lundi 30 novembre 2015

4641 - à deux conditions...

Le Threadfin - ici à l'automne 1945 - fut le premier à repérer le Yamato
... Canal de Bungo, 06 avril 1945, 20h00

Ten-gō Sakusen est une mission-suicide, dont le Yamato n'a pas la moindre chance de sortir vainqueur face à la gigantesque armada mobilisée devant Okinawa.

Mais c'est une mission que l'État-major japonais espère en tout cas voir menée à son terme, c-à-d sans que le super-cuirassé ne soit coulé par l'Aéronavale américaine bien avant d'arriver au large de l'île, ce qui, en pratique, implique d'abord que la dite Aéronavale se retrouve affaiblie par les kamikazes, et ensuite, et surtout, que le Yamato lui-même ne soit pas repéré dès le début de sa traversée.

Or déjà, la première condition n'est pas remplie : les porte-avions de l'US Navy, qui constituaient pourtant l'objectif prioritaire de l'attaque du 6 avril, n'ont en effet même pas été touchés,... n'en déplaise aux revendications des aviateurs et aux déclarations de la Rose de Tokyo.

Et la seconde condition n'a pas davantage de chances d'être satisfaite, puisque photographiée par un B-29 de reconnaissance avant-même son appareillage, la flottille japonaise est maintenant repérée en début de soirée par deux sous-marins américains en maraude, alors qu'elle entonne le Canal de Bungo, comme l'avaient déduit les analystes de la Navy.

Suspectée depuis plusieurs heures, la présence de submersibles ennemis est officialisée vers 20h00, lorsque les opérateurs radio du Yamato interceptent un message américain - celui du USS Threadfin -  impossible à déchiffrer mais à l'évidence émis à proximité immédiate de la flottille...

dimanche 29 novembre 2015

4640 - "Avant lente"

15h24, 06 avril 1945 : le Yamato a levé l'ancre pour son dernier voyage...
... Tokuyama, 06 avril 1945, 15h24

Si le Yamato charge de précieuses tonnes de mazout supplémentaires, il débarque aussi les cadets, les malades et plus généralement tous ceux qui, dans quelques heures, et au cœur de la bataille, seront bien plus un fardeau qu'un atout.

Mais même s'ils savent qu'ils vont ainsi échapper à la mort, les élus ne manifestent pourtant aucun entrain à l'idée de quitter le navire, et le désespoir est même particulièrement grand chez les cadets, qui "voudraient bien en être" et supplient en vain les officiers de les laisser partir avec eux...

A 10h00, c'est pourtant un tout autre événement qui retient l'attention de chacun : l'inévitable B-29 de reconnaissance américain qui, à 10 000 mètres d'altitude, vole trop haut et trop vite pour que la chasse japonaise, elle-même à court de carburant, soit en mesure de l'intercepter.

Sans être inquiété, le grand quadrimoteur multiplie donc les photos de cette flottille japonaise occupée à se ravitailler, puis reprend tranquillement le chemin de Tinian...

Sur la passerelle du Yamato, chacun devine que les analystes américains vont bientôt s'en donner à coeur-joie. 

Mais qu'y faire ?

A 15h18, les pleins terminés, les derniers préparatifs réglés, et les ultimes lettres d'adieu écrites, l'immense ancre du Yamato - 12 tonnes - émerge progressivement des eaux sales de la rade.

"Avant lente".

Il est 15h24

samedi 28 novembre 2015

4639 - une fausse "grande victoire"

Écolières saluant le départ des héros kamikazes, 12 avril 1945
... Kanoya, 06 avril 1945, 13h30. 

A 13h30, sous les Banzaï de l'assistance, et après un ultime saké, les premiers kamikazes décollent maladroitement vers Okinawa 

Depuis des jours, et encore au moment du départ, on leur a répété de se concentrer uniquement sur les porte-avions, seuls navires véritablement vitaux pour l'effort de guerre américain.

Mais en pratique, du haut des airs, et dans le feu de l'action, ces adolescents inexpérimentés ont bien du mal à distinguer un porte-avions d'un simple cargo et, parce qu'ils craignent non pas de mourir mais bien de mourir en vain, c-à-d d'être abattus avant d'avoir pu remplir leur mission, ils ont tendance à se précipiter vers le premier navire qu'ils aperçoivent, lequel n'est souvent qu'un destroyer ou un encore plus modeste dragueur de mines.

Le destroyer Morris, après l'attaque kamikaze du 6 avril
L'un dans l'autre, cette première attaque massive des kamikazes - qui est aussi la plus importante de la guerre - est donc bien loin de provoquer les dégâts espérés, puisque seuls trois destroyers, deux cargos et un petit navire de débarquement sont envoyés par le fond, soit fort peu de choses en regard de la formidable armada dont disposent les Américains, mais aussi  des pertes subies par les Japonais eux-mêmes, puisqu'en plus de la quasi-totalité des 230 avions kamikazes engagés (1), ces derniers déplorent également la disparition des deux-tiers des quelque 170 chasseurs d'escorte et bombardiers conventionnels qui ont décollé en même temps qu'eux !

Un bilan pitoyable donc, mais un bilan qui n'empêche pourtant pas Radio-Tokyo de parler le soir-même d'une "grande victoire", dont "l'ennemi ne pourra jamais se relever" (sic) puisque ayant perdu dans l'aventure pas moins de "deux cuirassés, trois croiseurs et cinquante-sept plus petits bâtiments", et vu "soixante-et-un autres bâtiments, dont cinq porte-avions, gravement endommagés" !

(1) ne parvenant pas à trouver le moindre objectif, quelques kamikazes ont préféré faire demi-tour et revenir se poser à leur base mais d'autres se sont, inutilement, abîmés en mer

vendredi 27 novembre 2015

4638 - la Rose de Tokyo

Iva Toguri D'Aquino, la plus célèbre Rose de Tokyo, septembre 1945
... aérodrome de Kanoya, 06 avril 1945, 10h00

A Kanoya, et sur tous les aérodromes du Kyushu constamment pilonnés par l'aviation américaine, les mécaniciens se dépêchent quant à eux de sortir les avions de leurs abris et de les préparer pour le vol de l'après-midi, un vol sans retour impliquant une soixantaine d'avions-suicides dont chacun est convaincu, ou cherche du moins à se convaincre, qu'ils infligeront un coup décisif à l'armada américaine occupée à assiéger Okinawa.

En tout, plus de 300 kamikazes ont été prévus pour ce raid et pour celui du lendemain, 7 avril, et des milliers d'autres tenus en réserve pour les jours et mois à venir !

Pour la plupart largement périmés, et menés par des adolescents à peine capables de décoller et de voler en ligne droite, ces appareils sont autant de proies faciles pour la chasse américaine, ce pourquoi a-t-on prévu de les faire escorter par des pilotes expérimentés.

Non "sacrifiables", et disposant par ailleurs de machines plus récentes et en bien meilleur état, ces derniers se chargeront de "distraire" les Américains et - s'ils y survivent ! - rapporteront de précieux renseignements sur l'efficacité des attaques.

Car c'est bien là que le bât blesse ! Par aveuglement idéologique, mais aussi faute d'informations fiables, le haut-commandement surévalue en effet très largement le résultat des actions kamikazes ce qui, en retour, l'incite à en lancer davantage.

Pour les responsables nippons, les kamikazes sèment nécessairement la terreur chez l'adversaire, et du reste, chaque jour, Iva Toguri D'Aquino, la plus célèbre des Rose de Tokyo, prédit rien moins que l'Apocalypse aux fantassins, marins et aviateurs américains.

"Vous ne savez pas dans quoi vous vous êtes fourrés, les gars. Vous feriez mieux de dire adieu à votre mère. Vous ne la reverrez plus"

Le problème, c'est que les Américains sont bien plus effarés que réellement terrorisés...

jeudi 26 novembre 2015

4637 - la réserve secrète

A la fin de la guerre, le ravitaillement du Yamato était devenu mission impossible
... lentement, imperceptiblement, la sacro-sainte discipline japonaise est en train de se fissurer sous les effets de cette guerre, car après la réaction rageuse du Chef des Approvisionnements de Kure, ce sont à présent les responsables du dépôt de carburant de Tokuyama qui se surprennent à désobéir aux ordres, en recourant à un ingénieux subterfuge.

Construits chacun sur un socle concave en béton, les immenses réservoirs, en ce compris ceux officiellement vides, contiennent en effet une "réserve secrète", non comptabilisée, d'environ 200 tonnes de mazout.

Inaccessible de façon conventionnelle, puisque situé en dessous des vannes de régulation, ce mazout peut en revanche être extrait au moyen de pompes à main, et par des ouvriers suffisamment courageux pour descendre au fond des cuves avec un appareil respiratoire.

Ainsi, lorsque le Yamato et son escorte se présentent devant le dépôt, peu après l'aube, ce sont pas moins de 8 000 tonnes - quatre fois plus qu'ordonné ! - qui se retrouvent bientôt déversées dans leurs réservoirs.

A lui seul, le super-cuirassé en reçoit environ 3 000 tonnes, le croiseur Yahagi et les destroyers se partageant le reste. 

Ce n'est guère : à leur vitesse maximale - qu'ils devront forcément adopter une fois repérés par les forces américaines - ces bâtiments, et en particulier les destroyers, vont siphonner leurs réservoirs à une allure vertigineuse, mais c'est tout de même mieux que rien, et c'est surtout un geste de pitié envers ces officiers et marins que l'on sait condamnés à mourir...

mercredi 25 novembre 2015

4636 - "La Gloire, mon cul !"

L'opulence américaine : les Wisconsin et Missouri, ravitaillés devant Okinawa...
... Tokuyama, 6 avril 1945. 02h00

Avant-guerre, c'était le plus grand dépôt de carburant de la Marine impériale, avec ses dizaines de cuves capables d'accueillir plus de trois millions de tonnes de mazout.

Mais aujourd'hui, les cuves sont vides, et les registres du dépôt de Tokuyama n'indiquent pas plus de quinze mille tonnes, soit le tiers de tout ce qui reste au Japon après ces quatre années de guerre, et ... moins que ce que consomme en vingt-quatre heures la gigantesque armada américaine actuellement occupée à croiser au large d'Okinawa !

On peut dès lors facilement imaginer la stupéfaction des responsables du dépôt en recevant, sur le coup de 02h00, un appel téléphonique du Chef des Approvisionnements de Kure les avisant de l'arrivée prochaine d'une "force d'attaque spéciale", comprenant le Yamato et quelques autres bâtiments, à qui il faudra fournir "2 000 tonnes de carburant pour se rendre jusqu'à Okinawa"

Quelle folie ! A eux seuls, les réservoirs du Yamato ont une capacité de 6 300 tonnes ! et si 2 000 tonnes permettraient assurément au super-cuirassé et aux navires qui l'accompagnent de rallier l'île, elles ne leur offriraient en revanche pas la possibilité d'évoluer à pleine vitesse en cas d'attaque américaine !

Et le Chef des Approvisionnements est d'autant plus au courant du problème qu'il s'en est lui-même ouvert auprès du quartier-général de la Flotte Combinée, où on lui a répondu que c'était "pour la gloire de la Marine impériale"

"La Gloire, mon cul !" s'est-il exclamé après avoir raccroché rageusement

mardi 24 novembre 2015

4635 - "Que le Yamato frappe l'ennemi comme un kamikaze !"

Ultime harangue sur la plage avant du Yamato (reconstitution)
... pendant ce temps-là, à Mitajiri, le capitaine Ariga a rassemblé tous ses hommes sur la plage avant du Yamato, afin de les informer de la situation et de l'importance de la mission qui les attend

"Que le Yamato frappe l'ennemi comme un kamikaze !" s'exclame-t-il après leur avoir lu le message de l'amiral Toyoda

Et que ce soit par conviction sincère ou pur conformisme, tout l'équipage de crier trois fois Banzai avant d'entonner le Kimigayo, l'hymne national japonais, qui est aussi un serment de fidélité à l'empereur-dieu, dont on souhaite que le règne dure mille ans.

Cette importante tâche patriotique accomplie, chacun de préparer le navire à l'appareillage. Une préparation qui, cette fois, comporte une étrange mais finalement fort logique singularité, puisqu'il s'agit de se débarrasser, et même de jeter par dessus-bord, tous les éléments inflammables mais non essentiels, c-à-d non seulement le mobilier et les fournitures en bois - dont les navires de guerre japonais ont toujours été abondamment pourvus -  mais aussi les hydravions, les embarcations et même les livres.

Dans les coursives et les cabines, certains revêtent leur plus bel uniforme, d'autres écrivent une ultime lettre à leurs proches, d'autres cherchent un réconfort dans l'alcool, et d'autres encore tiennent des paris sur les chances d'arriver jusqu'à Okinawa,...ou sur le nombre de torpilles que le super-cuirassé est capable d'encaisser avant de rendre les armes.

"Le Musashi en a étalé dix-neuf avant de couler !" dit celui-ci. "Mais c'était sur les deux bords", réplique celui-là, "sur un seul bord, il suffirait d'une dizaine pour nous envoyer par le fond..."

lundi 23 novembre 2015

4634 - deviner les intentions de l'ennemi

Un message crypté japonais
... mais si le message de la Flotte combinée n'a suscité que le dédain à Okinawa, il a en revanche provoqué l'émoi à Honolulu, et plus précisément à Makapala Hill, où les analystes travaillent 24 heures sur 24 à décrypter les codes japonais.

Et dans ce domaine aussi, les États-Unis disposent d'une avance considérable sur leur adversaire, et même d'une avance acquise bien avant la guerre, puisqu'en 1922 déjà, ils étaient parvenus à "casser" le code utilisé par Tokyo pour communiquer avec ses délégués présents à Washington (1) pour y négocier le Traité de désarmement naval !

De toute manière, et en dépit de tous les efforts déployés par la Marine impériale, la présence du Yamato à Mitajiri n'est pas passée inaperçue aux yeux des appareils de reconnaissance qui évoluent désormais impunément dans le ciel nippon : à l'évidence, les derniers bâtiments japonais se préparent à une sortie.

Et comme le Détroit de Shimonoseki (2), par ailleurs semé de mines, paraît trop peu profond pour un navire de la taille du Yamato, les analystes d'en conclure que ce dernier, s'il se décide à sortir, passera inévitablement par le Canal de Bungo, entre le Kyushu et le Shikoku.

Ne reste plus, après avoir donné l'alerte à toute la flotte et en particulier aux escadres de l'amiral Spruance croisant au large d'Okinawa, qu'à poster quelques sous-marins par le travers du dit détroit, puis à attendre qu'ils confirment - ou non - l'arrivée du monstre...

(1) ce décryptage avait offert un avantage considérable à la délégation américaine qui, tout au long des travaux de la Conférence, avait ainsi pu déterminer ce que le gouvernement japonais serait ou non disposé à accepter
(2) régulièrement envasé, ce détroit, également appelé Détroit de Kunmon, sépare le Honshu du Kyushu


dimanche 22 novembre 2015

4633 - ... et pour la Gloire

Mitsuru Ushijima, dernier commandant d'Okinawa
... pour que Ten-gō Sakusen ait au moins un relatif intérêt militaire, l'amiral Toyoda a prévu de faire coïncider l'arrivée du Yamato à Okinawa avec le lancement de plusieurs centaines d'avions-suicides, mais aussi avec une vaste contre-offensive menée par les défenseurs de l'île qui, comme nous l'avons vu, se sont soustraits aux regards américains depuis le 1er avril.

Mais encore faudrait-il que le chef de ces derniers, le général Mitsuru Ushijima, soit averti de la chose et, surtout, qu'il se décide à lancer sa contre-attaque à l'arrivée du super-cuirassé.

Or, si Ushijima reçoit bien, dans la nuit du 5 avril, un message l'avisant du prochain départ du Yamato et des ultimes survivants de la Marine impériale, il ne s'en montre guère impressionné, et jette même dédaigneusement le télégramme sur le sol.

Pour lui, la Flotte Combinée a complètement perdu la tête en cette affaire, et l'amiral Toyoda ferait bien mieux de penser à autre chose !

Quant à la contre-attaque, Ushijima n'a de toute manière pas l'intention de la lancer avant le 14 avril, ce pourquoi dicte-t-il une réplique cinglante, dans laquelle il détaille ses objections et appelle à l'annulation immédiate de Ten-gō Sakusen.

Mais cette réplique, pour des raisons qui aujourd'hui encore restent un mystère, ne parvient pas à l'État-major de la Flotte combinée, lequel maintient donc une opération qui vient pourtant de perdre sa - faible - valeur militaire.

Le Yamato et son équipage vont donc mourir pour rien si ce n'est, peut-être, pour la Gloire...

samedi 21 novembre 2015

4632 - "Nous ferons le maximum pour que cette opération soit un succès"

"Nous ferons le maximum pour que cette opération soit un succès" - K. Ariga
... ce rappel de la carrière il est vrai jusqu'ici fort peu glorieuse du Yamato, et en particulier de son lamentable échec de Leyte face à une poignée de porte-avions d'escorte et de destroyers en fer blanc, a évidemment pour effet d'ulcérer les officiers du super-cuirassé qui, pour un peu, en viendraient bien aux coups !

Les invectives fusent de tous côtés : de toute son histoire, jamais la Marine impériale n'a été aussi proche de la mutinerie !

Mais comme l'a si bien fait remarquer Kusaka, "les ordres sont les ordres", et l'assentiment impérial de ceux-ci ne peut, au final, qu'emporter la décision.

"Messieurs, nous nous voyons offrir la chance de mourir. Je n'ai aucun regret et m'en vais de mon plein gré", souligne l'amiral Ito.  

"Vous pourrez dire à la Flotte Combinée que nous ferons le maximum pour que cette opération soit un succès" (1) renchérit Kosaku Ariga, commandant du Yamato.

Les jeux sont faits : contre toute logique militaire, et contre l'avis de leurs officiers, le Yamato, et tous les navires encore capables de prendre la mer, vont appareiller vers Okinawa...


(1) Russel Spurr, op cit, page 113

vendredi 20 novembre 2015

4631 - "Les ordres sont les ordres, que vous les aimiez ou pas !"


L'amiral Ryünosuke Kusaka
... et cette présence du vice-amiral Kusaka, tout spécialement venu de Kanoya par hydravion, n'est certes pas inutile car, à commencer par l'amiral Ito lui-même, les officiers supérieurs du Yamato ne font pas mystère de leurs réticences face à ce plan, qu'ils considèrent comme un bien inutile gaspillage de bâtiments, de carburant, et de vies humaines.

"Vous réalisez", souligne Ito, "que cela va nous contraindre à naviguer près d'une dizaine d'heures en plein jour. L'expérience aux Philippines nous a [pourtant] montré que les navires de surface ont peu de chances face aux appareils de porte-avions. Vous vous rappelez ce qui est arrivé au Musashi ? Nous pourrons donc compter sur une couverture aérienne adéquate ?"

Kusaka, qui en vérité a bien peu à offrir si ce n'est la vague promesse que les escadrilles d'avions kamikazes auront, d'ici-là, sérieusement entamé le potentiel aéronaval américain, ne s'attendait pas à pareil accueil !

En se rendant à Mitajiri, il s'attendait certes à rencontrer quelques difficultés, mais en aucune manière une rébellion ouverte, qui constitue assurément une première au sein de la Marine impériale japonaise !

Ne sachant déjà pas quoi répondre à Ito qui lui demande ce qu'il conviendra de faire si les bâtiments se retrouvent gravement endommagés avant-même d'atteindre Okinawa, Kusaka finit par s'emporter face à Nobii Morishita, chef d'État-major de la Seconde Flotte, qui ne cesse d'énumérer des objections aussi pratiques que le manque de mazout, ou l'absence de prévisions météo (!)

"Les ordres sont les ordres, que vous les aimiez ou pas !", s'exclame-t-il, avant d'ajouter, non sans maladresse, "Je pense qu'il est nécessaire que vous compreniez que la réputation du Yamato prête à la critique. La seule action de ce navire a été un échec, et certains se demandent s'il n'est pas devenu un hôtel confortable pour amiraux désœuvrés" (1)

(1)  Russel Spurr, op cit, pages 108-109

jeudi 19 novembre 2015

4630 - Pour l'Honneur...

Le Yamato, au mouillage
... Mitajiri, 05 avril 1945

Conçue par obligation, à la va-vite, et pour ainsi dire sur le coin d'une table, Ten-gō Sakusen n'est pas une véritable opération militaire, mais plutôt une mission de sacrifice, une mission "pour l'Honneur", celui du Japon et de la Marine impériale,... ou du moins de l'idée que l'on s'en fait.

Son concepteur, l'amiral Toyoda ne se fait du reste aucune illusion quant à sa réussite,... ni d'ailleurs sur les sentiments de celui qui va devoir se charger de la mettre en œuvre, et donc de partir vers la mort : l'amiral Ito qui, néanmoins, ne manifeste aucune réaction particulière en recevant ses ordres... et leur implacable conclusion.

"(...) en compagnie de tous les navires d'escorte disponibles, le Yamato quittera la Mer Intérieure (1) le 6 avril à 15h00 et attaquera la flotte d'invasion ennemie à Okinawa", souligne le message. "Le combat devrait débuter avant l'aube du 8 avril. Le carburant est disponible seulement pour l'aller. Ceci est une opération Tokko" (2)

Faute de carburant en suffisance, il n'y aura donc aucun retour possible, et s'il existait encore un doute quant au caractère authentiquement suicidaire de cette mission, le terme "Tokko", qui désigne pudiquement les "opérations spéciales" de type kamikaze, est de toute manière là pour le dissiper.

Mais comme il existe tout de même une sérieuse différence entre le sacrifice d'un pilote débutant et de son avion périmé et celui d'un cuirassé de 70 000 tonnes et de ses 3 300 officiers et marins, Toyoda a néanmoins jugé préférable d'expédier également à Mitajiri son propre chef d'État-major, le vice-amiral Kusaka, afin de s'entretenir avec Ito et de régler avec lui les ultimes détails de cette pénible affaire...

(1) la Mer Intérieure de Seto sépare les îles de Honshū, Shikoku et Kyūshū, qui forment trois des quatre îles principales du Japon.
(2) Russel Spurr, op cit. page 105

mercredi 18 novembre 2015

4629 - aucun espoir

Japonais brûlés vifs dans une rue de Tokyo, mars 1945
... mais si la discipline reste intacte, que peuvent encore espérer ces quelques milliers d'hommes et cette dizaine de navires péniblement rassemblés à Mitajiri au moment-même où l'allié allemand, autrefois si puissant, vit ses dernières heures, claquemuré dans sa capitale en ruines ?

Car la fin de la guerre en Europe - qui n'est plus qu'une question de jours - permettra forcément aux États-Unis de reporter tous leurs efforts contre le Japon.

Aux États-Unis... mais aussi à la Grande-Bretagne, dont la flotte, laminée en 1941-1942 au point de se voir contrainte à l'exil en Afrique de l'Est (!), a spectaculairement fait sa réapparition dans le Pacifique, et vient même de se joindre aux navires américains encerclant Okinawa.

Et si les Lancaster britanniques, qui ont incinéré toutes les villes du Reich, n'auront pas le temps d'être redéployés dans le Pacifique avant la Capitulation japonaise, les B-29 américains, eux, viennent de toute manière de trouver la recette magique pour en faire de même avec celles du Japon !

Nommé commandant-en-chef du XXIème Bomber Command en janvier 1945, le général Curtis LeMay a en effet décidé de mettre à profit l'expérience qu'il a acquise en Europe, où il a servi jusqu'à l'été 1944.

Rompant radicalement avec le mode opératoire prévu, à savoir le bombardement de jour à très haute altitude, les gros B-29 opèrent désormais de nuit, à basse altitude, au napalm et à la bombe incendiaire, sur un habitat japonais presque exclusivement construit en bois et sans la moindre cave, ce qui n'a pas tardé à avoir des résultats dévastateurs : dans la nuit du 9 au 10 mars, 334 B-29, débarrassés de presque tout leur armement défensif afin de gagner du poids, ont ainsi déversé 1 700 tonnes de bombes sur Tokyo, y déclenchant une tempête de feu qui a réduit en cendres 30 km2 de la capitale, et causé la mort de près de 100 000 personnes...

mardi 17 novembre 2015

4628 - l'attente des ordres

Le croiseur léger Yahagi, lors de ses essais en mer, décembre 1942
... Mitajiri, 02 avril 1945

C'est à Mitajiri, dans une petite rade en principe discrète, que la flotte japonaise s'est rassemblée pour y attendre les ordres.

Une flotte réduite à sa plus simple expression puisque ne comptant, outre le super-cuirassé Yamato, que le croiseur léger Yahagi et huit destroyers, tous éprouvés par la guerre et désespérément à court de mazout.

Quel contraste, et quelle déchéance, pour cette Marine impériale qui, à peine trois ans auparavant, voguait de victoires en victoires et faisait régner la terreur dans le Pacifique comme dans l'Océan Indien...

La discipline, pourtant, est toujours aussi japonaise, donc extraordinairement rigide et assortie de châtiments corporels pour les fautes les plus bénignes.

Et c'est particulièrement vrai sur le Yamato qui, en tant que navire-amiral, se doit de "donner l'exemple" dans tous les domaines, y compris dans la tenue, toujours impeccable, des marins, que l'on voit s'exercer quotidiennement sur le pont, en rangs parfaits.

Et il faut sans doute bien cela pour maintenir la cohésion en ces heures dramatiques et sur un navire qui, originellement conçu pour accueillir quelque 2 000 hommes, en héberge aujourd'hui plus de 3 300 (!), la faute aux équipements divers, et notamment aux canons antiaériens, qui, depuis la mise en service, n'ont cessé de se multiplier et de s'accrocher aux superstructures comme autant de monstrueux champignons de métal...

lundi 16 novembre 2015

4627 - "N'avons-nous donc plus aucun navire pour défendre Okinawa ?"

Canons antiaériens du Yamato : trop concentrés donc très vulnérables
... car l'État-major japonais est bien décidé à réagir et à ne pas laisser son ultime ligne de défense extérieure tomber aux mains des Américains !

Pour ce faire, il a élaboré un plan : outre les quelque 100 000 fantassins présents sur l'île et qui, pour l'heure, tapis dans leurs bunkers soigneusement dissimulés, se contentent d'attendre le signal de la contre-attaque, plusieurs milliers d'avions-suicides, de torpilles-suicides, de vedettes à moteur-suicides, et même de plongeurs... suicides (!) ont été tenus en réserve et prêts à se lancer à l'attaque de la flotte américaine.

Mais lorsque ce plan lui a été présenté, fin mars, l'Empereur Hirohito s'est étonné de l'absence complète de navires de surface. "N'avons-nous donc plus aucun navire pour défendre Okinawa ?, s'est exclamé le monarque

Personnellement interpellé, le commandant-en-chef de la flotte combinée, l'amiral Soemu Toyoda, n'a alors eu d'autre choix que de concevoir d'urgence un ajout naval - Ten-gō Sakusen - articulé autour du super-cuirassé Yamato et des quelques bâtiments encore en état de prendre la mer et pour lesquels on pourrait dénicher un peu de mazout.

Et s'il est parfaitement irréaliste dans ses prétentions, Ten-gō Sakusen a cette fois le mérite d'être étonnamment simple : au moment convenu, le Yamato prendra la mer pour Okinawa, se frayera un chemin à coups de canons à travers la flotte de débarquement américaine, puis s'échouera sur le rivage afin de servir de batterie d'artillerie jusqu'à épuisement de ses munitions ou complète destruction, après quoi les marins survivants - s'il y en a ! - n'auront plus qu'à gagner l'intérieur des terres et à se joindre aux fantassins chargés de défendre l'île contre l'envahisseur américain

Voilà pour le principe...     

dimanche 15 novembre 2015

4626 - un Iceberg brûlant

Le Tennessee, autre victime de Pearl Harbor, bombardant Okinawa, 01 avril 1945
... Okinawa, 01 avril 1945

Pour s'emparer de la grande île d'Okinawa, ultime étape avant le Japon, les Américains ont mobilisé pas moins de 300 000 hommes, mais aussi plus de 1 500 navires de toutes tailles, qu'il a fallu acheminer sur des milliers de kms d'océan, et qu'il faut à présent constamment ravitailler et remplacer.

Un défi logistique colossal qui, même vu d'aujourd'hui, défie l'imagination : chaque mois, les forces américaines engagées dans le Pacifique ont ainsi besoin de quelque 900 000 tonnes de pétrole, chiffre qui en soi paraît déjà extravagant mais ne prend pourtant sa véritable signification que lorsqu'on réalise que pour l'ensemble de ses forces armées, le Japon, en ce mois d'avril 1945, n'en a plus que... 50 000 tonnes en réserve, et n'en recevra plus une goutte jusqu'à la fin de la guerre !

Mais, chaque mois, l'US Navy doit aussi acheminer, et toujours par mer, des centaines de milliers de tonnes de munitions, de bœuf, de médicaments, de véhicules et d'équipements les plus divers pour que l'immense machine de guerre puisse simplement continuer à fonctionner.

Et si la dite machine compte dans ses rangs quantités de rutilants destroyers, croiseurs et porte-avions flambants neufs, elle abrite aussi la plupart des vieux cuirassés rescapés de Pearl Harbor, et même l'antédiluvien Arkansas, qui date de 1912 et ne dispose donc que de pièces de 305mm seulement, lesquelles sont actuellement occupées à pilonner l'île dans le cadre d'une "Opération Iceberg" qui, hélas, va s'avérer bien plus... brûlante qu'imaginé.

Mais pour l'heure, nous n'en sommes pas encore là puisque le débarquement - qui a en réalité débuté le 26 mars sur les îles Kerama voisines, où plusieurs centaines de bateaux-suicides ont été découverts, et neutralisés - se déroule sans anicroche et même sans véritable opposition de la part des Japonais, que certains Marines imaginent déjà vaincus.

Ils sont loin du compte...

samedi 14 novembre 2015

4625 - un nouvel appât

le vice-amiral Seiichi Ito
... Kure, 28 mars 1945, 17h30

On ne peut comprendre ce qui va suivre, on ne peut comprendre le sacrifice du Yamato, sans réaliser au préalable que le super-cuirassé et tout son équipage sont désormais "sacrifiables" car devenus inutilisables dans n'importe quel rôle "traditionnel"

A 17h30, le 28 mars, après plus de deux mois passés au mouillage, le Yamato quitte donc Kure pour sa nouvelle mission : jouer le rôle d'un appât tendu à la Task Force 58 américaine, en gagnant la base aéronavale de Sasebo, au sud-ouest de l'archipel, où plusieurs centaines d'avions kamikazes ont été rassemblés, prêts à se précipiter vers les portes-avions ennemis.

En soi, cette mission ne constitue pas encore une véritable "mission-suicide", même si les chances d'en réchapper apparaissent bien minces aux yeux du vice-amiral Seiichi Ito, 54 ans, ancien vice-chef de l'État-major naval, nommé le 23 décembre précédant à la tête d'une Seconde Flotte réduite à sa plus simple expression

Comme la plupart des officiers supérieurs de cette Marine impériale au bout du rouleau, Ito Seiichi n'est ni un fanatique ni un homme enfermé dans un monde d'illusions : en décachetant ses ordres, sur la passerelle du Yamato, il ne se prive d'ailleurs pas d'exprimer ses doutes au vu et au su de tous les officiers présents. 

"En toute honnêteté, je dois avouer que j'ai des doutes au sujet de ce plan", déclare-t-il, avant d'ajouter que "si tels sont les ordres, nous ferons naturellement de notre mieux" (1)

(1) Russel Spurr, A Glorious Way to Die, page 49

vendredi 13 novembre 2015

4624 - fausse économie

L'avion-fusée-suicide Ohka : ses pilotes savaient à peine voler en ligne droite...
... sur le papier, la manière japonaise de concevoir et de faire la guerre a évidemment le mérite d'être économique, mais en pratique, elle se traduit surtout par un effrayant et fort coûteux gaspillage de ressources humaines.

S'il est blessé, abattu ou naufragé, le fantassin, le pilote ou le marin américain conserve de bonnes chances d'être secouru et soigné,... et ainsi de pouvoir repartir au combat à brève échéance, alors que son équivalant et adversaire nippon, lui, n'en a pour ainsi dire aucune, et doit donc être impérativement remplacé.

Mais lorsque le taux de pertes excède le potentiel de remplacement - ce qui pour le Japon s'est produit dès l'été 1942 - l'efficacité opérationnelle de l'Armée dans son ensemble chute alors de manière dramatique.

"En octobre 1942", soulignera un pilote japonais, "nos équipages de bombardiers en piqué venaient de terminer un ultime cycle d'entraînement au Japon (...) contre le navire-cible Settsu (1) (...) "Ces tests avaient montré que des scores de neuf coups au but sur neuf piqués étaient chose courante". 

(...) Mais en juin 1944 [dans les mêmes conditions d'attaque et sur le même navire] "le nombre de coups au but dépassa alors rarement un pour neuf piqués. Il était impossible pour nos jeunes sortant tout droit des écoles d'acquérir en quelques semaines, voire quelques jours, le niveau que leurs aînés avaient mis des années à atteindre" (2)

De plus en plus vite et de moins en moins bien formés, les nouveaux venus ne sont plus que l'ombre de leurs devanciers, ce qui, à ce titre, les rend d'autant plus "sacrifiables"...

(1) lancé en 1911, le cuirassé Settsu avait été transformé en navire-cible radiocommandé en  1924 
(2) Fana de l’Aviation, H.S. 3 page 77

jeudi 12 novembre 2015

4623 - l'Art de donner et de recevoir la Mort

Iwo Jima : comme 22 000 autres, ce soldat japonais a préféré la mort à la reddition...
... les "Kamikaze Tokobetsu Kogekitai", ou "groupes d'attaque spéciaux kamikaze", sont une réponse militaire désespérée à un problème militaire devenu insoluble

Mais le sacrifice de ces milliers de jeunes-gens ne serait pas possible sans l'existence préalable d'un code culturel, celui du Bushido, que l'on peut traduire par l'Art de donner et de recevoir la Mort et qui, depuis des siècles, imprègne la société japonaise.

Selon ce code, même le soldat le plus ordinaire se doit de supporter stoïquement son sort et ce jusqu'à la dernière goutte de son sang, raison pour laquelle le Japon, contrairement à ses adversaires américains et britanniques, ou à son allié allemand, ne s'est par exemple jamais doté d'un service de secours en mer, ni même d'un service médical simplement digne de ce nom : les deux étant considérés comme un luxe inutile.

Sous le climat particulièrement insalubre des Salomons ou de la Nouvelle-Guinée, les fantassins japonais n'ont ainsi jamais disposé de moustiquaires, ni de médecins ayant une quelconque connaissance des maladies tropicales.

Jusqu'en  1944, les pilotes de chasse ont pour leur part toujours décollé sans parachute, et avec un équipement de survie réduit... à un simple pistolet Nambu de 8mm.

Et ce mépris de la vie humaine se retrouve aussi dans la Marine puisque, contrairement à leurs équivalents occidentaux, les navires de guerre nippons n'embarquent ni radeaux ni même gilets de sauvetage pour les marins !

mercredi 11 novembre 2015

4622 - l'ultime miracle

le Mitsushima Maru fut le dernier tanker  à livrer du pétrole au Japon, le 28 mars 1945
... l'arrivée du Mitsushima Maru est un exploit, presque un miracle.

Un miracle, c'est précisément ce que les Japonais, civils ou militaires, appellent quotidiennement de leurs vœux

Mais les miracles sont rares, et les quelque 10 000 tonnes de mazout et de pétrole brut que contiennent les soutes de ce tanker seront les dernières qui parviendront au Japon avant la Capitulation, et l'arrivée des Américains,... six mois plus tard !

Les Américains, justement, sont déjà en route : deux jours plus tôt, ils se sont en effet emparés d'Iwo-Jima, territoire japonais où, pour la première - et la dernière - fois depuis leur reconquête du Pacifique, ils ont eu davantage de soldats mis hors de combat (tués ou blessés) qu'ils n'ont eux-mêmes tué de soldats japonais.

Leur prochaine cible, personne n'en doute, sera la grande île d'Okinawa, autre territoire japonais, que ces derniers sont bien résolus à défendre jusqu'au dernier homme, et pour lequel ils ont prévu de déployer plusieurs milliers d'avions, vedettes et sous-marins suicides...

mardi 10 novembre 2015

4621 - la dernière goutte de mazout

Alignement de sous-marins de poche abandonnés à Kure, octobre 1945
... et aujourd'hui, les chantiers navals américains sont en mesure de lancer un cargo Liberty Ship par jour, et un porte-avions lourd par mois (!) alors que les chantiers japonais, eux, en sont réduits à ne plus construire que des sous-marins de poche suicides, des bateaux à moteur suicides, et même des torpilles également suicides et à l'efficacité tout aussi dérisoire ! 

Et quand bien même parviendrait-ils à construire davantage, et plus gros, que ces chantiers se heurterait de toute manière au manque de mazout, qui condamne d'ailleurs la plupart des bâtiments survivants à demeurer dans la rade pour y attendre les bombes américaines,... sauf à recourir à du carburant de (très) mauvaise qualité - et même à de l'huile de soya ! - qui détruit les chaudières à une allure effrayante. 

Au Japon comme en Allemagne, la sagesse - et le simple humanisme - voudrait que les dirigeants, ne serait-ce que pour épargner leur propre peuple, reconnaissent la défaite et acceptent de signer cette "Capitulation sans condition" exigée par les Alliés depuis la Conférence de Casablanca en janvier 1943 et dont on se demande encore, soixante-dix ans plus tard, si elle n'a en réalité pas fait que conforter la position des jusqu’au-boutistes, et ainsi prolongé la guerre de plusieurs mois, aussi bien en Europe que dans le Pacifique.

Et en ce 28 mars 1945, à Tokuyama, ce sont d'ailleurs ceux-là qui fêtent en priorité l'arrivée du Mitsushima Maru, un tanker parti de Singapour le 22 février et qui, de manière quasi-miraculeuse, a réussi à franchir le blocus des navires, sous-marins et avions américains pour livrer quelque 10 000 tonnes de fuel...  

lundi 9 novembre 2015

4620 - la guerre totale

Écoliers japonais à l'entraînement, 1944
... Kure, 28 mars 1945 

Dans quelques années, révisionnistes et bien-pensants dénonceront les bombardements alliés comme autant de "meurtres de civils innocents", mais dans ce Japon et cette Allemagne de la "guerre totale", et en ce mois de mars 1945, il y a bien longtemps que civils et innocents ont disparu, remplacés par des soldats, des paysans et des ouvriers qui, de près ou de loin, œuvrent tous pour l'effort de guerre. 

A Kure comme dans tout le Japon, les vieillards ont été versés dans la défense civile, et les enfants, déjà contraints depuis plusieurs années à parader bâton ou fusil en bois à l'épaule, ne vont plus à l'école que deux jours sur sept, les cinq autres étant consacrés au percement de tunnels et d'abris, dans lesquels usines et ateliers disparaissent petit à petit, pour mieux se soustraire aux raids des B-29, que la DCA ne canonne même plus, faute de munitions mais aussi parce que ces grands quadrimoteurs américains volent trop haut pour elle. 

Et lorsqu'ils sont trop jeunes ou trop chétifs pour creuser, ces enfants hantent alors les ruines des usines ou ateliers qu'on n'a pas été en mesure d'enterrer, et y récupèrent jusqu'aux moindres boulons et bouts de ferrailles, qui pourraient encore s'avérer utiles à l'effort de guerre. 

Mais à quoi bon ? 

En 1940, le Japon a lancé un vaste programme visant à construire un million de tonnes de nouveaux navires de guerre, puis un autre programme, identique, deux ans plus tard, mais en 1944, les Etats-Unis ont produit trente fois (!) le tonnage d'un Japon qui, lui, n'a même pas atteint 20% de ses objectifs de 1940 et 1942 !

dimanche 8 novembre 2015

4619 - la surenchère du suicide

Des Keiten, sur le pont d'un sous-marin,... qui n'en devient que plus vulnérable
... depuis la Bataille de Guadalcanal, à l'automne 1942, les fantassins de l'Armée (mais aussi de la Marine) japonaise ne cessent de lancer - sabre au clair et baïonnette au canon - des attaques-suicide, dites "attaques banzai", aussi spectaculaires qu'inefficaces devant les Marines américains qui les fauchent jusqu'au dernier à la mitrailleuse lourde...

Depuis la Bataille de Leyte, à l'automne 1944, les aviateurs japonais en font de même, se précipitant en masse (1) vers les navires américains protégés par de véritables murailles de projectiles que fort peu de kamikazes sont capables de franchir.

Et puisque l'Armée et l'Aviation se sont engagés dans une vaste opération de suicide collectif qui impliquera bientôt la Nation toute entière, l'Honneur de la Marine implique qu'elle en fasse de même !

Dès l'automne de 1944, les premiers volontaires ont d'ailleurs commencé à s'entraîner au maniement de la Kaiten, qui n'est rien d'autre qu'une torpille... pilotée (!), sur laquelle les responsables de l'Amirauté fondent de gros espoirs mais dont les résultats seront cependant dérisoires et ne représenteront au bout du compte qu'un immense gaspillage de ressources humaines, mais aussi matérielles (2),... bien plus coûteux pour le Japon que pour les États-Unis (3)     

Et de la minuscule Kaiten de quelques tonnes au monstrueux Yamato de 70 000 tonnes, il n'y a désormais plus qu'un pas...

(1) les attaques kamikazes sont des actions de masse, conçues dès le départ pour être suicidaires. Elles ne doivent donc pas être confondues avec les gestes suicidaires commis, mais à titre individuel et dans le feu de l'action, par des pilotes de toute nationalité durant la guerre
(2) vu le faible rayon d'action des Kaiten, ceux-ci devaient nécessairement être amenés à proximité immédiate de leurs cibles par des navires de surface ou des sous-marins conventionnels extrêmement vulnérables
(3) on estime qu'environ 1 500 Japonais ont disparus, directement ou indirectement, dans les attaques de Kaiten, qui n'ont tué que moins de 200 marins américains. Au bilan matériel, le ratio est de 10 sous-marins et 1 destroyer japonais contre 3 petits bâtiments américains

samedi 7 novembre 2015

4618 - sans appel

Aucun porte-avions lourd - ici le Franklin - ne fut coulé par les kamikazes
... piloter un avion-suicide pour un vol unique et sans retour n'exige certes pas de compétences particulières ni, surtout, des centaines d'heures d'entraînement. 

Mais réussir à frapper, en haute mer, un navire de (relativement) petites dimensions, et à le frapper alors qu'il zigzague lui-même à pleine vitesse et projette un feu d'enfer, tout cela constitue un exercice autrement plus difficile, auquel les kamikazes ont d'autant plus de mal à satisfaire qu'ils doivent de surcroît composer avec les chasseurs mais aussi avec la DCA des autres navires. 

L'un dans l'autre, le pourcentage de réussite des attaques-suicides ne dépasse pas 15%, ce qui signifie que, dans leur immense majorité, les kamikazes sont simplement condamnés à mourir sans même avoir réussi à blesser ne serait-ce qu'un seul marin américain ! 

Et même lorsqu'elle aboutissent,  les dites attaques sont loin de toujours provoquer des dégâts irréversibles : à la Capitulation japonaise, moins de 10 % des navires frappés - soit une soixantaine de bâtiments au total, par ailleurs tous de petit tonnage et dépourvus du moindre blindage - auront en effet été envoyés par le fond ! 

A l'instar du vice-amiral Onishi, on peut toujours dire - et le fait ne saurait être contesté - que les résultats auraient été bien plus faibles encore si les attaques avaient été menées de manière conventionnelle, donc en laissant un certain espoir de survie aux pilotes et à leurs avions. 

Mais du point de vue strictement militaire, et en particulier du point de vue des porte-avions, c-à-d des seuls bâtiments véritablement vitaux pour l'effort de guerre allié, le bilan est en revanche sans appel puisque seuls trois petits porte-avions d'escorte auront finalement été coulés par ce genre d'attaques qui auront par ailleurs coûté à l'Aviation japonaise près de 4 000 appareils, et autant de pilotes...

vendredi 6 novembre 2015

4617 - meilleurs mais toujours insuffisants

11 avril : un kamikaze va s'écraser sur le Missouri, qui n'en sera qu'égratigné
... mais si les résultats sont bien meilleurs, ils n'en demeurent pas moins... insuffisants pour empêcher les Américains de débarquer des renforts et de conquérir les Philippines île après île.

Car les attaques kamikazes, aussi traumatisantes soient-elles pour ceux ainsi pris pour cibles, n'occasionnent pas assez de dégâts pour changer le cours des événements,... tout simplement parce qu'en cet automne 1944, l'industrie de guerre américaine est capable de remplacer les navires plus rapidement que les Japonais ne sont en mesure de les couler ! 

Au fil des semaines, diverses mesures de prévention vont d'ailleurs singulièrement compliquer la tâche des kamikazes et, par voie de conséquence, en réduire l'efficacité. 

Loin devant la flotte, des destroyers jouent le rôle de piquet-radar, et peuvent ainsi donner l'alerte longtemps à l'avance et sans craindre eux-mêmes l'attaque de navires de surface japonais, cloués dans leurs ports par le manque de mazout. 

Toujours en mouvement, et regroupant jusqu'à une demi-douzaine de porte-avions lourds, les différentes Task Forces américaines sont d'autant moins faciles à localiser et à atteindre qu'elles sont en mesure de maintenir constamment en vol des patrouilles de plusieurs dizaines de chasseurs capables de tailler les assaillants en pièces. 

Et parce qu'ils sont les cibles privilégiées, les dits porte-avions vont plus que jamais se retrouver protégés par quantités de destroyers, de croiseurs et même de cuirassés qui, grâce à leur épais blindage, sont beaucoup moins susceptibles d'encourir de gros dégâts et qui, en raison de leurs vastes dimensions, se prêtent idéalement à l'installation de dizaines et de dizaines de canons antiaériens de tout calibre, donc à même de projeter de véritables murailles d'acier contre lesquelles viennent se fracasser les avions-suicide... 

jeudi 5 novembre 2015

4616 - la soustraction

Un kamikaze à l'attaque du porte-avions Essex, sur lequel il va bientôt s'écraser
... Leyte, 25 octobre 1944

En ce soir du 25 octobre, les Américains, bien que victorieux en Mer de Sibuyan, dans le Détroit de Surigao, au large du Cap Engano, et même devant Leyte, n'en déplorent pas moins la perte du porte-avions d’escorte Gambier Bay, et de plusieurs destroyers, tombés sous les obus des croiseurs et cuirassés de l'Amiral Kurita

Mais ils déplorent surtout la perte du porte-avions d'escorte  St-Lo, première victime des Kamikaze Tokobetsu Kogekitai, ou "groupes d'attaque spéciaux kamikaze", qui ont également causé de sérieux dégâts au croiseur Birmingham ainsi qu'aux porte-avions d'escorte Kitkun Bay et White Plains

Et la journée du 26 ne s’annonce pas meilleure : coup sur coup les Sangamon, Suwannee, Santee et Kalinin Bay sont à leur tour frappés par des avions kamikaze qui, en deux jours, ont donc coulé un porte-avions d’escorte et en ont endommagé six autres en même temps qu’une trentaine d’autres bâtiments !

Et ce n’est pas fini puisque, dans les semaines qui vont suivre, les Japonais vont également frapper des dizaines d’autres navires, en ce compris des porte-avions lourds, comme le Franklin (30 octobre), le Lexington (5 novembre) ou encore l’Essex et l’Intrepid (25 novembre)

Onishi ne s'est pas trompé : en termes de pure efficacité militaire, les résultats sont bien meilleurs une fois la survivabilité de l’avion et de son pilote soustraite de l’équation !


mercredi 4 novembre 2015

4615 - l'arme à usage unique

Les kamikazes : arme ultime à usage unique
... Clark Field (Philippines), 19 octobre 1944 

Revenons à présent cinq mois en arrière, et plus précisément aux Philippines, où l’armée japonaise dispose de plus de 300 000 hommes hélas très pauvrement équipés et largement dispersés sur les quelque 7 000 îles (!) que compte l'archipel.

Pour l'Aviation, le bilan est plus tragique encore, puisqu'en prenant son commandement, le Vice-Amiral Takijiro Onishi s’est vite rendu compte que celle-ci a quasiment cessé d'exister !

Au niveau du bombardement, ne demeurent en effet en état de vol qu'une soixantaine de bimoteurs qui, en raison de leur détestable habitude de s'enflammer à la moindre rafale, ne sauraient représenter une menace pour la flotte américaine.

La situation n'est pas plus reluisante au niveau de la chasse, où l'appareil le plus courant - mais en nombre dramatiquement insuffisant - reste le Mitsubishi A6M "Zéro", dont certains exemplaires datent de 1941 !

En raclant tous les fonds de hangar, le total ne dépasse pas 300 appareils, c-à-d... le cinquième de ce que les porte-avions américains sont susceptibles de mettre en l'air !

Impossible, dans ces conditions de repousser un débarquement que chacun sait à présent inévitable : pour Onishi,  le seul espoir d’obtenir un résultat militaire significatif est encore de faire fi de toute idée de survie des avions et des pilotes, et donc d’employer les uns et les autres comme armes-suicide à usage unique !

Lors d'une réunion décisive tenue à l’aérodrome de Clark Field, le 19 octobre 1944, les commandants d'escadrille ne tardent d'ailleurs pas à se rendre à cet argument, et décident donc de précipiter leurs avions - et bien entendu leurs pilotes - sur les forces américaines à la première occasion qui se présentera…

mardi 3 novembre 2015

4614 - le dilemme impossible

L'Ise, à Kure, sous le feu des chasseurs-bombardiers américains, juillet 1945
... Kure, 19 mars 1945

Depuis le torpillage du Shinano, le 19 novembre, chacun sait que même les eaux territoriales du Japon sont désormais hostiles aux grands navires de surface nippons.

Mais en bombardant pour la première fois Kure, le 19 mars 1945, l'Aéronavale américaine prouve que ceux-ci ne sont pas davantage en sécurité dans leurs ports !

Partis des porte-avions Essex, Intrepid, Hornet, Wasp, Hancock, Bennington et Belleau Wood, plus de 200 appareils mènent la charge contre les cuirassés Hyuga, Ise, Haruna et Yamato, mais aussi contre les Amagi, Katsuragi, Ryuho et Kaiyo qui, comme nous l'avons dit, ne sont plus que des porte-avions... sans avions ni pilotes.

Seul bâtiment encore véritablement opérationnel, le Yamato n'est qu'à peine égratigné par la bombe d'un Helldiver, mais cette attaque en préfigure assurément bien d'autres, ce qui place l'Amirauté japonaise devant un dilemme impossible : si le super-cuirassé quitte Kure pour s'aventurer en mer dans le cadre d'une mission quelconque, il a toutes les chances de succomber sous les torpilles d'un sous-marin ou alors les bombes d'avions américains; mais s'il y demeure, il finira tôt ou tard, et à l'instar du Tirpitz allemand (1), par périr dans un bombardement !

Militairement parlant, seule la sortie peut encore avoir une certaine utilité.

Ne reste plus qu'à trouver laquelle...

(1) bombardé à plusieurs reprises dans différents fjords norvégiens, le Tirpitz avait finalement succombé le 12 novembre près de Tromso, victime de plusieurs bombes Tallboy de 5 tonnes

lundi 2 novembre 2015

4613 - les fonds de tiroirs

L'épave du  Nagato, à l'automne 1945, sans cheminée ni mat central
... sur le papier, cette Marine impériale possède encore six porte-avions,... néanmoins fort éprouvés et de toute manière sans avions, sans pilotes, et même sans mazout pour sortir du port !

Elle dispose aussi de cinq cuirassés,... mais tout aussi malmenés et privés de carburant

Rentré à Yokosuka fin novembre, le Nagato n'est déjà plus qu'une simple batterie d'artillerie flottante, ancrée dans la rade, incapable de naviguer, cheminée et mât central démontés afin d'augmenter l'angle de tir de ses canons antiaériens.

Revenus de Singapour le 20 février, les Ise et Hyuga ont été placés en réserve à Kure, où ils ne tarderont pas eux aussi à être transformés en batteries flottantes... mais aussi en véritables aimants pour tous les bombardiers-torpilleurs américains en maraude !

Après s'être échoué contre un récif corallien près des îles Lingga le 22 novembre, le Haruna a quant à lui été péniblement ramené à Sasebo, puis finalement transféré à Kure où, faute de mieux, il a lui aussi été soumis au même traitement.

Au bout du compte, seul le Yamato est encore en état de reprendre la mer et de combattre,... à condition bien sûr qu'on lui trouve du carburant, mais aussi une mission.

... et surtout avant que l'Aéronavale américaine ne soit en mesure de le couler en pleine rade de Kure...


dimanche 1 novembre 2015

4612 - sans illusion

Ramener les richesses des pays conquis : un défi vite irréalisable
.... Kure, février 1945

En ce mois de février 1945, l’orgueilleuse Marine impériale n'existe plus en tant que force opérationnelle.

Dans le Pacifique, quelques dizaines de sous-marins et de petits destroyers s'efforcent encore d'entretenir un semblant d'activité entre les îles, mais dans les ports japonais, et en particulier à Kure, où la plupart des derniers grands navires de surface sont revenus pour mourir, plus personne ne se fait d'illusions.

Bien que de plus en plus menacées, les forces japonaises détiennent encore d'importantes richesses, comme le caoutchouc d'Indochine ou le pétrole d'Indonésie, mais n'ont plus les moyens de les faire parvenir en métropole, sauf à recourir à de pitoyables expédients, comme l'Opération Kita qui, à la mi-février, voit les "cuirassés-porte-avions" Ise et Hyuga - rescapés de la Bataille du Cap Engano - venir charger quelques milliers de barils d'essence, de caoutchouc et d'étain à Singapour pour les ramener au Japon.

Menée au nez et à la barbe des flottes américaines et britanniques, cette véritable opération du désespoir se solde par un succès, mais uniquement d'estime, vu qu'elle ne change pas grand-chose à la dramatique pénurie de carburant dans laquelle se débat le Japon.

Et sans carburant, comment entraîner les pilotes ?, comment faire voler les avions ? comment faire naviguer la demi-douzaine de porte-avions que possède encore la Marine impériale depuis le torpillage de l'Unryu le 19 décembre ? et comment croire que l'on réussira un jour à mettre en service les quatre autres toujours en construction dans des chantiers navals ?