jeudi 31 décembre 2015

4692 - l'épilogue

La fin de la Marine impériale : l'épave du cuirassé-porte-avions Hyuga, à Kure

… pourtant, Mitsumasa Yonai, se trompe, car si la Marine impériale n’est désormais plus capable de mener des actions de quelque envergure que ce soit, elle n’en continuera pas moins de lutter jusqu’à la Capitulation, avec la poignée de destroyers et de sous-marins, mais aussi le peu de pétrole, qui lui reste.

Dans la nuit du 29 au 30 juillet 1945, elle réussira même un petit exploit, lorsque le sous-marin I-58 enverra par le fond le croiseur lourd Indianapolis… trois jours après que ce même Indianapolis ait livré sur l’île de Tinian un nouveau type de bombe qui, le 6 août, détruira la ville d’Hiroshima

Incapables de reprendre la mer en raison de leur état mais aussi de la pénurie de mazout, les grandes unités survivantes, transformées en bien inutiles batteries (à peine) flottantes, seront en revanche écrasées au mouillage les unes après les autres par une Aéronavale américaine que personne - pas même les kamikazes - ne parviendra jamais à stopper.

Au large d’Okinawa, entre mars et août 1945, ces derniers détruiront pourtant 9 destroyers et 6 navires de transport, et endommageront plus ou moins gravement 10 cuirassés, 16 porte-avions, 4 croiseurs, 81 destroyers, 44 cargos et 62 plus petits bâtiments, en plus de coûter la vie à plus de 4 500 marins américains.

Une saignée qui achèvera de persuader le Président Trumman de lancer la bombe atomique.

Mais ceci est une autre histoire...

mercredi 30 décembre 2015

4691 - "La Marine impériale n’existe plus"

Pour la Marine impériale, la fin du Yamato fut aussi celle des dernières illusions
… et parce que le Yamato était le symbole-par-excellence de la puissance de l’Empire, sa disparition doit rester cachée le plus longtemps possible.

A Sasebo, les survivants de l’escadre, parmi lesquels de très nombreux blessés, vont ainsi demeurer au secret pendant deux semaines, tandis que les mères et épouses ne seront averties - très discrètement - du décès de leurs fils et époux qu’un bon mois plus tard.

Le 8 avril, à Tokyo, c’est au Ministre de la Marine, Mitsumasa Yonai, qu’échoit cependant la tâche la plus ingrate : annoncer le désastre à Sa Divine Majesté.
 
"Votre Altesse impériale", dit-il, "j’ai le regret de vous informer que la sortie du Yamato a échoué. Le Yamato et la plus grande partie de la force d’attaque spéciale ont été coulés par l’Aéronavale américaine à quelque 160 kms du Kyushu".
 
"Je dois déclarer à regret que l’opération était mal conçue. Nous ne nous attendions pas à une activité aérienne ennemie d’une telle intensité"
 
"La Flotte", balbutie Hirohito, "quel est le statut de la Flotte ?"
 
"Il n’y a plus de Flotte", répond Yonai les larmes aux yeux. "La Marine impériale n’existe plus"

mardi 29 décembre 2015

4690 - une débâcle sans appel

L'épave du Suzutsuki, à Sasebo, en novembre 1945. Les canons ont été démontés
... 8 avril 1945, 01h23

A bon droit, le Suzutsuki est devenu une légende au sein de la Marine impériale, et il va le demeurer puisque son commandant, gouvernant uniquement aux hélices, et surtout en marche arrière (!), va réussir à le ramener au japon dans l'après-midi du 8 avril (1)

A 01h23, l'ordre d'abandonner les recherches tombe quant à lui sur la passerelle ravagée du Fuyutsuki

En compagnie du Yukikaze et du Hatsushimo, le destroyer quitte alors définitivement le lieu de la tragédie et prend le cap de Sasebo, au grand désespoir des marins qui, en début de nuit, ont par ailleurs pris connaissance d'un message de l'amiral Kusaka soulignant que, grâce à "leurs efforts de diversion" (sic), l'Aviation japonaise avait été en mesure d'infliger "de sévères dommages à l'ennemi" (2)

Si l'amiral le dit...

Ten-gō Sakusen est officiellement terminée et se solde donc par une débâcle sans appel, qui, outre le Yamato, coûte aux Japonais un croiseur léger et quatre destroyers, ainsi que quelque 4 000 officiers et marins, dont 90% de l'équipage du super-cuirassé Yamato, et l'intégralité de celui du destroyer Asahimo !

De leur côté, les Américains n'ont perdu que 10 appareils (3), et 12 aviateurs...

(1) jugé irréparable dans le contexte militaire et économique du moment, le Suzutsuki ne reprendra plus jamais la mer et, après avoir été brièvement utilisé comme brise-lames, sera ferraillé en novembre 1945 
(2) Russell Spurr, op cit, page 308
(3) plus d'une dizaine d'appareils, considérés irréparables, seront néanmoins jetés par dessus-bord peu après leur retour sur leurs porte-avions respectifs

lundi 28 décembre 2015

4689 - le bûcher funéraire

L'Isokaze - ici à l'automne 1941 - fut la dernière victime de Ten-go Sakusen
… 17h50

Ce n’est qu’à 17h50, soit plus de trois heures après la disparition du Yamato, que tombe enfin la réponse de l’Amirauté : Ten-gō Sakusen est annulée, et les destroyers restants doivent s’en retourner au Japon, et plus précisément à Sasebo, après avoir repêché le plus de survivants possibles.

Peu de temps après, les vigies du Yukikaze aperçoivent la carcasse d’un autre destroyer japonais,  en l’occurrence l’Isokaze, toujours à flots mais lui aussi condamné et transformé en abattoir à ciel ouvert.

Après en avoir transbordé les survivants, et l’inévitable tableau de Sa Majesté, puis vainement tenté de l’achever à la torpille, c’est finalement au canon que le commandant du Yukikaze décide d’en finir,… projetant par là-même des morceaux de cadavres dans toutes les directions.

Transformé en bûcher funéraire, le valeureux Isokaze s’abîme vers 22h40

Reste le Suzutsuki, lequel n’est plus qu’une épave dépourvue d’étrave, mais une épave qui refuse obstinément de sombrer, ce qui du reste s’apparente pour lui à une routine : en janvier 1944, il a en effet déjà vu sa proue et son étrave arrachées par des torpilles américaines, puis, reconstruit, a de nouveau perdu son étrave en octobre, sous l’effet d’une nouvelle torpille américaine !

dimanche 27 décembre 2015

4668 - à la recherche des survivants

Trop endommagé, le destroyer Kasumi fut achevé par les Japonais eux-mêmes
… 16h55

Ce n’est donc que vers 15h00, et seulement après avoir envoyé un résumé de la situation à l’Amirauté, que les trois destroyers japonais partent enfin à à la recherche des survivants, dont certains barbotent déjà depuis plus de deux heures dans cette mer agitée et - rappelons-le - sans le moindre secours d’un canot ni même d’un gilet de sauvetage !

Dans le même temps, les deux Martin Mariner, qui s’étaient jusque-là prudemment tenus à l’écart en se contentant d’observer les événements de très haut, ont commencé à descendre à la recherche  des pilotes américains abattus qui, eux, disposent d’un canot et d’un gilet de sauvetage, et même d’un équipement de survie complet !

Avisant l'un de ces infortunés, un des Mariner parvient à amerrir et à le hisser à son bord, puis à déjauger (1) sous les tirs des destroyers japonais toujours aussi désireux de poursuivre le combat.

A 16h22, le Fuyutsuki aperçoit pour sa part la silhouette calcinée du Kasumi, dont on était sans nouvelle depuis plusieurs heures.

En panne de radio et de machines, ce dernier n’a aucune chance de jamais atteindre Okinawa, ni même de s’en retourner au Japon sans l’aide - totalement illusoire - d’un remorqueur de haute mer, ce pourquoi le commandant du Fuyutsuki décide-t-il de le saborder à la torpille à 16h55, après en avoir transbordé les survivants à son bord

(1) décoller en parlant d’un hydravion

samedi 26 décembre 2015

4667 - "c'est une attaque-suicide, même sans le Yamato nous devons continuer !"

Le Yamato, déchiré par l'explosion de ses propres munitions
… 14h43

A 14h43, alors que les derniers appareils américains quittent la scène du drame non sans avoir au préalable mitraillé les survivants japonais se débattant dans la mer, le champignon de fumée dû à l’explosion du Yamato culmine à plus de 6 000 mètres d’altitude, et peut même être aperçu depuis les rives du Kyushu, à quelque 160 kms de là.

Le Yamato a vécu, et avec lui Ten-gō Sakusen, mais - et aussi incroyable cela puisse-t-il sembler - personne sur les destroyers survivants ne se décide à l’admettre et à interrompre la traversée vers Okinawa !

"Nous sommes venus jusqu’ici, nous ne pouvons pas faire demi-tour. C’est une attaque-suicide, même sans le Yamato nous devons continuer !" tempête par radio le commandant du Yukikaze. 

"Je propose que nous repêchions d’abord les survivants et reprenions ensuite la route d’Okinawa", tempère celui du Fuyutsuki.

"Mais alors pas les blessés, seulement ceux qui peuvent combattre !" réplique son interlocuteur

Et pour s’assurer qu’ils le peuvent encore, le commandant du Fuyutsuki d’ordonner que l’on se contente de lancer des aussières à la mer : les infortunés incapables de s’y agripper étant forcément incapables de combattre !

"Puis-je respectueusement suggérer", signale alors le commandant du Hatsushimo, "que nous rapportions la situation à la Flotte combinée, réclamions de nouvelles instructions et, dans l’intervalle, que nous commencions à récupérer tous ces gens dans l’eau"… (1)

(1) Russell Spurr, op cit, page 299

vendredi 25 décembre 2015

4666 - "La plus jolie chose que j’aie jamais vue"

Le Yamato, photographié par un avion du Yorktown. Notez la gîte sur bâbord
… Yamato, 14h23

Le Yamato est condamné, mais les Américains sont bien décidés à en précipiter la fin.

A 14h17, comme à l’exercice, six Avenger du Yorktown se présentent en effet par tribord et, quelques instants plus tard, logent au moins deux torpilles contre le flanc du cuirassé, largement exposé en raison de la gîte

"Longue vie à l’Empereur !" s’exclame le commandant Ariga qui, dans la plus parfaite tradition, a lui aussi décidé de mourir avec son navire.

Lentement, au milieu des cris des marins et du fracas des équipements qui s’arrachent de leurs supports, le Yamato se couche définitivement sur bâbord.

Ici, on entend des hommes entonner le Kimigayo, là, on aperçoit un jeune officier à demi-nu agiter son sabre en hurlant de frénétiques Banzaï aux appareils américains qui continuent à survoler le bâtiment et à en mitrailler impitoyablement les superstructures.

A 14h23, le Yamato chavire. Encore quelques secondes et une gigantesque explosion déchire les entrailles du cuirassé, qui glisse aussitôt vers l’abîme, emportant plus de 3 000 hommes avec lui.

"La plus jolie chose que j’aie jamais vue", dira un aviateur américain...

jeudi 24 décembre 2015

4665 - "Le portrait de l’Empereur ! Sauvez le portrait de l’Empereur !"

La fin : enfoncé sur bâbord, le Yamato glisse inexorablement vers l'abîme
… une main agrippée à la plateforme du compas, le commandant Ariga semble pour sa part indifférent au drame qui est en train de se dérouler sous ses yeux, et il faut bien toute l’insistance du premier officier pour qu’il consente enfin à ordonner l’évacuation de ce super-cuirassé de 70 000 tonnes naguère orgueil de la Marine impériale mais qui n’est plus qu’un amas de ferraille glissant inexorablement sur son flanc gauche.

"Abandonnez le navire !" crie le premier officier dans l’interphone.

Mais avec les portes étanches fermées, et les communications coupées dans la plus grande partie du bâtiment, rares sont ceux qui entendent son appel… et plus rares encore ceux qui acceptent d’abandonner leur poste pour tenter d’échapper à la mort.

Un peu partout sur l’immense navire, on voit d'ailleurs des officiers et des marins s’attacher eux-mêmes au canon, à la machine, à la pièce d’équipement dont ils ont la charge, tant est grande leur crainte d’être séparés du Yamato lors de son plongeon final vers l’abîme…

"Le portrait de l’Empereur ! Sauvez le portrait de l’Empereur !", s’exclame soudainement un Ariga sorti de sa torpeur.

Et un officier de se précipiter aussitôt dans les entrailles du navire jusqu’au local de l’objet sacré, ... pour s’y enfermer à double tour et éviter ainsi à Sa Divine Majesté de se retrouver accidentellement à la surface et repêchée par des mains américaines !

mercredi 23 décembre 2015

4664 - "Sauvez-vous !"

Le Yamato en flammes (à gauche), attaqué par des Helldiver
… Yamato, 14h10

Et de fait, l’inondation volontaire de la chambre des machines tribord sauve - provisoirement - le Yamato du désastre.

Mais l’opération, outre le fait de réduire la vitesse du bâtiment à seulement 8 nœuds, condamne plus de 300 marins à une mort atroce…

De toute manière, la manœuvre ne peut offrir qu’un bref répit puisque d’autres avions américains ne tardent pas à se présenter !

A 14h10, un Avenger du Langley loge une torpille au niveau du gouvernail, lequel se retrouve irrémédiablement bloqué à gauche, contraignant dès lors le super-cuirassé à ne plus pouvoir effectuer qu’une lente rotation dans le sens inverse des aiguilles d’une montre.

Quelques instants plus tard, et comme cela s’était déjà produit avec le Prince of Wales, trois ans et demi auparavant, toute l’installation électrique se retrouve hors-service.

Un instant contenue, la gîte sur bâbord reprend de plus belle à mesure que le bâtiment s’enfonce lentement par l’avant.

Sur la passerelle, l’amiral Ito, en gants blancs et casquette soigneusement posée sur la tête, salue les survivants de son État-major
 
"Sauvez-vous !", leur dit-il avant de se réfugier dans sa cabine, dont il ferme soigneusement la porte à clé…

mardi 22 décembre 2015

4663 - la solution du désespoir

… au même moment, à quelques kilomètres de là, une quinzaine de Helldiver de l’Intrepid plongent vers le Yamato dont la DCA, bien que de moins en moins efficace, continue de tirer.

Une bombe frappe de plein fouet le cabestan bâbord et sectionne la chaîne d’ancre, qui glisse immédiatement vers l’abîme.

Hébétés et assourdis par l’explosion, quelques marins s’efforcent de quitter la plage avant en flammes, mais sont aussitôt hachés vivants par les mitrailleuses des avions américains.

Sous l’effet des coups directs, mais aussi des bombes qui éclatent dans l’eau à seulement quelques mètres de la coque, les voies d’eau s’aggravent encore : bientôt, la gîte sur bâbord atteint 15, puis 20 degrés.

Le Yamato avance et tire toujours, mais il est sur le point de chavirer et, cette fois, plus aucune contre-mesure n’est possible : les compartiments prévus à cet effet du côté tribord sont déjà tous remplis… ou rendus impossibles à remplir du fait de l’inclinaison des ponts et de la rupture de la plupart des canalisations.

Sur la passerelle, le commandant Ariga imagine alors une solution désespérée : noyer volontairement la chambre des machines tribord, ce qui réduira certes la vitesse du super-cuirassé à peu de choses mais devrait du moins permettre d’en rétablir l’assiette…

lundi 21 décembre 2015

4662 - la haine raciale

Toilette d'un Japonais, parmi les marins du New Jersey : la haine raciale
… Aujourd’hui, on parlerait assurément de "crimes de guerre" et on exigerait la comparution immédiate des responsables devant une cour pénale internationale.

Mais en ce 7 avril 1945, et dans cette guerre qui n’est depuis longtemps plus que barbarie et haine raciale, plus personne ne s’étonne de rien,… ni même de voir les appareils américains strafer méthodiquement à la mitrailleuse lourde les centaines de naufragés japonais occupés à se débattre au milieu des débris et des nappes de mazout.

Et si en cet instant on les blâmait de faire éclater la tête de tous ces infortunés comme autant de pastèques sur un stand de fête foraine, les pilotes américains parleraient sans doute de Bataan, de Corregidor, de la Death March des Philippines, et de tous les camps de prisonniers où des milliers de leurs compatriotes ont péri dans des conditions abominables, sous les coups et les privations que leur infligeaient leurs gardiens japonais.

Ils parleraient aussi de Guadalcanal, de Tarawa, de Peleliu, d’Iwo-Jima, de toutes ces îles perdues où les soldats nippons ont préféré mourir jusqu’au dernier plutôt que de se rendre, quitte, lorsque blessés, à se faire sauter à la grenade en compagnie du Marines ou du brancardier américain assez naïf pour tenter de leur venir en aide au lieu de s’assurer de leur mort à grands coups de Colt 45.

Et ils argueraient enfin que ces naufragés japonais, au fond, ne sont pas de véritables marins en détresse, mais bien des "jaunes", des "bridés", et pour tout dire des infra-humains, car n’est-ce pas, il faut vraiment être étranger au genre humain pour se précipiter à 600 kms/h et avec une tonne de bombes accrochée sous ses ailes sur le pont d’un porte-avions ou d’un cuirassé frappé de la bannière étoilée…

dimanche 20 décembre 2015

4661 - le sauvetage impossible

Le croiseur Yahagi sous les bombes, peu avant son chavirage
… Yahagi, 14h05

Dans les rangs japonais, personne ne comprend comment les Américains - dont on pensait pourtant les porte-avions annihilés  par les kamikazes - sont encore en mesure de lancer de nouvelles vagues d’attaque.

Et de fait, vers 14h00, c’est à présent au tour des appareils du Yorktown, de l’Intrepid et du Langley de passer à l’action : alors qu’il s’apprête à porter l’estocade au Yahagi, le Helldiver du lieutenant Worley est abattu par la DCA de l’Isokaze, pourtant lui aussi en train de sombrer.

Mais il en faudrait bien plus pour sauver le malheureux Yahagi du naufrage !

A 14h05, le capitaine Hara n’a plus d’autre choix que de lancer l’ordre d’évacuation générale, lequel ne constitue en définitive qu’un vœu pieux car, comme sur tous les navires de guerre nippons où la vie des marins est sans importance, les moyens de sauvetage du croiseur sont quasi-inexistants, et se résument ici à une seule et unique embarcation… que les avions américains déchiquètent aussitôt à la mitrailleuse lourde en même temps que tous ceux qui sont parvenus à y prendre place.

Et lorsque le Yahagi chavire et s’engloutit, emportant avec lui plusieurs centaines d’hommes dont quelques artilleurs qui, jusqu’au bout, ont tenu à manier les rares canons encore en service, plusieurs centaines d’autres se retrouvent précipités à la mer sans même un gilet de sauvetage, et avec d’autant moins de chances d’en réchapper que les aviateurs américains ne sont nullement décidés à en rester là…

samedi 19 décembre 2015

4660 - le malheur des uns, le bonheur des autres...

Bien que très endommagé, le Suzutsuki survécut aux combats du 7 avril
… en avarie de barre, mais machines tournant toujours à plein régime, le destroyer Kasumi passe à deux doigts d’éperonner le Yamato avant de glisser sur son quart bâbord en poursuivant sur son erre.

Sa plage avant et son étrave déchiquetées par les bombes, son artillerie principale hors d’usage, le Suzutsuki n’est quant à lui plus qu’une épave calcinée, où s’empilent les cadavres.

Sur le croiseur Yahagi, immobilisé sur l’eau et ravagé par les explosions, la situation est désespérée : après avoir ordonné que l’on jette par dessus-bord toutes les torpilles entreposées sur la plage arrière - qu’il craint de voir désintégrée à tout instant par les bombes américaines - le commandant prie le destroyer Isokaze de se rapprocher afin de procéder au transbordement des officier et marins survivants.

Mais la manœuvre a hélas pour effet d’attirer l’attention de nouveaux appareils américains - car dans le ciel, il y en a d’autres, et d’autres encore, qui attendent patiemment leur tour avant de passer à table ! - lesquels ont tôt fait d’interrompre l’opération et de transformer le destroyer saint-bernard en un amas de ferrailles supplémentaire.

Pour sa part, le Fuyutsuki est plus heureux, qui, après avoir vu des roquettes américaines le frapper sans exploser, voit ensuite une torpille passer tranquillement sous sa quille et poursuivre sa route sans lui causer le moindre dommage.

Le malheur des uns, le bonheur des autres…

vendredi 18 décembre 2015

4659 - la seconde vague

Vers 13h00, la seconde attaque se concentra plus particulièrement sur le Yamato
… Yamato, 13h00

A 13h00, le Yamato gouverne à nouveau au 180 tandis que, dans le ciel, la seconde vague américaine, provenant des porte-avions Essex, Bataan, Bunker Hill et Cabot (1), se prépare à passer à l’action, dans des conditions météo toujours aussi défavorables.

Quelques minutes plus tard, cette seconde vague, menée par les Avenger et les Helldiver de l’Essex, se concentre sur le super-cuirassé qui, en une vingtaine de minutes, va encaisser une demi-douzaine de bombes, quatre torpilles sur bâbord, et une ou deux autres sur tribord !

Mais les autres navires ne sont pas épargnés pour la cause : immobile sur l’eau, le croiseur Yahagi est rapidement transformé en amas de ferrailles, et les destroyers Isokaze et Kasumi irrémédiablement endommagés.

Sur le Yamato, la gîte sur bâbord, jusque-là maîtrisée par le remplissage de compartiments vides situés sur le bord opposé, devient de plus en plus préoccupante.

Dans les entrailles du navire, des dizaines de marins, piégés par la montée des eaux, cherchent désespérément une issue, éclatent en cris et en sanglots… ou se réfugient dans l’alcool en attendant la mort.

Sur la passerelle, où l’on s’efforce de trouver des moyens pour rétablir l’assiette, certains en viennent à prier les torpilles américaines de s’en venir sur tribord,… et à applaudir lorsque l’une d’entre elles accède enfin à leur demande et frappe à mi-longueur de la coque, ce qui ramène presque aussitôt la gîte à seulement 5 degrés mais a aussi pour effet de noyer la chaufferie numéro 6 et les hommes qui s’y trouvent…

(1) eux aussi prévus pour cette attaque, les aviateurs du Hancock se sont perdus dans le mauvais temps, et ne participeront donc pas à l’action qui va suivre

jeudi 17 décembre 2015

4658 - un premier bilan déjà tragique

Pour provoquer un chavirage, les Américains concentrèrent leur attaque sur bâbord
… Yamato, 12h59

A 12h59, alors que les ultimes appareils américains de la première vague d’attaque s’éloignent sous les éclatements de la DCA, le bilan est déjà tragique pour les Japonais qui, en seulement 12 minutes, ont certes abattu trois ou quatre avions ennemis (en plus d’en endommager une vingtaine d’autres) mais ont aussi perdu deux destroyers d’escorte, et vu le croiseur Yahagi totalement réduit à l’impuissance.

Touché par deux torpilles, et deux ou trois bombes, le Yamato est toujours en état de combattre, et n’a rien perdu de sa vitesse, mais traîne un impressionnant panache de fumée, conséquence d’un incendie qui ravage plusieurs compartiments et menace dangereusement les soutes à munitions de la tourelle arrière de 460mm.

Comme écrasée par un marteau, celle de 155mm est quant à elle hors de combat, de même que le radar principal et plusieurs canons de la défense antiaérienne.

Les morts et blessés se comptent déjà par centaines, mais le plus préoccupant toutefois, ce sont les multiples voies d’eau sur bâbord, conséquences non pas des impacts directs des bombes et torpilles mais plutôt des near-misses, c-à-d des explosions dans l’eau mais à proximité immédiate de la coque.

Car dans leur volonté d’abriter les œuvres vives du bâtiment sous une impénétrable carapace d’acier, les ingénieurs japonais ont pour ainsi dire ôté toute flexibilité à la coque, dont les innombrables plaques d’acier sont dès lors condamnées à se disjoindre sous la pression au niveau des rivets, et à enfoncer les compartiments qu’elles sont pourtant supposées protéger…

mercredi 16 décembre 2015

4657 - le trainard

L'Asashimo, quelques instants avant sa destruction par les avions du San Jacinto
… vu le grand nombre des assaillants, et le relativement petit nombre de navires assaillis, la mêlée devient vite extraordinairement confuse : les appareils de plusieurs porte-avions différents s’en prenant souvent au même destroyer, ou alors au Yamato.

Les aviateurs du San-Jacinto - un des neuf porte-avions légers construits durant la guerre sur une coque de croiseur (1) - ont quant à eux décidé de jeter leur dévolu sur un navire esseulé, en l’occurrence le destroyer Asashimo, traînard de la ligne japonaise et toujours aux prises avec de gros problèmes de machines.

C’est évidemment une proie facile pour les six Hellcat, le vieux Wildcat, et les huit Avenger du porte-avions américain, mais la guerre, n’en déplaise aux cinéastes et aux romanciers, n’est pas affaire de chevalerie…

Et malgré le courage de ses défenseurs, qui font feu de tout ce qu’ils peuvent, l’Asashimo, atteint par plusieurs bombes de Hellcat, est rapidement réduit au silence, ce qui laisse le champ libre aux Avenger, dont deux torpilles frappent le malheureux destroyer - l’une sous la passerelle, l’autre près de la salle des machines - le soulèvent littéralement de la surface des flots, le brisent en deux, puis le désintègrent dans une formidable explosion qui ne laisse sur l’océan que quelques vagues débris, et une poignée de survivants hébétés

En tout et pour tout, l’affaire a duré moins de trois minutes…

(1) peu avant la guerre, l’US Navy avait commandé plus d’une cinquantaine de croiseurs légers de la classe Cleveland. Après l’attaque japonaise contre Pearl Harbor, neuf d’entre eux furent convertis sur cales en porte-avions léger de 11 000 tonnes, capables d’emporter une trentaine d’avions

mardi 15 décembre 2015

4656 - le carnage

Non protégés, les servants de la DCA sont hachés par les rafales américaines
… Yahagi, 12h46

Zigzaguant follement à plus de 30 noeuds, le Yahagi s’efforce pour sa part, mais avec un succès très relatif, d’attirer les appareils américains le plus loin possible du navire-amiral.

Mais après avoir esquivé les bombes de deux Helldiver, puis celles d’un demi-douzaine de Hellcat, le valeureux croiseur léger se retrouve attaqué sur son tribord par quatre Avenger, et touché à 12h46, sous la ligne de flottaison, par une torpille qui tue tout le personnel des machines.

Instantanément privé de puissance, mais aussi de toute alimentation électrique, le Yahagi n’est plus qu’un canard posé sur l’eau et dans l’attente de sa mise à mort…

Mais la Mort rôde aussi - et surtout - autour du Yamato, que chaque pilote américain voudrait bien envoyer par le fond.

Incapables de percer le blindage du super-cuirassé, les pilotes de Hellcat en arrosent abondamment les ponts et les superstructures, et font un carnage parmi tout le personnel qui n’est pas protégé par d’épaisses plaques d’acier.

Sur la passerelle, où le vice-amiral Ito demeure imperturbable, des infirmiers évacuent les morts et les blessés, et répandent du sable sur le sol maculé de sang tandis que, sur la plage arrière, un sous-officier maniaque de l’ordre et de la propreté s’ingénie pour sa part à jeter par dessus-bord tous les morceaux de corps humains qu’il aperçoit…
 

lundi 14 décembre 2015

4655 - le début de la fin

12h41 : touché par deux bombes de 1000 livres, l'arrière du Yamato est en flammes
… Yamato, 12h41

De fait, malgré les tirs de barrage du Yamato et de tous les autres bâtiments de la flottille japonaise, les Américains ne tardent pas à enregistrer leurs premiers coups au but.

A 12h41, deux bombes AP de 1 000 livres frappent le super-cuirassé sur l’arrière, traversent plusieurs ponts, déclenchent un violent incendie que les équipes de secours sont pour l’heure incapables de circonscrire, et mettent hors-service la tourelle triple de 155mm arrière, son contrôle de tir, ainsi que le radar principal.

Mais les Helldiver américains s’en prennent également au Yahagi ainsi qu’aux destroyers d’escorte, que les chasseurs Hellcat arrosent pour leur part à la mitrailleuse et à la roquette.

Après les bombardiers et les chasseurs, c’est au tour des avions-torpilleurs d’entrer dans la danse : à 12h45, une ou deux torpilles d’Avenger du Hornet frappent le Yamato sur son bâbord et lui font embarquer plus de 2 000 tonnes d’eau, tandis que, déjà en flammes, le destroyer Hamakaze, atteint par la torpille d’un Avenger du Bennington, éclate comme une grenade, et s’abîme en quelques secondes.

Et ce n’est pas fini : respectivement victimes d’une bombe de 500 livres et de plusieurs roquettes, les destroyers Suzutsuki et Fuyutsuki sont également en flammes…

dimanche 13 décembre 2015

4654 - sans défense

Triple 25mm japonais. Chaque chargeur devait être changé après 15 obus
... si la météo avait été meilleure, les Japonais auraient réussi à mettre davantage de kamikazes en l'air, et à les mettre en l'air plus tôt, ce qui aurait alors permis à ces derniers de causer davantage de dégâts aux portes-avions de Marc Mitscher et peut-être même - qui sait - de les empêcher de lancer leurs propres appareils - ou du moins autant d'appareils - à l'attaque du Yamato, lequel aurait dès lors connu une toute autre fin, sans doute plus glorieuse, sous les obus des vieux cuirassés de Morton Deyo.

Mais l'Histoire ne s'embarrasse guère de conditionnels, et encore moins de regrets, en sorte qu'en ce début d'après-midi du 7 avril 1945, plus rien ne peut empêcher le Yamato et la poignée de bâtiments qui l'accompagnent de succomber sous les bombes et les torpilles des quelque quatre-cents avions (!) mobilisés pour leur mise à mort.

Sur le papier, le super-cuirassé dispose pourtant d'un blindage sans équivalent, mais aussi d'une impressionnante panoplie de canons antiaériens, comprenant en particulier pas moins de cent-cinquante-deux (!) canons de 25mm, le plus souvent en montages triples.

Mais en pratique, faute d'un système de tir centralisé et guidé par radar, ces pièces de 25mm - copies sous licence du Hotchkiss 25mm français - sont d'autant moins précises qu'elles vibrent énormément, et d'autant moins efficaces que chaque canon est alimenté par un unique chargeur qui doit être changé à la main après quinze obus seulement (1)

De toute manière, et depuis leurs propre victoire à Kuantan (2) contre le plus moderne des cuirassés britanniques, même les Japonais savent que plus aucun navire de ligne, fut-il en haute mer et "convenablement mené", n'est en mesure de se défendre face aux avions...

(1) bien que la cadence de tir de ces canons soit donnée pour 260 coups/minute, l'obligation de les recharger manuellement après quinze obus réduit en pratique la cadence de tir maximale à moins de 120 coups/minute
(2) Saviez-vous que... Le Drame de Kuantan

samedi 12 décembre 2015

4653 - trop tard, trop peu...

Le Hancock, ravagé par les flammes, 7 avril 1945
... USS Hancock, 12h35

Mais au moment précis où les chasseurs et bombardiers-torpilleurs américains entament leur plongée sur le Yamato, un tout autre drame est en train de se jouer à plusieurs centaines de kms de là, où les quelques dizaines de pilotes japonais qui ont réussi à décoller du Kyushu en dépit du mauvais temps sont finalement parvenus au-dessus des porte-avions de l'amiral Mitscher,... ces mêmes porte-avions qui, deux heures auparavant, avaient lancé leurs propres appareils en direction du Yamato !

C'est trop tard pour empêcher, ou du moins perturber, l'attaque contre le super-cuirassé, et c'est trop peu pour provoquer de gros dégâts à cette gigantesque armada, dont les chasseurs de couverture et les canons antiaériens vont d'ailleurs effacer du ciel la plupart des assaillants.

Mais c'est néanmoins suffisant pour permettre à un Zero isolé de percer les nuages, franchir le rideau d'acier de la DCA, larguer une bombe de 250 kilos, et finalement s'écraser lui-même, à 12h35, sur un groupe d'appareils alignés le pont du Hancock !

Pourtant, bien que ravagé par les flammes et des explosions qui font plus de 150 morts et blessés, le porte-avions de 33 000 tonnes réussit à conserver sa place dans la ligne américaine. 

Mieux encore : à 16h30, les incendies circonscrits et le pont remis en état, le Hancock est en mesure de récupérer ses propres appareils de retour d'une mission ô combien frustrante pour les pilotes puisque, piégés par le mauvais temps, ces derniers ont été incapables de trouver le Yamato et ont finalement dû se départir de leurs bombes et torpilles (1) au-dessus d'une poignée d'îlots inhabités...

(1) constamment employée durant la guerre, et encore de nos jours, cette procédure, dite "jettisoning", vise à minimiser les effets d'un accident à l'appontage 

vendredi 11 décembre 2015

4652 - "On y va sur le gros !"

Le Helldiver : performant mais difficile à piloter et source de nombreux accidents
... Yamato, 12h34

A 11h29, comme dans un ultime geste de défi, la formation japonaise prend résolument la route au 205, vers Okinawa.

Au centre, le Yamato, flanqué de part et d'autre par quatre destroyers; légèrement en avant, et lui aussi entouré par trois destroyers, le croiseur Yahagi; enfin, à une vingtaine de kms sur l'arrière, le destroyer Asashimo, dont les pilotes américains sont convaincus qu'il joue le rôle de piquet-radar mais qui, comme nous l'avons vu, est tout simplement en délicatesse avec ses machines.

Dans les westerns de John Ford, on parlerait sans doute de la caravane de hardis pionniers encerclés par les cruels indiens qui, pour parfaire l'analogie, commencent d'ailleurs à orbiter dans le sens inverse des aiguilles d'une montre et en prenant tout leur temps, histoire de se rassembler et d'analyser tranquillement la situation.

A chaque avion sa place, et son rôle : la manœuvre, longuement mûrie par plus de trois années de guerre, et encore rappelée dans les briefings pré-décollage, consiste, pour les 132 chasseurs Hellcat ou Corsair, à strafer le personnel des canons antiaériens ainsi que les superstructures des bâtiments ennemis, et ce afin de faciliter la tâche des 50 bombardiers en piqué, qui, de leur côté, masqueront l'arrivée des 98 avions-torpilleurs, lesquels héritent assurément de la tâche la plus difficile, puisque contraints de voler en ligne droite durant d'interminables secondes, et à quelque 100 mètres des flots, avant de pouvoir larguer leur unique torpille à moins de 1 100 mètres de la cible.

A 12h34, les six canons avant de 460mm du Yamato, chargés des inévitables obus Sanshiki, ouvrent le feu, suivis, une minute plus tard, par les vingt-quatre pièces de 127mm, puis par les cent-cinquante-deux 25mm de l'artillerie secondaire, auxquelles ne tardent pas à se joindre les canons des autres bâtiments.

"On y va sur le gros !" crie à la radio le chef d'escadrille Helldiver du porte-avions Bennington

Il est 12h37

jeudi 10 décembre 2015

4651 - "Préparez-vous à repousser une attaque aérienne"

Le destroyer Asashimo, alors flambant neuf, devant Osaka, à l'automne 1943
... Yamato, 11h30

Et pour ajouter aux malheurs des Japonais, il y a l'Asashimo, ce destroyer de 2 500 tonnes qui, avant-même l'appareillage, souffrait déjà d'insondables problèmes de machines, lesquels n'ont  fait que s'aggraver avec les heures, au point de finalement le contraindre à rompre la formation et à ne plus progresser qu'à allure réduite, tout en traînant un impressionnant panache de fumée.

Une proie parfaite pour des bombardiers-torpilleurs ou un sous-marin ennemi en maraude...

Et l'ennemi est là ! Peu après 11h00, les radaristes du Yamato repèrent en effet une imposante formation aérienne en progression vers le nord, par le 180, ce que confirme, quelques minutes plus tard, le décodage d'un message radio provenant de la petite île de Kikaigashima (1), où des guetteurs affirment avoir aperçu au moins 250 avions américains venant du sud-ouest.

Bientôt, les vigies aperçoivent un nuage noir qui, de loin, pourrait passer pour un monstrueux essaim d'abeilles, mais qui abrite en réalité un, cinq, dix et au bout du compte des dizaines et des dizaines de chasseurs et de bombardiers-torpilleurs !

Vers 11h30, la voix du commandant Ariga résonne dans les haut-parleurs

"Préparez-vous à repousser une attaque aérienne. La bataille décisive a commencé"

Il ne croit pas si bien dire...

(1) au nord d'Okinawa

mercredi 9 décembre 2015

4650 - le choc des titans n'aura pas lieu

Le Martin Mariner : un des derniers grands hydravions à coque
... Yamato, 10h14

N'en déplaise aux romantiques, il n'y aura donc pas d'ultime "choc des titans", mais bien un désormais banal et fort peu chevaleresque affrontement entre un super-cuirassé depuis longtemps condamné par l'Histoire et une meute de plusieurs centaines d'avions... depuis longtemps occupés à la faire !

Chez les Japonais, qui depuis leur rencontre avec les Hellcat de reconnaissance, multiplient les manœuvres évasives et font mine de prendre la route de Sasebo, on aimerait sans doute que les Américains versent dans la nostalgie des combats surannés ce qui, à défaut de victoire, offrirait au moins au Yamato l'occasion d'utiliser ses énormes canons de 460mm sur autre chose que des avions en duralumin et des destroyers en fer blanc, mais si l'amiral Deyo a bel et bien commencé à mettre sa propre flotte de cuirassés en ordre de bataille, c'est uniquement "au cas où" et sans trop y croire lui-même.

De fait, à 10h14, ce sont de nouveaux avions américains qui apparaissent, en l’occurrence deux gros hydravions Martin Mariner, certes bien moins rapides et agiles que les petits Hellcat mais qui, à la différence de ces derniers, emportent assez de carburant pour tenir l'air - et donc suivre la flotte japonaise - toute la journée, ce qui leur est d'autant plus facile que les chasseurs japonais, eux, ont disparu... faute de carburant.

Alors, une fois de plus, le Yamato fait tonner ses obus spéciaux Sanshiki qui, une fois de plus, illuminent le ciel d'un festival pyrotechnique du plus bel effet... mais sans influence sur les Mariner, qui se contentent de chercher tranquillement refuge dans les nuages - les tirs japonais ne sont pas guidés par radar - puis d'en émerger de temps à autres, pour transmettre position, cap et vitesse...

mardi 8 décembre 2015

4649 - "Vous le prenez !"

Vought "Corsair", au décollage du Bunker Hill, printemps 1945
... car dans l'après-midi du 20 juin 1944, lors ce que l'Histoire allait retenir sous le nom de "Tir aux pigeons des Mariannes", Mitscher avait lancé ses chasseurs et bombardiers-torpilleurs à l'attaque de la flotte japonaise, à plus de deux heures de vol vers le nord : une décision risquée, qui s'était certes traduite par une victoire, mais aussi par la perte de plus de 80 appareils, victimes non pas de la chasse ou des canons antiaériens japonais, mais bien de la panne sèche et de la difficulté de retrouver les porte-avions dans la nuit.

Pour ne pas revivre pareille expérience, Mitscher ordonne donc de ne faire décoller les vagues d'assaut qu'à 10h00, laissant ainsi à ses porte-avions quelque 90 minutes supplémentaires pour se rapprocher du super-cuirassé japonais, distant de quelque 400 kms.

A 09h45, les ponts commencent à rugir du bruit des moteurs que l'on démarre les uns après les autres, dans un ballet qui, pour l'observateur non averti, confine au chaos mais s'avère en fait remarquablement bien réglé, parce que répété des centaines de fois depuis le début de cette guerre.

"Pilotes à vos appareils !", crient les haut-parleurs, et bientôt les dits appareils, chargés de bombes, de roquettes ou de torpilles, s'élancent vers le ciel dans un bruit d'enfer.

Et lorsque le dernier d'entre-eux décolle du Yorktown, 438 autres (!) sont déjà en vol,... plus que n'en avaient mobilisé les Japonais pour l'attaque contre Pearl Harbor, trois ans et demi plus tôt !

Et ce n'est qu'à ce moment précis que Mitscher avise enfin Spruance de ses intentions : "Je me propose d'attaquer le groupe Yamato à 12h00 sauf ordre contraire", câble-t-il par radio. "Vous le prenez ou je le prends ?"

La réponse de Spruance tombe quelques minutes plus tard, et tient en trois mots

"Vous le prenez !"

Les jeux sont faits...

lundi 7 décembre 2015

4648 - au 240

Le Bunker Hill. Depuis des mois, les Japonais n'avaient plus rien de semblable
... Bunker Hill, 7 avril 1945, 08h23

Au même moment, mais à plusieurs centaines de kms au sud, les porte-avions américains sont montés à 30 nœuds face au vent afin de lancer quelques dizaines de Grumman Hellcat porteurs de réservoirs supplémentaires et chargés de débusquer le Yamato en quelque endroit qu'il se trouve.

La portée pratique des radios de bord ne dépassant guère les 100 kms, quatre Vought Corsair vont s'échelonner tout au long de leur parcours et, d'appareil en appareil, relayer leurs messages jusqu'au Bunker HillMitscher, fidèle à ses habitudes, est déjà levé et occupé à griller cigarette sur cigarette.

Pour ces quatre pilotes débutants, qui rêvaient tout naturellement d'action et de combats glorieux, la tâche est ingrate et, dans quelques heures, va même s'avérer tragique puisque, ayant gravement sous-estimé l'influence des vents dominants sur leur consommation d'essence, ces quatre hommes vont tomber en panne sèche, et s'abîmer en mer (1)

A 08h15, un premier message parvient enfin sur la passerelle du Bunker Hill : une section de Hellcat a repéré le Yamato et plusieurs autres bâtiments faisant route au cap 300

Vers Sasebo ????

Mitscher est dubitatif, et à raison puisqu'à 08h23 un nouveau message vient rectifier le premier : les Japonais font en réalité route au 240, autrement dit, et comme prévu, vers Okinawa

Reste que le super-cuirassé est encore bien trop loin pour qu'on puisse lancer une attaque en laissant aux bombardiers-torpilleurs une chance raisonnable de rentrer à bord sans risquer la panne sèche.

L'affaire du 20 juin 1944 est encore dans toutes les mémoires, et particulièrement dans celle de Marc Mitscher...

(1) trois d'entre eux seront néanmoins secourus par des sous-marins, le quatrième ne sera jamais retrouvé

dimanche 6 décembre 2015

4647 - quand rien ne va...

Mitscher et son chef d'État-major, sur le Bunker Hill, février 1945
... aérodrome de Kanoya, 7 avril 1945, 04h30

Repassons à présent dans le camp japonais, et sur l'aérodrome de Kanoya, où chacun s'est réveillé peu avant l'aube avec un tout autre problème.

La pluie

Car cette pluie qui tombe dru, ces nuages lourds et ce plafond bas que bénissent en ce moment-même les marins du Yamato, tout cela représente un défi insurmontable pour les aviateurs... ou plus exactement pour les jeunes kamikazes qui, sachant à peine décoller et voler en ligne droite, auraient toutes les chances, s'ils prenaient l'air en ce moment et dans ces conditions, de se perdre en route et de ne jamais réussir à rallier Okinawa !

Pilotes et avions kamikazes sont "consommables", certes, mais ils sont tout de même trop rares et trop précieux pour être ainsi... "consommés" en pure perte, ce pourquoi les responsables nippons, la mort dans l'âme, n'ont d'autre choix que d'annuler tous les vols prévus, ou du moins de les retarder jusqu'à ce que la météo s'améliore.

Parfaitement justifiée d'un point de vue militaire, cette décision va cependant avoir pour effet de priver le Yamato d'un soutien précieux puisque, n'ayant aucune attaque kamikaze à repousser au-dessus d'Okinawa ou de ses propres porte-avions, Mitscher va nécessairement avoir le champ libre pour lancer tous les appareils qu'il veut en direction du super-cuirassé !

Quand rien ne va...

samedi 5 décembre 2015

4646 - de l'art d'obéir aux ordres sans les respecter

Le Bunker Hill, le Cowpens et l'Essex, en février 1945
... mais en cette nuit du 6 au 7 avril 1945, Mitscher se trouve confronté à un singulier problème : comment obéir aux ordres... sans les respecter !

D'un point de vue formel, Spruance a en effet décidé de confier le sort du Yamato à la dizaine de vieux cuirassés de l'amiral Deyo, et ordonné à Mitscher de continuer à assurer sa mission actuelle, soit la couverture aérienne d'Okinawa.

Cependant, Spruance n'a pas non plus formellement interdit aux appareils de la Fast Carrier Task Force de s'intéresser au Yamato : dans son esprit, les porte-avions de Mitscher sont tout simplement trop loin de la position présumée du super-cuirassé japonais pour être en mesure de s'en prendre à lui.

Pour Mitscher, tout le défi en cet instant consiste donc à se rapprocher du Yamato autant que possible, puis à l'attaquer sans compromettre pour autant la sécurité des troupes et des navires engagés à Okinawa.

Heureusement pour lui, Mitscher dispose de moyens importants, soit douze porte-avions et près d'un millier d'appareils immédiatement disponibles (!), soit bien assez pour mener ces deux opérations en même temps,... surtout si l'on considère la demi-douzaine de porte-avions lourds et légers de la British Carrier Force, ou encore la vingtaine de porte-avions d'escorte spécialement dédiés à la protection des opérations de débarquement !

Reste que les appareils que l'on engagera contre le Yamato devront tout de même opérer à la limite de leur rayon d'action, et en ne disposant que d'une quinzaine de minutes d'autonomie sur zone.

Reste aussi que personne au sein de l'État-major de Mitscher ne connaît les véritables intentions des Japonais, ni la position exacte qu'ils occuperont le lendemain matin.

Reste enfin que Spruance devra être tenu dans l'ignorance totale de ce que l'on se prépare à faire, et ce au moins jusqu'au décollage des avions !

vendredi 4 décembre 2015

4645 - sur la passerelle du Bunker Hill

Marc Mitscher, en 1916. Il fut l'un des premiers aviateurs de l'US Navy
... USS Bunker Hill, 06 avril 1945, 23h30

Car sur la passerelle du porte-avions Bunker Hill, Marc Mitscher n'entend certes pas laisser les "vieux pots" de l'amiral Deyo lui ravir le Yamato, et sa part de gloire !

A 58 ans, Mitscher est sans conteste l'amiral le plus atypique de la Navy puisque, contrairement à King, à Nimitz, à Halsey, à Spruance et à tant d'autres, qui ne sont venus aux porte-avions que par raison et uniquement après la perte de leurs précieux cuirassés à Pearl Harbor, Mitscher, lui, est un authentique pionnier de l'Aéronavale, et même un des tous premiers pilotes de l'US Navy, breveté en 1916 !

Et même s'il ne vole plus depuis longtemps que derrière une passerelle, c'est toujours celle d'un porte-avions, dont il n'a d'ailleurs cessé de défendre la cause tout au long des année 1920 et 1930, soit à une époque où personne ou presque ne leur prêtait le moindre intérêt, si ce n'est peut-être comme auxiliaires et éclaireurs... des flottes cuirassées !

Nommé commandant du Hornet peu avant la guerre, Mitscher a joué un rôle essentiel lors de la Bataille de Midway, mais il est surtout connu pour être celui qui a convaincu Halsey qu'il était techniquement possible de faire décoller des bimoteurs B-25 du pont d'un porte-avions, et de les utiliser ensuite pour s'en aller bombarder Tokyo.

A partir de janvier 1944, en tant que chef de la Fast Carrier Task Force nouvellement créée, et qu'il a pour ainsi dire conçue et portée sur les fonts baptismaux, Mitscher a poursuivi son œuvre vengeresse, balayant avec ses porte-avions toute opposition japonaise d'un bord à l'autre du Pacifique, et n'hésitant pas au passage à enfreindre toutes les règles, comme lors de cette fameuse nuit du 20 juin 1944 où, au mépris des règlements, et de la simple prudence, il a ordonné qu'on éclaire les ponts des porte-avions et qu'on allume tous les projecteurs, afin de guider et de faciliter le retour des appareils qui venaient d'écraser la flotte japonaise au-dessus des Mariannes...

jeudi 3 décembre 2015

4644 - le guerrier tranquille

Raymond Spruance : "le guerrier tranquille"
... et justement, passons dans le camp américain, où l'annonce de l'appareillage du Yamato a provoqué une étonnante réaction chez le commandant-en-chef de la 5ème Flotte, l'amiral Raymond Spruance

Surnommé "le guerrier tranquille" en raison de son calme qui tranche si singulièrement avec  celui du bouillant Halsey, Spruance est un homme que rien ne semble émouvoir.

Pourtant, peu avant minuit, il n'en a pas moins surpris tout son état-major en décidant de barrer la route du cuirassé japonais non pas avec les porte-avions de la Task Force 58 de l'amiral Marc Mitscher, mais bien... avec les vieux cuirassés du contre-amiral Morton Deyo.

Aujourd'hui encore, on se perd en conjectures sur la véritable raison de ce choix : pour certains, Spruance a simplement estimé que compte tenu des positions respectives du Yamato et de la Task Force 58, cette dernière ne se trouverait pas dans une position suffisamment favorable pour lancer une attaque; pour d'autres, l'amiral, en tant qu'ex-commandant de cuirassés et de croiseurs, a plutôt voulu offrir aux cuirassés de l'US Navy - et en particulier aux rescapés de Pearl Harbor - l'occasion d'une ultime - et glorieuse - bataille rangée avant leur inévitable départ vers le parc à ferrailles.

Individuellement, aucun des vieux bâtiments de Deyo - dont les plus anciens, les Texas et New-York, ont été mis en service en 1914, et le plus récent, le Colorado, en 1923 (!) - n'est évidemment en mesure de tenir tête au Yamato, mais à dix contre un (1), l'affaire paraît en tout cas sans risque, et même justifiée d'un point de vue militaire puisque, suite à l'inexplicable passivité des défenseurs d'Okinawa, ces cuirassés, prévus pour le soutien des opérations de débarquement, n'ont jusqu'ici pas eu grand-chose à se mettre sous les canons.

Le problème, c'est que Mitscher, lui, n'entend pas demeurer dans l'ombre...

(1) cuirassés Texas, Maryland, Arkansas,. Colorado, Tennessee, Nevada, Idaho, West Virginia, New Mexico et New-York. Mayo peut également compter sur une douzaine de croiseurs lourds et légers, et une trentaine de destroyers

mercredi 2 décembre 2015

4643 - "Personne ne coulera jamais le Yamato !"

Ciel gris, plafond bas, crachins intermittents : le Yamato en route vers son destin
... 07 avril 1945, 06h00

Ciel gris, plafond bas, crachins intermittents : c'est une aube blafarde - mais idéale car de nature à dissimuler la flotte aux yeux des aviateurs américains - qui se lève sur le Yamato en ce 7 avril 1945.

Et alors que plusieurs centaines de marins font déjà leurs exercices matinaux et réglementaires sur le pont, et que d'autre savourent ce qui s’avérera leur dernier petit-déjeuner de la guerre, la voix crachotante des haut-parleurs se fait soudain entendre : selon un communiqué officiel de la Flotte combinée, "au moins quatre porte-avions américains" ont été "gravement endommagés" lors des attaques kamikazes du jour précédent, en sorte que la flottille ne devrait rencontrer qu'une opposition aérienne "considérablement amoindrie"

A la guerre plus qu'en toute autre circonstance, l'être humain se nourrit d'espoir, et les marins du super-cuirassé n'y font pas exception, eux qui, quelques minutes plus tard, voient du reste apparaître non pas les bombardiers-torpilleurs américains tant redoutés, mais bien une demi-douzaine de chasseurs Zero aussitôt salués par de retentissants Banzaï, et qui se veulent la preuve qu'on ne les a pas encore abandonnés en haut lieu.

Beaucoup, à commencer bien sûr par les plus jeunes, se reprennent même à espérer.

"Personne ne coulera jamais le Yamato !" entend-on

Les Américains, pourtant, sont tout prêts...

mardi 1 décembre 2015

4642 - déjà repérés !

Dans le Canal de Bungo, le Yamato fut vite repéré par les sous-marins américains
... et de fait, les sous-marins américains sont à moins de 20 kms !

Depuis des heures, avertis par Pearl Harbor du possible appareillage du super-cuirassé japonais, pas moins d'une quinzaine (!) d'entre eux rôdent en effet dans les parages du Canal de Bungo

Mais malgré tous leurs efforts, ni le Threadfin ni, plus tard, le Hackleback, ne réussissent à se placer en position d'attaque face à cette flottille japonaise qui marche à 25 nœuds dans la nuit, et ne cesse de multiplier les zigzags.

Qu'importe : la guerre est un travail d'équipe, et celui des deux sous-marins américains est déjà accompli - Nimitz (à Guam), ainsi que Spruance et Mitscher (à Okinawa) savent désormais que le Yamato et plusieurs autres bâtiments ont quitté la Mer intérieure, vraisemblablement pour s'en prendre aux forces de débarquement à Okinawa.

Le dernier espoir de l'Amiral Ito vient donc de s'évanouir : les Américains sont prévenus et sur leurs gardes, et ils ne vont certes pas manquer, dès les premières heures de la matinée, d'expédier en travers de la route du Yamato tous les avions mais aussi tous les cuirassés dont ils disposent !

A peine débutée, Ten-gō Sakusen est donc un échec de plus pour la Marine impériale et son État-major qui, en toute logique militaire, devrait maintenant jeter l'éponge et battre le rappel de ses bâtiments avant qu'ils ne meurent pour rien et fort loin de leur objectif...