lundi 20 février 2006

1079 - la liste "bis"

... en plus de la liste des 24 "grands criminels", le Tribunal de Nuremberg fut également appelé à juger une sorte de liste "bis", celle des "organisations"

Aujourd'hui tombée dans l'oubli, cette mise en accusation correspondait à la volonté américaine, mise en avant par Murray Bernays dès septembre 1944, d'éviter la multiplication des procès individuels en se contentant de juger les "organisations" auxquelles les individus avaient appartenu. Pour Bernays, qui tirait son argumentation des gangs criminels américains, "Il ne serait pas nécessaire d'accuser chacun de leurs membres, mais uniquement des "individus représentatifs". Une fois l'organisation jugée et condamnée, chaque membre pourrait être jugé en tant que complice d'un crime et avoir droit à un procès sommaire organisé par les Alliés".

Les "organisations" considérées étaient au nombre de six. On y trouvait :

- le parti nazi, et en particulier le Corps des chefs politiques du parti
- la SS (Schutzstaffeln) et le Service de sécurité du Reich (Sicherheitsdienst ou SD)
- la Police d'État, plus connue sous le nom de Gestapo
- le Cabinet du Reich (Reichsregierung), c-à-d les ministres et leurs ministères
- les Sections d'Assaut (Sturmabteilungen ou SA)
- l'État-major et le Haut-Commandement des forces armées allemandes

Mais s'il était relativement facile de démontrer le caractère criminel de vulgaires gangs comme celui d'Al Capone, et de déduire la culpabilité individuelle de la simple appartenance à ces gangs, il en allait tout autrement pour les "organisations" nazies qui, à elles six, avaient hébergé plusieurs millions de personnes dans leurs rangs. Pour qu'une organisation soit reconnue "criminelle", déclara le Tribunal, il fallait qu'elle ait clairement des "buts criminels", qu'elle constitue "un groupe dont les membres sont liés les uns aux autres et organisés en vue d'un but [criminel] commun", et enfin "que la formation du groupe ou son utilisation ait un rapport avec les crimes définis par le Statut [du Tribunal]. (1)

En pratique, seules les trois premières "organisations" précitées purent finalement être reconnues comme "criminelles". Et lorsqu'elles le furent, le Tribunal arriva de toute manière à la conclusion que le simple fait de les déclarer "criminelles" ne pouvait suffire à lui seul à démontrer ensuite la culpabilité de chacun de leurs membres. Dans ses attendus, le Tribunal de Nuremberg souligna en effet que, dans la mesure où la criminalité des individus était déterminée par celle de "l'organisation" à laquelle ils avaient appartenu, il fallait néanmoins prouver, pour chaque individu, qu'il avait adhéré à cette organisation a) en pleine connaissance de ses buts, et b) sans contrainte aucune, ce qui, dans les faits, était quasiment impossible.

"Au total, l'accusation de criminalité pour les "organisations" fit long feu. Ainsi, souligne Bradley F Smith, "s'évanouit le grand rêve de voir expédier au gibet ou dans des camps de travaux forcés des milliers, voire des millions de nazis endurcis". On n'entreprit jamais de campagne systématique pour définir et répartir le blâme sur tous ceux qui étaient responsables des fléaux du nazisme" (2)

(1) Wieviorka, page 145
(2) ibid, page 149

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