lundi 31 mars 2014

4042 - la nuit infernale

... mais dans tout le Reich, et n'en déplaise à Heydrich, les manifestations "spontanées" virent très rapidement au désordre, et bientôt au chaos le plus total !

Partout les synagogues brûlent tandis que les vitrines des magasins juifs explosent les unes après les autres sous les coups des émeutiers. 

Au total, quelque 7 500 commerces dirigés par des Juifs, 117 habitations et 177 synagogues sont détruits ou gravement endommagés en Allemagne-même.

En Autriche, 42 synagogues sont également incendiées et 2 000 Juifs jetés à la rue dans la seule ville de Vienne

Arrachés à leurs maisons ou appartements, aussitôt livrés au pillage ou à l'incendie, les Juifs sont humiliés et battus, parfois à mort, par des foules déchaînées.

Si l'on ne recense officiellement qu'une centaine de morts du fait des émeutes, plusieurs centaines de Juifs se suicident ou, dans les semaines suivantes, décèdent  dans les camps de concentration.

Dans l'après-midi du 10 novembre, Joseph Goebbels, lui-même effaré par l'ampleur des destructions, n'a d'autre choix que d'appeler publiquement à la fin des manifestations tandis que la police d'Heydrich, jusque-là fort discrète, effectue son grand retour dans les rues...

dimanche 30 mars 2014

4041 - "arrêter autant de Juifs de tous les districts, et en particulier les riches Juifs, que peuvent en contenir les prisons"

... 10 novembre 1938

Exaltés par le discours incendiaire de Goebbels, et rassurés par les propos sibyllins d'Heydrich, les responsables du NSDAP présents à Munich se précipitent tous au téléphone pour appeler leurs subalternes et les encourager à mener des actions anti-juives "spontanées" à travers toute l'Allemagne.

Rentré à son hôtel, Heydrich s'empresse quant à lui de contacter le responsable de la Gestapo, Heinrich Müller, et le met au courant des événements en cours. Peu après minuit, ce dernier donne l'ordre de mobilisation générale à l'ensemble des forces de police du Reich, les informant que des "actions" anti-juives, dirigées "principalement contre les  synagogues", vont se produire à travers toute l'Allemagne.

Ces "actions", souligne Müller, ne doivent pas être refrénées, même s'il importe malgré tout "d'empêcher les pillages ainsi que les exactions à grande échelle. Enfin, la Gestapo doit se tenir prête à arrêter "de vingt à trente mille Juifs", et en particulier les "Juifs fortunés"

Dans un télégramme expédié peu de temps après, Heydrich confirme les propos de son subordonné et ajoute que la police doit s'assurer "qu'aucun mal ne soit fait aux personnes et aux biens allemands",  "que les ressortissants étrangers, même Juifs, ne soient pas molestés", et que les commerces et appartements appartenant aux Juifs "peuvent être détruits mais pas pillés".

Enfin, déclare Heydrich, la police doit "arrêter autant de Juifs de tous les districts, et en particulier les riches Juifs, que peuvent en contenir les prisons. Pour l'heure, seuls les Juifs fortunés, de sexe masculin, et qui ne sont pas trop âgés, doivent être détenus. Une fois la détention menée à bien, les camps de concentration appropriés doivent être immédiatement contactés et invités à prendre en charge les Juifs. Un soin particulier doit être apporté au fait que les Juifs arrêtés en concordance avec ces instructions ne soient pas maltraités" (1)

(1) Gerwarth, op. cit., page 127

samedi 29 mars 2014

4040 - des actions anti-juives "spontanées"

... Munich, 9 novembre 1938, 22h00

A la mairie de Munich, où une audience aussi nombreuse qu'agité s'est rassemblée pour célébrer le "Tag der Bewegung,  le "Jour du Mouvement"Adolf Hitler a pour une fois renoncé à sa traditionnelle allocution aux vétérans du putsch avorté de 1923, et préféré quitter les lieux de bonne heure en laissant à son Ministre de la Propagande le soin de discourir à sa place.

Et pour Joseph Goebbels, lui-même excellent orateur, l'occasion est trop belle pour dénoncer, devant un auditoire tout entier acquis à sa cause, la mort du Conseiller vom Rath assassiné à Paris par le Juif Herschel Grynszpan

Après avoir martelé qu'en réaction à cet attentat des actions anti-juives "spontanées" se déroulent déjà un peu partout en Allemagne, Goebbels enfonce le clou.

Le Führer, dit-il, a décidé que le Parti ne s'engagera pas dans des actions supplémentaires. Cependant, s'empresse-t-il d'ajouter, si celles-ci viennent néanmoins à se produire, "il ne fera rien pour les empêcher"

Présent dans l'assistance, Reinhard Heydrich se contente quant à lui de déclarer à qui veut l'entendre que sa police n'interviendra pas si des émeutes anti-juives "spontanées" viennent à se produire. 

Une réserve prudente qui, pour beaucoup, a valeur d'encouragement pour ne pas dire d'incitation à commettre l'irréparable...

vendredi 28 mars 2014

4039 - le pèlerinage de Munich

 ... Munich, 8 novembre 1938

En ce 8 novembre 1938, Reinhard Heydrich, comme tous les autres hauts responsables du Troisième Reich, a fait le "pèlerinage de Munich" afin d'y célébrer le quinzième anniversaire du "putsch de la Brasserie" qui, en dépit de son désolant amateurisme et de son lamentable fiasco final, est devenu un des hauts faits du national-socialisme.

Si la nouvelle de l'attentat de Paris contre le Conseiller vom Rath est bien évidemment parvenue jusqu'à l'assistance, elle n'a jusqu'ici fait l'objet d'aucun commentaire particulier.

Lui-même appelé à prendre la parole devant ses SS, Heinrich Himmler n'y fait du reste aucune allusion, se contentant, sur la "question juive", de souligner sobrement que les Juifs n'ont "plus d'avenir" en Allemagne et qu'ils en seront tous expulsés "d'ici quelques années".

Mais dans l'après-midi du lendemain, sitôt connue la mort de vom Rath, l'humeur, favorisée par les effluves de la bière qui coule à flots, change du tout au tout, en particulier chez les vieux caciques du Parti, comme le Ministre de la Propagande Joseph Goebbels ou le propagandiste Joseph Streicher, qui y voient l'occasion rêvée de "reprendre la main" sur les politiques anti-juives menées bien trop lentement à leur goût par Heydrich et ses collaborateurs...

jeudi 27 mars 2014

4038 - le grand procès qui n'eut jamais lieu

... mortellement blessé par plusieurs projectiles de 6.35mm, Ernst vom Rath décède dans l'après-midi du 9 novembre.

Estimant avoir vengé sa famille en "se payant" un Allemand "important" - même s'il ne s'agit en réalité que d'un modeste conseiller parfaitement inconnu - Herschel Grynszpan n'oppose aucune résistance aux gardes de l'ambassade, qui le remettent aussitôt aux mains de la police française.

A la prison de Fresnes, Grynszpan attend l'ouverture de son procès, qui s'annonce hautement politique mais qui ne viendra jamais : prises de court par la formidable accélération des événements internationaux, et bientôt par la guerre, les autorités françaises ont en effet bien d'autres soucis en tête...

Évacué de Fresnes, puis relâché dans la nature (!) lors de la débâcle de juin 1940, Grynszpan se constitue lui-même prisonnier à Toulouse, ce qui, le 18 juillet, lui vaut d'être livré aux émissaires de la Gestapo venus l'attendre à la Ligne de Démarcation (1)

Les autorités allemandes veulent un procès à grand spectacle mais, peut-être parce qu'elles recherchent une fois de plus les preuves d'un "complot", l'affaire traîne en longueur. Incarcéré dans l'intervalle au camp de Saschenhausen, Grynszpan, bien que Juif, Polonais et meurtrier d'un homme érigé au rang de martyr du Reich, bénéficie même d'un traitement de faveur.

En mai 1942, alors que le dit procès public est enfin sur le point de s'ouvrir, Grynszpan jette soudain un pavé dans la mare, en prétendant avoir entretenu des relations homosexuelles avec vom Rath, ce qui, selon toute vraisemblance, constitue un mensonge éhonté mais s'avère néanmoins suffisant pour faire capoter toute l'affaire : la Nouvelle Allemagne pudibonde et ultra-moralisatrice ne pouvant s'offrir un tel risque !

Devenu sans intérêt pour le Reich après cet esclandre, Grynszpan demeure néanmoins détenu en Allemagne, et disparaît de la mémoire des Hommes fin 1943, début 1944...

(1) conséquence de l'Armistice du 22 juin, la Ligne de Démarcation séparait la France soumise à l'Occupation allemande de la zone, dite "libre", régie par les autorités de Vichy

mercredi 26 mars 2014

4037 - tuer le premier Allemand qui se présente

... Paris, Ambassade d'Allemagne, 7 novembre 1938, 09h35

Né en mars 1921, Herschel Grynszpan est un adolescent dissipé et caractériel, plusieurs fois renvoyé de l'école pour bagarres. 

En juillet 1936, désespérant d'arriver à en faire quelque chose, ses parents - des Juifs polonais ayant émigré à Hanovre en 1911- ont accepté de le laisser partir chez une de ses tantes établies à Bruxelles et chez qui il doit sagement attendre un improbable visa pour la Palestine.

La patience n'étant pas son point fort, il quitte néanmoins Bruxelles quelques jours plus tard, franchit clandestinement la frontière française, et file s'établir chez un oncle, à Paris, où il pense avoir de meilleures chances d'arriver à ses fins.

Mais deux ans s'écoulent sans le précieux sésame, et c'est donc toujours à Paris, le 3 novembre 1938, qu'il apprend le triste sort de sa famille, internée dans un camp polonais après voir été expulsée manu militari d'Allemagne.

A cette nouvelle, le sang du jeune-homme ne fait qu'un tour : il se doit de venger sa famille,. c-à-d, en pratique, de tuer le premier Allemand raisonnablement "important" qui viendra à croiser son chemin !

Au matin du 7 octobre 1938, après avoir ruminé l'affaire pendant quelques jours, et s'être procuré un revolver de petit calibre, il se rend finalement à l'Ambassade d'Allemagne, demande à parler au secrétaire de l'ambassadeur, qui, ce jour-là, est le troisième Conseiller Ernst vom Rath, sur lequel il décharge aussitôt son revolver, donnant ainsi le signal d'un épisode que l'Histoire retiendra sous le nom de...

... Nuit de Cristal

mardi 25 mars 2014

4036 - ... à l'expulsion des Juifs polonais

... 28 octobre 1938

Et pour Heydrich, cette conclusion implicite de la Conférence d'Evian tombe d'autant plus mal que la Pologne, trois mois auparavant, a elle-même décidé de ne plus reconnaître comme polonais ceux de ses citoyens ayant vécu plus de cinq en dehors des frontières nationales.

Or en pratique, cette mesure, prise immédiatement dans la foulée de l'Anschluss, ne vise que les quelque 70 000 Juifs polonais qui, au lendemain de la 1ère G.M., ont décidé de fuir leur pays - et ses pogroms - pour s'établir en Allemagne et en Autriche et qui, pour beaucoup, en ont obtenu la nationalité !

En avril, ulcérées par la perspective de ne pouvoir se débarrasser de ces 70 000 Juifs désormais apatrides (1) les autorités allemandes ont exigé de ceux encore détenteurs d'un passeport polonais qu'ils quittent immédiatement le Reich pour la Pologne,... mais les autorités polonaises n'ont pas voulu les laisser pénétrer sur le territoire !

Dans la nuit du 28 au 29 octobre, Heydrich tente alors le coup de force : près de 18 000 Juifs polonais, raflés et emprisonnés dans les heures et les jours précédents, sont embarqués dans des camions et des wagons à bestiaux, puis contraints manu militari de marcher jusqu'à la frontière, où les Polonais, refusant toujours aussi obstinément de les accueillir, se contentent de les interner dans des camps hâtivement érigés au beau milieu du no man's land.

Parmi les malheureux ainsi piégés figure un modeste tailleur, son épouse et deux de ses enfants. Une famille juive en tout point anonyme et dont l'Histoire n'aurait jamais retenu le nom si elle n'avait également compté dans ses rangs un jeune-homme exalté et alors en exil à Paris...

... Herschel Grynszpan

(1) rappelons que le Reich avait lui-même déchu de leur citoyenneté tous les Allemands et Autrichiens reconnus comme Juifs...

lundi 24 mars 2014

4035 - de la Conférence d'Evian...

... Evian, 6 juillet 1938

Même aux États-Unis, le triste sort des Juifs allemands et autrichiens n'émeut guère le législateur qui, pour l'année 1938, n'a prévu qu'un quota de 27 000 visas d'entrée pour l'ensemble des citoyens de ces deux pays.

Cherchant une issue, le Président Roosevelt a alors décidé d'organiser une conférence internationale sur le sujet, laquelle s'ouvre à Evian (1) le 6 juillet 1938.

L'Allemagne exclue par avance (2), trente-deux pays, dont neuf européens, assistent finalement à cette conférence... où chacun rivalise en fait d'arguments pour expliquer pourquoi il lui est impossible d'accueillir plus de Juifs sur son territoire !

Dans la plus pure tradition de l'encommissionnement,  le seul résultat concret des travaux, qui se terminent le 16 juillet, est donc la création d'un fort vague "Comité intergouvernemental pour les réfugiés" (CIR) n'ayant aucun pouvoir de décider ni surtout d'imposer quoi que ce soit !

Pour autant, et bien qu'involontaire, le message adressé aux autorités du Reich, et particulièrement à Heydrich, n'en est pas moins limpide : aucun pays n'ouvrira grandes ses portes aux Juifs que le Reich souhaite à présent expulser en masse...

(1) bien qu'hébergeant le siège de la Société des Nations, la Suisse avait refusé d'accueillir cette conférence sur son territoire
(2) bien qu'invitées, l'Italie et l'URSS avaient erfusé d'y participer

dimanche 23 mars 2014

4034 - "le problème, ce n'est pas de se débarrasser des Juifs les plus riches, mais bien de la plèbe juive"

... avec plus de 200 000 Juifs autrichiens incorporés contre leur gré à la population du Reich, tous les efforts antérieurs d'Heydrich pour s'en débarrasser (1) ont été instantanément réduits à néant, forçant du même coup l'intéressé a ouvrir à Vienne, le 20 août 1938, un "Office central pour l'émigration juive" dirigé par le déjà inévitable Adolf Eichmann (rentré d'Allemagne le 16 mars) et ayant ses bureaux - admirez la symbolique - ... dans l'ancien Palais Rotschild !

Comme son patron, Eichmann veut que l'émigration des Juifs s'effectue de manière "ordonnée" mais aussi, et peut-être surtout, à coût nul pour l'Allemagne, ce pourquoi les deux hommes ont-ils décidé de mettre à contribution les membres les plus éminents de la communauté juive de Vienne, lesquels, en échange d'une relative "protection" - que ces derniers espèrent permanente mais qu'Heydrich et Eichmann savent temporaire - sont ainsi "invités" à financer le départ de leurs coreligionnaires les moins fortunés

Comme le résumera, avec son cynisme habituel, Heydrich lui-même, "le problème, ce n'est pas de se débarrasser des Juifs les plus riches, mais bien de la plèbe juive" (2)

Reste qu'ordonnée ou non, et financée ou pas par les Juifs eux-mêmes, cette émigration exige toujours de trouver des pays désireux de devenir terre d'accueil...

(1) à la fin de 1937, quelque 128 000 Juifs (sur 600 000) avaient déjà quitté l'Allemagne 
(2) Gerwarth, op cit, page 124

samedi 22 mars 2014

4033 - "afin de rassurer la population sur la juste cause que poursuit la Gestapo"

.. "Même s'il est évident que la lutte contre les vermines (sic) qui infestent la population et l'Etat doit être menée de manière systématique et sans pitié, toutes les mesures prises doivent l'être de façon ordonnée, et ce afin de rassurer la population sur la juste cause que poursuit la Gestapo", souligne encore Heydrich quatre jours après le plébiscite.

Et pour les Juifs de Vienne, soumis depuis des semaines à de multiples brutalités et humiliations publiques, cette "façon ordonnée" va consister, tout comme en Allemagne, à les priver d'emplois et à "aryaniser" - autrement dit à s'approprier - leurs biens : en mai 1938, le quart des quelque 33 000 entreprises ou magasins juifs est ainsi contraint à la fermeture; en août, il n'en reste plus aucun dans la ville...

Reste néanmoins un problème essentiel : que faire de tous ces Juifs autrichiens à présent privés de leur travail et de tout moyen de substance ? 

Dans les zones proches de la Hongrie, les autorités nazies n'y vont pas par quatre chemins et expulsent les Juifs de leurs maisons avant de les chasser de l'autre côté de la frontière. 

Mais comme la Hongrie n'a aucune envie de les accueillir, ces malheureux n'ont souvent d'autre choix que de fuir vers Vienne et l'un ou l'autre parent susceptible de les héberger....

vendredi 21 mars 2014

4032 - où l'on reparle du "problème juif"

... avec plus de 99% des suffrages en faveur du "oui", le plébiscite du 10 avril 1938 fait ainsi de l'Autriche - officiellement devenue Ostmark - une simple province allemande.. à la plus grande joie des Autrichiens eux-mêmes !

En Allemagne, cette annexion est naturellement considérée comme un formidable succès qui, en plus d'étendre considérablement les frontières du Reich, et de lui apporter quelque sept millions d'habitants germanophones supplémentaires - dont beaucoup se retrouveront bientôt appelés sous les drapeaux - a été obtenu à coût minime, sans tirer une seule balle ni verser la moindre goutte de sang allemand.

Cerise sur le gâteau, et comme Hitler l'avait prévu, les réactions des Chancelleries occidentales se sont limitées à de simples et fort vagues protestations de principe : personne, à Paris, Londres ou ailleurs, n'étant disposé à mourir pour Vienne et quelques grands principes.

Pour autant, et au grand déplaisir des dirigeants nazis, la réussite de l'Anschluss vient de ramener le "problème juif" sur le devant de la scène !

Grâce à sa politique d'émigration forcée, faite d'humiliation, de spoliation et de restriction des libertés et droits individuels, l'Allemagne nazie avait en effet réussi, entre 1933 et 1938 à se "débarrasser" du tiers de ses quelque 600 000 Juifs.

Mais en s'emparant de l'Autriche le 12 mars, elle s'est aussi réveillée dès le lendemain avec près de 200 000 Juifs supplémentaires, ce qui, du coup, a réduit à néant tous les efforts et les résultats des années antérieures...

jeudi 20 mars 2014

4031 - ... aux conséquences prévisibles

... mais avant de pouvoir le faire sur un champ de bataille, c'est sur le Front de l’antisémitisme que les Autrichiens commencent à se distinguer, brutalisant leurs compatriotes juifs et pillant sans vergogne leurs commerces ou leurs logements... à la grande fureur d'Heydrich qui s'empresse (le 17 mars), pour préserver tant l'image de la SS que sa propre réputation d'homme inflexible mais opposé au désordre, d'en imputer officiellement la responsabilité aux Communistes en menaçant néanmoins les véritables coupables des pires sanctions.

"Ces derniers jours, des membres du parti [nazi] ont malheureusement participé à des attaques extrêmement indisciplinées et à grande échelle", écrit-il ainsi au gauleiter Josef Bürckel. en charge du plébiscite du 10 avril 

"Aujourd'hui, j'ai publié un communiqué de Presse déclarant que des sympathisants communistes revêtus d'uniformes nazis avaient mené des arrestations, des confiscations de biens et des perquisitions illégales

Je me dois de souligner que ces faits ne visent pas prioritairement des sympathisants communistes mais nos propres camarades du parti. Il serait regrettable que la Gestapo soit contrainte d'arrêter nos propres camarades sur une grande échelle. Je vous demande en conséquence de transmettre les instructions nécessaires à toutes les officines du parti" (1)

Le 5 avril, Heydrich va encore plus loin, en exigeant de ses propres SS qu'ils mettent immédiatement fin "à tous les excès et mesures contre les Juifs"...

(1) Gerwarth, op. cit. page 122

mercredi 19 mars 2014

4030 - un plébiscite triomphal...

... conformément à son habitude, c'est par un plébiscite a posteriori qu'Hitler entend à présent légitimer ce qui relève tout de même du coup de force.

Dès le lendemain de l'entrée des troupes allemandes, et deux jours avant son propre couronnement sur la Heldenplatz de Vienne, le Führer charge ainsi Joseph Bürckel, gauleiter de Sarre-Palatinat (1), d'organiser, tant en Autriche qu'en Allemagne-même, un scrutin "libre et à vote secret" (sic) qui doit consacrer l'annexion de l'Autriche au Reich.

Et le choix de Bürckel n'a rien de fortuit puisque c'est déjà lui qui, en janvier 1935, avait mené de main de maître la campagne pour le rattachement de la Sarre, laquelle s'était soldée par plus de 90% de voix en faveur du oui...

Avec Bürckel au commandes, la présence fort visible de troupes allemandes et d'agents de la Gestapo, la campagne de terreur menée par Heydrich à l'endroit de tous les opposants, mais aussi de généreuses réformes sociales (dont l'extension à l'Autriche de la sécurité sociale allemande), l'issue du scrutin ne fait aucun doute : le 10 avril 1938, 99,75% des Autrichiens (et 99,08% des Allemands) se prononcent en faveur de l'Anschluss !

Pour Hitler, c'est un triomphe de plus, un triomphe dont l'ampleur peut à bon droit paraître forcée, mais un triomphe qui n'en démontre pas moins que la grande majorité des Autrichiens était bel et bien disposée à épouser la cause de l'Allemagne et du national-socialisme.

Du reste, dans les années à venir, ceux-ci, comme s'ils entendaient démontrer qu'ils sont aussi et même davantage Allemands que les Allemands, vont se distinguer au service du Reich, formant par exemple 14% des effectifs de la SS alors qu'ils représentent moins de 8% de la population allemande (2)

(1) devenu responsable de la Sarre, du Palatinat et de la Moselle en août 1940, Joseph Bürckel se suicidera le 28 septembre 1944
(2) l'Autriche de 1938 comptait environ 6,7 millions d'habitants

mardi 18 mars 2014

4029 - le nouveau dieu de la nouvelle Autriche

... Vienne, 15 mars 1938

Le triste sort des Juifs autrichiens est naturellement la dernière préoccupation d'Hitler qui, dans l'après-midi du 12 mars, entre triomphalement dans son village natal de Braunau am Inn dont il était déjà depuis longtemps - dans les faits sinon dans les actes officiels - le citoyen d'honneur.

Encore quelques heures et le voilà à Linz, où plus de 60 000 personnes se massent pour l'entendre prononcer son discours au balcon de l'Hôtel de Ville.

Le Führer, bien sûr, veut rallier Vienne pour s'y faire couronner héros et dieu de cette Nouvelle Autriche qu'il vient de conquérir sans tirer un seul coup de feu, mais, tel un Consul romain, il entend aussi prendre son temps sur la route, et se faire aduler et couvrir de fleurs par la foule qui se presse pour l'apercevoir, et même le toucher, dans une communion et une proximité aujourd'hui inconcevables.

Aussi, c'est quasiment au pas d'homme que sa gigantesque Mercedes à six roues (1) traverse les villages d'Autriche les uns après les autres....

Dans la soirée du 14, le monstrueux engin et son escorte pénètrent enfin dans Vienne où la population, là encore, se précipite pour l'acclamer  et lui arracher quelques mots.

Le lendemain, c'est l'apothéose : sur la Heldenplatz - la "Place des héros" - aménagée à la fin du 19ème siècle par l'Empereur François-Joseph, Hitler livre un discours "historique" - un de plus - devant  quelque 250 000 Viennois extatiques...

(1) Bien que parrain officiel de la Volkswagen, Adolf Hitler ne circulait jamais qu'en Mercedes. Si le modèle 770 est le plus connu, et fut de loin le plus utilisé, le W31 à six roues, conçu à la demande de l'armée de Terre, est de loin le plus spectaculaire...

lundi 17 mars 2014

4028 - plus nazis que les Allemands eux-mêmes

... Qu'elle soit menée par des agents de la Gestapo allemande ou  par les policiers autrichiens eux-mêmes, la répression voulue par Heydrich à l'endroit des Autrichiens "nuisibles" ne tarde pas à se transformer en véritable politique de terreur.

A la fin de 1938, la quasi-totalité des Communistes autrichiens se retrouvera ainsi dans des camps de concentration, à Dachau et, surtout, à Mauthausen, dont le nom demeurera, du moins jusqu'à l'Invasion de l'URSS, synonyme de Mal absolu.

En plus des Communistes, des Monarchistes et, plus généralement de tous ceux qui, de près ou de loin, ont soutenu Dollfuss ou Schuschnigg, ou combattu les Nazis autrichiens avant 1938, la répression vise aussi les quelque 200 000 Juifs autrichiens qui, à près de 90%, sont établis dans la seule ville de Vienne.

Pour l'heure, et à l'instar de ce qui se passe en Allemagne, il ne s'agit que de les inciter "à ficher le camp", en s'emparant de leurs biens, en réquisitionnant leurs maisons ou appartements, ou en les forçant tout bonnement à nettoyer les rues à quatre pattes, sous les lazzis des Viennois hilares, lesquels, comme s'ils entendaient se racheter d'être nés Autrichiens et pas Allemands, ne tardent pas a se montrer plus brutaux, plus extrémistes, et en définitive bien plus nazis que les Allemands eux-mêmes...

dimanche 16 mars 2014

4027 - dans les salons feutrés du Regina

... Hotel Regina, Vienne, 13 mars 1938

Alors que dans les rues de Vienne pavoisées de drapeaux nazis la foule continue de célébrer bruyamment l'arrivée des troupes allemandes et l'intégration de facto de l'Autriche au Reich, Reinhard Heydrich et ses principaux subordonnés, dont Kurt Daluege (1), sont déjà occupés, dans les salons feutrés de l'Hôtel Regina, à écrire quelques-unes des pages les plus noires de l'Histoire autrichienne

Outre l'incorporation de quelque 6 000 policiers et 1 500 fonctionnaires de la Sécurité allemands à la Police autrichienne, et la totale subordination de celle-ci à la Police allemande - autrement dit à Heydrich lui-même - la mesure la plus spectaculaire est la destitution sine die du Secrétaire d'État autrichien à la Sécurité et son remplacement par le chef de la SS autrichienne - et futur successeur d'Heydrich à la tête du RSHA - Ernst Kaltenbrünner (2).

Pour autant, Heydrich n'a nullement besoin de la collaboration de Kaltenbrünner ni de sa police : avant-même d'arriver au Regina, il a déjà dressé la liste de plus de 20 000 Autrichiens "nuisibles", et confié à une équipe de la Gestapo, arrivée dans sa foulée, le soin de procéder à leur arrestation...

(1) nommé protecteur-adjoint de Bohème -Moravie à la mort d'Heydrich, Kurt Daliege sera condamné à mort pour crimes de guerre, et pendu à Prague le 24 octobre 1946
(2) né à Braunau Am Inn (Autriche), le 4 octobre 1903, Ernst Kaltenbrünner sera condamé à mort par le Tribunal de Nuremberg, et exécuté le 16 octobre 1946

samedi 15 mars 2014

4026 - "sauver l'Autriche du chaos"

... Vienne, 12 mars 1938, 05h00

Dans la nuit du 11 au 12 mars, les Nazis autrichiens commencent à investir les bâtiments publics de Linz, Innsbruck, Graz et Vienne.

Un résultat appréciable mais qui reste pourtant insuffisant aux yeux d'Hitler, lequel, soucieux d'éviter la répétition du fiasco de 1934, donne, peu avant 21h00, l'ordre formel d'invasion afin, comme le titrera la Presse allemande du lendemain, de "sauver l'Autriche du chaos". 

A l'aube, les soldats allemands franchissent donc la frontière autrichienne et marchent sur Vienne... sans rencontrer la moindre résistance et au contraire accueillis par les vivats des villageois massés le long des routes.

Mais Reinhard Heydrich est bien résolu à prendre la Wehrmacht de vitesse : sur le coup de 05h00, soit bien avant l'arrivée des premiers Panzers, son avion atterrit  à Vienne !

Pour le grand patron du SD, il importe en effet de mettre la main sur la police et toutes les forces de sécurité autrichiennes, et ce afin de les intégrer toutes affaires cessantes à son propre et vaste empire...

vendredi 14 mars 2014

4025 - le référendum avorté

... Vienne, 11 mars 1938, 19h00

En organisant dans l'urgence ce référendum de la dernière chance, Schuschnigg vient naturellement de plonger Hitler dans une rage folle.

Passe encore que cet insignifiant Chancelier autrichien souhaite consulter sa population sur l'idée d'un rattachement avec l'Allemagne... à la condition qu'il se prononce lui-même en faveur de celui-ci, et que la dite consultation se solde évidemment par un oui !    

Mais en appelant ouvertement ses  compatriotes à confirmer leur attachement à une Autriche indépendante, et en fixant l'âge minimal du vote à 24 ans - ce qui revient de facto à exclure les Autrichiens les plus jeunes mais aussi les plus favorables au nazisme ! - Schuschnigg se range clairement dans le camp du non, ce qui, pour Hitler, est totalement inacceptable !

Dès le matin du jeudi 10 mars, après quelques heures de discussion avec les principaux responsables militaires, le Führer ordonne donc à l'Armée d'envahir l'Autriche le 12... à moins que le malheureux Chancelier autrichien n'accepte d'ici-là de faire annuler son référendum.

Pris à la gorge, Schuschnigg n'a d'autre choix que de s'incliner dans l'après-midi du lendemain, ce qui, pourtant, ne satisfait toujours pas Hitler, lequel exige maintenant qu'il se démette en faveur de Seyss-Inquart !

A 19h00, et malgré les réticences du Président Miklas, l'affaire est faite et la démission officiellement annoncée à la radio, ce qui, dans les minutes qui suivent, incite des milliers de Viennois enthousiastes à descendre dans la rue pour se livrer à une véritable orgie de pillages et de destructions dans tous les magasins juifs de la ville...

jeudi 13 mars 2014

4024 - le chantage permanent

... Vienne, 9 mars 1938

En invitant - ou plutôt en convoquant - Schuschnigg au Berghof, et en se faisant accompagner de ses principaux chefs militaires et policiers, Adolf Hitler entend bel et bien démontrer au malheureux Chancelier autrichien qu'il est seul maître du jeu et que ses demandes ne sont pas négociables.

Outre la levée de l'interdit qui frappe le parti nazi autrichien depuis 1934, et la libération de tous les Nazis détenus dans les prisons autrichiennes, Hitler exige rien de moins que la nomination du pro-nazi Arthur Seyss-Inquart au poste de Ministre de l'Intérieur, l'intégration de l'Autriche à l'espace économique allemand, et la quasi-subordination de l'Armée autrichienne à l'Armée allemande.

Mais après avoir obtenu de Schuschnigg et du Président autrichien Wilhelm Miklas ce qu'il réclame, Hitler, fidèle à sa politique de surenchère permanente, décide d'aller plus loin : le 20 février, devant le Reichstag, le voilà qui affirme à présent que le puissant Reich allemand "se doit" de protéger tous les pays germaniques qui, selon lui, sont incapables d'assurer leur propre défense.

Quatre jours plus tard, Schuschnigg réplique, souligne que l'Autriche n'ira pas plus loin sur la voie des concessions et, en particulier, ne renoncera jamais à son indépendance

En Autriche pourtant, les manifestations, parfois violentes, en faveur de l'Anschluss - de l'unification avec l'Allemagne - se multiplient sans que la Police - désormais aux ordres de Seyss-Inquart et des nazis autrichiens - n'intervienne.

Le 9 mars, dans une ultime tentative, Schuschnigg décide alors de jouer le tout-pour-le-tout en annonçant pour le 13 mars suivant la tenue d'un référendum sur l'Indépendance de l'Autriche...

mercredi 12 mars 2014

4023 - l'invité et le maître-chanteur

... Berchtesgaden, 12 février 1938

Ce n'est certes pas pour faire assaut de civilités qu'Adolf Hitler a invité le Chancelier autrichien Kurt von Schuschnigg (1) à sa résidence du Berghof, le 12 février 1938.

Ses objectifs de conquêtes à présent établis, et "le grand ménage" effectué au sein des forces armées, le Führer se sent prêt à passer enfin à l'action... et d'autant plus qu'il sait n'avoir cette fois rien à redouter des Italiens qui, à l'instar des Britanniques et  des Français sont désormais prêts à passer  par pertes et profits l'Autriche indépendante.

Pour donner plus de poids à ce qu'il considère comme ses "légitimes revendications", et par là-même impressionner Schuschnigg, Hitler a également invité quelque "gros bras", à commencer par Wilhelm Keitel (nouveau commandant-en-chef de l’Armée de Terre), Heinrich Himmler (chef suprême de la SS)... et Reinhard Heydrich

Un Reinhard Heydrich qui, en secret, et depuis plus d'un mois, entraîne déjà plus de 20 000 hommes des forces de sécurité à prendre le contrôle de l'Autriche...

(1) le 29 juillet 1934,  Kurt von Schuschnigg avait succédé à Engelbert Dollfuss, assassiné quatre jours plus tôt 

mardi 11 mars 2014

4022 - de bien meilleures perspectives

... qu'il l'ait lui-même commandité ou non - les historiens demeurent divisés sur la question - l'échec du putsch et le comportement de Mussolini - qui en cette affaire avait ouvertement soutenu Dollfuss et l'Indépendance de l'Autriche - avaient naturellement eu le don d'exaspérer Hitler.

Mais l'Allemagne de 1934 n'ayant pas encore les moyens de se lancer dans quelque aventure militaire que ce soit, le Führer n'eut d'autre choix que de battre en retraite et d'attendre des jours meilleurs.

Trois ans plus tard, le spectaculaire redressement politique, économique et, surtout, militaire du Reich, l'inévitable attrait exercé par celui-ci sur les Autrichiens jusque-là les plus réfractaires à une unification, ainsi que l'effacement de l'Italie, désormais condamnée à ne plus jouer que les seconds rôles, tout cela offrait de bien meilleures perspectives.

Le 5 novembre 1937, Hitler a donc, comme nous l'avons vu, réuni ses principaux chefs militaires pour leur faire part de son intention de régler le "problème autrichien" une bonne fois pour toutes et dans les délais les plus brefs.

Les moins enthousiastes - Blomberg et Fritsch - fort opportunément "démissionnés" deux mois plus tard, la voie royale qui menait à l'annexion pure et simple était définitivement ouverte, ne laissant plus aux généraux que le soin de régler les ultimes "détails" de l'affaire.

Une affaire qui allait permettre à Heydrich de se tirer - avec les honneurs ! - de l'ornière dans laquelle il s'était embourbé...

lundi 10 mars 2014

4021 - "L'Autriche allemande doit revenir à la grande patrie allemande !"

... mais bien avant de pouvoir contempler la frontière autrichienne depuis ses fenêtres du Berghof, dont il avait fait sa résidence depuis 1928, Adolf Hitler s'était déjà remis à penser à son pays natal et sa population germanophone.

Dans son esprit, il était en effet très clair que l'Autriche, de par la langue, la Culture ou encore l'Histoire, était "naturellement" allemande et devait donc tout aussi "naturellement" intégrer la "Nouvelle Allemagne" qu'il s'était juré de bâtir.

"L'Autriche allemande doit revenir à la grande patrie allemande !", avait-il écrit dans Mein Kampf, "Un seul sang exige un seul Reich !".

Ruinés par la guerre, et tétanisés par la totale disparition de leur propre et vaste empire, bon nombre d'Autrichiens étaient d'ailleurs tout disposés à se rallier à cette vision,... quitte à embrasser au passage l'idéologie nationale-socialiste.

Dès le début des années 1930, les nazis autrichiens, galvanisés par l'exemple de leurs "cousins" allemands, avaient d'ailleurs commencé à battre le pavé... et à verser dans la violence, au point le 25 juillet 1934 de lancer un coup d'État qui se solda certes  par un échec mais n'en abouti pas moins à la mort du Chancelier Engelbert Dollfuss - qui était, quant à lui, farouchement opposé à toute idée d'unification avec l'Allemagne...

dimanche 9 mars 2014

4020 - bien plus Allemand qu'Autrichien

... bien que né en Autriche de parents autrichiens, Adolf Hitler avait toujours profondément détesté l'Empire austro-hongrois, raison pour laquelle il avait émigré à Munich au printemps de 1913 et s'y était déclaré apatride.

S'estimant bien plus Allemand qu'Autrichien, c'est d'ailleurs au sein d'un régiment bavarois qu'il s'était engagé - volontairement - dès le déclenchement de la 1ère G.M., et c'est encore en tant qu'Allemand qu'il avait douloureusement vécu l'Armistice de 1918 et les années de disette et d'humiliation nationales qui avaient suivi.

En mars 1925, peu après sa sortie de la prison de Landsberg, Hitler avait définitivement rompu toutes ses attaches officielles avec l'Autriche, en rédigeant une déclaration formelle d'abandon de la citoyenneté autrichienne, laquelle lui fut accordée sans difficultés le 30 avril suivant (1)

Demeuré apatride pendant sept ans, mais unanimement considéré comme "Allemand"... y compris par ses plus farouches opposants politiques, Hitler avait finalement obtenu la nationalité allemande en février 1932, suite à sa nomination comme conseiller ministériel.

Toute attache avec l'Autriche semblait donc rompue, mais le simple fait que l'intéressé ait acheté, puis entièrement fait reconstruire aux frais de l'État, une immense résidence sur l'Obersalzberg, à deux pas de la frontière autrichienne, ce simple fait montrait bien que le nouveau Führer de la Grande Allemagne nourrissait encore quelque idée à l'égard de son pays natal...

(1) après avoir condamné Hitler à cinq ans de prison pour sa participation au "putsch de la Brasserie", le gouvernement allemand, pour s'en débarrasser, avait voulu l'expulser en Autriche. Mais les autorités autrichiennes s'y étaient opposées, arguant du fait qu'ayant refusé de servir dans l'armée autrichienne, et combattu pendant quatre ans dans l'armée allemande en 1914-1918, Hitler n'était plus Autrichien...

samedi 8 mars 2014

4019 - en mauvaise posture

... revenons à présent au début de mars 1938.

S'il n'a probablement rien demandé à Reinhard Heydrich, Adolf Hitler s'est incontestablement imposé comme le grand bénéficiaire de "l'affaire Blomberg-Fritsch".

Un mois plut tôt, exploitant fort habilement la situation et - contrairement à Joseph Staline - sans verser la moindre goutte de sang, le Führer a en effet effectué au sein de l'Armée le "grand-ménage" qui, en chassant les éléments les moins favorables à une nouvelle guerre, a pour ainsi dire précipité l'Allemagne toute entière dans celle-ci.

Cherchant pour sa part, et depuis 1935, à se débarrasser de Blomberg et de Fritsch afin d'accroître le Pouvoir de la SS et, il faut bien le dire, ses prérogatives personnelles, Heydrich aurait également toutes les raisons d'être satisfait... si la dite Armée, sous le choc des événements, et ulcérée par le comportement scandaleux de la Gestapo à l'encontre de Fritsch - qui sera bientôt lavé de toute accusation d'homosexualité - si la dite Armée, donc, ne réclamait à présent sa tête en guise de dédommagement !

Et cette tête aurait sans doute fini bel et bien sur le billot si un événement aussi spectaculaire que propre à enflammer les foules n'était subitement venu à la rescousse du chef du SD.

L'annexion de l'Autriche à l'Allemagne

vendredi 7 mars 2014

4018 - trois hommes au placard

... quel qu'ait été le rôle joué par Heydrich et la SS dans cette affaire, les conséquences furent décisives pour les trois personnalités en définitive les plus réticentes à l'idée de partir en guerre.

"Démissionné" de son poste de Ministre de la Guerre le 27 janvier 1938, et remplacé dans cette fonction par Hitler lui-même, Werner von Blomberg s'exilera en Italie avec son épouse, puis rentrera en Allemagne, dans l'anonymat le plus complet, au déclenchement d'une nouvelle guerre mondiale à laquelle il ne participera en rien, ce qui ne l'empêchera pourtant pas d'être arrêté par les Alliés au terme de celle-ci. Il mourra d'un cancer, dans un camp de prisonniers près de Nuremberg, le 14 mars 1946.

Bien que finalement lavé de tout soupçon d'homosexualité par un tribunal militaire, Werner von Fritsch, lui aussi contraint à la démission le 4 février 1938,  ne récupérera jamais le commandement-en-chef de l'Armée de Terre. Demeuré sans affectation, mais avec solde complète, jusqu'au début de 2ème G.M., c'est au titre - ô combien symbolique - de "colonel honoraire du 12ème régiment d'Artillerie" qu'il se fera finalement tuer par un balle polonaise, devant Varsovie, le 22 septembre 1939.

Demeuré Ministre sans portefeuille après sa démission forcée du 4 février 1938, Konstantin von Neurath sera quant à lui nommé Protecteur de Bohème-Moravie en mars 1939, mais supplanté de facto dans ce rôle par Reinhard Heydrich dès septembre 1941, et ce avant d'en être officiellement démis en août 1943 au profit de Wilhelm Frick. Jugé par le Tribunal de Nuremberg, et condamné en septembre 1946 à quinze années d'emprisonnement, Neurath sera néanmoins libéré de la prison de Spandau pour raisons de santé en 1954, et décédera le 14 août 1956, à l'âge de 83 ans...


jeudi 6 mars 2014

4017 - un complot Fritsch ?

... incertain dans le cas de Werner von Blomberg, le rôle de la SS, et de Reinhard Heydrich, est en revanche bien plus évident - mais probablement indirect - dans le cas de Werner von Fritsch.

Cherchant à mettre la main sur toutes les forces armées d'Allemagne, Himmler et Heydrich avaient, dès 1935, accusé le commandant-en-chef de l'Armée de Terre de fomenter un coup d'État contre le régime nazi. 

Un an plus tard, les deux hommes étaient revenus à la charge, soutenant cette fois que le général déshonnorait son uniforme, et le Reich tout entier, par des pratiques homosexuelles... uniquement dénoncées par un faussaire et délinquant notoire, Otto Schmidt, dont les affirmations, déjà fortement sujettes à caution, allaient d'ailleurs s'effondrer devant le tribunal ultimement appelé à juger Fritsch.

En 1935 comme en 1936, Adolf Hitler avait balayé du revers de la main les "preuves" compilées - pour ne pas dire forgées - par les services d'Heydrich, et même ordonné leur destruction, ce que l'intéressé s'était cependant bien gardé de faire et ce qui lui avait donc permis, en janvier 1938, de les ressortir fort opportunément devant les yeux d'un Führer qui, suite au scandale Blomberg, s'était repris à douter des mœurs de Fritsch.

Déjà fort légères en 1936, ces "preuves" ne valaient pourtant plus rien deux ans plus tard, puisque la Gestapo, suite aux aveux de l'ex capitaine von Frisch, savait déjà depuis des semaines qu'Otto Schmidt avait - et probablement volontairement - confondu les deux hommes !

En représentant le dossier à Hitler, Heydrich était-il au courant de ce fait capital, ou l'information s'était-elle tout simplement perdue quelque part dans les méandres de sa fort vaste administration ? - près de 80 ans plus tard, la question reste entière, mais les efforts considérables déployés par ce dernier dans les semaines suivantes afin d'étoffer les accusations d'homosexualité à l'endroit de Fritsch, ces efforts tendent néanmoins à démontrer que le chef du SD, bien que nourrissant de sérieux doutes quant à la crédibilité de Schmidt, demeurait convaincu de la culpabilité du général...

mercredi 5 mars 2014

4016 - un complot Blomberg ?

... à l'exception de quelques rares "complotistes" qui vont jusqu'à soutenir - mais sans apporter la moindre preuve - que son dossier de racolages à été monté de toutes pièces, et ses photos pornographiques carrément forgées par le SD de Reinhard Heydrich,  tous les historiens s'accordent sur le fait que Margarethe Gruhn était bel et bien une dame de petite vertu avant de rencontrer puis d'épouser le Ministre de la Guerre Werner von Blomberg, et aussi sur le fait qu'Adolf Hitler ignorait tout de la chose avant de se proposer comme témoin lors du dit mariage.

Mais qu'en est-il du rôle de la SS et d'Heydrich lui-même ?

S'il n'existe là non plus aucune preuve de leur implication directe dans cette affaire, on peine tout de même à croire que les services d'Heydrich, qui depuis 1934 compilaient inlassablement des informations sur tous les membres éminents du régime, et probablement sur Hitler lui-même (!), on peine à croire que les dits services aient tout ignoré du passé de l'intéressée jusqu'au lendemain de son mariage avec un personnage aussi important que Blomberg, et alors que les deux tourtereaux se fréquentaient déjà - dans une discrétion très relative - depuis plusieurs mois !

Le fait que l'auteur de la lettre de dénonciation anonyme n'ait jamais été formellement identifié ajoute au trouble, un trouble encore accentué par le rôle joué par Arthur Nebe qui, plutôt que de suivre la voie hiérarchique, et donc d'en informer directement Heydrich, choisit au contraire de tenir ce dernier totalement à l'écart jusqu'à ce que Goering lui-même reconnaisse Margarethe Gruhn sur les photos pornographiques qu'on lui tend.

Comment imaginer qu'un personnage aussi prudent que le chef de la KRIPO ait décidé d'agir de la sorte face à un supérieur - Heydrich - déjà considéré à l'époque comme l'homme le plus dangereux d'Allemagne ?

Et comment, enfin, expliquer le fait qu'Heydrich n'ait ensuite pris aucune sanction contre Nebe, ni d'ailleurs contre aucun de ses subordonnés demeurés aveugles et sourds jusqu'au lendemain du mariage du ministre Blomberg et de la réception d'une lettre anonyme leur révélant enfin le pot-aux-roses...

mardi 4 mars 2014

4015 - saisir la balle au bond

... la quasi-simultanéité des scandales Blomberg et Fritsch a naturellement amené les historiens à parler d'une seule "affaire Blomberg-Fritsch", et à la présenter comme une des étapes-clé menant directement à la 2ème G.M.

En confiant au général Walther von Brauchitsch - considéré comme beaucoup plus accommodant - le poste de commandant-en-chef de l'armée de Terre, en reprenant pour lui-même celui de Ministre de la Guerre, en attribuant au très servile Joachim von Ribbentropp le Ministère des Affaires étrangères, et en remplaçant, dans la foulée, près d'une centaine (!) d'officiers supérieurs et de diplomates davantage acquis à sa personne et à l'idée de partir en guerre, Hitler a de fait sérieusement rapproché l'Allemagne d'un nouveau conflit.

Nonobstant, et aussi essentiels soient-il pour ce qui va suivre, rien ne permet d'affirmer que ces multiples mouvements de personnels aient en définitive été réclamés, ou même souhaités, par le Führer lui-même, et dans le cadre d'un quelconque "plan" murement réfléchi.

Au contraire, tout porte à croire qu'Hitler, une fois passés les premiers moments de stupeur et de colère, a tout simplement saisi la balle au bond, réalisé le parti qu'il pouvait en tirer et, conformément à son habitude, très vite renchéri dans la voie de la Guerre et du Pouvoir absolu.

Mais si rien ne semble a priori démontrer son implication dans "l'affaire Blomberg-Fritsch", qu'en est-il de la SS et d'Heydrich lui-même ?

lundi 3 mars 2014

4014 - le grand ménage

... revenons à présent quelques semaines en arrière, et plus précisément au 4 février 1938

Après avoir obtenu la démission de Blomberg (27 janvier) suite au passé de prostituée de sa jeune épouse, puis celle de Fritsch (3 février) en raison de sa prétendue homosexualité, Adolf Hitler s'est retrouvé confronté à la peur du vide : à qui allait-il bien pouvoir confier le poste de commandant-en-chef de l'armée de terre et, surtout, celui de Ministre de la Guerre, convoité par plusieurs grosses pointures du régime, à commencer par Hermann Goering et Heinrich Himmler ?

Pour ne pas donner plus de pouvoir à l'un ou l'autre de ces deux hommes, le Führer a alors tout simplement décidé... d'ajouter le poste de Ministre de la Guerre à sa propre couronne, qui comprend déjà celle de Chancelier et de Président du Reich !

Mais Hitler, en parfait opportuniste, et fidèle à sa politique de surenchère permanente, a également décide de profiter de l'occasion pour aller plus loin, en limogeant le Ministre des Affaires étrangères Konstantin von Neurath qui, comme nous l'avons vu, s'était montré fort critique lors de la réunion décisive du 5 novembre 1937 !

Pour le remplacer, le Führer a jeté son dévolu sur un parfait homme-lige : Joachim von Ribbentrop, ancien représentant des champagnes Pommery, à l'expérience diplomatique fort limitée mais qui, lui, ne remettra jamais en cause ses politiques !

"En définitive, l'affaire Blomberg-Fritsch fut, après l'incendie du Reichstag et le "putsch de Röhm", la troisième étape de la consolidation du pouvoir absolu du Führer et, tout spécialement de sa domination sur l'armée. Avec un appareil militaire émasculé et un Ribbentrop belliciste aux Affaires étrangères, c'en était fini de toutes les forces qui auraient pu donner à Hitler des conseils de prudence et le freiner dans son désir personnel de l'expansion la plus rapide possible" (1)

(1) Kershaw, Hitler, tome 2, page 123


dimanche 2 mars 2014

4013 - la pantalonnade

... s'il a perdu son poste - mais conservé solde et garantie de retraite complète - Werner von Fritsch a cependant bien l'intention de laver son honneur devant le tribunal militaire qu'Hitler - notez là encore la différence avec Staline - n'a eu d'autre choix que de lui concéder.

Et c'est peu dire que l'affaire tourne mal pour l'Accusation puisqu'en dépit des efforts d'Heydrich, qui a fait le maximum pour valider le dossier compilé par ses subordonnés, envoyant des agents de la Gestapo enquêter dans toutes les villes de garnison autrefois fréquentées par Fritsch, et même jusqu'en Égypte, où l'intéressé a récemment passé ses vacances (!), aucun élément nouveau ne vient corroborer la thèse de l'homosexualité.

Pire encore : à l'ouverture du procès, début mars, Otto Schmidt, le seul témoin à charge, revient sur ses dires, reconnait qu'il a confondu le général Werner von Fritsch avec un capitaine à la retraite du nom de von Frisch lequel, appelé à la barre, admet non seulement les faits mais souligne, à la stupéfaction générale, qu'il les avait lui-même déjà avoués à la Gestapo plusieurs semaines auparavant, soit bien avant qu'Heydrich ne ressorte du placard le dossier monté contre von Fritsch en 1936 !

Le 18 mars, voilà donc Fritsch blanchi de toutes les accusations portées à son endroit, et Heydrich, ainsi que la SS dans son ensemble,  sérieusement mis sur la sellette : Fritsch parle ouvertement de provoquer Himmler en duel tandis que Ludwig Beck, chef de l'État-major général, exige rien moins que la démission d'Heydrich et de tous ceux qui, de près ou de loin, ont participé à l'enquête sur Fritsch !

A vrai dire, on est même à deux doigts du coup d'État militaire,... un coup d'État appuyé dans l'ombre par Wilhelm Canaris, dont les liens d'amitié avec Heydrich se sont beaucoup distendus depuis 1935, c-à-d à mesure que l'intéressé voyait les prérogatives de l'Abwehr de plus en plus menacées par l'expansion de la SS...

samedi 1 mars 2014

4012 - "une situation diabolique"

...Berlin, 26 janvier 1938

Dans la soirée du 26 janvier 1938, Hermann Goering obtient finalement gain de cause, c-à-d la convocation de von Fritsch à la Chancellerie du Reich afin qu'il y soit confronté, en présence de lui-même, du Führer et d'Heinrich Himmler, à son accusateur, Otto Schmidt, fort opportunément sorti du camp de concentration de Borgermoor dans lequel ce dernier se morfondait depuis de nombreux mois.

Face à cette assemblée pour le moins impressionnante, Schmidt réitère pourtant son accusation et affirme d'autre part avoir reçu quelque 1 500 Reichsmarks des mains de Fritsch en échange de son silence.

Fritsch, de son côté, continue de tout nier en bloc, ce qui, faute de la moindre preuve matérielle, revient donc à opposer la parole de l'un contre celle de l'autre ou, plus exactement, et comme le notera le Ministre de la Propagande Joseph Goebbels dans son journal, à opposer la parole "d'un maître-chanteur homosexuel contre celle du chef de l'armée. Et le Führer n'a plus confiance en Fritsch, une situation diabolique"

Cherchant une issue à cette situation, Hitler décide de confier le dossier  au Ministre de la Justice Franz Gürtner qui, à la vitesse de l'éclair, et même s'il se déclare incapable de trancher sur le fond, n'en estime pas moins, renversant ainsi le fardeau de la preuve, que Fritsch n'a pas été en mesure "de démontrer son innocence", ce qui, le 3 février suivant, suffit alors à Hitler pour obtenir sa démission, officiellement "pour raison de santé"...