dimanche 31 janvier 2021

6630 - la Troisième Bataille de Kharkov

Motocyclistes et Tiger I, près de Kharkov, en 1943
… Werwolf, 19 février 1943

Mais comme le quartier-général de Manstein est trop proche du Front à son goût, Hitler de bientôt quitter Zaporozhye pour son propre quartier-général du Werwolf de Vinnytsia, où il débarque le 19 février, après une absence de quatre mois.

Si divers travaux d’aménagement, visant en particulier une meilleure isolation thermique des bâtiments, y ont bel et bien été entrepris dans l’intervalle, le Werwolf n’en demeure pas moins encore plus inhospitalier et insalubre que la Wolfsschanze - ce qui n’est pas peu dire.

Sur le Front, heureusement, la contre-offensive de Manstein, aujourd’hui connue sous le nom de Troisième Bataille de Kharkov, s’avère un brillant succès, qui stabilise définitivement le Front, et force même l’Armée rouge à reculer jusqu’à ce que l'arrivée de la raspoutista - cette période de pluies, de gels et de dégels qui précède et suit l'hiver russe - transforme une fois de plus routes et plaines en autant de bourbiers infects, contraignant une fois de plus les combattants à s’immobiliser sur leurs positions durant plusieurs semaines.

Le 13 mars, réalisant qu’il n’a plus rien à faire là, et grisé par cette victoire, Hitler décide donc de regagner son bunker, tout de même légèrement plus confortable, de la Wolfsschanze, avec le sentiment que la partie n’est pas encore jouée et que le Reich, à condition de s’y prendre habilement, peut encore prétendre à la victoire…

samedi 30 janvier 2021

6629 - l'offensive plutôt que la retraite

Panzers III et IV de la Grossdeutschland, près de Kharkov, en 1943
… Zaporozhye (Ukraine), 16 février 1943

Une fois de plus, le "repli stratégique" prôné par Manstein s'est avéré plus efficace que la "résistance jusqu'au dernier homme et la dernière cartouche" exigée par Hitler, et qui a abouti au désastre de Stalingrad.

Le 16 février, Hitler, quelque peu rassuré par les nouvelles en provenance du Front, quitte donc la Wolfsschanze pour le quartier-général de Manstein, à Zaporozhye, où ce dernier s’apprête à lancer une vaste contre-offensive sur Kharkov, toute juste reconquise par les Soviétiques (1)

Pour réussir son plan, Manstein table sur l’euphorie des Soviétiques, mais aussi sur l’arrivée de renforts blindés, et en particulier sur quelques exemplaires du nouveau char Tigre, premier blindé allemand enfin supérieur au T-34 et qui, sur ces plaines gelées, peut s’exprimer en toute impunité.

Après le désastre de Stalingrad, et la perte de toute la 6ème Armée, l’État-major allemand est aussi pessimiste que démoralisé, mais Manstein est confiant,… et Hitler ne demande qu’à écouter le premier général qui lui parlera d’offensive plutôt que de retraite !

Hitler donc, s’empresse de donner son aval à ce plan certes risqué mais qui, s’il réussit, peut lui rapporter gros…

(1) Kharkov, rappelons-le, avait déjà été reprise par Paulus au printemps précédent

vendredi 29 janvier 2021

6628 - "Vers quatre heures du matin, il partait finalement se coucher dans son bunker"

Marder allemand de la SS Leibstandarte, sur le Front de l'Est, en 1943
… "sous les effets combinés d’une telle vie, les heures de travail d’Hitler devinrent aussi monotones que régulières.

Il se réveillait chaque jour vers midi, et tous ces engagements consistaient en une série de rendez-vous avec des généraux, des politiciens, des aide-de-camps, des médecins et des secrétaires, seulement interrompus par un repas, et une balade très occasionnelle avec son berger alsacien, Blondi, à laquelle il s'était très attaché. .

Généralement, il se reposait en fin d'après-midi dans son bunker, avant d’attaquer une dernière réunion de guerre en soirée, laquelle était parfois suivie d'un thé en compagnie de ses secrétaires ou d'autres proches collaborateurs.

Vers quatre heures du matin, il partait finalement se coucher dans son bunker. La tension était intense, mais il demeurait toujours en mesure de maintenir un contrôle très serré sur tout le personnel qui travaillait et vivait au quartier-général" (1)

Mais si Hitler, de plus en plus cloîtré dans son bunker, est occupé à dépérir physiquement et mentalement, la Wehrmacht, elle, serait plutôt en train de se rétablir !

Loin de virer à la débâcle, sa retraite s'est en effet opérée en relativement bon ordre. Mieux encore : comme cela s'était déjà produit lors de l'hiver 1941-1942, Staline et son État-major, cédant à l'ivresse de la victoire autant qu'à leurs vieux démons, ont une fois de plus trop exigé de l'Armée rouge, dont les lignes de communication se sont une nouvelle fois trop rapidement et trop démesurément étendues.

Fatigués, manquant de ravitaillement, les soldats soviétiques, bien que victorieux, n'ont finalement eu d'autre choix que de stopper leur offensive et même, à certains endroits, de se replier…

(1) Baxter, op cit

jeudi 28 janvier 2021

6627 - "ses propos de table étaient désormais aussi usés que ses disques de gramophone"

Hitler et Goebbels, en 1943, lors d'un séjour au Berghof
... "selon Fraulein [Christa] Schroeder, "Hitler, après Stalingrad, ne voulait plus écouter de musique, et à la place, chaque soir, nous devions écouter ses monologues. 
 
Mais ses propos de table étaient désormais aussi usés que ses disques de gramophone ... Les affaires du monde et les événements au front n'étaient jamais mentionnés : tout ce qui se rapportait à la guerre était tabou"

Pour cette raison, Hitler cessa de recevoir des invités à l'heure des repas, préférant manger seul ou avec ses secrétaires, qui avaient pour stricte instruction de ne pas mentionner la guerre.

(…) La vie d’Hitler au quartier-général, comme celle de tous les autres, continuait de faire écho à la morosité des environs. Le sentiment d’isolement dans la pénombre des installations était ressenti comme oppressant par la plupart des visiteurs .

Pendant ces premiers mois glaciaux de 1943, l’impression la plus dominante à la Tanière du Loup était celle d’un ennui destructeur d’âme, ponctué par les drames militaires et les rages imprévisibles d’Hitler.

Goebbels, qui rendit visite à Hitler, fut choqué par son apparence physique et le caractère malsain de son existence. Il nota dans son journal que le Führer était devenu un reclus et ne quittait jamais son bunker pour prendre l'air.

Il ajouta qu'il ne prenait jamais un instant de détente, mais restait simplement assis à ruminer. La vie à la Tanière du Loup, conclut-il, avait sans aucun doute un effet très déprimant sur Hitler" (1)

(1) Baxter, op cit

 

mercredi 27 janvier 2021

6626 - l'altération

Hitler, en 1943 : une altération physique et mentale de plus en plus sensible
… faute de société civile et de véritable opposition au sein de l’Armée, Hitler, malgré son revers de Stalingrad peut donc continuer à dormir tranquille, a fortiori claquemuré dans son camp retranché de la Wolfsschanze, protégé par sa garde prétorienne de SS dévoués et plusieurs mètres de béton armé.

Mais à la Wolfsschanze, l’ambiance a néanmoins énormément changé depuis Stalingrad !

"Pendant les jours et les semaines qui suivirent, le sentiment général lors des réunions de guerre était que le cours de la guerre s’était retourné contre l’Allemagne. Et la météo ne faisait rien pour atténuer la déprime ressentie par chacun, et en particulier par Hitler (…) Ceux qui visitaient la Tanière du Loup et n’avaient plus vu le Führer depuis de nombreux mois le découvraient terriblement changé.

Le général Heinz Guderian fut choqué par son apparence : "ses manières étaient moins assurées, et son discours hésitant. Sa main gauche tremblait, son dos était vouté et son regard fixe, ses yeux saillaient mais n’avaient plus leur ancien éclat, et ses joues étaient tachetées de rouge. Il perdait facilement son sang-froid et était sujet à des accès de colère et, en conséquence, à des décisions irréfléchies"

L’état physique et mental d'Hitler montrait clairement des signes d'altération; en temps normal, il aurait passé du temps à récupérer dans sa retraite de montagne du Berghof, mais il avait à plusieurs reprises déclaré qu’il n’en avait à présent plus le temps.

(…) Jour après jour, il s'asseyait, inquiet, dans son bunker mal ventilé et refusait de lire les rapports militaires qui contredisaient l'image qu'il voulait se former dans son esprit. Dans son cercle intime, il parvenait à se contrôler mais demeurait inhabituellement distant et hésitant dans les conversations" (1)

(1) Baxter, op cit

mardi 26 janvier 2021

6625 - deux obstacles à franchir

Henning von Tresckow : remplacer Hitler... mais par qui ?
… de toute manière, dès 1941, un des comploteurs, le général Henning von Tresckow, a  parfaitement résumé les deux principaux obstacles à tout renversement éventuel d’Hitler

Il faut tout d'abord qu'un désastre militaire spectaculaire, dont Hitler porterait seul la responsabilité, sorte l'Armée et la population allemande de leur hébétude.

Il faut ensuite trouver, au sein de l'Armée elle-même, un chef suffisamment respecté des siens, et suffisamment connu de la population, pour qu'il soit en mesure d'incarner une légitimité nouvelle.

En ce début d’année 1943, ce désastre militaire spectaculaire vient bel et bien de se produire à Stalingrad, mais, jusqu’ici du moins, son seul résultat concret a plutôt été… de radicaliser l’Armée et la population allemande qui, hantées toutes deux par la peur de la défaite et, dans la foulée, d’une possible occupation soviétique, ont au contraire accepté le principe d’une "guerre totale" et d’une fidélité renouvelée au Führer !

Et le second obstacle est toujours aussi infranchissable : le principal candidat pressenti, le feld-maréchal Erich von Manstein, n’est certes pas un partisan d’Hitler, mais toutes les tentatives pour le rallier à un putsch éventuel ont jusqu’ici lamentablement échoué, et continueront d’échouer jusqu’à la fin du Reich lui-même

Erwin Rommel représente une alternative séduisante mais, malgré d'incontestables preuves de sympathie à l’égard des conjurés et de leur cause, il ne s’est pas hasardé, et ne se hasardera jamais, à les rejoindre ouvertement

Au bout du compte - mais n’anticipons pas - Tresckow lui-même en arrivera à la conclusion que quel que soit le nombre de désastres militaires qui frapperont encore l'Allemagne, il ne parviendra jamais à trouver un seul "Sauveur de la Patrie" parmi les principaux officiers supérieurs, en sorte qu’il faudra se résoudre à liquider purement et simplement Hitler sans savoir qui mettre à sa place, sans la moindre garantie d'obtenir le soutien de l'Armée et de la population allemande ni, a fortiori, l'approbation des Alliés...

lundi 25 janvier 2021

6624 - l'inévitable renforcement du soutien à Hitler

Les Trois Grands, à Téhéran : des exigences qui ne pouvaient que radicaliser les Allemands
 
... mais au-delà des affinités idéologiques, de l’appât du gain et des honneurs, du poids d'une longue tradition d’obéissance au chef, ou encore de la peur, l’attachement des plus hauts gradés de l’Armée à Hitler et à son régime s’explique aussi par le patriotisme et une simple analyse un peu objective de la situation politico-militaire du moment.

A quoi bon en effet prendre de considérables risques personnels en complotant pour renverser, et même assassiner, Hitler si l'on sait que les Alliés, de toute manière, ne s'en contenteront pas, et continueront au contraire - comme ils viennent d’ailleurs de le proclamer publiquement - d’exiger rien moins qu'une "Capitulation sans condition" qui privera inévitablement l'Allemagne de toutes ses conquêtes antérieures, la condamnera une fois de plus à payer de lourdes réparations de guerre,... et vaudra aux comploteurs eux-mêmes le douteux privilège de se retrouver devant un tribunal ou une potence ?

La déclaration finale de la Conférence de Casablanca, les propos ultérieurs d'Henry Morgenthau sur le démembrement de l'Allemagne d'après-guerre (1) ou encore ceux d'un Joseph Staline promettant de "liquider physiquement de 50 000 à 100 000 officiers allemands" sitôt la capitulation obtenue (2), tout cela ne peut au contraire que les renforcer dans leur soutien à Hitler,… quels que soient les sentiments qu’ils puissent nourrir envers lui !

Dans une communication au Foreign Office datée d'avril 1944, Churchill lui-même ne pourra d’ailleurs s’empêcher de noter le caractère fondamentalement contre-productif des exigences alliées : "(...) comme je l'ai souligné, les termes [de la reddition allemande] ne sont pas de nature à les rassurer [les Allemands] si on les examine en détails. A Téhéran, aussi bien le Président Roosevelt que le Maréchal Staline ont proposé de démembrer l'Allemagne en morceaux plus petits que ceux que j'avais en tête. Staline a parlé de vastes exécutions de plus de 50 000 officiers et cadres de l'État-major 

(...) Il a déclaré qu'il réclamerait 4 000 000 de travailleurs allemands pour une durée indéterminée afin de reconstruire la Russie. Nous avons promis aux Polonais qu'ils obtiendraient des compensations [territoriales] en Prusse orientale et, s'ils le désirent, jusqu'à l'Oder. Il y a également de nombreux points impliquant la ruine [économique] de l'Allemagne et la mise en place pour une durée indéterminée de mesures destinées à l'empêcher de redevenir une puissance militaire"…

(1) en 1944, le Secrétaire américain au Trésor Henri Morgenthau se prononcera publiquement pour un démembrement de l’Allemagne et sa conversion en une nation strictement agricole, après avoir exécuté sommairement la plupart des dirigeants nazis
(2) ces propos, prononcés par Staline le 29 novembre 1943 à la Conférence de Téhéran, provoqueront l’indignation de Churchill, mais le simple amusement de Roosevelt qui, sur un ton badin, proposera de ramener ce nombre à "seulement 49 000"

dimanche 24 janvier 2021

6623 - "Le concept de race nous paraissait juste et très prometteur"

Stauffenberg : un "résistant" tellement nazi...
… noyautée par les indicateurs de la Gestapo, rongée par la délation, et de toute manière composée de millions d’individualités nullement désireuses de se mettre en avant et de prendre des risques personnels, la société civile n’a donc aucune chance de réussir à renverser Hitler et son régime… sauf si l’Armée cesse elle-même de lui apporter son soutien.

Or depuis 1934, chacun des soldats et officiers de la dite Armée doit prêter un serment de fidélité envers la personne-même du Führer, et si ce dernier - comme nous l’avons vu - méprise de plus en plus ouvertement ses généraux, et ne se prive pas de les limoger ou de les réengager au gré de ses humeurs et des aléas militaires du moment, il se garde bien de les emprisonner ou de les exécuter, se contentant au contraire de les mettre "en disponibilité" mais avec plein salaire, ce qui - chacun en conviendra - est peu susceptible d’alimenter la grogne, et encore moins de pousser à la rébellion !

Pour ne rien arranger, et à la différence des simples citoyens allemands comme Georg Elser ou Sophie Scholl,  ceux qui, au sein de l’Armée, souhaitent à présent un changement de régime ne sont ni anti-nazis ni même démocrates !

Le plus souvent issus de l’aristocratie et des plus hautes sphères de la société, ceux-là ont au contraire soutenu Hitler depuis le début, lui savent gré d'avoir restauré le prestige de l'Allemagne et de l'Armée elle-même,... et approuvent pleinement son combat contre les Juifs et les communistes, ainsi que sa volonté de conquérir un "espace vital" pour l'Allemagne.

Comme le soulignera d'ailleurs un des frères de Stauffenberg,"En ce qui concerne la politique intérieure, nous avions accepté l'essentiel du credo national-socialiste. Le concept de race nous paraissait juste et très prometteur" [bien que, parfois] "son application en était excessive, qu'elle allait trop loin" (1)

(1) Goldhagen, Les Bourreaux volontaires de Hitler, page 164

samedi 23 janvier 2021

6622 - la Rose blanche

Sophie Scholl, figure emblématique de la Rose blanche, exécutée à 21 ans...
… Prison de Stadelheim, Munich, 22 février 1943

Fondée au printemps 1942 à Munich,... ville adoptive d’Adolf Hitler, la Rose blanche est un groupuscule de jeunes intellectuels idéalistes fondé par Hans Scholl et Alexander Schmorell, dont la principale et à vrai dire unique action révolutionnaire se limite à distribuer à la sauvette des tracts vaguement hostiles au régime dans les rues de Munich.

Envoyés comme infirmiers sur le Front de l’Est, Scholl et Schmorell en reviennent à la fin de l'année, profondément marqués par ce qu'ils y ont vu, et sont alors rejoints par Sophie, 21 ans et sœur de Hans, qui s’implique profondément dans la rédaction et la distribution des nouveaux tracts.

Livrés à eux-mêmes, et avec des moyens dérisoires, cette poignée de jeunes-gens s’efforce d’éveiller la conscience de leurs compatriotes mais, contrairement à leurs espoirs, ceux-ci, bien que marqués par la catastrophe de Stalingrad, demeurent obstinément sourds à leurs appels

Et ce qui devait arriver arrive : le 18 février 1943, alors qu’ils distribuent leurs tracts à l’université, Hans et Sophie sont repérés, arrêtés et bientôt remis à la Gestapo qui, dans les jours suivants, va mettre la main sur la quasi-totalité des autres membres du groupe.

Jugés en urgence par un Volksgerichtshof ("tribunal du Peuple") présidé par le terrible juge Roland Freisler, tout spécialement venu de Berlin et qui va bientôt - mais n’anticipons pas - tourner son regard vers la Wolfsschanze, Hans et Sophie sont condamnés à mort après seulement trois heures de procès, et guillotinés le jour-même, 22 février 1943 (1)

Rien de tel pour dissuader de nouvelles vocations… 

(1) presque tous les autres membres du réseau seront également exécutés dans les mois suivants

vendredi 22 janvier 2021

6621 - l'ennemi intérieur

“Rassemblons toutes nos forces. La guerre totale : la guerre la plus courte !", affiche de propagande, 1943
… mais les "ennemis" se recrutent aussi, et de plus en plus, à l’intérieur-même du Reich !

Car ils sont désormais bien loin, les jours heureux de l’été 1940, lorsque tous les citoyens, même les plus anti-nazis, étaient fiers d’être Allemands et heureux d’être menés par un homme, Hitler, qui, en seulement quelques semaines de campagne, avait vengé quatre années de piétinement dans les tranchées françaises, suivies de deux décennies d’humiliations versaillaises.

En ce début de 1943, les Allemands ont eux aussi commencé à découvrir les joies du rationnement, des privations, du couvre-feu, du marché noir, des bombardements, mais aussi, et surtout, des avis nécrologiques : juste avant son limogeage, le 24 septembre 1942, le général Halder avait déjà établi les pertes allemandes sur le Front de l'Est au chiffre ahurissant de 1 637 000 hommes, dont 336 000 morts, et lors lors de la cérémonie du "Souvenir des Héros", le 21 mars 1943, Hitler reconnaîtra lui-même que 542 000 soldats allemands ont été tués depuis le début de la guerre !

Rien d’étonnant dès lors à ce que de plus en plus d’Allemands, dans la société civile comme dans l’Armée, se prennent à douter et à remettre en cause les visées politico-militaires et le "génie" de leur Führer qui, à présent que la guerre est devenue mondiale et s’est mise à tourner en défaveur de l’Allemagne, semble bel et bien les conduire tout droit à l’abime.

Noyautée par les indicateurs, et rongée par les délateurs, la société civile peine cependant  à se rassembler, à s’organiser, et à se constituer en une force d’opposition et de changement le moindrement crédible, comme la tragique affaire de la Rose blanche va d’ailleurs le démontrer…

jeudi 21 janvier 2021

6620 - la peur de la destruction

Casablanca : une exigence de "Capitulation sans condition"... bien accueillie par Hitler
... Casablanca, 24 janvier 1943

Ces "ennemis" auxquels le Reich se propose à présent de mener une guerre "totale" sont bien évidemment les Soviétiques, qui viennent d’écraser la 6ème Armée à Stalingrad, mais aussi, et de plus en plus, les Américains qui, le 24 janvier, à la conclusion de la Conférence de Casablanca, ont exigé rien moins qu’une "Capitulation sans condition" de la part des trois puissances de l’Axe, une exigence dont beaucoup estiment encore aujourd’hui qu’elle n’a fait qu’exacerber la volonté de résistance de ces dernières, à présent privées de toute possibilité d’échappatoire négociée.

De fait, et aussi paradoxal cela puisse-t-il sembler, c’est Hitler, et non pas Churchill, qui se montre le plus satisfait de cette exigence américaine !

"Cela ne faisait que confirmer une fois de plus qu'il avait raison de demeurer intransigeant. Comme il le confia début février aux dirigeants du parti, il se sentit libéré de tous les efforts entrepris pour le persuader de rechercher un règlement de paix négocié.

Ainsi qu'il l'avait toujours affirmé, ce serait la victoire ou la destruction. Même parmi ses plus proches partisans, admit Goebbels, rares étaient ceux qui, intérieurement, pouvaient encore croire à la première hypothèse. Mais tout compromis étant exclu, la route de la destruction s'ouvrait plus clairement que jamais.

Pour Hitler, fermer toutes les échappatoires avait des avantages évidents. La peur de la destruction était un mobile puissant" (2)

Un mobile qui ne peut d’ailleurs que conforter ceux qui, à la tête de l'armée allemande, ne voient aucun intérêt à se débarrasser d'Hitler même si ce dernier est bel et bien en train de conduire l'Allemagne à sa ruine...

(1) Kershaw, page 831

mercredi 20 janvier 2021

6619 - "Maintenant, peuple, lève-toi et déchaîne la tempête !"

Goebbels, au Sportpalast, 18 février 1943. Notez le slogan "la guerre totale est la plus courte"
… Sportpalast, Berlin, 18 février 1943

... "les Anglais prétendent que les Allemands ont perdu confiance dans le Führer", déclare Goebbels en guise d'ouverture de son discours du 18 février 1943 au Sportpalast de Berlin.

"Le public (...) se leva comme un seul homme afin de dénoncer une allégation aussi scandaleuse "Führer, commandez, nous obéirons !" le tumulte sembla durer un siècle.

Orchestrant la frénésie à la perfection, le maestro de la propagande finit par l'interrompre pour demander : "Votre confiance dans le Führer est-elle plus grande, plus forte, plus inébranlable que jamais ? Votre disposition à le suivre en tout point et à faire tout le nécessaire pour donner à la guerre une conclusion triomphale est-elle absolue et sans réserve ?"

Quatorze mille voix hystériques répondirent à l'unisson comme le voulait Goebbels pour faire taire les sceptiques en Allemagne et faire comprendre au monde extérieur l'inanité de tout espoir d'un effondrement intérieur

(...) "Maintenant, peuple, lève-toi et déchaîne la tempête !" La salle entière se déchaîna. Au milieu des vivats frénétiques, l'auditoire chanta le Deutschland, Deutschland über alles et l'hymne du parti, le Horst-Wessel-Lied. Le spectacle se termina sur les cris de "Grand chef allemand Adolf Hitler, Sieg Heil, Sieg Heil " (1)

La guerre totale aux ennemis de l'Allemagne est à présent déclarée...

(1) Kershaw, page 808

mardi 19 janvier 2021

6618 - "Profitez bien de la guerre. La paix risque d'être pire"

"Maintenant, Peuple, lève-toi et déchaîne la tempête", affiche allemande suivant la défaite de Stalingrad
... "Ce fut Goebbels qui, durant les semaines qui suivirent Stalingrad, prit les initiatives (...) avec un constant souci du spectaculaire et du symbolique.

Le revêtement de cuivre de la Porte de Brandebourg fut retiré en grande pompe pour servir à l'industrie de guerre. On interdit les manifestations sportives professionnelles. Les magasins de luxe, bijouteries comprises, furent fermés. Tous les magazines de mode durent cesser de paraître.

(...) Des cabarets et des restaurants de luxe comme Horcher, le Quartier Latin, le Neva Grill (...) furent fermés. Lorsqu'ils rouvrirent, les clients y furent invités à se limiter au Felküchengerichte, l'ordinaire de la cuisine roulante. (...) Goering, toutefois, s'arrangea pour que Horcher, son restaurant favori, rouvre sous la forme d'un mess des officiers de la Luftwaffe.

(...) Des slogans de propagande nazie apparaissaient de plus en plus nombreux sur les murs, mais ils étaient parfois accompagnés de certains graffitis dus au mauvais esprit berlinois comme "Profitez bien de la guerre. La paix risque d'être pire" (1)

Et de fait, chacun en Allemagne craint à présent que les innombrables atrocités dont l'armée s’est rendue coupable à l'Est ne se retournent finalement contre le peuple allemand.

"Un aubergiste de la Forêt Noire en permission du Front de l'Est déclara (...) "Si on nous fait payer le quart de ce que nous faisons en Russie et en Pologne (...), nous allons souffrir et nous mériterons de souffrir" (2)

(1) Beevor, 534-535
(2) ibid, 535


lundi 18 janvier 2021

6617 - l'impossible explication

Reddition de soldats allemands, Stalingrad, 1943
… reste qu’en ce début de février 1943, la vraie question qui se pose à Hitler, au parti nazi, et à tout l’État-major, est de savoir comment présenter la catastrophe de Stalingrad sous le jour le moins défavorable possible !

Comment en effet expliquer au peuple allemand, à qui pendant des semaines on n'a cessé de répéter que la conquête de Stalingrad serait "décisive", qu'elle était "déjà acquise", et que "plus rien ni personne n'en chasserait jamais l’Allemagne", comment lui expliquer à présent que la guerre va continuer de plus belle, que Stalingrad est devenue la pire défaite militaire de l'Histoire allemande, et que l'armée est à présent occupée à retraiter sur tout le Front et en luttant pour sa survie ?

Plus question cette fois de mentir comme on l’a fait au début, lorsque l'encerclement de la 6ème Armée - effectif dès le 22 novembre 1942 - n’a été officiellement annoncé à la population que le 16 janvier 1943 !

Mais comme Hitler ne peut, et ne veut, le faire lui-même, c’est le Ministre de la Propagande, Joseph Goebbels, qui va devoir se charger de la sale besogne !

Dans toute l'Allemagne, un deuil national de trois jours est aussitôt décrété, et une musique de circonstance, donc funèbre, diffusée sur toutes les stations de radio.

Mais contrairement aux espoirs de certains, la catastrophe de Stalingrad, loin de provoquer une remise en cause du régime, va plutôt le radicaliser davantage...

dimanche 17 janvier 2021

6616 - Les Roumains étaient mauvais, les Italiens pire encore, mais les pires de tous, c'étaient les Hongrois"

Soldats soviétiques, à Stalingrad, fêtant leur victoire

… Wolfsschanze, 6 février 1943

A la Wolfsschanze, où il vit plus que jamais claquemuré dans son bunker sans quasiment voir personne, Adolf Hitler ne décolère pas sur Paulus mais aussi sur tous ceux qui l’ont "trahi" et ainsi provoqué la catastrophe de Stalingrad

"Plus encore qu'à la Luftwaffe, qui lui avait fait faux bond, Hitler en voulait aux alliés de l'Allemagne, qui n'avaient pas été capables de résister à la contre-attaque soviétique. Les Roumains étaient mauvais, les Italiens pire encore, mais les pires de tous, c'étaient les Hongrois.

Jamais la catastrophe ne se serait produite si tout le Front avait été tenu par des unités allemandes comme il l'avait voulu. Les formations allemandes de boulangers et de bagages, fulmina-t-il, avaient fait meilleure figure que les divisions d'élite italiennes, roumaines et hongroises""
(1)

En privé, toutefois, il lui arrive d'accepter une part de responsabilité, au moins morale, comme il l'avoue d’ailleurs à Manstein lors d'un entretien, le 6 février 1943 :

"Pour Stalingrad, c'est moi qui en porte seul la responsabilité. Peut-être pourrais-je dire que Goering m'a fait un tableau inexact des possibilités de la Luftwaffe en ce qui concerne le ravitaillement aérien, et qu'il me serait donc possible de rejeter sur lui une partie de cette responsabilité. Mais je l'ai désigné moi-même pour me succéder, je dois par conséquent la revendiquer entièrement pour moi" (2)

(1) Kershaw, page 795
(2) Lemay, page 335

samedi 16 janvier 2021

6615 - le lâche et le traître par excellence

Paulus, prisonnier des Soviétiques, et filmé par leur Propagande
… à la Wolfsschanze, la Chute de Stalingrad et, surtout, la reddition du maréchal Paulus, provoquent un traumatisme dont chacun mettra des semaines à se remettre.

Dès sa capture en compagnie du général Schmidt, Paulus devient pour Hitler mais aussi, et il faut bien le dire, pour la plus grande partie du peuple allemand, le lâche et le traître par excellence, celui qui, en se rendant aux Russes, a déshonoré l’Armée et la Nation toute entière.

Il faut dire que l’intéressé, se sentant lui-même trahi par Hitler, ne tarde pas à collaborer activement avec le NKVD et la Propagande soviétiques : à Nuremberg, on verra même les Russes le sortir brièvement de sa datcha pour le faire témoigner contre ses anciens camarades de combat, dont il s'attirera à tout jamais le mépris.

Le 11 février 1946, Paulus dénoncera ainsi publiquement les exactions de l'armée allemande en URSS, suscitant l'indignation des accusés : "C'est une honte de sa part de témoigner contre nous !", rugira le maréchal Keitel. "Demandez à ce sale cochon s'il se rend compte qu'il est un traître", renchérira Goering."Demandez-lui s'il a pris des papiers de citoyen russe"

A sa décharge, l'ancien feld-maréchal d'Hitler et commandant de la 6ème Armée allemande espère sans doute être libéré et retrouver son épouse, gravement malade, laquelle mourra finalement en novembre 1949, sans jamais l'avoir revu

Paulus lui-même ne sera libéré qu'en 1953. Établi en Allemagne de l’Est, et toujours discrètement surveillé par la STASI, il y mourra dans l’anonymat le 1er février 1957, quatorze ans après sa capitulation à Stalingrad…

vendredi 15 janvier 2021

6614 - "Plus de signes de combats dans Stalingrad"

Colonne de prisonniers allemands quittant Stalingrad, février 1943
... Stalingrad, 02 février 1943

"Le 2 février vers midi, un avion de reconnaissance de la Luftwaffe vint tourner au dessus de la ville. Le message radio envoyé par le pilote fut aussitôt transmis au maréchal Milch : "Plus de signes de combats dans Stalingrad"

Ainsi s’achève une aventure qui, depuis le début de la campagne de Stalingrad, a coûté à l'Armée rouge 1 100 000 hommes, dont plus de 450 000 tués et disparus.

Du côté allemand, les pertes dépassent 500 000 hommes (tués, blessés ou faits prisonniers) dont plus de 60 000 ont péri en moins de trois mois, soit entre le 19 novembre 1942 et le 02 février 1943,... autant que les Américains en près de quinze années de guerre au Vietnam (!).

Sur les 91 000 soldats allemands et alliés faits prisonniers par les Soviétiques et immédiatement envoyés dans des camps, près de la moitié mourront avant la fin du printemps, et seuls 5 000 reverront finalement leur patrie, une dizaine d’années plus tard.

Quant aux civils russes qui, du début à la fin, ont été otages et jouets des uns et des autres, nul ne sait combien d'entre eux ont péri au cours de ces six mois de combats. Les estimations variant de 100 000 à plus d'un demi-million...

jeudi 14 janvier 2021

6613 - "Plus personne ne sera promu feld-maréchal au cours de cette guerre !"

Friedrich Paulus : le premier feld-maréchal fait prisonnier
… Wolfsschanze, 01 février 1943, 02h30

Le 01 février, à 02h30, il y a à peine quelques minutes qu’Hitler, épuisé, s’est mis au lit, et près d’une journée que plus personne à la Wolfsshanze n’est parvenu à entrer en communication avec le tout juste promu maréchal Paulus.

Mais la nouvelle en provenance de Radio Moscou fait aussitôt l’effet d’une bombe : à Stalingrad, Paulus s’est rendu aux Soviétiques en même temps que 11 généraux allemands, 5 roumains et 105 000 hommes de troupe (1)

Hitler s’habille en catastrophe, fait aussitôt mander Keitel et Jodl dans la salle des cartes puis, devant l’état-major réunit en toute hâte, se répand en invectives sur cette "trahison".

"Voici un homme capable de regarder impassible cinquante ou soixante mille de ses soldats qui meurent et se défendent vaillamment jusqu'au dernier. Comment peut-il se livrer aux bolcheviks ?"

"C'est si facile à faire. Le pistolet, c'est simple. Quel genre de lâcheté faut-il pour se dérober ?"

"Plus personne ne sera promu feld-maréchal au cours de cette guerre !"

"Comment peut-on être lâche à ce point ? Je ne le comprends pas. Tant de gens doivent mourir. Et voici qu'un type pareil y va et salit à la dernière minute l'héroïsme de tant d'autres".

"Il pouvait se libérer de toute cette misère et entrer dans l'éternité, l'immortalité nationale, et il préfère aller à Moscou. Comment peut-on faire un choix pareil ? C'est dément" (2)

(1) au moment de la reddition de Paulus, le Kessel était coupé en deux par l’Armée rouge et ces chiffres correspondent aux hommes encore placés sous le commandement direct de Paulus
(2) Kershaw, page 797


mercredi 13 janvier 2021

6612 - "A Stalingrad, la situation est inchangée. Le moral des défenseurs est intact"

Paulus, juste après sa reddition aux Soviétiques
… Stalingrad, 31 janvier 1943

... "la 64ème Armée de Choumilov s'était assuré pratiquement tout le centre de Stalingrad. Les ruines et les caves avaient été nettoyées à la grenade et au lance-flammes.

La Place rouge fut soumise à un intense bombardement au canon et au mortier avant que les fantassins soviétiques gagnent le magasin Univermag, dans les caves duquel Paulus avait installé son État-major.

(...) A 07h35, à l'État-major de Milch [à 200 kms de Stalingrad] le capitaine Behr reçut le message suivant "Russes à la porte, nous préparons à nous rendre" (...) Behr transmit la nouvelle à Manstein, à l'État-major du Groupe d'Armées du Don. 

Dans le même temps, en Allemagne, le communiqué officiel proclamait "A Stalingrad, la situation est inchangée. Le moral des défenseurs est intact"

Des officiers de l'État-major du général Choumilov arrivèrent pour discuter de la reddition avec le général Schmidt (...) Finalement, deux heures plus tard, le général Laskine arriva pour recevoir la reddition officielle du chef de la VIème Armée. 

Puis, Paulus, Schmidt et Adam furent emmenés au quartier général de Choumilov (...) à bord d'une voiture d'État-major" (1)

(1) Beevor, 510-511

mardi 12 janvier 2021

6611 - belogen und betrogen

Colonne de prisonniers allemands, Stalingrad, janvier 1943
… 30 janvier 1943

Le 30 janvier, cela fait donc maintenant 10 ans qu’Adolf Hitler est légalement parvenu au Pouvoir. Mais que pourrait-on bien fêter aujourd’hui ?

Le Führer, en tout cas, se sent d’humeur à récompenser les ultimes défenseurs de Stalingrad, et en particulier Paulus, qui se voit promu feld-maréchal.

Aujourd’hui encore, beaucoup y voient un simple calcul politique - comme aucun feld-maréchal n'a jamais été fait prisonnier dans toute l’Histoire allemande, nommer Paulus à un tel poste constituerait dès lors une manière subtile de l’inciter à ne pas devenir la première exception qui confirmera la règle - mais on peut tout aussi bien considérer qu’en agissant ainsi, Hitler entend tout simplement exprimer sa gratitude envers cet homme qui lui sera demeuré fidèle jusqu’à la fin, et dont il est convaincu qu’il se suicidera ou, mieux encore, qu’il mourra les armes à la main !

Sur le terrain, pourtant, de plus en plus de soldats et d'officiers allemands commencent déjà à se rendre aux Soviétiques

Et à ceux qui les interrogent, ils expliquent qu’ils ont été "belogen und betrogen", trahis et trompés...

(1) Baxter, op cit

lundi 11 janvier 2021

6610 - dix ans plus tôt...

Hitler et Speer, à la Wolsschanze, à côté d'un nouveau modèle de Panzer 38(t), 4 janvier 1943
… 29 janvier 1943

"Le désastre était imminent, mais lors des réunions de guerre tenues à la fin du mois de janvier, l’état-major remarqua que le Führer semblait plus optimiste quant à l'avenir. 
 
Il semblait avoir rayé la 6ème Armée de ses pensées, mais assurait à ses généraux qu’après cette catastrophe, une nouvelle terre naîtrait du sacrifice de ceux qui étaient tombés.

C'était cette croyance ardente, disait-il, qui avait inspiré Paulus d'obéir à ses ordres à la lettre. Aucun des généraux n’osa lui faire remarquer que Paulus n'avait eu aucun choix en la matière et s’était plutôt vu obligé de se battre jusqu'à la mort à l'intérieur de la ville condamnée" (1)

Le 29 janvier 1943, veille du 10ème anniversaire de son accession au Pouvoir, Hitler reçoit encore un chaleureux message de félicitations de la part du dit Paulus

"La 6ème Armée salue son Führer à l'occasion de l'anniversaire de sa prise de Pouvoir. Le drapeau à croix gammée flotte toujours sur Stalingrad. Puisse notre combat être un exemple pour les générations présentes et futures de ne jamais se rendre dans des situations désespérées afin que l'Allemagne soit finalement victorieuse !"

Ce à quoi Hitler s’empresse de répondre que

"La lutte héroïque de nos soldats sur les bords de la Volga doit exhorter chacun à faire le maximum dans le combat pour la liberté de l'Allemagne, l'avenir de notre nation et, à une plus vaste échelle, la préservation de l'ensemble de l'Europe"

dimanche 10 janvier 2021

6609 - "c'est une question d'honneur"

Goumrak : l'ultine espoir de se sortir de la nasse
… Wolfsschanze, 22 janvier 1943

Après la perte de l’aérodrome de Goumrak, il est désormais évident que la 6ème Armée ne tiendra plus que quelques jours.

Le 22 janvier, Paulus sollicite donc l'autorisation d'entamer des pourparlers de capitulation. 
 
Cette fois, Manstein appuie pleinement la demande de l’intéressé, et prie personnellement Hitler d'autoriser cette reddition.

Pour Manstein, la 6ème Armée a en effet pleinement joué son rôle, qui consistait à immobiliser le plus longtemps possible le plus grand nombre de divisions soviétiques possible, lui permettant pour sa part de stabiliser le Front et d'empêcher que la retraite des forces allemandes du Caucase - que Hitler a autorisé le 27 décembre - ne se termine en déroute.

Cet objectif ayant été atteint, et la 6ème Armée ne "fixant" désormais plus qu'un petit nombre de troupes soviétiques, Manstein, en bon militaire pragmatique, considère à présent que la contraindre de combattre jusqu'au dernier homme et jusqu'à la dernière cartouche n'a plus aucun sens et ne répond plus à aucun objectif militaire.

Mais, en parfait idéologue, le Führer refuse pourtant cette demande, tout comme il a déjà refusé celle de Paulus. Il ne peut être question de capitulation. Ce n’est pas une question militaire, dit-il, "c’est une question d'honneur"...

samedi 9 janvier 2021

6608 - pourquoi continuer ?

Soldats soviétiques, à l'assaut dans les ruines de Stalingrad
… Wolfsschanze, 20 janvier 1943

Et pour les Allemands du Kessel, la situation est d’autant plus désespérée que la Luftwaffe - comme c’était à prévoir - s’avère jour après jour de moins en moins capable de les ravitailler par les Airs !

"Suite à cet échec, la colère et les récriminations d’Hitler s’intensifièrent lors des réunions de guerre. L'ambiance au quartier-général était déprimante. Hitler, une fois de plus, s'aventurait à peine hors de son bunker, préférant se terrer et ruminer au-dessus de ses cartes.

(…) Le 20 janvier, alors que l’annonce de la catastrophe était désormais imminente, un message désespéré de Paulus parvint à la Wolfsschanze, réclamant l’autorisation de quitter la ville pour éviter un anéantissement total.

Hitler, toujours aussi obstiné, refusa. Deux jours plus tard, parvint l’information selon laquelle Goumrak, le dernier aérodrome, était tombé" (1)

Une semaine après celui de Pitomnik, la perte de l'aérodrome de Goumrak signifie donc qu’il n’existe plus dans le Kessel un seul terrain susceptible d'accueillir les gros appareils de transport.

Comment, et surtout pourquoi, continuer le combat dans ces conditions ?

(1) Baxter, op cit

vendredi 8 janvier 2021

6607 - le chaos total

T-34 soviétiques, dans une rue de Stalingrad, janvier 1943
... malgré son affaiblissement, la 6ème Armée, bien que submergée par le nombre, ne recule cependant que pas à pas sous les coups de boutoir des Soviétiques qui, les trois premiers jours de leur offensive, perdent même 26 000 hommes et près de la moitié de leurs chars !

"Les généraux soviétiques, il est vrai, firent peu d'efforts pour limiter leurs pertes humaines. Avançant en ligne, leurs hommes offraient des cibles faciles (...) Les officiers et les soldats russes se vengeaient ensuite sur leurs prisonniers allemands, squelettiques, chancelants et couverts de vermine. Certains étaient abattus sur place. D'autres étaient conduits plus loin en petites colonnes, et mitraillés" (1)

Déjà très rares depuis des semaines, les secours aux blessés deviennent carrément exceptionnels :

"Le manque de carburant rendait l'évacuation des blessés encore plus difficile. Les camions les transportant devaient parfois s'arrêter définitivement en rase campagne, les laissant geler à mort (...) L'aérodrome [de Pitomnik], nota un jeune officier, est en état de chaos total : des monceaux de cadavres qu'on a sortis des tentes abritant les blessés et jetés là, les attaques russes, les bombardements, les Junkers qui atterrissent.

Des blessés en état de marcher, et un certain nombre de simulateurs, enveloppés de haillons comme une troupe de mendiants, tentaient de prendre d'assaut les avions dès qu'ils atterrissaient. Les cargaisons étaient jetées et pillées. Dans les hordes qui se précipitaient, les plus faibles étaient foulés aux pieds. La Feldgendarmerie, perdant tout contrôle de la situation, dut maintes fois ouvrir le feu" (2)

(1) Beevor, page 477
(2) ibid, 478, 479

jeudi 7 janvier 2021

6606 - "Tous les 50 ou 100 mètres, il y avait un char"

Soldats soviétiques, s'offrant un peu de repos dans les ruines de Stalingrad
… Stalingrad, 10 janvier 1943

Le 10 janvier 1942, résolu à en finir, Rokossovksy lance donc "l'Opération Cercle", précédée pendant 55 minutes par le tir de quelque 7 000 canons, mortiers et lance-roquettes Katyusha.

"Pendant une heure, écrivit un lieutenant, des orgues de Staline et une centaine de canons de divers calibres ne cessèrent de tirer. Notre abri semblait osciller sous l'effet du bombardement. Puis les bolcheviques attaquèrent en masses effrayantes. Trois vagues entières d'hommes roulaient vers l'avant, sans jamais faiblir. On voyait les drapeaux rouges flotter. Tous les 50 ou 100 mètres, il y avait un char"

Face à ce déferlement, les Allemands, épuisés, résistent néanmoins comme ils le peuvent

"Certains d'entre eux, écrivit un officier, étaient si épuisés et malades qu'ils ne pensaient plus qu'à se faufiler vers l'arrière à la faveur de la nuit. Je ne pouvais les faire rester sur leurs positions que pistolet au poing" (1)

Le 11 janvier, après la prise de Karpovka, à l'ouest du Kessel, Erich Weinert écrit : "Les cadavres gisent en de grotesques contorsions, les bouches et les yeux encore grands ouverts d'horreur, raidis par le gel, les crânes éventrés et les entrailles sorties du corps" (2)

(1) Beevor, page 474
(2) ibid, page 477

mercredi 6 janvier 2021

6605 - grosse fatigue

Le Dr Theodor Morell, toujours derrière et dans l'ombre d"Hitler
… Wolfsschanze, 31 décembre 1942

A la Wolfsschanze, le stress des événements récents a une fois de plus eu pour effet de miner la santé d’Hitler.

"On voyait régulièrement le Dr Morell se rendre au Führerbunker pour augmenter les médicaments et les injections qu’il administrait à Hitler, et qui comprenaient souvent des sédatifs. Son personnel essayait de faire ce qu’il pouvait pour le soulager de ses inquiétudes constantes, mais ne parvenait généralement pas à le sortir de sa dépression" (1)

Car Hitler est bien conscient que toutes les probabilités jouent maintenant contre lui : après bientôt deux années de combats à l’Est, l’URSS, où il devait se tailler un lebensraum, n’est toujours pas conquise, les Américains ont débarqué en Afrique du Nord, les Britanniques sont occupés à bombarder les villes allemandes, l’allié japonais est en train de reculer,... et l’allié italien envisage carrément de se retirer de la guerre !

Hitler, pourtant, veut encore y croire : à armes et, surtout, à effectifs égaux, les soldats allemands demeurent en effet les meilleurs du monde et, depuis le début du conflit, ont toujours infligé à leurs adversaires plus de pertes qu’ils n’en ont subi eux-mêmes.

Avec de meilleurs armes, et en particulier avec de meilleurs tanks (2), tous les espoirs sont donc encore permis à tous ceux qui veulent encore y croire

"Devant les membres les plus intimes de son personnel, Hitler envisageait même de transformer la défaite en victoire et, devant ses secrétaires, claironnait avec optimisme qu’il avait l’intention, en 1943, de repartir à l’offensive en dépit de l’inévitable désastre qui se préparait à Stalingrad" (3)

(1) et (3) Baxter, op cit
(2) les premiers exemplaires du Tiger I étaient apparus, au compte-gouttes, sur le Front de l’Est au début de l’automne 1942, et la fabrication du plus léger Panther lancée à la fin du mois de novembre

mardi 5 janvier 2021

6604 - Il est minuit à 22h00

Lances-roquettes katyusha, en action devant Stalingrad
… Stalingrad, 31 décembre, 22h0o

En attendant de pouvoir lancer leur assaut final, les Soviétiques ont néanmoins la ferme intention de marquer comme il se doit l’arrivée de la nouvelle année.

Et comme Hitler, de son côté, s’est toujours obstiné à faire vivre l’URSS à l'heure allemande, c'est donc à 22H00 - heure de Berlin - que les Soviétiques - pour lesquels il est déjà minuit - décident de fêter l’événement en faisant pleuvoir une véritable déluge d'obus sur le Kessel de Stalingrad !

Pour autant, ces vœux de mauvaise et malheureuse année relèvent plus de l'action psychologique que de l’intérêt militaire, les soldats allemands se contentant en effet de baisser la tête et d'attendre deux heures de plus, et le message personnel d'Hitler à Paulus, dans lequel le Führer, après avoir adressé à la 6ème Armée les vœux de toute l'Allemagne reconnaissante, souligne que  

"(...) Je suis conscient de la difficulté de votre périlleuse situation (...) mais vous et vos soldats devez entamer l'Année Nouvelle avec l'inébranlable conviction que moi-même et la Wehrmacht toute entière ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour dégager les défenseurs de Stalingrad, et que de votre fermeté naîtra le plus glorieux fait d'armes de l'Histoire militaire allemande"

Ce à quoi Paulus, lui aussi d'humeur patriotique, s’empresse de répondre que  

"(...) Les paroles de confiance que vous avez eues à l'occasion de la Nouvelle Année ont été accueillies ici avec le plus grand enthousiasme. Nous justifierons votre confiance. Vous pouvez être certain que nous tous, du plus vieux général au plus jeune grenadier, tiendrons, inspirés par une volonté fanatique, et contribueront ainsi à la victoire finale"

lundi 4 janvier 2021

6603 - "Vous allez rester là jusqu'à ce que les Allemands vous fassent prisonniers, Rokossovsky et vous !"

Rokossovsky, sur le Front de Stalingrad
… bien que renié par Hitler, son ordre de retrait du Caucase a cependant le mérite d’avoir été émis juste à temps, sauvant ainsi le gros de l’armée allemande d’un désastre qui aurait été bien pire que celui de Stalingrad.

Reste néanmoins qu’aussi "stratégique" et "bien exécutée" soit-elle, une retraite n’en demeure pas moins une défaite qui, dans le cas présent, revient même, et tout comme l’année précédente, à biffer d’un trait de plume la quasi-totalité des gains réalisés au cours du printemps et de l’été !

Reste aussi, et surtout, que la dite retraite condamne encore un peu plus les défenseurs de Stalingrad à l’anéantissement : en ces ultimes heures de 1942, et comme Manstein l’avait pressenti un mois auparavant, le Kessel n’a finalement plus d’autre intérêt que de "fixer" le plus longtemps possible un grand nombre de divisions soviétiques qui seraient assurément plus utiles ailleurs.

Ironiquement, c’est d’ailleurs l’Armée rouge qui piétine maintenant devant Stalingrad comme la Wehrmacht quelques semaines auparavant, et c’est maintenant Staline qui fustige ses généraux comme Hitler avant lui !

Pour emporter la place, Rokossovsky a en effet réclamé - et obtenu - un renfort de  5 600 canons, 200 chars, 300 avions et plus de 200 000 hommes, "mais à la grande fureur d'un Staline de plus en plus impatient, des difficultés de transport vinrent retarder l'acheminement des renforts et du matériel nécessaire.

Voronov sollicita un nouveau délai de quatre jours. Staline se fit alors sarcastique : "Vous allez rester là jusqu'à ce que les Allemands vous fassent prisonniers, Rokossovsky et vous !". Avec une extrême réticence, il accepta que la date de l'opération soit finalement reportée au 10 janvier" (1)

(1) Beevor, op cit page 431

dimanche 3 janvier 2021

6602 - Dans un coin de la pièce, un gramophone jouait du Beethoven

Kurt Zeitzler : l'homme qui arracha à Hitler la retraite du Caucase

 … Wolfsschanze, 27 décembre 1942

Le 20 décembre 1942, conformément là encore aux prévision de Manstein, l'Armée rouge a enfoncé le Front trop faiblement défendu par la 8ème Armée italienne, accréditant encore un peu plus sa volonté d’isoler le Groupe d'Armées Don du Groupe d'Armées A, en s'emparant de Rostov-sur-le-Don.

Une semaine plus tard, 27 décembre, c’est un Zeitzler affolé qui se présente inopinément à la Wolfsschanze et demande à parler d’urgence au Führer.

"Après avoir reçu l'autorisation d'entrer dans la Zone de Sécurité I, le général fut escorté par un garde du RSD jusqu'au Führerbunker, à présent gardé nuit et jour par le SS-Begleit-Kommando. Montrant son laissez-passer officiel, il obtint l’accès au bunker, puis fut conduit par l’un des aides-de-camp  d’Hitler jusqu’à sa chambre.

Dans un coin de la pièce, un gramophone jouait du Beethoven (…) Au cours de leur conversation, le général informa Hitler en termes sans équivoque de la catastrophe imminente dans le Caucase. Il lui déclara crûment que s'il n'ordonnait pas immédiatement la retraite du Front du Caucase, il allait se retrouver avec un autre Stalingrad sur les bras.

Au début, Hitler demeura assis tranquillement, en digérant chaque mot du général, puis lui dit  d'ordonner le retrait. Mais une fois ce dernier reparti, Hitler finit par se raviser et par téléphoner à l’état-major du général pour essayer d’empêcher Zeitzler d’exécuter son ordre.

Après de multiples tentatives pour lui parler, il fut finalement mis en communication, mais il était déjà trop tard : l'ordre avait été donné. Lorsque Hitler reposa le récepteur, il était bien conscient de ce qui allait maintenant à se produire. Un retrait général d’Union soviétique semblait désormais inévitable" (1)

(1) Baxter, op cit

samedi 2 janvier 2021

6601 - raccourcir le Front

76mm soviétique en action devant Stalingrad... et un cimetière militaire allemand
... car dès le 24 novembre 1942, Manstein a acquis la conviction que l'offensive d'hiver de l'Armée rouge ne se limite pas à reprendre Stalingrad, mais vise rien moins qu'à couper la ligne de Front allemande, en isolant son nouveau "Groupe d'Armées du Don" du Groupe d'Armées A, engagé dans le Caucase.

Et comme Manstein il l’a aussitôt expliqué à Hitler, ni l'un ni l'autre de ces Groupes d'Armées n’est capable de tenir les positions avec les moyens dont ils disposent : si les Russes parviennent à s'emparer de Rostov-sur-le-Don, et à couper les lignes allemandes, il en résultera une catastrophe à côté de laquelle même l’annihilation de la 6ème Armée ne serait que broutille !

Pour Manstein, il importe donc de "raccourcir" le Front de toute urgence, et donc d'autoriser la retraite du Groupe d'Armées A, dont les effectifs, qu'il souhaite placer sous son commandement unique, pourraient alors stabiliser le Front et, qui sait, dégager à terme la 6ème Armée assiégée à Stalingrad.

Fidèle à son habitude, Hitler a bien entendu refusé cette demande : pas question d’envisager, en plus de Stalingrad, une retraite du Caucase qui réduirait à néant tous les gains de l'été précédent, et ruinerait toute perspective de s'assurer du pétrole de Bakou.

Et pas question non plus de confier un commandement aussi étendu à un homme aussi brillant mais aussi incontrôlable que Manstein…

vendredi 1 janvier 2021

6600 - "à chaque sept secondes, un soldat allemand meurt sur le Front de l’Est",

"Tempête d'Hiver" ou "Stalingrad moins 50 kilomètres"
… Wolfsschantze, 24 décembre 1942

La veille de Noël, la 6ème Armée compte encore quelque 250 000 hommes, désormais définitivement piégés à l’intérieur d’un périmètre qui rétrécit de jour en jour.

Malades, affamés, épuisés, transis de froid, ces hommes, à moins d’un miracle, sont condamnés à mourir les uns après les autres : "à chaque sept secondes, un soldat allemand meurt sur le Front de l’Est", claironnent inlassablement les haut-parleurs de la Propagande soviétique.

Par télégramme depuis la Wolfsschanze, où personne ne fête, ni n’oserait d’ailleurs fêter, quoi que ce soit, Hitler assure pourtant Manstein de sa conviction que la 6ème Armée, dans sa "forteresse" (sic) est en sécurité et parfaitement en mesure de tenir jusqu’au printemps : ne vient-il pas du reste d’ordonner à Goering de porter le ravitaillement aérien à 300 tonnes par jour ?

Il en faudrait le double, mais qui s’en soucie : de toute manière, la Luftwaffe, elle aussi au bord de l’effondrement (1), ne sera jamais en mesure de livrer plus de 289 tonnes en un seul journée.

Et le pire est encore à venir…

(1) à la chute de Stalingrad, la Luftwaffe aura perdu plus de 800 avions (dont 536 de transport) et plus de 2 500 aviateurs et navigants !