samedi 30 juin 2012

3403 - une collaboration aussi indispensable que difficile

... contrairement à la Royal Navy, ou à l'US Navy, la marine de guerre allemande n'a jamais pu, ni d'ailleurs vraiment voulu, se doter de sa propre aviation.

Pour la reconnaissance comme pour sa propre défense, elle est donc tributaire de la Luftwaffe, et plus précisément de la Luftflotte V qui, en Norvège, dispose de plus de 300 appareils de tout type... qu'elle est cependant fort peu encline à partager.

A Oslo, la Kriegsmarine entretient certes un officier de liaison au Q.G. du generaloberst Hans-Jürgen Stumpff, commandant de la Luftflotte V, mais il n'a aucun pouvoir.

De toute manière, Stumpff ne prend ses ordres que d'Hermann Goering, lequel ne fait rien sans en avoir d'abord reçu l'autorisation du Führer lui-même.

Il en résulte une rigidité et une lourdeur de commandement peu favorables à une saine collaboration et à une prise de décision rapide, ce qui, sur un terrain d'opérations aussi mobile que la mer, s'avère particulièrement préjudiciable.

A cela s'ajoute l'incompréhension, pour ne pas dire le mépris, des aviateurs à l'égard des "forteresses flottantes", qu'ils considèrent comme des monuments d'inutilité et se savent - tout comme d'ailleurs leurs adversaires britanniques et américains - en mesure de couler très facilement.

L'un dans l'autre, si la Marine a impérativement besoin des renseignements de l'Aviation pour être en mesure de faire sortir ses navires au moment opportun, l'Aviation, elle, se juge capable de faire bien mieux que la Marine, et n'entend certes pas lui servir de faire-valoir...

vendredi 29 juin 2012

3402 - un manque de reconnaissance

… si le manque de carburant et les impératifs de sécurité vont donc contraindre les grands navires allemands à n’appareiller qu’au tout dernier moment, et à ne rester en mer que fort peu de temps, encore faut-il que leur brève sortie soit rentable, c.-à-d. qu'elle se traduise par un grand nombre de cargos détruits avant que cuirassé, croiseur et Panzerschiffe ne se retrouvent contraints de rompre le combat et de rentrer au port.

Mais en mer, à cette époque où les satellites d’observation restent encore à inventer, la Kriegsmarine ne peut compter que sur ses sous-marins, et les appareils d’observation de la Luftwaffe, pour repérer le PQ-17 et, surtout, pour en suivre les déplacements car, même lorsqu'il se traîne à moins de 10 nœuds, un convoi qui se sait repéré peut changer sa course à tout moment et, en l’espace de quelques heures, mettre de nombreux kilomètres entre lui et un prédateur potentiel qui, dans le cas allemand, n’aura malheureusement pas les moyens de le traquer fort longtemps.

Si les marins de surface peuvent compter sur l’entière collaboration de leurs camarades sous-mariniers, un U-boot, surtout lorsqu’il est lui-même en immersion, est cependant loin de constituer la plate-forme d’observation idéale.

Les aviateurs sont incomparablement plus efficaces dans cet exercice : en quelques minutes, un avion de reconnaissance opérant à haute altitude, comme le Focke-Wulf 200 "Condor", peut en effet couvrir un territoire énorme, et donner l’alerte à tout moment.

Le problème, c'est que les aviateurs ne relèvent pas des marins...

jeudi 28 juin 2012

3401 - pour survivre, restons cachés

... à des latitudes et une période de l'année où le soleil ne se couche jamais un navire de guerre de la taille du Tirpitz, ou même du Lützow, relève de l'exploit, ou plutôt d'un vulgaire coup de chance qui ne saurait durer fort longtemps.

En mars, la présence du seul Tirpitz et de ses trois destroyers d'escorte avait d'ailleurs été détectée par l'Aéronavale britannique bien avant que ce dernier ne soit lui-même en mesure d'apercevoir le convoi PQ-12.

Avec trois à quatre fois plus de navires en mer en même temps (1), la force d'attaque allemande court donc bien davantage de risques d'être repérée rapidement, ce qui, une fois sa présence connue, entraînera à la fois la dispersion et la fuite éperdue du gibier, c-à-d des cargos, mais aussi l'arrivée à toute vapeur du ban et de l'arrière-ban de la Royal Navy, de ses cuirassés et surtout de ses porte-avions, contre lesquels - comme l'avait cruellement démontré la perte du Bismarck, même les énormes canons du Tirpitz ne pourront rien.

Le manque de mazout, mais aussi la propre sécurité des navires, imposent donc de ne sortir en mer qu'au tout dernier moment, et de n'y demeurer que le moins longtemps possible.

Pour la Kriegsmarine, toute l'affaire se résume en fait à repérer le convoi et surtout à en suivre constamment et fidèlement les moindres déplacements, en sorte de ne le frapper qu'à coup sûr et à l'instant le moins dangereux, ce qui, malheureusement pour elle, est bien plus facile à dire qu'à faire...

(1) aux navires précités s'ajoutent évidemment de fort nombreux destroyers d'escorte

mercredi 27 juin 2012

3400 - ma flottte pour un baril

... du côté allemand, le relatif échec des attaques contre le convoi PQ-16 a naturellement fait naître un fort sentiment de revanche, mais aussi renforcé le grand amiral Raeder dans sa volonté d'utiliser enfin sa flotte de surface qui, sur le papier du moins, n'a jamais été aussi forte.

Avec le Tirpitz et l'Admiral Hipper mouillés à Trondheim, et le Lutzöw et l'Admiral Scheer ancrés à Narvik, quelque 600 kms plus au Nord, la Kriegsmarine dispose en effet d'un cuirassé, d'un croiseur lourd et de deux Panzerschiffe opérationnels, soit de ses plus importants effectifs depuis le début de la guerre.

Mais le moindre des paradoxes est que cette puissance de feu inégalée représente aussi son principal handicap !

Non contente de ne produire aucun résultat, la pourtant (très) brève escapade du Tirpitz en mars, contre le convoi PQ-12, a en effet coûté plus de 7 000 tonnes de mazout à une Kriegsmarine qui en est singulièrement dépourvue.

Et si l'allocation de carburant pour le mois de juin a été portée à un peu plus de 15 000 tonnes, il ne fait aucun doute qu'avec quatre fois plus de navires en action, les dits navires ne pourront demeurer en mer bien longtemps, et devront très vite débusquer des cargos sur lesquels se faire les dents avant de se voir contraints de rentrer au port, les réservoirs vides...

mardi 26 juin 2012

3399 - un fatal regain d'optimisme

... Mourmansk, 30 mai 1942

Après huit jours de traversée, les premiers cargos du convoi PQ-16 viennent d'aborder les côtes d'Union Soviétique.

Vingt-et-un cargos ont ainsi mouillé l'ancre à Mourmansk tandis que six autres ont poursuivi leur chemin vers Arkhangelsk.

Si U-boot et bombardiers allemands se sont une fois de plus montrés fidèles au rendez-vous, ils n'ont donc finalement réussi à couler que huit cargos sur trente-cinq (1), soit moins de 25% du total, ce qui, du strict point de vue militaire, est certes attristant mais néanmoins très en-deçà des "50%" que le Premier Ministre Churchill considérait comme "acceptables" lors de la réunion du 17 mai.

Si on y ajoute le fait que la si redoutée flotte de surface allemande - et en particulier le cuirassé Tirpitz - a une fois encore brillé par son absence, la traversée du PQ-16 - qui était par ailleurs le plus important convoi allié à date - peut donc être considérée comme une défaite allemande et un succès britannique,... un succès qui, on s'en doute, a d'ailleurs provoqué un regain d'optimisme à l'Amirauté, où l'appareillage du convoi suivant, PQ-17, autre convoi de trente-cinq navires prévu pour la fin-juin, n'est plus désormais considéré avec autant d'appréhension...

(1) deux autres navires ont également été endommagés

lundi 25 juin 2012

3398 - l'ultime avertissement

... Hvalfjord, Islande, 21 mai 1942

Le 21 mai 1942, le convoi PQ-16 a donc appareillé d'Islande à destination de l'URSS : 35 navires marchands au total, dont 21 américains, signe indubitable de la montée en puissance des États-Unis dans cette guerre qui va encore durer trois ans

En guise de protection, et comme la plupart de ceux qui l'ont précédé, le PQ-16 bénéficie de trois écrans bien distincts.

Conçue pour affronter les grands navires de surface allemands - et en particulier le Tirpitz - la force principale - mais la plus éloignée du convoi - est constituée du porte-avions Victorious, des cuirassés britannique Duke of York et américain Washington, de deux croiseurs et d'une douzaine de destroyers.

Plusieurs centaines de kilomètres en avant, une deuxième formation, composée d'une dizaine de croiseurs et de destroyers, est quant à elle plus spécifiquement destinée à repousser les attaques d'éventuels destroyers allemands.

L'escorte du convoi proprement dit, et la seule qui soit visible pour les marins du PQ-16, se compose pour sa part de cinq destroyers, quatre corvettes, quatre chalutiers armés, un croiseur antiaérien et même un de ces étranges CAM (ou "catapult aircraft merchantman"), c-à-d d'un cargo sur lequel on a bricolé une catapulte surmontée d'un chasseur Hawker Hurricane supposé offrir un semblant de couverture aérienne à ces navires de commerce qui se traînent à moins de dix nœuds...

dimanche 24 juin 2012

3397 - "l'opération est justifiée si la moitié réussit à passer"

... Londres, 17 mai 1942

Les tragédies sont presque toujours précédées d'une multitude d'avertissements qui, si on les écoute, devraient permettre sinon de les prévenir, du moins d'en minimiser les conséquences, mais que l'on préfère ignorer, pour de bonnes comme pour de mauvaises raisons.

Et la tragédie du PQ-17 ne fait certes pas exception.

A la réunion du comité des chefs d'État-major du 17 mai 1942, soit quarante-huit heures à peine après la disparition du croiseur Trinidad, Winston Churchill va en effet mettre les points sur les i, en exposant crument aux militaires la position officielle des politiques à l'égard des convois vers la Russie

"Non seulement, le Premier Secrétaire Staline mais aussi le Président Roosevelt s'objecteront avec véhémence si nous prenons à présent la décision de cesser les convois. Les Russes sont en pleine bagarre et s'attendent [donc] à ce que nous prenions les risques et payions le prix qu'implique notre contribution. Les cargos américains [à destination de l'URSS] sont occupés à s'entasser. Mon sentiment personnel, [bien que] mêlé d'anxiété, est que le convoi [le PQ-16] devrait appareiller le 18".

Et Churchill de conclure que, pour lui, "L'opération est justifiée si la moitié [du dit convoi] réussit à passer" (1)

Dit autrement, si la moitié des fournitures envoyées par Roosevelt à Staline est finalement envoyée par le fond, cette moitié-là démontrera quand même aux deux hommes, et à leur nation respective, toute la détermination de Churchill, et de la Grande-Bretagne, à poursuivre la lutte !

Si on ajoute à cette glaciale équation la volonté de l'Amirauté britannique de ne pas exposer davantage ses précieux navires de surface, le sort qui attend les malheureux cargos civils ne fait à présent plus de doutes...

(1) Irving, op. cit, page 14

samedi 23 juin 2012

3396 - "Si, pour des raisons politiques, les convois doivent être maintenus, il faut s'attendre à subir des pertes importantes et sévères"

... pour les Britanniques, la perte du destroyer Punjabi, et les dommages subis par son abordeur, le cuirassé King George V, n'étaient cependant pas le plus préoccupant : torpillé par un sous-marin le 30 avril, alors qu'il escortait le convoi QP-11 de retour de Mourmansk, le croiseur Edinburgh - un 13 000 tonnes de la classe Town - avait en effet dû être sabordé deux jours plus tard après une attaque de destroyers allemands, et autre croiseur de 8 000 tonnes, le Trinidad, avait subi le même sort deux semaines plus tard, à la suite d'un bombardement mené par plusieurs Junkers 88 de la Luftwaffe (1)

Sans même parler de la disparition du malheureux sous-marin polonais Jastrząb, que des destroyers britanniques avaient confondu avec un U-boot allemand (!), ni de celle de trois cargos du PQ-15, victimes d'autres bombardiers allemands, ces pertes démontraient à l'évidence la très grande vulnérabilité des navires de surface si près des côtes de Norvège, et surtout de Bear Island (Bjørnøya,), île marquant l'entrée occidentale de la Mer de Barents.

"De manière inévitable, et à l'instar des Allemands, [constamment] handicapés par leur "complexe du porte-avions", les Britanniques, sous le choc de la perte de leurs deux bâtiments. allaient à leur tour être hantés par la sécurité de leurs croiseurs face aux attaques des sous-marins et des bombardiers allemands.

L'amiral Tovey alla jusqu'à recommander l'arrêt des convois jusqu'à ce qu'on soit en mesure de neutraliser les terrains d'aviation du Nord de la Norvège ou
[au moins] jusqu'au retour des mois d'obscurité (2). "Si, pour des raisons politiques, les convois doivent être maintenus, il faut s'attendre, ajoutait-il, à subir des pertes importantes et sévères"" (3)

(1) victime le 29 mars du dysfonctionnement d'une de ses propres torpilles alors qu'il escortait le convoi PQ-13, le Trinidad s'en revenait lui aussi de Mourmansk
(2) sous ces latitudes, et à cette période de l'année, la nuit n'existe tout simplement pas
(3) Irving, op cit, page 13

vendredi 22 juin 2012

3395 - un ennemi aussi tenace qu'infatigable

... en plus des attaques de plus en plus incisives des navires, sous-marins et avions allemands, les convois vers la Russie devaient affronter en permanence un ennemi aussi tenace qu'infatigable : la météo elle-même.

Dans ces eaux parmi les plus inhospitalières du globe, la navigation était tout sauf une sinécure, particulièrement en hiver, au milieu des glaces, lorsque l'espérance de vie d'un marin tombé à la mer ne dépassait pas quelques minutes.

On en avait encore eu la preuve avec le convoi PQ-14 dont les 24 navires, partis d'Islande vers Mourmansk le 8 avril 1942, s'étaient non seulement retrouvés sous le feu des avions et des sous-marins allemands, mais également pris par les glaces au point de forcer la plupart d'entre eux à faire demi-tour avec de sévères dommages.

Et même en l'absence de glace, la houle et le brouillard compliquaient la tâche des marins et occasionnaient de fréquents accidents : le 1er mai suivant, le puissant cuirassé King George V, affecté au convoi PQ-15, avait ainsi abordé en plein brouillard, et littéralement coupé en deux, le Punjabi, un de ses propres destroyers d'escorte !

Si le PQ-15 était finalement arrivé à destination en n'ayant perdu que trois cargos sur vingt-cinq du fait de la Luftwaffe, les dommages occasionnés au King George était tels que ce fleuron de la Royal Navy avait été contraint de rentrer au port pour y subir des réparations qui avaient duré plus d'un mois...

jeudi 21 juin 2012

3394 - quand la politique s'en mêle

... à l'évidence, pour que la petite flotte de surface allemande représente une véritable menace pour la sécurité des convois en route vers la Russie, il fallait lui offrir des moyens supplémentaires et, surtout, une protection aérienne qui, faute de porte-avions (1) ne pouvait passer que par un renforcement considérable des moyens dont la Luftwaffe disposait en Norvège.

L'arrivée de bombardiers spécialisés dans la lutte antinavires, mais aussi l'envoi en Norvège de destroyers et de sous-marins supplémentaires n'allaient d'ailleurs pas tarder à donner des résultats spectaculaires : à la fin de mars 1942, le convoi suivant, le PQ-13, attaqué par des bombardiers, des sous-marins mais aussi par trois destroyers de la classe Narvik, avait ainsi perdu cinq cargos sur dix-neuf, soit 20% de ses effectifs !

L'ampleur des pertes subies à cette occasion avait d'ailleurs incité Dudley Pound, puis son subordonné, John Tovey (2), à se précipiter chez Churchill pour réclamer sinon le report des convois suivants à une date ultérieure, ou du moins une sérieuse réduction de leur taille.

Churchill était à deux doigts de se rallier à leurs arguments jusqu'à ce qu'un télégramme du Président Roosevelt, le 27 avril, le fasse changer d'avis : plus encore que le Britannique, l'Américain ressentait en effet le besoin de venir en aide à Staline qui, de son côté, exigeait que "toutes les mesures soient prises" pour que les approvisionnements promis, et au demeurant déjà chargés sur plus d'une centaine de cargos présents dans des ports britanniques ou américains, lui parviennent dans le courant du mois de mai.

"A ce stade, les objections avancées par Tovey ne furent plus considérées "irrésistibles" : la taille des convois [suivants] ne fut pas limitée mais [au contraire] augmentée à chaque fois, et bien au-delà des limites de prudence déterminées par l'Amirauté" (3)

(1) mis en chantier en 1939, le Graf Zeppelin, seul porte-avions allemand, vit sa construction stoppée une première fois en 1940, puis définitivement en 1943
(2) respectivement Premier Lord de la Mer et commandant-en-chef de la Home Fleet, les deux hommes se détestaient
(3) Irving, op cit, page 11

mercredi 20 juin 2012

3393 - "on n'entraîne pas des équipages en demeurant au port"

... "on n'entraîne pas des équipages en demeurant au port", cette maxime, déjà valable en Méditerranée du temps de la marine romaine, s'avérait tout aussi pertinente pour la Kriegsmarine allemande, 2 000 ans plus tard, dans les eaux glacées de l'Arctique.

Les derniers grands navires de surface du Troisième Reich étaient assurément plus en sécurité au mouillage dans des fjords norvégiens particulièrement encaissés plutôt qu'en pleine mer, constamment exposés aux attaques de cuirassés ou de porte-avions britanniques

Mais au mouillage, ces mêmes navires n'avaient évidemment aucune chance de causer quelque dommage que ce soit à l'adversaire,... et d'autant moins que leurs équipages, en plus de s'enfoncer jour après jour dans la déprime, perdaient en simple efficacité opérationnelle.

Pour ne rien arranger, l'éloignement et le dénuement des dits fjords compliquaient énormément la logistique, et transformaient en véritables défis même l'entretien et les réparations les plus simples.

Le plus préoccupant demeurait cependant le problème du mazout, que ces grands navires, même au mouillage, continuaient d'engloutir en quantités énormes (1) : dans ces aventures hautement mécanisées qu'étaient devenues les guerres modernes, le pétrole constituait de loin la ressource la plus précieuse, celle que l'on ne pouvait se permettre de gaspiller à aucun prix, a fortiori lorsque l'arme qui en avait besoin s'avèrait inefficace au combat.

Plus la flotte de surface allemande se révélait décevante en mer, plus elle voyait son allocation de carburant réduite, et moins elle était alors capable ressortir en mer, seul endroit pourtant où elle aurait pu recouvrer les faveurs du Führer

(1) à elle seule, la très brève sortie du Tirpitz et de ses trois destroyers, début mars, avait englouti plus de 7 000 tonnes de mazout !

mardi 19 juin 2012

3392 - une menace constante... mais pour qui ?


... pour la Kriegsmarine, et pour Hitler, l'affaire du PQ-12 avait une fois de plus révélé la piètre utilité des grands navires de surface dans cette "guerre de course" pour laquelle ils avaient pourtant été conçus : non contents de s'avérer incapables de couler le moindre navire ennemi - si ce n'est un misérable cargo traînard - le Tirpitz et son escorte n'avaient en effet eu d'autre choix, pour s'éviter le sort du Bismarck, que de retraiter à toute vapeur dès qu'ils avaient aperçu des avions britanniques dans le ciel !


"Les conclusions de Raeder [commandant en chef de la Kriegsmarine] et de l'État-major naval après cette première sortie du Tirpitz furent éloquentes : "le cours des événements démontre notre propre faiblesse navale dans ces eaux septentrionales. L'ennemi répond à chacune de nos sorties par l'envoi de puissants groupes de combat, et particulièrement de porte-avions, qui doivent être reconnus comme les plus dangereux opposants de nos grands navires de ligne.

Un indicateur de notre extrême vulnérabilité réside dans le fait que l'ennemi ose s'avancer dans nos propres eaux côtières du Nord sans être détruit par l'Aviation allemande. Nos propres forces d'escorte (destroyers, vedettes lance-torpilles) sont numériquement si faibles que nos grands navires se retrouvent inévitablement sous la plus extrême des pressions durant les attaques aériennes et les engagements avec l'ennemi"" (1)

Dit autrement, même s'ils passaient désormais la quasi-totalité de leur temps au mouillage, les grands navires de surface allemands continuait de représenter une menace pour le trafic maritime britannique... mais se trouvaient eux-mêmes menacés d'une totale annihilation s'ils tentaient de quitter les dits mouillages !

(1) David Irving, The Destruction of Convoy PQ-17, pages 8 et 9

lundi 18 juin 2012

3391 - PQ-12

... pour la Kriegsmarine, l'opportunité d'utiliser à nouveau ses grands navires allait se présenter dans la première semaine de mars 1942, à l'occasion du passage du convoi PQ-12 qui, sur son trajet, devait par ailleurs croiser la route du QP-8, s'en revenant à vide de Russie.


Le 5 mars, accompagné de trois destroyers, le cuirassé Tirpitz avait donc pris la mer... pour ne rien rencontrer du tout si ce n'est un misérable cargo russe et traînard du QP-8, que son escorte, ajoutant ainsi la honte à la misère, n'avait ensuite expédié par le fond qu'après qu'il soit lui-même parvenu à remplir les ondes de messages de détresse.

Et le résultat ne s'était pas fait attendre, puisqu'au matin du 9 mars, au lieu des cargos du PQ-12, c'étaient des biplans Fairey Albacore - preuves indubitables de la présence d'un porte-avions britannique - qu'avaient aperçu les guetteurs du Tirpitz !

Sans couverture aérienne, et avec un seul destroyer pour le protéger - les deux autres ayant dû rompre la formation pour se ravitailler en carburant - le cuirassé allemand avait toutes les chances de subir le même sort que son jumeau Bismarck l'année précédente, mais, malgré tous leurs efforts, les pilotes britanniques s'étaient finalement avérés incapables de placer une seule de leurs vingt-cinq torpilles sur le monstre qui, zigzaguant follement pendant neuf interminables minutes, avait réussi à tout esquiver !

Si le dit monstre était finalement rentré sain et sauf dans son fjord, l'affaire avait une fois de plus démontré que face à un porte-avions, même des navires aussi puissants que le Tirpitz n'étaient plus désormais que de vulgaires canards posés sur l'eau le jour de l'ouverture de la chasse...

dimanche 17 juin 2012

3390 - attendre l'heure

... en prévision de futures attaques contre les convois britanniques vers la Russie, la Kriegsmarine avait donc, dès la mi-janvier 1942, commencé à rassembler ses derniers navires de ligne en Norvège, à commencer par le plus gros d'entre eux, le cuirassé Tirpitz, mis à l'ancre et camouflé tant bien que mal dans le Fættenfjord, près de Trondheim.

Le 21 février, le grand cuirassé y avait ensuite été rejoint par le Panzerschiff Admiral Scheer et le croiseur lourd Prinz Eugen - rescapé de Brest - qu'un sous-marin britannique en maraude avait néanmoins gravement endommagé lors de la traversée, et finalement contraint de retourner en Allemagne (1)

Pour le remplacer, la Kriegsmarine avait aussitôt dépêché son jumeau, l'Admiral Hipper, en Norvège, où il était arrivé le 21 mars, rejoint le 25 mai suivant par le Panzerschiff Lützow

Initialement prévus eux aussi pour la Norvège, les croiseurs de bataille Scharnhorst et Gneisenau avaient néanmoins dû y renoncer, provisoirement pour le premier (2), définitivement pour le second (3), ce qui laissait tout de même les forces de surface allemandes de Norvège avec quatre grands navires de ligne qui attendaient désormais leur heure...

(1) après des réparations provisoires, le Prinz Eugen reprit le chemin de l'Allemagne le 16 mai, pour ne reprendre du service qu'en octobre 1942
(2) endommagé par des mines lors de la traversée de La Manche, le Scharnhorst ne reprit du service qu'en janvier 1943, avant de rallier finalement la Norvège deux mois plus tard
(3) peu avant sa traversée vers la Norvège, le Gneisenau, qui avait lui aussi été victime de mines lors de traversée de La Manche, fut irrémédiablement endommagé dans sa cale sèche de Kiel par un bombardement britannique, le 26 février 1942. Il ne reprit plus jamais la mer bien qu'une de ses tourelles, démontée, aie finalement atteint la Norvège pour y servir de défense côtière !

samedi 16 juin 2012

3389 - loin des regards...

... bien que parfaitement connus des Allemands, les premiers passages de cargos alliés vers l’URSS, débutés dès le mois d’août 1941, n’avaient guère retenu leur attention.

Mener des attaques navales ou aériennes dans les régions arctiques n’était en effet pas une mince affaire, surtout pour une Allemagne nazie dont l’attention, et la plus grande partie des ressources, était alors monopolisées par l’Opération Barbarossa.

De toute manière, Hitler et la plupart des hauts responsables de la Wehrmacht étaient convaincus de pouvoir l’emporter rapidement en URSS, et ce n’étaient certes pas les quelques avions, tanks ou obus ainsi livrés par Churchill à Staline qui y changeraient quoi que ce soit.

L’hiver - le redoutable hiver russe - était pourtant arrivé sans que la victoire, et la chute de Moscou, se concrétisent mais, en monopolisant pendant des semaines tous les moyens allemands disponibles, et toute l’énergie du Führer et de son État-major, c’était alors la contre-offensive russe qui avait cette fois empêché le Reich de s’intéresser aux quelques coquilles de noix qui, à moins de dix nœuds, s’efforçaient tant bien que mal de se frayer un passage à travers des eaux parmi les plus inhospitalières au monde.

Tout allait cependant changer au printemps de 1942 : pour assurer le succès de la nouvelle offensive "décisive" que l’on se préparait à lancer à travers les steppes russes, et en particulier vers une ville de la Volga connue sous le nom de Stalingrad, les forces stationnées en Norvège allaient maintenant être invitées à tout mettre en œuvre pour couper ce cordon de ravitaillement qui, à la longue, avait bel et bien fini par représenter un volume conséquent, donc une menace pour l’effort de guerre allemand.

Pour les dernières grandes unités de la Kriegsmarine, qui depuis des mois se languissaient dans l’inaction, c’était l’occasion rêvée de reprendre enfin du service…

vendredi 15 juin 2012

3388 - Cap Nord

... pour livrer à Staline ce qu'il réclamait, on pouvait envisager plusieurs itinéraires... tous affligés de sérieux inconvénients.

Le passage par l'Iran imposait par exemple un interminable transit des marchandises par la Méditerranée puis le Canal de Suez, tous deux sous la menace constante des forces germano-italiennes.

Fréquemment interrompu par les caprices de la météo, celui de l'Alaska à la Sibérie, par le Détroit de Bering, s'avérait tout aussi périlleux et de toute manière seulement possible pour les avions que l'Amérique s'était elle aussi engagée à livrer à l'URSS.

En définitive, la voie la plus logique, et la plus rapide, passait par les eaux glacées de l'Arctique : parvenus en Islande, les lourds et lents cargos prenaient ensuite la direction du Cap Nord, vers les ports russes d'Arkhangelsk (en été) ou Mourmansk (en hiver), trajets hélas toujours à portée des bases navales, sous-marines et aériennes que l'Allemagne nazie entretenait en Norvège depuis qu'elle avait envahi ce pays, en 1940

Au début, et n'était l'effroyable et constant inconfort de pareilles traversées, tout s'était pourtant passé sans anicroches : au printemps 1942, plus d'une centaine de cargos avaient en effet réussi à rallier l'URSS en huit mois, pour la perte d'un seul navire seulement...

jeudi 14 juin 2012

3387 - l'aigle, l'ours et le lion

... en lançant l’Opération Barbarossa – l’invasion de l’URSS – le 22 juin 1941, Adolf Hitler avait aussitôt précipité Joseph Staline dans les bras de Winston Churchill.

Si tout, et en particulier l’idéologie, séparait ces deux hommes, le second comprenait parfaitement l’impérieuse nécessité de venir en aide au premier : après tout, c’était maintenant Staline et le peuple soviétique qui supportaient l’essentiel de cette guerre.

Le problème, c’est que la Grande-Bretagne n’était pas, et n’avait d’ailleurs jamais été, une puissance terrestre : il faudrait des mois, sans doute des années, et de toute manière une aide massive des États-Unis – par ailleurs encore neutres – avant que les forces terrestres de Sa Majesté soient en mesure, à l’Ouest, d’ouvrir le "second Front" que Staline ne cessait de réclamer à cor et à cris.

Mais d’un autre côté, ne rien faire, outre de s’avérer moralement indéfendable, revenait à favoriser les desseins d’Hitler ou – pire encore – à convaincre Staline de rechercher une solution négociée avec le Führer lequel, une fois débarrassé de l’ours russe, ne manquerait pas ensuite de reporter toute sa colère contre le vieux lion britannique !

Dans l’immédiat, on pouvait du moins utiliser la Royal Air Force pour bombarder l’Allemagne, ce qui, à défaut d’être vraiment efficace (1), rassurerait au moins Staline sur la volonté britannique de continuer la lutte.

Et puisque Staline réclamait aussi des avions, des tanks… ainsi que du blé et de la viande pour remplacer le matériel, les récoltes et le cheptel détruits par la guerre, autant lui donner satisfaction sur ces différents points qui, concrètement, impliquaient néanmoins l’obligation d’en faire transiter une partie par la voie maritime, jusqu’aux ports arctiques d’Arkangelsk ou Mourmansk...

(1) Saviez-vous que… Le bombardement stratégique

mercredi 13 juin 2012

3386 - en quête d'un but

... la Presse britannique vit naturellement dans cette "promenade dans la Manche" "la plus grande humiliation infligée à la Navy depuis que les Hollandais avaient incendié la flotte à Chatham, en 1667" alors que la Presse allemande, de son côté, s'empressa de présenter comme une "grande victoire" ce qui n'était en fait que l'aveu d'une retraite définitive et sans gloire.

Mais que fallait-il faire à présent des grandes unités survivantes ? Sur le papier, les Panzerschiffe Admiral Scheer et Lützow, les croiseurs lourds Prinz Eugen et Admiral Hipper, les croiseurs de bataille Scharnhorst et Gneisenau, et le cuirassé Tirpitz - jumeau du défunt Bismarck - sur le papier, ces navires représentaient encore une force non négligeable,... mais aussi une force à présent dénuée de mission.

S'il n'en avait tenu qu'à Hitler, ces "forteresses flottantes" auraient aussitôt été envoyées à la ferraille, leur acier récupéré au profit des tanks et des sous-marins, et leurs équipages réaffectés dans des emplois plus utiles à l'effort de guerre allemand.

Mais pareille décision, outre de poser d'énormes difficultés pratiques et de démoraliser les hommes de la Kriegsmarine, pareille décision aurait offert à la Grande-Bretagne une victoire sur un plateau d'argent, et renvoyé l'Allemagne aux heures les plus noires de 1919, lorsque sa flotte de guerre, alors la 2ème du monde, s'était elle-même sabordée à Scapa Flow.

Comme les dits navires constituaient encore une "menace potentielle" qui, à ce titre, continuait de mobiliser d'importantes forces britanniques, la seule chose à faire était donc... de ne rien faire, c-à-d de maintenir les navires en état, mais loin de la guerre, en attendant que se présente une occasion de leur rendre un rôle plus actif...

mardi 12 juin 2012

3385 - l'heure de la retraite

... la destruction du Bismarck avait une fois de plus prouvé que la puissance de feu et la volonté "de se battre jusqu'au dernier obus" comptaient moins dans une guerre que la pure et simple loi du nombre.

Dans l'immédiat, elle signifiait surtout la fin définitive des opérations des grands navires de ligne allemands dans l'Atlantique, et leur remplacement par un nombre sans cesse accru de sous-marins, bien plus efficaces contre le trafic maritime de l'adversaire.

Mais que fallait-il faire des navires survivants, et en particulier des Scharnhorst, Gneiseau et Prinz Eugen réfugiés à Brest depuis des mois mais régulièrement attaqués à quai par les bombardiers de la Royal Air Force ?

A l'évidence, ces trois bâtiments auraient été sinon plus utiles du moins bien plus en sécurité en Allemagne, mais les y ramener au départ de Brest leur aurait imposé un long périple à travers l'Atlantique, le contournement des îles britanniques,... et la certitude de rencontrer en chemin l'un ou l'autre cuirassé ou porte-avions de la Royal Navy.

A la stupéfaction de l'État-major de la Kriegsmarine, Hitler décida tout bonnement... de les faire rentrer par la Manche, c-à-d de les faire passer devant le Pas-de-Calais à portée des batteries côtières de Douvres, mais aussi des attaques conjuguées de l'aviation britannique et de la Royal Navy !

Contre toute attente, le 12 février 1942, ce coup d'audace invraisemblable s'avéra payant : personne, du côté britannique, n'avait en effet envisagé pareille possibilité et de fait, à part quelques dégâts causés par des mines heurtées au large de la Hollande et dans l'embouchure de l'Elbe, la "promenade dans la Manche" s'acheva sans perte côté allemand !

lundi 11 juin 2012

3384 - Coulez le Bismarck !

... si le combat du 24 mai 1941 s'était soldé par une grande victoire allemande, c'était aussi une victoire à la Pyrrhus puisque les navires de l'amiral Lütjens, repérés par la Royal Navy bien avant qu'ils ne puissent menacer le moindre cargo, n'avaient eu d'autre choix que d'abandonner aussitôt leur mission afin de mettre le cap, pour l'un vers Brest, pour l'autre - le Bismarck - vers St-Nazaire.

Quelle que soit la manière dont on considérait les choses, et même si le Bismarck avait finalement réussi à arriver à bon port, l'Opération Rheinübung aurait donc été un échec.

Malheureusement pour les Allemands, cet échec avait cependant viré au désastre, puisque la perte du Hood avait incité Churchill, et il faut bien le dire l'ensemble des marins et des aviateurs anglais à crier vengeance et, au cri de "Coulez le Bismarck !", à mobiliser tous les moyens disponibles, et à prendre tous les risques, pour rendre aux Allemands la monnaie de leur pièce.

Tard dans la soirée, des biplans Swordfish du porte-avions Victorious avaient d'ailleurs commencé - sans grand succès - à attaquer le cuirassé allemand, avant de céder la place, deux jours plus tard, à d'autres Swordfish venus cette fois de l'Ark Royal.

Dans cette succession d'engagements qui n'étaient pas sans évoquer le combat des moustiques contre l'éléphant, les moustiques avaient fini par endommager le gouvernail du Bismarck qui, rendu incapable de manœuvrer, n'avait alors plus eu qu'à mourir en beauté face aux cuirassés King George V et Rodney, apparus dans la matinée du 27.

De fait, en moins de deux heures, le grand navire allemand, attaqué de tous côtés et soumis à une véritable avalanche d'obus de 356 et 406mm, mais aussi à d'innombrables torpilles et obus de moyen calibre, s'était enfoncé dans les flots avec la quasi-totalité de son équipage, dont l'amiral Lütjens.

Un instant menacée sur les routes de l'Atlantique par les grands navires de surface de la Kriegsmarine, la Royal Navy était redevenue absolue maîtresse des mers, ne craignant plus désormais que les attaques des sous-marins allemands.

Adolf Hitler, lui, s'apprêtait à en tirer les conséquences...

dimanche 10 juin 2012

3383 - la première grande victoire

... sur le papier, avec leurs 8 x 380 et 10 x 356mm, les navires britanniques bénéficiaient d'un sérieux avantage de puissance sur les allemands, lesquels n'alignaient que 8 x 380 et 8 x 203mm.

Mais le Hood n'était qu'un (très grand) croiseur de bataille qui, malgré plusieurs modernisations, accusait désormais son âge - il avait été mis en service en 1920 - alors que le Prince of Wales, pour sa part, souffrait plutôt du problème inverse : entré en service à peine deux mois plus tôt, il traînait encore pas mal de "maladies de jeunesse" derrière lui.

Contre toute attente, c'est pourtant le fort modeste Prinz Eugen qui, le premier était parvenu à toucher le Hood, dont le pont des embarcations avait commencé à flamber avant qu'à la troisième salve du Bismarck, il ne disparaisse tout entier dans une formidable explosion ne laissant que trois survivants sur un équipage de plus de 1 400 hommes !

Demeuré seul, le Prince Of Wales s'était alors retrouvé en fort mauvaise posture, avec un canon de 356mm en avarie à l'avant et surtout, la tourelle arrière totalement bloquée après qu'un de ses propres obus soit tombé du monte-charges !

Touché trois fois par le Prinz Eugen, et quatre fois par le Bismarck, le cuirassé britannique avait donc retraité piteusement, laissant les Allemands seuls maîtres du champ de bataille, et offrant ainsi à la Kriegsmarine sa première grande victoire de la guerre

Il y avait cependant un "mais", puisque plusieurs obus anglais avaient néanmoins réussi à endommager les citernes à mazout du Bismarck, laissant dans le sillage du cuirassé une nappe impossible à colmater et particulièrement visible depuis le ciel.

Dans ces conditions, au soir du 24 mai, l'amiral Lütjens avait préféré rendre sa liberté au Prinz Eugen, lequel avait alors mis le cap sur Brest, laissant le Bismarck poursuivre la sienne vers Saint-Nazaire, seul port muni d'une cale sèche suffisamment vaste - celle du paquebot Normandie - pour l'y accueillir.

samedi 9 juin 2012

3382 - l'illusion de la puissance

... avec ses 42 000 tonnes et ses huit canons de 380mm, le Bismarck était assurément, en ce mois de mai 1941, un des sinon le plus puissant cuirassé de son époque.

Si leurs partisans se refusaient encore à l'admettre, l'avenir des "forteresses flottantes" était cependant derrière elles : à Tarente (1), en novembre 1940, l'aviation embarquée britannique avait déjà démontré très grande la vulnérabilité de ces navires aux simples torpilles et bombes d'avions et dans quelques mois, à Pearl Harbour puis Singapour, l'aviation japonaise en apporterait la démonstration définitive.

Mais en ce mois de mai 1941, lorsque le Bismarck prit enfin la mer en compagnie du croiseur lourd Prinz Eugen pour une croisière contre les convois britanniques de l'Atlantique, beaucoup croyaient encore en ces dinosaures, à commencer, et fort ironiquement... par les Britanniques eux-mêmes, lesquels, connaissant approximativement la route suivie par les deux navires allemands, s'étaient empressés de dépêcher plusieurs cuirassés et croiseurs de bataille à leur rencontre.

Au petit matin du 24 mai, bien avant que les deux navires ne soient en mesure de s'en prendre au moindre cargo, une escadre britannique partie d'Islande, et composée du vieux croiseur de bataille Hood et du tout nouveau cuirassé Prince of Wales, avaient ainsi aperçu les deux bâtiments allemands dans le Détroit du Danemark et immédiatement engagé la bataille...

(1) Saviez-vous que... 1945 et 1946

vendredi 8 juin 2012

3381 - Opération Rheinübung

... le 22 mars 1941, les Scharnhorst et Gneisenau étaient rentrés à Brest après avoir finalement réussi à couler 22 navires marchands britanniques, pour un total de 116 000 tonnes, résultat qui aurait pu passer pour honorable s'il ne s'était avéré très en deçà des attentes et surtout hors de proportion avec les moyens déployés (1)

Pour l'amiral Lütjens, et pour la plupart des responsables de la Kriegsmarine, le problème n'était cependant pas l'excès mais plutôt le manque de moyens : si les deux croiseurs de bataille avaient dû renoncer à s'en prendre au convoi HX-106, c'était en raison de la présence d'un cuirassé britannique parmi l'escorte et parce que les ordres du Führer interdisaient aux navires de surface allemands d'engager tout combat s'ils ne disposaient pas de la supériorité matérielle sur l'adversaire.

Si l'on voulait continuer à utiliser les dits navires dans les missions pour lesquelles ils avaient été conçus - à savoir la guerre de course contre le trafic maritime ennemi - il fallait donc les engager non plus isolément mais bien en groupe, ce qui était précisément l'objectif de l'Opération Rheinübung qui, en plus des deux croiseurs de bataille précités, devait réunir les nouveaux cuirassés Bismarck et Tirpitz.

Le problème, c'est que le Tirpitz n'était pas encore prêt, que le Scharnhorst souffrait à présent d'insondables problèmes de machines et que le Gneisenau, victime de plusieurs attaques aériennes depuis son retour à Brest, avait quant à lui été envoyé en cale sèche pour plusieurs mois !

L'un dans l'autre, la plus importante opération navale de la Kriegsmarine depuis le début de la guerre allait donc devoir se limiter au Prinz Eugen et au Bismarck, soit à un croiseur lourd et à un cuirassé certes régulièrement présenté par la Propagande comme "le plus puissant du monde", mais qui, lorsqu'il serait repéré, n'aurait le choix qu'entre fuir ou affronter à lui tout seul une bonne partie de la Royal Navy...

(1) rappelons que ces croiseurs de bataille de 32 000 tonnes, en plus d'engloutir des milliers de tonnes de mazout, mobilisaient quelque 2 000 marins chacun...

jeudi 7 juin 2012

3380 - HX-106

... le 22 janvier 1941, les Scharnhorst et Gneisenau avaient appareillé pour intercepter et détruire le convoi britannique HX-106, soit une quarantaine de lourds et lents cargos partis d'Halifax (Canada) à destination de la Grande-Bretagne.

Mais le 8 février, alors qu'ils se préparaient à passer à l'attaque, les deux croiseurs de bataille avaient eu la surprise de découvrir la présence d'un cuirassé britannique - l'antique Ramillies, lancé en 1916 - parmi la traditionnelle escorte de petits contre-torpilleurs.

Sur le papier, l'affaire semblait pourtant simple, et certainement jouable : bien que disposant d'un armement inférieur (9 canons de 280mm chacun contre les 8 pièces de 380mm de l'anglais), les Scharnhorst et Gneisenau possédaient un avantage de vitesse d'au moins 10 noeuds sur le vieux cuirassé britannique ce qui, comme l'avait immédiatement proposé le commandant du Scharnhorst, pouvait permettre à l'un des croiseurs de jouer au chat et à la souris avec le cuirassé, laissant ainsi à l'autre croiseur tout le loisir de s'en prendre aux cargos.

Le problème, c'est que les "ordres personnels du Führer" interdisaient désormais tout engagement face à un cuirassé ou un porte-avions ennemi, des directives ô combien comminatoires que l'amiral Günther Lütjens (1), qui avait sa marque sur le Gneisenau, refusa d'enfreindre, laissant ainsi le HX-106 poursuivre sa route sous la seule menace des U-Boot qui, quelques jours plus tard, et joignant ainsi l'insulte à l'humiliation, réussirent pour leur part à envoyer deux cargos par le fond...

(1) le même Lütjens trouva la mort trois mois plus tard, alors qu'il commandait le Bismarck

mercredi 6 juin 2012

3379 - la faute au Führer

... ce relatif insuccès des grands navires de surface allemands s'expliquait cependant, du moins en partie, par la volonté d'Hitler lui-même de ne plus encourir la moindre perte après la tragique disparition du Graf Spee

Si le Führer, passés les premiers moments d'euphorie, ne se faisait plus depuis longtemps la moindre illusion à leur sujet, et ne cessait par ailleurs de pester contre leur très mauvais rapport qualité/prix, il leur reconnaissait néanmoins valeur de symbole : l'Allemagne, comme du reste la plupart des autres belligérants, pouvait se permettre de perdre des dizaines de sous-marins, des centaines de tanks ou encore des milliers d'avions, mais la perte d'une seule grosse unité de la taille du Graf Spee constituait en revanche un authentique drame national (1), frappant le peuple tout entier et le rendant malade de chagrin, ce qui, en temps de guerre, et a fortiori dans la perspective d'une guerre de longue durée, devait évidemment être évité à tout prix.

A vrai dire, le meilleur moyen de parer à de nouvelles pertes de navires était encore... de ne plus utiliser les navires (!) ou, à tout le moins, de subordonner leurs (rares) activités à des règles de sécurité et d'engagement si strictes qu'elles décourageaient toute initiative de la part des commandants.

On allait d'ailleurs en avoir la preuve lors de l'affaire du convoi HX-106

(1) c'est précisément pour ne pas démoraliser leur peuple que les autorités japonaises allaient, pendant plusieurs mois, taire la disparition du Shinano, plus grand porte-avions du monde, coulé par un sous-marin américain le 29 novembre 1944

mardi 5 juin 2012

3378 - sur toutes les lèvres

... au début de 1941, la question de l'(in)utilité de la flotte de surface allemande était désormais sur toutes les lèvres.

La France avait été vaincue sans que les "forteresses flottantes" y jouent le moindre rôle, et si Hitler avait finalement renoncé à tout espoir d'envahir la Grande-Bretagne, c'est parce que le grand amiral Raeder avait lui-même reconnu que, faute d'une totale supériorité aérienne, les dites forteresses seraient bien incapables, face à la puissante Royal Navy, d'assurer la sécurité d'éventuelles troupes de débarquement.

Quant à la "guerre de course", pour laquelle ces navires avaient pourtant été conçus, celle-ci demeurait, même un an après le sabordage du Panzerschiff Graf Spee au large de Montevideo, une constante source de frustrations.

Le 23 octobre 1940, un autre Panzerschiff, l'Admiral Scheer, avait repris le flambeau et coulé quelque 100 000 tonnes de navires marchands britanniques en cinq mois, et le croiseur lourd Admiral Hipper une douzaine de cargos supplémentaires avant son propre retour à Brest, en février 1941.

Aussi satisfaisants pouvaient-ils paraître, ces résultats ne représentaient en fait que peu de choses en regard de ceux obtenus - et pour un coût infiniment moindre ! - par de vulgaires cargos armés comme l'Atlantis (146 000 tonnes), le Thor (100 000 tonnes) et surtout le Pinguin (qui était parvenu à couler quelque 155 000 tonnes de navires alliés avant de succomber en mai 1941 sous les obus du croiseur britannique Cornwall)

Encore ces palmarès ne voulaient-ils eux-mêmes rien dire lorsque comparés à ceux des U-boot : peu avant leur disparition, en mars 1941, Joachim Schepke et Otto Kretschmer, les deux plus grands spécialistes allemands dans cette discipline, avaient en effet expédié plus de 500 000 tonnes de navires alliés par le fond !

lundi 4 juin 2012

3377 - une sévère remise en question

... le triste sabordage de l'Admiral Graf Spee devant Montevideo, le 17 décembre 1939, avait clairement démontré les faiblesses de la Kriegsmarine mais aussi les limites de cette "guerre de course" à laquelle ses grands navires de surface s'étaient destinés.

L'Océan était certes aussi vaste qu'en 1914, mais depuis l'affaire de l'Emden, la TSF et l'Aviation avaient par contre fait d'énormes progrès, en sorte qu'il était devenu impossible de dissimuler fort longtemps la présence de navires aussi voyants que le Graf Spee, le Scharnhorst... ou le tout nouveau cuirassé Bismarck, qui terminait à peine ses essais.

Lorsqu'ils étaient repérés, ce qui ne manquait jamais d'arriver et toujours beaucoup plus vite qu'espéré, les "raiders" allemands n'avaient alors le choix que de fuir... ou alors d'affronter - mais sans le moindre espoir de vaincre ! - des adversaires parfois moins rapides, parfois moins bien armés, mais toujours beaucoup plus nombreux qu'eux.

Jour après jour, semaine après semaine, la confiance - déjà fort mesurée - du Führer à l'égard de ces "forteresses flottantes" allait en s'amenuisant et la perte du croiseur lourd Blücher qui, le 9 avril 1940, s'était fort imprudemment aventuré devant les antiques batteries côtières d'Oslo (1) au premier jour de la Guerre de Norvège, n'avait rien fait pour arranger les choses : au printemps de 1940, et alors qu'elle s'apprêtait à triompher sur le sol français, l'Allemagne nazie ne savait déjà plus trop quoi faire de sa marine de guerre...

(1) cet incident valut également de sévères dommages au Panzerschiff Lützow (ex Deutschland)

dimanche 3 juin 2012

3376 - le désastre du Rio de la Plata

... le 13 décembre 1939, au large du Rio de la Plata, la bataille s'était donc engagée le "Panzerschiff"Admiral Graf Spee et les croiseurs Exeter, Ajax et Achilles.

Sur le papier, et avec ses six canons de 280mm, le Graf Spee devait, en principe, être en mesure de triompher, ou du moins de tenir à distance respectable, les trois croiseurs britanniques, dont le plus puissant ne portait que du 203mm.

Le problème, c'est qu'il devait aussi se battre de trois côtés à la fois, et sans trop savoir sur quel bâtiment concentrer prioritairement son tir, fatale indécision qui avait permis aux navires anglais de se rapprocher à distance suffisante pour lui expédier leurs propres obus, dont quelques-uns avaient fait mouche, forçant alors le commandant Langsdorff à mettre le cap sur l'estuaire du Rio de la Plata, toujours suivi par les croiseurs britanniques, eux-mêmes passablement éclopés mais encore capables de mordre

Réfugié à Montevideo (Uruguay) le 14 décembre, le Panzerschiff allemands était cependant loin d'être tiré d'affaire puisqu'au large, les Britanniques s'affairaient à présent à mobiliser le ban et l'arrière-ban de leur flotte pour le cueillir dès sa sortie : l'Uruguay - pays neutre - ne pouvant en effet lui offrir l'asile que quelques jours... ou alors l'interner jusqu'à la fin de la guerre

Devant cette situation sans issue, et sans le moindre espoir de voir son Panzerschiff l'emporter au large, Hitler n'eut alors d'autre choix que d'ordonner le sabordage, offrant ainsi à ses adversaires une victoire qui ne leur coûta pas un obus supplémentaire, mais condamnant aussi la Kriegsmarine à une sévère remise en question...

samedi 2 juin 2012

3375 - des débuts modestes

... en septembre 1939, et même si elle s'était considérablement développée sous Hitler, la marine de guerre allemande, et en particulier sa flotte de surface, demeurait bien incapable de l'emporter contre ses rivales française et a fortiori britannique, ce pourquoi les grands bâtiments de la Kriegsmarine furent presque exclusivement utilisés, dès le début du conflit, contre le trafic maritime de l'adversaire, c-à-d dans la mission pour laquelle ils avaient précisément été conçus.

Les premiers résultats furent cependant loin de correspondre aux attentes.

Rentré à Kiel le 15 novembre 1939, le Deutschland n'avait en effet réussi, en trois mois de croisière solitaire, qu'à couler deux misérables cargos, pour un pitoyable total de 8 000 tonnes alors que le périple des Scharnhorst et Gneisenau, entamé une semaine plus tard, s'était avéré plus décevant encore puisque les deux grands croiseurs de bataille n'avaient réussi qu'à couler que le Rawalpindi - un modeste paquebot transformé en croiseur auxiliaire - avant de devoir à leur tour regagner Kiel après moins d'une semaine en mer.

Beaucoup plus grave pour l'Allemagne, et l'avenir de sa flotte de surface, avait cependant été la perte du Panzerschiff Admiral Graf Spee qui, après avoir coulé quelque 50 000 tonnes de navires britanniques, avait finalement été repéré, et attaqué, le 13 décembre par une escadre de trois croiseurs anglais au large du Rio de la Plata.

Plus lent que ses adversaires, le Panzerschiff allemand disposait en revanche d'un armement beaucoup plus puissant qui, en principe, aurait dû lui permettre sinon de les vaincre, du moins de les maintenir à distance.

Mais l'affaire n'avait pas du tout tourné comme prévu...

vendredi 1 juin 2012

3374 - actions et réactions

... toute action entraînant toujours une réaction, les marines soucieuses de maintenir leur rang ne pouvaient qu'emboîter le pas à l'Allemagne et donc mettre en chantier des navires de guerre qui se voulaient répliques - ou du moins réponses - à ces nouveaux Panzerschiffe, ce qui, en retour, ne pouvait qu'inciter l'Allemagne à augmenter sa mise et donc... à répliquer aux répliques !

En peu de temps, mais dans la meilleure logique du cercle vicieux, la course aux armements navals, en léthargie depuis la Conférence de Washington de 1922, allait ainsi être relancée, au grand dam des contribuables du monde entier, lesquels se consolaient néanmoins en assistant toujours plus nombreux au lancement de navires de guerre de plus en plus gros et de mieux en armés, flattant ainsi l'orgueil national.

En conséquence, et à la veille de la guerre, la Kriegsmarine d'Adolf Hitler et du Troisième Reich n'évoquait plus que de très loin la Reichsmarine de Paul von Hindenburg et de la République de Weimar, puisqu'en plus des trois Panzerschiffe déjà cités, et de plusieurs dizaines de sous-marins et petits navires de surface, elle s'était également dotée de deux grands croiseurs de bataille (les Scharnhorst et Gneisenau), trois croiseurs (très) lourds (Blücher, Admiral Hipper et Prinz Eugen) (1) et deux cuirassés (Bismarck et Tirpitz) encore en achèvement.

Ne restait plus qu'à savoir ce qu'elle allait bien pouvoir en faire...

(1) un quatrième croiseur lourd, le Lützow, fut cédé à l'URSS en mai 1940 et un cinquième, le Seydlitz, jamais terminé