mercredi 15 février 2006

1074 - Amerika uber alles

... Les Britanniques ne voulaient pas du procès, ils eurent le procès. Les Français ne voulaient pas du complot, ils eurent le complot. Les Soviétiques voulaient Berlin, ils eurent Nuremberg.

En cet automne de 1945, ni les uns ni les autres n'avaient en vérité la volonté - ni surtout les moyens - de s'opposer aux Américains et à leur désir de bien faire en organisant eux-mêmes, à leur image mais en Europe, le plus grand procès du siècle. Un procès destiné à juger des Européens accusés de meurtres de masse sur la personne d'autres Européens.

On a souvent dit de Nuremberg qu'elle fut choisie par pur symbole, parce qu'autrefois berceau et théâtre des grands-messes du Troisième Reich. Comme souvent, la vérité est bien plus prosaïque : Nuremberg était tout bonnement située en zone d'Occupation américaine - ce qui était condition sine qua non - et même si la ville n'était plus qu'un vaste champ de ruines, elle disposait encore d'un Palais de Justice raisonnablement intact et - tout aussi important - d'une prison directement reliée au dit Palais par un passage aussi discret que souterrain.

Pour autant, dans cette montagne de gravats qu'était alors l'Allemagne, seuls les Américains disposaient de la logistique nécessaire pour réparer les bâtiments, dégager les routes, organiser un procès international, en assurer la traduction simultanée en quatre langues - une première mondiale - ainsi que pour loger et nourrir pendant des mois les milliers de participants, témoins, journalistes, hommes politiques, intellectuels ou simples curieux qui se précipitèrent à Nuremberg.

De fait, grâce à l'incroyable manne américaine, Nuremberg devint très rapidement un des rares endroits d'Europe où l'on trouvait de tout et en abondance, des cigarettes aux vins fins en passant par les bas de soie et les soirées costumées. "Le soir, le tout-Nuremberg se rend au Grand Hôtel, où les personnalités des diverses délégations se retrouvent fréquemment pour dîner (...) Tous les soirs s'y donne un spectacle. Ensuite, un orchestre joue et l'on danse. (...) A Nuremberg s'est ainsi constituée une sorte de petite communauté, une enclave sociale et géographique où l'on mène (...) une vie semi-coloniale. (...)

[Au Palais de Justice] "on peut y vivre dans une abondance dont l'Europe a perdu le souvenir. Un self-service sert à tous les mêmes repas. Un snack-bar offre à toute heure du jour des sandwiches faisant rêver les Français qui viennent d'un pays où règne encore le rationnement. S'ajoutent différents services : coiffeur, dispensaire, cabinet dentaire, tailleur, cordonnier, blanchisseur, teinturier, bibliothèque, bureau de poste, banque. Et enfin le fameux PX (...) où tous peuvent acheter leur ration hebdomadaire de cigarettes, de confiserie, de savon, de lames de rasoir" (1)

(1) Wieviorka, page 36

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