... il est impossible de comprendre la Shoah sans faire référence à l'antisémitisme européen - et singulièrement allemand - qui existait bien avant l'arrivée de Hitler au Pouvoir.
Comme l'a écrit Tocqueville "on ne lutte point avec avantage contre l'esprit de son siècle et de son pays; et un homme, quelque puissant qu'on le suppose, fait difficilement partager à ses contemporains des sentiments et des idées que l'ensemble de leurs désirs et de leurs sentiments repoussent"
Lorsqu'un pays est déjà acquis par avance aux thèses de l'antisémitisme, il n'éprouve aucune difficulté à accepter un gouvernement ayant fait de l'antisémitisme l'axe essentiel - sinon unique - de sa politique.
Consciemment ou non, chaque citoyen allemand se métamorphosa donc en ce que le politologue Daniel Jonah Goldhagen (*) appelle "les bourreaux volontaires de Hitler", soit l'ensemble des Allemands anonymes qui acceptèrent le génocide des Juifs non seulement par contrainte, par obéissance aux ordres, par conformisme, par intérêt personnel ou par simple indifférence, mais aussi, et peut-être surtout, parce qu'ils en approuvaient les buts, sinon les moyens.
Pour l'idée que chacun d'entre nous se fait du genre humain et de son devenir, il est évidemment plus confortable de concevoir Hitler comme une monstrueuse erreur de la Nature, et la population allemande dans son ensemble comme la victime involontaire de cette monstruosité ainsi que de la poignée de carriéristes, d'idéologues et d'assassins qui l'avait séduite.
Ou encore d'imaginer les Allemands ordinaires comme autant de braves types désapprouvant fondamentalement l'antisémitisme - ou du moins se contentant d'une prudente neutralité à son égard - mais succombant malgré eux aux sirènes de la rhétorique hitlérienne, et à la puissance coercitive de ses milices armées
Ou enfin de voir en Heinrich Himmler chef de la SS, ou en Rudolf Höss commandant du camp d'Auschwitz, des Allemands véritablement extra-ordinaires plutôt que comme des individus d'une banalité affligeante, que n'importe quel autre Allemand aurait en vérité pu remplacer au pied levé et sans que l'Histoire ne change d'une seule virgule.
Rien n'est plus faux.
(*) Daniel Jonah Goldhagen, "Les Bourreaux volontaires de Hitler, les Allemands ordinaires et l'Holocauste", Seuil, 1997)
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