mardi 30 avril 2019

6008 - "Les Dardanelles l'ont hanté pour le restant de ses jours"

Churchill, en chasseur maladroit, caricature de 1920
… Londres, 25 mai 1915

Car cette guerre qui se prolonge en Europe, et l'ampleur des pertes que l'on est occupé à subir aux Dardanelles, c-à-d dans une opération qui devait en principe être aussi rapide que facile, ont mis le gouvernement de Herbert Henry Asquith sous pression !

En ces temps difficiles où le pays a plus que jamais besoin de tous ses enfants, ne conviendrait-il pas d’en finir avec les jeux politiques et de former un véritable gouvernement d'union nationale, où l'on offrirait quelques sièges aux Conservateurs, par trop occupés en ce moment à tirer à boulets rouges sur le gouvernement ?

Mais qui dit offrir des sièges aux uns implique nécessairement d'en retirer aux autres, et en particulier à Winston Churchill qui, de plus ardent défenseur d'une attaque sur les détroits est tout naturellement devenu le plus grand responsable de son échec !

Et comme les Conservateurs exigent du reste le départ du Premier Lord de l’Amirauté comme préalable obligé à toute participation, Churchill est sacrifié le 25 mai, et remplacé à son poste par le Conservateur Arthur James Balfour, 67 ans et vieux routier de la politique britannique (1) 

"Les Dardanelles l'ont hanté pour le restant de ses jours. Il y a toujours cru. Quand il a quitté l'Amirauté, il se croyait fini… " dira de lui son épouse.

De fait, "l’Affaire des Dardanelles", qui pour beaucoup est devenue synonyme "d’Affaire Churchill", va le hanter durant de nombreuses années. Mais elle va aussi - et on l’oublie trop souvent ! - hanter les dizaines de milliers de malheureux qui auront eu l’infortune d’y participer, et malgré tout la chance d’y survivre.

Car les combats, eux, sont encore loin d’être terminés…

(1) Arthur Balfour est surtout connu pour sa lettre ouverte de décembre 1917, dite "Déclaration Balfour", où l’intéressé, entretemps devenu Ministre des Affaires étrangères, déclare que la Grande-Bretagne se prononce en faveur de l'établissement, en Palestine, d'un foyer national juif.

lundi 29 avril 2019

6007 - Fisher d'abord...

Churchill (à gauche) et Churchill, en 1913
... 15 mai 1915

Mais c'est à Londres que les tensions sont évidemment les plus vives !

Constatant, début mai, l'impasse dans laquelle se trouvait à son tour rendue l'Infanterie, l'amiral de Robeck a en effet suggéré de lancer... une nouvelle attaque navale sur le détroit, bref de refaire pour ainsi dire à l'identique ce qu'on avait déjà tenté, sans succès, le 18 février !

Cette proposition a - on s’en doute - été aussitôt approuvée par Churchill, mais catégoriquement rejetée par plusieurs membres du Cabinet, à commencer - sans surprise non plus - par Lord Fisher, lequel s’est vite emporté, menaçant même, et une fois de plus, de démissionner si on ne lui accordait pas les pleins pouvoirs sur tout le domaine naval et, en particulier sur les crédits destinés à la Marine et à la construction de nouveaux bâtiments.

Entre Churchill et Fisher, c-à-d entre le Premier Lord de l’Amirauté et celui de la Mer, les relations sont depuis longtemps exécrables, mais les menaces du second persuadent cette fois le Premier Ministre libéral Herbert Henry Asquith de trancher en faveur de Churchill, et donc d'accepter la démission que Fisher lui propose !

Exit donc Fisher, que l'on remplace par un quasi inconnu, Henry Jackson, dont la principale qualité est en définitive de ne jamais faire de vagues (1), mais la victoire de Churchill n’en est pas une, d’abord parce qu’Asquith refuse lui aussi toute idée de tenter de forcer à nouveau les détroits par la mer, et ensuite, et surtout, parce que ce triste épisode vient une fois de plus d’aviver les tensions qui existent au sein du Cabinet, et d’inciter Asquith à rechercher un gouvernement de large coalition…

(1) plus intéressé par l'administration de la guerre que par la guerre, Jackson sera à son tour, remplacé, en décembre 1916, par le beaucoup plus flamboyant John Jellicoe

dimanche 28 avril 2019

6006 - vers l'échec

Attaque sur une colline de Gallipoli
… après deux semaines, l’échec est donc total et, non content d’avoir perdu près de la moitié de son effectif d’origine, ce corps expéditionnaire qui devait en principe débloquer le Détroit des Dardanelles au profit de la Marine se retrouve bel et bien… bloqué à son tour dans la Péninsule de Gallipoli, et se verrait même proprement balayé si la Marine, justement, ne lui garantissait pas ravitaillement et constant soutien d’artillerie !

En attendant que quelqu’un, dans un camp ou dans l’autre, imagine une solution miracle, la situation est à présent figée : les Alliés s’avérant incapables de percer les défenses ottomanes,… et les Ottomans de les rejeter à la mer.

Chacun donc, campe sur ses positions, ou plus exactement dans ses tranchées, situation qui, comme nous venons de le voir, est malheureusement bien plus difficile et pénible pour les Alliés que pour leurs adversaires !

De temps à autres, et quasiment pour "entretenir la forme", les Alliés lancent une petite offensive de jour, qui grignote quelques dizaines ou centaines de mètres ici ou là,… mais que les Ottomans finissent toujours par reprendre au cours de la nuit !

Mais si à Constantinople et Berlin on a toutes les raisons de se satisfaire de ce statuquo, il en va tout autrement à Paris et à Londres !

A Paris, justement, les premières têtes commencent à tomber : jugés trop peu efficaces, l’amiral Guepratte et le général d’Amade se voient bientôt limogés…

samedi 27 avril 2019

6005 - Tous les jours, sur la même colline, remettez votre ouvrage

Tous les jours, sur la même colline, remettez votre ouvrage
... 28 avril 1915

Le 28 avril, la bataille reprend de plus belle, le but étant, comme les jours précédents, de quitter les plages où chacun est contraint de se terrer, et de s'emparer des hauteurs, et en particulier de celle d'Atchi-Baba, qui domine toutes les autres.

Mais les Ottomans, comme les jours précédents, ne semblent nullement disposés à accepter enfin leur défaite, en sorte que blessés et cadavres continuent de s'accumuler dans le plus grand désordre sans que l'on parvienne à réaliser le moindre progrès réel sur le terrain

Après trois jours de vaines tentatives, munitions et soldats sont épuisés, et il faut se résoudre à faire une pause.

Hamilton réclame des renforts, particulièrement d'artillerie,  mais quelques officiers, bien qu'à demi-mots, commencent déjà à envisager la possibilité d'un échec irrémédiable.

Le 5 mai, un nouvel assaut est lancé, mais trois jours plus tard, malgré les centaines et même les milliers d'obus expédiés sur les positions ottomanes, en particulier depuis les croiseurs et pre-dreadnought ancrés au large, et malgré toutes les pertes encourues, le résultat final est identique !

Le 8, Hamilton n'a même d'autre choix que de se résoudre à siffler sinon la fin du match, du moins la mi-temps : en deux semaines de furieux combats, ses troupes n'ont pour ainsi dire pas progressé d'un mètre mais déplorent en revanche quelque 38 000 morts, blessés et disparus dans leurs rangs, soit quasiment la moitié du corps expéditionnaire !

vendredi 26 avril 2019

6004 - de la fiction à la réalité

Mules, dans une tranchée de Gallipoli
... dans les films de guerre, et le "Gallipoli" de Peter Weir ne fait pas exception, l'accent est presque toujours mis sur quelques individualités caricaturales - tantôt lâches tantôt héroïques, tantôt clairement conscientes de la situation, tantôt totalement aveugles à celle-ci - et sur des scènes qui font la part belle à "l'action", et en particulier aux combats qui, victorieux ou non, et se soldant au final par le triomphe ou, au contraire, la mort du héros, attirent et retiennent l'attention du spectateur.

Mais la réalité de la guerre de tranchées, spécialement à Gallipoli, c'est d'abord et surtout l'attente, l'ennui et la peur, ainsi que l'odeur omniprésente du moisi, de la transpiration, de l'urine, du vomi et des excréments; c'est aussi la faim et, surtout la soif, et le combat quotidien que l'on mène contre les poux, les mouches ou les rats, en pataugeant en permanence dans un cloaque innommable fait de boue et de déchets humains divers.

Tout cela passe évidemment très mal, et en pratique jamais, à l'écran mais n'en contribue pas moins, et bien davantage que les charges infructueuses, le sifflement des balles ou le fracas des explosions d'obus, à démoraliser les soldats et à les rendre de moins en moins aptes au combat.

L'ennemi, dira-t-on, est confronté à des problèmes semblables, mais là où le soldat ottoman tire encore satisfaction et réconfort dans le fait de résister victorieusement aux étrangers qui envahissent sa patrie et son sol natal, le soldat allié est pour sa part contraint de se battre loin de chez lui, pour une cause dont il perçoit de moins en moins la finalité et l'intérêt, et pour des chefs qui - et c'est bien le moins qu'on puisse en dire - ne lui donnent pas franchement l'impression de savoir dans quelle direction ils s'en vont ni, surtout, comment ils entendent se sortir de l'impasse où ils ont plongé leurs hommes...

jeudi 25 avril 2019

6003 - des conditions sanitaires effroyables

Soldats, dans une tranchée de Gallipoli : des conditions sanitaires effroyables
… car Hamilton et son État-major s'attendaient à de faibles pertes, ainsi qu'à une percée rapide vers l'intérieur des terres des dizaines de milliers d'hommes débarqués sur les plages.

Seulement voilà : les pertes sont infiniment pires qu'escompté, et les quelques navires hôpitaux que l'on a pris soin d'emporter avec soi ne sont prévus que pour traiter au total qu'environ 500 malades et blessés par jour, soit... dix fois moins qu'en réalité !

Les conditions sanitaires sont donc effroyables, surtout si on y a ajoute le fait que des centaines et bientôt des milliers de cadavres, et de morceaux de cadavres, sont condamnés à pourrir sur place, faute de toute possibilité de les emporter ou de les enterrer sous les tirs ennemis !

Comme chaque tentative pour sortir de l'impasse aboutit immédiatement, du fait des mitrailleuses, à une nouvelle impasse, et à une nouvelle tuerie de masse, les blessés et les cadavres continuent de s'accumuler, et cette bataille que l'on avait imaginé rapide et victorieuse, pour ne pas dire fraîche et joyeuse, se transforme jour après jour, et tout comme en Europe, en une nouvelle et infernale guerre de tranchées.

Mais à Gallipoli, Britanniques, Français coloniaux, et, surtout, Australiens et Néo-Zélandais de l'ANZAC, sont également contraints de s'enterrer, de vivre, de manger... et de déféquer jour après jour et semaine après semaine, et par dizaines de milliers, sur quelques km2 seulement !

Dans ces conditions, les maladies infectieuses, comme la gastro-entérite, la fièvre typhoïde, la pneumonie ou le choléra ne tardent pas à apparaître et à faire des ravages parmi la troupe : en août, près de 80% des effectifs de l'ANZAC seront même cloués dans leurs tranchées du seul fait de la dysenterie...

mercredi 24 avril 2019

6002 - le casse-tête logistique

Un défi quotidien : ravitailler les dizaines de milliers d'hommes sur les plages
… ravitailler des dizaines de milliers d’hommes en eau, nourriture, munitions et équipements divers, évacuer les morts, les blessés et les malades, ... tout cela n’a jamais été une sinécure, a fortiori sur un champ de bataille,… et a fortiori sur un champ de bataille aussi inhospitalier que Gallipoli !

Car faute de toute ressource disponible sur place, faute de toute route entre les plages et un quelconque et hypothétique dépôt, tout - et en particulier l’eau ! - doit en effet être acheminé par la mer.

Et comme on ne dispose d’aucun port en eau profonde, et qu’il n’existe de toute manière, dans toute la Péninsule, rien qui ressemble ni de près ni de loin à un port dont on pourrait éventuellement s’emparer (!), le défi logistique s’avère proprement colossal, a fortiori en l’absence de tout navire de débarquement spécialisé.

Depuis les bâtiments ancrés au large, tout le ravitaillement doit donc être déposé sur des barges puis, une fois les barges rendues au bord du rivage, soulevé et transporté à la main, et sous la constante menace des tirs ottomans, jusqu’à un vague abri installé à même la plage

Et comme les plages sont elles-mêmes aussi étroites que peu profondes, la densité des hommes et des équipements est telle que les artilleurs ennemis n’ont même pas besoin de viser pour être assurés de toucher quelque chose !

Mais aussi difficile soit-il, le ravitaillement des troupes est loin d’être le problème le plus grave…

mardi 23 avril 2019

6001 - un premier bilan catastrophique

Soldats australiens, à ANZAC Cove : le drame de Gallipoli en une image...
… au soir du 25 avril, le premier bilan des opérations est donc catastrophique : à l’exception - et c’est tout de même un comble ! - de ceux qui ne sont que des diversions, aucun des débarquements réalisés dans la Péninsule n’a atteint ses objectifs alors que les pertes, en revanche, ont largement dépassé les prévisions les plus pessimistes !

Et si personne ne se hasarderait à parler de défaite, ni a fortiori de rembarquement général, il est dores et déjà établi que l’affaire sera bien plus difficile que prévu, et les pertes infiniment plus importantes qu’escompté.

Les jours qui suivent seront assurément décisifs : la tombée de la nuit permet déjà d’acheminer quelques renforts, mais aussi de faire sortir des entrailles du River Clyde les centaines de soldats qui s’y trouvent encore

Dès l’aube, l’attaque redémarre et, malgré de nouvelles pertes importantes (1), permet du moins de s’emparer du fort de Sedd-el-Bahr et d’assurer une jonction entre les plages X, W et V, garantissant ainsi une tête de pont certes appréciable mais qui, au soir du 27 avril, ne couvre guère que 12 km2, ce qui la laisse donc constamment à portée des canons ottomans, lesquels ne se privent pas d’y faire régulièrement des ravages.

Succès relatif donc, mais au Cap Helles seulement, car plus au Nord, et malgré toutes leurs tentatives, les malheureux ANZAC sont toujours bloqués à seulement 500 m du rivage !

A l’évidence, d’importants renforts, non seulement de troupes mais aussi d’artillerie et de munitions seront nécessaires.

Reste à les amener sur place…

(1) au soir du 26 avril, le nombre de morts, blessés et disparus dépassera 6 000 hommes rien qu’au Cap Helles.

lundi 22 avril 2019

6000 - "Les Français sont à Koum Kaleh"

Koum Kaleh, sur la rive orientale : une opération de diversion aussi réussie que rapidement soldée
… sur la rive orientale, devant Koum Kaleh, les Français de l’AFO montent dans les embarcations à l’heure prévue, mais le courant s’avérant trop fort pour les canots à moteur qui les tractent, il faut faire demi-tour et solliciter - sous l’œil des Ottomans ébahis ! - l’aide de chalutiers et même de contre-torpilleurs compatissants!

Au bout du compte, le rivage est atteint avec plus de deux heures de retard sur l’horaire prévu, ce qui n’empêche pourtant pas les soldats coloniaux, une fois rendus à pieds secs, d’emporter les positions ennemies les unes après les autres !

Et l’affaire parait en vérité si bien engagée que l’on se verrait bien continuer plus avant,…  n’était le fait que sur l’autre rive, le général Hamilton ne tarde pas à réclamer le retour du contingent français

 "Les Français sont à Koum Kaleh", câble-t-il à Kitchener, "mais je ne puis m’engager plus loin en Asie avant d’avoir réglé la question d’Atchi-Baba (1). Nous ne sommes pas assez forts pour attaquer des deux côtés du détroit."

Et du point de vue militaire, le raisonnement tient parfaitement la route : il n’a en effet jamais été prévu que l’attaque sur la rive orientale soit autre chose qu’une manœuvre de diversion, et au contraire clairement été établi depuis le début qu’une fois cette diversion obtenue, le corps expéditionnaire rembarquerait aussitôt afin de prêter main forte aux opérations du Cap Helles, où les affaires vont indubitablement fort mal.

Mais les batailles se gagnent aussi sur la capacité du commandant-en-chef à saisir les opportunités lorsqu’elles se présentent, quitte, au besoin, à s’écarter ou même à renoncer au plan prévu, en sorte que l’on est en droit de se demander si, en agissant de la sorte, Hamilton ne se prive pas volontairement de sa meilleure chance de l’emporter à Gallipoli.

La question est cependant, et demeurera à jamais, sans réponses, le contingent français, conformément aux ordres reçus, commençant en effet à rembarquer dès la matinée du lendemain...

(1) colline dominant la Péninsule de Gallipoli et cible principale de l’attaque du 25 avril
(2) Schiavon, op cit, page 67

dimanche 21 avril 2019

5999 - diversions

Bernard Freyberg, alors lieutenant, en 1015
… ironiquement, les seuls débarquements qui se déroulent bien, et même bien mieux que prévu (!), sont les débarquements… de diversion, qui n’ont hélas pour but que de tromper les Ottomans et de les attirer sur de fausses pistes !

Devant Krithia (Plage Y) et Morto (S), les plages, puis les falaises, sont conquises sans trop de difficultés, mais comme ces deux opérations attirent rapidement de nombreux renforts ennemis - ce qui était précisément l’objectif recherché (!) - les rembarquements prévus, qui s’effectuent sous la mitraille, entrainent en revanche des pertes importantes.
L'opération de loin la plus rocambolesque se joue néanmoins près de l'Isthme de Boulayir - comme nous l’avons vu vital pour les Ottomans - et met en scène un homme seul, en l’occurrence un jeune lieutenant néo-zélandais de 27 ans - et futur général ô combien controversé : Bernard Freyberg.

Dans la nuit du 24 au 25 avril, amené au large de Boulaïr par un contre-torpilleur, Freyberg se met à l'eau, nage jusqu'à la plage, puis s’affaire à y allumer des feux et y produire un tel tintamarre que, du haut de la falaise, les guetteurs ottomans, bientôt convaincus d’avoir affaire à une brigade entière, s’empressent d’appeler quantités de renforts à la rescousse !

Sa mission de diversion accomplie, et les Ottomans dupés pour plusieurs heures, il n’a plus qu’à repartir. Il se jette à l'eau, mais son contre-torpilleur ne l’ayant pas attendu, Freyberg, qui heureusement pour lui est champion de natation, nage plus de deux heures avant que des marins l’aperçoivent et se portent finalement à son secours (1)…

(1) pour cet exploit, Freyberg se verra décerner la Distinguished Service Order

samedi 20 avril 2019

5998 - ANZAC

Anzac Cove : notez l'étroitesse des lieux... et la falaise qui les ceinturent
… Anzac Cove, 25 avril 1915, 06h00

A une vingtaine de kms plus au nord, Australiens et Néo-Zélandais ont embarqué, des 03h00, dans des embarcations qui, remorquées par des canots à moteur, ont bientôt pris la direction de la Plage Z.

Mais dans l’obscurité, les navigateurs se perdent en sorte que, lorsque le jour se lève, chacun se retrouve non pas devant la Plage Z, mais directement au pied d’une falaise !

En définitive, cette erreur s'avère plutôt une chance car la plage convoitée, une fois de plus correctement identifiée par les Ottomans (!), avait été puissamment fortifiée par ces derniers alors que - pour l’instant du moins ! - aucun soldat ennemi ne rôde aux alentours !

Trop heureux de l'aubaine, les hommes de la 3ème Brigade escaladent aussitôt la falaise sans rencontrer d'opposition, puis s'y retranchent en prévision d’une plus que probable contre-attaque.

En fin de journée, près de 12 000 hommes sont parvenus jusqu’au rivage, mais le site de ce débarquement pour le moins improvisé est hélas si étroit que les obus des Ottomans, qui se sont finalement ressaisis, ne tardent pas à y faire des ravages, forçant dès lors Australiens et Néo- Zélandais à s’enterrer partout où ils le peuvent et dans l’attente d’un jour qu’ils espèrent meilleur mais qui, malheureusement pour eux, n’est pas prêt de se produire…

vendredi 19 avril 2019

5997 - sous la plage, les barbelés et la mitraille

Gallipoli : la plage,... les barbelés, la mitraille et les falaises
… mêmes causes et même carnage un peu plus à l’ouest, sur la Plage W, où la trentaine de canots qui s’approchent tranquillement du rivage se retrouvent, sitôt après avoir touché terre, pris en enfilade par des dizaines de mitrailleuses camouflées sur les hauteurs !

Comme sur la Plage V, le seul salut possible consiste ici encore à courir jusqu’au pied de la falaise afin de s’y blottir à l’abri des tirs mais non sans avoir dû, au préalable, affronter la mitraille et aussi franchir les rangées de barbelés que l’ennemi, toujours aussi peu faiplay, a une fois de plus installé sur la plage mais aussi sous l’eau.

Depuis le large, salves après salves, croiseurs et pre-dreadnought s’efforcent de soutenir le débarquement des troupes, mais leurs tirs, peu efficaces, aboutissent à maintes reprises,... à tuer les soldats qu’ils sont censés protéger !

En fin de matinée, le feu ennemi est néanmoins suffisamment ralenti pour permettre l’escalade des falaises, qui se retrouvent investies et neutralisées sur le coup de 14h00

Et si, sur la Plage X, un peu plus au nord, les choses se passent encore mieux - les soldats parvenant à emporter le sommet sans encourir d’énormes pertes - on n'a pour l’heure d’autre choix que de s’y retrancher en prévision d’une contre-attaque ottomane, que l’on tient à présent pour aussi certaine qu’on la croyait impossible il y a encore quelques heures…

jeudi 18 avril 2019

5996 - On the River Clyde

Du River Clyde, chacun  tente de rejoindre la plage via un ponton improvisé
… non loin de là, à quelques dizaines de mètres des ruines du fort de Sedd-el-Bahr, le River Clyde n’est pas plus heureux : plutôt que de s’échouer sagement sur la plage, tel que prévu, le vieux charbonnier devenu navire de débarquement, s’éventre en effet sur des rochers qui ne figuraient sur aucune carte !

La profondeur de l’eau interdisant aux hommes de sauter par les ouvertures découpées dans la coque, on fait venir des allèges et on s’efforce, sous la mitraille, de les relier entre elles afin de constituer un ponton improvisé qui mènera jusqu’à la plage.

Depuis les superstructures du charbonnier, les soldats se relayent sans discontinuer pour armer les mitrailleuses qui tentent de couvrir les travaux;  mais les mitrailleuses surchauffent, s’enrayent, il faut changer les canons, puis recommencer à tirer des centaines, des milliers, et finalement des dizaines de milliers de cartouches (!) vers les berges,... sans parvenir pour autant à réduire l’ennemi au silence.

Pour finir, et au prix de nombreux morts, le ponton est mis en place; les hommes se ruent hors du River Clyde, courent sur le ponton… et se retrouvent fauchés par rangées entières sous un feu ottoman qui repart de plus belle !

La confusion est totale et les pertes humaines, qui dépassent 50% des effectifs des premières vagues, sont telles que l’on se décide au bout du compte à tout stopper et à attendre la nuit avant de procéder à de nouveaux débarquements…

mercredi 17 avril 2019

5995 - les crucifiés du Cap Helles

Le pre-dreadnought Albion, bombardant la côte des Dardanelles
… Cap Helles, 25 avril 1915, 06h00

Dès l’aube, le pre-dreadnought Albion (1) a commencé a ouvrir le feu sur les positions ottomanes du Cap Helles.

Vers 06h00, les premiers canots s’approchent de la Plage V, sans susciter la moindre réaction de l’ennemi.

Les hommes sont confiants, chacun imagine en effet les Ottomans écrasés par les obus, ou alors déjà en fuite vers l’intérieur des terres.

Mais à peine les premières embarcations ont-elles atteint la plage que les tirs d’armes automatiques se déchaînent depuis les hauteurs, fauchant les soldats les uns après les autres.

Pire encore : l’ennemi, nullement disposé à accepter la défaite qu’on lui prédisait pourtant, s’est visiblement ingénié à installer des rouleaux entiers de barbelés sur les plages et même, de manière encore moins fairplay, sous la surface de l’eau !

En quelques secondes, hommes et canots s’entassent sur les obstacles et se retrouvent impitoyablement pris pour cibles, et d’autant plus que de nouveaux canots et d’autres hommes arrivent sans cesse, accroissant encore la confusion

Des dizaines, et bientôt des centaines de soldats se retrouvent bientôt hachés par les mitrailleuses, crucifiés sur les barbelés ou alors, tout simplement, noyés par les vagues et sous le poids de leur barda (2)

(1) mis en service en 1901, l’Albion (classe Canopus) est un 14 000 tonnes doté des traditionnelles quatre pièces de 305mm en artillerie principale
(2) conscient des problèmes que poserait le (ré)approvisionnement des troupes, les général Hamilton avait exigé que celles-ci emportent trois jours de nourriture, eau et munitions avec elles, ce qui rendait évidemment le paquetage extraordinairement pesant

mardi 16 avril 2019

5994 - chronique d'un désastre annoncé

Débarquement sur la plage ANZAC : une image vaut mille mots...
… le fait que tout ceci ait pu être conçu, réalisé et finalement mis en branle en si peu de temps constitue indubitablement un exploit, surtout en 1915 et en cette partie du monde, et si Gallipoli s’était résumée à une bataille logistique, les Alliés auraient sans conteste remporté la victoire.

Hélas, l’issue des batailles dépend également de considérations bien plus triviales, comme le nombre de soldats ennemis, leur équipement, leur détermination, leur disposition sur le terrain et, bien entendu, la nature du terrain lui-même.

Et le problème, c’est que la Péninsule de Gallipoli est probablement un des pires endroits au monde pour lancer un débarquement : les rares plages que l’on y trouve, dont aucune ne dépasse 600 mètres de large, n'offrent au mieux que quelques dizaines de mètres de terrain plat et dépourvu d'obstacles avant de déboucher sur des falaises rocheuses qui peuvent atteindre 300 mètres de hauteur.

Elles se prêtent donc fort mal à la dépose puis au départ rapide vers l'intérieur des terres de plusieurs de dizaines de milliers d’hommes et de leur impressionnante quantité de matériel.

Dit autrement les six plages choisies par le général Hamilton et son État-major ressemblent à s’y méprendre à des nasses,… et à des nasses qui ont toutes les chances de s’avérer mortelles si les défenseurs sont présents en nombre, retranchés sur les falaises, déterminés à se battre, et dotés d’armes automatiques à tir rapide…

lundi 15 avril 2019

5993 - l'innovation en marche

Le River Clyde, échoué au Cap Helles, à gauche du fort de Sedd-el-Bahr
… 25 avril 1915

A l’aube du 25 avril, la flotte de débarquement et ses navires de soutien se présentent donc devant Gallipoli.

En tout, 240 bâtiments de toute taille, mais aussi près de 200 000 marins et soldats, dont 80 000 - pour moitié britanniques, pour moitié australiens, néo-zélandais et français -  devront, après avoir débarqué et sécurisé les plages, se rendre maître de toutes les hauteurs qui surplombent celles-ci.

Vu d’aujourd’hui, l’opération serait impressionnante, mais en 1915, elle est carrément spectaculaire, surtout si l’on considère qu’elle a dû être reprise à zéro après l’échec naval du 18 février, puis remontée en seulement quelques semaines !

Faute de tout navire de débarquement spécialisé - qui n’existeront pas avant de nombreuses années - il a partout fallu improviser et imaginer des solutions inédites : des barques, remorquées par des pinasses à moteur, assureront ainsi un service de va-et-vient entre les plages et les transporteurs de troupes ancrés au large.

Mais avec le River Clyde on est allé plus loin encore, puisque ce vieux charbonnier transformé en transport de troupes que l’on a hérissé de mitrailleuses et dont la coque a été percée d’une multitude d’ouvertures conçues pour accélérer le débarquement des soldats sera quant à lui volontairement échoué sur une des plages du Cap Helles, codée V, tout à côté du fort de Sedd-el-Bahr, soit une configuration et une méthode qui, aussi bricolées et bancales puissent-t-elle sembler, n’en préfigurent pas moins ce que l’on verra, dans quelques années, et à bien plus grande échelle, sur quantités de plages d’Europe et du Pacifique…

dimanche 14 avril 2019

5992 - "Ce que l’on demande aux forces de terre, c’est simplement de seconder l’action de la flotte dans les Détroits"

... les troupes alliées, qui n’ont jamais été prévues, dimensionnées, équipées et entraînées pour cela, vont donc débarquer sur des plages pour elles inconnues mais déjà parfaitement identifiées par leurs adversaires qui, non contents d’être trois à quatre fois plus plus nombreux qu’escompté, les attendent de pied ferme, sur les hauteurs, et dans leurs tranchées !

Toutes les condition sont donc dores et déjà réunies pour une catastrophe d’une ampleur biblique et pourtant, dans le camp allié, personne ne manifeste la moindre inquiétude, à commencer par le général Hamilton qui, le 10 avril, se contente de souligner que "Ce que l’on demande aux forces de terre, c’est simplement de seconder l’action de la flotte dans les Détroits en occupant les sommets de la péninsule d’où les batteries turques molestent nos dragueurs de mines, et, comme ces sommets commandent les deux rives du détroit, même la rive asiatique plus basse, leur occupation assurera le passage de nos escadres" (1)

Comme le soulignera fort justement un analyste, "Ironiquement, Hamilton fut tellement absorbé par la planification des débarquements à Gallipoli (coordonner un ballet logistique de 200 navires, inventer de nouvelles tactiques amphibies jamais testées jusque là) qu’il n’eut que peu de temps pour anticiper la bataille proprement dite. 

Il n'avait pratiquement aucune connaissance du terrain de Gallipoli, ni du nombre de défenseurs ottomans. Certaines de ses cartes opérationnelles dataient de la guerre de Crimée. L'ennemi ne fut quasiment l’objet d’aucune attention : on supposait simplement que les Ottomans feraient demi-tour et s’enfuiraient au premier contact. 

C'était une terrible erreur. À Gallipoli, les soldats de l'Entente allaient affronter certaines des divisions d'infanterie les mieux entraînées et les mieux dirigées de l'armée ottomane.

Le plus dramatique, c’est que quasiment toute la planification de Hamilton reposait sur la seule éventualité d’un succès avec, comme unique alternative, un plan intitulé "Conduite suggérée en cas d’échec". Il n’existait aucun moyen-terme, aucune réflexion sérieuse sur la possibilité que l’on se retrouve confronté à une impasse ou à une contre-attaque ennemie"
(2)

(1) Schiavon, op cit, page 56
(2) Defense in Depth, Council on Foreign Relations, April 29, 2015

samedi 13 avril 2019

5991 - tel que prévu... par l'ennemi

Les plages de débarquement... déjà identifiées par les Ottomans
… côté allié - et c’est bien là le drame ! - on a évidemment décidé de débarqué… aux endroits déjà identifiés par von Sanders !

Ne jetons cependant pas la pierre à Hamilton et son État-major, qui ont dû planifier, en seulement quelques semaines, et en partant littéralement de zéro, une opération qui n’avait jamais été prévue dans le "Plan de Churchill", qui ont dû la planifier sur base de cartes et de renseignements aussi imprécis et inexacts les uns les autres,... et qui ont dû la planifier sur une Péninsule où n’existaient tout de même pas des dizaines d’opportunités différentes !

Schématiquement, donc, l’affaire se présente ainsi : les Britanniques de la 29ème division débarqueront au Cap Helles sur cinq plages identifiées Y, X, W, V et S d’ouest en est, tandis que les australiens et néozélandais en feront de même au nord de Gaba Tepe, dans une baie que l’on surnommera bientôt, et pour d’évidentes raisons, la "Baie ANZAC".

Quant aux Français de l’AFO, ceux-ci mèneront, dans un premier temps, une attaque de diversion sur Koum Kaleh, donc sur la côte orientale du détroit, avant de rembarquer et d’appuyer à leur tour les opérations au Cap Helles.

D’autres attaques de diversion sont prévues dont une, en particulier, sera menée, en solitaire, et dans des conditions rocambolesques, par un certain Bernard Freyberg, futur général et héros malheureux de la Bataille de Crète (1)

Voilà pour la théorie...

(1) Saviez-vous que… Le tombeau du Parachutiste allemand

vendredi 12 avril 2019

5990 - le retour de Kemal

Mustafa Kemal, devenu Pacha et auréolé de gloire, vers 1918
… revenons en effet à Mustafa Kemal, que nous avions laissé au printemps de 1913, lors de la Première Guerre balkanique, lorsqu’à la tête de ses hommes, il avait réussi à repousser tous les assauts bulgares… sur cette même Péninsule de Gallipoli !

Rendu fort populaire suite à cet exploit mais dans cette guerre pourtant finalement perdue par l’Empire, Kemal, qui est tout sauf germanophile et qui, contrairement à beaucoup d’officiers ottomans n’a jamais étudié en Allemagne, n’a ensuite pas tardé à s’opposer au triumvirat des Pachas, et en particulier au nouveau Ministre de la Guerre Enver Ismail qui, pour s’en débarrasser, l’a à la fois nommé lieutenant-colonel... et muté comme attaché militaire à l’ambassade ottomane de Sofia, autrement dit... chez ces mêmes Bulgares qu’il combattait encore quelques semaines auparavant !

Et c’est tout naturellement en raison de son expérience dans la Péninsule que deux ans plus tard, Kemal, revenu au service actif après le ralliement de l’Empire à la Triple Alliance, se retrouve à présent chargé de défendre une fois de plus cette dernière... sous les ordres du très germanique Liman von Sanders !

Les deux hommes n’ont pas grand-chose en commun, et certainement pas l'amour du Kaiser et de la langue de Goethe, mais à la guerre comme à la guerre et celle-ci, justement, se rapproche de plus en plus de Gallipoli, et en particulier de sa partie la plus méridionale que Kemal et ses hommes sont chargés de défendre...

jeudi 11 avril 2019

5989 - le grand déploiement

… infatigable, von Sanders arpente la Péninsule de long en large, tente d’identifier les points de débarquement les plus probables et aussi ceux qui offrent les meilleures possibilités de défense.

Au bout du compte, il décide de diviser ses forces en trois formations à peu près égales :

* la première sera positionnée dans la partie la plus méridionale de la Péninsule, autour du Cap Helles, que Français et Britanniques auraient pu conquérir en février, après la neutralisation du fort de Sedd el Bahr,… s’ils avaient alors disposé de l’Infanterie nécessaire !

* la seconde, à une vingtaine de kms au nord-ouest, défendra quant à elle une ligne entre Gaba Tepe et Maidos qui, si les Alliés venaient à s’en emparer, permettraient alors à ceux-ci de prendre à revers, et par voie de terre, le fort de Kilid-Bahr, lequel, avec son homologue de Tchanak-Kaleh sur la rive opposée, verrouille comme nous l’avons vu la partie la plus étroite du goulet.

* la troisième, la plus au nord, défendra pour sa part l’isthme de Bolayir qui, avec seulement 6 kms, forme la partie la plus étroite de la Péninsule et qui, si les Alliés venaient là aussi à s’en emparer, leur offrirait la possibilité de couper les deux premières formations de toute possibilité de ravitaillement ou de retraite.

Bien qu’assignées chacune à un secteur bien précis, ces trois formations devront néanmoins être en mesure de s’épauler l’une l’autre, donc de dépêcher en tout temps renforts de troupes et de canons à un endroit plus exposé du Front

Pour commander les forces déployées le plus au sud, von Sanders a jeté son dévolu sur un jeune lieutenant-colonel de 34 ans

Mustafa Kemal

mercredi 10 avril 2019

5988 - "Les Anglais me laissèrent heureusement quatre semaines pour réorganiser la défense et faire venir de Constantinople une nouvelle division"

von Sanders et Mustafa Kemal : l'alliance germano-ottomane
… et les Ottomans, bien sûr, sont parfaitement au courant des intentions du général Hamilton et des nombreux va-et-vient de ses troupes, abondamment décrits et relayés par la Presse !
 
"Après le 18 mars",  écrira le général von Sanders, "il était aussi clair pour nous que pour les Alliés que la route de Constantinople ne pourrait être ouverte par la seule voie d’eau. 

Il fallait donc s’attendre à un gros débarquement. Or nous savions que les Alliés avaient amené un corps important à Lemnos et à Imbros, sous les ordres des généraux Hamilton et d’Amade (1)

Le 24 mars, Essad Pacha (2) se décida enfin à créer une nouvelle armée, la Ve, pour la défense des Dardanelles et, le soir même, il m’en offrit le commandement, ce que j’acceptai.

Il n’y avait pas de temps à perdre. Dès le lendemain, je quittai Constantinople pour établir mon QG à Gallipoli. Les jours suivants furent des jours de gros travail, car tout était à changer dans la répartition des troupes sur les côtes.

Les Anglais me laissèrent heureusement quatre semaines pour réorganiser la défense et faire venir de Constantinople une nouvelle division
" (3)

Et de fait, quand Français et Britanniques se lanceront enfin à l’attaque, le 25 avril, les troupes ottomanes présentes dans la Péninsule auront eu le temps de passer de deux à… six divisions, alignant ainsi quasiment autant de soldats que leurs adversaires !

(1) vétéran des guerres coloniales, Albert Gérard Léo d'Amade avait été nommé commandant de l’Armée Française d’Orient (AFO) le 24 février
(2) membre du triumvirat des « Trois Pachas », Ismail Enver Pacha était devenu, en 1913, Ministre de la Guerre de l’Empire ottoman
(3) Schiavon, op cit, page 52

mardi 9 avril 2019

5987 - errare humanum est...

Gallipoli : en barques, les pieds dans l'eau... et sous la mitraille
… l’erreur, dit-on, est humaine, mais à Gallipoli, celle-ci est malheureusement sur le point de se répéter à l’identique !

Alors que la Marine, comme nous l’avons vu, avait largement surestimé ses forces et perdu un temps précieux avant de se mettre en branle, permettant ainsi à un adversaire quant à lui dramatiquement sous-estimé de renforcer ses positions et d’attendre l’attaque de pied ferme, l’Armée de Terre est à son tour occupée à faire la même chose !

Comme si aucune leçon n’avait été tirée des attaques navales sur le détroit et, surtout, de la débâcle du 18 mars, Hamilton, son État-major, mais aussi les fantassins sur leurs navires de transport, "croient que les batailles à venir seront de faible ampleur, menées au soleil, dans des contrées méditerranéennes agréables, face à un adversaire de peu de valeur " (1)

Et si chacun sait à présent que le débarquement se fera en chaloupes sur une plage et les pieds dans l’eau plutôt que par une passerelle, sur un quai et au sec, personne n’imagine cependant que le dit débarquement devra en réalité s’effectuer sous les tirs d’obus, de mitrailleuses et de fusils,... et personne du reste ne s’y est préparé ni entraîné !

Une fois de plus, nonchalance et sentiment de supériorité prévalent et, une fois de plus, tout cela va se payer très cher, et au prix du sang.

Car les Ottomans, bien sûr, sont prêts, et d'autant plus que, confortés par leurs premières victoires, ils n'ont aucune intention, comme l'affirme pourtant un fascicule distribué aux troupes alliées, "de se rendre en tenant leur fusil à l'envers et en agitant des vêtements ou des haillons de toutes les couleurs""..

(1) Schiavon, op cit, page 51

lundi 8 avril 2019

5986 - cinq semaines plus tard

Pièce lourde ottomane - gracieuseté de la maison Krupp - aux Dardanelles
… Alexandrie, 28 mars 1915

Ainsi, au lieu de partir à la conquête de la Péninsule dans la foulée de la débâcle du 18 mars, le général Hamilton n’a maintenant d’autre choix que de renvoyer à Alexandrie, où ils arrivent le 28 mars, les navires et les troupes qui, pour beaucoup, attendaient depuis des semaines, au large de Lemnos ou du détroit, de débarquer en vainqueurs à Constantinople et sans même avoir eu à combattre !

Et même si Alexandrie bénéficie sans conteste d’infrastructures infiniment supérieures à celles de Lemnos, il va malgré tout falloir près de trois semaines (!) pour décharger les quelque 200 paquebots et cargos du contingent, puis les recharger d’une manière mieux adaptée - ou moins inadaptée - à un  assaut amphibie.

Le défi logistique, il est vrai, est de taille et constitue même, pour l’époque, une première et un authentique exploit à mettre au crédit du général Hamilton, qui rappelons-le n’a été nommé à ce poste que le 12 mars, et de son État-major ô combien improvisé, contraint de dresser les plans d’attaque sur des cartes datant de la Guerre de Crimée de 1853, voire même... sur des cartes touristiques dénichées dans les bazars du Caire !

Le 18 avril, la flotte réorganisée et maintenant reconnue "d’invasion" est enfin de retour à Lemnos, mais elle va encore devoir patienter une semaine avant de partir à la conquête de Gallipoli, sur laquelle elle ne débarquera finalement que le 25, soit déjà cinq semaines après la défaite de John Michael de Robeck devant les forts, et les champs de mines (!), de Kilid-Bahr et Tchanak-Kaleh !

Cinq semaines une fois de plus mises à profit par les Ottomans pour renforcer leurs défenses et se préparer à l’attaque…

dimanche 7 avril 2019

5985 - "Nous étions comme des voyageurs qui ne s’y reconnaissent plus dans leurs bagages"

Brancardiers australiens à l'entraînement devant Lemnos, avril 1915
… car le "plan de Churchill", rappelons-le, ne prévoyait pas que les troupes ainsi rassemblées soient occupées à autre chose qu’assurer la sécurité et la liberté de navigation en Mer de Marmara et tout au long du passage des détroits après la prise de ces derniers !

Dit autrement, la Mediterranean Expeditionary Force n’a jamais été constituée, entraînée et équipée comme unité combattante ayant une et même des batailles à remporter, mais plutôt comme une force d’occupation pour le lendemain de la bataille !

Pire encore : comme elle ne devait en définitive que jouer le rôle d’une version à peine plus musclée de nos modernes Casques bleus, il n’a jamais été prévu qu’elle débarque ailleurs que dans un port tranquille et doté de tous les quais, moyens de levage, hangars, baraquements et infrastructures nécessaires !

L’amiral Émile Guépratte, qui commandait l’escadre française lors de la malheureuse attaque du 18 mars, résume d’ailleurs fort bien l’immense défi que va représenter, ne serait-ce qu’au plan logistique, ce changement radical de mission 

"L’embarquement du matériel dans les ports de France et d’Angleterre avait été effectué sans méthode. Nous étions comme des voyageurs qui ne s’y reconnaissent plus dans leurs bagages ! Il était donc urgent de remettre de l’ordre dans le chargement en groupant sur chaque navire les divers éléments d’une force capable de se suffire à elle-même lors de la mise à terre. 

Or, il était impossible de procéder à ce remaniement dans le port de Moudros (2), dépourvu de tout outillage. Alexandrie au contraire, était admirablement doté de quais, d’appareils de levage, etc. Et les abords de la place se prêtaient très bien au cantonnement des troupes et des exercices d’entraînement" (1)

(1) Schiavon, pages 51-52
(2) petite ville portuaire située située sur l'île grecque de Lemnos.

samedi 6 avril 2019

5984 - le début des ennuis

Le général Hamilton, en tenue coloniale, en 1910
… tout au long de la phase purement "navale" de la Bataille des Dardanelles, l’Armée ottomane n'alignait, au mieux, que l'équivalent de deux divisions d’Infanterie dans la Péninsule de Gallipoli.

Face à une flotte de cuirassés, et à leurs énormes canons, à quoi bon en effet gaspiller temps et énergie à installer, ravitailler, mais aussi exposer à la mitraille, de la simple piétaille ne possédant que fusils, mitrailleuses et canons de campagne le plus souvent antédiluviens ?

Avec deux divisions britanniques (la 29ème et la East-Lancashire), une division de Royal Marines, les deux divisions australiennes et néo-zélandaises de l’ANZAC, et une division de l’Armée française d’Orient, le commandant en chef de la nouvelle "Mediterranean Expeditionary Force", le général Hamilton, dispose, en cette fin de mars 1915, de quelque 80 000 hommes, et donc d’une supériorité numérique de trois à quatre contre un, ce qui parait très largement suffisant.

Après l’échec de phase navale, et la décision de se rendre maître des détroits par voie de Terre, on doit cependant s’attendre à ce que les Ottomans déploient bientôt de nombreux renforts d’Infanterie dans la Péninsule, ce pourquoi il importe, à l'évidence, de débarquer ce corps expéditionnaire le plus rapidement possible.

Mais le problème - et il est de taille ! - c’est que la MEF ne constitue pas un véritable "corps expéditionnaire", puisqu'il n'est en fait rien d'autre qu'une simple "armée d’occupation" !

Et c’est ici que les ennuis commencent…

vendredi 5 avril 2019

5983 - après la Mer, la Terre...

… avec une partie si mal engagée, et des Ottomans bien évidemment galvanisés par leur première et incontestable victoire sur deux grandes puissances européennes, mieux vaudrait assurément se mettre à la recherche d’une solution de rechange qui n’impliquerait pas de repartir à l’attaque à l’endroit précis où l’on vient de subir une si humiliante défaite !

Mais le problème, comme l’a très clairement déclaré Kitchener le 24 février lors d’une réunion du Cabinet de Guerre, c’est que "si la flotte ne peut franchir les Détroits sans aide, l’armée devra veiller à ce que l’affaire réussisse. L’effet d’une défaite dans l’Orient serait très sérieux. Il n’est pas possible de reculer. La publicité de l’intention nous a engagés" (1)

Et maintenant que la dite flotte vient de reconnaître, au grand déplaisir de Churchill, qu’elle ne pourra effectivement pas y arriver seule, le plan de conquête "remanié" prévoit donc de faire débarquer un corps expéditionnaire complet sur la Péninsule de Gallipoli, langue de terre de quelque 70 kms de long et d’une largeur maximale d’environ 10 kms, ce qui devrait permettre, dans un premier temps, de prendre à revers les forts qui gardent la rive occidentale du détroit, libérant ainsi son accès, puis, dans un second temps, de rallier Constantinople en longeant la rive occidentale de la Mer de Marmara.

En paraphrasant l’amiral Carden et les péripéties des derniers mois, on pourrait tout autant affirmer que "des opérations d'envergure" mettant en œuvre "un grand nombre de fantassins" devraient, là aussi, permettre d’atteindre cet objectif,... à condition, là encore, que l’on agisse "immédiatement" et avec "détermination"

Mais en a-t-on vraiment le désir, et les moyens ?

(1) Schiavon, op cit, page 41-42

jeudi 4 avril 2019

5982 - le début de la descente aux enfers

Le Premier Lord de l'Amirauté Winston Churchill, en 1914
... ce télégramme de de Robeck à l’Amirauté marque de facto  la fin de la phase strictement navale de la Bataille des Dardanelles, laquelle se solde donc par un constat d’échec qui, pour Churchill, sonne non seulement comme un désaveu, mais marque aussi le début d’une descente aux enfers dont il mettra plus de vingt ans à se remettre !

Dans cette affaire, et même s’il est loin d’être le seul dans le cas, le Premier Lord de l’Amirauté a à l’évidence vu trop grand : sous estimant lourdement le potentiel de sa Marine, et sous-estimant encore plus gravement celui de l’adversaire ottoman, il n’a rien trouvé d’extravagant dans le fait d’envoyer de lourds et lents navires dans un goulet de plus de 60 kms de long, où ils pouvaient être canonnés, torpillés ou encore minés à n’importe quel endroit du parcours !

Au cours des guerres précédentes, les Ottomans, il est vrai, n’avaient pas démontré grand-chose, si ce n’est leurs faiblesses, mais Churchill ne pouvait ignorer qu’ils étaient à présent les alliés directs de la première puissance militaire d’Europe, ni qu'ils bénéficiaient, depuis des décennies, de l’aide de conseillers militaires extrêmement compétents, comme le général Liman von Sanders.

On pourra toujours écrire qu’avec davantage de détermination et moins de tergiversations, avec plus de navires, et surtout des navires plus modernes et plus puissants, le passage des détroits aurait bel et bien pu être forcé par la Marine seule, laquelle se serait alors bel et bien présentée devant Constantinople pavillon au vent et la victoire derrière elle.

Mais avec des si, l’Infanterie alliée, qui est maintenant sur le point d’entrer en scène, aurait, elle aussi, pu remporter la victoire...

mercredi 3 avril 2019

5981 - "des forces terrestres seront nécessaires"

Le Canopus, en action dans les Dardanelles : les gros canons ne suffisaient pas...
… 23 mars 1915

Pour l'heure, le principal intéressé, John Michael de Robeck, ne semble en tout cas nullement décidé à baisser les bras

Dans son esprit, il s'agit maintenant de reprendre son souffle, de panser les plaies, et aussi, comme il l'écrit à Churchill le 20 mars,... de profiter du fait que de nombreux marins, rescapés du naufrage des trois pre-dreadnought, se retrouvent disponibles pour remplacer les équipages civils des dragueurs de mines, dont chacun a pu mesurer, depuis le début de cette affaire, à quel point ils manquaient d'enthousiasme à l'idée de risquer leur vie sous la mitraille !

Et Churchill est bien de son avis : dans cette guerre où les hommes ne comptent pas, et où les navires perdus, à l'exception de l'Inflexible - qui n'est d'ailleurs qu'endommagé - étaient de toute manière obsolètes, donc sacrifiables (1) il importe de reprendre l’attaque au plus vite, ce pourquoi informe-t-il de Robeck de sa décision d'en envoyer quatre autres en remplacement !

Reste que de Robeck, comme Carden avant lui, commence à douter : les champs de mines dont on connait l’existence et dont on avait voulu se débarrasser le 18 mars, demeurent largement intacts, et la perte des trois pre-dreadnought, à présent attribuées à des mines, prouve qu’il en existe d’autres, et peut-être aussi d’autres canons et d’autres torpilles, dissimulés en d’autres endroits de cet infernal goulet de plus de 60 kms de long

Rien ne garantit donc qu’une nouvelle attaque connaitrait cette fois un meilleur sort, ce pourquoi, le 23 mars, de Robeck se résout à jeter l’éponge et à reconnaître la défaite de la Marine, en soulignant, dans un télégramme à l’Amirauté, que "des forces terrestres seront nécessaires"...

(1) près de trente ans plus tard, à quelqu’un qui lui faisait observer l’ampleur des pertes subies par la Royal Navy en Crète, Churchill, devenu Premier Ministre, soulignera encore que les bâtiments de guerre "devaient tous être risqués pour le bien commun" car après tout, "pourquoi croyez-vous qu’on les construit ?"

mardi 2 avril 2019

5980 - "le rôle de l’armée ne sera nullement subsidiaire "

L'Ocean, en 1901
... sur le Queen Elizabeth, cette succession de catastrophes a naturellement été accueillie avec consternation. mais le feu ottoman étant à présent réduit à presque rien, la plupart des officiers présents estiment qu’il faut poursuivre la lutte et envoyer immédiatement les dragueurs de mines

De Robeck hésite : il compte des centaines de morts et de blessés dans ses rangs; il a déjà perdu trois cuirassés - et avec l’Inflexible peut-être même un quatrième, - et il n'en connait toujours pas la raison; les bâtiments survivants ont tous subi de nombreux et parfois importants dommages; le soir tombe et, surtout, rien ne garantit que cette soudaine accalmie ne dissimule pas une ruse des Ottomans visant à attirer leurs adversaires plus prêt des rives avant de recommencer à les canonner.

L’un dans l'autre, il ordonne plutôt de retraiter vers la sortie du détroit. A-t-il raison ? A-t-il tort ? Un siècle plus tard, il est toujours impossible de trancher, mais ce qui est sûr, en revanche, c’est que cette retraite offre bel et bien la victoire aux Ottomans !

Nonobstant, la dite victoire est-elle... définitive ?

C’est en tout cas ce que pense le commandant-en-chef de la "Mediterranean Expeditionary Force", le général Hamilton, qui, dès le lendemain de la bataille, écrit à Kitchener qu’il est à présent "contraint d’admettre que le rôle de l’armée ne sera nullement subsidiaire comme on l’avait pensé. Ce sera elle qui devra rendre possible le passage de la flotte" (1)

A contrario, les Ottomans, eux, auraient plutôt tendance à penser le contraire, s’il faut en croire du moins l’ambassadeur des États-Unis à Constantinople, et futur Secrétaire d’État au Trésor, Henry Morgenthau, qui, dans un message à son gouvernement, souligne que chacun  dans la la capitale de l'Empire s’attend à une nouvelle attaque et estime ne pouvoir y résister que quelques heures…

(1) Schiavon, op cit, page 48

lundi 1 avril 2019

5979 - rien ne va plus

L'Irresistible, abandonné et en train de sombrer
... mais en cherchant à se rapprocher de l’Irresistible pour le prendre en remorque, l’Ocean s'échoue sur un haut-fonds !

Le temps de se dégager de cette fâcheuse position et l’Irresistible, profondément enfoncé par l’avant et qui gîte de plus en plus sur tribord, se révèle impossible à remorquer !

On se contente donc de recueillir les membres d'équipage encore à bord (1) avant de mettre le cap sur la sortie de détroit, en abandonnant l'épave du pre-dreadnought à son sort

Mais à 19h00, comme il est dit que rien ne sera décidément épargné à la coalition en cette triste journée du 18 mars 1915, c'est l'Ocean qui se retrouve à son tour ravagé par une explosion !

Gîtant de près de 15 degrés sur tribord, ses chaufferies envahies par l’eau, et bien entendu canonné depuis la rive par les Ottomans trop heureux de l'Aubaine, l’Ocean n’est rapidement plus qu’une cause perdue, que son équipage évacue vers 19h30 et qui, à l’instar de l’Irresistible, sombrera durant la nuit !

Quand rien ne va...

(1) la plupart d’entre eux avaient déjà été recueillis par un destroyer