mercredi 22 février 2006

1081 - Hess : l'homme de Spandau

... aujourd'hui encore, la personnalité de Rudolf Hess, et l'incroyable durée de sa détention après sa condamnation au procès de Nuremberg, continuent d'alimenter la polémique, et de donner naissance aux rumeurs les plus folles.

Compagnon de la première heure d'Adolf Hitler, membre du NSDAP dès 1920, Hess se retrouve, tout comme Hitler, emprisonné à la prison de Landsberg après le lamentable échec du "putsch de la brasserie" de novembre 1923. C'est à Hess que Hitler dicte Mein Kampf, avant d'en devenir l'ami le plus intime. Suivant l'ascension météorique de Hitler, Hess entre au gouvernement comme ministre sans portefeuille dès 1933. Il est le confident de Hitler, son représentant et son remplaçant officiel.

Pourtant, le 10 mai 1941, il vole un Messerschmitt 110, met le cap sur l'Angleterre et se parachute au dessus de l'Écosse afin, dira-t-il, d'offrir une paix séparée à la Grande-Bretagne. Incrédules, les Britanniques le mettent au secret. Deux jours plus tard, un communiqué officiel allemand le présente comme "mentalement dérangé". Les experts médicaux qui vont se succéder à son chevet au fil des années sont partagés mais définissent du moins son état mental comme "incertain" et sa personnalité comme "psychopathique".

Hess présente également des signes d'hystérie, et souffre fréquemment d'amnésie. Tous ses co-accusés, Goering en tête, le présentent comme "mentalement dérangé", et ricanent à la seule idée qu'il ait pu être mandaté par Hitler pour négocier une quelconque paix avec la Grande-Bretagne

"D'aussi loin que remontent mes souvenirs, déclarera Goering, Hess a toujours été un peu déséquilibré (...) Je me souviens que Hess a eu un jour une idée lumineuse pour me soigner des névralgies dont je souffrais à l'époque (...) un jour, est arrivée toute une batterie de cuisine. Il y en avait de toutes les tailles. L'un était pour me tremper le bras, l'autre l'avant-bras, un autre encore la jambe, et ainsi de suite (...) Hess m'a expliqué que je lui avais dit souffrir d'une névralgie et que c'était le traitement adéquat" (...) De toute évidence, ce n'est pas Hitler qui a eu l'idée que Hess s'envole vers l'Angleterre; c'était trop bête. Il y avait bien d'autres façons de négocier une paix avec l'Angleterre si c'était ce que voulait Hitler. Nous pouvions passer par nos représentants en Suède ou en Suisse" (1)

La raison exacte de la présence de Hess au procès de Nuremberg est tout aussi incertaine. Emprisonné en Angleterre depuis 1941, il paraît difficile de voir en lui un des "grands instigateurs" du "complot contre la paix", et d'autant moins que ses rares déclarations à la barre se révèlent passablement confuses. Curieusement, il est néanmoins reconnu coupable des deux premiers chefs d'inculpation - complot et crimes contre la paix - condamné à la prison à vie, et expédié à la prison de Spandau, dont il devient le seul locataire à partir de 1966.

Au fil des années, et alors que son état mental et physique ne cesse de s'aggraver, les appels se multiplient pour sa libération. Mais les Russes, qui avaient exigé sa condamnation à mort, ont la rancune tenace - nous verrons pourquoi par la suite - et s'y refusent. De plus, la prison de Spandau est située en zone d'occupation britannique, ce qui permet à la Russie - qui avec la France, les États-Unis et la Grande-Bretagne en assure la garde alternée - de maintenir une présence militaire en zone occidentale.

Aveugle, amnésique, sénile, grabataire, Hess meurt finalement le 17 août 1987 - officiellement d'un suicide - à l'âge de 93 ans, et après avoir passé les 46 dernières années de sa vie derrière les barreaux. Quelques jours après sa mort, les autorités britanniques, soucieuses d'éviter toute possibilité de pèlerinage, rasent la prison de Spandau au bulldozer.

"A son 90ème anniversaire, le 26 avril 1984, le Times écrivit "Savoir si Hess est sain d'esprit ou pas reste incertain". Hess, naturellement, avait décidé, au moins depuis 1945, au Pays de Galles, que le monde entier était devenu lunatique" (2)

(1) Gellately, page 175
(2) Irving, Hess, The Missing Years, page 507

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