement - la SS allait bientôt devenir une armée indépendante à part entière, et même un véritable État dans l'État, incorporant des centaines de milliers d'hommes, et disposant même de ses propres ateliers et usines.

Instrument essentiel dans l'accession de Hitler au Pouvoir, puis dans l'élimination des SA lors de la "Nuit des Longs Couteaux" du 30 juin 1934, la SS allait véritablement prendre son envol en 1941, non seulement à la faveur de la campagne de Russie mais aussi - et surtout - dans le rôle central qu'elle allait jouer dans le génocide des Juifs d'Europe.

C'est en effet à la SS, c-à-d aux plus fidèles partisans du nazisme, que fut confiée la tâche d'en finir une fois pour toutes avec la "question juive", une tâche dont Himmler s'acquitta avec enthousiasme car constituant selon lui "une page glorieuse de notre histoire, qui n'a jamais été écrite et ne saurait jamais l'être. Nous avions le droit moral, nous avions le devoir envers notre peuple de détruire ce peuple qui voulait nous détruire" (sic)

A la fin de la guerre, et alors que le nazisme s'écroulait de partout, ce furent encore des SS - cette fois majoritairement étrangers - qui formèrent le "dernier carré" autour de Hitler, réfugié dans son bunker. Un Hitler qui venait pourtant d'apprendre la trahison de son "cher Heinrich", lequel, pour sauver sa peau, tentait depuis plusieurs mois de négocier une paix séparée avec les Alliés occidentaux.

Immédiatement démis de tous ses titres et fonctions par "ordre personnel du Führer", Himmler changea d'identité et tenta de se soustraire à la traque des armées alliées. En vain : le 22 mai 1945, il fut reconnu et arrêté par l'armée britannique, mais se suicida avant son interrogatoire.

mercredi 26 octobre 2005

962 - l'homme de Wannsee

... prototype-même de l'Aryen parfait, au moral comme au physique, membre des "Corps francs" anti-communistes au lendemain de la Première Guerre mondiale, Reinhard Heydrich rejoignit les rangs nazis en 1932, lorsqu'il fut personnellement recruté par Himmler et la SS pour prendre la direction du Sicherheitsdienst, ou SD, c-à-d du contre-espionnage.

En 1939, les responsabilités de Heydrich s'accrurent encore, lorsqu'il se vit confier la tête du Reichssicherheitshauptamt, ou RSHA, résultant de la fusion entre le SD, la Gestapo (ou police politique) et la Kriminalpolizei (ou police criminelle).

Nommé "Reichprotecteur" de Bohème-Moravie en septembre 1941, Heydrich s'y distingua tout particulièrement par son zèle et sa brutalité à l'égard des Juifs et des opposants au nouvel ordre nazi.

Tout à la fois pilote de talent, excellent violoniste et véritable génie de l'organisation, c'est encore lui qui présida la célèbre "Conférence de Wannsee" du 20 juillet 1942, où furent réglés les derniers détails de la Endlösung der Judenfrage, ou "Solution finale à la question juive".

A la différence de la plupart des chefs nazis, et en particulier de son supérieur théorique Heinrich Himmler, Heydrich ne s'était jamais préoccupé de sa sécurité personnelle. Cette insouciance lui fut fatale le 27 mai 1942, lorsque la décapotable dans laquelle il voyageait sans escorte fut attaquée par un commando tchèque directement envoyé depuis Londres.

Malgré l'envoi des meilleurs médecins allemands, Heydrich mourut de septicémie le 4 juin suivant. Ses funérailles, auxquelles Hitler assista personnellement, furent grandioses et à la mesure de la colère du Führer, lequel ordonna des représailles sanglantes qui culminèrent le 10 juin, lorsque le petit village de Lidice fut purement et simplement rayé de la carte et de la surface de la terre...

mardi 25 octobre 2005

961 - appelez-moi Meyer

... Héros de la Première Guerre mondiale, commandant en chef de la Luftwaffe, Président du Reichstag, Premier ministre de Prusse, numéro deux du régime nazi, et pendant longtemps personnalité la plus populaire d'Allemagne après Hitler, Hermann Goering fut non seulement un fidèle d'entre les fidèles, mais aussi un homme qui joua un rôle capital dans la mise à l'écart puis l'élimination physique des Juifs.

Comme la plupart des hauts dirigeants nazis, Goering eut la chance, ou le flair, d'adhérer au tout jeune NSDAP d'Adolf Hitler dès le début des années 1920, ce qui lui permit non seulement d'accéder aux plus hautes fonctions de l'État, mais aussi de conserver la reconnaissance, sinon la confiance, de Hitler jusqu'aux derniers instants de son régime, lorsque ce dernier faisait allègrement fusiller tous ceux qu'il estimait l'avoir trompé ou simplement déçu.

De fait, pour Hitler, Goering se transforma en une constante source de déceptions dès 1941, lorsqu'il devint progressivement évident que la Luftwaffe était non seulement incapable de gagner la guerre, mais même de protéger l'Allemagne des bombardements alliés malgré toutes les fanfaronnades de son chef, qui avait fort imprudemment déclaré qu'on pourrait bien l'appeler Meyer si un seul bombardier britannique parvenait jamais à atteindre Berlin.

A la fin de 1941, c'est pourtant Goering qui ordonna à Reinhard Heydrich d'accéder aux voeux du Führer de trouver une "solution finale à la question juive". Nonobstant, l'antisémitisme de l'intéressé demeura ambigu jusqu'à la fin.

"Je n'ai jamais été antisémite", déclara-t-il à Nuremberg, en 1946. "L'antisémitisme n'a joué aucun rôle dans ma vie (...) Je conçois que ça ait l'air idiot, qu'il soit difficile de comprendre qu'un homme comme moi, ayant fait des discours antisémites et participé comme numéro deux à un régime qui a exterminé cinq millions de Juifs, puisse dire qu'il n'était pas antisémite. Mais c'est vrai (...) Chaque fois que des Juifs m'ont appelé à l'aide, je les ai aidés. Bien entendu, c'étaient des gens que je connaissais avant, ainsi que leurs amis et parents"

(...) [le génocide des Juifs] c'était tellement absurde, et ça n'a fait aucun bien à personne, si ce n'est donner mauvaise réputation à l'Allemagne. (...) je respecte les femmes et je ne trouve pas ça très chic de tuer des enfants. Voilà surtout ce qui me tracasse dans l'extermination des Juifs (...) j'ai eu vent de rumeurs sur les massacres collectifs de Juifs mais je n'y pouvais rien et je savais qu'il était inutile d'enquêter sur ces rumeurs (...) [car] j'étais occupé d'autres choses, et si j'avais découvert ce qui se passait concernant les meurtres de masse, le seul effet aurait été que je me serais senti mal alors que, de toute manière, je ne pouvais faire grand-chose pour l'empêcher" (*)

Comdamné à mort à Nuremberg, Hermann Goering se suicida dans sa cellule deux heures avant son éxécution, le 15 octobre 1946.

(*) Goldensohn/Gellately, Les Entretiens de Nuremberg, pp 167 et 184

lundi 24 octobre 2005

960 - le bourreau d'Auschwitz

.... Rudolf Höss - à ne pas confondre avec Rudof Hess - était lieutenant-colonel de la SS, et surtout commandant du camp d'Auschwitz de mai 1940 au 1er décembre 1943, soit au plus fort du génocide juif.

A Nuremberg, ce n'est pourtant pas en tant qu'accusé, mais bien en tant que témoin, qu'il apparaît à la barre et stupéfie le tribunal par le fantastique détachement avec lequel il commente ses actions.

"J'avais des ordres personnels de Himmler. Les raisons que Himmler me donnait, je devais les accepter (...) Himmler me disait que si les Juifs n'étaient pas exterminés à cette époque, c'étaient les Juifs qui extermineraient à jamais les Allemands".

Fonctionnaire zélé et soucieux de bien faire, Höss avait personnellement visité le camp de Treblinka, mais n'avait guère été impressionné par l'efficacité des moyens utiliser pour se débarrasser des Juifs :

[A Treblinka] "à côté des chambres d'extermination étaient placés les moteurs de vieux chars ou de vieux camions, et les gaz des moteurs, les gaz d'échappement, étaient dirigés dans les cellules (...) Les autorités de Treblinka allumaient les moteurs et les laissaient tourner une heure pour exterminer les gens. A ce moment-là, ils étaient tous morts"

Ce constat l'avait amené à imaginer une autre méthode :

[A Auschwitz] "j'avais deux vieilles fermes que j'avais fait aménager en chambres à gaz. Le premier convoi du Gouvernement général a été conduit là. Ils ont été gazés au Zyklon B (...) Dans chaque ferme, on pouvait gazer en même temps 1 800 à 2 000 personnes [en une demi-heure] (...) Il fallait vingt-quatre heures pour brûler 2 000 personnes dans ces cinq fours (...) Nous prenions donc toujours beaucoup de retard parce que, comme vous le voyez, il était beaucoup plus facile d'exterminer au gaz que d'incinérer (...) Quand l'opération battait son plein, deux ou trois convois arrivaient tous les jours, chacun avec près de 2 000 personnes. Ce furent les moments les plus durs (...)

Et ce fonctionnaire modèle de se plaindre de ses horaires de travail véritablement infernaux :

"A Auschwitz, durant ma dernière année là-bas, en 1942, 1943, j'avais beaucoup à faire (...) Le téléphone sonnait toutes les nuits et on me convoquait quelque part. J'étais épuisé, non seulement à cause des exterminations mais aussi à cause des autres tâches. Ma femme [qui vivait avec lui à Auschwitz] se plaignait souvent que je passe si peu de temps avec ma famille et que je ne vive que pour mon travail. C'est seulement en 1943, après que je sois allé à Berlin, que mes médecins ont fait savoir à mes supérieurs que j'étais surmené et épuisé. J'ai pris six semaines de vacances vers la fin de l'année"

Jugé par un tribunal militaire polonais, Rudolf Höss fut pendu à Auschwitz le 7 avril 1947

dimanche 23 octobre 2005

959 - le bouc de Babelsberg

... la Shoah fut la volonté d'un homme - Adolf Hitler - acceptée par des millions d'autres - le peuple allemand - et mise en place par un cercle de fidèles qui partageaient les vues du premier, ou ne demandaient pas mieux que de travailler dans sa direction.

Au premier rang de ceux-là, on trouve tout naturellement Joseph Goebbels.

Journaliste, orateur brillant, antisémite notoire, fidèle d'entre les fidèles, Joseph Goebbels fut d'abord et avant tout le Ministre qui donna un nouveau sens au mot "propagande", celui qui mit l'ensemble des médias allemands - y compris le cinéma et ses acteurs et actrices - au service d'un seul homme, pour lequel il nourrissait d'ailleurs une admiration enthousiaste.

Pour Joseph Goebbels, Adolf Hitler représentait indubitablement l'image du père. Un père qui fut par ailleurs témoin de son mariage avec Magda Quandt, une divorcée de bonne famille qui lui donna six enfants et n'eut aucune peine à devenir la "première dame du Reich" bien que traînant un lourd passé d'amitiés, voire de parentale juives, accusations qui ne manquèrent pas d'assombrir fréquemment l'humeur de son mari.

Bien que bon père de famille, Joseph Goebbels n'en était pas moins un coureur de jupons impénitent, que les mauvaises langues surnommèrent d'ailleurs "bouc de Babelsberg" en raison de ses fréquentes visites aux studios de Babelsberg, où fourmillaient toujours de jeunes actrices (*) en mal de reconnaissance.

Acquis très tôt à l'antisémitisme d'un Hitler qu'il avait rencontré au début des années 1920, Joseph Goebbels joua un rôle de premier plan dans la mise en scène de l'expulsion, puis de la déportation et du génocide des Juifs d'Europe, dont il ne cessa de défendre le principe.

Joseph Goebbels se suicida le 1 mai 1945, en compagnie de sa femme, dans les jardins de la Chancellerie du Reich, tout prêt de l'endroit où, le jour précédent, on avait brûlé les corps de Hitler et d'Eva Braun.

Il avait 48 ans.

(*) sa liaison la plus connue, avec l'actrice tchèque Lida Baarova, conduisit le couple Goebbels au bord du divorce et provoqua l'intervention directe de Hitler, lequel somma Goebbels d'abandonner sa maîtresse pour retourner auprès de sa femme

samedi 22 octobre 2005

958 - les promesses

"Les Juifs doivent ficher le camp de l'Allemagne, que dis-je, de l'Europe entière. Cela demandera encore quelque temps. Mais cela se fera et doit se faire. Le Führer y est résolu" (Joseph Goebbels, 15 novembre 1936)

"Le Juif ne saurait tenir plus longtemps en Allemagne. C'est une question d'années. Nous allons les chasser en nombre toujours plus grand avec une cruauté sans précédent !" (Heinrich Himmler, 8 novembre 1938)

"Si, dans un avenir prévisible, le Reich allemand se trouve engagé dans un conflit de politique étrangère, on peut être assuré que nous, en Allemagne, nous penserons avant tout à en découdre avec les Juifs" (Hermann Goering, 12 novembre 1938)

"Je veux être à nouveau prophète : si la juiverie internationale, en Europe et à l'extérieur, devait parvenir à plonger une fois de plus les nations dans une guerre mondiale, il en résulterait non pas la bolchevisation de la terre et donc la victoire de la juiverie, mais l'anéantissement de la race juive en Europe"
(Adolf Hitler, 30 janvier 1939)

"Que nous ayons raison ou tort, nous devons gagner. C'est la seule voie. Et elle est moralement juste et nécessaire. Et quand nous aurons gagné, qui nous demandera des comptes sur la méthode ?" (Adolf Hitler, 16 juin 1941)

"Pour ce qui est des Juifs, donc, ma seule hypothèse de travail est qu'ils sont voués à disparaître. Nous devons exterminer les Juif partout où nous les trouvons !" (Hans Frank, 16 décembre 1941)

[la solution finale de la question juive est] "une page glorieuse de notre histoire, qui n'a jamais été écrite et ne saurait jamais l'être. Nous avions le droit moral, nous avions le devoir envers notre peuple de détruire ce peuple qui voulait nous détruire" (Heinrich Himmler, 4 octobre 1943)

vendredi 21 octobre 2005

957 - "J'aurais préféré que ayez tué 200 Juifs plutôt que de détruire tant de biens"

... à tout moment, le Juif allemand pouvait être dénoncé par son voisin, par son médecin, par son collègue de travail, par le curé ou le pasteur de la paroisse, mais aussi par ceux-là même qui étaient pourtant les plus farouches opposants au régime nazi.

En 1933, bien avant de prendre la route de l'exil, de devenir citoyen américain puis figure emblématique de la résistance allemande à Hitler, le grand Thomas Mann était déjà un opposant au nazisme,... ce qui ne l'empêchait nullement d'affirmer "qu'après tout, ce n'est pas un grand malheur (...) si l'on a mis un terme à la présence des Juifs dans le système judiciaire"

Cinq ans plus tard, au lendemain de la "Nuit de Cristal", même la propagande communiste interdite parlait surtout des coûts matériels de l'opération, et pas des victimes juives : "les ouvriers calculent le nombre d'heures supplémentaires qu'il leur faudra accomplir pour réparer les dégâts faits au Bien national de l'Allemagne. Les épouses des travailleurs voient avec beaucoup d'amertume tout ce gâchis".

Involontairement, le Parti communiste clandestin rejoignait sur ce point l'opinion du nazi Herman Goering qui, face à certains participants de cette soirée, s'était exclamé "J'aurais préféré que ayez tué 200 Juifs plutôt que de détruire tant de biens !"

Comme le souligne Daniel-Jonah Goldhagen, il est symptomatique de constater que même les comploteurs du 20 juillet 1944, qui de tous étaient pourtant les principaux opposants à Hitler, partageaient la conception commune à l'égard des Juifs, et reconnaissaient l'existence d'une "question juive".

"Les déclarations et programmes de la Résistance, souvent antisémites, envisageaient une Allemagne future sans Juifs, ou bien avec une communauté juive privée des droits civiques". Tout au plus "se hasardaient-ils à dire que peut-être, dans le futur, il serait possible d'accepter un retour des Juifs en Allemagne" [parce que] "le nombre de Juifs ayant survécu et revenant en Allemagne sera trop faible pour qu'ils puissent être regardés comme un danger pour la nation allemande"

jeudi 20 octobre 2005

956 - le conformisme des églises

... il est toujours très difficile de ramer à contre-courant de son époque, a fortiori lorsque rien, dans votre culture, votre éducation, votre expérience, votre famille ou votre entourage, ne vous y incite.

Les plus éminents juristes allemands avaient exclu les Juifs de leurs rangs bien avant que l'État ne les y oblige, et avaient ensuite appliqué avec un zèle digne d'éloges les lois et règlements restreignant chaque jour un peu plus les droits et libertés de la communauté juive d'Allemagne. Les journalistes, les enseignants, les fonctionnaires avaient fait de même, là encore en devançant bien souvent les désirs du parti nazi.

Les médecins ne s'étaient pas davantage fait prier pour adhérer à "l'action d'euthanasie" : bon nombre d'entre eux livrant même spontanément leur propre liste des malades et handicapés mentaux à "traiter".

Les Juifs allemands n'avaient donc rien à attendre des églises catholiques et protestantes. Historiquement antisémites, celles-ci ne firent d'ailleurs aucune difficulté pour livrer aux autorités du Reich les registres de baptêmes et de conversion,... ce qui permit de repérer sans difficulté les Juifs, demi-Juifs ou simples convertis jusque dans les plus petites villes et villages allemands.

En avril 1933, l'évêque Dibelius, un des principaux chefs-de-file d'une église protestante réunissant 63% de la population allemande, soulignait ingénument "qu'il avait toujours été antisémite", et qu'il était impossible "de ne pas voir que dans presque toutes les manifestations corrosives de la civilisation moderne, les Juifs avaient joué un rôle de premier plan".

Bien que davantage réfractaire au nazisme, et plus jalouse de ses propres prérogatives, l'église catholique entretenait sur la "question juive" les mêmes opinions que sa consoeur protestante. Comme le souligne l'historien Guenther Lewy, "la question même de savoir si l'Église catholique devait prêter son concours à l'État nazi en désignant d'elle-même les personnes d'ascendance juive n'a jamais été l'objet d'un débat (...) La coopération de l'Église en cette matière fut constante pendant toute la guerre, quand le fait d'être Juif n'entraînait plus seulement l'expulsion de la fonction ou la perte de son gagne-pain, mais la déportation et la destruction physique pure et simple"

mercredi 19 octobre 2005

955 - la machine de mort

... dans la logique nazie, les malades et handicapés mentaux menaçaient non seulement la pureté et la vigueur du sang allemand, mais mobilisaient également un nombre appréciable de médecins, d'infirmières, de lits d'hôpitaux et de ressources diverses, qui trouveraient une application bien plus utile ailleurs, en particulier dans le cadre de la guerre que chacun s'accordait à reconnaître comme inévitable.

Mais même dans ce régime dictatorial, on ne pouvait se contenter d'une vague autorisation orale du Führer pour mettre sur pieds une organisation qui allait bouleverser de fond en comble l'ordre social traditionnel en se chargeant de mettre à mort des dizaines de milliers d'Allemands reconnus inutiles.

Dans cette Allemagne où la Loi ne voulait plus dire grand-chose, Hitler - tel un moderne Louis XVI - signa donc une simple autorisation écrite, prudemment antidatée au 1er septembre 1939, soit au jour même de la déclaration de guerre à la Pologne, qui en justifia en quelque sorte la finalité.

Dans les deux ans qui suivirent, la plupart des malades et handicapés sélectionnés furent secrètement convoyés vers des asiles spécialisés, et exterminés au monoxyde de carbone. En Poméranie, le gauleiter Franz Schwede-Coburg préféra recourir aux bonnes vieilles méthodes, et les fit fusiller par la SS...

En Prusse orientale, le gauleiter Erich Koch se montra plus imaginatif, en faisant tester pour la première fois des unités de gazage mobiles - autrement dit des camions à gaz - qui allait bientôt servir au plus grand "bénéfice" des Juifs...

Lorsque, suite aux protestations des églises (*), "l'action d'euthanasie" fut arrêtée - du moins "officiellement" - en août 1941, plus de soixante-dix mille malades et handicapés mentaux allemands avaient déjà perdu la vie...

(*) lesquelles églises firent en revanche preuve d'un silence total s'agissant non plus de l'élimination des handicapés mais simplement de celle des Juifs...

mardi 18 octobre 2005

954 - action T4

... tout commença donc début 1939 par cette lettre d'un père suppliant son Führer bien-aimé d'autoriser les médecins à euthanasier son fils né aveugle, sans avant-bras gauche, et avec une jambe difforme.

Tout commença par cette lettre que Hitler, déjà fort bien disposé à l'égard de l'euthanasie, jugea suffisamment importante pour qu'elle le persuade d'inviter son médecin personnel - le docteur Karl Brandt (*) - à accéder au désir du père puis, par extension, à agir de même dans tous les cas similaires.

Hitler craignait néanmoins la réaction des églises allemandes devant un programme se situant à l'antithèse des valeurs et de la morale chrétienne traditionnelles. Il insista donc sur l'absolue nécessité d'une "solution totalement non bureaucratique de ce problème" (sic), qui aboutit à la création d'une fort secrète "Commission du Reich pour l'enregistrement scientifique des souffrances héréditaires et congénitales graves", laquelle, dans un premier temps, liquida de cinq à huit mille enfants allemands par injection de barbituriques.

En août 1939, la machine de mort était rodée et pouvait désormais passer à la vitesse supérieure. Et contrairement à ce que le lecteur d'aujourd'hui pourrait imaginer, les médecins allemands ne se firent nullement prier pour appliquer les directives de l'État et euthanasier des dizaines de milliers de malades et de handicapés mentaux.

Comme le souligne Ian Kershaw, "un nombre appréciable de médecins fut convoqué à la Chancellerie du Reich afin de solliciter leurs points de vue sur un tel programme. Dans leur écrasante majorité, ils se dirent favorables et prêts à coopérer. Ils laissèrent entendre que le nombre "d'éligibles" pourrait se situer autour de soixante mille patients"

C'était cela aussi, "travailler en direction du Führer"...

(*) condamné à mort après guerre, Karl Brandt fut exécuté à la prison de Landsberg, le 2 juin 1948

lundi 17 octobre 2005

953 - la "destruction de la vie qui ne mérite pas de vivre"

... les handicapés et malades mentaux allemands ont accompagné, et même précédé, les Juifs dans la Mort. Il ne pouvait en être autrement. L'idéologie de supériorité raciale et le crédo du darwinisme social, maintes fois martelés par Hitler et ses partisans, ne permettaient aucune autre issue.

Bien sûr, ni Hitler ni aucun autre responsable nazi n'ont, stricto sensu, inventé "l'action d'euthanasie", dont le concept - celui d'interruption de vie gênante, inutile, ou simplement non-productive - avait déjà été théorisé dès les années 1920 par le juriste Karl Binding et le psychiatre Alfred Hoche. Dans Mein Kampf, Hitler lui-même s'était prononcé sinon pour l'euthanasie, du moins pour la stérilisation forcée de ceux et celles susceptibles d'affaiblir le sang allemand. Mais rien de véritablement concret n'en sortit avant l'arrivée des nazis au Pouvoir, en mars 1933.

En vérité, les réticences de la population allemande en général, et des églises en particulier, à l'égard de la Vernichtung lebensunwerten Lebens - de la "destruction de la vie qui ne mérite pas de vivre" furent telles que "l'action d'euthanasie" (*) dut attendre le début de l'année 1939 pour pouvoir enfin se développer dans un cadre officiel, sinon légal.

Tout commença donc en 1939, au "Secrétariat de la Chancellerie du Führer", un terme bien pompeux pour désigner une administration sans pouvoir réel, mise en place en 1934 pour recueillir les lettres et doléances que les Allemands honnêtes étaient susceptibles d'écrire à l'intention de leur Führer bien aimé.

Tout commença par la réception d'une lettre d'un habitant de la région de Leipzig, qui suppliait son Führer d'autoriser les médecins à euthanasier son fils né aveugle, sans avant-bras gauche, et avec une jambe difforme.

Tout commença par cette lettre qui parut suffisamment importante pour qu'elle se retrouve sur le bureau de Hitler...

(*) dite aussi "action T4", en raison de l'implantation de son quartier général au 4 de la Tiergarten Strasse, à Berlin

dimanche 16 octobre 2005

952 - "l'affaire du Saint-Louis"

... le 17 juin 1939, suite à un accord intervenu entre les organisations juives et les gouvernements britanniques, français, belges et hollandais, les quelques 900 réfugiés juifs du paquebot Saint-Louis furent finalement autorisés à débarquer et à s'en aller retrouver les milliers de leurs coreligionnaires qui se trouvaient déjà dans les divers camps de réfugiés installés dans ces quatre pays.

Quelques semaines plus tard, la déclaration de guerre allait transformer tous ces réfugiés indésirables en autant de citoyens encore moins désirés d'un pays désormais ouvertement ennemi. Les camps de réfugiés inconfortables se transformèrent donc tout naturellement en camps d'internement purs et durs puis, dans tous les pays vaincus et occupés par l'Allemagne, en simples salles d'attente des chambres à gaz.

Au final, des milliers de Juifs allemands se retrouvèrent ainsi livrés aux autorités du pays auquel ils avaient tenté d'échapper. Très peu y survécurent.

Mais, en attendant, "l'affaire du Saint-Louis", savamment exploitée par la propagande allemande, était venue illustrer une nouvelle fois les réticences, pour ne pas dire le refus, des démocraties occidentales d'accueillir chez elles des Juifs allemands pourtant menacés de mort dans leur pays.

"Si l'Amérique, la France, la Grande-Bretagne ne veulent pas des Juifs, pourquoi nous, Allemands, serions-nous obligés de les vouloir chez nous ?" ironisait la propagande du docteur Goebbels, trop contente de l'aubaine.

Mais si ces pays ne voulaient pas des 300 000 à 400 000 Juifs que le gouvernement du Reich avait déjà expulsés, qu'allait-on pouvoir faire des 300 000 à 400 000 qui restaient encore sur place ? Qu'allait-on pouvoir faire des millions de Juifs de tous les pays européens que l'Allemagne se proposait d'envahir ?

Et que faire, en particulier, d'une Pologne qui, avec près de trois millions de Juifs, abritait la plus importante population juive d'Europe...

samedi 15 octobre 2005

951 - Juifs à vendre

... de l'arrivée de Hitler au pouvoir jusqu'au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, plus de 300 000 Juifs avaient été contraints de fuir l'Allemagne et de chercher refuge dans les pays avoisinants qui, il faut bien le dire, ne se bousculaient guère pour les accueillir.

Ainsi en fut-il des quelque 900 réfugiés du paquebot Saint-Louis, qui avait appareillé de Hambourg le 13 mai 1939 à destination de Cuba. Une semaine avant l'appareillage, une manifestation antisémite avait déjà été organisée à La Havane pour protester contre ces Juifs dont la venue menaçait le fragile marché local de l'emploi. A l'arrivée du Saint-Louis, le 27 mai suivant, seule une vingtaine de passagers fut finalement autorisés à débarquer.

Débutèrent alors d'interminables tractations entre le président cubain Laredo Bru et les organisations juives, sur le point de savoir à partir de combien de centaines de milliers de dollars le gouvernement cubain accepterait finalement de laisser débarquer les réfugiés. Lorsque les tractations échouèrent, le Saint-Louis fut contraint de quitter les eaux territoriales cubaines et de mettre le cap sur Miami.

Mais aux États-Unis, le Département d'État n'entendait pas accueillir ces Juifs, et donc déroger au sacro-saint "quota d'immigration" qui, pour l'année 1939, avait été fixé pour l'Allemagne et l'Autriche à quelque 27 000 personnes, et qui était déjà atteint.

Là encore, beaucoup craignaient que l'arrivée de milliers et de milliers de Juifs allemands ne fragilise un marché de l'emploi qui commençait à peine à se remettre de la Grande Dépression du début des années 1930. Un sondage réalisé à l'époque avait d'ailleurs révélé que 83% des Américains étaient farouchement opposés à toute augmentation des quotas, fut-ce pour des raisons humanitaires.

Malgré les suppliques des passagers, le gouvernement américain demeura inflexible, et le Saint-Louis fut contraint, le 6 juin, de rebrousser chemin et de rentrer en Europe.

Arrivés à Antwerpen le 17 juin, les passagers furent finalement autorisés à débarquer,... pour être aussitôt envoyés dans des camps de réfugiés équitablement répartis entre la Grande-Bretagne, la France, la Belgique et la Hollande...

vendredi 14 octobre 2005

950 - Judenrein

... petit à petit, la perspective d'un "Judenrein", d'une Allemagne débarrassée de ses Juifs, finissait par s'imposer.

Exclus de la vie économique et sociale, ouvertement méprisés, régulièrement brutalisés, des dizaines de milliers de Juifs prenaient le chemin de l'exil, abandonnant leurs possessions à des citoyens et un État allemands trop contents de pouvoir les racheter à vil prix dans un processus que l'on appela "l'aryanisation des biens juifs".

A chaque nouveau pogrom, à chaque nouvelle explosion d'antisémitisme dans un petit village ou une grande ville, finissait par correspondre un nouvel exil de Juifs allemands.

Vingt-trois mille en 1937, quarante mille en 1938, quatre-vingt mille en 1939 (dans la foulée de la "Nuit de Cristal" et juste avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale), l'exode des Juifs s'accélérait,... ce qui n'allait pas sans susciter moult réticences chez les gouvernements des pays susceptibles de les accueillir.

Réunis à Évian, en juillet 1938, les principaux pays occidentaux avaient déjà réaffirmé leur refus d'augmenter leurs quotas d'immigration pour les Juifs allemands.

Ainsi, en novembre 1938 et devant l'afflux soudain de réfugiés fuyant la "Nuit de Cristal", les Hollandais décidèrent de doubler les gardes-frontières, puis de fermer carrément leurs portes le 17 décembre suivant, et ce après l'arrivée de quelques sept mille Juifs allemands.

Au même moment, les Britanniques acceptaient l'entrée de dix mille enfants juifs sur leur territoire,... mais refusaient la demande de vingt et un mille adultes désireux d'immigrer en Palestine, où la venue de milliers de leurs coreligionnaires au cours des mois précédents n'avait fait qu'attiser les tensions avec la population musulmane.

Pareilles successions d'acceptations et de refus se succédèrent ainsi dans l'ensemble des pays occidentaux jusqu'au déclenchement de la guerre, apportant finalement de l'eau au moulin des antisémites allemands, trop heureux de constater que les Juifs dont ils ne voulaient plus en Allemagne n'étaient en vérité désirables nulle part...

jeudi 13 octobre 2005

949 - la conception du monde national-socialiste

... contrairement à ce que l'on pense généralement, l'abdication des juristes et des tribunaux allemands face à l'antisémitisme a précédé plutôt que suivi la publication des "Lois de Nuremberg" de 1935, lesquelles ne visaient finalement qu'à mettre un peu d'ordre, et un soupçon de légalité, sur l'ensemble des persécutions dont les Juifs étaient régulièrement victimes depuis l'arrivée de Hitler au Pouvoir.

"Les juges et autres membres des professions juridiques étaient si impatients de purger leurs institutions et leur pays de toute influence juive que, dès les premiers mois du régime nazi, ils allaient souvent bien plus loin que ce que la nouvelle législation demandait (...) selon Die Juristische Wochenschrift, le plus important périodique juridique d'Allemagne, qui approuvait, [un tribunal de Berlin] avait stipulé "qu'une législature révolutionnaire [celle de la toute jeune Allemagne nazie] ne peut encore avoir tout prévu, et c'est le devoir du tribunal d'y suppléer en appliquant les principes de la conception du monde national-socialiste".

De fait, dans l'Allemagne de la fin des années 1930, ce n'étaient nullement les humiliations répétées, les spoliations, les mauvais traitements, ni même les meurtres dont les Juifs étaient régulièrement victimes qui préoccupaient les Allemands ordinaires, mais bien la destruction indue des biens et richesses - comme lors de la célèbre "Nuit de Cristal" du 9 novembre 1938 - que ces actes entraînaient.

"D'un côté, on nous demande de récupérer le papier d'argent et les tubes de dentifrice vides, de l'autre on fait délibérément des dégâts pour plusieurs millions de marks !" protesta amèrement un sympathisant nazi dans une lettre au Ministre de la Propagande Joseph Goebbels.

Et comme il fallait bien que quelqu'un paye, ce fut aux victimes elles-mêmes - donc aux Juifs allemands - que l'on demanda d'acquitter la facture, sous la forme d'une "amende d'expiation" record d'un milliard de marks (!)

mercredi 12 octobre 2005

948 - "Prudence, virage dangereux - Juifs, cent à l'heure"

... tout au long de la République de Weimar, des millions et des millions d'Allemands ordinaires - donc ordinairement antisémites - votèrent de leur plein gré, et en toute connaissance de cause, pour un antisémite pathologique - Adolf Hitler - et un parti - le NSDAP - ayant fait de l'antisémitisme sa principale marque de commerce.

Le 31 juillet 1932, quatorze millions d'électeurs allemands firent ainsi du NSDAP le principal parti d'Allemagne, qui s'était désormais acquis plus de 37% de l'électorat. Organisées dans la foulée de l'incendie du Reichstag, les élections du 5 mars 1933 (Saviez-vous que... 419 à 449) confortèrent la position du nouveau Chancelier Hitler et de ses partisans qui, avec plus de 17 millions de votants, représentaient à présent près de 44% des électeurs allemands

Bien que faible et le plus souvent méprisée par le peuple allemand, la République de Weimar était néanmoins parvenue à limiter l'antisémitisme ordinaire dans des limites légales et finalement supportables pour ses victimes. Mais une fois Hitler parvenu au Pouvoir, la Loi, jusque là relativement protectrice, allait très vite se mettre entièrement au service des bourreaux.

Dès le printemps de 1933, boycotts des magasins juifs, exclusions professionnelles, brimades, vexations et passages à tabac se multiplièrent comme par enchantement dans toute l'Allemagne, sous le regard désormais complaisant, sinon complice, de la police et des autorités locales.

A l'entrée des villes et villages allemands, on vit même apparaître des panneaux routiers d'un genre nouveau, déconseillant on ne peut plus clairement le passage aux Juifs

"Là où il n'y avait pas eu d'arrêté municipal [interdisant la ville aux Juifs], des panneaux sur les routes y suppléaient. "Les Juifs n'entrent ici qu'à leurs risques et périls", "Juifs strictement interdits de séjour dans cette ville" (...) Les gares, les bâtiments administratifs et toutes les grandes routes reprenaient le refrain. Aux alentours de Ludwigshaven, à l'entrée d'un virage dangereux, on pouvait lire cet avis aux conducteurs : "Prudence, virage dangereux - Juifs, cent à l'heure""

mardi 11 octobre 2005

947 - les boucs émissaires

... de tout temps, les Juifs avaient déjà servi de boucs émissaires commodes pour tout ce qui n'allait pas au sein de la société.

Que les récoltes s'avèrent mauvaises, que la famine gronde, que les épidémies se répandent, que l'inflation menace, que le chômage augmente ou que la guerre soit perdue, il se trouvait toujours quelqu'un pour en attribuer la responsabilité aux Juifs qui pactisaient avec le Malin, complotaient avec l'étranger, stockaient du blé, spéculaient sur les cours et - in fine - s'enrichissaient indûment sur le dos du pauvre monde.

Et il s'en trouvait toujours, bien plus nombreux encore, pour applaudir à de tels discours et les trouver on ne peut plus justes et pertinents.

Dans un pays déjà largement acquis à l'antisémitisme, mais qui "n'avait pas perdu la guerre", il n'y avait donc rien d'étonnant à ce que l'armistice de 1918, le "diktat de Versailles" de 1919, et les gigantesques indemnités auxquelles l'Allemagne avait été condamnée, aient été ressentis avec toute la force d'une effroyable injustice, très vite attribuée aux "banquiers juifs", à la "ploutocratie juive" et à la "juiverie internationale". Un thème qu'un antisémite du nom d'Adolf Hitler, tout récent adhérent du Parti ouvrier allemand, s'empressa d'exploiter à son avantage.

Dès février 1920, l'article 4 du programme politique du parti proclamait fièrement que "seuls les membres de la Nation peuvent être citoyens de l'État. Seuls ceux qui sont de sang allemand, quelle que soit leur confession, peuvent être membres de la Nation. En conséquence, aucun Juif ne peut être membre de la Nation".

Cinq ans plus tard, dans Mein Kampf, Adolf Hitler, désormais chef du parti nazi, résuma ainsi le rôle délétère des Juifs dans le déroulement de la Première Guerre mondiale, et le sort qu'il aurait fallu leur réserver :

"Si, au début de la guerre et pendant la guerre, douze ou quinze mille de ces Hébreux corrupteurs du peuple avaient été exposés aux gaz, alors des millions de vrais Allemands auraient échappé à la mort".

lundi 10 octobre 2005

946 - le discours de la méthode

... petit à petit, le paradigme racial avait donc supplanté le religieux chez les antisémites allemands, lesquels apprenaient tout aussi naturellement à détester les Juifs en raison de leur "différence" qu'ils avaient autrefois appris à le faire parce que ces derniers avaient "tué Dieu" et rejeté Son enseignement.

Bien évidemment, ces deux paradigmes se complétaient bien plus qu'ils ne s'opposaient, et contribuaient ainsi à faire de la Judenfrage - de la "question juive" - le thème central de la politique allemande, et le sujet de discussion favori d'une population qui, dans sa majorité, n'avait pourtant jamais personnellement rencontré le moindre Juif.

Pour les antisémites, le concept de "race" s'avérait par ailleurs tout aussi efficace - sinon davantage - que celui de la religion pour mobiliser les foules, discriminer les Juifs, et justifier "scientifiquement" cette discrimination.

Comme l'affirmait un pamphlet de 1877, "Même le Juif le plus honnête, incapable d'échapper à ce que lui dicte son sang, porteur de sa moralité sémite, qui est entièrement contraire à la nôtre, ne peut partout chercher que la subversion et la destruction de la nature allemande, de la moralité allemande, de la civilisation allemande"

Une fois clairement identifiée la menace pesant sur le corps social allemand, restait encore à définir la meilleure méthode pour purifier l'Allemagne de toute trace de judéité.

Une méthode sur laquelle les antisémites étaient loin de s'entendre, la plupart n'osant pas encore, à cette époque, transgresser les vieilles règles de la morale chrétienne en proposant une solution à ce point "finale" qu'elle ne pourrait que heurter de plein fouet une population allemande aussi fortement imprégnée de légalisme qu'éprise de modernité...

dimanche 9 octobre 2005

945 - de la religion à la "race"

... contrairement aux attentes des libéraux réformateurs - et à leur propre stupeur - l'octroi des droits civils et politiques aux Juifs allemands n'avait pas poussé ces derniers à renoncer à leur "judéité", c-à-d à ce qui les distinguait "fondamentalement" des Allemands ordinaires.

"L'insistance de la collectivité juive allemande à conserver son identité, écrit l'historien Uriel Tal, était contraire à la conception libérale du progrès matériel, de l'enrichissement spirituel et des objectifs du destin national; les libéraux en sont donc venus à regarder les Juifs, prototypes du particularisme, comme l'obstacle essentiel à l'unité nationale et spirituelle"

"Voyant leurs espoirs bafoués, les libéraux n'avaient plus dans leurs bagages que le modèle culturel du Juif comme étranger", ajoute Daniel-Jonah Goldhagen."Et ils étaient de plus en plus enclins à adopter l'unique explication convaincante du caractère pernicieux des Juifs, désormais considéré comme immuable : les Juifs constituaient une race"

Ce glissement progressif de l'antisémitisme traditionnel, fondé sur la religion, à un antisémitisme "racial", de la discrimination "divine" à la discrimination "naturelle", devait avoir de très graves conséquences.

Fondé sur la religion, l'antisémitisme médiéval considérait le Juif comme un individu certes maléfique - et d'ailleurs souvent associé à Satan - mais qui demeurait néanmoins réformable, puisque simplement égaré sur la voie d'une mauvaise religion, d'une mauvaise interprétation du message divin.

Fondé sur la "race", l'antisémitisme laïc et moderne de l'État-nation ne pouvait au contraire que le condamner à l'expulsion ou l'extermination.

Parce qu'il était "racialement différent", le Juif était et resterait à jamais différent des Allemands. Là où un prêtre et le talent d'un bourreau pouvaient autrefois suffire à transformer en Chrétien jusqu'au Juif le plus convaincu, il aurait à présent fallu des quantités véritablement astronomiques de "sang allemand" pour extirper jusqu'à la moindre trace de "judéité" du Juif le plus banal.

A contrario, il suffisait de quelques gouttes de "sang juif" pour contaminer le peuple allemand, ce que les théoriciens de l'antisémistisme ne manqueraient pas d'exploiter à leur avantage...

samedi 8 octobre 2005

944 - le Juif éternel

... souvent associé à Satan et à ses rites, le Juif était au Moyen-Âge une créature maléfique, qui non contente de refuser le message du Christ, et d'en nier l'essence divine, l'avait mis à mort sur la Croix, ce qui en faisait à tout jamais un déicide.

Au 19ème siècle, à mesure que les sociétés occidentales apprirent à se laïciser et à écarter Dieu de leur vécu quotidien, l'unanime détestation du Juif perdit peu à peu son caractère religieux et quasi-surnaturel pour acquérir une dimension nationale et identitaire.

Dans les campagnes, où l'on ne voyait pour ainsi dire jamais le moindre Juif, et chez les couches les moins éduquées de la population, il pouvait encore arriver que son image reste associée à celle, traditionnelle, du sorcier ou de l'abuseur et égorgeur d'enfants. Mais dans les villes, parmi les intellectuels, et plus généralement chez tous ceux qui se piquaient de modernisme, on le condamnait à présent pour sa "différence", pour son refus constant de "s'intégrer" et de se fondre dans une "Nation" unie sous un même cortex de "valeurs".

En Allemagne, on ne lui en voulait plus de rejeter le Christ, on ne cherchait plus à le convertir au christianisme : on lui reprochait maintenant de ne pas être un "vrai Allemand", de rester d'abord et avant tout un "Juif", qu'il importait donc de "rééduquer" de gré ou de force, afin qu'il devienne citoyen authentique d'un pays par ailleurs de plus en plus ravagé - et il n'était hélas pas le seul - par la fièvre nationaliste et identitaire.

Au conservateur allemand ouvertement antisémite, qui souhaitait continuer à parquer le Juif dans un ghetto où il resterait privé de tout droit, répondait le réformateur libéral, qui entendait pour sa part monnayer sortie du ghetto et octroi des droits normaux de citoyen en échange de la renonciation à la "judéïté", à tout ce qui constituait la "différence" par rapport au peuple allemand.

L'échec, au moins relatif, de cette nouvelle approche, la perception, vraie ou fausse, que le Juif, malgré tous les efforts déployés, ne cherchait pas vraiment à s'intégrer et à renoncer à tout ce qui le distinguait de l'Allemand ordinaire, conforta évidemment les antisémites les plus rabiques dans leur conviction qu'il fallait à tout prix empêcher le Juif de continuer à pervertir la société allemande, ce qui impliquait donc sa totale mise à l'écart et, plus tard, sa déportation, puis son extermination...

vendredi 7 octobre 2005

943 - le Juif fantasmé

… avec moins de 1% de la population, concentrée pour les trois-quarts dans les grandes villes, on trouvait en fait fort peu de Juifs dans l'Allemagne des années 1930, et en tout cas infiniment moins que dans la Pologne voisine.

Comme le souligne fort justement Daniel-Jonah Goldenhagen, si "l'antisémitisme sans Juifs" était déjà la règle au Moyen-Âge, "certains des antisémites les plus virulents de l'Allemagne de Weimar et de la période nazie n'avaient probablement eu que peu de relations, voire aucune, avec des Juifs. Des régions entières de l'Allemagne étaient vides de tout Juif".

Pour autant, et même si elle n'était guère capable de définir la nature exacte de la menace censée peser sur elle, la majorité de la population allemande adhérait à l'idée selon laquelle ces Juifs finalement fantomatiques mettaient en péril l'existence-même de la société allemande.

L'idée que 99% d'une population donnée puisse se sentir menacée dans son existence par une minorité de moins de 1% peut évidemment sembler absurde, mais était largement partagée à l'époque, non seulement en Allemagne mais aussi en Europe.

S'y ajoutait en effet une composante encore plus irrationnelle, celle d'un mystérieux "complot juif", dû à la surreprésentation, réelle ou imaginaire, des Juifs dans certains secteurs d'activités jugés essentiels. Dans la Banque, bien sûr, mais aussi dans la Politique, les Arts, les Médias et l'Éducation, soit dans toutes ces activités intellectuelles qui contribuaient à façonner l'image, les valeurs, les objectifs, l'identité de la société allemande.

Lors de leur procès à Nuremberg, en 1946, des accusés comme Hermann Goering ou Julius Streicher tentèrent précisément de justifier leurs actions par le "Pouvoir" que les Juifs auraient détenu sur le peuple allemand à travers l'école, les journaux et la radio.

D'où l'importance – jamais démentie tout au long du Troisième Reich – d'assurer le monopole nazi sur l'Information et l'Éducation, et celle d'en expurger les Juifs.

jeudi 6 octobre 2005

942 - avec l'assentiment du plus grand nombre

... il est impossible de comprendre la Shoah sans faire référence à l'antisémitisme européen - et singulièrement allemand - qui existait bien avant l'arrivée de Hitler au Pouvoir.

Comme l'a écrit Tocqueville "on ne lutte point avec avantage contre l'esprit de son siècle et de son pays; et un homme, quelque puissant qu'on le suppose, fait difficilement partager à ses contemporains des sentiments et des idées que l'ensemble de leurs désirs et de leurs sentiments repoussent"

Lorsqu'un pays est déjà acquis par avance aux thèses de l'antisémitisme, il n'éprouve aucune difficulté à accepter un gouvernement ayant fait de l'antisémitisme l'axe essentiel - sinon unique - de sa politique.

Consciemment ou non, chaque citoyen allemand se métamorphosa donc en ce que le politologue Daniel Jonah Goldhagen (*) appelle "les bourreaux volontaires de Hitler", soit l'ensemble des Allemands anonymes qui acceptèrent le génocide des Juifs non seulement par contrainte, par obéissance aux ordres, par conformisme, par intérêt personnel ou par simple indifférence, mais aussi, et peut-être surtout, parce qu'ils en approuvaient les buts, sinon les moyens.

Pour l'idée que chacun d'entre nous se fait du genre humain et de son devenir, il est évidemment plus confortable de concevoir Hitler comme une monstrueuse erreur de la Nature, et la population allemande dans son ensemble comme la victime involontaire de cette monstruosité ainsi que de la poignée de carriéristes, d'idéologues et d'assassins qui l'avait séduite.

Ou encore d'imaginer les Allemands ordinaires comme autant de braves types désapprouvant fondamentalement l'antisémitisme - ou du moins se contentant d'une prudente neutralité à son égard - mais succombant malgré eux aux sirènes de la rhétorique hitlérienne, et à la puissance coercitive de ses milices armées

Ou enfin de voir en Heinrich Himmler chef de la SS, ou en Rudolf Höss commandant du camp d'Auschwitz, des Allemands véritablement extra-ordinaires plutôt que comme des individus d'une banalité affligeante, que n'importe quel autre Allemand aurait en vérité pu remplacer au pied levé et sans que l'Histoire ne change d'une seule virgule.

Rien n'est plus faux.

(*) Daniel Jonah Goldhagen, "Les Bourreaux volontaires de Hitler, les Allemands ordinaires et l'Holocauste", Seuil, 1997)

mercredi 5 octobre 2005

941 - travailler en direction du Führer

... la Shoah n'apparut pas brutalement, tel un coup de tonnerre dans un ciel sans nuages. Elle fut au contraire précédée d'une multitudes de petites brimades et de spoliations, qui se renforcèrent sans cesse. Lentement d'abord, puis de plus en plus vite à mesure que l'Allemagne se prépara à la la guerre, entra en guerre, et se retrouva finalement sur le point de la perdre.

Comme le souligne Ian Kershaw, Hitler lui-même se mêlait pourtant fort peu des persécutions anti-juives. "Cela n'avait pas été nécessaire. Ses subordonnés avaient juste besoin de son aval pour réaliser ce qu'ils pensaient être ses "désirs". Et ces "désirs" n'étaient pas seulement en phase avec les convictions des antisémites virulents du mouvement. Aller au devant de tels "désirs" offrait des possibilités de carrière, de promotion et d'enrichissement personnel. (...) n'importe quelle mesure ou presque pouvait se justifier en montrant qu'elle contribuait à exclure les juifs de la société allemande. Le but final d'une Allemagne purifiée des Juifs (judenreines Deutschland) servit à légitimer les initiatives politiques prises par divers ministères, instances et organismes au sein du IIIème Reich, rivalisant d'ardeur pour mettre en oeuvre ce qu'ils pensaient être la volonté du Führer"

Le fait pousser les Juifs à l'exil contentait certes les idéologues du parti, mais privait également l'Allemagne de ressources précieuses. Si l'on pouvait encore, par de multiples manoeuvres et règlements discriminatoires, empêcher les Juifs de déguerpir avec leurs biens, il n'était évidemment pas possible de retenir leur expérience et leurs talents.

Au début, les ratonnades anti-juives étaient donc sinon réprimées, du moins réprouvées par l'État nazi. Des économistes comme Hjalmar Schacht (Président de la Reichsbank), des militaires comme Herman Goering (numéro deux du régime) mesuraient en effet l'impact négatif de ces brutalités sur l'image de l'Allemagne à l'étranger, et en particulier aux États-Unis.

A chaque nouvelle poussée de brutalité plus ou moins orchestrée correspondait donc un coup d'arrêt ordonné par les plus hautes sphères de l'État,... qui en profitait néanmoins pour imposer un nouveau tour de vis et restreindre encore davantage la liberté et les droits accordés aux Juifs.

mardi 4 octobre 2005

940 - le prologue

... contrairement à ce que l'on imagine souvent, l'ascension de Hitler vers le Pouvoir, puis vers le Pouvoir absolu (Saviez-vous que... 419 à 449) n'avait rien d'inéluctable, et aurait tout aussi bien pu se terminer en déroute à de multiples reprises.

Il n'en fut hélas rien, et cette conjonction unique de purs coups de chance et de volonté personnelle, d'accidents et de calculs, permit au contraire à l'insignifiant Adolf de devenir "der Führer", le chef suprême de l'Allemagne, et le fléau du peuple juif.

Tout au long de son règne de 12 ans, Hitler a instrumentalisé l'antisémitisme comme aucun autre avant lui. Mais il est tout aussi exact d'affirmer que Hitler n'a pu exister que grâce à l'antisémitisme, lequel est immédiatement devenu pierre angulaire de son régime, et fondement de sa politique.

Le 10 mai 1933, dans toutes les villes universitaires, on commence à brûler les livres de tous les auteurs "interdits", parce que Juifs, défaitistes, décadents ou simplement "anti-allemands". Le 15 septembre 1935, les "lois de Nuremberg" déchoient tous les Juifs de leur citoyenneté allemande, interdisent les mariages mixtes et mêmes les simples relations sexuelles entre Juifs et non-Juifs.

Un instant ralentie par les Jeux Olympiques de 1936, la persécution des Juifs reprend de plus belle dès 1937. Le 9 juin 1938, la synagogue de Munich est détruite. Le 10 août, c'est le tour de celle de Nuremberg. Le 25 juillet 1937, les Juifs ne peuvent plus être médecins. Le 27 septembre, ils ne peuvent même plus être avocats.

Le 28 octobre 1938, 17 000 Juifs sont expulsés vers la Pologne. Le 7 novembre, le juif Herschel Grynszpan tire sur un obscur secrétaire de l’ambassade d’Allemagne à Paris, lequel décéde deux jours plus tard, déclenchant la "Nuit de Cristal".

Dans la nuit du 9 au 10 novembre, et dans toute l’Allemagne, les vitrines des magasins tenus par des Juifs explosent sous les coups de la population et des forces l’Ordre réunies. Près de 200 synagogues sont incendiés, 7 500 magasins ou établissements juifs pillés et saccagés. Une centaine de Juifs sont assassinés sur place, et près de 30 000 arrêtés et expédiés dans les "camps de concentration" créés par Heinrich Himmler dès le 20 mars 1933.

Ce n'est que le prologue

lundi 3 octobre 2005

939 - la naissance de l'antisémitisme

... si les historiens restent divisés entre "intentionnalistes" et "fonctionnalistes", sur le fait de savoir si la "Solution finale au problème juif" existait déjà dans l'esprit de Hitler avant même le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, ou si elle s'est au contraire progressivement imposée à lui en fonction des circonstances de la guerre, tous s'accordent au moins pour reconnaître le caractère véritablement obsessionnel de l'antisémitisme hitlérien, qui dépassait de loin la simple animosité que pouvaient éprouver Allemands et Européens ordinaires à l'égard de leurs compatriotes juifs.

Même à l'époque de Hitler, on trouvait évidemment des gens encore plus antisémites que lui - comme le propagandiste et éditorialiste du "Stürmer" Julius Streicher - mais rarement avait-on vu personnage qui s'identifiait aussi totalement (et depuis aussi longtemps) que Hitler à la lutte contre "la Juiverie", au point d'en faire un des axes fondamentaux de sa politique en tant que chef d'État.

Paradoxalement - et ce qui ajoute encore à la légende hitlérienne - personne n'est jamais parvenu à établir la "date de naissance" de l'antisémitisme hitlérien, ni la raison fondamentale de cet antisémitisme véritablement compulsif.

Au fil des années, les théories se sont allègrement succédées, mais sans jamais apporter la moindre preuve formelle. Certains ont par exemple soutenu que Hitler aurait eu un père ou un grand père juif. D'autres ont rappelé que la mère de Hitler était soignée par un médecin juif juste avant sa mort, médecin auquel Hitler aurait ensuite gardé rancune. D'autres ont souligné qu'à l'époque où le peintre raté Adolf Hitler fréquentait les asiles de nuit, ce dernier écoulait ses rares tableaux par à l'intermédiaire d'un marchand juif, auquel il aurait là encore gardé rancune.

Comme le souligne Ian Kershaw, aucune de ces théories n'a jamais pu être démontrée, et ne repose aux mieux que sur de vagues rumeurs, en sorte qu'il apparaît douteux que quelqu'un puisse jamais découvrir les raisons qui poussèrent Hitler sur la voie de l'Inhumanité...

dimanche 2 octobre 2005

938 - intention ou pas ?

... le modeste autrichien Adolf Hitler ne serait jamais devenu "Der Führer" si son pays et son époque n'avaient accueilli avec bienveillance - pour ne pas dire enthousiasme - ses idées, sa conception du monde et ses obsessions raciales, particulièrement celles relatives aux Juifs.

Hitler était antisémite parce que l'Europe, ou du moins une bonne partie d'entre elle, était antisémite. Mais Hitler a également puissamment contribué à entretenir, renforcer et développer cet antisémitisme, en sorte que l'un et l'autre, Hitler et l'Allemagne, Hitler et l'Europe, basculèrent progressivement dans ce long cauchemar qui devait finalement mener à Auschwitz et à la "Solution finale au problème juif".

Même si le débat peut paraître anecdotique au profane, les historiens restent aujourd'hui encore divisés entre "intentionnalistes" et "fonctionnalistes".

Pour les premiers, la "Solution finale" est déjà inscrite en filigrane dans l'antisémitisme ouvertement professé par Hitler dès le lendemain de la Première Guerre mondiale, et notamment dans ce passages de Mein Kampf (1924) où il affirme "Partout où j'allais, je voyais des Juifs. Et plus j'en voyais, plus mes yeux apprenaient à les distinguer nettement des autres hommes".

Dans cette optique, l'intention exterminatrice est préexistante à la Seconde Guerre mondiale, voire même à l'arrivée de Hitler au Pouvoir, un Pouvoir qui ne fut donc que l'occasion de mettre en application une volonté du Führer exprimée de longue date.

Pour les seconds, la "Solution finale" s'est au contraire imposée petit à petit, au gré des circonstances, de l'adhésion du peuple allemand, et de l'impossibilité de trouver une autre voie que celle de l'extermination pour purger l'Allemagne de ses Juifs.

Loin d'être intentionnelle, la "Solution finale" serait donc plutôt le fruit d'une succession d'incidents et d'accidents de parcours qui se seraient imposés à Hitler, comme dans ce discours prononcé au Reichstag le 30 janvier 1939, où il déclare que "s’il devait arriver que la finance juive internationale réussisse encore une fois à précipiter les peuples dans une nouvelle guerre mondiale, cela n’aurait pas pour effet d’amener la bolchevisation du globe et le triomphe des Juifs mais bien, au contraire, l’anéantissement de la race juive d’Europe".

samedi 1 octobre 2005

937 - au commencement était Hitler

... des centaines de milliers de pages ont déjà été écrites sur Adolf Hitler, et il y a gros à parier que des centaines de milliers d'autres pages seront encore écrites dans les décennies à venir, tant la personnalité de Hitler, et l'influence qu'il exerça sur son siècle, continuent de fasciner, d'interpeller, d'attirer ou d'horrifier tous ceux qui espèrent ou craignent un retour de la Bête immonde.

Pourtant, si des centaines de milliers de pages ont effectivement été écrites, la quasi-totalité concernent "le Führer", l'homme d'État, le chef de la nation allemande, le commandant suprême des armées, l'antisémite enragé et le génocidaire impitoyable.

Très peu ont en revanche été rédigées sur "l'homme Hitler", dont on sait finalement très peu de choses. Comme le souligne l'historien Ian Kershaw, auteur d'une monumentale biographie de Hitler, tout se passe en effet comme si l'individu Hitler avait été entièrement dévoré par son personnage public.

Mais si on ne trouve quasiment rien à dire sur la vie de Hitler avant qu'il n'intègre le NSDAP, en septembre 1919, c'est peut-être tout simplement parce qu'il n'y a rien à en dire, tant le personnage se révèle ahurissant de banalité, pour ne pas dire de médiocrité.

Né le 20 avril 1889, Adolf Hitler se retrouva orphelin très jeune. Physiquement banal, celui qui se prenait pour un "grand artiste" fut refusé par deux fois au concours d'entrée de l'Académie des Beaux Arts de Vienne. Se refusant à tout travail et à toute discipline, il mena une existence misérable, et coucha dans des asiles de nuit pour indigents jusqu'au déclenchement de la Première Guerre mondiale. Engagé volontaire dans l'armée allemande - "la période la plus heureuse de ma vie", comme il le déclara plus tard - il fut blessé à plusieurs reprises, et décoré deux fois, mais ne dépassa jamais le grade de simple caporal.

Sa démobilisation, en mars 1920, aurait pu, aurait dû, le renvoyer à la médiocrité et à la misère. Elle le propulsa au contraire au sein puis à la tête d'un groupuscule d'extrême-droite dont l'Histoire n'aurait jamais retenu le nom si les circonstances - mais aussi les talents de Hitler en tant que propagandiste - ne l'avaient bientôt fait connaître au monde entier.