mardi 28 février 2006

1087 - Rosenberg : avec les compliments de l'auteur

... souvent présenté comme le principal - sinon le seul - "idéologue du Nazisme", Alfred Rosenberg ne mérite certainement pas ce titre,... et d'autant moins que personne, parmi les leaders nazis, n'a réellement lu - et encore moins compris - la prose particulièrement indigeste de l'intéressé.

De lui, Hermann Goering, numéro deux du régime, ira jusqu'à dire "Rosenberg ? Ce n'est pas un officiel. C'était un auteur. Je ne connais personne qui puisse dire qu'il a été l'ami de Rosenberg. Il est du genre à faire bande à part; il est difficile à comprendre ou à approcher (...) je n'ai jamais rien lu de lui, hormis le premier chapitre du Mythe du XXème siècle, qui comme je l'ai dit m'est tombé des mains" (1)

Compagnon de la première heure de Hitler, rédacteur en chef du Völkischer Beobachter - journal officiel du parti nazi - puis Ministre des Territoires occupés, Rosenberg est un architecte devenu journaliste, philosophe, et bien entendu antisémite. Un homme qui rend les Juifs responsables de tous les malheurs de l'Allemagne et en particulier de s'être assurés le contrôle de la Presse, du théâtre et de l'Économie.

Si les juges de Nuremberg peinent eux aussi à comprendre les positions philosophiques pour le moins nébuleuses de l'intéressé, ils peuvent au moins se rabattre sur ses activités matérielles, dès lors qu'il se retrouva nommé Ministre des Territoires occupés, en 1941.

Dès cette époque, déclare le Tribunal, Rosenberg, "aida à l'élaboration de la politique de germanisation, d'exploitation, de travail forcé, d'extermination des Juifs et des adversaires du nazisme, et il organisa l'administration qui mit cette politique à exécution.Rosenberg était parfaitement au courant des traitements brutaux et de la terreur auxquels étaient soumis les habitants des régions de l'Est. Il ordonna de ne pas considérer comme applicables dans ces territoires occupés les règles de la Convention de La Haye concernant la guerre terrestre. Il était au courant de l'enlèvement des matières premières et des produits alimentaires des régions conquises à l'Est et de leur expédition vers l'Allemagne, et il prit une part active à ce pillage. Il déclara que la première demande à présenter aux pays de l'Est était de ravitailler le peuple allemand, et que ce serait le peuple soviétique qui en souffrirait".

Reconnu coupable des quatre chefs d'accusation, Rosenberg se laisse mettre la corde au cou sans mot dire. Peut-être parce qu'il a compris que le bourreau lui non plus ne parviendra pas à le comprendre...

(1) Gellately page 159

lundi 27 février 2006

1086 - Kaltenbrunner : le coupable idéal

... après avoir succédé en 1943 à Reinhard Heydrich à la tête de l'Office central de la Sécurité du Reich (RSHA), le sort d'Ernst Kaltenbrunner est scellé, et ses chances d'échapper à la pendaison, nulles.

Impitoyable envers les Juifs, Kaltenbrunner l'est aussi vis-à-vis des prisonniers de guerre alliés, envers lesquels il n'hésite pas à déclarer, en 1944, que "tous les bureaux du S.D. et de la police de sécurité doivent être informés que les pogroms de la population contre les aviateurs terroristes anglais et américains ne doivent pas être contrariés, au contraire, cet état d’esprit hostile doit être encouragé".

Après l'attentat du 20 juillet 1944 contre Hitler, c'est également lui qui dirige les enquêtes de la Gestapo, et envoie des dizaines d'accusés dans les chambres de torture, puis devant les pelotons d'exécution, s'attirant en retour la reconnaissance du Führer.

"Kaltenbrunner, déclare le Tribunal, avait connaissance des conditions de vie dans les camps de concentration (...) A la fin de la guerre, Kaltenbrunner participa à l'organisation de l'évacuation des internés des camps, et à l'extermination de beaucoup d'entre eux, afin de les soustraire aux armées alliées qui allaient les libérer (...) Le RSHA - pendant la période où Kaltenbrunner le dirigea - fut utilisé pour la réalisation d'un vaste programme de crimes de guerre et de crimes contre l'Humanité (...) Le RSHA joua un rôle capital dans la réalisation de la "Solution définitive" de la question juive, qui n'était autre que l'extermination des Juifs (1)

Et ce n'est pas l'incroyable manoeuvre de faire citer Rudolf Höss - ex-commandant du camp d'Auschwitz - comme témoin à décharge (!) qui peut le sauver de la potence vers laquelle il est conduit, le 16 octobre 1946

(1) Wievorka, page 163

dimanche 26 février 2006

1085 - Streicher : dirty old man

... Fondateur et éditeur de l'utra-antisémite "Stürmer", Julius Streicher est un antisémite si pathologique qu'il embarrasse fréquemment les leaders nazis eux-mêmes, qui l'écartent rapidement du Pouvoir, le déchoient dès 1940 de tous ses titres et fonctions officiels, et l'assignent à résidence.

L'intéressé ne doit en vérité son salut physique qu'à l'indéfectible fidélité de Hitler envers ses partisans de la première heure : Streicher a en effet adhéré au NSDAP dès 1922, et pris part au "putsch de la Brasserie" de 1923.

Dans tous les sens du terme, Streicher est un sale type, une crapule raciste, un véritable "dirty old man",... mais assurément pas un "grand criminel" ou un "comploteur contre la Paix".

De fait, malgré toute l'antipathie qu'inspire le personnage, le Tribunal de Nuremberg n'a d'autre choix que de l'exonérer des accusations de "complot", de "crimes contre la paix" et même de "crimes de guerre". On comprend mal, dès lors, pourquoi il est néanmoins reconnu coupable de "crimes contre l'Humanité", et condamné à mort pour cette raison.

"Le fait pour Streicher d'inciter au meurtre et à l'extermination, à une époque où les Juifs dans l'Est étaient massacrés dans des conditions inqualifiables, constitue manifestement la persécution pour des raisons politiques et raciales en rapport avec des crimes de guerre au sens du Statut et un crime contre l'humanité", estime le Tribunal dans son jugement.

Cependant, comme le souligne Wieviorka, "Telford Taylor s'étonne qu'il fut condamné sans discussion à la peine de mort. Non que le procureur adjoint [américain] trouve cette peine inique; il s'étonne simplement qu'il ne soit pas mentionné dans le jugement qu'après 1940, Streicher vivait retiré dans sa ferme, que son journal, le Stürmer, alors son seul lien avec l'extérieur, ne tirât plus qu'à 15 000 exemplaires, qu'il n'avait aucun lien avec Himmler [responsable de la "Solution finale"] ni avec ceux qui, en Pologne ou en Union soviétique, perpétraient les crimes que le tribunal a longuement évoqué" (1)

A n'en point douter, seul le dégoût que Streicher inspire à ses juges a pu les conduire à une telle extrémité,... ce dont l'intéressé ne semble guère s'émouvoir. "Pourim, 1946 !" s'exclame même Streicher, faisant référence à cette célèbre fête juive, au moment où le bourreau lui passe la corde au cou...

(1) Wieviorka, page 166

samedi 25 février 2006

1084 - Keitel : le chien fidèle

... durant toute sa vie, Wilhelm Keitel est le prototype du militaire de carrière dont l'obéissance aveugle aux ordres compense l'absence de génie militaire.

Reconnu pour son extrême servilité au Führer, il en couvre toutes les décisions, ce qui lui permet de survivre aux sautes d'humeur de son maître, et même de lui survivre tout court, puisque c'est lui qui signe l'acte officiel de capitulation, le 8 mai 1945.

Arrêté par les Américains moins d'une semaine plus tard, il est déféré à Nuremberg. On reproche à Keitel d'avoir signé d'innombrables documents ordonnant l'attaque de pays neutres, l'exécution de partisans, la mise au travail forcé de prisonniers de guerre, ou encore des représailles massives sur les populations civiles.

"Je suis un soldat, déclare Keitel (1). J'ai travaillé pour le Kaiser, sous Ebert, Hindenbourg et Hitler, exactement de la même manière au cours des 48 dernières années. (...) Je n'avais aucune autorité. Je n'avais de feld-maréchal que le nom. Je n'avais ni troupes ni autorité, si ce n'est celle d'exécuter les ordres de Hitler. Je lui étais lié par serment (2)

L'argument de l'obéissance aux ordres ne convainc manifestement pas le Tribunal

"Les ordres supérieurs, mêmes donnés à un soldat, ne peuvent constituer des circonstances atténuantes là où des crimes aussi révoltants que nombreux ont été commis sciemment, impitoyablement, et sans la moindre justification militaire" (3) souligne le tribunal, en le reconnaissant coupable des quatre chefs d'inculpation et en l'envoyant à la potence.

(1) Gellately, pp 214-215
(2) le 2 août 1934, peu après la mort de Hindenbourg, le traditionnel serment d'allégeance de l'armée à la Nation fut remplacé par un serment d'allégeance à la personne-même du Führer
(3) Wieviorka, page 163

vendredi 24 février 2006

1083 - Ley : la Force par la Joie

... Robert Ley, c'est le chef du Front allemand du travail, celui qui a sorti des millions d'Allemands du chômage grâce à la politique de grands travaux et de réarmement massif voulue par Hitler.

Robert Ley, c'est aussi, et peut-être surtout, l'homme de la Kraft durch Freude, "la Force par la Joie", soit le programme de loisirs, de sports et de croisières d'agrément mis en place par le régime nazi au profit des travailleurs allemands, et ce à même les fonds des syndicats désormais interdits et dissous.

Bien que Ley ait effectivement participé à la mobilisation des travailleurs allemands et étrangers en faveur de l'effort de guerre, on ne sait trop si le Tribunal serait parvenu, en toute équité, à prouver sa culpabilité aux quatre chefs d'inculpation.

Ley ne lui en laisse pas le loisir : il se pend dans sa cellule le 25 octobre 1945, une semaine à peine après l'ouverture solennelle des débats

jeudi 23 février 2006

1082 - Von Ribbentropp : la voix de son maître

... à la différence de ses prédécesseurs, Joachim Von Ribbentropp n'est pas un diplomate de carrière. Ce n'est pas non plus un nazi de la première heure - il n'a adhéré au NSDAP qu'en 1932. C'est un riche marchand de vins que sa rencontre avec Hitler propulse d'abord comme ambassadeur d'Allemagne en Grande-Bretagne - où il est immédiatement à l'origine d'un incident diplomatique en effectuant le salut nazi et en saluant le Roi d'un vibrant "Heil Hitler" dès sa présentation à la Cour de Saint-James - puis comme Ministre des Affaires étrangères de 1938 à 1945, poste où il acquiert bientôt la réputation d'homme des "chiffons de papiers" en raison de sa détestable propension à signer des accords de paix qui se trouvent violés avant même que l'encre n'en soit sèche.

Tenu en piètre estime, et souvent qualifié d'incapable, Ribbentropp n'en est pas moins l'homme du pacte germano-soviétique, prélude à l'invasion puis au partage de la Pologne.

Mais la principale qualité de Ribbentropp est assurément d'avoir été, tout au long du régime nazi, la fidèle "voix de son maître", Adolf Hitler

"Il était très gentil avec moi", déclare-t-il à Nuremberg. Il était souvent très attentionné (...) J'étais son plus fidèle partisan (...) J'étais véritablement sous le charme de Hitler, c'était indéniable. Il m'a impressionné dès la première fois que je l'ai vu, en 1932. Il avait une force terrible, surtout dans les yeux"

Comme la plupart de ses co-accusés, Ribbentropp ne se reconnaît aucune responsabilité, ni même aucun pouvoir dans le régime nazi

"Chez nous, la politique était que chaque ministre ou chef de service ne sache que ce qui regardait son travail. Par exemple, je n'ai été au courant de l'invasion de la Norvège que 24 heures avant les opérations. Il tenait les Affaires étrangères à l'écart de l'armée. De même avec la guerre contre la Russie. Je n'ai été mis au courant que 24 heures avant (...) Un homme et un seul homme prenait toutes les décisions cruciales. C'était le Führer" (1)

Cette argumentation n'est manifestement pas partagée par le Tribunal de Nuremberg, qui le juge coupable des quatre chefs d'inculpation et le condamne à mort.

Alors qu'il monte sur l'échafaud, Ribbentropp déclare : "Mon dernier souhait, c'est que mon pays retrouve son unité et que l'Est et l'Ouest s'entendent pour la paix du monde".

Il avait 53 ans

(1) Gellately, page 244 et 249

mercredi 22 février 2006

1081 - Hess : l'homme de Spandau

... aujourd'hui encore, la personnalité de Rudolf Hess, et l'incroyable durée de sa détention après sa condamnation au procès de Nuremberg, continuent d'alimenter la polémique, et de donner naissance aux rumeurs les plus folles.

Compagnon de la première heure d'Adolf Hitler, membre du NSDAP dès 1920, Hess se retrouve, tout comme Hitler, emprisonné à la prison de Landsberg après le lamentable échec du "putsch de la brasserie" de novembre 1923. C'est à Hess que Hitler dicte Mein Kampf, avant d'en devenir l'ami le plus intime. Suivant l'ascension météorique de Hitler, Hess entre au gouvernement comme ministre sans portefeuille dès 1933. Il est le confident de Hitler, son représentant et son remplaçant officiel.

Pourtant, le 10 mai 1941, il vole un Messerschmitt 110, met le cap sur l'Angleterre et se parachute au dessus de l'Écosse afin, dira-t-il, d'offrir une paix séparée à la Grande-Bretagne. Incrédules, les Britanniques le mettent au secret. Deux jours plus tard, un communiqué officiel allemand le présente comme "mentalement dérangé". Les experts médicaux qui vont se succéder à son chevet au fil des années sont partagés mais définissent du moins son état mental comme "incertain" et sa personnalité comme "psychopathique".

Hess présente également des signes d'hystérie, et souffre fréquemment d'amnésie. Tous ses co-accusés, Goering en tête, le présentent comme "mentalement dérangé", et ricanent à la seule idée qu'il ait pu être mandaté par Hitler pour négocier une quelconque paix avec la Grande-Bretagne

"D'aussi loin que remontent mes souvenirs, déclarera Goering, Hess a toujours été un peu déséquilibré (...) Je me souviens que Hess a eu un jour une idée lumineuse pour me soigner des névralgies dont je souffrais à l'époque (...) un jour, est arrivée toute une batterie de cuisine. Il y en avait de toutes les tailles. L'un était pour me tremper le bras, l'autre l'avant-bras, un autre encore la jambe, et ainsi de suite (...) Hess m'a expliqué que je lui avais dit souffrir d'une névralgie et que c'était le traitement adéquat" (...) De toute évidence, ce n'est pas Hitler qui a eu l'idée que Hess s'envole vers l'Angleterre; c'était trop bête. Il y avait bien d'autres façons de négocier une paix avec l'Angleterre si c'était ce que voulait Hitler. Nous pouvions passer par nos représentants en Suède ou en Suisse" (1)

La raison exacte de la présence de Hess au procès de Nuremberg est tout aussi incertaine. Emprisonné en Angleterre depuis 1941, il paraît difficile de voir en lui un des "grands instigateurs" du "complot contre la paix", et d'autant moins que ses rares déclarations à la barre se révèlent passablement confuses. Curieusement, il est néanmoins reconnu coupable des deux premiers chefs d'inculpation - complot et crimes contre la paix - condamné à la prison à vie, et expédié à la prison de Spandau, dont il devient le seul locataire à partir de 1966.

Au fil des années, et alors que son état mental et physique ne cesse de s'aggraver, les appels se multiplient pour sa libération. Mais les Russes, qui avaient exigé sa condamnation à mort, ont la rancune tenace - nous verrons pourquoi par la suite - et s'y refusent. De plus, la prison de Spandau est située en zone d'occupation britannique, ce qui permet à la Russie - qui avec la France, les États-Unis et la Grande-Bretagne en assure la garde alternée - de maintenir une présence militaire en zone occidentale.

Aveugle, amnésique, sénile, grabataire, Hess meurt finalement le 17 août 1987 - officiellement d'un suicide - à l'âge de 93 ans, et après avoir passé les 46 dernières années de sa vie derrière les barreaux. Quelques jours après sa mort, les autorités britanniques, soucieuses d'éviter toute possibilité de pèlerinage, rasent la prison de Spandau au bulldozer.

"A son 90ème anniversaire, le 26 avril 1984, le Times écrivit "Savoir si Hess est sain d'esprit ou pas reste incertain". Hess, naturellement, avait décidé, au moins depuis 1945, au Pays de Galles, que le monde entier était devenu lunatique" (2)

(1) Gellately, page 175
(2) Irving, Hess, The Missing Years, page 507

mardi 21 février 2006

1080 - Goering : le vieux soldat

... avec le retrait de Gustav Krupp, et l'absence de Martin Bormann, les accusés ne sont plus que 22 lors de l'ouverture solennelle du procès de Nuremberg, le 18 octobre 1945.

Parmi ceux-ci, Hermann Goering tient incontestablement la vedette. Héros de la Première Guerre mondiale, commandant en chef de la Luftwaffe, Président du Reichstag, Premier ministre de Prusse, numéro deux du régime nazi, et pendant longtemps personnalité la plus populaire d'Allemagne après Hitler, Hermann Goering est le fidèle d'entre les fidèles, et un homme qui, sachant depuis longtemps que son sort est déjà scellé, entend bien donner du fil à retordre à ses accusateurs.

De fait, Goering parle beaucoup, assume toutes ses responsabilités, et ne regrette rien, ce qui lui vaudra plusieurs passes d'armes mémorables avec le procureur général américain, Robert Jackson, qu'il tournera à diverses reprises en ridicule.

Goering est un voleur, qui s'est scandaleusement enrichi sous le Troisième Reich et n'a cessé de piller tous les musées d'Europe pour son compte personnel. C'est également un homme sans scrupule, et un des principaux organisateurs de la "Solution finale à la question juive". Mais c'est également un soldat, qui entend bien mourir comme tel

Aussi, le 01 octobre 1946, lorsque le tribunal le reconnaît finalement coupable des quatre chefs d'inculpation, et le condamne à la peine de mort, Goering réclame-t-il de mourir en soldat, c-à-d fusillé et non pas pendu comme un vulgaire voleur. Le Tribunal refuse, comme il le refusera pour les autres condamnés qui en feront la demande.

Au soir du 15 octobre 1946, lorsque le gardien - comme c'est la règle - regarde dans la cellule de Goering, quelques minutes avant qu'on ne le conduise à l'échafaud, il le découvre effondré sur le sol. Ultime pied-de-nez au Tribunal et à l'Histoire, le Maréchal du Reich s'est empoisonné au cyanure pour, a-t-il écrit à sa femme, "ne pas se soumettre au châtiment tel qu'il a été défini par ses ennemis".

Soixante ans plus tard., la provenance du poison reste inconnue. Beaucoup, comme David Irving, pensent qu'il lui a tout simplement été remis par Jack Wheelis, un des gardiens américains avec lequel le Maréchal s'était lié d'amitié (1)

(1) "Göring's wife knew the officer's identity but never revealed it (...) Wheelis is now dead but it was probably no coincidence that his widow later put up for sale a very large, expensive wristwatch that Hermann Göring had given to him" (Irving, Nuremberg... pp 443-444)

lundi 20 février 2006

1079 - la liste "bis"

... en plus de la liste des 24 "grands criminels", le Tribunal de Nuremberg fut également appelé à juger une sorte de liste "bis", celle des "organisations"

Aujourd'hui tombée dans l'oubli, cette mise en accusation correspondait à la volonté américaine, mise en avant par Murray Bernays dès septembre 1944, d'éviter la multiplication des procès individuels en se contentant de juger les "organisations" auxquelles les individus avaient appartenu. Pour Bernays, qui tirait son argumentation des gangs criminels américains, "Il ne serait pas nécessaire d'accuser chacun de leurs membres, mais uniquement des "individus représentatifs". Une fois l'organisation jugée et condamnée, chaque membre pourrait être jugé en tant que complice d'un crime et avoir droit à un procès sommaire organisé par les Alliés".

Les "organisations" considérées étaient au nombre de six. On y trouvait :

- le parti nazi, et en particulier le Corps des chefs politiques du parti
- la SS (Schutzstaffeln) et le Service de sécurité du Reich (Sicherheitsdienst ou SD)
- la Police d'État, plus connue sous le nom de Gestapo
- le Cabinet du Reich (Reichsregierung), c-à-d les ministres et leurs ministères
- les Sections d'Assaut (Sturmabteilungen ou SA)
- l'État-major et le Haut-Commandement des forces armées allemandes

Mais s'il était relativement facile de démontrer le caractère criminel de vulgaires gangs comme celui d'Al Capone, et de déduire la culpabilité individuelle de la simple appartenance à ces gangs, il en allait tout autrement pour les "organisations" nazies qui, à elles six, avaient hébergé plusieurs millions de personnes dans leurs rangs. Pour qu'une organisation soit reconnue "criminelle", déclara le Tribunal, il fallait qu'elle ait clairement des "buts criminels", qu'elle constitue "un groupe dont les membres sont liés les uns aux autres et organisés en vue d'un but [criminel] commun", et enfin "que la formation du groupe ou son utilisation ait un rapport avec les crimes définis par le Statut [du Tribunal]. (1)

En pratique, seules les trois premières "organisations" précitées purent finalement être reconnues comme "criminelles". Et lorsqu'elles le furent, le Tribunal arriva de toute manière à la conclusion que le simple fait de les déclarer "criminelles" ne pouvait suffire à lui seul à démontrer ensuite la culpabilité de chacun de leurs membres. Dans ses attendus, le Tribunal de Nuremberg souligna en effet que, dans la mesure où la criminalité des individus était déterminée par celle de "l'organisation" à laquelle ils avaient appartenu, il fallait néanmoins prouver, pour chaque individu, qu'il avait adhéré à cette organisation a) en pleine connaissance de ses buts, et b) sans contrainte aucune, ce qui, dans les faits, était quasiment impossible.

"Au total, l'accusation de criminalité pour les "organisations" fit long feu. Ainsi, souligne Bradley F Smith, "s'évanouit le grand rêve de voir expédier au gibet ou dans des camps de travaux forcés des milliers, voire des millions de nazis endurcis". On n'entreprit jamais de campagne systématique pour définir et répartir le blâme sur tous ceux qui étaient responsables des fléaux du nazisme" (2)

(1) Wieviorka, page 145
(2) ibid, page 149

dimanche 19 février 2006

1078 - le dernier coup de Krupp

... la liste des vingt-quatre "grands criminels de guerre allemands" à peine publiée, c'est le coup de théâtre.

Les avocats de Gustav Krupp - chef officiel du clan Krupp et grand supporter de Hitler - font immédiatement valoir, preuves à l'appui, que l'intéressé, alors âgé de 75 ans, n'est - et depuis fort longtemps - plus en mesure de suivre des débats ni même de répondre à des questions. Il souffre d'un "ramollissement artériosclérotique progressif du cerveau". Bref, Gustav Krupp est complètement sénile et meurt en 1950, sans avoir jamais été inquiété par la Justice.

Le procureur général américain, Robert Jackson, s'emporte. "Quatre générations de la famille Krupp ont possédé et exploité le puissant matériel d'armement qui a été la principale source des approvisionnements de l'Allemagne !", écrit-il. Pour l'idéaliste qu'est Jackson, il paraît en effet inconcevable que cette famille qui "depuis plus de 130 ans (...), a été le foyer, le symbole, et le bénéficiaire des plus sinistres forces qui ont menacé la paix de l'Europe", il paraît inconcevable qu'elle puisse échapper à la Justice.

Et puisque "aux environs de 1937, leur fils, Alfried Krupp, devint le directeur des usines" et aussi que "en 1940, [Gustav] Krupp von Bohlen qui prenait de l'âge devint Président honoraire du Conseil d'administration, laissant la place de Président effectif à son fils Alfried" (1), Robert Jackson propose tout bonnement de remplacer Gustav par Alfried sur le banc des accusés, ce qui avait d'ailleurs été son intention première.

Le 16 novembre 1945, les procureurs soviétique Pokrovsky, et français de Menthon, s'associent à la démarche du procureur général américain. Leur requête est pourtant rejetée par les juges internationaux, lesquels considèrent, à tort ou à raison, que la liste officielle des personnes mises en accusation ne peut-être modifiée en cours de route.

La famille Krupp échappe donc totalement au procès de Nuremberg. En 1948, lors du procès dit "des industriels", Alfried sera néanmoins jugé par les seuls Américains, qui le condamneront à douze ans de détention et à la confiscation totale de ses biens. En 1951, pourtant, c'est un autre Américain, John McCloy, alors Haut-Commissaire de l'Allemagne occupée, qui le fera sortir de sa prison de Landsberg - où avait autrefois séjourné Adolf Hitler - et lui restituera sa fortune, qu'il continuera à agrandir jusqu'à sa mort, en 1967...

(1) Wieviorka, pp 31-32

samedi 18 février 2006

1077 - la liste anglaise

... le principe du procès désormais acquis, son lieu déterminé, les procédures définies, l'acte d'accusation en cours de rédaction, restait maintenant à dresser la liste des "grands criminels" qui allaient se présenter pendant des mois à la barre du plus important procès de l'Histoire.

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, la constitution de cette liste n'avait en vérité rien d'évident. Les Français et les Russes - on l'a vu - ne pouvaient, au mieux, fournir que des "seconds couteaux" (Constentin Von Neurath et Erich Raeder). Bien que disposant du plus grand nombre de personnalités nazies dans leurs prisons, les Américains se focalisaient surtout sur le "complot" et la mise en accusation des "organisations", et n'avaient donc aucune liste bien précise à proposer. Les seuls à disposer d'une telle liste étaient les Britanniques,... qui auraient souhaité en exécuter les membres sommairement plutôt que de les voir défiler devant un tribunal dont ils avaient toutes les raisons de penser qu'il leur servirait bien davantage à étaler leur propagande qu'à reconnaître leur culpabilité.

Mais le Foreign Office n'avait pas le choix et, dès juin 1945, soumit donc une première liste de dix noms de chefs nazis, dont ses services avaient depuis longtemps rédigé la biographie.

Les Américains l'acceptèrent sans difficulté. Mais dix noms, c'était manifestement trop peu. Les Britanniques en ajoutèrent bientôt six autres, parmi lesquels figurait encore Hitler, que tout le monde tenait pour mort mais dont le cadavre n'avait pas été retrouvé - du moins officiellement (1). Un septième, Baldur Von Schirach, chef des "Jeunesses hitlériennes" s'y ajouta spontanément,... en se rendant de son plein gré aux autorités américaines qui le croyaient pourtant mort. Hitler finalement écarté, la liste anglo-américaine comprenait désormais seize noms

Fin août, les quatre délégations réunies décidèrent de l'étoffer davantage. Sans surprise, Français et Russes y ajoutèrent chacun "leur" criminel de guerre. Pour faire bonne mesure, on y adjoignit encore l'ancien ministre et ambassadeur Franz Von Papen, le responsable de la main-d'oeuvre Fritz Sauckel, le chef d'État-major de la Wehrmacht Alfred Jodl, le secrétaire personnel de Hitler Martin Bormann (qui a disparu et sera donc jugé par contumace) et celui que l'on considérait alors comme le chef du "clan Krupp", Gustav,... qui échappera pourtant au procès dans des circonstances rocambolesques - mais n'anticipons pas.

16 + 2 + 5 = 23, mais ce n'était pas encore assez aux yeux des Russes qui, de plus, se sentaient humiliés de n'en présenter qu'un seul et les Occidentaux, les vingt-deux autres. La délégation soviétique fit donc le forcing pour imposer une nouvelle liste de criminels qu'elle détenait. Ceux-ci s'avérant trop peu connus du grand public, les trois autres puissances refusèrent catégoriquement,...avant de finalement accepter, du bout des lèvres et uniquement pour faire plaisir aux Russes, d'y ajouter le nom de Hans Fritzsche, obscur collaborateur de Goebbels au Ministère de la Propagande.

Le 29 août 1945 la liste des inculpés fut enfin rendue publique. Elle comprenait vingt-quatre noms,... dont l'un allait bientôt disparaître

(1) sur les circonstances entourant la disparition du cadavre de Hitler : "Saviez-vous que..." no 332

vendredi 17 février 2006

1076 - les limites de l'accusation

... à l'évidence, les deux premiers chefs d'accusation - soit le "complot" et les "crimes contre la Paix" - auxquels les Américains tenaient tant, allaient s'avérer particulièrement difficiles à établir, et allaient aussi contraindre leurs partisans à de considérables écarts dialectiques.

Si l'on pouvait, à la limite, voir en Hermann Goering un de ces "grands comploteurs" désireux , dès 1933, de se lancer à la conquête du Monde au mépris de tous les traités internationaux, il était manifestement grotesque de considérer comme complice de ce même complot un Julius Streicher qui n'était en vérité qu'un vulgaire propagandiste certes haineux mais privé de tout pouvoir ou fonction officielle dès 1940.

Déjà trop vague dans sa formulation, l'accusation de "crimes contre la Paix" allait de surcroît exploser au visage de ses partisans quelques mois plus tard, et l'on comprendrait alors - mais n'anticipons pas - pour quelle étrange raison les Soviétiques s'y étaient tellement opposés à l'été 1945, au moment de la rédaction des actes d'accusation.

Rétrospectivement, il aurait d'ailleurs mieux valu se limiter aux deux derniers chefs d'accusation - soit les "crimes de guerre" et les "crimes contre l'Humanité" - et définir plus en détails en quoi ces derniers étaient véritablement spécifiques au régime nazi.

Car si le monde entier a depuis longtemps oublié le "complot" et les "crimes contre la Paix", il continue - à tort - de voir en Nuremberg le premier - sinon le seul - procès international spécifiquement consacré aux crimes de guerre et aux "crimes contre l'Humanité", en particulier à l'endroit des Juifs,... alors que les dits crimes n'occupèrent en vérité qu'une fort petite part des débats, et sans que personne ne se présente à la barre pour affirmer qu'il avait été envoyé dans un camp simplement parce que Juif...

jeudi 16 février 2006

1075 - les quatre plumes blanches

.... constamment accrochées à la personne des accusés comme quatre plumes blanches, les quatre chefs d'inculpation du procès de Nuremberg furent le résultat de longues et fort difficiles tractations entre juristes de nationalités différentes qui, il faut bien le dire, durent également, et dans une très large mesure, réinventer le Droit et donc souvent contrevenir à un de ses principes fondamentaux selon lequel une Loi ne saurait avoir de portée rétroactive.

Selon le premier chef d'accusation, dit du "complot", les intéressés avaient "participé en tant que dirigeants, organisateurs, instigateurs ou complices à la formulation ou à l'exécution d'un plan commun ou d'une conspiration visant à commettre, ou impliquant la commission, de crimes contre la Paix, de crime de guerre ou de crimes contre l'Humanité".

Fort semblable au premier, le deuxième chef d'accusation, dit des "crimes contre la Paix", concernait la participation à "la planification, à la préparation, au lancement et à la conduite de guerres d'agression, qui étaient aussi des guerres en violation des traités, des accords et des assurances internationaux".

Relatif aux "crimes de guerre", le troisième chef d'accusation visait les actes excédant les "lois et usages de la guerre", soit les massacres et déportations de civils, la mise au travail forcé, l'assassinat de prisonniers de guerre ou encore la destruction sans motif militaire de villes et de villages entiers.

Enfin, le quatrième chef d'inculpation, celui des "crimes contre l'Humanité", concernait plus particulièrement "le meurtre, l'extermination, l'asservissement, la déportation et d'autres actes inhumains commis contre des populations civiles avant et pendant la guerre" ainsi que "la persécution, pour des raisons politiques, raciales et religieuses dans l'exécution du plan concerté mentionné dans le premier chef d'accusation, ou en liaison avec ce plan".

Assez curieusement, aucun des accusés ne fut pourtant jugé pour la persécution ou le génocide des Juifs en tant que tels, alors que ces actes constituaient manifestement un des traits essentiels de la politique nazie depuis 1933.

Ce ne fut que l'un des nombreux malentendus d'un procès qui n'allait pas s'en montrer avare...

mercredi 15 février 2006

1074 - Amerika uber alles

... Les Britanniques ne voulaient pas du procès, ils eurent le procès. Les Français ne voulaient pas du complot, ils eurent le complot. Les Soviétiques voulaient Berlin, ils eurent Nuremberg.

En cet automne de 1945, ni les uns ni les autres n'avaient en vérité la volonté - ni surtout les moyens - de s'opposer aux Américains et à leur désir de bien faire en organisant eux-mêmes, à leur image mais en Europe, le plus grand procès du siècle. Un procès destiné à juger des Européens accusés de meurtres de masse sur la personne d'autres Européens.

On a souvent dit de Nuremberg qu'elle fut choisie par pur symbole, parce qu'autrefois berceau et théâtre des grands-messes du Troisième Reich. Comme souvent, la vérité est bien plus prosaïque : Nuremberg était tout bonnement située en zone d'Occupation américaine - ce qui était condition sine qua non - et même si la ville n'était plus qu'un vaste champ de ruines, elle disposait encore d'un Palais de Justice raisonnablement intact et - tout aussi important - d'une prison directement reliée au dit Palais par un passage aussi discret que souterrain.

Pour autant, dans cette montagne de gravats qu'était alors l'Allemagne, seuls les Américains disposaient de la logistique nécessaire pour réparer les bâtiments, dégager les routes, organiser un procès international, en assurer la traduction simultanée en quatre langues - une première mondiale - ainsi que pour loger et nourrir pendant des mois les milliers de participants, témoins, journalistes, hommes politiques, intellectuels ou simples curieux qui se précipitèrent à Nuremberg.

De fait, grâce à l'incroyable manne américaine, Nuremberg devint très rapidement un des rares endroits d'Europe où l'on trouvait de tout et en abondance, des cigarettes aux vins fins en passant par les bas de soie et les soirées costumées. "Le soir, le tout-Nuremberg se rend au Grand Hôtel, où les personnalités des diverses délégations se retrouvent fréquemment pour dîner (...) Tous les soirs s'y donne un spectacle. Ensuite, un orchestre joue et l'on danse. (...) A Nuremberg s'est ainsi constituée une sorte de petite communauté, une enclave sociale et géographique où l'on mène (...) une vie semi-coloniale. (...)

[Au Palais de Justice] "on peut y vivre dans une abondance dont l'Europe a perdu le souvenir. Un self-service sert à tous les mêmes repas. Un snack-bar offre à toute heure du jour des sandwiches faisant rêver les Français qui viennent d'un pays où règne encore le rationnement. S'ajoutent différents services : coiffeur, dispensaire, cabinet dentaire, tailleur, cordonnier, blanchisseur, teinturier, bibliothèque, bureau de poste, banque. Et enfin le fameux PX (...) où tous peuvent acheter leur ration hebdomadaire de cigarettes, de confiserie, de savon, de lames de rasoir" (1)

(1) Wieviorka, page 36

mardi 14 février 2006

1073 - le triomphe américain

... la France réclamait un procès. La Grande-Bretagne n'en voulait pas. La Russie était d'accord pour le procès pour autant qu'il fut spectacle et pour tout dire très "stalinien".

Ces trois puissances finirent pourtant par se rallier à la proposition d'une quatrième - les États-Unis - donc à celle d'un procès chargé de juger non seulement des individus mais aussi des "organisations" dans un contexte de "complot contre la Paix"

La proposition américaine n'était peut-être pas la meilleure, mais c'était assurément la seule possible vu l'époque et les circonstances. Ceci réglé, restait à définir la forme et les procédures judiciaires que suivrait ce "tribunal international". Si le Droit et les procédures américaines et britanniques étaient cette fois relativement identiques, tout les séparait en revanche du Droit et des procédures françaises, et plus encore de ce qui pouvait exister dans l'URSS de Joseph Staline : quelques jours avant l'ouverture du procès, le juge soviétique, le général Nikitchtenko, en était encore à se demander ce qu'il fallait entendre par "contre-interrogatoire" (1)

Arrivée à Londres le 20 juin 1945, la délégation américaine chargée de mettre le procès sur pied n'eut pas trop de mal à s'entendre avec sa consoeur britannique sur la formule des débats et une première liste d'Allemands à inculper. Les choses se compliquèrent néanmoins avec la venue des Français, le 24 juin, et surtout avec celle des Russes, le lendemain. Si les Français contestaient essentiellement certains points de Droit - comme la notion-même de "complot" à laquelle les Américains étaient très attachés - ce ne fut rien en comparaison de l'hostilité soviétique à l'égard du "complot" mais aussi du "crime contre la Paix"- on découvrira pourquoi par la suite - ainsi que de leur volonté maniaque de tenir le procès à Berlin, dans leur zone d'Occupation, ce que refusèrent absolument les Américains. Après une quinzaine de sessions, et six semaines de débats houleux, les Soviétiques se rallièrent pourtant, une nouvelle fois, à la position américaine.

Le procureur général américain, Robert H Jackson, avait en effet fini par menacer la délégation soviétique de tenir un procès à trois (USA, Grande-Bretagne et France) et de laisser les Russes organiser ce qu'ils voulaient de leur côté. Le problème, c'est que tous les "gros poissons" du défunt Troisième Reich se trouvaient aux mains des Américains (10), des Britanniques (5) ou des deux à la fois (3) Les Français ne détenaient que le fort pâle Constantin Von Neurath (Ministre des Affaires étrangères de 1932 à 1938); les Russes le tout aussi secondaire amiral Erich Raeder (commandant en chef de la Kriegsmarine jusqu'en 1943)

S'ils voulaient mettre en accusation des ténors comme Hermann Goering ou Joachim Von Ribbentropp, les Soviétiques n'avaient donc d'autre choix que d'accepter les positions américaines, ce qu'ils se résignèrent à faire le 2 août. Le "complot" fit donc bel et bien partie de l'acte d'accusation - les Soviétiques allaient bientôt s'en mordre les doigts - et le procès allait se dérouler à Nuremberg - donc en zone américaine - même si les Américains, magnanimes, finirent par consentir à ce que la séance d'ouverture se déroule à Berlin.

Le 8 août, les "Accords de Londres" et le "Statut du Tribunal militaire international" furent signés. Les choses sérieuses allaient pouvoir commencer.

(1) Gellately, page 16

lundi 13 février 2006

1072 - le ralliement

... rien ne semblait a priori plus irréconciliables que les positions britanniques, russes et américaines quant au sort à réserver aux principaux criminels de guerre nazis.

Pourtant, dès le 22 octobre 1944, les Soviétiques se rallièrent à la position américaine. Les Français en firent de même en avril 1945. Le 3 mai suivant, ce fut au tour des Britanniques qui, jusque-là, n'avaient pourtant cessé de mettre en avant les difficultés que rencontrerait l'organisation d'un tel procès, et donc la nécessité de plutôt procéder par exécutions sommaires.

Si le Cabinet de Guerre britannique voyait "toujours des objections à un procès en bonne et due forme pour les plus importants criminels de guerre dont les crimes n'ont pas de localisation géographique", il affirmait néanmoins que "si les deux grands Alliés restent convaincus de la nécessité d'un procès, nous acceptons leur position" (1)

Que s'était-il donc passé ?

En gros, l'exécution sommaire de Mussolini par les partisans italiens, suivie peu de temps après par le suicide Hitler, de Goebbels et de plusieurs hauts dignitaires nazis, dont Himmler (2), avait en partie levé la principale objection britannique à la tenue d'un procès.

Et puis, surtout, l'après-guerre qui se préparait apparaissait dores et déjà comme un triomphe américain. Dans une Europe ruinée, l'empire britannique en haillons n'avait plus vraiment les moyens d'imposer son point de vue à Washington, et était au contraire demanderesse de toute l'aide américaine possible, en particulier face aux appétits de moins en moins dissimulés de Joseph Staline.

Plus question donc de la proposition britannique visant à liquider sommairement une poignée de très hauts dignitaires nazis, ni de celle, soviétique, d'organiser des procès spectacles à l'intention de milliers d'accusés allemands : place au procès international américain, et même au procès international articulé selon les critères définis par Bernays et Stimson en septembre de l'année précédente.

Place donc au procès des "organisations" et au "complot contre la Paix".


(1) Annette Wieviorka, Le Procès de Nuremberg, page 18
(2) 60 ans après, le suicide de Heinrich Himmler, alors prisonnier des Britanniques (23 mai 1945) reste sujet à polémiques. Beaucoup continuent en effet d'y voir la volonté du gouvernement britannique d'épargner un procès public au chef de la SS et numéro deux du régime nazi...

dimanche 12 février 2006

1071 - la position américaine

... après beaucoup d'atermoiements, et à mesure que la victoire s'approchait en Europe, Alliés occidentaux et soviétiques finirent par s'entendre sur le sort à réserver aux criminels de guerre allemands.

Au terme de la Déclaration de Moscou du 30 octobre 1943, les "petits criminels", les exécutants, tous ceux ayant commis leurs forfaits à l'intérieur d'un pays bien déterminé - c-à-d l'écrasante majorité des Allemands susceptibles de passer en jugement - seraient, s'ils étaient capturés, livrés par chaque signataire de la Déclaration aux autorités de chaque pays où leurs crimes avaient été perpétrés,... à charge pour elles de les juger selon leurs propres lois, et de leur appliquer le châtiment qu'elles estimeraient nécessaire mais qu'on espérait du moins à peu près légal et plus ou moins respectueux des Droits de la Défense.

Quant aux autres, les "majors" ou "grands criminels", ceux dont les crimes ne revêtaient aucun critère de rattachement géographique particulier, ils seraient "punis en vertu d'une décision commune des gouvernements alliés". Restait évidemment à définir la nature de cette "punition" et, surtout, à dresser la liste de ces "grands criminels" et la nature des faits qui leur seraient reprochés.

Les Britanniques souhaitaient une liste très courte - une dizaine de noms au maximum - et étaient partisans sinon d'une exécution sommaire, du moins d'un processus très largement extra-judiciaire, lequel aboutirait obligatoirement à une condamnation à mort rapide. Sans surprise, les Russes réclamaient au contraire l'inculpation de centaines voire de milliers de personnes, et la tenue de procès-spectacles aboutissant à un fort grand nombre de condamnations à mort.

Les Américains hésitaient, tenaillés entre les partisans d'un Henry Morgenthau réclamant démembrement total de l'Allemagne et kyrielle d'exécutions sommaires, et ceux d'un Henry Stimson - Secrétaire d'État à la Guerre - tenant d'une approche plus raisonnée, où les États-Unis participeraient "à une sorte de tribunal international, lequel accuserait les principaux criminels de guerre nazis de crimes "contre le Droit de la Guerre" en ce qu'ils avaient commis des cruautés gratuites et inutiles en relation avec la poursuite de la guerre" (1)

En septembre 1944, Murray Bernays, adjoint de Stimson, rédigea alors un document sur le "Procès des criminels de guerre européens", qui allait finir par devenir la position officielle américaine. Par rapport au procès - purement politique - de Leipzig en 1921, qui s'était terminé par un redoutable fiasco, Bernays entendait poursuivre non pas seulement des individus déterminés, mais aussi des "organisations" - comme la SS ou la Gestapo - qui, à l'instar des individus, seraient également accusées de complot criminel.

"Il ne serait pas nécessaire d'accuser chacun de leurs membres, mais uniquement des "individus représentatifs". Une fois l'organisation jugée et condamnée, chaque membre pourrait être jugé en tant que complice d'un crime et avoir droit à un procès sommaire organisé par les Alliés" (2)

(1) Gellately, page 11
(2) ibid, page 13

samedi 11 février 2006

1070 - le plan Morgenthau

... pour compenser les pertes subies, et empêcher l'Allemagne de se relancer de sitôt dans une nouvelle guerre, Staline entendait non seulement désindustrialiser les zones placées sous son occupation, et en exporter les machines vers l'URSS - ce qu'il fit - mais aussi obtenir quatre millions de travailleurs allemands qui s'en iraient reconstruire l'URSS pour une durée indéterminée - ce qu'il réalisa en partie, notamment grâce aux prisonniers de guerre, dont les derniers survivants ne furent autorisés à revenir en Allemagne qu'en 1954, près de dix ans après la fin des hostilités.

Staline avait son pendant de l'autre côté de l'Atlantique. Il s'appelait Henry Morgenthau. Il était Secrétaire au Trésor et vedette des médias.

On a souvent affirmé que l'animosité de Morgenthau envers l'Allemagne nazie, et le sort qu'il lui réservait pour l'après-guerre, tenait au fait qu'il était juif, donc revanchard. Mais Morgenthau était surtout Américain, donc pragmatique et résolu à voir grand, et même trop grand.

Comme beaucoup d'autres, Juifs ou non, Américains ou pas, Morgenthau considérait que le Traité de Versailles de 1919, loin d'avoir réussi à désarmer l'Allemagne, l'avait au contraire poussée à se replonger au plus vite dans une nouvelle aventure guerrière destinée à venger l'affront. Pour en finir une bonne fois pour toutes avec le militarisme allemand, pour empêcher l'Allemagne de jamais être en mesure de repartir en guerre, Morgenthau se proposait ni plus ni moins de la morceler et de la convertir en nation strictement agricole, après avoir exécuté sommairement les dirigeants nazis sur une échelle que n'aurait certes pas reniée Staline lui-même.

Lorsqu'il rencontra Morgenthau à la seconde Conférence de Québec, en septembre 1944, Churchill fut consterné par un tel plan, qu'il qualifia de "unnatural, un-Chretian and unnecessary". "Je considère le plan Morgenthau avec autant d'enthousiasme, déclara-t-il, que si je me liais moi-même les poignets à un Allemand mort" (1)

Le plan Morgenthau avait pourtant ses partisans, en particulier chez Roosevelt lui-même, mais il déclencha rapidement une telle polémique (2), y compris au sein du gouvernement américain, qu'il fut bientôt abandonné et Morgenthau lui-même contraint à la démission après la mort de Roosevelt et la nomination de Harry Truman en tant que Président des États-Unis.

Un Truman qui allait bientôt devoir organiser un procès d'une ampleur et d'une importance jamais vue jusqu'alors

(1) Irving, page 37
(2) les ministres britannique Anthony Eden et américain Cordell Hull étaient en particulier convaincus qu'un tel plan ne pourrait mener l'Allemagne qu'à la famine

vendredi 10 février 2006

1069 - la Loi du Lynch

... le ralliement final de Staline à un processus judiciaire destiné à châtier les criminels de guerre allemands ne voulait certes pas dire que le Petit Père des Peuples entendait pour autant renoncer aux charmes pour le moins expéditifs de la Justice russe traditionnelle.

Comme le souligne Irving, dès le 16 décembre 1943, les Russes "mirent sur pied un tribunal chargé de poursuivre pour crimes de guerre trois officiers allemands capturés à Stalingrad et accusés de l'assassinat de civils russes au moyen de camions à gaz. Le procès se termina après seulement trois jours par autant de condamnations à mort. Les trois officiers furent exécutés dans un square public de Kharkov devant 40 000 spectateurs. Les Russes en tirèrent également un reportage morbide dont le message - "les procédures judiciaires soviétiques" - ne fut pas perdu par Robert H Jackson [procureur général américain à Nuremberg] lorsqu'il le vit en compagnie des membres de son équipe nouvellement formée, le 17 mai 1945 (...) en termes diplomatiques, il le traita de "très intéressante illustration de la manière russe de démontrer l'accusation par les accusés eux-mêmes", c-à-d par des confessions arrachées sous la torture, pour lesquelles les tribunaux soviétiques étaient depuis longtemps réputés" (1).

Ironiquement, bien que très attachés au "Bill of Rights", et considérant avec dédain les procédures russes, les Américains, et mêmes les Britanniques, n'étaient pas opposés par principe à l'exécution sommaire de certains criminels de guerre allemands.

A la Conférence de Québec, un communiqué de Roosevelt et Churchill rappela notamment que pour les "grands criminels tels que Hitler, Himmler, Goering et Goebbels (...) en dehors des redoutables difficultés auxquelles on se heurterait pour constituer la Cour, formuler l'accusation et réunir les preuves, la question du sort [de ces accusés] est d'ordre politique, et non pas judiciaire. On ne saurait abandonner à des juges, si éminents ou avertis soient-ils, le soin de trancher en dernière instance une affaire comme celle-ci" (2)

(1) Irving, pp 34-35
(2) Gellately, page 11

jeudi 9 février 2006

1068 - le toast de Staline

... réunis à la Conférence de Téhéran, en novembre 1943, Staline, Churchill et Roosevelt abordèrent tout naturellement la question du sort à réserver après la guerre aux criminels de guerre allemands.

Lors d'un toast, le 29 novembre, Staline, annonça son intention d'empêcher toute résurgence du militarisme allemand "dans les 10 ou 15 ans après la guerre", et proposa tout de go... de "liquider physiquement de 50 000 à 100 000 officiers allemands". Churchill s'empourpra aussitôt. "Je préférerais, s'exclama-t-il, qu'on m'emmène immédiatement dans le jardin et qu'on me fusille plutôt que de me soumettre moi-même et mon pays à une telle infamie !". Sur un ton badin, Roosevelt proposa alors de ramener le nombre d'officiers allemands à exécuter à "seulement 49 000" (1). Ulcéré, Churchill quitta alors la pièce, poursuivi par un Staline goguenard, lui assurant qu'il ne faisait que plaisanter.

Soixante ans plus tard, la question de savoir si Staline souhaitait seulement provoquer le Premier Ministre britannique, ou s'il pensait réellement ce qu'il disait, continue de diviser les historiens. David Irving, qui penche plutôt pour la première hypothèse, fait par exemple remarquer que le dictateur soviétique ne cessa par la suite de réclamer la tenue d'un procès international. D'autres soulignent au contraire que le précédent de Katyn - où l'armée rouge, sur ordre de Staline, exécuta des milliers d'officiers polonais - accrédite plutôt le sérieux de la proposition du "Petit Père des Peuples".

Quoi qu'il en soit, et même si les "trois Grands" se rallièrent par la suite à l'idée du procès, Churchill ne put s'empêcher, dans une communication au Foreign Office datée d'avril 1944 sur le sort réservé à l'Allemagne d'après guerre, de noter que "(...) comme je l'ai souligné, les termes [de la reddition allemande] ne sont pas de nature à les rassurer [les Allemands] si on les examine en détails (2). A Téhéran, aussi bien le Président Roosevelt que le Maréchal Staline ont proposé de démembrer l'Allemagne en morceaux plus petits que ceux que j'avais en tête. Staline a parlé de vastes exécutions de plus de 50 000 officiers et cadres de l'État-major (...) Il a déclaré qu'il réclamerait 4 000 000 de travailleurs allemands pour une durée indéterminée afin de reconstruire la Russie. Nous avons promis aux Polonais qu'ils obtiendraient des compensations [territoriales] en Prusse orientale et, s'ils le désirent, jusqu'à l'Oder. Il y a également de nombreux points impliquant la ruine [économique] de l'Allemagne et la mise en place pour une durée indéterminée de mesures destinées à l'empêcher de redevenir une puissance militaire" (2)


(1) cité notamment par Irving, "Nuremberg, the last battle", page 33. Elliott Roosevelt, qui accompagnait son père, parle de "49 500"
(2) nombreux sont d'ailleurs ceux qui considèrent que la divulgation des plans alliés pour démembrer l'Allemagne de l'après-guerre prolongea en réalité celle-ci de plusieurs mois, en persuadant soldats et officiers allemands de l'impérieuse nécessité de tenter l'impossible - et donc de résister jusqu'au bout - pour épargner à leur patrie un sort aussi funeste...

(3) Irving, page 34

mercredi 8 février 2006

1067 - la déclaration de Moscou

... le 30 octobre 1943, à Moscou, Anthony Eden, Cordell Hull et Vyacheslav Mikhailovich Molotov signent une déclaration engageant conjointement les gouvernements britannique, américain et russe.

Dans cette déclaration, dite "de Moscou", apparaît pour la première fois la distinction - capitale - entre deux types de criminels de guerre allemands : les principaux ("majors") qui, s'étant rendus coupables de crimes dans différents pays "doivent être punis en vertu d'une décision commune des gouvernements alliés" (et conformément à un "droit international" que définiront ces derniers), et ceux - si l'on ose dire plus "ordinaires" - qui, ayant commis leurs crimes dans un seul pays, "seront ramenés sur la scène de leurs crimes et jugés par les peuples auxquels ils avaient attenté" (et selon les lois ordinaires alors en vigueur dans le dit pays)

Comme on le voit, ce double standard de jugement ne repose nullement sur la gravité ou l'ampleur des faits reprochés aux accusés, mais uniquement sur un critère géographique par ailleurs fort discutable. La "Déclaration de Moscou" associe en effet automatiquement la transnationalité des crimes à l'existence de "hautes responsabilités" dans le chef du criminel, alors que des crimes souvent bien plus atroces, mais limités à une aire géographique précise, seront réputés être le fait de vulgaires exécutants.

Dans ce contexte, et parce que ses appels à la haine raciale transcendaient les frontières, un propagandiste comme Julius Streicher - qui physiquement n'a jamais tué personne ni organisé la déportation ou la mort de quiconque - devra être jugé et condamné par un tribunal international, alors qu'un commandant de camp d'extermination comme Rudolf Höss - qui à Auschwitz a pourtant personnellement organisé ou assisté à la mort de plus d'un million de Juifs - devra au contraire être jugé par les autorités civiles ou militaires du pays où son camp se trouvait établi.

Assurément nécessaire pour des raisons purement organisationnelles - on ne peut juger tout le monde ni tout le monde au même endroit - cette distinction entre "grands" et "petits" criminels n'en paraît pas moins, dès le départ, fortement arbitraire et va lourdement contribuer à alimenter, dans les années qui suivront, la controverse entre ceux qui considéreront Nuremberg comme l'ébauche d'une justice internationale dépassionnée, et ceux qui continueront à n'y voir que la pure et immémoriale vengeance du vainqueur sur le vaincu.

Ce n'est hélas que le début de la polémique...

mardi 7 février 2006

1066 - une fort longue gestation

... dès 1942, les puissances alliées avaient eu l'idée de "punir" l'Allemagne pour les multiples "crimes de guerre" dont elle s'était rendue, et se rendait encore, quotidiennement coupable dans les territoires occupés.

A la Chambre des Communes, le 17 décembre 1942, Anthony Eden, secrétaire d'État au Foreign Office, déclara ainsi que, sur base des renseignements reçus, "l'attention des gouvernements [la plupart en exil] de Belgique, de Grande-Bretagne, des Pays-Bas, de Grèce, du Luzembourg, de Norvège, de Pologne, des États-Unis d'Amérique, de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques, de Tchécoslovaquie, de Yougoslavie et celle du Comité français de la libération nationale" (sic) avait été attirée sur le fait que l'administration allemande, loin de se contenter de "retirer aux personnes d'origine israélite les droits de l'Homme les plus élémentaires", se préparait de surcroît "à mettre à exécution le dessein plusieurs fois exprimé par Hitler d'exterminer le peuple juif en Europe"

Dans cette déclaration, simultanément publiée à Londres, Moscou et Washington, Eden ajoutait que "les gouvernements sus-mentionnés (...) condamnent avec la plus extrême rigueur cette politique d'extermination" (....) Ils réaffirment solennellement leur volonté de châtier les coupables à la mesure de leurs forfaits, et d'accélérer les mesures nécessaires pour parvenir à ce but"

Il faudra pourtant attendre octobre 1943 avant qu'une fort vague "Commission des crimes de guerre des Nations-Unies" soit mise sur pied. Encore cette commission ne dispose-t-elle que de fort peu de moyens humains et matériels, tout en se trouvant - et pour cause - dans l'impossibilité de mener ses propres enquêtes dans les territoires occupés qui relèvent en principe de sa juridiction.

En mars 1944, son Président, le Britannique Sir Cecil Hurst, est même forcé de constater "qu'à peine une douzaine de cas [examinés par la Commission] peuvent être regardés raisonnablement comme des atrocités" (1). En particulier, la Commission n'a encore reçu aucune preuve attestant des massacres de Juifs en Pologne, alors qu'à cette date, la quasi-totalité des Juifs polonais a déjà cessé d'exister...

(1) Annette Wieviorka, Le Procès de Nuremberg, pp 13-14

lundi 6 février 2006

1065 - Justice ou Vengeance ?

... aussi brutal fut-il par moments, le traitement infligé aux prisonniers de la Wehrmacht, et même à ceux de la SS, eut sans doute semblé paradisiaque aux innombrables supplétifs et collaborateurs étrangers qui s'étaient mis au service du Reich à présent défait.

Dans toute l'Europe libérée, citoyens ordinaires, vrais ou faux résistants, et même membres des forces armées, rivalisaient en effet d'ardeur pour traquer et punir ceux et celles qui, selon eux, avaient trahi la Patrie et pactisé avec l'Occupant. L'ampleur et la gravité de ces règlements de comptes variaient énormément selon les moeurs locales, la gravité des faits reprochés aux accusé(e)s, ou simplement l'humeur du moment. Des femmes étaient tondues et des hommes roués de coups en place publique, d'autres étaient simplement abattus sur le pas de leur porte, ou exécutés dans un bois ou un terrain vague au terme d'un vague simulacre de procès.

Dans cette Europe où tout était à reconstruire, il fallut des mois pour que les tribunaux puissent se remettre à fonctionner à peu près normalement, et pour qu'ils soient enfin en mesure de juger et de condamner les accusés avec un minimum de formalisme. Mais même organisés au sein d'une salle d'audience plutôt qu'improvisés au bout du canon, les jugements rendus n'en conservaient pas moins une très large part d'arbitraire, dictée par l'émotion et la colère ainsi que par une foule qui réclamait davantage Vengeance que Justice.

En vérité, sur les milliers d'exécutions judiciaires ou extra-judiciaires ordonnées dans l'immédiat après-guerre, beaucoup - et probablement la plupart d'entre elles - n'auraient jamais été rendues si les accusés avaient réellement pu bénéficier d'un procès équitable, d'avocats compétents, et d'auditions basées sur des faits et des preuves plutôt que sur des rumeurs et des rancoeurs. Si l'on a coutume de dire que l'Histoire est toujours écrite par les vainqueurs, on se doit alors d'admettre que la Justice qui fut rendue à l'époque souffrait du même syndrome, et que les décisions qu'elle prit alors ne résisteraient sans doute pas à l'examen des tribunaux modernes.

C'est du moins l'argument de tous ceux qui, depuis 60 ans, contestent la légalité et les conclusions du Tribunal de Nuremberg...

dimanche 5 février 2006

1064 - Malheur aux Vaincus

... la vingtaine "d'exécutions extra-judiciaires" officiellement attribuées à la Brigade juive de l'armée britannique ne constitue évidemment qu'une part infime des milliers d'exécutions du même type qui s'opérèrent dans tous les pays d'Europe dès les premières heures de leur libération.

Partout, l'on vit des civils ordinaires, des résistants de la première ou de la vingt-cinquième heure, mais aussi des militaires d'armées régulières, partir à la chasse aux soldats et officiers allemands, ainsi qu'à leurs supplétifs et collaborateurs nationaux, qu'ils traitèrent plus ou moins bien selon l'humeur du moment et la gravité des faits qui leur étaient reprochés.

Si la plupart des membres de la Wehrmacht capturés se retrouva finalement internée en Europe, les conditions de détention - bien que variant énormément d'un pays à un autre - furent dans tous les cas sévères et parfois fort éloignées des "Lois de la Guerre" comme des "Conventions de Genève" tant vantées.

Ainsi, sur plus d'un million de prisonniers de guerre allemands qui, de 1944 à 1948, furent détenus sans jugement ni avocats dans des camps français, près de 70 000 d'entre eux y moururent de froid, de dysenterie, de sous-alimentation, de mauvais traitement,... ou carrément d'explosions survenues lors des travaux de déminage auxquels ils étaient astreints (1). De même, des centaines de milliers de prisonniers de guerre allemands furent envoyés croupir pendant des années dans des camps sibériens au taux de mortalité véritablement effarant : c'est ainsi que sur les 90 000 soldats capturés à Stalingrad en 1943, seuls 5 000 revirent finalement l'Allemagne, 10 ans plus tard...

Aussi rude puisse-t-il paraître, le traitement que subirent les prisonniers allemands de la Wehrmacht fut sans commune mesure avec celui que connurent les membres de la Waffen-SS, a fortiori lorsque volontaires étrangers rendus à leurs propres compatriotes. Ainsi en fut-il d'une douzaine de SS français de la division Charlemagne capturés par les troupes régulières du général Leclerc, à Bad Reichenhall, le 8 mai 1945

Arrivé sur place, le général Leclerc voulut les interroger personnellement.

- "Pourquoi portez-vous un uniforme allemand ?", demanda le général
- "Et vous, pourquoi portez-vous un uniforme américain ?", rétorqua un des SS français

Le trait d'humour n'eut manifestement pas le don de plaire au général Leclerc, lequel les fit fusiller séance tenante, et sans jugement, par ses propres troupes...

(1) Fabien THEOFILAKIS Les prisonniers de guerre allemands en mains françaises au sortir de la seconde guerre mondiale, Libération, 19 nov. 2003

samedi 4 février 2006

1063 - Nuremberg avant Nuremberg

... comme 5 000 autres Juifs, Moshe Travor servait dans la Brigade juive de l'armée britannique, une unité constituée en 1944 et placée sous le commandement du général juif canadien Ernest Benjamin. Comme il fallait s'y attendre, la découverte des atrocités nazies à l'endroit de leurs coreligionnaires les incita à donner une dimension particulière à leur "devoir de soldats".

"Nous étions en colère, raconta Moshe Travor (1), et beaucoup parmi nous pensaient que ça ne suffisait pas de participer à la guerre". S'étant procurés des listes d'Allemands suspectés d'avoir trempé dans le massacre de Juifs, et après avoir maquillé leurs véhicules et endossés des brassards de la Police Militaire britannique, Moshe et nombre de ses camarades décidèrent alors de faire Justice eux-mêmes, en se rendant au domicile des intéressés afin de les emmener pour "interrogatoires"

"Ils n'étaient pas trop méfiants, parce qu'ils ne savaient pas que nous étions de la Brigade juive (...) Nous emmenions le type et il ne résistait pas. Et à compter de ce moment-là, il ne voyait plus rien. Il ne revoyait plus sa maison".

Au terme d'un simulacre de procès où "peut-être on lui laissait une chance de dire quelques mots", le prisonnier était condamné et exécuté. "Notre méthode consistait à l'étrangler (...) C'est pas que j'étais content de le faire mais je l'ai fait (...) Je ne dis pas que j'étais indifférent, mais j'étais calme et tranquille, et j'ai fait mon travail. Vous pouvez même me comparer aux Allemands, parce qu'eux aussi, ils faisaient leur travail". Pour faire disparaître le corps, "on se rendait dans un coin choisi à l'avance. On attachait quelque chose de lourd à ses pieds - une pièce de moteur par exemple - avant de le jeter dans une rivière"

Bien évidemment, pareille procédure ne s'embarrassait guère de la recherche de preuves : "Il y avait des gars qui faisaient les choses spontanément. On avait un frère ou une mère qui avait été tué. Alors, quand on était en Allemagne ou en Autriche et qu'on voyait un Allemand à bicyclette, le chauffeur lui roulait tout simplement dessus" (2)...

(1) qui, en 1961, participa à la capture d'Adolf Eichman en Argentine et à son exfiltration vers Israël
(2) Rees, Auschwitz, page 362 à 364

vendredi 3 février 2006

1062 - vengeance, represailles et puis vengeance

... bien avant le procès de Nuremberg, bien avant tous les procès criminels ou de "dénazification" qui, partout en Europe, suivirent la capitulation allemande, avant-même la fin de la guerre, une multitude de "règlements de comptes" et autres "exécutions extra-judiciaires" avaient déjà eu lieu à l'encontre des criminels (ou supposés criminels) de guerre allemands.

C'est par exemple le gouvernement britannique qui envoie un commando de partisans tchèques assassiner Reynhard Heydrich - chef du SD, numéro 2 de la SS - à Prague le 27 mai 1942, mais ce sont aussi, et surtout, les multiples mouvements de résistance qui, avec ou sans ordres de Londres ou de Moscou, et à travers toute l'Europe, exécutent soldats et officiers allemands, provoquant ainsi, volontairement ou non, une kyrielle de représailles allemandes sur la population civile des pays occupés.

Comme le souligna le général Kesselring au procès de Nuremberg, "beaucoup de cruautés auraient pu être évitées [par l'armée allemande] s'il n'y avait pas eu de guerre derrière le Front. (...) Souvent, des civils arrêtaient une voiture et abattaient des soldats. Dans d'autres cas, on incitait les soldats à venir dans un village pour les assassiner. Il est impossible à un chef militaire de rester les bras croisés quand ses soldats se font tuer autrement qu'au combat" (1)

Aussi opportuniste qu'il puisse paraître, cet argument, invoqué par bon nombre de responsables allemands pour justifier le caractère parfois extrêmement brutal de la répression, ne peut pas être balayé d'un simple revers de la main. Il est en effet plus que vraisemblable qu'il existe un rapport, sinon exactement proportionnel du moins relativement proportionnel, entre le degré de résistance et le degré de répression. Or donc, si l'on admet que la Résistance a participé à l'effort de guerre allié, on doit également admettre que ses actes ont entraîné la mort de civils innocents, soit directement (comme dans le cas du civil qui se trouve au mauvais endroit au moment la Résistance frappe) soit indirectement (par la répression, les représailles, etc)

Du reste, celui qui commet un attentat sait pertinemment bien que celui-ci entraînera des représailles qu'il espère profitables à sa cause, donc à l'émergence de nouveaux attentats qui engendreront à leur tour de nouvelles représailles dans une logique de guerre de plus en plus totale....

(1) Gellately, Les entretiens de Nuremberg, page 396

jeudi 2 février 2006

1061 - Allemagne, année zéro

... en novembre 1918, l'Allemagne, qui n'avait pour ainsi dire subi aucun dommage sur son sol et combattait encore à l'extérieur de ses frontières, avait accepté non pas une capitulation, mais bien un simple armistice.

En visitant l'Allemagne, quelques semaines plus tard, le général Fayolle écrivit, de manière prémonitoire, "Le pays ne donne pas l'image d'un peuple vaincu. Tout respire l'ordre, la prospérité, la richesse. L'Allemagne n'est pas du tout épuisée. Si on la laisse libre, elle pourra recommencer la guerre dans dix ans, et même avant" (1)

Tous les efforts des Alliés tendirent dès lors à arracher sur le papier, à Versailles, la victoire que leurs armées n'avaient pu obtenir sur le terrain, en Allemagne. L'abdication de l'Empereur Guillaume II, et la période de grande instabilité politique qui s'ensuivit, leur permit d'interdire l'aviation allemande, de liquider sa marine de guerre, de rendre l'Allemagne seule responsable du conflit, et donc de la condamner à verser de colossales "indemnités de guerre" qu'elle était
par ailleurs bien incapable de payer.

Pour les Allemands, qui ne s'estimaient nullement battus, le Traité de Versailles fut immédiatement ressenti comme une humiliation et une effroyable iniquité, dont ils entendaient bien se venger le plus rapidement possible. Hitler et les Nazis n'eurent en vérité aucune peine à prospérer sur un terreau aussi fertile, à en rendre les Juifs responsables, et à précipiter une nouvelle guerre mondiale destinée à laver l'affront.

Faute d'avoir réussi à convaincre les Allemands de leur victoire, et de la justesse de leur cause, les Alliés s'étaient donc condamnés à repartir en guerre à peine 20 ans après celle qu'ils avaient pourtant présentée comme "la dernière".

En 1945, en revanche, l'état des lieux ne souffrait plus aucune discussion. Sur le plan matériel, l'Allemagne était bel et bien vaincue, son armée brisée et emprisonnée, sa population réduite à la mendicité, ses villes et ses usines transformées en amas de cendres encore fumantes, et son sol occupé par des armées étrangères. Sur le plan moral, les horreurs du nazisme, la découverte des camps et de leurs millions de victimes, avaient indigné le monde entier, et placé pour longtemps l'Allemagne et ses habitants au ban des nations civilisées.

Ruinés, épuisés, parfois rendus honteux d'eux-mêmes, les Allemands n'étaient cette fois plus du tout enclins à se replonger toutes affaires cessantes dans une nouvelle aventure guerrière. L'Allemagne de l'année zéro ne se préoccupait plus que de sa propre survie, en se demandant avec inquiétude quelle punition les Alliés allaient bien pouvoir lui infliger...

(1) Mosier, The Blitzkrieg Myth, page 41

mercredi 1 février 2006

1060 - le Droit du Vainqueur

... depuis que les guerres existent, le Vainqueur s'est toujours arrogé le droit de punir le Vaincu.

C'est Pharaon qui exige tribut de tous les pays qu'il conquiert. C'est Scipion Émilien qui, après s'être emparé de Carthage, en passe tous les défenseurs au fil de l'épée, brûle la ville, en abat les murs, recouvre de sel tout le territoire, puis emmène les 50 000 survivants en esclavage. C'est César qui couvre Vercingétorix de chaînes et l'exhibe à la foule, tel un animal sauvage, lors de son défilé de victoire. Ce sont tous les conquérants qui, prétendant agir au nom de leur dieu, de leur peuple, de leur bon droit ou tout simplement de celui du plus fort, pillent, violent, massacrent les civils, et s'emparent de tout ou partie des biens, propriétés et territoires qui leur appartenaient.

Avec le temps, l'évolution des mentalités et celle des lois, se développa pourtant la volonté de punir non plus l'intégralité du peuple vaincu mais seulement ses principaux, dirigeants, et de confier à des tribunaux, et non plus à de simples chefs de guerre, le soin de déterminer leur sort, le tout selon une procédure qui, à défaut d'exclure définitivement toute part d'arbitraire et de simple vengeance, offrait du moins un cadre formel au jugement, et certaines possibilités de défense aux accusés

Ainsi en fut-il au lendemain de la Première Guerre mondiale, lorsque l'article 227 du Traité de Versailles mit "en accusation publique Guillaume II de Hohenzolern (...) pour offense suprême contre la morale internationale et l'autorité sacrée des traités". Hélas, comme la Hollande refusa d'extrader l'ex-empereur d'Allemagne, réfugié sur son territoire, le tribunal spécial international, composé de 5 juges (un Américain, un Français, un Italien, un Anglais et un Japonais), et chargé "de déterminer la peine qu'il estimera devoir être appliquée", ce tribunal ne put jamais être mis sur pied.

On se rabattit donc sur l'article 228 de ce même Traité de Versailles, lequel prévoyait quant à lui le jugement des "criminels de guerre allemands". Les nations victorieuses déposèrent alors une liste de ces criminels, et instruisirent chacune les faits qui leur étaient reprochés. La France à elle seule mit en accusation la bagatelle de 334 personnes, dont le maréchal Hindenbourg, futur chef de l'État allemand. Mais lorsque vint le moment du procès, à Leipzig, en 1921, devant des juges et un jury allemands, l'affaire se transforma en une gigantesque pantalonnade, qui aboutit, sous les vivats de la foule allemande, à l'acquittement de 888 des 901 accusés allemands, et à la condamnation à des peines légères - et jamais effectuées - des 13 autres.

Ce précédent fit très mauvais effet et convainquit les Alliés, avant même la fin de la Seconde Guerre mondiale, de la nécessité d'organiser eux-mêmes, en Allemagne, un procès public des plus grands criminels de guerre allemands, ainsi que d'organisations allemandes comme la SS....