En mesure de "barrer le T" à son adversaire, Jellicoe se trouve dans la position idéale, celle dont rêvent tous les cadets de l'École Navale.
Pourtant, l'amiral britannique laisse passer sa chance et va mettre beaucoup de temps avant de réaliser que la flotte allemande, au lieu de continuer vers lui, a fait demi-tour et en train de retraiter vers l'ouest !
A sa décharge, la visibilité, déjà précaire, s'est encore dégradée sous les nuages de fumée vomis par les torpilleurs allemands, et, sur la passerelle de l'Iron Duke, le commandant-en-chef de la Grand Fleet reste de toute manière tributaire des renseignements que veulent bien lui faire parvenir ses subordonnés, à commencer bien sûr par Beatty, dont les croiseurs de bataille sont les yeux de la flotte toute entière.
Les relations entre les deux hommes n'ont jamais été très bonnes - c'est même un euphémisme puisque Jellicoe est aussi prudent et effacé que Beatty est impulsif et immensément populaire dans la Presse comme dans l'opinion publique (1) - mais au-delà des querelles de personnes, il faut dire aussi que Beatty, qui combat depuis plusieurs heures et dont le navire est fortement endommagé, a bien d'autres choses à faire en ce moment que de transmettre à son chef des renseignements pourtant vitaux.
Sur le Lion, qui lutte toujours pour sa survie, un obus allemand vient d'ailleurs d'arracher la table des cartes, faisant s'envoler "telle une mouette effrayée", celle sur laquelle le malheureux navigateur s'efforçait, depuis de longues minutes, de reporter les positions des uns et des autres...
(1) marié à une riche américaine, et jouissant de la protection ostensiblement affichée de Churchill, Beatty avait de surcroît gravi tous les échelons hiérarchiques à la vitesse d'un météore : commandant à l'âge de 29 ans et contre-amiral à 39 - tout cela en temps de paix ! - il s'était vu confier, par Churchill lui-même, le commandement de toute la flotte des croiseurs de bataille en 1911, à seulement 40 ans, ce qui, on s'en doute, lui avait valu beaucoup d'ennemis au sein de la haute hiérarchie...
Aucun commentaire:
Publier un commentaire