mardi 30 avril 2013

3707 - une ombre inédite

... car avant-même la signature du Traité de Washington, une ombre jusque-là inédite était venue obscurcir l'avenir des cuirassés.

Les 20 et 21 juillet 1921, une poignée d'aviateurs américains menés par Billy Mitchell avait en effet effectué des tests de bombardement sur le cuirassé allemand Ostfriesland, un dreadnought de 25 000 tonnes ramené aux États-Unis comme prise de guerre (1)

Et les dits essais s'étaient avérés pour le moins... percutants : pris pour cible dans la matinée du 20 juillet par une dizaines de bombes de 200 à 600 livres, le grand cuirassé avait commencé à accuser des voies d'eau impossibles à combattre et à colmater sur ce navire dépourvu d'équipage

Aux premières heures du lendemain, des bombes de 1 000 livres avaient provoqué de nouvelles avaries, mais le clou du spectacle s'était produit aux alentours de midi, avec l'apparition de six Martin MB2 chargés chacun d'une bombe de 2 000 livres qui, à défaut d'aller au but, avaient provoqué de telles ondes de choc qu'elles avaient fait disparaître l'Ostfriesland en moins de 20 minutes !

Si les aviateurs du monde entier en étaient ressortis avec la conviction que plus aucun navire de guerre, quelle que fut sa taille, n'était désormais à l'abri de leurs attaques, les marins étaient demeurés beaucoup plus circonspects (2) mais n'en avaient pas moins commencé à installer des canons antiaériens et de multiples plaques de blindage supplémentaires sur tous leurs bâtiments.

A la fin de 1924, le Warspite va donc lui aussi bénéficier de ces mesures mais à ce petit jeu, les cuirassés du monde entier, déjà quasiment à la limite de leur potentiel de développement, partent cependant perdant face à l'avion, qui vient d'entrer dans l'adolescence.

Et la partie est d'autant plus mal engagée que les cuirassés abritent un traître parmi eux...

(1) demeuré en Allemagne jusqu'en avril 1920, l'Ostfriesland avait échappé au sort des autres cuirassés de la Hochseeflotte contraints d'aller se faire interner, puis de se saborder, à Scapa Flow.
(2) les marins avaient fait observer, non sans raison, que si l'Ostfriesland avait été doté d'un équipage, et de canons antiaériens, aucun des lourds et lents MB2 de Mitchell ne serait parvenu à en réchapper, et aussi que s'il avait été capable de manoeuvrer à grande vitesse au lieu demeurer immobile sur l'eau, aucune bombe ne l'aurait probablement atteint.



lundi 29 avril 2013

3706 - les années pas du tout folles

... relativement récent, le Warspite, ainsi que l'ensemble des cuirassés des classes Queen Elizabeth et Royal Sovereign, n'est pas concerné par la cure d'amaigrissement à laquelle doit s'astreindre la Royal Navy au terme du Traité de Washington,

Et cet amaigrissement est particulièrement sévère, puisqu'en l'espace de quelques années seulement, il va contraindre la Grande-Bretagne à se séparer de la moitié de la sa flotte de cuirassés et de croiseurs de bataille, soit de quelque 18 bâtiments dont certains, comme le Lion, l'Inflexible ou le Princess Royal, l'ont pourtant brillamment servi lors de la 1ère G.M.

Mais s'il a la chance d'échapper au ferraillage, le Warspite n'échappera cependant pas à l'ennui, cet ennui des longs séjours au port, entrecoupés de sorties d'exercice en Méditerrannée, qui va caractériser les années 1920.

Les missions de prestige et de représentation autour du globe sont en effet dévolues au Hood et, plus tard, au Nelson et au Rodney, tout trois plus gros, plus récents et plus puissants que le Warspite, qui n'intéresse plus architectes et ingénieurs et sur lequel les ouvriers ne se penchent plus qu'avec parcimonie et seulement dans le but de le maintenir en service le plus longtemps possible, notamment en lui ajoutant quelques plaques de blindages et quelques canons de petit calibre dont on espère - non sans optimisme - qu'ils lui permettront de repousser les assauts d'un tout nouveau genre d'adversaire...

... le bombardier-torpilleur

dimanche 28 avril 2013

3705 - "élagués par Washington"

... au lendemain de la 1ère G.M., architectes et ingénieurs britanniques avaient commencé à plancher sur un ambitieux programme de nouveaux croiseurs de bataille ("G3") et cuirassés ("N3") jaugeant 48 000 tonnes et dotés de canons de 406 à 456mm

Mais la signature du Traité de Washington, le 6 février 1922, vient soudainement de bouleverser la donne puisque la Royal Navy, non contente de devoir se défaire d'une bonne partie de sa flotte existante, ne pourra construire que deux cuirassés nouveaux dans les dix ans à venir, et avec une limitation à 35 000 tonnes chacun.

Il faut donc trouver le moyen d'économiser 13 000 tonnes, ce qui ne peut se faire que par une réduction du blindage, de l'artillerie ou de la puissance motrice.

Comme il n'est pas question de renoncer au blindage, ni aux canons de 406mm, c'est la troisième qui va passer à la trappe, ramenant ainsi la vitesse du Nelson et du Rodney à 23 nœuds,... soit à celle du Warspite, de plus de dix ans leur prédécesseur.

Mais ce n'est pas encore suffisant, puisqu'il va également falloir réduire de plus de 40 mètres la longueur prévue de la coque, ce qui va également entraîner le repositionnement de la troisième tourelle à l'avant, derrière les deux premières, conférant ainsi à ces deux bâtiments une allure pour le moins singulière et à vrai dire peu flatteuse, leur valant divers surnoms plus ou moins aimables et en particulier l'appellation de "classe cerisier" car "élagués par Washington"...

samedi 27 avril 2013

3704 - avaler la pilule

... si le Traité de Washington va effectivement réussir, pendant plus d'une dizaine d'années, à limiter la course aux Armements navals, c'est pourtant un Traité qui ne satisfait personne,... à commencer bien sûr par les Français, les Italiens et les Japonais, vexés de se voir officiellement limités à 10 cuirassés chacun alors que Britanniques et Américains auront le droit d'en posséder 18.

Même si Paris, Rome et Tokyo, quand bien même y seraient-ils autorisés, n'auraient de toute manière pas les moyens d'en construire et d'en mettre en service davantage, cette limitation leur apparaît comme un affront et une atteinte au prestige national, particulièrement au Japon, où le dit Traité passe de surcroît pour un complot de "Blancs" visant à maintenir l'Empire du Soleil à un rang inférieur.

Dans les années qui vont suivre, les Japonais n'auront d'ailleurs de cesse que d'exploiter toutes les failles du Traité, en ré-équipant - et en sur-armant - leurs bâtiments existants, ou en maintenant en service des navires officiellement "démilitarisés", comme le cuirassé Hiei.

Mais en Angleterre-même, la "pilule de Washington" a du mal à passer, d'abord parce que, pour la première fois depuis des siècles, la Royal Navy va devoir partager la plus haute marche du podium avec une puissance étrangère, et ensuite parce qu'architectes et ingénieurs se retrouvent confrontés à un singulier défi...

... ramener à 35 000 tonnes deux cuirassés conçus pour en jauger 48 000


vendredi 26 avril 2013

3703 - "the way to disarm, is to disarm"

... Washington, 21 novembre 1921

"La meilleure manière de désarmer, c'est de désarmer", souligne le Secrétaire d'État américain Charles Evans Hughes lors de l'ouverture des travaux de la Conférence de Washington, le 21 novembre 1922.

Joignant le geste à la parole, la nouvelle administration Harding (1) propose immédiatement l'interdiction de toute nouvelle construction pendant dix ans, ainsi que le ferraillage de 449 000 tonnes de navires de guerre japonais, 583 000 tonnes de navires anglais, mais surtout 845 000 tonnes de navires américains.

Et le geste est politiquement habile puisque, des trois, ce sont les États-Unis qui ont actuellement le plus de navires en construction, navires que le Congrès, et le contribuable américain, refusent de financer...

Le 6 février 1922, après quelques semaines de négociations, les délégués américains, britanniques, japonais, français et italiens finissent par se mettre d'accord : dans le domaine des grands navires de ligne - le seul qui nous intéresse ici - le Traité de Washington interdit toute nouvelle construction pendant 10 ans, sauf pour la Grande-Bretagne, qui pourra lancer deux nouveaux cuirassés - les futurs Nelson et Rodney - d'un déplacement maximal de 35 000 tonnes et dotés de canons ne dépassant pas un calibre de 406mm.

En contre-partie, cette même Grande-Bretagne ne pourra cependant conserver que 22 cuirassés et croiseurs de bataille, chiffre à ramener à 18 en 1927, au moment de l'entrée en service des deux cuirassés précités.

Comme les Américains, de leur côté, pourront en posséder 18, cela revient donc à dire que, sans dépense supplémentaire et, surtout sans avoir à tirer le moindre coup de canon, l'US Navy deviendra, à partir de 1927, l'égale de la Royal Navy britannique...

(1) le 4 mars 1921, Warren Gamaliel Harding était devenu le 29ème Président des États-Unis après avoir très facilement battu Woodrow Wilson

jeudi 25 avril 2013

3702 - contre toute attente

... au lendemain de la 1ère G.M., la Royal Navy britannique alignait quelque 33 cuirassés et 9 croiseurs de bataille, soit bien plus que les États-Unis et le Japon réunis !

Mais cette supériorité numérique était trompeuse : plus du tiers des cuirassés en service était encore dotés de pièces de 305mm seulement, alors que les croiseurs de bataille étaient très faiblement blindés, ce qui, au Jutland, et comme nous l'avons vu, avait eu des conséquences désastreuses.

L'examen des dommages subis au combat, ainsi que des séances de tirs menées sur le Baden allemand capturé, avait d'ailleurs amené la Direction des Constructions Navales à envisager le démantèlement pur et simple du croiseur de bataille Hood avant son achèvement, afin de le remplacer par quelque chose de meilleur, en l'occurrence par de nouveaux navires issus des programmes "G3" et "N3".

En toute logique, le Warspite, fort récent mais victime lui aussi de l'implacable Loi de l'Évolution des Espèces, aurait donc dû s'effacer à brève échéance, et être envoyé à la ferraille comme tout outil périmé.

Mais l'impossibilité de financer un renouvellement aussi complet et aussi profond de la flotte, et la signature d'un Traité de limitation des Armements à la fois efficace et contraignant, tout cela allait au contraire forcer la Royal Navy à prolonger son existence bien au-delà de ce qui était prévu, quitte, au bout du compte, à dépenser davantage d'argent que n'en aurait coûté la construction de navires neufs...

mercredi 24 avril 2013

3701 - l'Évolution des Espèces

... au Jutland, cinq ans plus tôt, le Warspite était de loin le plus puissant cuirassé du monde.

Mais en cinq ans, l'implacable Loi de l'Évolution des Espèces l'a déjà rattrapé : les États-Unis comme le Japon ont mis (ou sont sur le point de mettre) en service des bâtiments non seulement plus gros mais dotés de pièces de 406mm.

Et en Angleterre-même, architectes et ingénieurs ne sont pas restés inactifs : si les cinq cuirassés de la classe Revenge, qui a succédé à la Queen Elizabeth, ne constituent en vérité qu'une version réduite - et finalement moins efficace (1) - du Warspite et de ses quatre jumeaux, le Hood, entré en service l'année précédente, dépasse déjà les 45 000 tonnes (2), ce qui en fait - et de loin - le plus gros et le plus puissant croiseur de bataille du monde.

Et les futurs "G3" et "N3" promettent quant à eux de ramener le Warspite au rang de vulgaire jouet pour enfants !

Le programme "G3" concerne en effet quatre croiseurs de bataille de 48 000 tonnes et dotés de neuf pièces de 406mm, et le "N3" quatre cuirassés de même tonnage (3) mais équipés quant à eux de neuf pièces de 456mm !

Le problème, c'est qu'en Angleterre non plus, les contribuables n'ont aucune envie de financer pareils mastodontes, ce qui condamne donc responsables britanniques et américains à s'entendre sur un programme de limitation des Armements, dont le Warspite sera l'un des principaux bénéficiaires...

(1) dans les années 1930, les cinq Revenge, plus récents mais jugés beaucoup moins adaptables que les cinq Queen Elizabeth, ne bénéficieront d'ailleurs pas du vaste programme d'améliorations de ces derniers, ce qui, lors de la 2ème G.M., les relèguera à des tâches subalternes, comme l'escorte des convois.
(2) unique bâtiment d'une classe Admiral qui devait en compter quatre, le Hood s'était vu doter, lors de sa construction, de plusieurs milliers de tonnes de blindage supplémentaires, suite aux enseignements de la Bataille du Jutland.
(3) selon la distinction traditionnelle entre croiseurs de bataille et cuirassés, les "G3" auraient donc disposé d'un blindage et d'un armement moindre que les "N3", mais d'une bien meilleure vitesse (32 noeuds contre 23)

mardi 23 avril 2013

3700 - l'impossible financement

... automne 1921

Initié par le Président Wilson dès le début de la guerre en Europe, le plan américain de réarmement naval prévoit en effet la construction de pas moins d'une cinquantaine de cuirassés et de croiseurs de bataille, soit bien davantage que n'en possède la Grande-Bretagne !

Si une quinzaine d'entre eux sont déjà entrés en service, d'autres sont en construction, et ceux-là seront bien plus gros et plus puissants que tout ce qui existe sur mer, toutes nations confondues : les quatre futurs Colorado (1) avouent ainsi 33 000 tonnes mais aussi - et c'est une première - huit canons de 406mm alors que les six South Dakota (2) auront 10 000 tonnes et quatre canons de 406mm supplémentaires !

Pour les partisans de la "Grande Marine", l'US Navy doit en effet accéder à la première place sur mer, mais aussi se préparer une éventuelle guerre contre la marine impériale japonaise, de plus en plus présente dans le Pacifique, voire, si nécessaire, contre la Royal Navy elle-même !

Seulement voilà : le retour de la Paix a de nouveau rendu l'opinion publique américaine farouchement isolationniste, et en tout cas nullement désireuse de financer la construction d'une aussi gigantesque flotte de navires de combat !

Aussi, à l'automne de 1921, l'administration américaine décide-t-elle d'obtenir par la Diplomatie ce qu'elle ne peut obtenir par l'Économie et la Guerre, en réunissant à Washington une conférence entre les cinq grandes puissances navales de l'époque, une conférence appelée à instituer ce qu'on appellera bientôt...

... les vacances du cuirassé

(1) seuls trois d'entre eux seront finalement complétés et mis en service
(2) ces six South Dakota de 43 000 tonnes et douze pièces de 406mm, commandés en 1917 mais jamais terminés, ne doivent pas être confondus avec les quatre plus petits South Dakota commandés peu avant le déclenchement de la 2ème G.M. et mis en service en 1942

lundi 22 avril 2013

3699 - deux nouvelles rivales

... 1920

Un instant menacée par la Kaiserlische Marine, la Royal Navy britannique se retrouve donc à nouveau sans rivale...

... du moins en Europe et en Méditerranée, car ailleurs, les choses ne sont plus aussi simples qu'auparavant !

Il y a d'abord le Japon, un Japon certes allié de la Grande-Bretagne dans le conflit qui vient de s'achever, et dont la Grande-Bretagne a par ailleurs conçu et construit la marine de guerre (1), mais un Japon qui ne cache plus désormais ses ambitions hégémoniques en Asie et dans le Pacifique, menaçant ainsi directement les intérêts britanniques, et notamment Singapour et Hong-Kong.

Mais il y aussi les États-Unis et cette US Navy qui, avant-guerre, était du reste la seule composante militaire crédible outre-Atlantique et qui, depuis, n'a cessé de monter en puissance, au rythme des mises en chantier de ses nouveaux cuirassés et croiseurs de bataille.

En ce début de 1920, l'US Navy, profitant de la disparition de l'Allemagne, est même devenue la deuxième du monde et, à Washington, les partisans de la "Grande Marine" ne cachent plus leur ambition de la voir rapidement accéder à la première marche du podium, ravissant ainsi à la Royal Navy le titre de "maîtresse des Océans".

Mais pour y arriver, il faudrait construire encore davantage de navires de guerre, c-à-d se lancer dans une nouvelle et ruineuse course aux armements... en tout point semblable à celle qui vient d'engloutir l'Allemagne wilhelmienne !

(1) construit chez Vickers et lancé en 1912, le croiseur de bataille Kongo fut le dernier grand navire de guerre japonais construit en Grande-Bretagne

dimanche 21 avril 2013

3698 - la fin de la Hoschseeflotte

... 21 novembre 1918

Pour le Warspite comme pour la plupart des navires de la Grand Fleet qui n'ont plus fait grand-chose depuis la Bataille du Jutland deux ans auparavant, pour tous ceux-là, cette journée du 21 novembre 1918 marque assurément le jour de gloire : celui où ils vont escorter leurs adversaires de la Hochseeflotte allemande jusqu'à leur lieu d'internement à... Scapa Flow !

Et la plupart des dits adversaires sont là, en ce compris le Bayern (1) - premier vrai "super-dreadnought" allemand comparable au Warspite.

Au total, ce ne sont pas moins de 74 bâtiments de guerre, dont 16 cuirassés et croiseurs de bataille, qui vont ainsi se retrouver au nord de l'Écosse, à attendre le sort que leur réservent leurs vainqueurs.

Et les dits vainqueurs ne sont nullement pressés de se mettre d'accord : les semaines, puis les mois s'écoulent sans que les équipages allemands, de moins en moins nombreux (2) et de plus en plus démoralisés, n'entrevoient la fin de leur ennui.

Tuant le temps comme ils le peuvent, en ce compris en péchant à la ligne (!), ces marins oubliés vont même devoir attendre jusqu'au 21 juin 1919 avant que leur parvienne un nouvel ordre : celui du sabordage, un sabordage général et grandement facilité par la nonchalance des Britanniques eux-mêmes qui, au final, ne parviendront à sauver du naufrage qu'un seul cuirassé (3), le Baden, utilisé comme bateau-cible jusqu'en 1921...

(1) retenu par les Britanniques pour un examen détaillé, son jumeau Baden ne rejoindra Scapa Flow que le 9 janvier 1919
(2) d'environ 20 000 hommes en novembre 1918, les effectifs totaux étaient passés à moins de 5 000 six mois plus tard
(3) sur les quinze cuirassés et croiseurs de bataille sabordés à Scapa Flow, douze seront néanmoins renfloués, et immédiatement ferraillés entre 1927 et 1939



samedi 20 avril 2013

3697 - un Armistice... et des questions

... Compiègne, 11 novembre 1918

Dans un wagon - celui du maréchal Foch - les vainqueurs de l'Allemagne viennent d'apposer leur signature sur une Convention d'Armistice mettant fin à une guerre de quatre ans qui a fait plus de quinze millions de morts.

Mais de nombreux détails restent cependant à régler, et notamment le sort à réserver à la Marine du Kaiser, cette étrange marine sans passé ni tradition et qui, bien que surgie de nulle part, était rapidement devenue la deuxième du Monde et avait finalement réussi à couler bien plus de navires alliés qu'elle n'en avait elle-même perdu.

Pour les sous-marins, qui ont de loin représenté la menace la plus sérieuse, l'affaire ne souffre aucune discussion : ceux-ci devront faire surface et se livrer purement et simplement aux Alliés (1)

Mais les dits Alliés ne sont pas parvenus à s'entendre sur ce qu'il convient de faire de la flotte de surface, et en particulier des cuirassés et croiseurs de bataille de la Hochseeflotte.

Alors, en attendant une solution définitive, on a simplement décidé d'autoriser ces derniers à prendre la mer sous équipage réduit pour aller se faire interner, sous l'étroite surveillance de leurs vainqueurs, dans la grande rade de Scapa Flow,... soit dans l'antre-même de la Grand Fleet britannique (!), une incontestable humiliation qui va d'ailleurs pousser son commandant, l'amiral Franz Hipper, à déléguer cette tâche à un subordonné, en l’occurrence le contre-amiral Ludwig von Reuter.

(1) en pratique, bon nombre de commandants préféreront néanmoins saborder leur bâtiment plutôt que de le livrer à leurs vainqueurs


vendredi 19 avril 2013

3696 - ... refusé par les équipages

... novembre 1918

Mais les marins allemands, eux, ne partagent nullement l'objectif et la volonté de leur commandant-en-chef, et perçoivent son initiative comme un risque de voir torpillés les pourparlers d'Armistice plutôt que comme un moyen de leur offrir une issue plus favorable à l'Allemagne.

Connaissant par avance le résultat d'une telle bataille, ils n'ont d'autre part aucune envie - et qui les en blâmerait - de devenir les derniers morts des dernières heures de la guerre !

Alors, le 24 octobre 1918, quand l'ordre de se tenir prêt à l'appareillage parvient à Wilhemshaven, les dits marins commencent-ils à déserter en masse. Dans la nuit du 29, les équipages de plusieurs cuirassés se mutinent, refusent de lever l'ancre et sabotent divers équipements de bord, forçant le Haut-Commandement à disperser les navires et, in fine, par annuler la sortie prévue.

Le 3 novembre, la rébellion gagne les rues de Kiel et du reste de l'Allemagne. Deux jours plus tard, le drapeau rouge s'en vient remplacer l'aigle impérial sur la plupart des navires de guerre ancrés à Wilhemshavem.

Encore quelques jours, et voilà le Kaiser lui-même contraint à abdiquer puis à chercher refuge aux Pays-Bas (1)

Le 11 novembre, la signature de l'Armistice, dans la forêt de Compiègne, met à la fois fin à la guerre et à la marine allemande qui, comme Scheer (2) le craignait  va purement et simplement être livrée à son vainqueur...

(1) exilé au Pays-Bas, Guillaume II y décéda d'une embolie pulmonaire le 3 juin 1941, à l'âge de 82 ans. Son mausolée hollandais constitue, aujourd'hui encore, un lieu de pélerinage chez de nombreux monarchistes allemands
(2) admis à la retraite, Rheinhard Scheer écrivit ses mémoires et décéda le 26 novembre 1928, à l'âge de 65 ans. Cinq ans plus tard, il prêterait son nom à un Panzerschiff de la Reichsmarine.

jeudi 18 avril 2013

3695 - un ultime baroud...

... octobre 1918

Sur Terre, la signature d'une paix séparée entre l'Allemagne et la Russie s'est traduite par le rapatriement à l'Ouest d'une bonne partie du contingent jusque-là stationné à l'Est.

Mais si l'arrivée de ces renforts a ensuite permis au général Ludendorff de repartir à l'attaque en France, son offensive a très vite été stoppée, et les forces allemandes contraintes de reculer.

C'est pourtant sur le Front politique que la situation se détériore le plus : confronté à la fois à la perspective d'une guerre civile et à celle d'une invasion imminente du territoire national par les armées alliées, État-major et gouvernement se sont finalement décidés à jeter l'éponge, et s'il s'y refuse encore, le Kaiser Guillaume II lui-même sera bientôt forcé d'abdiquer (2)

Mais alors que les pourparlers d'Armistice vont désormais bon train, l'amiral Scheer rêve pourtant d'un ultime baroud d'Honneur pour la Hochseeflotte qui, depuis le début du conflit, n'a cessé de décevoir ses partisans et a passé infiniment plus de temps au port qu'en mer.

Selon le plan prévu, une poignée de torpilleurs et de croiseurs légers s'en iront bombarder les côtes de Flandres et attaquer le trafic maritime britannique dans l'estuaire de la Tamise, ce qui, en toute logique, devrait entraîner la sortie de la Grand Fleet,... que cuirassés et croiseurs de bataille allemands attendront au large des côtes hollandaises.

Encore plus inégale qu'au Jutland, l'issue de cette bataille ne fait aucun doute, mais pour Scheer, et la plupart des amiraux allemands, mieux vaut finir ainsi que de voir la flotte livrée aux Alliés au terme des accords d'Armistice - ce qui finira d'ailleurs par arriver - et, à défaut d'en empêcher la signature, qui sait si un combat glorieux, et de nombreux navires britanniques coulés, ne rendront pas cet Armistice un peu moins défavorable à l'Allemagne...

(1) Traité de Brest-Litovsk, 3 mars 1918
(2) 9 novembre 1918

mercredi 17 avril 2013

3694 - et vint l'automne de 1918

... automne 1918

Depuis la Bataille du Jutland, donc depuis plus de deux ans, la principale activité du Warspite et de toute la Grand Fleet a été... de ne rien faire, si ce n'est des exercices en mer, et ce faute d'ennemis à se mettre sous les canons : les Allemands privilégiant désormais les opérations en Baltique (contre la Russie tsariste) et - déjà - l'utilisation massive des sous-marins contre le trafic marchand.

Mais si les navires britanniques ne craignent plus que les mines et les torpilles de sous-marins - lesquelles les contraignent d'ailleurs à naviguer fort loin de la côte allemande - les navires allemands, eux, sont confrontés à une toute autre menace.

L'émeute.

Depuis le début de 1917, les marins du Kaiser, de plus en plus démoralisés par cette guerre qu'ils doivent mener au port parce qu'il est impossible de la gagner sur Mer, les marins du Kaiser, donc, n'ont cessé de multiplier désertions, sabotages et actes de rébellion.

A l'automne de 1918, réalisant que la guerre est également perdue sur Terre, Reinhard Scheer, entretemps promu chef de l'État-major naval, envisage pourtant une nouvelle mission pour les grands navires de la Hochseeflotte, désormais confiés à son subordonné du Jutland, Franz Hipper...

... affronter toute la Grand Fleet lors d'un ultime combat au large des côtes hollandaises

mardi 16 avril 2013

3693 - la routine des ennuis

... revenons à présent au Warspite, que nous avons abandonné dans la soirée du 31 mai 1916, alors que, gravement endommagé par les tirs allemands suite à ses problèmes de barre, il s'efforçait de rallier Rosyth par ses propres moyens.

Attaqué - heureusement sans succès - par un sous-marin allemand sur la route du retour, le grand cuirassé a ensuite été mis en cale sèche pour des réparations qui vont s'échelonner jusqu'au 20 juillet.

Mais à peine a-t-il repris du service qu'il se retrouve impliqué, le 24 août, dans un abordage avec son jumeau Valiant,... ce même Valiant qui avait provoqué son avarie du 31 mai !

Les dégâts sont si sérieux que le Warspite doit subir de nouvelles réparations, cette fois à Plymouth, réparations qui vont durer jusqu'au 28 septembre et qui visent notamment à le guérir de ses problèmes de barre, lesquels, pourtant, tels une vieille blessure de guerre, vont le poursuivre durant toute sa longue et fructueuse carrière, et d'abord en juin 1917, quand un nouvel abordage en mer l'oblige à rentrer à Scapa Flow pour des réparations supplémentaires !

Et les malheurs du Warspite ne s'arrêtent pas là puisque, le 9 juillet suivant, il se retrouve criblé d'éclats suite à l'explosion accidentelle (1) - et jamais pleinement élucidée - du cuirassé Vanguard (2)

(1) les explosions accidentelles de cuirassés n'étaient pas rares, y compris en Temps de Paix. Citons par exemple le Maine américain (1898), les Iena et Liberté français (1907 et 1911), ou le Mutsu japonais (1943), entre autres...
(2) cette explosion, qui pulvérisa entièrement le Vanguard, entraîna la mort de plus 800 officiers et marins

lundi 15 avril 2013

3692 - Britannia Rules the Waves

... côté britannique, le retour des navires éclopés, et la découverte des pertes encourues pour le peu de résultats obtenus, n'offrent évidemment guère de raisons de crier victoire.

En revanche, amiraux comme responsables politiques peuvent faire valoir - et ils ne vont d'ailleurs pas s'en priver - que c'est bel et bien la Royal Navy qui, une fois de plus, et conformément à sa longue tradition, est restée maîtresse du terrain et a contraint la Marine du Kaiser à battre en retraite jusque dans ses ports, sans guère d'espoir d'en ressortir un jour.

De fait, les Allemands ont bel et bien laissé passer leur chance : confronté à la certitude de l'anéantissement s'il se risquait à affronter la Grand Fleet en bataille rangée, Scheer, comme tous ses homologues avant lui, avait désespérément recherché le moyen d'en attirer une bonne partie dans un piège, puis de la croquer sans subir lui-même trop de pertes.

Mais si la Hochseeflotte a bel et bien détruit au Jutland plus de navires qu'elle n'en a elle-même perdu, le résultat brut, qui se limite pour l'essentiel à trois croiseurs de bataille anglais pour la perte d'un seul allemand, ce résultat n'est pas suffisant pour modifier un rapport de force par trop défavorable : une réalité, et aussi une impasse, à laquelle la Kriegsmarine d'Adolf Hitler sera également confrontée - en bien pire - une génération plus tard !

Scheer, pourtant, veut encore y croire, mais les deux autres tentatives, menées en août puis en octobre 1916, ne déboucheront que sur le vide, ou plus exactement sur des retraites encore plus précipitées que celle du Jutland, en sorte que, jusqu'à la fin de la guerre, l'orgueilleuse marine du Kaiser ne quittera pour ainsi dire plus son mouillage, laissant donc les Britanniques seuls maîtres de la Mer du Nord...


dimanche 14 avril 2013

3691 - arithmétiquement parlant

... côté allemand, il n'y a de victoire qu'arithmétique.

Et de fait, avec seulement cinq croiseurs de bataille contre neuf et seize cuirassés contre vingt-huit, et avec des canons de 280 ou 305mm bien moins puissants que les 305, 340 et même 380mm de son adversaire, la Hochseeflotte , cette marine de "parvenus" sans passé ni tradition, la Hochseeflotte, donc, a réussi à couler bien plus de navires et à tuer bien plus de marins anglais qu'elle n'en déplore elle-même.

Partout en Allemagne, les murs vont donc se couvrir d'affiches de Propagande soulignant fièrement les trois croiseurs de bataille, les trois croiseurs-cuirassés, les huit torpilleurs et les cent-treize mille tonnes de ferrailles anglaises envoyées par le fond, le tout pour la perte d'un croiseur de bataille, un pre-dreadnought (par ailleurs obsolète), quatre croiseurs légers, cinq torpilleurs et soixante-deux mille tonnes seulement.

Une différence effectivement considérable au plan matériel et qui se retrouve bien entendu au plan nécrologique, puisque les Anglais déplorent la perte de plus de six mille officiers et marins contre environ deux mille cinq cents chez les Allemands.

Devenus héros nationaux au lendemain de la bataille, Scheer et Hipper ne sont pourtant pas dupes puisque ce résultat flatteur ne remet nullement en cause la supériorité numérique de la Grand Fleet qui, dans moins d'un mois, s'offrira même le luxe de sortir en mer avec davantage de cuirassés et de croiseurs de bataille qu'elle n'en possédait au Jutland !

samedi 13 avril 2013

3690 - un étrange bilan

... au Jutland, les deux commandants-en-chef - Scheer d'un côté et Jellicoe de l'autre - avaient donc été contraints de mener un combat qu'ils n'avaient pas du tout prévu de mener, un combat au cours duquel ils avaient tous deux commis de fort nombreuses erreurs, et un combat dont l'issue s'était jouée bien davantage sur le hasard et la chance que sur leurs qualités militaires respectives.

Encore ce combat épique entre deux énormes flottes cuirassées, cet authentique "Choc des Titans" que chacun appréhendait, ou espérait, depuis le début de la guerre, encore celui-ci avait-il essentiellement mené par leurs subordonnés - Hipper côté allemand et Beatty côté britannique - et surtout par des navires - des croiseurs de bataille - qui, à la différence des cuirassés, n'avaient jamais été conçus pour servir dans des batailles rangées et avaient donc de ce fait subi de gros dommages et surtout des pertes totalement disproportionnées (1), puisque quatre croiseurs de bataille sur les quatorze engagés avaient finalement été envoyés par le fond contre... zéro cuirassé sur quarante-quatre !

Mais le plus étonnant, c'est que ce gigantesque combat naval s'était en fait terminé en véritable... queue-de-poisson, laissant à chaque adversaire la possibilité de rentrer chez lui pour panser ses plaies et, surtout, pour s'y proclamer vainqueur sans que les historiens soient en mesure, même un siècle plus tard, de trancher définitivement le débat en faveur de l'un ou l'autre camp...
(1) Encore le triste bilan des croiseurs de bataille aurait-il été bien plus grave si les obus britanniques, et particulièrement les 380mm du Warspite et de ses trois jumeaux, n'avaient pas été défectueux au point de se briser le plus souvent contre les blindages allemands sans parvenir à les transpercer...



vendredi 12 avril 2013

3689 - le lendemain de la bataille

... 01 juin 1916, 02h20

A 02h20, Jellicoe, qui n'a pas encore réalisé que toute la flotte allemande vient en réalité de lui passer sous le nez (!), Jellicoe, donc, ordonne de remettre cap au nord.

Trop tard : la mer est vide devant lui.

Craignant plus que jamais de tomber sur un barrage de sous-marins allemands s'il s'attarde dans les parages, il néglige ainsi le croiseur de bataille Seydlitz, échoué près de Horns Reef, qu'il pourrait facilement achever et que les Allemands dégageront de sa fâcheuse position dans l'après-midi.

Sur le coup de midi, soit au moment où son adversaire jette l'ancre dans l'estuaire de la Jade, la flotte britannique toute entière a remis le cap sur Rosyth ou Scapa Flow.

Entre-temps, la mer s'est creusée, au point de représenter une nouvelle menace pour ses navires les plus endommagés, et en particulier pour le croiseur-cuirassé Warrior qui, sauvé par le Warspite quelques heures auparavant, évacué et pris en remorque par un transporteur d'hydravions, a finalement rendu les armes et s'est englouti peu après 08h00.

La Bataille du Jutland est terminée

Dans les deux camps, l'heure du bilan, et des chants de victoire, a sonné...

 (1) après avoir embarqué plus de 5 000 tonnes d'eau, le Seydlitz s'était finalement échoué dans la nuit. Dégagé par un bateau-pompe allemand dans la journée du lendemain, il sera ensuite réparé et reprendra du service en octobre 1916

jeudi 11 avril 2013

3688 - passer à travers

... 21h30

Afin de barrer la retraite aux Allemands, les cuirassés de Jellicoe progressent maintenant vers le sud-ouest avec, à leur droite, et légèrement en avant, les croiseurs de bataille de Beatty, lesquels n’ont plus rien vu depuis que les canons se sont tus, faute de visibilité, près d’une heure auparavant.

Le plan britannique est judicieux puisque Scheer, pour rentrer en Allemagne, n’a tout simplement pas d’autre choix que de passer à travers la ligne britannique, telle la branche gauche d’un "X", manœuvre qui serait suicidaire de jour mais qui, de nuit, a des chances de fonctionner.

Et de fait, Scheer va réussir à passer en bousculant l’écran des croiseurs légers britanniques lors d’une succession d’affrontement extraordinairement confus, qui durent plus de deux heures et dans lesquels Jellicoe, une fois de plus, ne voit rien, se méprend complètement sur les mouvements de son adversaire, et ne reçoit aucun renseignement valable de la part de ses subordonnés qui, de leur côté, estiment par trop inconvenant de prévenir leur commandant–en-chef, persuadés qu’ils sont que celui-ci voit forcément la même chose qu’eux !

L’affaire ne va pourtant pas sans casse : côté allemand, disparaissent ainsi les croiseurs légers Elbing, Frauenlog et Rostock, le pre-dreadnought Pommern, plusieurs torpilleurs et, surtout, le croiseur de bataille Lützow (qui, trop endommagé, est sabordé) alors que les Britanniques, de leur côté, déplorent la perte d’une demi-douzaine de torpilleurs et, surtout, du croiseur-cuirassé Black Prince qui, à l’instar du Defiance, s'est lui aussi retrouvé au mauvais endroit et au mauvais moment, c-à-d sous le feu direct de plusieurs cuirassés allemands...

mercredi 10 avril 2013

3687 - la chance du diable

... de fait, la décision de Jellicoe d'abattre vers la gauche plutôt que vers la droite vient de sauver l'escadre de Scheer de l'anéantissement : en dehors d'une demi-douzaine de petits torpilleurs mis hors de combat, et de dégâts supplémentaires aux croiseurs de bataille, l'affaire se limite en effet à divers dommages aux cuirassés Markgraf, Grosser Kurfüst et König, qui demeurent néanmoins en état de combattre.

Pour la deuxième fois, Scheer vient donc d’échapper à la destruction suite à une erreur tactique de son adversaire !

Mais la Chance étant maîtresse fort versatile, il serait bien trop dangereux, et même carrément suicidaire, de s’obstiner.

Et comme il n'est pas davantage question de se laisser refouler vers l’ouest, c.-à-d. vers les côtes anglaises : Scheer décide de rentrer en Allemagne par le chemin le plus court, donc au sud-est, en passant par le bateau-phare de Horns Reef.

Jellicoe, cette fois, a parfaitement saisi la manœuvre, et a lui-même commencé à manœuvrer de manière à couper la route de son adversaire.

Hélas pour les Britanniques, c’est la visibilité – déjà fort précaire au début de la bataille – qui se met une fois de plus au service des Allemands : quand les combats reprennent, vers 20h00, c’est à peine si les croiseurs de bataille de Beatty aperçoivent encore leurs adversaires, ce qui ne les empêche cependant pas de causer de nouvelles avaries au Seydlitz, au Derrflinger (qui y perd sa dernière tourelle) mais aussi aux malheureux pre-dreadnought de l’amiral Mauve, qui tentent fort imprudemment de se porter à leur secours…



mardi 9 avril 2013

3686 - la gauche ou la droite

... 19h45

Mais alors que les croiseurs de bataille allemands sont sur le point de succomber, leurs torpilleurs se ruent soudain à l'attaque, s'approchant avec une audace folle à moins de 7 000 mètres avant de lancer leurs projectiles.

Six d'entre eux sont mis hors de combat, un septième coupé en deux par un seul obus, mais une trentaine de torpilles convergent vers la ligne des cuirassés britanniques.

Pour échapper à une torpille qui fonce dans votre direction, la meilleure - et à vrai dire la seule  - solution est de virer de bord et de prendre un cap parallèle à sa trajectoire, en ne lui présentant ainsi que la plus petite surface possible - proue ou poupe - que l'engin n'a aucune chance de frapper à moins d'un coup vraiment heureux.

Sur la passerelle de l'Iron Duke, Jellicoe ordonne donc d'abattre de 45 degrés, ce qui est amplement suffisant, mais, au lieu de le faire vers la droite, c-à-d par la proue et vers les Allemands , il décide de le faire vers la gauche, c-à-d  par la poupe et dans la direction opposée à ceux-ci !

Aucune torpille ne touche mais, à 19h45, lorsque l'amiral britannique ordonne de remettre le cap au sud-ouest, les navires allemands - qui comme nous l'avons vu ont fait demi-tour - lui ont repris plus de 4 000 mètres et sont à présent hors de portée.

Comme l'écrira un historien britannique, "Vingt-huit torpilles et la ferme détermination de ne faire courir aucun risque à sa flotte de ligne, venaient de dérober à Jellicoe le pouvoir de remporter une victoire décisive" (1)

(1) cité par Jacques Mordal, 25 siècles de Guerre sur Mer, tome 2, page 112

lundi 8 avril 2013

3685 - une erreur mortelle

... 18h55

Mais si le commandant-en-chef britannique peine à se faire une idée exacte et complète de la situation, son adversaire allemand est à peine mieux loti !

Après avoir ordonné, à 18h35, d'abattre vers le sud-ouest afin de se soustraire aux cuirassés anglais, et s'être retrouvé, dix minutes plus tard, hors de portée de ceux-ci, le voilà qui, à 18h55, ordonne de remettre cap plein est... c-à-d vers Jellicoe qui, cinq minutes auparavant, à lui-même ordonné de mettre cap au sud.

Et la manœuvre est pour le moins incroyable puisqu'elle revient en fait à se faire "barrer le T" pour la deuxième fois par une flotte britannique trop contente de l'aubaine !

A 19h15, Scheer n'a d'ailleurs d'autre choix que de reconnaître qu'il vient de commettre une erreur, et une erreur mortelle, qui l'oblige non seulement à effectuer un troisième demi-tour (!), mais aussi à confier à ses croiseurs de bataille, pourtant à bout de souffle, une authentique mission de sacrifice : protéger la retraite des cuirassés en courant sus à l'ennemi !

Et c'est bien d'une mission de sacrifice qu'il s'agit : en quelques minutes, le Derfflinger, forcé de mener la colonne depuis la mise hors-service du Lützow et le transbordement de Hipper sur un torpilleur, en quelques minutes, donc, le Derfflinger perd ses deux tourelles arrière et le Von der Tann tous ses canons et son personnel de passerelle !

Mais au moment-même où les croiseurs de bataille allemands sont sur le point de succomber, la fortune des armes se décide à nouveau à changer de camp...

dimanche 7 avril 2013

3684 - l'occasion ratée

... 18h45

En mesure de "barrer le T" à son adversaire, Jellicoe se trouve dans la position idéale, celle dont rêvent tous les cadets de l'École Navale.

Pourtant, l'amiral britannique laisse passer sa chance et va mettre beaucoup de temps avant de réaliser que la flotte allemande, au lieu de continuer vers lui, a fait demi-tour et en train de retraiter vers l'ouest !

A sa décharge, la visibilité, déjà précaire, s'est encore dégradée sous les nuages de fumée vomis par les torpilleurs allemands, et, sur la passerelle de l'Iron Duke, le commandant-en-chef de la Grand Fleet reste de toute manière tributaire des renseignements que veulent bien lui faire parvenir ses subordonnés, à commencer bien sûr par Beatty, dont les croiseurs de bataille sont les yeux de la flotte toute entière.

Les relations entre les deux hommes n'ont jamais été très bonnes - c'est même un euphémisme puisque Jellicoe est aussi prudent et effacé que Beatty est impulsif et immensément populaire dans la Presse comme dans l'opinion publique (1) - mais au-delà des querelles de personnes, il faut dire aussi que Beatty, qui combat depuis plusieurs heures et dont le navire est fortement endommagé, a bien d'autres choses à faire en ce moment que de transmettre à son chef des renseignements pourtant vitaux.

Sur le Lion, qui lutte toujours pour sa survie, un obus allemand vient d'ailleurs d'arracher la table des cartes, faisant s'envoler "telle une mouette effrayée", celle sur laquelle le malheureux navigateur s'efforçait, depuis de longues minutes, de reporter les positions des uns et des autres...

(1) marié à une riche américaine, et jouissant de la protection ostensiblement affichée de Churchill, Beatty avait de surcroît gravi tous les échelons hiérarchiques à la vitesse d'un météore : commandant à l'âge de 29 ans et contre-amiral à 39 - tout cela en temps de paix ! - il s'était vu confier, par Churchill lui-même, le commandement de toute la flotte des croiseurs de bataille en 1911, à seulement 40 ans, ce qui, on s'en doute, lui avait valu beaucoup d'ennemis au sein de la haute hiérarchie...


samedi 6 avril 2013

3683 - la retraite

... après deux tours complets sous le feu allemand, les mécaniciens du Warspite sont enfin parvenus à reprendre le contrôle de la barre.

Dans l'intervalle, le grand cuirassé, qui a encaissé une quinzaine d'obus de gros calibre et qui prend l'eau de toute part, a perdu ses télémètres et sa conduite de tir, et ne possède plus qu'une seule tourelle - la "A" - en état de fonctionnement.

Impossible dans ses conditions de poursuivre la lutte, ce pourquoi, profitant de la fuite des navires de Scheer, le Warspite reprend-il le chemin de Rosyth et d'un chantier de réparations qui va l'héberger jusqu'au début du mois de juin.

La Bataille du Jutland va donc se poursuivre sans lui, une bataille que Scheer n'a d'autre choix que de quitter d'autant plus vite que ses navires sont sur le point de se faire "barrer le T" par leurs adversaires.

Car, manœuvrant habilement, les vingt-quatre cuirassés de Jellicoe sont parvenus à se présenter perpendiculairement aux navires allemands, donc avec la possibilité de faire feu de toutes leurs tourelles alors que les vingt-deux dreadnought et pre-dreadnought de Scheer, par ailleurs bien moins puissants, ne peuvent engager que leurs tourelles avant.

A 18h35, l'amiral allemand donne donc l'ordre d'abattre vers le sud-ouest, une manœuvre que les grands navires de la Hochseeflotte exécutent impeccablement et sous le couvert des torrents de fumée vomis par leurs torpilleurs...




vendredi 5 avril 2013

3682 - le sauveur inattendu

... depuis plus d'une heure, le Warspite et ses jumeaux couvraient la retraite des croiseurs de bataille de Beatty, multipliant les manœuvres... et encaissant les obus des grands navires de Hipper, puis ceux de Scheer, à présent arrivés à portée.

Également pris à partie par les Allemands suite à leur attaque sur le Wiesbaden, les croiseurs-cuirassés de la 1ère Escadre sont en très fâcheuse posture : le Defence a sauté avec tout son équipage, le Black Prince est fortement endommagé, et le Warrior, touché par une quinzaine d'obus de gros calibre, est sur le point de sombrer corps et biens.

Mais c'est alors qu'apparaît le Warspite, un Warspite qui, en cherchant à éviter une collision avec son jumeau Valiant, et peut-être aussi suite à un obus reçu du Kaiserin, a sa barre bloquée et ne peut plus que tourner en ronds.

Pour les Allemands, l'occasion est évidemment trop belle, et la cible bien plus tentante que le malheureux Warrior.

En quelques minutes, le cuirassé britannique va ainsi encaisser plus d'une dizaine d'obus de 280 et 305mm, et finirait probablement par succomber à son tour si Scheer, réalisant le piège dans lequel sa flotte toute entière est sur le point de tomber, ne venait de donner le signal de la retraite générale...


jeudi 4 avril 2013

3681 - jamais deux sans trois

... touché pour la vingtième fois (!) depuis le début de la bataille, le Lützow est hors de combat, ce qui force Hipper à l'abandonner pour se transborder sur un petit torpilleur.

Pourtant, contre toute logique, ce sont les Allemands qui enregistrent un nouveau succès : frappé en son milieu par plusieurs obus de 305mm, l'Invincible - vainqueur aux Falklands contre l'escadre de Spee (1) - explose dans une détonation formidable, se brise en deux et s'engloutit, emportant dans la mort l'amiral Hood mais aussi plus d'un millier d'officiers et de marins.

C'est le troisième croiseur de bataille britannique à disparaître...

Mais un autre drame s'est joué dans l'intervalle : alors qu'ils tentaient eux-mêmes d'en finir avec le Wiesbaden, les croiseurs-cuirassés Defence et Warrior sont tombés sous le feu croisé de plusieurs croiseurs de bataille allemand.

Victime d'une véritable avalanche d'obus de gros calibre, le Defence a sauté avec tout son équipage, ne laissant aucun survivant, tandis que le Warrior n'a dû son salut, ou plus exactement un sursis, qu'à l'arrivée inopinée, et totalement involontaire, d'un invité de marque...

...le cuirassé Warspite

(1) Saviez-vous que... 3552 à 3559

mercredi 3 avril 2013

3680 - l'arrivée des renforts

... 17h30 

De fait, Scheer, qui vient de donner le signal de la chasse générale, exulte : deux croiseurs de bataille britanniques ont déjà été coulés par les forces de Hipper, et ceux qui restent encore à flots sont tous endommagés à des degrés divers, en sorte qu'ils ne manqueront pas de succomber, maintenant qu'ils vont devoir affronter la Hochseeflotte au grand complet.

Mais à 17h30, et à l'insu de l'amiral allemand, l'avant-garde de Jellicoe a aperçu les lueurs de la bataille qui fait rage depuis près de deux heures, et elle e a commencé à manœuvrer de manière à barrer l'entrée du Skagerrak avant de se rabattre vers le sud-ouest.

A 18h15, les premières mâtures des cuirassés anglais apparaissent à l'horizon, semant la consternation sur la passerelle du Friedrich der Grosse, où chacun réalise soudain que la flotte allemande vient de tomber dans son propre piège.

Pire : l'avant-garde de Jellicoe est déjà au contact depuis une vingtaine de minutes, soit au moment où la 3ème escadre de croiseurs de bataille du contre-amiral Hood a ouvert le feu sur quatre croiseurs légers allemands, et en particulier sur le Wiesbasden.

A 18h21, après avoir laissé ce dernier mort sur l'eau, l'Inflexible, l'Invincible et l'Indomitable (1) retournent leur tir sur les croiseurs de bataille allemands, touchant le Lützow, le Derfflinger et le Seydlitz à plusieurs reprises...

(1) entrés en service entre 1908 et 1909, ces trois croiseurs de bataille de la même classe appartenaient à la flotte de Beatty mais avaient temporairement été rattachés à la Grand Fleet, et ancrés à Scapa Flow pour participer à des exercices de tirs avec les cuirassés




mardi 2 avril 2013

3679 - premier entracte

… 17h00

A 17h00, la première partie de la Bataille du Jutland est terminée, et la situation se présente ainsi :

Protégés sur leur arrière-garde par le Warspite, le Valiant, le Malaya et le Barham, les quatre croiseurs de bataille de Beatty, tous endommagés à des degrés divers, fuient à présent vers le nord-ouest, à la rencontre de Jellicoe qui, prévenu de la présence en mer de la Hochseeflotte au grand complet, fait à présent route vers eux à toute vapeur, ses trois croiseurs de bataille en avant-garde, et ses vingt-quatre cuirassés impeccablement alignés derrière eux, sur six colonnes parallèles.

Dans le camp allemand, les cinq croiseurs de bataille de Hipper, eux aussi passablement malmenés par les combats précédents, ont fait leur jonction avec les seize cuirassés et les six pre-dreadnought de Scheer, avec lesquels ils se sont ensuite lancés à la poursuite des Britanniques.

Si le bilan tactique est discutable, cette première partie constitue en revanche un incontestable succès allemand sur le plan des résultats : tirant beaucoup mieux (une cinquantaine de coups au but contre moins d’une vingtaine), les hommes de Hipper sont en effet parvenus, malgré leur infériorité numérique et la moindre puissance de leurs canons, à couler deux croiseurs de bataille anglais en ne subissant eux-mêmes aucune perte….

Sur la passerelle du Friedrich der Grosse, Scheer a donc toutes les raisons de s'estimer satisfait et d'envisager la suite des choses avec optimisme...

lundi 1 avril 2013

3678 - les mouches et les éléphants

... 16h40

Sur ces entrefaites, les petits torpilleurs allemands, qui jusqu'ici s'étaient prudemment tenus à l'écart des affrontements entre ces mastodontes, les petits torpilleurs allemands, donc, se sont rués à l'attaque,... immédiatement imités par leurs homologues britanniques.

Dans ce combat entre mouches et éléphants, la mer se met bientôt à grouiller de torpilles, mais les dits éléphants s'en tirent néanmoins sans dommage (1), à l'exception du Seydlitz, qui en encaisse une sans pour autant ralentir son allure.

En définitive, le véritable résultat de toute cette agitation est surtout d'accroître encore un peu plus la fumée, et la confusion, qui règnent dans chaque camp.

C'est alors que le croiseur léger Southampton, à l'avant-garde de l'escadre de Beatty, fait une stupéfiante découverte : en plus de la flotte de Hipper, en route vers le sud, une deuxième flotte allemande, encore plus importante, est en train de monter vers le nord !

C'est Scheer et toute la Hochseeflotte ! Et c'est immédiatement le branle-bas chez les Britanniques !

Pour Beatty, il n'est évidemment pas question de poursuivre l'engagement : il faut au contraire virer de 180 degrés vers le nord, c-à-d vers Jellicoe, en laissant au Warspite et aux autres Queen Elizabeth le soin de protéger la retraite des croiseurs de bataille dont le blindage - comme les tragédies de l'Indefatigable et du Queen Mary viennent de le démontrer - est nettement moins efficace que le leur...

(1) cet engagement se traduira également par la perte de deux torpilleurs dans chaque camp