vendredi 31 mars 2006

1118 - la bombe polonaise

... la démonstration de la culpabilité des accusés à l'endroit du "complot" et des "crimes contre la paix" aurait assurément gagné en force et en pertinence si les accusateurs n'en avaient pas eux-mêmes fait partie.

La bombe éclate le 25 mars 1946, lorsque Alfred Seidl, avocat de Rudolf Hess, se met à expliquer les étranges circonstances entourant la signature du Pacte germano-soviétique - dit pacte "Ribbentropp-Molotov" - du 23 août 1939. Un pacte qui figure parmi les documents présentés au procès.

"Un protocole secret existe !", affirme l'avocat (1). "Cet accord secret", ajoute-t-il, "contenait essentiellement la détermination des zones d'influence des deux États dans le territoire européen [la Pologne] qui se trouvait entre l'Allemagne et la Russie".

Stupéfaction du juge britannique, qui après un bref échange avec Seidl, l'autorise à poursuivre. Seildl brandit alors un affidavit de Friedrich Gauss qui, en 1939, était le chef du service juridique du Ministère des Affaires étrangères allemand. Cet affidavit ne figure pas parmi les pièces soumises au Tribunal mais, souligne Seidl, les passages qu'il souhaite en lire publiquement sont fort brefs et très facilement traduisibles par les nombreux traducteurs siégeant au Tribunal.

Décontenancé, Lawrence s'adresse alors aux représentants du Ministère public, et leur demande s'ils ont une objection à formuler. La réponse fuse, immédiate, du banc de Rudenko, le procureur soviétique : c'est un Niet catégorique.

Seidl contre-attaque : s'il ne peut lire ce document au prétexte que le Ministère public n'en avait pas préalablement eu connaissance, qu'il soit alors permis de faire citer Vyacheslav Mikhailovich Molotov à la barre (!)

Refus de Lawrence, et fin provisoire de la controverse.

Ce n'est que partie remise...

(1) Wieviorka, page 71

jeudi 30 mars 2006

1117 - à quand la fin ?

... la lenteur et le caractère par trop technique des débats du procès de Nuremberg exaspérèrent rapidement une opinion publique qui, il faut bien le dire, se souciait peu de Justice ou de Vérité, et réclamait plutôt vengeance et force pendaisons pour les anciens maîtres du Troisième Reich.

"Les esprits aux États-Unis", écrit Irving, "étaient enflammés par la lenteur avec laquelle se déroulait le procès. Les semaines s'écoulaient sans qu'on puisse en voir la fin. Le juge soviétique, le général Nikitchenko, fit circuler parmi ses collègues une note exprimant son appréhension à l'égard des délais et de leur effet défavorable sur l'opinion publique.

Les mois de procédures judiciaires monotones, de bonne chère et d'alcool abondants, commençaient à prélever leur tribut sur les juges et les procureurs. Leur acuité intellectuelle en souffrait. Chacun trouvait l'autre irritant. Leurs documents personnels révèlent une histoire quasiment sans fin de cocktails et de banquets tenus sous les plus légers prétextes. Sir David Maxwell-Fife, le procureur britannique, organisa ainsi un réception le 6 février 1946 pour Auguste Champetier de Ribes, le vieux procureur français appelé à remplacer François de Menthon (1), et naturellement, de la manière la plus inappropriée, les juges britanniques et américains furent invités à se joindre à la réception.


(...) La bamboche continua. Quelques semaines plus tard, le juge Biddle assista ainsi à une soirée dansante donnée par les procureurs russes afin de célébrer la fête de l'Armée rouge. Une soirée qu'il trouva très gaie et fort distrayante" (2)

(1) François de Menthon venait d'être nommé Ministre de la Justice
(2) Irving, page 300

mercredi 29 mars 2006

1116 - des complicités coupables

... prouver l'existence d'un "complot" destiné à commettre des "crimes contre la paix" durant près de 25 ans et - surtout - prouver que chacun des accusés, à titre individuel, connaissait tous les tenants et aboutissants du dit complot, et y adhérait personnellement et totalement, est une mission véritablement impossible, dans laquelle aucun tribunal moderne n'accepterait d'ailleurs de se lancer.

De plus, comme les avocats de la Défense s'empressent de le rappeler, l'attitude on ne peut plus conciliante de la France et de la Grande-Bretagne - et même des États-Unis - à l'égard du régime hitlérien dans l'avant-guerre a puissamment contribué au développement de ce dernier, et donc à la perpétration des "crimes contre la paix"

"La remilitarisation de la Rhénanie", souligne ainsi l'avocat de Hjalmar Schacht, "l'introduction du service militaire obligatoire, le réarmement, le rattachement de l'Autriche à l'Allemagne, tout cela contredit, dans l'esprit et dans la lettre, les pactes signés. Mais lorsque de telles violations n'éveillent que des protestations de pure forme et, qu'après cela, on en reste à des rapports extérieurement amicaux, qu'on en vient même à des gestes honorifiques envers l'État coupable de ces violations (...) on peut très bien penser que le traité tombe en désuétude" (1)

Tout cela n'arrange pas les affaire d'un procès que beaucoup commencent à trouver fort long (2)

(1) Wieviorka, page 67
(2) notons néanmoins que le "procès Milosevic" venait d'entrer dans sa cinquième année lorsque l'accusé décéda dans sa cellule...

mardi 28 mars 2006

1115 - Conspiration

... Pour Robert Gellately, "l'Accusation [du Procès de Nuremberg] exagéra l'intentionnalité et la cohérence des plans et des choix politiques nazis".

"Les États-Unis, écrit-il, accueillirent avec un enthousiasme tout particulier l'accusation de conjuration, qui n'était pas étrangère au Droit américain (...) [et qui] avait l'avantage de permettre de rattacher les violations des Droits de l'Homme et de la Loi d'avant 1939 aux crimes autrement plus terribles commis au cours de la guerre".

Mais ce faisant, l'Accusation se condamnait hélas à la tâche - véritablement impossible - de "prouver [hors de tout doute] qu'il existait un plan clair, avec des objectifs partagés par les accusés dès le début du régime".

A contrario, poursuit-il, les avocats des accusés "ne manquèrent aucune occasion de montrer, non sans vraisemblance, qu'une confusion considérable caractérisait l'autorité sous le Troisième Reich. Ils expliquèrent que le système administratif et gouvernemental du régime était aventureux, incohérent et inefficace (1) Les accusés prirent l'habitude de plaider l'ignorance et d'insister sur le caractère hautement compartimenté de l'administration nazie. Tous prétendirent n'en avoir eu qu'une connaissance limitée et n'avoir jamais trempé dans quelque conspiration à long terme que ce soit (2)

Mieux aurait sans doute valu se concentrer sur les aspects les plus paroxystiques et les plus criminels du Troisième Reich - soit les "crimes de guerre" et les "crimes contre l'Humanité" - que sur des allégations de "complot" aussi vagues que difficiles à démontrer...

(1) à ce sujet : Kershaw, Hitler, volume I et II
(2) Gellately, page 18

lundi 27 mars 2006

1114 - "Les Américains ne se sont-ils pas emparés de la Californie et du Texas ?"

... presque entièrement oubliée aujourd'hui, la recherche du "complot" en vue de commettre des "crimes contre la paix" constitue pourtant le principal volet du Procès de Nuremberg.

En vérité, c'est d'ailleurs le seul qui intéresse les Américains qui,
pendant des mois, vont patiemment tenter de démonter toute la mécanique du nazisme, de la formation du NSDAP, en 1919 - quand ce parti comptait moins d'une trentaine de membres actifs - jusqu'à à l'effondrement final du Troisième Reich, en 1945 - quand plus de huit millions et demi d'Allemands adhéraient au national-socialisme.

Aussi documenté soit-il, ce volet tient davantage de la recherche historique que d'une véritable démonstration juridique : difficile en effet de déterminer ce qui distingue véritablement les visées expansionnistes de l'Allemagne nazie de toutes celles des dictatures - et même des démocraties - qui l'ont précédé dans l'Histoire.

"Chansons que tout cela !", s'exclame d'ailleurs Hermann Goering. "Les Américains ne se sont-ils pas emparés de la Californie et du Texas ? C'est bien aussi une simple guerre agressive en vue d'une expansion territoriale !" (1)

(1) Wieviorka, page 58

dimanche 26 mars 2006

1113 - vingt-et-un pauvres types

... à chaque audience publique - il y en aura 403 - les accusés comparaissent selon le même cérémonial soigneusement réglé, et retrouvent à chaque fois leur place désignée sur le banc d'infamie,... du moins lorsque leur état de santé le permet.

Affirmer que les accusés, encadrés en permanence par d'immenses policiers militaires américains au casque blanc et à l'uniforme immaculé, affirmer que les accusés n'impressionnent guère relève de l'understatement.

Comme le souligne le grand Joseph Kessel, qui fut témoin des audiences, "aucun de ces vingt hommes [comme souvent, Kaltenbrunner est absent] dont je scrute les figures avec une avidité passionnée, aucun ne porte sur le front ou dans les yeux la moindre trace, le moindre reflet, la plus petite justification de leur gloire passée, ou du terrifiant pouvoir qui fut le leur (...) Ils sont là aussi, serrés les uns contre les autres, tous aussi insignifiants ou vulgaires ou médiocres. Oui, les voici, les anciens maître insolents et impitoyables, les faux demi-dieux. Les voici, tirés de leur cellule, conduits jusqu'à leur banc pour la deuxième semaine de leur procès. Ils ne sont plus que des accusés déjà pliés à l'inflexible ordonnance des débats, déjà rodés aux servitudes de leur chute" (1)

(1) Wieviorka, page 40

samedi 25 mars 2006

1112 - le tribunal s'amuse

... Au Grand-Hôtel de Nuremberg, où il se rendait presque chaque soir, le Français Edgar Faure remarqua que "c'est là que nous recevions les visiteurs qui, par un roulement ininterrompu, venaient depuis les capitales victorieuses faire une brève incursion dans cette enclave consacrée à la Justice et à l'Histoire" [et, sans doute accessoirement, y faire également ample provision de vins et nourriture fine] (...) J'éprouvais quelque surprise à voir le Président de la Cour, M Justice Lawrence, qui semblait surgir d'une illustration de Dickens, lever haut la jambe comme l'impliquait une figure de danse à la mode" (1)

Après avoir initialement pesté contre "ces Français et Britanniques" qui, parce qu'ils étaient "si près de chez eux" avaient décidé de suspendre les travaux et de partir en vacances à partir du 20 décembre 1945, le Procureur général américain, Robert Jackson, décida finalement de les imiter en s'octroyant lui aussi deux semaines de villégiature à travers toute l'Europe, et ce dans le train privé généreusement mis à sa disposition par le général McNarney, gouverneur militaire américain.

Un train privé qui, jusqu'en mai 1945, n'était autre que celui de... Hermann Goering

Plus conventionnel, le juge Biddle passa quant à lui ses vacances à Paris, où il écrivit à sa femme qu'ayant rencontré à l'ambassade de Grande-Bretagne une secrétaire "à la peau et à la poitrine superbes" (sic), celle-ci - sa femme - ferait mieux de le rejoindre rapidement "si elle se souciait de lui" (2)


(1) Wieviorka, page 36
(2) Irving. page 265

vendredi 24 mars 2006

1111 - much vodka and fun and about thirty speeches

.... contrairement à ce que montreront par la suite le cinéma et la télévision, le procès de Nuremberg est d'abord et avant tout un procès technique, en particulier en raison des procédures anglo-saxonnes privilégiant la lecture d'interminables déclarations sous serment et de documents divers (plusieurs centaines de milliers) au détriment de l'audition des témoins (166 seulement, de l'accusation comme de la défense,... soit environ une audition de témoin par trois séances publiques !)

De l'avis de tous ceux qui y participent, Nuremberg est d'ailleurs un procès fort long (il durera près d'un an) et effroyablement ennuyeux (403 séances), notamment à cause des contraintes de la traduction simultanée, qui y effectue ses débuts mondiaux et contraint chaque locuteur à adopter un débit aussi lent que dépassionné

Mais si l'on s'ennuie énormément dans la salle, on peut du moins se distraire en dehors des audiences.

Présent chez le procureur Rudenko au cours d'un de ces innombrables dîners où juges et procureurs s'invitent les uns les autres pour de copieux repas et d'innombrables toasts, le juge américain Francis Biddle - grand buveur devant l'Éternel - ne peut s'empêcher de noter dans son journal "much vodka and fun and about thirty speeches" (1)

Quant aux quelques 200 journalistes appelés à suivre ce procès, ils peuvent toujours, lorsqu'ils ne sont pas déjà invités ici et là, trouver à se distraire dans une ville - une des rares en Europe - où l'on bénéficie de l'électricité, de l'eau, du téléphone et des tramways, rétablis par l'armée américaine. Cette même armée américaine qui, pour les loger, loue "à prix d'ami" un monstrueux château dont le propriétaire n'est autre - admirez le symbole - que la société Faber-Castell, reine du crayon...

(1) Irving, page 281. A cet égard, on ne peut que partager l'opinion d'Irving lorsqu'il condamne cette constante complicité entre juges et procureurs, complicité que les juges ne partagèrent jamais avec les avocats de la Défense...

jeudi 23 mars 2006

1110 - le triomphe de l'écrit

... A tous égards, le Procès de Nuremberg est le triomphe de l'écrit sur l'oral.

"Il semble, s'extasie un témoin, que toutes les archives officielles publiques, privées ou secrètes du Troisième Reich n'aient été conservées par des fonctionnaires consciencieux que pour être utilisées par la suite contre les anciens maîtres de l'Allemagne" (1)

Peut-être. Mais il n'en demeure pas moins que la présentation et la lecture de ces milliers et milliers de documents et témoignages, et leur traduction dans les quatre langues officielles des débats, rendent les audiences d'autant plus ennuyeuses que les auditions de témoins, à charge ou à décharge, sont par ailleurs fort rares. Goering lui-même, la seule véritable "vedette" de ce procès, ne prendra la parole en tant que témoin que le 13 mars 1946, après quatre mois d'audiences...

Accusé lui aussi, mais finalement acquitté, l'insignifiant Hans Fritzsche ne peut d'ailleurs s'empêcher de noter que "D'emblée, la salle paraît silencieuse et paisible. On entend quelqu'un parler quelque part, et on a l'impression d'assister à une simple conversation. En apparence, il ne se passe rien : c'est une pièce sans action jouée par des muets. Il est impossible de deviner que les vainqueurs sont en train d'évaluer la responsabilité de ceux qui ont déclenché la guerre (...) Seuls les écouteurs placés devant chaque siège laissent supposer qu'il se passe quelque chose dans cette salle, traduisant en quatre langues ce que l'orateur débite à voix basse" (2)

(1) Wierviorka, page 46
(2) ibid, page 48

mercredi 22 mars 2006

1109 - l'heure de Jackson

... la lecture du réquisitoire préliminaire du procès de Nuremberg constitue indubitablement l'heure de gloire de Robert Jackson, celle qui va définir le ton, l'esprit et le but des mois de travaux et d'auditions qui vont suivre

"Ce procès, déclare le procureur général américain, représente l'effort d'ordre pratique de quatre des plus puissantes nations, avec l'appui de dix-sept autres, pour recourir au Droit international afin de faire face à la plus grande menace de notre temps : la guerre d'agression (...)".

"Ce qui constitue l'importance de ce procès, souligne-t-il, c'est que ces prisonniers représentent des influences sinistres qui se dissimuleront de par le monde, bien après qu'eux-mêmes seront retournés en poussières. Nous montrerons qu'ils sont des symboles vivants des haines raciales, du terrorisme et de la violence, de l'arrogance et de la cruauté du pouvoir (...)"

"La véritable partie plaignante à votre barre est la Civilisation", conclut-il. "Dans tous nos pays, la Civilisation est encore imparfaite et elle doit lutter. Elle ne prétend pas que les États-Unis ou tout autre pays n'ont pas une part de responsabilité dans les circonstances qui ont fait du peuple allemand une proie facile pour les flatteries et les menaces des conspirateurs nazis. Mais elle souligne l'épouvantable suite d'agressions et de crimes que j'ai énumérés (...)"

"La seule ressource des accusés, prévient Jackson, peut seulement résider dans leur espoir que le Droit international soit tellement en retard sur le sens moral de l'Humanité qu'une conduite que ce sens moral qualifie de criminelle ne puisse être considérée comme répréhensible aux yeux du Droit. La Civilisation demande si le Droit est lent au point d'être absolument inefficace lorsqu'il s'agit de crimes d'une telle ampleur commis par des criminels. Elle n'espère pas que vous puissiez rendre la guerre impossible, mais elle espère que votre décision placera la force du Droit international, ses prescriptions, ses défenses, et surtout ses sanctions, au service de la paix, en sorte que les hommes et les femmes de bonne volonté, dans tous les pays, puissent avoir la permission de vivre sans en demander l'autorisation à quiconque, sous la protection du Droit" (1)

(1) Wieviorka, pp 44 à 46

mardi 21 mars 2006

1108 - "Si cette histoire a besoin d'un héros"

... Aux yeux de tous les observateurs, Hermann Goering restera incontestablement la vedette du Procès de Nuremberg.

Mais "si cette histoire a besoin d'un héros, alors celui-ci s'appelle Jackson" (1). Plus que tout autre, le procureur-général américain est en effet le maître d'oeuvre, la véritable âme de ce procès. Un procès qu'il a organisé de bout en bout, et voulu le plus fidèle possible à ses propres idées, et donc à ses propres qualités et défauts.

On le lui reprochera.

Né en 1892, Robert Houghwout Jackson est en effet un idéaliste, un membre du Parti Démocrate américain, et un supporter inconditionnel de Franklin Delano Roosevelt, lequel l'a nommé à la Cour Suprême. Et c'est tout naturellement à lui que le Président Trumann - successeur de Roosevelt - a songé lorsqu'il s'est agi de trouver l'homme qui allait instruire et incarner le procès des "grands criminels de guerre nazis"

"Le privilège d'inaugurer dans l'Histoire le premier procès pour ces crimes contre la paix du monde impose de graves responsabilités", déclare Jackson devant la Cour. "Les crimes que nous cherchons à condamner et à punir ont été si prémédités, si néfastes et si dévastateurs que la civilisation ne peut tolérer qu'on les ignore, car elle ne pourrait survivre à leur répétition. Que quatre quatre grandes nations, exaltées par leur victoire, profondément blessées, arrêtent les mains vengeresses et livrent volontairement leurs ennemis captifs au jugement de la loi, est un des plus grands tributs que la force paya jamais à la raison" (2)

(1) Irving, page 7 (2) Wieviorka, page 44

lundi 20 mars 2006

1107 - le juste ton

... d'emblée, le juge en chef, le Britannique Geoffrey Lawrence, est
parvenu à définir le juste ton de ce procès, et à l'imposer aux accusés.

Pas question, comme on le verra hélas soixante ans plus tard, dans le "procès Milosevic", de permettre aux accusés de multiplier les
manoeuvres dilatoires, ni d'empêcher de quelque manière que ce soit la poursuite des débats.

Si un ou plusieurs des accusés refusent d'assister aux audiences, ou
invoquent l'une ou l'autre raison médicale pour s'y soustraire, le
procès se déroulera quand même sans eux, comme Kaltenbrünner l'apprendra bientôt à ses dépens.

Depuis le suicide de Robert Ley dans sa cellule, les Américains vivent par ailleurs dans la hantise de voir un autre accusé disparaître de la scène avant l'heure du verdict. Ils ont donc multiplié les rondes et le nombre de gardiens affectés à chaque prisonnier, et interdit tout objet - tel que ceinture ou cravate - qui pourrait les aider à mettre prématurément fin à leurs jours. Plusieurs médecins et psychologues accompagnent également les détenus en permanence, et veillent là encore à ce qu'ils restent en vie jusqu'à l'heure du châtiment.

Il faut dire que, toute velléité de suicide mise à part, nombre des accusés sont déjà fort âgés (Frick et Schacht ont 69 ans, Raeder 70 ans, Von Neurath 73 ans) et/ou en mauvaise santé (Goering est cardiaque, Hess mentalement dérangé, Kaltenbrünner a fait plusieurs
hémorragies cérébrales).

Dans cette Europe de l'après-guerre où l'on manque de tout, et notamment de nourriture, de médicaments et de confort, il importe donc, si l'on veut que les accusés soient encore en vie au moment du verdict, il importe donc que le procès soit mené sinon tambour battant, du moins à
un rythme soutenu.

En un peu moins d'un an, le Tribunal de Nuremberg parviendra ainsi à juger vingt-et-une personnes accusées des pires crimes du 20ème siècle.

Par comparaison, le procès Milosevic, où l'intéressé était le seul inculpé - et pour des crimes infiniment moins conséquents - venait d'entrer dans sa cinquième année de procédures lorsque l'intéressé décéda, le 11 mars 2006...

dimanche 19 mars 2006

1106 - coupable ou non coupable ?

... Martin Bormann toujours "absent", Gustav Krupp "excusé", Robert Ley retrouvé pendu dans sa cellule, les accusés ne sont donc plus que vingt-et-un lorsque débute enfin, le 20 novembre 1945, la lecture d'un acte d'accusation qui va durer cinq heures.

Le lendemain, chacun des accusés se voit demander - procédure anglo-saxone oblige - s'il plaide coupable ou non-coupable. Tous choisissent de plaider non-coupable (1).

Interrogé le premier, Hemann Goering essaye néanmoins de prendre la parole et de lire la déclaration qu'il prépare depuis plusieurs jours. Le Président du Tribunal, Geoffrey Lawrence, l'interrompt immédiatement. "J'ai annoncé, dit-il, que les accusés n'étaient pas autorisés à faire une déclaration. Vous devez plaider coupable ou non-coupable !" (2)

Sans doute peu habitué à se faire rabrouer de la sorte, Goering s'incline et plaide non-coupable.

Mais ce ce n'est que partie remise, car si la Justice n'est pas censée être un spectacle, Hermann Goering sera pourtant l'incontestable vedette du Procès de Nuremberg, éclipsant de loin tous ses co-accusés et, fréquemment, l'Accusation elle-même.

(1) tout au long du procès, les accusés ne cesseront d'ailleurs de reporter la responsabilité des faits sur la personne de Himmler, Goebbels, et bien entendu Hitler, regrettant à maintes reprises que ce dernier ait préféré se suicider plutôt que de se retrouver à leurs côtés et "d'assumer sa juste part du fardeau"
(2) Wieviorka, page 43

samedi 18 mars 2006

1105 - la Défense

... chacun des accusés du procès a eu la possibilité de se faire représenter par un avocat librement choisi sur une liste en principe expurgée de tout membre de l'ex parti nazi.

Même les "organisations" sont représentées par un avocat qui, dans ce cas, a été désigné d'office.

Globalement, les avocats vont s'acquitter de leur tâche avec professionnalisme et même, dans certains cas, avec ténacité et brio, comme Otto Kranzbühler, qui n'hésitera pas à réclamer - et à obtenir - le témoignage du grand amiral Nimitz comme témoin à décharge de son client, Karl Dönitz; ou Alfred Seidle qui, dans le cadre de la défense d'un Rudolf Hess passablement absent sur le plan mental, déposera bientôt une bombe juridique dans le jardin des Soviétiques - mais n'anticipons pas.

Même si les esprits chagrins continuent d'affirmer que Nuremberg fut la Justice des vainqueurs appliquée aux vaincus - et comment aurait-il pu en être autrement - l'objectivité pousse néanmoins à reconnaître que des efforts aussi importants que véritablement inédits dans l'Histoire des guerres furent déployés par les premiers en faveur des seconds, dont plusieurs bénéficièrent d'ailleurs de peines légères, ou furent carrément acquittés, à la surprise générale, de toutes les charges retenues contre eux.

Bien sûr, dans bon nombre de cas, la tâche des avocats s'avérera cependant impossible - quel avocat au monde aurait-il pu sauver Goering de la corde ? quel autre avocat aurait-il pu empêcher la condamnation de la SS en tant "qu'organisation criminelle" ?

Mais après tout, comme le fit remarquer le Procureur général américain dans un moment de mauvaise humeur, "ce témoin [Hermann Goering] (...) [se voit accorder par le tribunal] un procès tel qu'il n'en a jamais accordé à âme qui vive" (1)

(1) Wieviorka, page 160

vendredi 17 mars 2006

1104 - l'Accusation

...Tout comme le jury, le ministère public du procès de Nuremberg est également composé de quatre représentants issus des quatre puissances victorieuses.

Cependant, vu l'ampleur de la tâche, et les milliers de documents à étudier, chaque procureur national se retrouve flanqué de plusieurs procureurs adjoints.

A ce petit jeu, les Américains sont bien entendu les plus nombreux. A tout seigneur tout honneur, le Procureur général, Robert Jackson, dispose ainsi de pas moins de trente-deux adjoints. Le procureur britannique en a sept, le russe neuf, et le français dix.

Pour faciliter les choses, et éviter autant que possible les conflits de compétence, les quatre puissances se sont également entendues sur un partage du travail. Ainsi, Américains et Britanniques instruiront les deux premiers chefs d'accusation, soit le "complot" et les "crimes contre la Paix", auxquels les Américains - nous l'avons vu - sont très attachés.

De leur côté, Français et les Russes se chargeront des deux derniers volets du procès, à savoir les "crimes de guerre" et les "crimes contre l'Humanité".

C'est une erreur

jeudi 16 mars 2006

1103 - les Juges

... pour juger les accusés du Procès de Nuremberg, les quatre puissances se sont entendues pour désigner chacune un juge effectif et un juge suppléant.

Dans un premier temps, les Américains souhaitaient confier la présidence du jury à leur compatriote, Francis Biddle. Mais comme ils assumaient déjà l'organisation du procès de A jusque Z, et que le Procureur général, Robert Jackson, était également américain, ils ont finalement jugé préférable - ou en tout cas plus diplomatique - de laisser cet honneur au juge britannique, Geoffrey Lawrence, dont la réputation fait heureusement l'unanimité.

Les Britanniques, justement, auraient préféré un procès très court - une quinzaine de jours - mais celui-ci va durer près d'un an. Qu'importe : les Américains payeront la facture...

Dans ce procès où l'on réclame la peine de mort, les quatre juges internationaux statuent souverainement. Il n'y a aucun degré d'appel. Plus tard, cette absence de toute possibilité d'appel choquera de nombreux esprits.

Mais en cette fin d'année 1945, dans ce tribunal qui se dresse tel un phare au milieu d'une ville, d'un pays et même d'un continent en ruines, personne ne s'en offusque et n'admettrait du reste que le verdict ne livre un important lot de condamnés à mort...

mercredi 15 mars 2006

1102 - Bormann : le grand absent

... Martin Bormann est assurément le grand absent du Procès de Nuremberg.

Membre du NSDAP dès 1925, Bormann est député du Reichstag en 1933, puis adjoint de Hess jusqu'en 1941, lorsqu'il lui succède comme chef de la Chancellerie du Parti, avant d'y ajouter le titre de secrétaire personnel de Hitler en 1943.

A tous égards, Martin Bormann est l'homme de l'ombre, l'éminence grise qui seule peut accorder - ou non - le précieux droit de visite à tous ceux qui désirent converser avec le Führer. C'est aussi celui qui signe quantités de décrets, comme celui du 1er juillet 1943, accordant à Adolf Eichmann un pouvoir absolu sur les Juifs du Reich, lesquels relèvent désormais de la Gestapo, et non plus des tribunaux civils.

Mais Bormann a disparu depuis le 1er mai 1945, en compagnie d'un petit groupe de fugitifs que plus personne n'a jamais revu. Si la défense de Bormann tente de déclarer l'action judiciaire éteinte, le Tribunal ne l'entend pas de cette oreille, et finit par le condamner à mort par contumace.

Dans les années qui suivent, de nombreuses rumeurs font état de la présence de Bormann dans divers pays d'Amérique du Sud. En 1972, pourtant, deux squelettes sont découverts sur le site d'un chantier de construction à Berlin.

Les dossiers dentaires et un examen medico-pathologique, permettront de les identifier comme ceux de Martin Bormann et Ludwig Stumpfegger qui, incapables de trouver une sortie dans un Berlin en flammes, avaient préféré se suicider plutôt que de tomber aux mains des Russes.

mardi 14 mars 2006

1101 - Fritzsche : l'inconnu de la dernière heure

... le nom d'Hans Fritzsche n'a été ajouté sur la liste des accusés qu'à la dernière minute, et uniquement pour faire plaisir aux Russes, ulcérés de n'avoir qu'un seul "gros poisson" sous la main quand leurs alliés occidentaux en possédaient vingt-deux.

De fait, à Nuremberg, personne ne connaît cet homme qui semble surgir de nulle part. Journaliste, animateur de radio, Hans Fritzsche n'adhère au NSDAP qu'en 1933,.. lorsque le service où il travaille est tout bonnement intégré à l'omniprésent Ministère de la Propagande de Joseph Goebbels, dont il est devient un des principaux collaborateurs.

Promu directeur du département de Presse, il exerce le contrôle - ou plus exactement la censure - sur plusieurs centaines de journaux et hebdomadaires. En 1942, il se retrouve, toujours sous la direction de Goebbels, directeur de la section de radiodiffusion, ce qui lui permet cette fois de contrôler et censurer tout ce qui se raconte sur les radios allemandes.

De toute évidence, l'intéressé n'est pourtant pas du même calibre que ses co-accusés, qui d'ailleurs n'ont jamais entendu parler de lui. Malgré tous les efforts et les protestations du juge soviétique, le Général Nikitchenko, le Tribunal est donc forcé de conclure que :

"Il semble que Fritzsche ait quelque fois, au cours de ses émissions, fait des déclarations énergiques qui n'étaient autre chose que de la propagande. Mais le tribunal n'en infère pas pour autant qu'elles aient eu pour but d'inciter les Allemands à commettre des atrocités sur les peuples conquis. On ne peut donc pas l'accuser d'avoir participé aux crimes en question. En fait, il cherchait plutôt à susciter un mouvement d'opinion favorable à Hitler et à l'effort de guerre allemand" (1)

Acquitté de toutes les charges qui pesaient contre lui, Hans Fritzsche est néanmoins, tout comme Schacht et Von Papen, attendu à la sortie par la Justice allemande. Là encore, un tribunal allemand de dénazification le condamne à neuf ans d'emprisonnement, avant de le libérer en 1950. Il meurt d'un cancer à Cologne, trois ans plus tard.

(1) Wieviorka, page 171

lundi 13 mars 2006

1100 - Raeder : le gars de la marine

... le nom d'Erich Raeder n'a été ajouté à la liste des "grands criminels" que pour faire plaisir aux Russes, dont il est le seul prisonnier d'envergure.

Officier de carrière - comme Dönitz, dont il est l'aîné de 15 ans - Raeder sert dans la marine impériale allemande lors de la Première Guerre mondiale. Sans être nazi lui-même, Raeder n'en est pas moins supporter de Hitler,... surtout lorsque ce dernier se met en tête de refaire de l'Allemagne une grande puissance navale. Commandant en chef de toute la Kriegsmarine, et promu grand-amiral en 1939, Raeder se heurte régulièrement à Goering - commandant en chef la Luftwaffe - dans l'attribution des crédits militaires.

La flotte de surface allemande se révélant de plus en plus décevante à mesure que la guerre se prolonge, l'étoile de Raeder ne cesse de pâlir, et s'éteint complètement le 31 décembre 1942, après l'échec des croiseurs Admiral Hipper et Lützow contre le convoi JW-51B. Cet échec, qui fait suite à celui de cette même flotte de surface contre le convoi PQ-17 cinq moins auparavant, dans le cadre de l'opération "Rösselsprung" (1), provoque la fureur de Hitler, et la démission de Raeder, remplacé quelques jours plus tard par l'amiral Dönitz.

Reconnu coupable des trois premiers chefs d'inculpation, Raeder est condamné à la prison à vie alors que, curieusement, son successeur n'écope que de dix ans (!) Cette disproportion, et le remous suscité par le "document Nimitz" - dont Raeder bénéficie par ricochet - entraîne néanmoins sa libération anticipée en 1955...

(1) Saviez-vous que... - 588 à 592 : gros succès au niveau des résultats, et de la destruction quasi-complète du convoi PQ-17, l'opération "Rösselsprung" fut en revanche un échec total pour la flotte de surface allemande.

dimanche 12 mars 2006

1099 - Von Neurath : l'homme qui ne savait pas dire non

... le nom de Konstantin Von Neurath n'a été ajouté à la liste des "grands criminels" que pour faire plaisir aux Français, dont il est le seul prisonnier d'envergure.

Diplomate de carrière - comme Von Papen - Von Neurath, après plusieurs ambassades, se retrouve nommé Ministre des Affaires étrangères en 1932, dans le cabinet d'un certain... Von Papen. Après la démission de Von Papen du poste de Chancelier, il conserve néanmoins son portefeuille dans le bref cabinet Von Schleicher et même, quelques semaines plus tard, dans celui d'Adolf Hitler.

Bien que très orienté à droite, Von Neurath n'éprouve cependant aucune sympathie particulière pour Hitler (1) lequel le maintient néanmoins à son poste jusqu'en 1938, avant de le remplacer par un Von Ribbentropp jugé sinon plus capable, du moins plus servile.

Resté Ministre sans portefeuille, Von Neurath se voit alors offrir le Protectorat de Bohème-Moravie en 1939. Hitler est néanmoins tellement insatisfait de la manière dont l'intéressé tente de réduire la résistance tchèque qu'en septembre 1941, il le relève de l'essentiel de ses attributions, et le remplace par le beaucoup plus sanglant Reynhard Heydrich.

A Nuremberg, Von Neurath est reconnu coupable des quatre chefs d'inculpation,... mais condamné à 15 ans d'emprisonnement seulement, ce qui en dit long sur la perplexité du Tribunal à l'égard de son cas. Pour les juges, Von Neurath est surtout l'homme qui n'a jamais su dire non.

Libéré de Spandau en 1954 pour raisons de santé, Konstantin Von Neurath meurt deux ans plus tard.

(1) Von Neurath n'adhèrera au NSDAP qu'en 1937, sans doute parce que là non plus, il n'avait pas su dire non

samedi 11 mars 2006

1098 - Von Papen : l'homme intelligent

... à l'instar de Hjalmar Schacht, Franz Von Papen est un homme très intelligent, ou qui du moins a eu l'intelligence de pactiser avec le régime nazi sans jamais trop se compromettre avec lui.

Diplomate de carrière, Chancelier du Reich en 1932 (sous Hindenbourg), Vice-Chancelier en 1933 (sous Hitler), député au Reichstag, membre éminent du Zentrum (le parti social-chrétien allemand), Von Papen joue un grand rôle dans l'accession au Pouvoir d'un Hitler qu'il considère comme le seul homme capable de sortir l'Allemagne de l'ornière, et un Hitler qu'il est convaincu, comme tant d'autres, de pouvoir maîtriser.

Mais, telle la créature du docteur Frankenstein, le monstre échappe à son créateur, et Papen juge plus sage de prendre du recul et de retourner à la diplomatie. Ambassadeur en Autriche jusqu'à l'Anschluss, il se retrouve à nouveau ambassadeur, mais cette fois en Turquie, jusqu'en 1944. Et continue d'inciter le Führer à négocier une paix avec les Alliés occidentaux (1)

A Nuremberg, Von Papen est inculpé des deux premiers chefs d'inculpation - "complot" et "crimes contre la Paix". Mais si l'accusation dénonce son rôle dans l'accession de Hitler au Pouvoir, puis dans l'annexion de l'Autriche, elle s'avère néanmoins incapable de démontrer sa participation à un quelconque complot visant à commettre un crime contre la paix... et d'autant moins que l'Anschluss, où Von Papen a pourtant joué un grand rôle, n'entre pas dans la Charte du Tribunal

Von Papen est donc acquitté. Mais, comme c'est également le cas avec Schacht, un tribunal allemand de dénazification l'attend à la sortie de la prison de Nuremberg et, en 1947, le condamne - tout comme Schacht - à huit ans de réclusion avant qu'un autre tribunal ne l'acquitte, cette fois définitivement, deux ans plus tard...

(1) Kershaw, Hitler, volume II, page 1048

vendredi 10 mars 2006

1097 - Jodl : l'alter-ego

... Alfred Jodl est l'alter-ego de Keitel, au point qu'on peut même dire des deux qu'ils sont rigoureusement interchangeables.

Tout comme Keitel, il passe la guerre entière en compagnie du Führer à Berlin ou, le plus souvent, à son QG de Rastenburg, en Prusse orientale. Tout comme Keitel, Jodl ne se sent pas responsable des charges qui pèsent sur lui. Il n'a fait qu'obéir aux ordres, dit-il, et sans jamais prendre part personnellement aux crimes dont on l'accuse.

Comme il l'a fait pour Keitel, le Tribunal de Nuremberg refuse néanmoins cet argument :

"Aucune circonstance atténuante ne peut être invoquée en sa faveur. Aucun soldat n'a jamais été tenu de participer à de tels crimes, et Jodl ne peut se justifier de les avoir commis en s'abritant derrière la mystique d'une obéissance militaire aveugle" (1)

Alfred Jodl est donc reconnu coupable des quatre chefs d'accusation, et condamné à mort.

Comme Keitel, il demande à être fusillé. On le lui refuse, tout comme on le refuse à Goering et à Keitel. Alors, comme Keitel, il nettoie sa cellule de fond en comble, et se présente en grand uniforme devant le bourreau.

"Adieu mon Allemagne", s'écrie-t-il avant que la trappe ne s'ouvre sous lui (2)

(1) Wieviorka, page 169
(2) Irving, page 434

jeudi 9 mars 2006

1096 - Sauckel : l'arriviste

... comme beaucoup d'arrivistes médiocres, Fritz Sauckel doit l'essentiel de sa carrière à son engagement précoce dans le national-socialisme - il intègre le NSDAP en 1922 - qui lui permet de devenir Gauleiter de Franconie en 1925, et député au Reichstag en 1933. Mais le véritable élan dans sa carrière se produit en 1942, lorsque Hitler le charge du recrutement de tous les travailleurs destinés à l'effort de guerre allemand.

Les besoins en main d'oeuvre sont gigantesques et la plupart des Allemands déjà occupés en usines ou mobilisés sur le Front. Il faut donc importer de toute urgence une pléthore de travailleurs étrangers. Sauckel en recrutera ainsi plus de cinq millions dans toute l'Europe, certains sur base volontaire, la plupart contraints et forcés (1) Le rôle essentiel de Sauckel - le seul qu'il se reconnaît - est donc de satisfaire les demandes insatiables du Ministre de l'Armement Albert Speer, comme lorsque ce dernier - qui ne se soucie nullement des détails pratiques - lui réclame, en août 1942, un million de travailleurs russes à livrer avant la fin octobre.

"J'ai toujours essayé de promouvoir la bonne entente entre les Russes et les Allemands, souligne Sauckel, (...) j'ai essayé d'obtenir des tickets et des vivres pour les prisonniers de guerre russes (...) Je n'avais rien à voir avec les camps de concentration, qui étaient du ressort de Himmler (...) Ma tâche était d'affecter des prisonniers de guerre et la main d'oeuvre étrangère aux usines ou aux chantiers en cours. Je n'avais rien à voir les châtiments, les criminels et tout ça. C'était le travail de Himmler (2)

Aux audiences, chacun s'accorde à reconnaître en Sauckel le personnage le plus méprisable après Julius Streicher, véritablement hors concours."C'est le type de l'homme consciencieux mais obtus, fanatique et mesquin à la foi, immensément orgueilleux, d''un terrible orgueil de race, et dépourvu d'intelligence. Surtout, il n'a pas d'âme" (3)

Un portrait aussi peu flatteur, et qui contraste aussi singulièrement avec celui d'un Albert Speer élégant et plein de contrition, ne peut que desservir Sauckel à l'heure du jugement. Reconnu coupable au même titre que Speer pour "crimes de guerre" et "crimes contre l'Humanité", Sauckel est condamné à mort quand Speer n'écope que de 20 ans de prison.

"Je suis innocent, cette condamnation est une erreur !" s'écrie Sauckel avant que la trappe ne s'ouvre sous ses pieds


(1) Sauckel lui-même reconnaître que sur ces cinq millions de travailleurs, seuls deux cents mille ont été recrutés sur base volontaire
(2) Gellately, page 271
(3) Wieviorka, page 169

mercredi 8 mars 2006

1095 - Von Schirach : celui qui croyait en Hitler

... dès son accession au Pouvoir, Adolf Hitler n'a de cesse que d'embrigader la Jeunesse afin de mieux la préparer au métier des armes et lui faire découvrir les charmes du national-socialisme.

Le 01 décembre 1936, un décret rend donc obligatoire l'affiliation aux "Jeunesses hitlériennes" pour tous les jeunes-gens et jeunes-filles d'Allemagne âgés de 14 à 18 ans. A la fin de l'année, cette organisation, fondée en 1933, ne compte pas moins de 5 437 601 membres...

A sa tête, on trouve Baldur Von Schirach qui, comme la quasi-totalité des "gros poissons" du nazisme, a adhéré au NSDAP dès le début des années 1920 et entretient des rapports d'amitiés avec Hitler, en particulier depuis qu'il a épousé, en 1932, une ancienne maîtresse de Hitler, Henriette Hoffman, qui n'est autre que la fille du photographe personnel de Hitler, Heinrich Hoffman, chez lequel travaille également une jeune apprentie nommée... Eva Braun (1)

"J'ai essayé de construire quelque chose qui rassemblait toutes les classes de la Jeunesse", déclare Von Schirach à Nuremberg. "C'était un État de la jeunesse qui incluait les enfants des classes ouvrières aussi bien que les enfants des familles aristocratiques (...) Notre bataille pour 18 jours de vacances par an pour chaque jeune-homme a été un succès (...) si vous voulez comprendre l'essor stupéfiant du mouvement de la jeunesse au cours des dix dernières années, vous devez observer l'effet sur un garçon de dix ou douze ans. Un garçon de cet âge ne s'intéresse pas à la politique. Il faut lui donner quelque chose d'utile. L'idée d'autodirection et d'autogouvernement - chaque garçon a la responsabilité de lui-même et de sa petite tâche" (2)

Contrairement à ce que l'on imagine, si le nom de Von Schirach reste étroitement associé à celui, aujourd'hui considéré comme infamant, des "Jeunesses hitlériennes", le Tribunal de Nuremberg juge finalement plus sage de ne pas chercher à le condamner sur cette base (3), qui constituait pourtant la plus grande partie de ces activités. Après tout, techniquement, les si décriées "Jeunesses hitlériennes" n'étaient rien d'autre qu'une version simplement un peu plus "musclée" du scoutisme et des différents mouvements de jeunesse qui, à la même époque, et y compris dans les pays démocratiques, embrigadaient la jeunesse et la préparaient à l'obéissance et au métier des armes.

En conséquence, si le Tribunal "reconnaît que von Schirach a bel et bien utilisé les Jeunesses hitlériennes pour éduquer la jeunesse allemande dans l'esprit du national-socialisme", il est également forcé de convenir que "en dépit de la nature belliqueuse des activités des Jeunesses hitlériennes", il n'est pas en mesure de retenir "que von Schirach était impliqué dans les plans d'agression de Hitler". Exit donc l'accusation de "complot"

Comme Von Schirach n'est pas poursuivi pour le chef d'accusation numéro deux ("crimes contre la Paix") ni trois ("crimes de guerre"), ne reste plus, pour le condamner, que le chef d'accusation numéro quatre ("crimes contre l'Humanité"). Justement, Von Schirach a également été Gauleiter et Gouverneur de Vienne et, à ce titre, "a participé à la déportation des Juifs". Néanmoins, là encore, le tribunal est forcé de reconnaître que "Lorsque von Schirach est devenu Gauleiter de Vienne, seuls 60 000 des 190 000 Juifs viennois s'y trouvaient encore" et aussi que "Von Schirach n'avait pas initié ces pratiques", même si "il n'y avait pas moins pris part"

En conséquence, Von Schirach se retrouve condamné à 20 ans de prison. Une sentence qui, au regard des faits véritablement retenus et démontrés contre lui, paraît exagérément sévère. Libéré de Spandau en 1966, Von Schirach se lance alors dans la publication de ses mémoires, sobrement intitulées "Je croyais en Hitler"


(1) pour une description des rapports compliqués entre Hitler et Eva Braun : Guido Knopp "Hitler et les femmes", pp 79 à 130
(2) Gellately, pp 303-304
(3) pour la même raison, les "Jeunesses hitlériennes" n'ont d'ailleurs jamais figuré sur la liste des "Organisations criminelles" jugées à Nuremberg

mardi 7 mars 2006

1094 - Speer : le grand architecte

... architecte de talent, Albert Speer n'a rejoint les rangs du NSDAP qu'en 1932, ce qui ne l'a pourtant pas empêché de s'assurer très vite les faveurs de Hitler. Également passionné d'architecture, le Führer lui confie la réalisation de nombreux édifices, comme la nouvelle Chancellerie du Reich. Jusqu'à la fin, Speer reste un intime de Hitler, et un des rares à bénéficier d'un accès direct auprès de ce dernier. Excellent organisateur, il se retrouve finalement Ministre de l'Armement, et à la tête de toute l'Organisation Todt dès la mort de ce dernier (1)

Sous l'habile direction de Speer, tous les chiffres de la production explosent. Mais cette augmentation vertigineuse ne peut être assurée que par un accroissement tout aussi vertigineux de la main d'oeuvre étrangère, en grande partie forcée et travaillant dans des conditions abominables, ce qui permet au Tribunal, qui a dû renoncer à le condamner pour les deux premiers chefs d'inculpation, de le juger coupable des deux derniers, soit les "crimes de guerre" et les "crimes contre l'Humanité"

Mais Speer est un homme habile. De tous les accusés, c'est assurément lui qui collabore le plus avec le Tribunal, et qui endosse le plus volontiers sa part de responsabilités personnelles. Sincère ou non, ce repentir lui permet de marquer de précieux points au moment du verdict. Speer a également eu l'intelligence de ne jamais s'intéresser de trop près aux détails pratiques liés au recrutement des millions de travailleurs étrangers, laissant ce soin au veule et bien moins intelligent Fritz Sauckel, lequel se retrouve condamné à mort pour cela.

Enfin, Speer réussit à mettre en avant son opposition à tous les ordres de Hitler dans les derniers moins du conflit (2), ainsi que sa tentative - hélas avortée - de l'assassiner.

Au final, le tribunal ne le condamne donc qu'à 20 ans de prison, qu'il effectue jusqu'au dernier jour à la prison de Spandau. Libéré en 1966, il publie ses mémoires, qu'il a eu tout le loisir de rédiger en prison. Le livre devient très vite un best-seller international, ce qui permet à Speer de vivre très confortablement jusqu'à sa mort, en 1981.


(1) ingénieur en travaux publics, responsable de la construction des autoroutes allemandes et plus tard Ministre de l'Armement et des Munitions ainsi que chef de tous les travaux d'infrastructure du Reich, Fritz Todt trouva la mort le 8 février 1942, dans un accident d'avion aux circonstances mal définies
(2) Saviez-vous que... - 255 -

lundi 6 mars 2006

1093 - Funk : le Calimero

... petit, rondouillard, larmoyant, Walther Funk est un Calimero égaré dans un monde trop injuste.

Journaliste économique, il se retrouve, un peu par hasard, catapulté Ministre de l'Économie, puis Président de la Reichsbank au gré des évictions successives de Hjalmar Schacht, qui le méprise d'ailleurs souverainement.

A Nuremberg, Funk se présente à la barre comme l'homme de paille inoffensif, celui qui n'était au courant de rien et se contentait d'apposer sa signature sur les documents qu'on lui présentait. En privé, dans sa cellule, il ne cesse de se plaindre de son sort et de l'intolérable dégradation de son statut social

"Nous avions une merveilleuse cuisinière qui avait autrefois travaillé pour un frère de l'empereur François-Joseph. (...) Ma cave à vins était réputée pour ses vins rares du Rhin et de la Moselle, et nous avions de la Chartreuse qui venait des cloîtres mêmes où on la fabriquait (...) Les Russes ont pillé ma maison de Wannsee. J'avais une bibliothèque de quatorze mille livres (...) Je peux encore vous dire où se trouvait chaque livre (...) Ma maison de Bad Tölz avait aussi une belle bibliothèque, mais plus petite (...) C'est ma femme qui l'avait décorée et meublée de pièces anciennes, dont un sanctuaire baroque de Würzburg (...) Ma femme dit que les Américains ont laissé les choses intactes mais que des Allemands et des Polonais ont volé des effets personnels tels que du linge et des habits (...) Ma nièce y habite et se charge de mon ancien personnel domestique" (1)

Indubitablement, le personnage suscite sinon la sympathie, du moins une certaine indulgence chez les juges qui, même s'ils le décrivent comme complice de nombreux crimes - et en particulier du recel d'or et de bijoux littéralement arrachés aux Juifs des camps - lui reconnaissent néanmoins des circonstances atténuantes : "en dépit du fait qu'il occupa des postes officiels importants, déclare le Tribunal, Funk ne joua jamais un rôle prépondérant dans les différents programmes auxquels il participa. C'est une circonstance atténuante que le tribunal retient en sa faveur" (2)

Et de fait, bien que reconnu coupable des trois derniers chefs d'accusation, Funk n'est condamné qu'à la prison à vie

"Ils ne vont pas me garder en prison toute ma vie, n'est-ce pas ?" (3) demande-t-il, visiblement surpris, peu après l'énoncé du verdict.

Il a tort de s'en faire : en 1957, il est libéré de la prison de Spandau pour "raisons de santé" et meurt paisiblement à Dusseldorf, le 31 mai 1960

(1) Gellately, page 146
(2) Wieviorka, page 166
(3) ibid, page 176

dimanche 5 mars 2006

1092 - Dönitz : tu quoque, filii

... marin de la vieille école, Karl Dönitz prend le commandement de la flotte sous-marine hitlérienne dès sa recréation, en 1935 (1) Promu amiral en 1942, il se retrouve un an plus tard à la tête de toute la Kriegsmarine, suite au limogeage de l'amiral Raeder. En avril 1945, juste avant de se suicider, Hitler le désigne officiellement comme son successeur, un poste qu'il n'occupe - par la force des choses - que quelques jours.

A Nuremberg, Dönitz est inculpé pour les trois premiers chefs d'inculpation. Si le Tribunal l'acquitte finalement pour le premier d'entre eux - le "complot" - il le reconnaît néanmoins coupable des deux suivants, soit les "crimes contre la Paix" (en raison de sa guerre sous-marine "agressive") et les "crimes de guerre" (en particulier à cause de ses ordres de ne plus secourir les naufragés des navires torpillés, suite à la désastreuse affaire du Laconia (2))

Par rapport aux autres inculpés, la sanction qui lui est infligée - 10 ans de prison - peut certes paraître clémente, mais elle va néanmoins jeter un froid parmi les militaires du monde entier, en particulier dans la marine américaine. C'est qu'à la barre, l'avocat de Dönitz, le brillant Otto Kranzbühler, a réclamé rien moins que la comparution, à titre de témoin à décharge, du grand amiral américain Chester Nimitz, commandant en chef d'une flotte sous-marine américaine qui, dans le Pacifique, a proportionnellement causé autant de dégâts - et même davantage ! - que la flotte sous-marine allemande n'en a provoqué dans l'Atlantique (3)

Si Nimitz ne comparaît pas en personne, il accepte néanmoins de répondre par écrit, le 2 juillet 1946, à toutes les questions de l'avocat de Dönitz, questions qui, pour l'essentiel, reprennent point par point les accusations portées contre le grand amiral allemand. A chacun de ces points, l'amiral américain répond comme l'amiral allemand, et admet que la flotte sous-marine américaine s'est tout bonnement comportée comme la flotte sous-marine allemande (!)

Du coup, le Tribunal se retrouve plongé dans le tu quoque, le fameux principe de similitude qu'il s'est pourtant juré d'éviter : comment la puissance victorieuse peut-elle décemment condamner pour crimes les militaires de l'armée vaincue si ses propres militaires ont commis les mêmes crimes ? "Le document Nimitz fit l'effet d'une bombe (...) les juges pouvaient-ils encore reprocher aux amiraux allemands la façon dont ils avaient conduit la guerre sous-marine ?" (4)

En toute équité, un tribunal moderne répondrait certainement par la négative. Celui de Nuremberg, en 1946, doit bien composer avec les récriminations des Britanniques, lesquels, il faut bien le dire, ont été les principales victimes d'une guerre sous-marine qui a coûté aux Alliés près de 20 millions de tonnes de navires, et des milliers de marins

Dönitz est donc condamné à dix ans de prison, qu'il effectue à Spandau jusqu'au dernier jour...


(1) le 18 juin 1935, la Grande-Bretagne avait unilatéralement décidé d'autoriser l'Allemagne à posséder une flotte de guerre équivalent à 35% de la flotte britannique, et même à posséder une flotte sous-marine, pourtant interdite par le Traité de Versailles de 1919
(2) Saviez-vous que...483 à 486
(3) sur les 2 337 navires de commerce japonais qui figuraient sur le Lloyd's Register de 1939, il n'en restait plus que 231 en 1945. Saviez-vous que... 487 à 493
(4) Wieviorka, page 100

samedi 4 mars 2006

1091 - Seyss-Inquart : le parvenu de l'Ostmark

... Arthur Seyss-Inquart n'est pas Allemand mais Autrichien. C'est cependant un nazi convaincu. Partisan de l'Anschluss, il se voit nommé Ministre de l'Intérieur dans le gouvernement Schuschnigg, puis gouverneur de l'Autriche (rebaptisée Ostmark) après son annexion au Reich. Élu au Reichstag, promu général dans la SS, il se retrouve tour à tour ministre sans portefeuille, adjoint au Gouverneur général de Pologne puis, en mai 1940, Commissaire du Reich pour les Pays-Bas.

Comme tous les autres inculpés, Seyss-Inquart plaide non coupable. Si le Tribunal se révèle incapable de prouver sa participation au "complot", il le reconnaît néanmoins coupable des trois autres chefs d'inculpation.

Le tribunal lui reproche notamment d'avoir institué en Autriche "un programme de confiscation des biens juifs. Pendant qu'il était au pouvoir, les Juifs furent forcés d'émigrer, furent internés dans des camps de concentration, et furent victimes de pogroms. Enfin, il coopéra avec la Police de Sûreté et le SD à la déportation des Juifs d'Autriche vers l'Est. Pendant qu'il était gouverneur d'Autriche, des adversaires politiques des nazis furent envoyés dans des camps de concentration par la Gestapo, maltraités et souvent tués".

En Pologne, l'intéressé, "en sa qualité d'adjoint au Gouverneur Général de la Pologne (...) approuva les méthodes utilisées pendant l'occupation de ce pays. En novembre 1939, au cours d'un voyage d'inspection dans le Gouvernement Général, Seyss-Inquart déclara que l'administration de la Pologne devait aboutir à l'exploitation de ses ressources économiques au profit de l'Allemagne, il préconisa aussi la persécution des Juifs".

Enfin, aux Pays-Bas, le Tribunal relève que "durant l'occupation, plus de 500 000 personnes ont été envoyées en Allemagne pour y travailler, seule une infime minorité s'y rendant à titre volontaire. Par ailleurs, les premières mesures prises par le Commissaire du Reich furent de mettre en vigueur une série de lois discriminatoires contre les Juifs. Près de 120 000 des 140 000 Juifs hollandais furent en fin de compte déportés, la plupart vers Auschwitz"

Arthur Seyss-Inquart est exécuté le 16 octobre 1946

vendredi 3 mars 2006

1090 - Schacht : l'insaisissable

... avec Hjalmar Schacht, le Tribunal de Nuremberg quitte la sphère des avocats et des militaires pour entrer directement dans celle des banquiers.

Fils d'un riche commerçant danois, et élève brillant, Schacht entre à la Dresdner Bank en 1903. Président de la Reichsbank dès 1923, il démissionne sept ans plus tard afin, dit-il, de protester contre le paiement des réparations de guerre dues au terme du Traité de Versailles de 1919. Voyant en Hitler une sorte de "sauveur de l'Allemagne", Schacht lui apporte son soutien, et introduit le petit parvenu autrichien dans les milieux financiers. Reconnaissant, Hitler le replace à la tête de la Reichsbank dès mars 1933, puis le nomme Ministre de l'Économie en 1934, un poste qu'il occupe jusqu'en 1937, avant d'en être évincé par Hermann Goering.

Schacht conserve néanmoins la direction de la Reichsbank. Cependant, dès 1938, l'Allemagne nazie se retrouve au bord de la faillite. Ses réserves d'or et de devises sont inexistantes, et même l'or issu, sans bourse délier, des banques centrales tchèque et autrichienne après l'annexion de ces pays ne peut combler les brèches. Le 7 janvier 1939, Schacht se résigne donc à adresser un mémorandum à Hitler, dans lequel il lui explique, en termes néanmoins prudents, qu'il est impératif de réduire les dépenses publiques qui, de 1933 à 1939, ont été consacrées à 52% au réarmement.

Mais Hitler, non content de se prendre pour un fabuleux stratège, s'imagine aussi prodigieux économiste : il limoge Schacht et n'aura plus de cesse que de s'emparer de tout l'or qu'il pourra trouver dans toutes les banques centrales des pays qu'il va bientôt conquérir. Schacht reste toutefois ministre sans portefeuille jusqu'en janvier 1943. Un an plus tard, ses amitiés avec les comploteurs du 20 juillet lui valent d'être arrêté et expédié à Dachau jusqu'à sa libération par les Américains... qui l'enferment cependant peu après afin de le traîner devant le Tribunal de Nuremberg en tant qu'ancien ministre de Hitler.

Avant même le début du procès, tout le monde sait déjà que culpabilité de Schacht à l'égard des deux premiers chefs d'accusation dont il fait l'objet - "complot" et "crimes contre la Paix" - sera très difficile à établir. Mais lorsque le Tribunal, après avoir examiné les preuves retenues contre lui, le déclare non coupable de tous les crimes visés par l'acte d'accusation, c'est néanmoins la stupeur... y compris parmi ses avocats, qui ne s'attendaient pas à un tel verdict.

Schacht n'en a pourtant pas fini avec la Justice,... ni avec la Gloire. Libéré par les Américains, il est aussitôt arrêté par la police allemande qui, après de multiples péripéties juridiques, parvient à le traîner devant un tribunal de dénazification. Emprisonné jusqu'en 1947, condamné à huit ans de réclusion, il est acquitté en appel. En 1948, à 71 ans, Schacht se retrouve donc libre mais sans ressources. Qu'à cela ne tienne : il part comme conseiller économique en Indonésie, travaille plusieurs années au Proche-Orient, rédige deux autobiographies qui se transforment en autant de best-sellers, et meurt à Munich en 1970, à l'âge de 93 ans.

jeudi 2 mars 2006

1089 - Frick : c'est pas moi c'est l'autre

... Wilhelm Frick est le dixième et dernier nom de la liste britannique originelle, soit celle comprenant tous les "grands criminels" que la Grande-Bretagne aurait préféré exécuter sommairement et sans jugement. Il est d'ailleurs symptomatique de constater qu'à l'exception de Rudolf Hess, tous les membres de cette première liste seront finalement condamnés à mort, puis exécutés.

S'agissant de Wilhelm Frick, il est pourtant difficile de le considérer comme un véritable "gros poisson" du national-socialisme. Modeste fonctionnaire de police en 1917, son ralliement précoce au NSDAP, et sa participation au "putsch de la brasserie" de 1923, lui vaut, comme à tant d'autres, la reconnaissance de Hitler, et une promotion rapide une fois celui-ci parvenu au Pouvoir

Ministre de l'Intérieur de 1933 à 1943 - ce qui dans le Troisième Reich ne veut pas dire grand-chose - Frick est surtout connu pour son rôle dans l'élaboration des lois raciales (dites "lois de Nuremberg") de 1935, et dans celles relatives à "l'action d'euthanasie" (ou "action T4") de 1939 (1). Finalement évincé de sa confortable sinécure par le bien plus redoutable Heinrich Himmler - déjà chef de la SS et grand-maître de la "Solution finale" - Frick se voit néanmoins, toujours grâce à sa longue amitié avec Hitler, offrir un lot de consolation, en l'occurrence le "Protectorat de Bohème-Moravie", autrefois attribué au tristement célèbre SS Reynhard Heydrich jusqu'à l'assassinat de ce dernier, en mai 1942.

"Je n'étais à Prague qu'environ une semaine par mois !", se défend Frick lors de son procès à Nuremberg. "Le véritable responsable allemand de la Bohème et de la Moravie était Karl Hermann Frank (2). Ce dernier relevait directement de Hitler, et avait un rang équivalent au mien : Reichsminister" (3)

Le Tribunal de Nuremberg refuse de le suivre dans cette argumentation, et le reconnaît coupable des trois derniers chefs d'accusation, ce qui l'envoie lui aussi à l'échafaud


(1) "Saviez-vous que... - 954 -
(2) en vertu de la Déclaration de Moscou du 30 octobre 1943, Karl Hermann Frank, qui s'était rendu aux Américains à Pilsen le 9 mai 1945, fut finalement livré aux autorités tchèques, lesquelles le condamnèrent à mort pour crimes de guerre, et en particulier pour l'annihilation du village de Lidice et de ses habitants, ordonnée en représailles de l'assassinat de Reynhard Heydrich
(3) Gellately, page 87

mercredi 1 mars 2006

1088 - Frank : celui qui prie Dieu d'avoir pitié de lui

... Hitler hait les avocats, qu'il tient pour des êtres nuisibles et sans valeur. Il fait néanmoins une exception pour son avocat personnel et compagnon de la première heure, Hans Frank, puis scelle le destin de ce dernier en le nommant Gouverneur Général de Pologne, avant de lui envoyer tous les Juifs dont l'Allemagne ne veut plus et dont Frank ne sait que faire.

Frank s'en plaint amèrement,... mais les seuls qui l'entendent sont les organisateurs des camps d'extermination, trop contents de pouvoir le débarrasser de ces indésirables.

A l'été 1942, la marionnette Frank se rebelle néanmoins. Pas beaucoup. Juste un peu. Juste quelques discours prononcés dans des amphithéâtres universitaires, où il prône le retour à l'ancien droit constitutionnel, depuis longtemps remplacé par le "Führerprinzip"

Il n'en faut pas plus pour que Hitler le démette de toutes ses fonctions au sein du parti, et lui interdise de s'exprimer en public. Mais parce qu'il n'a personne pour remplacer Frank, ou parce qu'il lui conserve son amitié, il le maintient à son poste de Gouverneur Général. Frank veut démissionner, redevenir avocat. Il adresse plus d'une dizaine de lettres en ce sens à Hitler. Toutes ses demandes sont refusées, et Frank reste à son poste.

A Nuremberg, Hans Frank, qui en prison s'est découvert une foi catholique fervente et semble manifester des remords sincères, Hans Frank, donc, pose un problème à ses juges. Autant ceux-ci sont-ils disposés à reconnaître qu'une bonne partie des crimes commis dans le Gouvernement général de Pologne ont pu l'être à l'insu de Frank, et même contre sa volonté, autant l'ampleur des dits crimes - plus d'un million de Polonais déportés, sans même parler des trois millions de Juifs polonais assassinés - les empêchent-ils de se montrer cléments.

Au moment de monter sur l'échafaud, après avoir été reconnu coupable des deux derniers chefs d'accusation, Frank s'approche du prêtre catholique qui l'accompagne, le remercie, et lui murmure "Je prie Dieu d'avoir pitié de moi"