dimanche 19 février 2006

1078 - le dernier coup de Krupp

... la liste des vingt-quatre "grands criminels de guerre allemands" à peine publiée, c'est le coup de théâtre.

Les avocats de Gustav Krupp - chef officiel du clan Krupp et grand supporter de Hitler - font immédiatement valoir, preuves à l'appui, que l'intéressé, alors âgé de 75 ans, n'est - et depuis fort longtemps - plus en mesure de suivre des débats ni même de répondre à des questions. Il souffre d'un "ramollissement artériosclérotique progressif du cerveau". Bref, Gustav Krupp est complètement sénile et meurt en 1950, sans avoir jamais été inquiété par la Justice.

Le procureur général américain, Robert Jackson, s'emporte. "Quatre générations de la famille Krupp ont possédé et exploité le puissant matériel d'armement qui a été la principale source des approvisionnements de l'Allemagne !", écrit-il. Pour l'idéaliste qu'est Jackson, il paraît en effet inconcevable que cette famille qui "depuis plus de 130 ans (...), a été le foyer, le symbole, et le bénéficiaire des plus sinistres forces qui ont menacé la paix de l'Europe", il paraît inconcevable qu'elle puisse échapper à la Justice.

Et puisque "aux environs de 1937, leur fils, Alfried Krupp, devint le directeur des usines" et aussi que "en 1940, [Gustav] Krupp von Bohlen qui prenait de l'âge devint Président honoraire du Conseil d'administration, laissant la place de Président effectif à son fils Alfried" (1), Robert Jackson propose tout bonnement de remplacer Gustav par Alfried sur le banc des accusés, ce qui avait d'ailleurs été son intention première.

Le 16 novembre 1945, les procureurs soviétique Pokrovsky, et français de Menthon, s'associent à la démarche du procureur général américain. Leur requête est pourtant rejetée par les juges internationaux, lesquels considèrent, à tort ou à raison, que la liste officielle des personnes mises en accusation ne peut-être modifiée en cours de route.

La famille Krupp échappe donc totalement au procès de Nuremberg. En 1948, lors du procès dit "des industriels", Alfried sera néanmoins jugé par les seuls Américains, qui le condamneront à douze ans de détention et à la confiscation totale de ses biens. En 1951, pourtant, c'est un autre Américain, John McCloy, alors Haut-Commissaire de l'Allemagne occupée, qui le fera sortir de sa prison de Landsberg - où avait autrefois séjourné Adolf Hitler - et lui restituera sa fortune, qu'il continuera à agrandir jusqu'à sa mort, en 1967...

(1) Wieviorka, pp 31-32

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