lundi 30 juin 2014

4133 - Villa Marlier, Wannsee, mardi 20 janvier 1942

... Villa Marlier, Wannsee, mardi 20 janvier 1942

Construite en 1914, à Wannsee, dans la banlieue de Berlin, au bord d'un lac, la Villa Marlier est une immense demeure, cossue mais sans grâce, que la SS d'Heinrich Himmler a rachetée à vil prix en 1940 (1) pour en faire un centre de conférences et de villégiature pour ses cadres et, sans doute, la résidence privée de l'un d'eux une fois la paix revenue.

En pénétrant dans le hall par ce froid matin du 20 janvier 1942, Reinhard Heydrich est aussitôt accueilli par le parterre de hauts fonctionnaires et d'officiers SS qu'il a lui-même fait convoquer par l'entremise du toujours aussi inévitable Adolf Eichmann.

Représentant les différents ministères et services impliqués dans la "Question juive", ces invités sont tantôt des civils comme Martin Luther (sous-secrétaire d'État aux Affaires étrangère) ou Josef Bühler (secrétaire d'État au Gouvernement général de Pologne), tantôt des SS comme Gerhard Klopfer (de la Chancellerie du Parti) ou Otto Hofmann (Chef du Bureau pour la race et le peuplement)

Après un bref échange de platitudes et quelques collations, Heydrich entre dans le vif du sujet et, pour dissiper tout doute sur son autorité, commence par rappeler le fameux mandat que lui a octroyé le Reichsmarchall Hermann Goering le 31 juillet précédent afin de parvenir à une "Solution finale à la question juive"

(1) son précédent propriétaire venait d'être emprisonné pour escroquerie

dimanche 29 juin 2014

4132 - un changement de thématique

... souvent perçues comme une étape-clé des persécutions nazies envers les Juifs, les Lois de Nuremberg de 1935 ne visaient en réalité qu'à imposer un cadre légal, et un peu d'ordre, dans la multitude d'initiatives individuelles et de règlements collectifs déjà pris, d'un bout à l'autre de l'Allemagne, à l'encontre des Juifs.

De même, souvent présentée comme le point d'orgue de la "Solution finale", la Conférence de Wannsee ne constitue en fait qu'un événement important - mais pas unique - dans la longue suite de cheminements tortueux et contradictoires qui, depuis l'arrivée d'Hitler au Pouvoir, neuf ans plus tôt, vont finalement mener aux chambres à gaz d'Auschwitz-Birkenau.

La plupart des participants de cette conférence - à commencer bien sûr par Heydrich lui-même - sont parfaitement au courant des conditions dans lesquelles s’opère déjà la "résolution" de la "Question juive", ainsi que de la volonté de leur Führer, encore martelée le mois précédent, de "faire payer" aux Juifs le prix de la guerre en cours.

A l'origine, cette conférence, réclamée par Heydrich fin novembre 1941, ne vise pourtant qu'à parler de la déportation des Juifs d'Europe, et pas de leur extermination.

La contre-offensive soviétique devant Moscou, le recul des armées allemandes sur le Front de l'Est, puis l'entrée des États-Unis dans la guerre, ont cependant poussé Heydrich non seulement à en retarder la date à plusieurs reprises mais aussi, et surtout, à en modifier dramatiquement la thématique...

... à la plus grande surprise de ses invités qui, dans quelques minutes, vont en découvrir la teneur.

samedi 28 juin 2014

4131 - une simple réunion d’enclenchement

... contrairement à ce que l'on entend souvent, la Conférence de Wannsee constitue plutôt à ce que l'on appellerait aujourd'hui un "kick-off meeting", soit une simple "réunion d'enclenchement" ayant pour but de préciser l'identité du donneur d'ordres, de définir l'objectif à atteindre, et de coordonner les efforts des uns des autres en vue de la réalisation de cet objectif.

Ce n'est donc pas à Wannsee que "se décide" l'extermination des Juifs d'Europe : cette extermination s'est déjà imposée "naturellement", c-à-d - comme nous l'avons vu - après que toutes les autres solutions pour régler la "Question juive" eurent échoués, du fait des politiques menées par les Nazis eux-mêmes.

Du reste, les quatorze personnes conviées par Heydrich à assister à cette conférence ne sont pas des "décideurs" en tant que tels, mais plutôt de très haut fonctionnaires appartenant aux différents ministères intéressés à la "Question juive", à l'instar de Martin Luther, qui relève des Affaires étrangères, ou Roland Freisler, qui appartient au Ministère de la Justice.

Même s'ils vont bientôt entériner le plus grand massacre de l'Histoire humaine, il est essentiel de noter que ces hommes n'ont aucun casier judiciaire, qu'ils sont tous de bons pères de famille, qu'ils possèdent pour la plupart une intelligence largement au-dessus de la moyenne - plus de la moitié d'entre eux sont même titulaires d'un doctorat, le plus souvent en Droit - et qu'ils ne sont en rien des antisémites forcenés.

A Wannsee, dans une paisible villa bâtie au bord d'un lac, ces quatorze citoyens au-dessus-de-tout-soupçon vont pourtant écrire une des pages les plus noires de l'Histoire de l'Humanité et propulser le meurtre de masse dans l'ère industrielle...

vendredi 27 juin 2014

4130 - l'inévitable conclusion

... pendant longtemps, et probablement jusqu'à l'automne de 1941, Reinhard Heydrich, avait estimé, à l'instar des autres hauts dirigeants nazis, que la "Solution à la question juive" passait par la découverte  et la mise à disposition d'un lointain "territoire", situé probablement à l'Est, dans lequel on pourrait déporter tous les Juifs d'Europe une fois la victoire acquise et la paix revenue.

Mais avec l'échec de l'offensive contre Moscou, la contre-attaque soviétique, et l'entrée en guerre des États-Unis, la "victoire", sans être devenue inaccessible, est néanmoins remise à une date aussi ultérieure qu'imprévisible, tandis que la "paix" relève à présent du vœux pieux.

Faute de "territoire" disponible à brève ou moyenne échéance, que faire alors des millions de Juifs dont on veut absolument "purger" l'Europe ? que faire en particulier de tous ces Juifs des ghettos, entassés dans des conditions sanitaires abominables ?

En ce début de 1942, l'extermination pure et simple est devenue la seule issue encore possible, la seule qui respecte "la volonté du Führer" et qui lui permettra, quoi qu'il puisse arriver sur le Front, de remplir sa "promesse" à l'égard ce de peuple maudit.

Mais encore convient-il organiser cette extermination de la manière la plus efficace, la plus ordonnée, et la plus économique possible !

Fidèle à lui-même, Heydrich entend bien éviter les pogroms et tous ces massacres individuels qui détruisent tant de biens et s'avèrent indignes d'une nation aussi "civilisée" que l'Allemagne.

Et il entend aussi écarter toutes les officines et dirigeants concurrents afin de demeurer le seul maître d’œuvre en cette matière...

jeudi 26 juin 2014

4129 - les prophètes maudits

... le 12 novembre 1938, Hermann Goering avait déclaré que "Si, dans un avenir prévisible, le Reich allemand se trouve engagé dans un conflit de politique étrangère, on peut être assuré que nous, en Allemagne, nous penserons avant tout à en découdre avec les Juifs"

Le 30 janvier 1939, dans son allocution devant le Reichstag, Adolf Hitler était allé plus loin, soulignant que "s’il devait arriver que la finance juive internationale réussisse encore une fois à précipiter les peuples dans une nouvelle guerre mondiale, cela n’aurait pas pour effet d’amener la bolchevisation du globe et le triomphe des Juifs mais bien, au contraire, l’anéantissement de la race juive d’Europe".

Et puisque cette nouvelle guerre est arrivée, puisqu'elle est maintenant mondiale, Hitler surenchérit "J'ai déjà déclaré", dit-il, "que cette guerre ne se finira pas comme les Juifs l'imaginent, par l'extermination des peuples aryens d'Europe, mais que le résultat de cette guerre sera l'anéantissement de la juiverie. Pour la première fois, la vieille loi du Talion va être maintenant appliquée : œil pour œil et dent pour dent" (1)

Et puisque chacun, dans cette Allemagne nazie, se doit de "travailler en direction du Führer", tout le monde y va de sa propre "prophétie" - bien évidemment du plus sinistre augure - à l'endroit des Juifs

Le 16 décembre 1941, cinq jours après la déclaration de guerre de l'Allemagne aux États-Unis, Hans Frank, Gouverneur général de Pologne, déclare ainsi que "Pour ce qui est des Juifs, donc, ma seule hypothèse de travail est qu'ils sont voués à disparaître. Nous devons exterminer les Juif partout où nous les trouvons !" 

Tapis dans l'ombre, Reinhard Heydrich, bien sûr n'attend que ce moment

Son heure vient de sonner...

(1) Kershaw, op. cit. page 671

mercredi 25 juin 2014

4128 - "nous ne pouvons pas perdre cette guerre !"

... Berlin, 11 décembre 1941

"Nous ne pouvons pas perdre cette guerre !" s'est exclamé Adolf Hitler dès l'annonce de l'attaque japonaise contre Pearl Harbor, "nous avons maintenant un allié qui n'a jamais été conquis en trois mille ans !" (1)

Et quatre jours plus tard, devant le Reichstag, c'est avec le même enthousiasme que le Führer annonce qu'en application du Pacte Tripartie, il déclare la guerre aux États-Unis

Pour Hitler, l'affaire paraît sans risque : sous-estimant dramatiquement le potentiel industriel et militaire de ce nouvel adversaire, il estime en effet que les États-Unis seront bien trop occupés dans le Pacifique pour être en mesure de faire quoi que ce soit en Europe - en ce compris fournir des armes à la Grande-Bretagne et à l'URSS - avant au moins un an, ce qui lui permettra d'en finir à l'Est et d'en exploiter ensuite le potentiel économique et humain pour dissuader toute initiative anglo-américaine à l'Ouest

L'Amérique est bien trop loin pour être conquise, ou simplement bombardée, mais ses navires, et même l'embouchure de ses ports, ne sont pas à l'abri des torpilles des U-boot qui, depuis des mois, doivent faire preuve de retenue et de la plus extrême prudence dans l'Atlantique, par peur de toucher un bâtiment arborant la bannière étoilée (1)

De fait, face à une US Navy quelque peu naïve, et qui manque cruellement d'escorteurs et de moyens de lutte anti-sous-marine, les six premiers mois de 1942 vont constituer un nouvel "âge d'or" pour les sous-marins allemands croisant au large des côtes américaines, lesquels vont sérieusement étoffer leur palmarès... et diminuer d'autant l'aide perçue par Londres et Moscou.

Mais cette guerre qui devient mondiale est aussi l'occasion, pour Hitler, de rappeler sa "promesse" à l'égard des Juifs d'Europe...

(1) Kershaw, op. cit. page 649


mardi 24 juin 2014

4127 - ni gagnée, ni perdue, la guerre continue

... mais aussi spectaculaires soient-elles, aucune de ces mesures ne pourrait sauver l'Armée allemande si Staline ne faisait à présent preuve du même optimisme, et du même aveuglement, qu'Hitler !

Encouragé par le formidable succès de sa contre-attaque qui, en quelques semaines, a repoussé le Groupe d'Armées centre sur près de 160 kms, le Petit Père des Peuples en arrive lui aussi  à la conclusion qu'avec "quelques efforts de plus" il pourrait tout aussi bien raccompagner les Allemands jusque Berlin, et gagner ainsi la guerre à lui tout seul !

Le 5 janvier 1942, il réclame donc rien de moins qu'une offensive de grande envergure tant vers le Nord et Leningrad, que vers le Sud et la Crimée.

En vain Joukov tente-t-il d'attirer son attention sur l'impossibilité matérielle d'une telle entreprise, avec des troupes épuisées, trop peu nombreuses et encore mal équipées.

Et ce qui devait arriver arrive : après quelques jours, la grande offensive de Libération dégénère en une succession d'escarmouches indécises et sans orientation précise, qui voient des milliers d'hommes des deux camps mourir en pure perte, avançant et reculant au fil des attaques et contre-attaques.

A la mi-janvier, le Front est finalement stabilisé : l'Allemagne n'a pas gagné la guerre; l'URSS ne l'a pas perdue; la guerre, tout simplement, continue, ce qui, pour les Juifs d'Europe, constitue une nouvelle dramatique...

lundi 23 juin 2014

4126 - "Une petite affaire de commandement tactique, à la portée du premier venu"

... malgré son extrême répugnance à abandonner un terrain si chèrement conquis, et à accepter les arguments de ses généraux qui le supplient d'autoriser la retraite, Hitler comprend que l'armée allemande n'a pas les moyens de tenir le Front face à la centaine de divisions rassemblées par Joukov.

Mais dans son esprit, se profile néanmoins le spectre de la Berezina, cette Berezina maudite qui a vu Napoleon perdre son armée - et bientôt son trône - après avoir ordonné, en plein hiver, une retraite précipitée qui s'est rapidement transformée en débâcle : forcés d'abandonner armes et matériel, privés de tout abri dans la steppe, mourant de faim et de froid, constamment harcelés par les Russes, les soldats de la Grande Armée sont morts par dizaines de milliers (1)

Alors Hitler ordonne : il faut, dit-il "obliger les troupes à une résistance fanatique sur leurs positions, sans tenir compte de l'ennemi qui enfonçait les flancs ou l'arrière (...) Il ne saurait être question de retraite. Hormis en certains endroits où il y a eu pénétration profonde de l'ennemi" (2)

Et comme, sur le terrain, bon nombre de généraux n'y croient plus, le maréchal von Bock est relevé de son commandement le 18 décembre; le lendemain c'est au tour du maréchal von Brauchitsch, commandant en chef de l'Armée de Terre !

Et comme cela ne suffit pas encore, Hitler décide, le 19 décembre, et à la stupéfaction générale, d'ajouter la charge de commandement en chef de l'armée de Terre à celles, déjà considérables, de Chef de l'État et de Chancelier du Reich !

"Une petite affaire de commandement tactique", dit-il, "à la portée du premier venu" (4)

(1) au total, la Campagne de Russie coûta la vie à quelques 300 000 soldats français
(2) Kershaw, pp 661-662
(3) au total, 35 généraux seront ainsi limogés durant l'hiver même si - Hitler n'étant pas Staline - aucun ne sera cependant fusillé pour l'exemple, chacun conservant même sa solde complète...
(4) Kershaw, page 663

dimanche 22 juin 2014

4125 - la surprise

... 6 décembre 1941

Mais alors que Guderian vient à peine d'autoriser ses avant-gardes à se replier vers des positions moins exposées, une centaine de divisions soviétiques se lancent à l'attaque des positions allemandes !

Depuis des semaines, et dans le plus grand secret, le maréchal Joukov a en effet fait rassembler plusieurs centaines de milliers d'hommes, et plus de 1 700 chars, prêts à donner l'assaut sur un Front de plus de 300 kms, et par des températures largement inférieures à - 20 degrés.

Du côté allemand, c'est aussitôt le chaos, un chaos savamment amplifié par une multitude de saboteurs et de petites unités d'éclaireurs ou de partisans, opérant vingt ou trente kilomètres derrière leurs lignes !

Paralysées par le froid et la neige, privée de renforts et du soutien d'une Luftwaffe qu'une campagne de six mois a réduite à peau-de-chagrin (1) les troupes allemandes et leurs blindés n'ont d'autre choix que de retraiter, souvent sans en avoir reçu l'ordre.

Moscou est sauvée. En dix jours, le groupe d'armée centre du maréchal Von Bock recule même de près de 160 kms, effaçant du même coup une bonne partie de ses succès de l'été et de l'automne.

Pour les Allemands se profile alors le spectre d'une nouvelle Berezina...

(1) en six mois d'offensive, la Luftwaffe a perdu plus de 1 700 avions, soit environ la moitié de ses effectifs initiaux

samedi 21 juin 2014

4124 - en attendant le retour du printemps et la victoire finale

... mais en attendant le retour du printemps, il faut tenir coute que coute, et surtout ne pas céder le moindre mètre de territoire si chèrement conquis durant l'été, ce qui va nécessairement contraindre l'armée allemande à un hivernage rigoureux, aussi couteux pour le Reich que meurtrier pour les hommes.

Mais la "volonté du Führer" exprimée depuis Berlin ou son Q.G de Prusse orientale, se heurte cependant aux dures réalités du terrain, et aussi au légitime désir des officiers de préserver autant que possible les soldats placés sous leur commandement, et ce en ne les exposant pas inutilement à la fureur des éléments.

Début décembre, de leur propre initiative, et sans en référer à Hitler, certains généraux - comme Heinz Guderian - commencent déjà à replier leurs avant-gardes vers des secteurs moins exposés du Front, avec la ferme intention de repartir néanmoins à l'attaque, et de gagner la guerre, aussitôt que possible.

Personne parmi eux n'imagine cependant les Russes capables de mener la moindre contre-offensive d'envergure dans des conditions météo aussi dantesques.

Ils se trompent...

vendredi 20 juin 2014

4123 - "le Russe est fini"

... A l'évidence, la situation militaire à l'Est, en cette fin d'année 1941, ne correspond nullement aux attentes du Führer et de son État-major.

Loin de fournir le blé, le pétrole et la main d'oeuvre servile dont le Reich a besoin, l'Union soviétique absorbe au contraire toujours davantage de ressources matérielles et humaines en provenance du Reich et des pays occupés; loin de gouter à un repos bien mérité et au chaud, les soldats allemands continuent d'affronter les forces ennemies, mais grelotent de surcroit sous la neige en espérant - sans trop y croire - la venue de renforts et d'équipements hivernaux.

Comme l'écrit le général Blumentritt, "nous avons découvert en octobre et début novembre que les Russes que nous avions anéantis n'avaient en rien cessé d'exister comme puissance militaire. (...) Tout cela était pour nous inattendu. Nous ne pouvions pas croire que la situation se transformerait ainsi alors qu'après nos victoires décisives, Moscou nous semblait à portée de mains" (1)

Au sein de l'armée allemande, personne néanmoins ne parle encore de retraite, ni a fortiori de défaite, mais tout au plus d'un "contre-temps", certes extrêmement fâcheux, mais néanmoins surmontable. 

Le Russe, comme ne cesse d'ailleurs de le rappeler Hitler, est "fini", et sera définitivement vaincu au printemps, lorsque le retour du beau temps, l'arrivée de renforts et d'armes nouvelles, permettra de reprendre le combat....

(1) Fana de l'Aviation, HS no 31, page 93

jeudi 19 juin 2014

4122 - Moscou moins 20 kilomètres...

... Moscou, 2 décembre 1941

Le 2 décembre, par un froid glacial les avant-gardes allemandes, épuisées, parviennent à  20 kms du centre-ville de Moscou.

C'est fini : elles n'iront pas plus loin

Bien que constamment victorieuses depuis l'été, elles se retrouvent à présent bloquées par l'hiver. Surtout, elles ne sont pas parvenues à briser la résistance soviétique, ni à se rendre maitresses des deux principaux objectifs de la campagne : le blé de l'Ukraine et le pétrole du Caucase.

"L'hiver était arrivé en force, avec de la neige, des vents glaciaux et des températures descendant à moins vingt degrés centigrades. Les moteurs des chars allemands étaient totalement gelés. Sur le Front, les fantassins, épuisés, creusaient autant pour se protéger du froid que pour échapper aux bombardements ennemis. Le sol était si gelé qu'il fallait y allumer de grands feux avant d'essayer même d'y faire le moindre trou. Les personnels des États-majors et des bases arrières occupaient les maisons des paysans, après avoir froidement expulsé ceux-ci.

Hitler s'étant refusé à envisager une campagne d'hiver, ses soldats souffraient terriblement. Leurs uniformes trop minces ne les protégeaient pas du froid, et leurs bottes de cuir bien serrées ne faisaient que favoriser les gelures (1) Ils avaient donc pris l'habitude de voler les vêtements et les bottes des prisonniers et des civils. A certains moments, seuls leurs casques à la forme caractéristique permettaient de les identifier comme des hommes de la Wehrmacht" (2)

(1) à la Noël 1941, on dénombrait plus de 100 000 cas de gelures !
(2) Beevor, op cit, page 68

mercredi 18 juin 2014

4121 - pire que Napoléon..

... fin 1941, alors que la boue cède la place à la neige, les troupes allemandes en route vers Moscou ont finalement moins progressé... que celles de Napoléon cent trente ans plus tôt (!)

(...) La Wehrmacht commençait à être gravement handicapée par le temps. La visibilité plus que réduite contrariait considérablement "l'artillerie volante" de la Luftwaffe (...) Les armées du Maréchal Von Bock (...) s'efforçaient désespérément d'achever l'ennemi avant que l'hiver ne commence pour de bon. Durant la deuxième quinzaine de novembre, les combats furent incessants.

(...) D'un point situé au Nord de Moscou, les officiers allemands pouvaient voir à la jumelle les flammes de départ des canons antiaériens entourant le Kremlin. Joukov ordonna à Rokossovski de tenir le Front à Krioukovo avec les restes de sa 16ème armée. "Il ne peut y avoir de retraite !", proclama-t-il le 25 novembre"

(...) A la fin de novembre, dans une ultime tentative, le Maréchal von Kluge dépêcha une force importante sur la principale route conduisant à Moscou, la chaussée de Minsk, qu'avaient empruntée les troupes de Napoléon. Les Allemands réussirent la percée, mais le froid paralysant, et la résistance suicidaire des régiments soviétiques, finirent par briser leur offensive" (1)

Sur les terrains d'aviation figés par le froid, les mécaniciens de la Luftwaffe, désespérés, en sont réduits à entretenir des feux jour et nuit sous les moteurs des avions, pour les empêcher de geler. Faute de graisse spéciale, même le mécanisme des fusils se bloque, les rendant inutilisables. Et les tankistes allemands, lorsqu'ils parviennent quand même à démarrer leurs chars, ne peuvent qu'envier leurs adversaires russes qui, grâce à la largeur inhabituelle des chenilles de leurs T-34, arrivent à progresser sans trop de peine dans une neige profonde qui paralyse au contraire les Panzers (2).

(1) Beevor, pp 66-67
(2) avec leur largeur de 560mm, les chenilles des T-34 russes étaient 45% plus large que celles des chars allemands. Ce défaut ne fut corrigé qu'en 1943, à l'apparition des Panther et Tiger... dont le roulement excessivement complexe n'en continua pas moins de poser d'énormes problèmes dans la neige profonde.

mardi 17 juin 2014

4120 - les yeux plus grands que le ventre

... car plus que la résistance des Soviétiques, ou leur politique de "Terre brûlée", c'est l'immensité russe, et la météo, qui au bout du compte finissent par réduire l'avancée des troupes allemandes à presque rien.

Combattre en Russie implique en effet la traversée d'immenses territoires où les routes - lorsqu'elles existent  ! - se résument le plus souvent à de simples pistes de terre qui se transforment en autant de bourbiers innommables à la moindre pluie.

"La saison des pluies et de la boue, la raspoutista, vint s'installer vers le milieu d'octobre. De plus en plus souvent, les camions allemands ne purent plus circuler et l'on dut réquisitionner dans les fermes communautaires, à des centaines de kilomètres à la ronde, des charrettes paysannes

(...) En certains endroits où l'on ne trouvait plus de troncs de bouleau pour construire une piste solide, on utilisa des cadavres russes comme "traverses" pour construire des chaussées improvisées. Il arrivait souvent qu'on vit un soldat allemand perdre une botte, aspirée par la boue où l'on s'enfonçait parfois jusqu'au genou

(...) Mais ce que tous redoutaient le plus, c'était le gel qui n'allait plus tarder. Nul n'oubliait que chaque jour comptait (1)

(1) Beevor, op cit, page 62

lundi 16 juin 2014

4119 - réévaluation

... le 3 juillet 1941, enthousiasmé par la fulgurante progression des troupes allemandes en URSS, le général Halder, chef de l'État-major général, écrit qu'"il n'est donc probablement pas exagéré de dire que la Campagne de Russie a été gagnée en l'espace de deux semaines" (1)

Mais le 11 août 1941, soit à peine un moins plus tard, le même général est bien forcé d'admettre que "au vu de la situation générale, il est de plus en plus clair que nous avons sous-estimé le colosse russe"

Car petit à petit, la résistance soviétique s'organise, se renforce... et surtout se durcit, tant par patriotisme authentique et haine sincère de l'envahisseur que par simple crainte des pelotons d'exécution du NKVD, lesquels fusillent à tour de bras et "pour l'exemple" (2)

A cela s'ajoute l'inévitable casse-tête que représente le ravitaillement de millions de soldats, et de dizaines de milliers d'avions et de véhicules, sur un Front qui s'étire sur plusieurs milliers de kilomètres, un casse-tête encore aggravé par le comportement des soldats soviétiques, qui n'hésitent pas à tout brûler dans leur retraite,... en ce compris les fermes et les habitations de leurs propres compatriotes civils (!) - dès lors condamnés à mourir de faim et de froid - afin que l'Armée allemande, contrairement à ce qu'elle avait prévu avant l'offensive, ne puisse en aucune manière "vivre sur le terrain"

Et puis, et surtout, il y a le fait qu'Hitler, comme Napoléon avant lui, a tout simplement eu les yeux plus grands que le ventre...

(1) Kershaw, op. cit, page 579
(2) à Stalingrad, en 1942, plus de 13 000 soldats russes furent ainsi fusillés "pour l'exemple", et un nombre plus considérable encore envoyés à la boucherie face à des Allemands qui les fauchaient à la mitrailleuse...

dimanche 15 juin 2014

4118 - la question à jamais sans réponse

... le 13 octobre 1941, dans la foulée du "succès" des premières expériences de gazage à Mogilev (près de Minsk), Odilo Globocnik, chef SS du district de Lublin, réclame, puis obtient, la construction, au camp de Belzec, d'une chambre à gaz destinée à tous les Juifs de son district reconnus "inaptes au travail" (1)

Début novembre, Arthur Greiser accepte pour sa part la déportation dans le Warthegau de quelque 100 000 Juifs allemands en "échange" de l'extermination, au camp de Chelmno, d'un nombre au moins équivalant de Juifs du Warthegau (2)

Bien que signes évidents de la radicalisation du discours et des moyens envisagés pour régler la "question juive", ces initiatives ne sont cependant qu'individuelles et ne visent en fait qu'à apporter une "solution" ponctuelle à un "problème" strictement local : il n'y a pas encore de volonté délibérée, exprimée au plus niveau, d'assassiner l'intégralité des Juifs d'Europe.

On ne saura jamais ce qui serait arrivé à ces derniers si l'Allemagne d'Hitler avait réussi à vaincre la Russie de Staline, et pas davantage si la guerre, comme l'espérait Heydrich, se serait alors terminée dans le courant de l'année 1942.

Les Juifs européens auraient-ils, comme l'envisageait encore le même Heydrich à l'automne, été déportés à Madagascar, en Sibérie ou dans tout autre territoire suffisamment désolé et éloigné de l'Allemagne pour ne plus inspirer la moindre "menace", ou auraient-ils, au bout du compte, quand même fini dans les chambres à gaz d'Auschwitz ou de Treblinka ?

Nul ne pourra jamais répondre à cette question mais ce qui est sûr, en revanche, c'est que l'impossibilité, pour l'Allemagne, de l'emporter sur son adversaire, ou du moins de l'emporter dans un avenir prévisible, va maintenant entraîner le recours à une "solution" à ce point "finale" qu'elle dépasse tout bonnement l'entendement... 

(1) les travaux de construction débutèrent le 1er novembre 1941
(2) au final, quelque 150 000 Juifs furent assassinés dans ce camp, situé à une soixantaine de kms de Lodz

samedi 14 juin 2014

4117 - synonyme ou non ?

... mais en cet automne de 1941, "évacuation" n'est pas encore synonyme d'"extermination"

Hitler ne verserait certes pas une larme si la "race juive" toute entière venait à disparaitre de la surface de la Terre; Himmler affirme certes qu'à son son estimation, "trente millions de personnes" sont appelées à mourir à l'Est; et des économistes comme Meinhold ne se privent certes pas de souligner que près de six millions de Polonais sont actuellement "en excédant", et constituent donc des "fardeaux" par rapport aux besoins prévisibles de main d’œuvre.

De son côté, Heydrich, qui exige de ses Einsatzgruppen des rapports quotidiens et complets sur leurs "progrès", et qui s'acharne à expédier les Juifs vers des ghettos déjà surpeuplés et dont il connait fort bien l'effrayant taux de mortalité, Heydrich, donc, ne peut ignorer que des milliers de Juifs, mais aussi de Roms, de communistes, de prisonniers de guerre et de civils russes, meurent quotidiennement du fait des politiques voulues par le Troisième Reich et mises en oeuvre par lui-même et ses hommes.

Il sait aussi qu'une "réinstallation" de tous ces "indésirables" dans ce fameux "territoire à déterminer" après lequel chacun court depuis des années se traduirait inévitablement par d'innombrables morts.

Mais tout laisse cependant à penser qu'en cet automne de 1941, alors que les Armées allemandes, bien que de plus en plus ralenties dans leur progression, sont désormais aux portes de Moscou, tout laisse à penser que lui-même et la plupart des hauts dirigeants nazis, n'envisagent pas encore l'abattage systématique de millions et de millions d'êtres humains comme la "solution" à leur "problème"...


vendredi 13 juin 2014

4116 - Il faut se demander honnêtement si la solution la plus humaine ne serait pas d'achever les Juifs inaptes au travail au moyen de quelque système rapide"

... mais en voulant "libérer" son propre fief de tous les Juifs qui y habitent, Heydrich ne fait évidemment que les "pelleter" dans le fief de son voisin... déjà bien incapable de "gérer" les siens !

"(...) les trains déversaient les gens sur les marchés, à la gare, n'importe où", déclara Fritz Artl, chef du service de la Population auprès du Gouvernement général de Pologne. "Tout le monde s'en fichait. Nous avons reçu un coup de fil du responsable de district qui se plaignait : "Je ne sais plus que faire [des Juifs]. Ils sont encore arrivés par centaines. Je n'ai ni toit ni vivre ni rien"" (1).

De fait, depuis l'automne de 1939, des centaines de milliers de Juifs ont été "reinstallés" dans des ghettos polonais déjà surpeuplés, et ont dû s'y trouver une place - et un toit - au milieu des Juifs locaux qui, on s'en doute, n'ont nullement apprécié l'irruption de ces nouveaux venus dans les pièces minuscules où ils logeaient déjà à huit ou neuf, et survivaient avec presque rien.

Rien n'étant prévu pour pallier le manque de logements, ou augmenter les rations alimentaires chichement livrées, la mortalité au sein des dits ghettos est vite devenue effrayante, ce qui offre au moins l'avantage - si on ose dire - de... diminuer quelque peu la surpopulation, et de répondre ainsi au désir des autorités du Reich de se débarrasser des Juifs par tous les moyens possibles...

Reste que partout, on ne cesse de réclamer une "solution" plus rapide, que ce soit par crainte d'émeutes, d'épidémies, ou même... pour des raisons humanitaires !

"Le danger existe, cet hiver, qu'on ne puisse plus nourrir tous les Juifs", écrit ainsi le SS Rolf-Heinz Höppner en juillet. "Il faut se demander honnêtement si la solution la plus humaine ne serait pas d'achever les Juifs inaptes au travail au moyen de quelque système rapide. En tout cas, ce serait plus plaisant que de les laisser mourir de faim".

Au même moment, Helmut Meinhold, éminent économiste allemand, en est arrivé à la conclusion que six millions de Polonais sont "en excédant par rapport aux besoins" [de travail futur] et constituent par là-même des "fardeaux" (Ballastexistenzen) .

(1) Goldhagen, op. cit.

jeudi 12 juin 2014

4115 - le proconsul Heydrich

... Prague, 10 octobre 1941

Officiellement, Reinhard Heydrich n'est donc que Reichsprotektor "adjoint", mais à Prague, tout le monde - à commencer par von Neurath lui-même - sait que c'est lui qui détient le Pouvoir véritable.

Et ce Pouvoir, Heydrich, fidèle à sa réputation, entend bien l'exercer avec rigueur, non seulement pour tuer dans l’œuf toute idée de rébellion au sein de la population, mais aussi, et surtout, pour faire de Prague la première ville d'Europe occupée authentiquement "judenrein", "débarrassée des Juifs"

Dès le 1er octobre, il ordonne en effet à toutes les organisations juives du Protectorat de procéder au recensement complet de tous leurs coreligionnaires. Terrorisés par la réputation d'Heydrich, ces Juifs, qui bénéficiaient jusqu'ici de la relative indolence de von Neurath, s'exécutent immédiatement... favorisant ainsi leur future "évacuation".

Le 10, flanqué du toujours aussi inévitable Adolf Eichmann, Heydrich proclame son intention de vider le Protectorat de tous les Juifs "d'ici la fin de l'année". Rassemblés dans un premier temps à Theresienstadt, les Juifs seront ensuite déportés, à partir du 15 octobre, et à raison d'un millier par jour, vers le ghetto de Lodz,... autrement dit dans le Gouvernement général de Pologne puisque aucun "territoire à l'Est" n'est encore - et ne sera d'ailleurs jamais - disponible !

Mais comme il faut s'attendre à ce que Hans Frank, et les autorités locales de Lodz, poussent des cris d'orfraie face à un pareil afflux, les cas les plus "lourds", autrement dit les Juifs les moins capables de travailler - soit une cinquantaine de milliers de personnes - seront expédiés à Minsk et à Riga, où Artur Nebe et Otto Rasch, responsables des Einsatzgruppen B et C, leur réserveront - on s'en doute - un accueil approprié...

mercredi 11 juin 2014

4114 - une nouvelle promotion

... 24 septembre 1941

Le 4 février 1938, dans la foulée de l'affaire Blomberg-Fritsch, le pourtant ultra-conservateur Ministre des Affaires étrangères Konstantin von Neurath, jugé trop critique à l'égard d'Hitler, a été "démissionné" de son poste et remplacé - comme nous l'avons vu - par Joachim von Ribbentrop, vrai nazi celui-là.

En URSS, von Neurath aurait été fusillé dans la foulée, ou du moins condamné à plusieurs années de camp à régime sévère. Mais l'Allemagne nazie n'étant pas l'URSS, Hitler s'est contenté de le mettre en "disponibilité" avec plein salaire, avant de lui offrir, en mars de l'année suivante, un authentique "placard doré", en l’occurrence le poste de "Reichsprotektor" de la "Bohème-Moravie" nouvellement conquise

Malheureusement pour lui, cette confortable sinécure a progressivement viré à l'aigre, tant en raison de l'incompétence et des défaillances de Neurath (qui finit par tomber en "congés-maladie") que de la résistance de plus en plus marquée des Tchèques eux-mêmes.

Le 24 septembre 1941, la situation risquant d'échapper à tout contrôle contrôle, Hitler, jusque-là indifférent, décide alors de réagir, en nommant un véritable "homme à poigne"...

... Reinhard Heydrich

Mais comme Berlin n'est toujours pas Moscou, ce n'est pas en remplaçant, mais bien en "adjoint" ou en "suppléant" ("Statthalter") qu'Heydrich va donc débarquer à Prague...

mardi 10 juin 2014

4113 - 10 pfennigs pièce

... privé de son dernier espoir de rencontrer la gloire dans le ciel, Heydrich peut néanmoins tirer satisfaction de la radicalisation croissante du régime, qui lui offre sans cesse de nouveaux pouvoirs... mais aussi de nouvelles opportunités pour les appliquer.

Le 18 août 1941, Hitler se décide ainsi en faveur du port obligatoire de l'étoile jaune pour les Juifs allemands, une mesure réclamée par Heydrich et ses policiers depuis des années, mais une mesure à laquelle le Führer s'était toujours objecté.

Appliquée par Heydrich avec sa célérité coutumière, cette mesure ne coûtera une fois de plus rien au Reich puisque chaque étoile sera... facturée aux  Juifs la bagatelle de 10 pfennigs pièce !

Pour autant, Hitler refuse la demande que lui présente dans la foulée le chef du RSHA, celle de déporter immédiatement vers l'Est tous ces Juifs désormais si facilement identifiables : le massacre, à des milliers de kilomètres de Berlin, de dizaines de milliers de Juifs russes anonymes, au fusil ou à la mitrailleuse, est une chose, mais les Juifs allemands, eux, ont des amis, des voisins, parfois des conjoints, qui sont de bons et authentiques aryens, et certains de ces Juifs sont largement connus à l'étranger ou ont été, tout comme Hitler, décorés lors de la guerre précédente.

Dit autrement, leur "évacuation" forcée entraînerait pour l'heure bien plus de problèmes et de désagréments que d'avantages.

Pour Heydrich, l'affaire se solde donc par un demi-échec... néanmoins considérablement adouci par une nouvelle promotion, du côté de Prague...

lundi 9 juin 2014

4112 - les ailes rognées

... de retour à sa base, Reinhard Heydrich est naturellement accueilli en héros, mais sa satisfaction est de courte durée car, à Berlin, Himmler et Hitler, qui ont senti le vent du boulet, sont cette fois bien décidés à lui rogner définitivement les ailes !

Plus question en effet qu'un homme aussi indispensable qu'Heydrich, et détenteur de si importants secrets militaires, continue de risquer naïvement sa vie, et la fortune du Reich, au-dessus des lignes ennemies : à son retour à Berlin, l'intéressé reçoit l'ordre formel de ne plus quitter le sol, si ce n'est dans un appareil désarmé - comme son bimoteur Siebel 204 - et pour ses propres déplacements, toujours fort loin du Front.

Ainsi prend fin, de manière abrupte, la carrière de pilote de chasse d'Heydrich, une carrière qui se limite donc à quelques dizaines de missions de combat anecdotiques et sans la moindre victoire. 

Compte tenu des conditions où il était contraint d'opérer, il ne pouvait cependant en être autrement, et après tout, quantités de pilotes plus jeunes, plus talentueux, et ayant volé bien davantage, n'ont pas connu davantage de succès, y compris au sein de la Luftwaffe.

Au lieu de se focaliser sur son absence de victoires, et ses accidents, il convient plutôt de souligner une fois encore le courage personnel du patron du RSHA, et sa volonté de s'exposer alors que rien, si ce n'est sa propre conception du guerrier romantique, ne l'y oblige.

Cloué au sol, Heydrich va en tout cas pouvoir se concentrer sur sa tâche première

L'extermination des Juifs...

dimanche 8 juin 2014

4111- trois jours en juillet

... 22 juillet 1941

Au sein de la JG-77, personne n'attendait Heydrich, et chacun souhaiterait sans doute s'en débarrasser le plus vite possible, mais l'intéressé, lui, n'en a cure et, le jour-même, participe à une mission d'attaque au sol sur le Dniestr.

Le lendemain, Heydrich et ses camarades continuent de harceler les troupes russes qui battent en retraite, sans apercevoir un seul avion soviétique dans le Ciel.

Mais le 22 juillet, vers 14h00, c'est la catastrophe : pris à partie par l'artillerie anti-aérienne soviétique, le Messerschmitt 109 d'Heydrich est touché, et lui-même contraint d'effectuer un atterrissage en catastrophe dans la région d'Olshanka... c-à-d derrière les lignes ennemies !

A l'État-major de la JG-77, et bientôt à Berlin, c'est la panique totale : chacun craint la mort du grand patron du RSHA ou, bien pire encore, sa capture par les agents du NKVD, qui ne manqueraient alors pas de le torturer pour en tirer d'inestimables renseignements militaires !

Après quelques heures d'angoisse, un patrouille de reconnaissance de la Wehrmacht signale enfin avoir secouru 'un pilote allemand abattu", physiquement indemne mais souffrant apparemment de "troubles mentaux" puisque ne cessant d'affirmer qu'il est le chef du Service de Sécurité du Reich...

samedi 7 juin 2014

4110 - le paradoxe incarné

... 20 juillet 1941

Au sommet de la pyramide, et du paradoxe, Reinhard Heydrich lui-même, cet homme cultivé qui en est venu à considérer le meurtre de masse comme une simple "solution" à un banal "problème"; ce père qui adore ses propres enfants mais n'éprouve plus la moindre réticence à ordonner la mort des enfants des autres; ce "super-patron" d'un régime policier moderne qui s'épuise dans des championnats d'escrime et continue de rêver à la gloire des Chevaliers du Ciel...

Le 20 juillet, brûlant du désir de participer lui aussi aux combats, Heydrich s'enfuit de son bureau et, sans en aviser personne et surtout pas Himmler - qui s'y opposerait assurément - saute dans un avion de chasse, en l’occurrence un Messerschmitt 109, "emprunté" au général Ernst Udet (1) en échange de l'autorisation, pour ce dernier, de continuer à circuler de nuit dans Berlin, au volant de sa voiture personnelle !

Avec son 109, Heydrich rejoint Jampol (Ukraine) et le JG-77 avec lequel il a déjà volé en Norvège, deux ans auparavant. 

Et comme en 1939, l'État-major du JG-77 est bien embêté : que faire de cet homme qui, à 37 ans, est toujours un pilote de chasse débutant, et surtout un pilote dont chacun sait qu'il n'est là que pour quelques jours, soit le temps nécessaire à satisfaire sa propre soif d'aventure.

S'il n'en tenait qu'à eux, les responsables de la JG-77 le renverraient sine die comme passager à bord du premier avion en partance pour Berlin.

Mais allez donc refuser quelque chose à Reinhard Heydrich...

(1) grand patron du Reichsluftfahrtministerium c-à-d du Ministère de l'Air, Ernst Udet, malade et dépressif. se suicida le 17 novembre 1941

vendredi 6 juin 2014

4109 - des citoyens au-dessus-de-tout-soupçon

… bien sûr, on aimerait croire que les tueurs ne sont que des rebuts de la société allemande - et donc occidentale - des jeunes-gens exaltés, sans cervelle et sans éducation, issus de milieux défavorisés et de familles éclatées ou hautement dysfonctionnelles.

Hélas, rien n'est plus éloigné de la réalité : plus âgés que les habituels soldats de la Wehrmacht, ce sont généralement de bons pères de famille, des hommes en tout point "normaux", convenablement éduqués et sans le moindre casier judiciaire.

Avant-guerre, beaucoup ont été des employés ou des cadre modèles. Certains sont avocats, médecins, et parfois même... pasteurs !

Et leurs chefs sont le plus souvent titulaires de diplômes supérieurs : Heinrich Himmler est ingénieur agronome; Reinhard Heydrich est un ancien officier de Marine, un musicien averti, et un homme de grande culture; Otto Ohlendorf (1) est juriste et économiste; Franz Walter Stahlecker (2) est docteur en Droit, de même qu'Otto Rasch (3)...  

Ces meurtres de masse se sont  donc nullement le fait de brutes arriérées ni de dangereux psychopathes, mais bien d'hommes ordinaires et même de citoyens au-dessus-de-tout-soupçon, que rien - et c'est bien là le plus inquiétant - ne prédestinait à devenir tueurs de masse...

(1) chef de l'Einsatzgruppe D, témoin de l'Accusation lors du premier procès de Nuremberg, Ohlendorf fut ensuite jugé, condamné à mort, et exécuté en juin 1951
(2) chef de l'Einsatzgruppe A
(3) chef de l'Einsatzgruppe C

jeudi 5 juin 2014

4108 - pas encore "idéal"

... par rapport au fusil, à la mitrailleuse,... ou à la dynamite (!), l'utilisation de simples gaz d'échappement pour éliminer les Juifs, et plus généralement tous ceux "dont la vie ne mérite pas d'être vécue", permet à présent d'envisager le meurtre sur une échelle quasiment industrielle.

Dans n'importe quel camp de concentration, en étanchéifiant simplement quelques cellules, et en les raccordant aux échappements de moteurs de vieux tanks ou de vieux camions qu'on laisse tourner pendant environ une heure, on peut ainsi - du moins en théorie - "évacuer" plusieurs milliers de personnes par jour, et dans une discrétion de bon aloi.

Appliquée à des unités de gazage mobiles, autrement dit à des "camions à gaz", la même méthode offre d'autre part la possibilité d'opérer à proximité immédiate du Front, et en dehors de toute infrastructure dédiée.

Mais la dite méthode présente cependant l'inconvénient de consommer du carburant et de durer bien trop longtemps. Dans le cas des camions, elle continue d'autre part de générer diverses séquelles psychologiques, attendu qu'il demeure nécessaire de contraindre les victimes à monter une à une à l'arrière, de rester sourds à leurs cris et leurs suppliques,... puis de les extraire tant bien que mal, et à la main, de l'amas de cadavres enchevêtrés.

La solution "idéale" sera finalement trouvée plus tard, à Auschwitz, lorsqu'on se mettra à injecter à l'intérieur d'une pièce étanche non plus des gaz d'échappement, mais bien "un produit chimique employé pour éliminer les insectes autour du camp (...) commercialisé sous le nom de Zyklon B"... 

mercredi 4 juin 2014

4107 - le camion à gaz

... dynamiter les Juifs n'étant manifestement pas la solution la plus efficace pour les faire disparaitre de la surface de la Terre, Widmann, qui a déjà eu l'occasion de tester avec succès l'utilisation du monoxyde de carbone en bouteilles sur les malades mentaux allemands, songe naturellement à rééditer l'expérience sur les Juifs russes.

Mais comment acheminer des dizaines de milliers de bouteilles de gaz jusqu'aux coins les plus reculés de la steppe, et comment les utiliser ensuite de manière sécuritaire... pour les tueurs ?

C'est alors que Widmann se rappelle la mésaventure survenue quelque temps auparavant à Artur Nebe, chef de l'Einsatzgruppe B, qui, s'en revenant en voiture d'une soirée très arrosée, s'est endormi dans son garage sans couper le moteur, manquant de peu de mourir asphyxié par les gaz d'échappement.

Il n'en faut pas plus pour convaincre Widmann de raccorder le pot d'échappement d'une voiture à une canalisation donnant dans le sous-sol de l'hôpital psychiatrique de Mogilev, près de Minsk

"On enferma donc divers patients dans une pièce avant de mettre le moteur en marche. Initialement, l'essai ne fut guère concluant (...) le monoxyde de carbone n'était pas suffisant pour tuer les patients. On arrangea les choses en remplaçant la voiture par un camion. Cette fois-ci (...), ce fut un succès. Widmann avait découvert un moyen efficace et bon marché de tuer en minimisant l'impact psychologique du crime sur les tueurs" (1)

Ne reste plus ensuite ensuite qu'à étanchéifier un banal camion, et à en bricoler quelque peu l'échappement, pour obtenir un "camion à gaz", c-à-d un instrument de Mort à la fois discret, relativement économique, et capable d'accompagner les troupes dans tous leurs déplacements...

(1) Goldhagen, op. cit.

mardi 3 juin 2014

4106 - "Je n'en peux plus, c'est épouvantable"

... mais ces exécutions massives finissent pourtant par provoquer des ravages... sur les nerfs de ceux qui s'y adonnent !

Le 15 août 1941, à Minsk,  Walter Frentz, officier de liaison de la Luftwaffe, et caméraman au QG d'Hitler,  assiste à un de ces massacres

"Je suis allé sur les lieux de l'exécution, et le commandant de la police auxiliaire m'a ensuite abordé parce que j'étais de l'Armée de l'Air. "Lieutenant, m'a-t-il dit, je n'en peux plus. Vous ne pouvez pas me tirer de là ? (...) Je n'en peux plus, c'est épouvantable""

Également présent sur les lieux, Himmler est lui-même ébranlé et s'inquiète ouvertement non pas des Juifs ainsi assassinés, mais plutôt... de la santé mentale des hommes chargés des assassinats ! Et le Reichsführer-SS d'ordonner la recherche de méthodes qui aboutiraient au même résultat tout en créant moins de troubles psychologiques parmi la troupe...

Sous-lieutenant dans la SS, le docteur Albert Widmann a déjà collaboré au gazage des malades et handicapés mentaux allemands. Rencontrant Artur Nebe, chef de l'Einsatzgruppe B, peu de temps après le départ d'Himmler, ce fonctionnaire zélé se fait un devoir de trouver une solution qui rencontrerait les désirs de son chef.

Les débuts sont cependant tourmentés, pour ne pas dire surréalistes, puisque l'une des premières méthodes testées consiste tout bonnement... à faire sauter les victimes à l'explosif, à l'intérieur d'un bunker !

"Le spectacle était atroce", raconta le capitaine Wilhelm Jaschke. "L'explosion n'avait pas été assez forte. Certains blessés sortirent de la tranchée en rampant et en hurlant. Le bunker s'était totalement effondré. Des lambeaux de corps étaient éparpillés sur le sol, accrochés aux arbres. Le lendemain, nous avons ramassé ces corps déchiquetés et les avons jetés dans le bunker. Les parties accrochées trop haut dans les arbres, nous les avons laissées sur place"

lundi 2 juin 2014

4105 - "Chaque homme tirait sur les Juifs qui étaient du côté opposé au sien. Chaque peloton tirait environ une demi-heure avant d'être relevé"

... à Lomazy, on force les Juifs à creuser une énorme fosse, puis à s'y allonger pour y recevoir une balle dans la tête.

"La vague suivante devait venir s'allonger sur les cadavres sanglants de leurs prédécesseurs, aux crânes éclatés. La fosse se remplissait progressivement. [Debout dans la fosse] les Hiwis (1) ne cessaient de boire, ils étaient ivres et leur tir était de moins en moins précis (...) de nombreux Juifs n'étaient pas tués par la balle (...) les nouveaux groupes de Juifs qui arrivaient dans la fosse étaient parfois contraints de s'allonger sur des corps sanglants, en proie aux convulsions de l'agonie (...) Et il y avait pire encore : en creusant la fosse, on avait atteint la nappe phréatique et, l'eau montante se mêlant au sang, des cadavres commençaient à flotter"

Mais le tir des supplétifs Hiwis se faisant de moins en moins précis à mesure que l'alcool se raréfie, les soldats allemands n'ont bientôt plus d'autre choix que de prendre la relève.

"On a refusé parce qu'il y avait déjà près de 50 centimètres d'eau dans la fosse", raconta un soldat allemand. "En plus, il y avait partout des cadavres qui flottaient (...) On a décidé que les exécutions devaient se faire en deux groupes, chacun de huit ou dix hommes. La méthode adoptée était différente de celle des Hiwis : ces deux pelotons d'exécution se mettraient sur les deux bords opposés de la fosse (...) Chaque homme tirait sur les Juifs qui étaient du côté opposé au sien. Chaque peloton tirait environ une demi-heure avant d'être relevé"

La boucherie dure ainsi pendant deux heures et aboutit à la mort d'environ 1 700 Juifs, hommes, femmes et enfants.

(1) abréviation de les "Hilfwillige", les Hiwis étaient des auxiliaires russes servant, volontairement ou non, dans l'armée allemande.

dimanche 1 juin 2014

4104 - ici commence l'Enfer...

... 6 000 Juifs "liquidés" à Brest-Litovsk dès les premières semaines de juillet, 23 000 à Kamenets fin août, plus de 33 000 - à la mitrailleuse lourde - dans le tristement célèbre ravin de Babi-Yar (près de Kiev) en septembre, 19 000 à Minsk et 21 000 à Rovno en novembre, 25 000 à Riga en décembre, ou encore 10 000 à Kharkov en janvier 1942

A Bialystok, on rassemble les Juifs sur la place du marché pour les fusiller. Mais la procédure s'avérant trop lente, on se résout finalement à enfermer les survivants dans la synagogue, puis à y mettre le feu.  

"C'est ce que j'appelle un joli petit feu, qu'est-ce qu'on rigole !", s'exclame un homme du 309ème bataillon de police à la vue de l'incendie dans lequel périssent plus de 700 Juifs, hommes, femmes et enfants.

A Mizocz, on préfère les faire sortir de la ville pour les emmener en forêt, les forcer à se déshabiller, puis les fusiller par rangées entières, les bébés étant abattus en même temps que leur mère ou alors simplement arrachés à celle-ci, soulevés par un pied et achevés d'une balle dans la tête

"J'avais à tirer sur une vieille femme de plus de 60 ans", raconta un policier allemand. "Je me souviens encore que cette vieille femme m'a dit de faire ça très vite ou quelque chose de ce genre (...) A côté de moi, il y avait le policier Koch. Lui, il devait abattre un petit garçon d'une douzaine d'années. On nous avait expressément recommandé de tenir le canon à 20 centimètres de la tête. Apparemment, Koch ne l'avait pas fait parce que quand on a quitté le lieu de l'exécution, des camarades se sont mis à rire de moi en voyant que des morceaux de la cervelle de l'enfant avaient atteint mon pistolet et y étaient restés collés. Je leur ai demandé pourquoi ils riaient et Koch, en montrant du doigt la cervelle sur mon pistolet, a dit "ça vient du mien, il a fini de gigoter". Il disait ça d'un ton tout fier" (1)

(1) Daniel Goldhagen, Les bourreaux volontaires d'Hitler