... contrairement aux attentes des libéraux réformateurs - et à leur propre stupeur - l'octroi des droits civils et politiques aux Juifs allemands n'avait pas poussé ces derniers à renoncer à leur "judéité", c-à-d à ce qui les distinguait "fondamentalement" des Allemands ordinaires.
"L'insistance de la collectivité juive allemande à conserver son identité, écrit l'historien Uriel Tal, était contraire à la conception libérale du progrès matériel, de l'enrichissement spirituel et des objectifs du destin national; les libéraux en sont donc venus à regarder les Juifs, prototypes du particularisme, comme l'obstacle essentiel à l'unité nationale et spirituelle"
"Voyant leurs espoirs bafoués, les libéraux n'avaient plus dans leurs bagages que le modèle culturel du Juif comme étranger", ajoute Daniel-Jonah Goldhagen."Et ils étaient de plus en plus enclins à adopter l'unique explication convaincante du caractère pernicieux des Juifs, désormais considéré comme immuable : les Juifs constituaient une race"
Ce glissement progressif de l'antisémitisme traditionnel, fondé sur la religion, à un antisémitisme "racial", de la discrimination "divine" à la discrimination "naturelle", devait avoir de très graves conséquences.
Fondé sur la religion, l'antisémitisme médiéval considérait le Juif comme un individu certes maléfique - et d'ailleurs souvent associé à Satan - mais qui demeurait néanmoins réformable, puisque simplement égaré sur la voie d'une mauvaise religion, d'une mauvaise interprétation du message divin.
Fondé sur la "race", l'antisémitisme laïc et moderne de l'État-nation ne pouvait au contraire que le condamner à l'expulsion ou l'extermination.
Parce qu'il était "racialement différent", le Juif était et resterait à jamais différent des Allemands. Là où un prêtre et le talent d'un bourreau pouvaient autrefois suffire à transformer en Chrétien jusqu'au Juif le plus convaincu, il aurait à présent fallu des quantités véritablement astronomiques de "sang allemand" pour extirper jusqu'à la moindre trace de "judéité" du Juif le plus banal.
A contrario, il suffisait de quelques gouttes de "sang juif" pour contaminer le peuple allemand, ce que les théoriciens de l'antisémistisme ne manqueraient pas d'exploiter à leur avantage...
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