jeudi 31 octobre 2013

3891 - et pendant ce temps-là...

... automne 1941

Étudié dès les premiers mois de 1939, et voulu le plus simple possible afin d'entrer en service le plus rapidement possible, le Vanguard a donc dû attendre octobre 1941, soit plus de deux ans, avant d'être finalement mis en chantier !

Dans l'intervalle, la guerre a éclaté, s'est propagée à toute l'Europe, a gagné l'URSS et va bientôt atteindre les États-Unis, écornant dramatiquement le prestige déjà vacillant des cuirassés

En octobre 1939, le cuirassé Royal Oak a en effet été coulé par un sous-marin en pleine rade de Scapa Flow; en décembre, le Panzerschiff Admiral Graf Spee s'est vu contraint par de simples croiseurs à se saborder devant Montevideo.

En novembre 1940, à Tarente, les Littorio et Caio Duilio ont été gravement endommagés, et le Conte di Cavour définitivement mis hors de combat, par une poignée de biplans de toile et de bois;

En mai 1941, le Hood a été pulvérisé par le Bismarck, lequel n'a pas profité longtemps de sa victoire puisqu'il a lui-même été coulé trois jours plus tard lors d'un affrontement qui n'a été rendu possible que par l'intervention déterminante de quelques autres biplans de toile et de bois; en septembre, le vieux Marat soviétique a quant à lui été coulé par une seule bombe d'avion.

Mais le pire est encore à venir : le 25 novembre, le Barham est envoyé par le fond par un sous-marin; le 7 décembre, les huit cuirassés américains ancrés à Pearl Harbor sont à leur tour détruits, ou gravement endommagés, par quelques centaines de bombardiers-torpilleurs acheminés sur place par plusieurs porte-avions; encore trois jours, et ce sont les Prince of Wales et Repulse qui subissent le même sort au large de la Malaisie...

mercredi 30 octobre 2013

3890 - de modifications en modifications

... débuté en juillet 1939, interrompu en septembre, repris en février 1940, le traçage des plans du Vanguard est à nouveau interrompu en juin : dessinateurs, ingénieurs et architectes étant à nouveau requis pour des projets bien plus urgents.

Mais lorsqu'ils reprennent à nouveau, en octobre 1940, une menace bien plus sérieuse que les contraintes liées à la guerre pèse désormais sur l'avenir du Vanguard : les atermoiements de ses futurs utilisateurs et propriétaires !

A l'origine, il ne s'agissait pourtant que de modifier en cuirassé à quatre tourelles les plans d'un bâtiment prévu pour n'en emporter que trois. Mais, sous le louable objectif de "tenir compte des enseignements de la guerre", et en particulier des premières attaques des avions et sous-marins allemands, l'Amirauté ne cesse de réclamer des modifications, lesquelles entraînent à chaque fois un long retour sur la planche à dessins !

Pour mieux affronter les bombes d'avions, on décide ainsi d'augmenter le nombre de canons antiaériens ainsi que l'épaisseur du blindage des ponts, et pour accroître l'autonomie, de majorer le volume des réservoirs.

Mais comme tout cela aurait inévitablement pour effet d'augmenter considérablement le tonnage total du bâtiment, il faut alors se résoudre à diminuer l'épaisseur du blindage de la ceinture principale puis, le tirant d'eau estimé s'avérant encore trop élevé, à augmenter de près d'un mètre (!) la largeur de la coque.

Au bout du compte, il faut donc attendre avril 1941 pour que les plans soient enfin acceptés, et octobre pour que le navire soit enfin mis sur cales...

mardi 29 octobre 2013

3889 - dans l'idée du moins...

... 11 septembre 1939

Dans l'idée du moins, le Vanguard n'est donc qu'un Lion modifié, qui aurait simplement troqué ses trois nouvelles tourelles triple de 406mm trop longues à construire pour quatre tourelles double de 380mm usagées, ce qui, pour ses détracteurs, fera bientôt dire de lui qu'il est tout bonnement doté "des dents de sa grand-tante".

La comparaison est cependant injuste car, comme l'expérience de la guerre va bientôt le démontrer, les vieux cuirassés qui, tels le Warspite, sont dotés des mêmes canons et tourelles ne sont nullement à la traîne en portée ou en puissance de feu, et même plutôt avantagés sur le plan de la fiabilité, par rapport aux tourelles quadruples et aux canons de 356mm des King George V pourtant de plus de 20 ans leurs cadets !

Reste tout de même à modifier en cuirassé à quatre tourelles des plans conçus pour un cuirassé à trois tourelles ce qui, sur le plan du design comme de la structure, est bien plus complexe qu'il n'y paraît, a fortiori lorsque les impératifs de la guerre vont eux-mêmes entraîner une pénurie de dessinateurs, puis la suspension officielle des travaux, le 11 septembre 1939.

Et il faudra attendre février 1940 pour qu'à l'instigation d'un Winston Churchill revenu aux affaires navales(1), ceux-ci puissent enfin reprendre.

Hélas pour le Vanguard, ses futurs propriétaires sont maintenant résolus à rendre très compliqué ce qui aurait dû rester simple...

(1) le 3 septembre 1939, Winston Churchill avait retrouvé le poste de Premier Lord de l'Amirauté qu'il avait été contraint d'abandonner en mai 1915 suite à la désastreuse Campagne des Dardanelles

lundi 28 octobre 2013

3888 - faire du neuf avec du vieux

... pour autant, la suspension, et finalement l'annulation, de la classe Lion n'a nullement fait disparaître le besoin, ou en tout cas l'envie, de nouveaux cuirassés!

Ayant reconnu, dès le début de 1939, donc avant-même le début des hostilités, l'impossibilité de construire et de mettre en service dans un délai "raisonnable" ces six bâtiments tous nés d'une feuille blanche, l'Amirauté britannique a d'ailleurs commencé à envisager la possibilité d'en construire au moins un "au rabais",... en récupérant ici et là toutes les pièces et équipements déjà existants et sur lesquels elle pourrait mettre la main !

Car pour tout navire de guerre, ce n'est pas la coque mais bien le système d'armes qui constitue le véritable goulot d'étranglement : comme l'exemple des King George V vient encore de le démontrer, il faut en effet des années pour concevoir, fabriquer, installer et mettre au point non seulement de nouveaux canons et de nouvelles tourelles, mais aussi leurs différents mécanismes de rotation, d'élévation et d'alimentation.

Or il se trouve que la Royal Navy dispose déjà des uns et des autres !

Depuis 1915, pas moins de 21 bâtiments, dont 19 sont encore en service, ont en effet été équipés de pièces de 380mm (que l'on trouve notamment sur le Warspite), et il existe même, dans les stocks, quatre tourelles complètes et parfaitement adaptées à ceux-ci puisque prélevées en 1924 sur les Courageous et Glorious lors de la conversion de ces derniers en porte-avions !

Avec ces quatre tourelles usagées, et en remaniant quelque peu les plans des Lion, on pourrait donc construire rapidement, et à peu de frais, un nouveau cuirassé doté de huit pièces de 380mm.

Dans l'idée du moins, le Vanguard vient de naître...

dimanche 27 octobre 2013

3887 - changement de priorités

... l'Angleterre est une île : c'est sa grande force mais c'est aussi sa principale faiblesse car, pour survivre, elle a besoin d'approvisionnements réguliers en provenance tant des États-Unis que de son vaste Empire.

Or ses approvisionnements ne peuvent lui parvenir que par la mer, ce qui les place donc sous la menace permanente des navires de surface et - surtout - des sous-marins allemands qui, dans l'Atlantique, vont d'ailleurs s'adjuger plus de vingt millions de tonnes de bâtiments divers !

Dans ces conditions, l'acier, la main d’œuvre et les chantiers navals anglais vont être mobilisés, dès le début de la guerre, pour réparer et construire non seulement les indispensables cargos et pétroliers mais aussi les destroyers, frégates et corvettes qui doivent les escorter lors de leurs périlleux voyages.

De toute manière, en ces heures dramatiques où l'on ne parle plus que de "guerre éclair", et bientôt d'un probable débarquement de troupes allemandes sur le sol anglais, que pourrait-on bien faire de nouveaux cuirassés qui, à supposer-même qu'on leur alloue les moyens nécessaires, ne pourraient entrer en service qu'en 1944 ou 1945 ?

Suspendue pour un an en octobre 1939, la construction des six cuirassés de la classe Lion ne reprendra donc jamais, et sera officiellement annulée en 1942, ce qui, et aussi étrange cela puisse-t-il sembler, ne va pourtant pas empêcher architectes et ingénieurs de continuer à rêver, et même à travailler, et ce jusqu'en 1944 (!), sur des Lion "améliorés" par les enseignements de la guerre, donc toujours plus gros, plus puissants... et plus irréalistes...

samedi 26 octobre 2013

3886 - à peine débutés, déjà suspendus

... février 1939

Avec pareils délais, rien d'étonnant à ce qu'ingénieurs et architectes aient commencé à réfléchir aux successeurs des King George V bien avant que le premier d'entre eux n'entre en service !

Et plus question cette fois de limiter le tonnage à 35 000 tonnes ni, surtout, le calibre des canons à 356mm : tels que définis en décembre 1938, les six cuirassés de la nouvelle classe Lion jaugeront au moins 42 000 tonnes et disposeront, tout comme leurs cousins d'Outre-Atlantique, de neuf canons de 406mm en trois tourelles triple, c-à-d d'une puissance de feu largement supérieure - du moins en théorie (1) - aux King George V.

Les deux premiers Lion (Lion et Temeraire) sont commandés en février 1939, et mis sur cales au début de l'été. La mise sur cales des deux suivants doit en principe débuter à la fin de l'année, et celle des deux derniers en 1940, avec une mise en service prévue - dans le meilleur des cas - pour 1944 ou 1945.

Mais aucun d'entre eux ne verra pourtant le jour car, dès le mois d'octobre, l'Amirauté ordonne en effet de suspendre les travaux pour un an, et ce afin de réaffecter l'acier, la main d’œuvre et les infrastructures nécessaires à leur construction à une tâche autrement plus urgente et essentielle...

... la survie de la Grande-Bretagne

(1) lors de la 2ème G.M., les affrontements, au demeurant fort rares, entre cuirassés, allaient néanmoins démontrer le peu de différence réelle, en portée comme en puissance d'impact, des 356 par rapport aux 380 ou 406mm

vendredi 25 octobre 2013

3885 - de retards en retards

... 1er janvier 1937

Leurs plans tracés en 1934, leurs constructions autorisées par le Traité de Londres de mars 1936, et leurs commandes passées à partir de juillet 1936, les premiers cuirassés - il y en aura cinq - de la nouvelle classe King George V sont donc mis en chantier à partir du 1er janvier 1937.

Mais la construction d'un engin de mort aussi gigantesque, puissant et complexe qu'un cuirassé constitue toujours, quel que soit l'endroit du monde, une tâche de longue haleine, en particulier au niveau des canons et, surtout, des tourelles et de leur délicat mécanisme de rotation et d'alimentation en obus (1)

C'est aussi une tâche soumise à de nombreux aléas, et notamment aux pénuries d'acier, de main d’œuvre spécialisée et de capacités productives que le déclenchement d'une nouvelle guerre ne manquerait pas de provoquer.

Et de fait, de retards en retards, la mise en service du premier de ces cinq nouveaux cuirassés, le King George V, ne s'effectuera finalement que le 11 décembre 1940 - soit plus de quatre ans après la commande initiale - et celle du dernier, le Howe, devra même attendre août 1942 - soit cinq ans après sa mise sur cales !

(1) aujourd'hui encore, il est infiniment plus lent et difficile de concevoir, fabriquer, installer et mettre au point les systèmes d'armement que de fabriquer les coques des navires...

jeudi 24 octobre 2013

3884 - un nouveau départ

... mai 1931

En demi-sommeil pendant près d'une décennie, le petit monde des cuirassés se réveille soudain au printemps 1931, avec le lancement du Deutschland, le premier "cuirassé de poche" allemand.

Même si la guerre démontrera bientôt que la dangerosité de ce navire et de ses successeurs a largement été exagérée, le péril paraît pour l'heure suffisamment grand pour inciter toutes les puissances navales soucieuses de leur rang à se relancer dans une nouvelle et ruineuse course aux armements

En Grande-Bretagne, celle-ci va prendre la forme de cinq nouveaux cuirassés de 35 000 tonnes dotés, dans un ultime effort pour sauver ce qui peut encore l'être, de canons de "seulement" 356mm, contre 406 et 380mm pour les Nelson et autres Queen Elizabeth des générations précédentes.

En cette époque où l'on attache encore une grande importance à la taille et au calibre des canons, ce choix donne naturellement lieu à de nombreuses critiques, forçant les ingénieurs à... multiplier le nombre de canons, qui passent ainsi des traditionnels 8 ou 9 à pas moins de 12, groupés en trois tourelles quadruples afin de gagner du poids.

Mais comme le dit gain n'est pas encore suffisant, on n'a bientôt plus d'autre choix que de sacrifier une des tourelles quadruples pour la remplacer... par une tourelle double, certes plus légère mais qui va conférer à ces cinq bâtiments une allure pour le moins peu harmonieuse, en plus de retarder considérablement leur mise en service...




mercredi 23 octobre 2013

3883 - conversion

... été 1924

Au début de la 1ère G.M., l'amiral John Fisher a réclamé la construction de trois "grands croiseurs légers" - les Furious, Courageous et Glorious - aussi grands et rapides que les croiseurs de bataille de l'époque mais plus légers qu'eux (environ 20 000 tonnes) grâce à un blindage réduit à sa plus simple expression et à un armement ramené à seulement quatre canons de 380mm en deux tourelles double.

L'idée de Fisher est en effet de disposer de bâtiments qui, grâce à leur vitesse et leur faible tirant d'eau, seraient mieux à même d'opérer en Mer Baltique que les cuirassés et croiseurs de bataille conventionnels, et donc mieux en mesure d'y appuyer d'éventuelles opérations de débarquement.

Mais comme toute idée de débarquement en Baltique a finalement été abandonnée, et comme le Furious a lui-même a été converti en porte-avions avant son achèvement, seuls les Courageous et Glorious sont entrés en service fin 1916, début 1917,... sans jamais donner satisfaction à leurs utilisateurs ni justifier les coûts liés à leur construction.

Le Traité de Washington de 1922 contraignant la Royal Navy à se séparer de près de la moitié de ses cuirassés et croiseurs de bataille (1), pourquoi ne pas transformer en porte-avions ces deux navires qui sont tout de même modernes, rapides, et de vastes dimensions, donc idéaux pour une telle conversion ?

Débutés à l'été de 1924, ces travaux de conversion pour le moins conséquents - ils vont d'ailleurs durer plusieurs années - impliquent évidemment le démontage des canons mais aussi de leurs tourelles, très semblables à celles du Warspite et que l'on va donc stocker pour une éventuelle utilisation future...

(1) Saviez-vous que... 3703

mardi 22 octobre 2013

3882 - mauvais présage

… 9 juillet 1917

Au sein des marines de guerre, et particulièrement au sein de la Royal Navy, il est de coutume de redonner à un nouveau navire de guerre le nom d’un navire disparu au combat ou admis à la retraite, manière d’assurer une continuité du service et de rendre hommage à la fois au navire lui-même et aux marins qui ont servi à son bord.

Le Vanguard ne fait pas exception à la règle : de 1586 à 1917, pas moins de neuf navires de la Royal Navy ont déjà porté ce nom (1), mais, faut-il y voir un mauvais présage, son prédécesseur direct a hélas connu une fin beaucoup plus tragique que glorieuse…

Mis en service en 1910, le neuvième Vanguard est en effet un cuirassé, et plus exactement un dreadnought de la classe St-Vincent, qui, en mai 1916, a participé à la célèbre Bataille du Jutland et qui, en cette nuit du 9 juillet 1917, se retrouve comme tant d’autres tranquillement mouillé au sein de la grande rade de Scapa Flow (Écosse)

Mais sur le coup de 23h20, et sans aucun signe avant-coureur, le Vanguard explose soudain comme une grenade, projetant des débris sur tous les navires avoisinants, dont le Warspite, et ne laissant que deux malheureux survivants sur un équipage de plus de 800 hommes !

Une commission d’enquête conclura, sans néanmoins apporter de preuve définitive, que la disparition du cuirassé a été provoquée par l’échauffement de charges de cordite stockées trop près d’une chaufferie (2) et pendant plus de 20 ans, plus aucun navire de guerre britannique ne portera le nom de Vanguard

(1) Le Vanguard actuel, mis en service en 1993, est un sous-marin nucléaire lance-missiles
(2) De telles disparitions de cuirassés, navires par définition constamment bourrés d’explosifs, n'étaient pas rares, y compris en Temps de Paix. Citons par exemple le Maine américain (1898), les Iena et Liberté français (1907 et 1911), ou le Mutsu japonais (1943), entre autres...

lundi 21 octobre 2013

3881 - un défi en soi...

… mais dans un blogue qui se veut dédié à la guerre, parler du Vanguard représente déjà un défi en soi.

Car que dire d’un navire de guerre entré en service après la guerre, et qui, par la suite, n’a participé à aucune guerre ni tiré le moindre coup de canon dans le cadre d’un conflit quelconque ?

On peut certes s’attarder sur les caractéristiques techniques du dit navire, ou souligner le fait qu’il fut à la fois le plus gros cuirassé jamais construit en Grande-Bretagne, mais aussi le dernier cuirassé mis en service dans le monde.

On peut aussi s’attacher à mettre le navire en contexte, expliquer quand et dans quelles circonstances il fut commandé, et pourquoi il fut finalement impossible de le livrer à temps et de lui faire jouer le rôle pour lequel il avait été prévu.

On peut enfin narrer diverses anecdotes plus ou moins pertinentes à son sujet et toujours dans l’espoir qu’elles intéresseront un lecteur jusqu’ici plus habitué à entendre le fracas des combat que le clapotis des vagues.

C’est en tout cas ce que je vais m'efforcer de faire dans ces pages…

dimanche 20 octobre 2013

3880 - à l'arrière de l'avant-garde

... du combat entre le Monitor nordiste et le Merrimack sudiste en mars 1862 au ferraillage du Yavuz (1) en 1973, très rares furent en définitive les cuirassés qui eurent l'occasion de faire ce pourquoi ils avaient été conçus, à savoir affronter un des leurs en combat singulier.

Certains, comme le Warspite (2) eurent certes la chance de connaître une fort longue carrière et de jouer un rôle actif  dans deux conflits mondiaux, mais d'autres en revanche, comme le Bismarck, ne vécurent que fort brièvement, et d'autres encore, comme le Tirpitz (3) ou le Roma, disparurent tout bonnement sous les bombes d'avions sans jamais avoir justifié le coût de leur construction.

Même en temps de guerre, ces mastodontes aussi complexes que coûteux, et aussi puissants que vulnérables, passèrent en réalité l'essentiel de leur temps au port, ne retrouvant une relative utilité militaire que dans le bombardement d'objectifs terrestres, et dans la limite de portée de leurs énormes canons.

Mais que dire alors d'un cuirassé né trop tard dans un siècle trop vieux, d'un cuirassé mis en service après la fin d'une guerre qui en avait à jamais sonné le glas ?

Que dire d'un cuirassé dont le nom-même parlait d'avant-garde mais qui fut pourtant constamment à l'arrière de celle-ci...

... le HMS Vanguard

(1) le Yavuz était l'ancien croiseur de bataille allemand Goeben, mis en service en 1912 et cédé à la Turquie en août 1914
(2) Saviez-vous que... The Grand Old Lady
(3) Saviez-vous que... Coulez le Tirpitz

samedi 19 octobre 2013

3879 - la malédiction de la Kriegsmarine

... si le Troisième Reich avait été un État rationnel, sa flotte de surface aurait été sacrifiée dès le début de la guerre ou, au plus tard, en 1941, lorsque la tragique disparition du Bismarck avait clairement démontré que le manque de navires et l'absence de porte-avions dans ses rangs ne permettrait jamais à la Kriegsmarine de simplement survivre en mer face à une Royal Navy britannique infiniment mieux équipée qu'elle.

Mais le Troisième Reich n'était pas un État rationnel, ce qui avait donc permis à la dite flotte de continuer à subsister, quasiment intacte et avec la plus grande partie de son personnel, jusqu'à la fin de la guerre, et pour ainsi dire à l'écart de celle-ci.

Et le Troisième Reich n'était pas non plus une dictature au sens soviétique du terme : en Union Soviétique, les amiraux - qui savaient qu'ils y auraient perdu la vie - n'osaient jamais contredire les ordres de Staline, aussi délirants pouvaient-ils être, alors qu'en Allemagne, ces mêmes amiraux - qui savaient qu'ils ne risquaient en fait que leur carrière et même pas leur solde ! - n'avaient pas hésité à multiplier manœuvres et dissimulations pour préserver une poignée de grands bâtiments pourtant condamnés par le Führer.

Ironiquement, si Hitler avait finalement été incapable d'imposer sa volonté ultime aux amiraux, ceux-ci n'avaient pas davantage  été en mesure de mener, sur mer, les opérations les plus banales sans devoir au préalable obtenir son autorisation expresse, une autorisation qu'il n'accordait jamais qu'au compte-goutte et en l'assortissant à chaque fois de conditions si strictes que les dites opérations étaient dès l'origine vouées à l'échec.

Telle avait été, en définitive, la malédiction de la Kriegsmarine de ses origines jusqu'à sa fin...

vendredi 18 octobre 2013

3878 - sous l'angle de la froide rentabilité comptable...

... grâce à Dönitz, et malgré le lamentable fiasco de la Mer de Barents, les grands navires de la Kriegsmarine, bien que condamnés par Hitler, avaient donc échappé au ferraillage.

Et même les antiques pre-dreadnought Schlesien et Schleswig Holstein (qui dataient pourtant de 1908), le croiseur de bataille Gneisenau (qui depuis longtemps n'était pourtant plus qu'une coquille désarmée), ou encore les porte-avions Seydlitz (1) et Graf Zeppelin (tous deux à jamais inachevés) avaient réussi à survivre jusqu'aux dernières minutes du Troisième Reich !

Mais à quel prix et dans quel but ?

Par leur seule présence en Norvège, des navires comme le Tirpitz ou le Scharnhorst avaient sans doute immobilisé d'importants moyens britanniques,... mais leur entretien dans des fjords perdus au bout du monde avait également coûté une fortune et dévoré d'énormes moyens humains et matériels que le Reich aurait, lui aussi, gagné à utiliser ailleurs.

Et même ceux qui, comme le Prinz Eugen ou l'Admiral Scheer, étaient finalement parvenus à se montrer quelque peu utiles à l'effort de guerre allemand, même ceux-là n'y étaient arrivés que dans les ultimes mois du conflit, et dans un rôle - celui de soutien d'artillerie voire de transport de réfugiés ! - pour lequel ils n'avaient certes pas été conçus.

En définitive, et considéré sous l'angle de la froide rentabilité comptable, Hitler avait certainement eu raison de considérer que la flotte de surface n'avait jamais justifié les millions de Reichsmarks qu'elle lui avait coûté depuis 1933, et raison aussi d'exiger qu'elle passe toute entière sous le chalumeau des démolisseurs...  

(1) en 1942, des travaux de conversion en porte-avions avaient été entrepris sur le Seydlitz, quatrième croiseur de la classe Hipper, resté inachevé depuis 1940. Cette conversion ne fur elle non plus jamais menée à bien

jeudi 17 octobre 2013

3877 - l'Américain

… en février 1942, le croiseur lourd Prinz Eugen, ancien compagnon de route du Bismarck et héros (avec les croiseurs de bataille Scharnhorst et Gneisenau) de "l’échappée par la Manche", avait appareillé pour la Norvège afin d’y renforcer les contingent naval que la Kriegsmarine était occupée à constituer autour du cuirassé Tirpitz.

Mais torpillé et gravement endommagé lors de la traversée, le Prinz Eugen n’avait eu d’autre choix que de reprendre la direction d’un chantier naval allemand pour des réparations qui s’étaient étirées jusqu’à la fin de l’année.

En janvier 1943, suite au retour forcé de son jumeau Hipper, la Kriegsmarine va alors tenter de le réexpédier en Norvège… en vain puisque l’apparition prématurée de bombardiers britanniques fera capoter les deux tentatives en ce sens (1)

Désespérant d’y arriver, et nullement désireuse de donner satisfaction à un Hitler qui réclame le ferraillage de toute la flotte, l’État-major va finalement lui trouver un emploi… de navire-école en Baltique puis, en 1944, et tout comme l’Admiral Scheer, de navire de soutien d’artillerie, rôle tout de même plus glorieux et dans lequel il va d’ailleurs exceller puisque, tout au long de l’automne de 1944, puis dans les premiers mois de 1945, il multipliera les bombardements contre l’Infanterie soviétique, que ce soit devant Tukums, Memel, ou encore Königsberg, Dantzig ou Hela, et ce avant que la Capitulation allemande ne le surprenne finalement à Copenhague, le 7 mai 1945

Seul grand bâtiment encore à peu près intact de la défunte Kriegsmarine, le Prinz Eugen sera alors enrôle… par l’US Navy américaine qui, après l’avoir examiné, l’enverra subir le feu atomique avec d’autre vieux navires réunis pour l’occasion autour de l’atoll de Bikini.

Ayant survécu à deux explosions successives les 01 et 25 juillet 1946, le valeureux croiseur sera finalement remorqué jusque Kwajalein où, abandonné de tous et prenant l’eau de toute part, il chavirera finalement le 22 décembre suivant…

(1) le Scharnhorst, qui faisait partie de ces deux tentatives, ne fut pas plus heureux, mais y parvint néanmoins lors d’une troisième, menée début mars


mercredi 16 octobre 2013

3876 - enfin utile !

... fin octobre 1942, le Panzerschiff Admiral Scheer était rentré en Allemagne pour révisions et réparations (1), et s’y trouvait encore au début de 1943 lorsqu’Hitler, en représailles de l’attaque manquée contre le JW-51B, avait pris la décision d’expédier toute la flotte de surface allemande à la ferraille.

Sa rapide requalification comme bâtiment-école en Baltique va néanmoins permettre au Scheer d’éviter ce sort funeste et même, à l’automne 1944, de jouer un rôle enfin utile… comme bâtiment de soutien d’artillerie constamment appelé ici et là pour stopper la progression – néanmoins inexorable – de l’Infanterie et des tanks soviétiques.

Le 18 mars 1945, après avoir épuisé toutes ses munitions et tiré jusqu’à usure complète de ses canons, le Scheer, surchargé de réfugiés civils, reviendra cependant à Kiel pour réparations et changements des tubes de canons.

Il s’y trouvera encore le 9 avril 1945, lorsque le Bomber Command britannique lancera un nouveau, et spectaculaire, raid contre le grand port allemand, achevant le croiseur lourd Admiral Hipper et faisant chavirer le malheureux Admiral Scheer, dont une partie de l’équipage demeurera piégée dans l’épave qui, après-guerre, sera recouverte de tonnes de terre appelée à soutenir les fondations d'un parking…

(1) sa place en Norvège avait alors été reprise par son jumeau Lützow

mardi 15 octobre 2013

3875 - la triste fin du Hipper

... déjà malchanceux contre le JW-51B, le valeureux Admiral Hipper avait également subi en cette occasion des dommages suffisants pour justifier son retour dans un chantier naval allemand.

En dépit de la décision d'Hitler de ferrailler la flotte de surface, le croiseur lourd allait néanmoins, comme tous les grands navires de guerre du Reich, échapper au chalumeau des démolisseurs, et dans son cas par le biais d'une étrange "démilitarisation" laissant à la Kriegsmarine le droit de le réparer à temps perdu afin, si besoin était, de pouvoir le réutiliser un jour.

Et de fait, réfugié à Pillau (aujourd'hui Baltiisk, Russie), puis à Gotenhafen (aujourd'hui Gdynia, Pologne), le Hipper sera réadmis au service en Baltique fin 1944, mais d'incessants problèmes techniques, et la conscription d'une bonne partie de son équipage au profit de l'Infanterie, l'empêcheront de redevenir opérationnel.

Le 30 janvier 1945, suite à la poussée irrésistible de l'Armée rouge, le Hipper reprendra la route de l'Allemagne, mais dans la soirée, lancé à pleine vitesse et surchargé de quelque 1 500 réfugiés civils, il en broiera des centaines d'autres, occupés à se noyer dans les eaux glacées après le torpillage du paquebot Wilhelm Gustloff (1) par un sous-marin soviétique...

Arrivé à Kiel le 2 février, le croiseur sera expédié en cale sèche pour des réparations d'autant plus surréalistes dans ce Troisième Reich désormais à l'agonie que les bombardiers britanniques ne sont nullement décidés à l'y laisser en paix : deux raids successifs, les 3 et 9 avril, le transformeront en effet en épave, une épave que son équipage achèvera de ruiner, en la sabordant dans la matinée du 3 mai 1945...

(1) Saviez-vous que... "La tragédie du Gustloff"

lundi 14 octobre 2013

3874 - ... mais pour en faire quoi ?

... trop peu nombreux, trop vulnérables, les grands navires de surface de la Kriegsmarine ne combattront sans doute plus jamais.

En revanche, pour Dönitz, leur seule présence en Norvège suffit à immobiliser d'importants moyens aéronavals britanniques, lesquels, si on décidait de les ferrailler, seraient immédiatement redéployés en Méditerranée et dans le Pacifique, soit en des endroits bien plus vitaux pour le Reich et le Pacte Tripartite.

Bien qu'à contrecœur, Hitler finira par se rallier à cet argument en sorte que plusieurs bâtiments en principe promis au chalumeau des démolisseurs vont continuer à rouiller paisiblement dans un fjord éloigné, à commencer bien sûr par le plus célèbre et le plus puissant d'entre eux, le cuirassé Tirpitz, qu'un bombardement britannique détruira finalement près de Tromsø, le 12 novembre 1944 (1)

En mars 1943, le Tirpitz sera rejoint en Norvège par le croiseur de bataille Scharnhorst, dont la carrière - et celle de tout son équipage - s'achèvera néanmoins brutalement - et tragiquement - le 26 décembre 1943, après une attaque aussi mal montée que piètrement exécutée contre le convoi JW-55B (2)

Demeuré en Norvège après sa calamiteuse performance contre le JW-51B, le Panzerschiff Lützow y moisira lui aussi, inutile, jusqu'en septembre 1943, lorsque d'insondables problèmes avec ses diesel forceront finalement son retour dans un chantier naval allemand, dont il n'émergera qu'en janvier 1944 pour servir... de navire-école en Baltique. Gravement endommagé par des bombardements britanniques dans le Kaiserfahrt (3) en avril 1945, le Lützow sera ensuite utilisé comme batterie flottante contre l’Armée rouge, avant d'être sabordé par son équipage le 4 mai.

(1) Saviez-vous que... "Coulez le Tirpitz"
(2) Saviez-vous que... "Auf einem seemannsgrab da blühen keine rosen"
(3) aujourd’hui Kanal Piastowski, Pologne

dimanche 13 octobre 2013

3873 - préserver l'outil...

... Dönitz est un nazi convaincu qui, à ce titre, et selon la formule consacrée, se doit donc "d'agir en direction du Führer".

C'est aussi un militaire qui doit sa réussite - et sa nouvelle promotion - aux seuls sous-marins qui, depuis le début de la guerre, et contrairement aux navires de surface, n'ont cessé d'accumuler les succès.

Mais même s'il ne nourrit aucune illusion sur la valeur réelle des outils dont il vient d'hériter, il se doit tout de même, en tant que marin de carrière et homme de tradition, de tout faire pour en assurer la pérennité et pour défendre les intérêts des officiers et marins qui servent à leur bord et n'ont - qui en douterait ? - aucune envie de se retrouver mutés comme fantassins sur le Front de l'Est.

De fait, si Dönitz, de sa promotion au grade de grand-amiral le 30 janvier 1943 à sa désignation comme successeur d'Hitler le 30 avril 1945, si Dönitz va demeurer aveuglément fidèle au Führer, et s'acharner à développer encore davantage l'arme sous-marine, il n'en parviendra pas moins, par la persuasion, la ruse mais aussi la dissimulation, à faire en sorte qu'aucune grosse unité de la Kriegsmarine ne soit expédiée à la ferraille comme l'exige pourtant Hitler !

Mais si les dits navires vont ainsi échapper au chalumeau des démolisseurs, et leurs équipages aux rigueurs de l'hiver russe, les uns et les autres n'éviteront cependant pas les bombes...

samedi 12 octobre 2013

3872 - le successeur

… 30 janvier 1943

Bien que très remonté contre la Kriegsmarine et son personnel, Adolf Hitler n’a pourtant pas l’intention de poursuivre de sa vindicte un grand-amiral qu’il vient pourtant d’agonir d’insultes.

Contrairement à Staline, qui les fait systématiquement emprisonner et même fusiller, Hitler se contente pour sa part d’accepter la démission, ou de mettre "en disponibilité", les chefs militaires qui ont failli ou qui n’ont simplement plus l’heur de lui plaire.

Erich Raeder pourra donc paisiblement jouir de sa retraite, et même de sa pleine solde, jusqu’à la fin de la guerre et un Tribunal de Nuremberg qui, le 1er octobre 1946, le condamnera à l’emprisonnement à perpétuité pour complot, crime contre la paix et crime de guerre (1)

Pour lui succéder, le nom de Karl Dönitz s’impose pour ainsi dire de lui-même : non seulement l’intéressé est-il un nazi convaincu, mais aussi, et surtout, le chef de la flotte sous-marine, c.-à-d. de la seule composante de la Kriegsmarine qui trouve encore grâce aux yeux du Führer, car la seule qui, depuis le début de la guerre, n’a cessé d’accumuler les succès contre le trafic maritime ennemi.

Mais bien qu’il soit grand partisan des U-boot, Dönitz n’a pas pour autant l’intention, comme l’exige pourtant Hitler, d’envoyer les derniers grands navires du Reich à la ferraille…

(1) Erich Raeder sera néanmoins libéré pour raisons médicales en septembre 1955 et s’éteindra à Kiel le 6 novembre 1960

vendredi 11 octobre 2013

3871 - assumer le blâme

… 14 janvier 1943

Bien qu’assénés comme autant d’insultes, les reproches du Führer à l’égard de la flotte de surface ne sont hélas pas sans fondement : depuis le début de la guerre, les grands navires du Reich se sont en effet avérés un bien mauvais investissement

Horriblement coûteux, mais toujours trop peu nombreux pour être simplement efficaces, ces derniers n’ont cessé de décevoir jusqu’à leurs plus fidèles partisans, et leur dernier fiasco en Mer de Barents ne constitue en fait qu’une simple goutte d’eau de plus dans un vase déjà par trop rempli.

Le grand-amiral n’en est certes pas le seul responsable – par ses ordres extraordinairement restrictifs, qui briment toute audace et même toute initiative, Hitler porte lui-même une lourde responsabilité à cet égard – mais en tant que commandant-en-chef de la Kriegsmarine, c’est évidemment à lui d’en assumer le blâme.

Pour autant, Raeder ne peut accepter de voir sa flotte de surface – cette flotte à laquelle il croyait tant – ainsi expédiée à la ferraille.

La conclusion est dès lors inévitable : le 14 janvier, le grand-amiral présente sa démission à Hitler, avec effet au 30 janvier suivant.

Reste maintenant à lui trouver un successeur…

jeudi 10 octobre 2013

3870 - la chute, sous les insultes

... en s'abstenant durant cinq jours de répondre à la convocation du Führer, Raeder espérait-il faire retomber la pression ou simplement se donner le temps de préparer une meilleure défense ?

Le calcul s'avère en tout cas désastreux puisque c'est un Hitler écumant de rage qui accueille finalement le grand-amiral au Wolfsschantze de Rastenburg le 6 janvier 1943.

Hitler, on le sait, n'écoute jamais que lui-même, et n'aime rien tant que s'entendre parler pendant des heures. Et de fait, Raeder n'est pas là pour échanger avec lui, mais uniquement pour subir les reproches, et les insultes, du maître du Troisième Reich.

A l'exception des sous-marins, la Kriegsmarine, dit Hitler, n'est qu'un monument d'inutilité qui, depuis son accession au Pouvoir, lui a coûté des millions de Reichsmarks sans jamais rien apporter à l'effort de guerre allemand.

C'est aussi, ajoute-t-il, un nid de défaitistes et de traîtres, ce qui n'a rien d'étonnant puisqu'elle est l'héritière directe de la Hochseeflotte (1) de la Première Guerre mondiale - cet autre monument d'inutilité - et surtout de la Grande Mutinerie (2) d'octobre 1918, laquelle a finalement poussé l'Allemagne toute entière à signer l'Armistice du 11 novembre, cet Armistice qu'il haït à un point tel qu'il s'est d'ailleurs juré de ne jamais l'accepter lui-même.

Le fiasco de la Mer de Barents, conclut-il, constitue une preuve supplémentaire - s'il en était encore besoin - que la Kriegsmarine n'est composée que de couards et d'incapables, ainsi que de navires sans valeur, ce pourquoi il a décidé de muter les premiers dans l'Infanterie et de ferrailler les seconds...

(1) la Hochseeflotte était la composante principale de la Kaiserlische Marine
(2) le 29 octobre 1918, le commandant-en-chef de la Hochseeflotte, l'amiral Reinhard Scheer, avait voulu livrer un ultime combat contre la Grand Fleet britannique, mais s'était heurté au refus des équipages qui, sachant l'Allemagne déjà engagée dans des pourparlers d'armistice, s'étaient mutinés en bloc et avaient refusé d'appareiller.

mercredi 9 octobre 2013

3869 - une fausse grande victoire

... Wolfsschanze, Rastenburg, 06 janvier 1943

En ce 6 janvier 1943, alors qu'il se présente au Quartier Général d'Hitler pour y faire rapport, Erich Raeder ne s'attend certes pas à une partie facile.

Il faut dire que le commandant-en-chef de la Kriegsmarine s'est lui-même tiré dans le pied : dans la soirée du 31 décembre, et sur la seule foi d'un premier rapport très parcelaire reçu de l'amiral Kummetz, Raeder s'était en effet empressé de répandre la nouvelle d'une grande victoire obtenue en Mer de Barents contre le convoi JW-51B !

Le temps d'en arriver à une meilleure appréciation de la réalité - et de l'ampleur du fiasco ! - le mal était fait : bien qu'il en ait été prié par son supérieur, l'amiral Theodor Krancke, représentant de la Kriegsmarine à Rastenburg, n'avait pas osé avouer la vérité à un Hitler déjà occupé à fêter cette victoire ô combien réconfortante en ces dernières heures de l'année 1942 où la VIème Armée du général Paulus, encerclée à Stalingrad, semblait désormais promise à un complet anéantissement.

Ce n'est donc que dans l'après-midi du lendemain, 1er janvier 1943, que Krancke, qui en avait vu bien d'autres et connaissait donc les humeurs de son Maître (1), avait finalement révélé au Führer que la "grande victoire contre un convoi britannique" n'avait en fait existé que dans l'imagination du grand-amiral, un grand-amiral immédiatement sommé de se présenter à Rastenburg pour s'expliquer, mais un grand-amiral qui, invoquant toutes sortes de bonnes ou de mauvaises raisons, n'avait finalement obtempéré que cinq jours plus tard...

(1) Saviez-vous que... 3418

mardi 8 octobre 2013

3868 - le fiasco

... si le Hipper avait correctement rempli son rôle de leurre, le Lützow avait quant à lui lamentablement échoué dans celui de prédateur 

Multipliant les ronds dans l'eau inutiles, et incapable d'ajuster son tir, le Panzerschiff avait en effet gâché la fête et ainsi permis au JW-51B d'échapper au désastre.

A la décharge du Lützow, et de ses canonniers, le tir allemand était il est vrai terriblement gêné autant par les exécrables conditions de visibilité que par l'absence d'un radar performant.

Son commandant était quant à lui prisonnier d'ordres très stricts, lesquels lui enjoignaient à la fois d'économiser les munitions (donc de ne tirer qu'avec la plus extrême parcimonie) et surtout de ne faire courir aucun risque à son bâtiment, en particulier à l'égard des éventuelles torpilles des destroyers britanniques, torpilles que le Lützow aurait eu grand mal à repérer, et à éviter.

Stange ne tenait évidemment pas à être celui qui aurait à rendre compte de la perte du Lützow, ou même des dommages subis par ce dernier. Les impératifs de silence radio l'empêchaient d'autre part de communiquer directement avec le Hipper, et avec son propre supérieur, l'amiral Kummetz, et d'échanger avec lui sur le déroulement de la bataille.

Bonnes ou mauvaises, toutes ces raisons avaient en tout cas fait de l'Opération Renebogen un monumental fiasco qui allait encore accroître le mépris d'Hitler à l'endroit de la Kriegsmarine et de sa flotte de surface, et lui donner l'occasion d'un grand coup de balai...

lundi 7 octobre 2013

3867 - l'occasion gâchée

... comme beaucoup de plans allemands depuis Barbarossa, Regenbogen était sans aucun doute un plan exagérément optimiste, mais ce n'était pas un mauvais plan pour la cause.

Sur le plan tactique, c'était même un plan qui avait remarquablement fonctionné puisque l'escorte rapprochée du JW-51B, c-à-d essentiellement ses destroyers, n'avait eu d'autre choix que de se porter au-devant du croiseur lourd Hipper, laissant ainsi le convoi à la merci d'un troisième larron, en l’occurrence le Panzerschiff Lützow et ses énormes canons de 280mm.

Comme ils l'avaient toujours fait, les Britanniques avaient certes prévu d'autres niveaux de protection pour ce convoi mais, du fait de leur éloignement, ceux-ci - composés de croiseurs et même d'un cuirassé - n'étaient pas en mesure de réagir immédiatement, ce qui laissait donc aux navires allemands, qui s'étaient fort intelligemment divisés en deux forces à peu près égales,  un créneau de quelques heures pour parvenir à leurs fins.

L'occasion, probablement la meilleure depuis le début des convois vers la Russie, avait pourtant été complètement gâchée, non pas en raison de la résistance - il est vrai acharnée - des petits escorteurs britanniques, ni du fait du Hipper - qui en cette affaire avait parfaitement joué son rôle de leurre - mais bien à cause du Lützow qui, pour sa part, s'était avéré en-dessous de tout et incapable d'exploiter son avantage...

dimanche 6 octobre 2013

3866 - ... l'autre pas

... pour la Kriegsmarine allemande, et particulièrement pour sa flotte de surface, la Bataille de la Mer de Barents constitue en revanche une terrible déconvenue, qui termine l'année d'une bien triste manière.

Début 1942, chacun à l'État-major, à commencer par le grand-amiral Raeder, s'était en effet persuadé que la Norvège, en plus de garantir de meilleures conditions de sécurité aux grands navires comme le Tirpitz ou le Hipper, leur offrirait une sorte de "seconde chance" après leurs performances pour le moins en demi-teinte des années précédentes.

Hélas, même tapis au fond de fjords reculés, les dits navires avaient continué d'être régulièrement pris pour cible par leurs adversaires, et s'étaient avérés bien plus souvent proies que prédateurs.

Longtemps appréhendé, le débarquement de forces britanniques en Norvège - contre lequel ils auraient pu jouer un rôle - ne s'était jamais concrétisé (et ne se concrétiserait d'ailleurs jamais !), tandis que leurs rares sorties en mer, contre les cargos marchands en route vers l'URSS, ne s'étaient avérées qu'une constante - et coûteuse - suite de déconvenues.

Le plus important succès de l'année 1942, l'attaque contre le convoi PQ-17 en juin-juillet, ne devait en effet qu'aux sous-marins - et aux bombardiers de la Luftwaffe - la flotte de surface n'ayant en cette affaire servi que d'épouvantail, par ailleurs rappelé dans son antre avant même d'avoir pu tirer un seul obus.

Pour les grands navires allemands, le JW-51B, qui clôturait l'année, aurait pu - et aurait dû ! - marquer la rédemption mais, en plus de s'avérer - avec zéro cargo coulé - catastrophique sur le plan des résultats, il n'avait en fait été que le "convoi de trop", l'ultime clou planté dans leur cercueil...

samedi 5 octobre 2013

3865 - l'une pavoise...

... pour la Royal Navy britannique, l'année 1942 s'achève donc de manière inespérée.

Après la débâcle du PQ-17 en juin-juillet, et le très relatif succès du PQ-18 en septembre, l'arrivée du JW-51B en URSS témoigne à la fois de son retour en force dans l'Arctique, mais aussi de sa rédemption puisque, cette fois, elle n'a pas failli à sa tâche première qui était tout de même d'amener les navires marchands à bon port.

Mieux encore : malgré l'importance des moyens navals mis en œuvre par les Allemands, les dits navires sont arrivés intacts et surtout sans subir la moindre perte (1) dans leurs rangs !

Certes, et une fois de plus, les grands bâtiments de surface allemands ont réussi à s'échapper, mais qu'importe puisque ces derniers - comme nous allons le voir - sont à présent sous la menace d'une toute autre disparition !

Malgré cet incontestable succès, la Royal Navy va pourtant décider de jouer la prudence : après les traversées - également sans perte - des JW-52 et JW-53, en janvier puis février 1943, les convoyages seront interrompus jusqu'à l'automne suivant et l'appareillage du JW-54A qui, parti du Loch Ewe le 15 novembre arrivera lui aussi sain et sauf en URSS dix jours plus tard...

(1) le cargo panaméen Ballot s'échoua accidentellement dans la Baie de Kola le 2 janvier 1943 et dut être abandonné sur place après avoir été déchargé de sa cargaison

vendredi 4 octobre 2013

3864 - un match nul...

... 2 janvier 1943

Après le piteux retrait de la flotte de surface allemande, plus rien ne peut empêcher le JW-51B d'atteindre l'URSS : dans l'après-midi du 2 janvier, les premiers cargos arrivent à Arkhangelsk; les autres rejoindront Mourmansk le lendemain.

A l'exception de quelques dommages mineurs, cargos et pétroliers sont tous intacts, et même au complet puisque les traînards, et en particulier le cargo Chester Valley et le chalutier armé Vizalma, ont finalement réussi à retrouver le reste de la bande après avoir erré plusieurs jours en Mer de Barents.

Gravement endommagé lors des combats du 31 décembre, le destroyer Onslow est néanmoins parvenu lui aussi à rallier l'URSS. Fin janvier, après des réparations sommaires, il reprendra la route de Scapa Flow et, le 4 février, se verra salué par les équipages du Anson et de tous les navires de la Home Fleet présents dans la rade.

Les Allemands, de leur côté, ont regagné l'Altenfjord, où d'autres réparations vont également permettre au Hipper de rejoindre bientôt Narvik, et finalement l'Allemagne... pour y affronter un tout autre destin.

Sur le plan strictement matériel, la Bataille de la Mer de Barents se solde donc par un match nul, où les Britanniques ont perdu un dragueur de mines, un destroyer, et 250 officiers et marins, et les Allemands un destroyer, et quelque 330 hommes.

Mais les implications, et conséquences, de cette bataille vont cependant s'avérer radicalement différentes pour les deux camps...

jeudi 3 octobre 2013

3863 - une mutuelle retraite

... 12h53

Peu après 12h30, et alors que les Britanniques pensaient tenir le bon bout, la situation vient donc - une fois de plus ! - de changer du tout au tout puisque le Sheffield se retrouve soudainement pris pour cible et encadré par le tir du Hipper qui, après sa prudente retraite, a décidé de remonter sur scène pour un nouveau tour de piste !

L'affrontement se transforme donc en un duel à deux contre deux, où les croiseurs légers britanniques, qui ne portent que du 152mm, sont nettement désavantagés par rapport aux 203 et 280mm du croiseur lourd et du Panzerschiff allemands.

Même si leur tir est moins précis, les dits Allemands disposent également de cinq destroyers en ordre de marche et surtout porteurs de nombreux - et redoutables - tubes lance-torpilles (1), ce pourquoi l'amiral Burnett, qui ne dispose pour sa part que des trois ou quatre destroyers déjà fortement éprouvés du JW-51B, décide-t-il fort sagement de rompre le combat à son tour, et de retraiter en direction du convoi.

Même si Regenbogen ne se déroule pas - et c'est bien le moins qu'on puisse en dire ! - tel que prévu, Kummetz, de son côté, souhaite poursuivre la lutte mais, à 12h53, un télégramme de l'Amirauté le ramène à la réalité et lui ordonne de reprendre à toute vitesse la route de l'Altenfjord avec l'ensemble de ses forces, en ce compris le Lützow, dont l'éventuelle sortie dans l'Atlantique se retouve donc purement et simplement annulée...

(1) les destroyers allemands sont par ailleurs plus gros, et mieux armés, que leurs homologues britanniques

mercredi 2 octobre 2013

3862 - la proie et les ombres

... 12h15

Côté allemand, la destruction du destroyer Z-16 est un nouveau coup dur auquel le Z-4, également victime de la même méprise et bientôt pris sous le feu du Jamaïca, n'a d'ailleurs échappé que par miracle.

Cette destruction a cependant eu une conséquence positive en ce sens qu'elle a permis au Hipper de prendre une sérieuse avance, malgré sa vitesse à présent réduite à environ 23 noeuds.

A 12h15, l'écho de l'allemand réapparaît néanmoins sur les radars des deux croiseurs anglais qui, après liquidé le Z-16 et mis en fuite le Z-4, sont repartis à sa poursuite à plus de 30 noeuds.

Mais alors que les Britanniques sont sur le point de sonner l'hallali, deux destroyers allemands apparaissent soudainement à environ 9 000 mètres, précédant eux-mêmes de quelque 9 000  mètres un autre grand navire de surface, bientôt identifié comme le Lützow !

A 12h30, alors que la distance entre les deux croiseurs légers anglais et le Panzerschiff allemand est tombée à environ 14 000 mètres, les Sheffield et Jamaïca ouvrent le feu sur le Lützow, lequel réplique aussitôt.

Le tir anglais, guidé au radar, est précis, bien plus en tout cas que celui, toujours aussi lamentable, du Lützow, ce qui pourrait faire de la Bataille de la Mer de Barents un triomphe britannique... si le Hipper - toujours lui ! - ne se décidait à rentrer une nouvelle fois dans la danse...



mardi 1 octobre 2013

3861 - fatale méprise

... coordonner les incessants mouvements d'attaque et de retraite de navires en mer n'a jamais été une chose facile, a fortiori lorsque les dits navires sont hors de vue les uns des autres et aux prises avec de détestables conditions météorologiques.

Lorsque le Hipper, peu avant 11h40, amorce un nouveau changement de cap, ses trois destroyers d'escorte s'efforcent tout naturellement de suivre le mouvement.

L'un d'entre eux est le Z-16 Friedrich Eckholdt qui, quelques minutes auparavant, et en compagnie du Z-4 Richard Beitzen, a achevé le malheureux dragueur de mines Bramble, et expédié tout son équipage au fond de la Mer de Barents.

Alors que ces deux destroyers fouillent à présent la mer à la recherche de leur chef de file, les vigies du Z-16 aperçoivent enfin, à moins de 5 000 mètres, la silhouette rassurante du Hipper. Mais soudain, à la stupéfaction  - et bientôt à la terreur - de l'équipage allemand, des éclairs de coups de canons illuminent le Hipper qui, en réalité, n'est autre que... le Sheffield !

Dans la pénombre, les vigies allemandes se sont tout bonnement trompées de navire, mais les artilleurs britanniques, eux, n'ont pas fait la même erreur et ne vont certes pas laisser passer leur chance : touché dès la première salve, le Z-16 est bientôt en flammes, puis se brise en deux, emportant lui aussi tout son équipage dans la tombe...