samedi 31 juillet 2004

510 - voir sans être vu

... s'il jouissait de l'avantage de pouvoir se rendre invisible à ses proies tout autant qu'à ses ennemis, le sous-marin n'en souffrait pas moins d'une vision très limitée, en particulier à l'immersion périscopique.

Même lorsqu'il naviguait en surface - ce qui était le cas le plus fréquent - il demeurait un navire naturellement fort bas sur l'eau, ce qui le dissimulait certes aux vigies des bâtiments adverses, mais l'empêchait en retour de les apercevoir loin sur l'horizon.

Jusqu'à la généralisation du radar, les seuls "yeux" du sous-marin restaient donc ses vigies, qui scrutaient inlassablement l'océan avec de puissantes jumelles. Pour accroître leur champ de vision, certains eurent alors l'idée de leur faire quitter l'étroite et basse dunette du sous-marin pour les installer "en haut", c-à-d dans les airs, d'où ils pourraient bénéficier d'une perspective aussi lointaine que dégagée.

La perspective du ballon dirigeable rapidement écartée, celle de l'hydravion s'imposa tout naturellement. Compte tenu des faibles dimensions d'un submersible, il fallait évidemment concevoir un appareil petit et léger - et si possible repliable - que l'équipage pourrait mettre en oeuvre en quelques minutes, après l'avoir sorti d'un hangar installé sur le pont.

Tout au long de l'entre-deux-guerres, toutes les marines du monde y allèrent de leur interprétation personnelle de l'hydravion léger d'observation. Une des plus réussies fut l'Arado 231 allemand. Mais aussi performant et repliable fut-il, il n'en souffrait pas moins de deux inconvénients majeurs aux yeux de tout commandant de sous-marin : son encombrement sur le pont et, surtout, la lenteur des opérations nécessaires pour l'assembler, le mettre à l'eau, le récupérer, puis le préparer à la plongée. De trop longues minutes qui rendaient le sous-marin bien vulnérable.

Pour remplacer l'avion, une sorte de planeur rudimentaire fut donc proposé, et rapidement adopté. Même s'il ressemblait à un hélicoptère, le Focke-Achgelis "Bachstelze" n'était en réalité qu'un cerf-volant à rotor mais sans moteur, que le sous-marin remorquait
au bout d'un câble, à une altitude de 100 à 200 mètres.

Extrêmement compact, et très efficace, le "Bachstelze" fut employé avec succès tout au long de la guerre... jusqu'à ce que la menace des avions alliés devienne à ce point préoccupante qu'elle contraignit les commandants de sous-marins à renoncer à son utilisation, et les condamna ainsi à redevenir aveugles...

vendredi 30 juillet 2004

509 - la naissance du type VII

... mis en construction dès l'arrivée au Pouvoir d'Hitler, les sous-marins de la série VII dérivaient étroitement de leurs ancêtres UBIII de la Première Guerre mondiale.

Le plus abouti de cette série fut le modèle VIIC, popularisé par le film "Das Boot", et construit à près de 600 exemplaires.

Avec ses 67 mètres de long, ses 800 tonnes seulement, et une autonomie inférieure à 10 000 kms, le VIIC était loin d'être l'idéal pour l'Atlantique et les combats tels qu'ils se déroulèrent tout au long de la Deuxième Guerre mondiale. Mais il était solide et facile à construire en grande série.

Lorsque la guerre éclata, une cinquantaine d'entre eux étaient en service, et coulèrent près de 200 navires marchands et plusieurs bâtiments de guerre (dont le porte-avions Courageous et le cuirassé Royal Oak) entre septembre 1939 et mars 1940.

Ils y laissèrent aussi une vingtaine des leurs, soit près de la moitié de
l'effectif (!)

Dans les années qui suivirent, ces résultats exceptionnels (près de 20 millions de tonnes de navires alliés coulés), et ces pertes tout aussi exceptionnelles (780 U-booten sur 1 135, soit 65% de la flotte sous-marine allemande !) devinrent la norme des combats dans l'Atlantique.

Le plus étonnant, finalement, est qu'il se soit trouvé, jusqu'à la fin de la guerre, des marins assez courageux pour risquer leur vie dans ces étroits cercueils d'acier, dans cette guerre où le chasseur le plus implacable devenait très facilement le gibier traqué à mort.

Plus de 30 000 marins allemands moururent dans ce gigantesque effort pour couper les routes maritimes alliées. Ces pertes, et la cadence de production des U-booten (de 25 à 30 par mois en 1943) étaient telles que les officiers stagiaires de 1939 étaient tous devenus commandants en 1943, et qu'il avait fallu muter dans les sous-marins des dizaines d'officiers de l'armée de terre et même de l'aviation (!), avec les conséquences que l'on devine sur l'efficacité et la survivabilité des équipages...

jeudi 29 juillet 2004

508 - les grandes espérances
















... à la Conférence du Désarmement de Washington, en 1921-1922, deux logiques diamétralement opposées s'affrontèrent.

Possédant la flotte de surface la plus importante au monde, et celle qui avait le plus souffert des ravages causés par les sous-marins, la Grande-Bretagne souhaitait les interdire complètement.

A contrario, ne disposant que d'une flotte bien moins importante, la France et l'Italie - l'Allemagne étant naturellement exclue du débat - désiraient conserver un grand nombre de submersibles, capables de s'opposer à moindre coût à la grande flotte de cuirassés et de porte-avions britanniques.

La France se montra particulièrement inflexible dans son refus de limiter le nombre de sous-marins détenus par chaque nation : dès 1920, le Président de la Commission parlementaire du Budget avait même réclamé la mise en chantier d'une flotte de 250 à 300 sous-marins qui, selon lui, se substitueraient avantageusement aux cuirassés et autres croiseurs.

Comme souvent, la France avait eu les yeux plus grands que le ventre, et n'eut jamais les moyens financiers de construire ne serait-ce que le quart des bâtiments qu'elle revendiquait. Mais au final, si le Traité de Washington parvint à limiter le nombre de cuirassés en service dans le monde, il ne put rien faire pour contraindre les sous-marins à partir eux aussi en "vacances". Tout au plus les grandes nations s'entendirent-elles pour limiter le calibre de leurs canons à 203mm, celui du futur "Surcouf" français

Durant l'entre-deux guerres, on continua donc de construire et d'utiliser des sous-marins qui, bien que plus perfectionnés, ne s'éloignaient guère de leurs homologues de la Première Guerre mondiale.

Quant à l'Allemagne, à qui le Traité de Versailles avait interdit de posséder une flotte sous-marine, elle prit bien entendu toutes les dispositions nécessaires pour se tenir au courant de ce qui se construisait à l'étranger, et pour en développer secrètement... aux Pays-Bas, en sorte que lorsque Hitler parvint au Pouvoir, en 1933, les industriels et ingénieurs allemands furent immédiatement en mesure de se lancer dans un vaste programme de reconstruction de sous-marins.

Le plus connu, et de loin le plus meurtrier, fut le célèbre "type VII"

mercredi 28 juillet 2004

507 - les grandes espérances

... le Lusitania avait sombré en moins de 18 minutes, mais le Capitaine Turner avait néanmoins survécu au naufrage, tout comme il survivra, quelques mois plus tard, à un autre torpillage, au large de la Crète (!) Il mourut en 1935.

Walter Schwieger eut moins de chance. Décoré de la Blue Max - la plus haute distinction militaire allemande - en juillet 1917, après avoir coulé 190 000 tonnes de navires alliés, il fut tué en Mer du Nord le 05 septembre suivant, avec tout l'équipage du U-88.

L'épave du Lusitania repose toujours par 100 mètres de fond, à 14 miles des côtes irlandaises. Tour à tour cible de la Royal Navy (qui s'en servit pour tester l'efficacité de grenades sous-marines dans les années 1930), puis des chasseurs de trésor, elle est aujourd'hui réduite à peu de choses et aura sans doute entièrement disparu d'ici un siècle.

A la signature de l'armistice, 176 sous-marins allemands firent surface et se rendirent aux Alliés jusqu'au début de 1919.

Au titre des "dommages de guerre", ils furent ensuite livrés aux marines alliées - et notamment aux États-Unis - afin d'y être étudiés et copiés. La Grande-Bretagne en reçut ainsi 105, la France 46, la Belgique... 2. La plupart d'entre eux furent ferraillés entre 1922 et 1923, après la signature du Traité de Washington sur la réduction des armements navals.

Ils avaient coulé des millions de tonnes de navire alliés - dont neuf millions de tonnes de navires britanniques - et tué des milliers de marins. Ils avaient voulu mettre l'Angleterre à genoux. Ils avaient échoué.

A la signature du Traité de Versailles, en 1919, les Alliés insistèrent pour qu'une clause interdise désormais à l'Allemagne de posséder une force sous-marine. Ils pensaient ainsi en avoir définitivement terminé avec la menace des U-booten.

Attendez seulement 20 ans...

mardi 27 juillet 2004

506 - Souvenez-vous du Lusitania













... près d'un siècle après son torpillage, le Lusitania continue de susciter les polémiques.

Beaucoup ont fait remarquer l'imprudence, pour ne pas dire la provocation, de laisser s'aventurer sans escorte, dans des eaux que l'on savait infestées de sous-marins allemands, un paquebot où se trouvaient de nombreux citoyens d'une Amérique encore neutre.

D'autres ont rappelé que le Lusitania avait, à plusieurs reprises, arboré un pavillon américain pour se soustraire aux attaques allemandes, et qu'en ce triste jour du 6 mai 1915, ce navire transportait, en secret, 173 tonnes de fusils et obus schrapnels. C'est à la fois peu mais beaucoup trop pour un paquebot supposément "civil".

"Nous étions tout à fait autorisés à ce stratagème naval !", déclarera, comme pour se disculper, Winston Churchill, à l'époque Premier Lord de l'Amirauté.

Mais au delà des polémiques, la tragédie du Lusitania marque véritablement un tournant décisif dans la guerre sous-marine, pour ne pas dire dans la guerre tout court.

Avec le Lusitania, l'Humanité est définitivement entrée dans la logique de la guerre totale, dans la guerre méthodique et menée à distance, dans la guerre scientifique, où l'on ne voit plus les gens qu'on tue et où ceux-ci n'ont même plus le temps de se rendre compte de la menace qui plane sur eux.

C'est désormais le rêgne de la guerre technologique, de la guerre "presse-boutons". C'est le sous-marin, le missile, le bombardier,... que personne ne devine. Ce sont les obus, les bombes, les torpilles, et bientôt les gaz, les radiations et les bactéries qui s'abattent sur vous en un instant, sans que l'on sache d'où ils viennent, sans que l'on puisse mettre un visage sur la Mort qui vous frappe.

Plus besoin de courage, de force physique, d'habileté pour abattre son adversaire. Plus besoin d'un quelconque sentiment.

Une torpille et c'est tout.

lundi 26 juillet 2004

505 - "in a gentleman-like manner"

... sur le pont du Lusitania en train de sombrer, le milliardaire Alfred Vanderbilt a revêtu son gilet de sauvetage. Soudain, il avise une vieille femme de chambre qui en est dépourvue.

Spontanément il lui tend la sienne - Alfred Vanderbilt ne sait pas nager - mais celle-ci aperçoit à son tour une jeune femme : "je suis vieille, elle n'en a pas non plus, donnez-la lui".

Et Vanderbilt de s'exécuter avant de s'éloigner. Comme Benjamin Guggenheim, comme Jacob Astor, comme Isidore Strauss trois ans plus tôt sur le pont du Titanic, il tient lui aussi à mourir dignement, avec classe, "in a gentleman-like manner".

Sur l'U-20, Schwieger jette un dernier regard dans le périscope. Son attention s'attarde sur la poupe du bâtiment en train de sombrer, "Lusitania" note-t-il. C'est la guerre, "Kein bedavern", pas de regrets, et pas question de s'attarder : les analyses ce sera pour plus tard, pour les historiens, pour les philosophes. Maintenant il est temps de s'enfuir, forfait accompli, d'échapper aux meutes de contre-torpilleurs qui vont forcément se lancer à ses trousses.

Sourds grondements de chaudières qui explosent, cris de terreur, appels au secours, confusion,…. la "Reine des Océans" s'enfonce dans sa tombe liquide, emportant plus de 1 500 personnes avec elle.

Il est 14H25.

Dans le monde, l'indignation est énorme. "Washington croit qu'une grave crise se prépare", titre le New-York Times.

L'ambassadeur d'Allemagne est immédiatement convoqué à la Maison Blanche. "Nous les avions mis en garde !" affirme-t-il. Le Président Wilson exige des excuses, un désaveu public, un dédommagement pour les victimes. L'Allemagne de Guillaume II refuse de condamner l'acte de son capitaine, mais accepte néanmoins de verser des indemnités aux victimes américaines (124 morts sur 168), et s'engage à ne plus attaquer de paquebot sans avertissement.

L'affaire en restera là pour un temps, jusqu'à ce jour du 1er février 1917, où l'annonce par les autorités allemandes d'une guerre sous-marine totale et à outrance, quelle que soit la nationalité des bâtiments visés, entraînera la rupture des relations diplomatiques avec les États-Unis, puis l'entrée en guerre de ces derniers le 6 avril suivant.

Souvenez-vous du Lusitania...

dimanche 25 juillet 2004

504 - "Fichez le camp !"

... Navigant en surface en ce 6 mai 1915, le sous-marin U-20 a dépassé Queenstown et continue sa route au sud-ouest. Il aperçoit soudain un vapeur qui se dirige dans sa direction. Deux mats, quatre cheminées. Manifestement c'est un grand paquebot qui avance rapidement. Il faut faire vite. Postes de plongée, immersion à 11 mètres et vitesse maximum.

Dans le périscope, le capitaine Schwieger devine la silhouette du navire qui se rapproche de plus en plus. Pas question de prévenir sa victime : la côte est trop proche et toute la Royal Navy serait sur lui en quelques minutes... Schwieger est un soldat et un soldat exécute les ordres !

Alors il y va !. Un dernier regard sur la cible, 700 mètres, la torpille jaillit, encore quelques secondes…

14H08, une gigantesque explosion. "Touché !", des débris sont projetés à des centaines de mètres. C'est sans doute trop pour une seule torpille...

Pour se disculper, les Allemands affirmeront par la suite que le navire transportait secrètement des munitions pour l'Angleterre, ce qui, au demeurant était... exact, même s'il ne s'agissait que de quelques dizaines de caisses de fusils et de munitions.

Sur la passerelle du paquebot, le Commandant Turner s'efforce désespérément de lancer son bâtiment sur les hauts fonds tout proches, afin de l'échouer. Mais l'eau s'engouffre trop rapidement, le Lusitania s'enfonce par l'avant. Il va couler en moins de 18 minutes !

Sur le pont, la panique est totale, les gens hurlent, se bousculent vers les canots de sauvetage, périssent écrasés sans pouvoir les atteindre. "Les femmes et les enfants d'abord", mais tout va trop vite...

Du reste, Le naufrage est si rapide que les marins ont à peine le temps de mettre quelques canots à la mer. Les opérateurs radios envoient SOS sur SOS. "Fichez le camp !" leur crie-t-on.

Ils resteront à leur poste, jusqu'à la fin, et couleront avec leur navire, en cette époque où le devoir et l'héroïsme ont encore un sens, et où l'on sait encore mourir avec classe. Quarante ans plus tard, on verra les marins de l'Andrea Doria abandonner leurs passagers et se précipiter les premiers dans les canots de sauvetage...

O tempora o mores

samedi 24 juillet 2004

503 - le rôdeur devant le seuil

... En ce 1er mai 1915, le Lusitania est parti seul, sans la moindre escorte. C'est la pratique la plus courante à cette époque, et elle le restera lors du deuxième conflit mondial. On considère en effet que la vitesse des grands paquebots constitue leur meilleur atout pour se dérober aux attaques ennemies.

En 1915, les convois de cargos se traînent péniblement à moins de dix nœuds (allure qui ne sera que fractionnellement améliorée 30 ans plus tard). Le Lusitania est donné pour 25. Dans le même temps, les sous-marins allemands navigant en surface, au diesel, n'atteignent que la moitié de cette vitesse, et beaucoup moins en plongée, sur les moteurs électriques.

Avec le recul, et le torpillage de paquebots comme le Lusitania, l'Athenia ou le Laconia, cette tactique peut certes paraître discutable, mais l'objectivité force à reconnaître qu'elle a généralement donné de bons résultats. C'est ainsi par exemple que de 1942 à 1944, les "Queen" (les paquebots Queen Elisabeth et Queen Mary), convertis en transports de troupes et lancés seuls à plus de 30 nœuds sur l'Atlantique, achemineront sans encombre en Angleterre des milliers de soldats américains.

Malheureusement, il y aura aussi quelques couacs retentissants...

Au soir du 6 mai 1915, alors que la "Reine des Océans" aborde maintenant la pointe sud de l'Irlande avant de remonter vers le Nord, le sous-marin U-20, sous les ordres du Capitaine Schwieger vient de déboucher du Canal St-Georges, après avoir coulé trois cargos.

Bien sûr, son passage n'est pas resté inaperçu et le lendemain les messages d'alerte se multiplient sur la passerelle du Lusitania. Mais pas un mot aux passagers : inutile de créer une panique.

vendredi 23 juillet 2004

502 - le Destin frappe toujours deux fois

... en ce 1er mai 1915, un communiqué de l'ambassade d'Allemagne, publié dans les journaux du matin, vient de jeter l'émoi sur ce quai de New-York où le Lusitania se trouve amarré

Ce communiqué rappelle clairement les intentions belliqueuses du Kaiser à l'endroit de tout navire, fut-il neutre, surpris dans les eaux britanniques.

Le Commandant du Lusitania, le capitaine William Turner s'adresse alors aux passagers, leur signifiant qu'ils peuvent encore descendre du navire, et se faire rembourser la traversée, s'ils le désirent.

Mais parmi les passagers, personne ne prend réellement la menace au sérieux. "Ils n'oseront jamais" entend-on le plus souvent. Et c'est ainsi que le Lusitania appareille sans qu'un seul passager se soit désisté.

Il y a plus de 2.200 personnes à bord, dont 168 américains.

Parmi ces passagers, un homme retient plus particulièrement l'attention. Il a 37 ans, il est milliardaire. Il s'appelle Alfred Vanderbilt.

Accoudé au bastingage, légèrement à l'écart des autres, il contemple les contours de New York qui déjà s'estompent. Le Destin frappe-t-il toujours deux fois à la même porte ? Trois ans auparavant, sur un quai de Southampton, la Mort lui avait donné un premier rendez-vous. Alors que son billet avait été réservé de longue date pour le voyage inaugural du Titanic à destination de New York, et ses bagages déjà chargés en cale, Alfred Vanderbilt, à la dernière minute, avait préféré ne pas prendre le départ. Son domestique avait pourtant embarqué sur le grand navire de la White Star Line, et n'en était jamais revenu...

Aujourd'hui, sur le pont promenade du paquebot de la Cunard, sur le trajet qui doit précisément l'emmener de New York en Angleterre, Alfred Vanderbilt se rappelle-t-il cette histoire ? Dame Fortune a toujours été sienne affirme-t-on. Mais les maîtresses sont versatiles, et même des beaux milliardaires finissent toujours par se lasser.

Alfred Vanderbilt n'a plus que six jours à vivre.

jeudi 22 juillet 2004

501 - même si toi parfois tu doutes

... le 31 janvier 1915, alors que la guerre sous-marine battait son plein, le gouvernement britannique avait ordonné à sa flotte de commerce d'arborer des pavillons de pays neutres.

Surnommée "la Reine des Océans", le Lusitania était ainsi rentré en Angleterre sous le couvert du drapeau... américain.

Bernés, les allemands avaient immédiatement réagi, et publié un communiqué annonçant leur ferme intention de détruire, à partir du 18 février suivant, tout navire, même neutre, qui se trouverait à proximité de l'Angleterre ou de l'Irlande.

Le Roi Georges V s'était personnellement ému de cette décision auprès de l'attaché militaire US à Londres, et lui avait demandé quelle serait la réaction du gouvernement des États-Unis si, d'aventure, l'Allemagne venait à couler un paquebot britannique transportant des citoyens américains à son bord.

En termes diplomatiques, de ceux qui veulent dire beaucoup et pas grand chose, ce dernier lui avait alors répondu que dans une telle hypothèse l'Amérique ne pourrait rester sans réagir...

D'où ce doute, qui persiste encore aujourd'hui : le Lusitania n'était-il pas un appât, une chèvre sacrificielle tendue aux griffes du tigre allemand pour l'attirer dans un piège et précipiter l'entrée en guerre des États-Unis...

mercredi 21 juillet 2004

500 - ruse de guerre

New York, 1er mai 1915

Un épais panache de fumée se dégage des quatre cheminées d'un grand paquebot amarré aux quais de la compagnie Cunard. Lancé en 1907 et contemporain du Titanic, le Lusitania est, avec ses 45.000 tonnes et ses 245 mètres de long, un des plus grands navires du monde.

C'est d'ailleurs en réaction à son lancement que J. Bruce Ismay, Président de la White Star Line, alors rivale de la Cunard, avait autorisé la construction de trois bâtiments encore plus gros, de la classe "Olympic", dont l'un d'eux, le Titanic, mortellement frappé par un iceberg, n'était jamais parvenu à rallier le port de New-York.

Après la déclaration de guerre, le Lusitania avait interrompu ses traversées transatlantiques et était resté immobilisé plusieurs mois dans l'attente d'un nouveau destin.

L'Amérique, alors neutre, restait pour l'Angleterre un partenaire commercial de premier plan. Des norias de cargos se chargeaient d'acheminer blé, viande et approvisionnements divers des États-Unis vers la Grande-Bretagne, mais s'avéraient bien trop lents pour les hommes d'affaires, et inadaptés au transport des passagers.

C'est pourquoi, début 1915, et malgré la menace des sous-marins du Kaiser Guillaume II, le Lusitania avait repris du service sur son itinéraire habituel.

Le 31 janvier 1915, pour tromper la vigilance des sous-mariniers allemands bien décidés à assurer un blocus des côtes anglaises, le gouvernement britannique avait ordonné à sa flotte de commerce d'arborer des pavillons de pays neutres

Début février, le Lusitania était ainsi rentré en Angleterre sous le couvert du drapeau... américain.

Ruse de guerre.

mardi 20 juillet 2004

499 - la menace fantôme

... dès le début de la Première guerre mondiale, la propulsion mixte diesel/électrique s'imposa comme le standard universel des submersibles, renvoyant les quelques tentatives vapeur/électrique ou même purement musculaire (!) qui l'avait précédée au rang de simples curiosités historiques.

Très vite, les Allemands, dont la réputation de dieselistes était déjà bien établie, en devinrent les chefs de file, et dictèrent tout autant leurs choix techniques que leurs conceptions stratégiques. Grâce à eux, le sous-marin passa du stade expérimental à celui d'authentique machine de guerre, tour à tour éclaireur de la flotte de surface, transporteur pour des missions aussi discrètes que secrètes, mais aussi, et surtout, bâtiment d'attaque contre les navires de surface (militaires ou commerciaux) et ses propres homologues sous-marins.

La simple possibilité de leur présence dans des eaux autrefois faciles à surveiller et à défendre contraignit les marines de guerre du monde entier à revoir entièrement leurs doctrines de combat qui, malgré l'abandon de la voile au profit du moteur et de l'hélice, n'avaient fondamentalement pas évolué depuis des siècles.

Il fallut, dans l'urgence, développer des navires spécialisés dans la lutte contre cet ennemi invisible. Des navires qui, en permanence, furent non seulement chargés d'escorter les convois de navires commerciaux, mais aussi les plus gros bâtiments de guerre - comme les cuirassés - dont la soudaine vulnérabilité aux attaques "menées du dessous" alimenta bien des conversations et contraignit souvent les ingénieurs à l'humilité, lorsque leurs jouets de plusieurs dizaines de milliers de tonnes étaient coulés par de minuscules sous-marins de quelques centaines de tonnes, surgis de nulle part et disparus Dieu seul savait où.

Parce qu'invisible, le sous-marin terrorisait les marins, et plus généralement tous ceux qui, en ces années de guerre, s'aventuraient sur l'Océan Atlantique, cherchant à forcer le blocus que l'Allemagne du Kaiser Guillaume II avait décrété autour des îles britanniques.

Sa principale, et plus célèbre, victime fut un paquebot de légende

Il s'appelait le Lusitania

lundi 19 juillet 2004

498 - au commencement était Archimède

... même si l'utilisation de nageurs de combat chargés d'attaquer les navires ennemis remonte à la plus haute Antiquité, il fallut attendre la fin du 19ème siècle pour voir le sous-marin effectuer sa timide entrée dans la marine de guerre.

Il y avait bien eu quelques tentatives pour construire un "navire sous-marin", comme la "tortue de Bushnell", mais rien de véritablement sérieux ne fut entrepris avant la guerre de Sécession américaine, lorsqu'un étrange appareil évoluant sous l'eau, le "Hunley", parvint à couler une frégate nordiste, le USS Housatonic, qui eut ainsi le douteux privilège de devenir le premier navire de surface coulé par un sous-marin

Mais jusqu'à l'apparition de la machine à vapeur et de l'électricité, les capacités de ces engins restèrent pour le moins limitées,... tout comme l'intérêt qu'elles suscitaient parmi les États-majors et les éventuels équipages : propulsé par la seule force musculaire, le Hunley ne revint jamais de sa première mission victorieuse - il coula avec sa victime, entraînant dans la mort tout son équipage (!)

Bien que primitives et d'une fiabilité encore très aléatoire, les premières batteries permirent au sous-marin de se propulser sous l'eau durant un temps limité, tandis qu'une machine à vapeur, alimentée au charbon, assurait pour sa part la navigation en surface et la recharge des batteries.

Il fallait hélas de longues minutes pour éteindre la chaudière, rétracter et obturer la cheminée, et préparer le bâtiment à la plongée.

Du fait de la lenteur de cette opération, du danger qu'elle représentait (en particulier sous le feu de l'ennemi) et du piètre rendement énergétique du charbon (qu'il était impossible de transporter en grande quantité vu l'exiguïté du sous-marin lui-même), le rayon opérationnel des premiers submersibles les limitait aux opérations côtières.

Trop lents, et finalement plus dangereux pour leurs équipages que pour l'ennemi, les sous-marins à vapeur disparurent, souvent tragiquement, dès les premiers mois de la guerre de 1914-18, à l'image du français "Monge", coulé en 1915 par le croiseur autrichien qu'il se proposait d'attaquer (!)

Ils furent remplacés par des modèles diesel-électriques infiniment plus efficaces et qui, aujourd'hui encore, composent l'essentiel du parc mondial de sous-marins

497 - les torpilles-suicide

... dès 1944, l'aviation japonaise, mesurant l'incapacité d'infliger de sérieux dommages à la flotte d'invasion américaine au moyen d'attaques aériennes conventionnelles, décida de recourir aux avions kamikaze, soit des chasseurs ou chasseurs-bombardiers conventionnels mais bourrés d'explosifs, que de jeunes pilotes ayant à peine appris à voler précipitaient droit sur leur cible sans le moindre espoir d'en sortir eux-mêmes vivants.

Dès lors que la survivabilité du pilote et de son avion n'entraient plus dans les préoccupations, il était possible d'aller beaucoup plus loin dans l'ignoble, et de réaliser une sorte d'avion-fusée à très bas prix et uniquement doté de moignons d'ailes, d'un poste de pilotage rudimentaire, ainsi que d'un moteur-fusée destiné à ne servir qu'une seule fois.

Ainsi naquirent les Yokosuka Ohka, monstruosités innommables et dotées d'une tonne d'explosifs, qu'un "pilote" tentait tant bien que mal de précipiter à plus de 600 kms/h sur un navire américain après avoir été lancé en plein vol depuis un autre avion (généralement un bombardier Mitsubishi G4M1 "Betty") ... qui était généralement abattu par l'aviation américaine bien avant d'avoir pu amener son Ohka à proximité de la cible (!)

Avec les Kaiten, la marine japonaise reprit l'idée à son compte, en réalisant un "sous-marin suicide" qui n'était en fait qu'une torpille de type 93 à peine modifiée, où prenait place un pilote qui tentait lui aussi de se diriger vers sa cible au moyen de gouvernes et d'un périscope rudimentaires avec, devant ses pieds, plus d'une tonne d'explosifs à haute densité.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, il ne manqua jamais de volontaires pour ces missions-suicide. Et de fait, ce ne fut pas la pénurie d'hommes mais bien celle des sous-marins conventionnels (qui acheminaient les Kaiten jusqu'à leur objectif), et les médiocres performances de ces torpilles pilotées qui les empêchèrent de causer des ravages parmi les navires alliés.

Plusieurs bâtiments, dont le destroyer Underhill, firent néanmoins les frais de ces tentatives désespérées pour empêcher l'invasion du Japon.

samedi 17 juillet 2004

496 - un coûteux échec

... trop longtemps fascinée par la construction de gigantesques "croiseurs sous-marins", puis accaparée par la nécessité de transformer des bâtiments déjà existants en sous-marins de transport destinés à ravitailler les garnisons isolées sur de lointaines îles du Pacifique, la marine japonaise ne fut jamais en mesure de menacer les voies de ravitaillement d'une marine américaine qui, a contrario, avait complètement anéanti les siennes.

De fait, les succès des sous-mariniers japonais furent rares, et sans commune mesure avec les quatre millions de tonnes de navires nippons détruits par les sous-marins américains.

Dépourvus de radar, les sous-marins japonais n'étaient pas capables de suivre les mouvements des navires américains. Trop peu nombreux, et accablés durant toute la guerre par un entraînement et des doctrines d'emplois totalement inadaptés, ils subirent de plus des pertes sévères: sur 245 un unités engagées durant la guerre, 149 furent coulées par l'aviation ou la marine américaine, soit 60% des effectifs et une proportion fort semblable à celle des sous-marins allemands... dont ils n'obtinrent jamais les résultats.

Les mêmes causes entraînant les mêmes effets, les marins japonais, confrontés eux aussi à l'inefficacité de leurs bâtiments de surface et de leurs sous-marins, eurent bientôt recours aux mêmes tactiques que leurs collègues de l'armée de terre et de l'aviation : celles des attaques suicides.

Ainsi disparu le Yamato, le plus gros cuirassé du monde, dans une vaine tentative pour empêcher le débarquement américain sur Okinawa. Et c'est sur le modèle des avions kamikaze, qui se jetaient par centaines sur la flotte américaine, que furent développés les Kaiten...

vendredi 16 juillet 2004

495 - une fascination pour les géants

















... si les concepteurs des sous-marins américains se caractérisèrent d'abord et avant tout par leur réalisme et leur souci d'une extrême standardisation, ceux des sous-marins nippons, en revanche, firent preuve d'une très grande inventivité et d'une véritable fascination pour les "croiseurs sous-marins" gigantesques.

L'échec total du français "Surcouf", mais aussi de ses contemporains britanniques et américains, n'avait pourtant pas découragé les ingénieurs nippons qui, durant toute la guerre, travaillèrent sur les bâtiments géants de la classe I400, des monstres de 5 000 tonnes (trois fois plus gros que leurs homologues américains de l'époque) conçus pour transporter deux ou trois hydravions de
bombardement Aichi M6A1 Seiran avec lesquels les Japonais se proposaient de bombarder... le Canal de Panama.

Trois de ces sous-marins étaient terminés en août 1945, mais aucun n'entra jamais en service.

Jusqu'à l'apparition des sous-marins stratégiques à propulsion nucléaire, les I400 restèrent les plus grands sous-marins du monde, et incorporaient une bonne part de technologie allemande,... en souvenir des fréquentes visites effectuées durant la guerre par des sous-marins allemands, venus au Japon pour y charger du Wolfram, du caoutchouc ou de l'étain en échange de canons de 20mm, de plans d'avions allemands voire même d'avions complets, démontés pour la traversée.

Du reste, ces sous-marins "de transport" impressionnèrent tellement les ingénieurs japonais qu'ils se mirent eux aussi à transformer de la sorte plusieurs de leurs grands submersibles, afin de ravitailler clandestinement les garnisons de l'armée assiégées sur diverses îles du Pacifique.

Déjà très réduite, la flotte sous-marine japonaise dut ainsi se séparer de nombreuses unités qui auraient pu jouer un rôle plus offensif contre la marine américaine. Le comble du gâchis fut atteint dès la fin de 1942, lorsque l'armée de terre, toujours pour ravitailler ses garnisons isolées, se mit elle-même à construire une trentaine de sous-marins de transport, servis par ses propres équipages...

jeudi 15 juillet 2004

494 - la mort du Shinano












.. si toute guerre a ses tragédies, chacune connaît aussi ses malchances. Le naufrage du Shinano, le 19 novembre 1944, cumula les deux.

Mis en chantier en mai 1940, sur les mêmes plans que le Musashi et le
Yamato, le Shinano devait, comme ses deux frères, devenir un "super-cuirassé" de 72 000 tonnes.

Mais l'entrée en guerre du Japon, et le succès de l'attaque japonaise contre Pearl Harbour, interrompirent la construction bien avant son terme. La grande coque, à peine capable de flotter, fut alors sortie du dock afin de céder la place à d'autres constructions plus urgentes.

Après le désastre de Midway, et la perte de quatre porte-avions, il n'était plus question pour le Japon de reprendre les travaux de "super-cuirassés" qui promettaient bientôt de devenir obsolètes : il fallait plutôt construire de nouveaux porte-avions, le plus rapidement possible.

La décision fut alors prise de convertir l'immense coque inachevée du Shinano, et d'en faire le plus grand porte-avions du monde, un monstre de 67000 tonnes et de 266 mètres de long, si gros qu'il fallut attendre le lancement de l'Enterprise, en 1961, pour voir les États-Unis lui ravir enfin le titre mondial.

Devenu tout à la fois porte-avions et navire-ravitailleur, déclaré apte au service le 18 novembre 1944, le Shinano) fut torpillé dix jours plus tard, sans un seul avion à son bord, par le sous-marin USS Archerfish, un 1500 tonnes de la classe Balao, qui l'avait surpris en mer alors qu'il se rendait de Yokosuka à Kure pour y embarquer ses avions.

Touché par quatre torpilles, le plus grand porte-avions du monde sombra six heures plus tard, sans jamais avoir combattu. Triste fin pour un navire que la propagande japonaise avait présenté comme "l'arme miracle", et dont elle s'abstint de révéler la disparition jusqu'à la fin de la guerre, pour ne pas démoraliser la population.

Quant à l'Archerfish, il termina sa longue carrière en 1968, en servant de cible à des torpilles d'exercice mais en restant à jamais dans l'Histoire comme le sous-marin ayant coulé le plus gros porte-avions et le plus gros navire de surface du monde...

mercredi 14 juillet 2004

493 - Run silent, run deep

... en 1939, 2 337 navires de commerce japonais figuraient sur le Lloyd's Register. En août 1945, il n'en restait plus que 231.

Quatre-vingt dix pourcents de la marine commerciale japonaise avait été détruite par les sous-marins américains, leurs torpilles, leurs obus ou leurs mines.

De même, des dizaines de destroyers, croiseurs, torpilleurs ou porte-avions japonais (dont le Shinano de 65 000 tonnes - le plus gros
porte-avions du monde) furent victimes des sous-marins américains, qui du reste coulèrent plus d'escorteurs japonais que ces escorteurs ne coulèrent de sous-marins américains (!)

Et si, en tonnage brut, ces chiffres n'atteignent que le cinquième de ceux revendiqués par les sous-marins allemands, le ratio pertes infligées/pertes encourues est très nettement en défaveur des Allemands, qui dans l'opération laissèrent 780 sous-marins sur 1 135, soit 65% de leur flotte

Pas plus qu'en 1914-1918, et malgré les dommages qu'ils infligèrent, les sous-marins allemands ne furent en mesure de couper les approvisionnements vitaux entre les États-Unis et la Grande-Bretagne, ou entre la Grande-Bretagne et l'URSS.

Dans le Pacifique, en revanche, les sous-marins américains asphyxièrent le Japon à un point tel qu'il est rétrospectivement permis de se demander si les bombardements sur Tokyo, puis sur Hiroshima et Nagasaki, étaient bien indispensables tant l'empire du soleil était alors à genoux et en panne de carburant...

mardi 13 juillet 2004

492 - des pertes stupéfiantes













... de 1939 à 1945, les sous-marins allemands, leurs torpilles, leurs obus et leurs mines, avaient envoyé par le fond près de 20 millions de tonnes de navires alliés.

Pour autant, et malgré ces résultats extraordinaires, ils n'étaient pas
parvenus à couper l'indispensable cordon ombilical entre la
Grande-Bretagne et les États-Unis, ni même à empêcher l'URSS de recevoir par voie de mer des fournitures tout aussi vitales à son effort de guerre.

De fait, l'industrie américaine avait été capable de compenser les
pertes, et de construire de nouveaux cargos ou pétroliers plus rapidement que l'Allemagne ne parvenait à les couler (!)

Pire encore : alors que les Liberty et Victory ships se succédaient sans discontinuer sur l'Atlantique, les sous-marins allemands payaient eux-mêmes un lourd tribu à la guerre et l'efficacité des escorteurs alliés, puisque 780 d'entre eux (sur 1135) s'en allèrent rejoindre leurs victimes au fond de l'océan

Dans le Pacifique, en revanche, la conjonction, du côté des Américains, d'excellents sous-marins et d'une remarquable doctrine d'emploi et, du côté des Japonais de l'absence d'escorteurs et d'une doctrine complètement inadaptée à la réalité, se traduisit non seulement par des pertes ahurissantes chez les seconds et légères chez les premiers, mais aussi, et surtout, par la rupture totale des lignes d'approvisionnement japonaises, indispensables à leur effort de guerre.

De 1942 à 1945, les quelques dizaines de sous-marins américains envoyèrent par le fond, directement ou indirectement, plus de 4 millions de tonnes de navires japonais. C'est peu en regard des 20 millions de tonnes des U-booten allemands, mais c'est énorme si l'on sait que sur les 2337 navires de commerce japonais repris au Lloyd's Register de 1939, il n'en restait plus que 231 en août 1945 (!)

lundi 12 juillet 2004

491 - chronique d'un désastre annoncé

... en décembre 1941, le Japon était parti en guerre pour s'approprier les matières premieres et le pétrole indispensables à son expansion.

Ayant conquis en quelques mois, et au prix de pertes finalement légères, les Indes néerlandaises, le Sud-Est asiatique et une bonne partie du Pacifique jusqu'à l'Australie, il ne lui restait plus maintenant qu'à exporter en métropole le fruit de ses rapines. Un fruit certes gratuit mais à qui il fallait néanmoins faire traverser l'océan en pleine guerre et alors que la marine commerciale japonaise du temps de paix suffisait à peine à la tâche.

Pire encore, empêtrés dans leur logique du Bushido et leur conception strictement offensive de la guerre sur mer, les Japonais avaient complètement négligé de construire des escorteurs, pour ne s'intéresser qu'à leurs seuls grands bâtiments de guerre, persuadés que ces derniers seraient également les seules cibles à intéresser les sous-marins américains (!)

Un tel aveuglement ne pouvait évidemment que conduire à la catastrophe : en quelques mois, les sous-marins américains parvinrent bel et bien à couper les lignes d'approvisionnement japonaises sans que la marine de guerre nippone soit en mesure de les en empêcher.

En fait, la faiblesse des mesures de défense japonaises était telle que les sous-marins américains opérèrent généralement en surface, et souvent au canon, afin de pallier à l'exécrable qualité de leurs propres torpilles.

Les Japonais ne comprirent que fort tard l'impérieuse nécessité de grouper leurs navires de commerce en convois, comme le faisaient les Britanniques contre les sous-marins allemands depuis le début de la guerre. Et quant ils s'y résolurent, fin 1943, ils ne disposèrent de toute manière pas, à la différence de la Grande-Bretagne, d'une flotte d'escorteurs spécialisés dans la lutte anti sous-marine

Dépourvus de radar, les très rares escorteurs japonais étaient incapables de repérer les sous-marins américains avant qu'ils ne passent à l'action, et lorsqu'ils parvenaient néanmoins à les repousser, ils n'étaient de toute façon pas en mesure de les empêcher de se replacer en position d'attaque sur la route d'un convoi que eux retrouvaient sans difficulté quelques heures ou quelques jours plus tard, grâce à leur propre radar (!)

Toutes les conditions étaient donc réunies pour transformer le Pacifique en gigantesque parc à ferrailles de navires japonais

dimanche 11 juillet 2004

490 - une doctrine suicidaire

... dès le début de la Seconde Guerre mondiale, la marine de guerre britannique, confrontée à la nécessité de garantir la sécurité des navires commerciaux sur l'Atlantique, en était revenue à une conception qui, lors de la guerre de 1914-1918, avait fait ses preuves contre les sous-marins allemands : grouper les navires de commerce, lents et très vulnérables, en convois de plusieurs dizaines d'unités, et les faire traverser l'océan en groupe, sous la surveillance d'escorteurs
spécialisés dans la lutte anti sous-marine.

La méthode n'était certes pas parfaite - plusieurs centaines de navires furent néanmoins coulés tout au long de la guerre - mais exigeait surtout une bonne dose de flegme et de patience,... ainsi que la volonté de développer une flotte complète de destroyers, frégates ou corvettes, puis de la maintenir tout au long de la guerre dans son seul rôle de "chien de garde", au détriment de toute action plus offensive.

Cette conception toute britannique du chien de berger surveillant des moutons ne cadrait absolument pas avec celle, bien plus offensive, du Bushido.

Le convoyage de navires de commerce sur l'océan étant considéré comme une activité purement défensive, donc indigne d'une nation de samouraïs, le Japon n'avait construit aucun escorteur spécialisé avant 1940, se contentant de transformer une poignée de vieux torpilleurs puis, en 1941, de mettre en chantier une vingtaine de destroyers sans leur donner la moindre priorité.

Pourtant, à l'instar de la Grande-Bretagne, le Japon était une île important déjà, avant guerre, et par voie de mer, 20% de sa nourriture, 24% de son charbon, 88% de son minerai de fer,... et plus de 90% de son pétrole (!)

Dans ce contexte, la moindre rupture des approvisionnements maritimes acheminant vers le Japon les matières premières et le pétrole indispensables à son effort de guerre, et pour lesquels le pays était précisément parti en guerre, ne pouvait avoir que des conséquences catastrophiques.

Et c'est exactement ce qui arriva

samedi 10 juillet 2004

489 - des torpilles défectueuses

... dix fois moins nombreux que leurs homologues allemands, les sous-marins américains devaient de surcroît opérer sur un océan immense où ils furent quasiment, pendant plus d'une année, les seuls bâtiments de guerre capables d'infliger des pertes à l'ennemi japonais, l'essentiel de la flotte de surface américaine ayant été détruite ou gravement endommagée à Pearl Harbour.

Heureusement, leur qualité de fabrication était généralement excellente et valait bien celle des meilleures réalisations allemandes dont les marins, confrontés par ailleurs à l'inconfort et l'incroyable exiguïté de leurs propres U-booten, se seraient presque crus dans un château si on les avait transporté à bord d'un bâtiment de la classe Balao ou Gato

De plus, lorsqu'ils évoluaient en surface, c-à-d la plupart du temps, les sous-marins américains disposaient du radar dont leurs homologues japonais, ainsi que la plupart des navires de surface nippons, étaient dépourvus.

En fait, et à l'image-exacte de celle qui affligeait également les sous-marins allemands, la principale plaie dont souffraient les sous-marins américains résidait dans l'exécrable qualité de leurs torpilles, que l'on pouvait certes tirer de travers (à la différence des torpilles de la Première Guerre mondiale, qui imposaient le tir en ligne droite, donc sur une route perpendiculaire à la cible visée) mais qui fonctionnaient si mal que nombre d'attaques échouèrent dans les deux premières années du conflit.

vendredi 9 juillet 2004

488 - une standardisation très américaine

... à la fin de la Première Guerre mondiale, la Navy américaine s'était constituée une flotte sous-marine en récupérant, puis en copiant, plusieurs bâtiments allemands au titre des dommages de guerre. Bien que désormais construites aux États-Unis, les unités suivantes ne s'éloignèrent guère - et pour cause - des modèles allemands, soit de ces navires étroits et terriblement inconfortables, à peine conçus pour l'Atlantique, que l'Allemagne nazie se mit elle-même à reconstruire par centaines dès l'arrivée au Pouvoir d'Hitler en 1933, puis la signature du pacte naval germano-britannique de 1935.

A l'évidence, ces bâtiments s'avéraient inadaptés aux vastes étendues de l'Océan Pacifique, qui promettaient d'être le terrain d'opération privilégié des sous-marins américains advenant une guerre contre le Japon.

Pour loger le carburant nécessaire, et offrir aux équipages des conditions de vie qui paraîtraient inimaginables aujourd'hui mais auraient fait rêver n'importe quel marin allemand, il fallait construire des bâtiments bien plus gros - et en fait deux fois plus gros - que leurs équivalants allemands de la Première Guerre mondiale et leurs successeurs à peine modernisés du type VIIC, alors occupés à traquer les navires alliés ans l'Atlantique.

La crise économique de 1929 ayant réduit la construction navale à peu de choses, il ne restait, à l'entrée en guerre des États-Unis, que trois chantiers (deux public et un appartenant à la Marine) capables de construire des sous-marins. La standardisation fut donc poussée à l'extrême.

Ainsi naquirent les classes Gato et Balao (et plus tard Tench), des bâtiments de 1500 tonnes presque tous identiques, et dont on renforca très vite l'armement anti-aérien puisque ces sous-marins opérèrent la plupart du temps... en surface

jeudi 8 juillet 2004

487 - une guerre oubliée

... lorsque l'on parle de "guerre sous-marine", il est de coutume d'évoquer le palmarès des U-booten allemands qui, de 1939 à 1945 ont envoyé par le fond près de 20 millions de tonnes de navires alliés, entraînant la mort de milliers de marins.

Ce palmarès est même tellement impressionnant que, dans les livres d'Histoire comme dans l'imaginaire collectif, il a complètement éclipsé celui d'autres sous-mariniers, menant une guerre tout aussi décisive à l'autre bout du monde.

En 1941, la Navy américaine ne disposait que de 113 sous-marins - dix fois moins que l'Allemagne nazie - et plus de la moitié d'entre eux, comme le S25 avaient été construits pendant ou immédiatement après la Première guerre mondiale

Trop vieux pour partir en guerre, avec un rayon d'action trop faible pour servir dans le Pacifique, ces sous-marins ne servaient plus qu'à l'entraînement, et furent souvent cédés à des gouvernements alliés.

Ainsi, le vieux S25 fut prêté à la Royal Navy pour l'entraînement, avant de devenir le Jastrzab polonais... et d'être coulé par erreur en 1942 par un navire allié (!)

A l'entrée en guerre des États-Unis, et malgré le feu vert du Congrès à la construction de plusieurs dizaines de nouvelles unités, la situation s'annonçait donc dramatique, avec à peine une quarantaine de bâtiments réellement aptes à opérer dans l'immensité de l'Océan pacifique contre une marine japonaise qui, à Pearl Harbour, venait d'immobiliser pour longtemps la quasi-totalité de la flotte de surface américaine...

Les sceptiques seraient confondus au delà de l'imaginable...

mercredi 7 juillet 2004

486 - Bleu outre-tombe















... Après l’affaire du Laconia, et la désastreuse tentative de sauvetage de ses passagers, la Kriegsmarine imposera des consignes très strictes à ses commandants, ce qui se traduira par un net durcissement du conflit.

Quant aux rescapés du Laconia, plusieurs bâtiments français finiront par en recueillir un bon millier, et notamment ceux qui avaient été pris en remorque par les U-506 et 507, lesquels avaient eu finalement plus de chance que le pauvre Hartenstein...

Il restait encore deux embarcations qui erraient sur l'océan. La dernière fut retrouvée le 21 octobre 1942, plus d'un mois après le torpillage. Elle ne comptait plus que 4 survivants sur les 51 qui y avaient pris place...

Déjà bien mal récompensé pour son beau geste, Werner Hartenstein rentra à Lorient, et en ressortit à la mi-janvier 1943 pour prendre la route de la Mer des Caraïbes.

Sa croisière s'achèvera misérablement le 8 mars 1943, sous les coups d'un bombardier B-24, du même type que celui qui l'avait attaqué alors qu'il remorquait les survivants du Laconia…

Triste fin pour un homme qui aurait mérité mieux, pour un soldat qui s'était efforcé à deux reprises de rendre la guerre un peu moins moche, pour un marin qui gît aujourd'hui, avec tout son équipage par 3 500 mètres de fond quelque part au large de la Barbade.

Dans un bleu outre-tombe

mardi 6 juillet 2004

485 - chacun pour soi et Dieu pour tous

... au large des côtes africaines, en ce 16 septembre 1942, apparaît soudain l'ennemi le plus redouté du submersible, celui qui, sans prévenir, jaillit du ciel sous la forme d'un gros hydravion ou d'un bombardier quadrimoteur.

Cette fois-ci, c'est un B-24 américain...

Hartenstein a déployé une grande croix rouge sur le pont. Il s'efforce d'entrer en contact avec l'équipage du bombardier. En vain. Quelques secondes plus tard, deux bombes s'abattent dans le sillage du U-156 qui remorque toujours les embarcations du Laconia, dont l'une chavire immédiatement...

Cette fois, c’est chacun pour soi et Dieu pour tous. Larguez les amarres. Et tant qu'on y est, que les Italiens et les Anglais pris à bord se jettent à l'eau car il est impossible de plonger avec eux !

Du coup, voilà les rescapés bons pour un deuxième naufrage tandis que les bombes continuent de pleuvoir autour d’eux. Il n'y aura que six survivants...

Hartenstein s'est enfui sans demander son reste, son bâtiment est endommagé, et lui même a pris un sérieux coup au moral. Il ne comprend pas pourquoi il a été bombardé en pleine opération humanitaire...

A Berlin, Dönitz subit les foudres d'Hitler qui, comme de coutume, écume de rage et tempête contre cet "humanisme" qui met en danger ses précieux sous-marins et les empêche de se livrer à l'activité pour laquelle ils sont conçus : donner la mort

Suivant le bon vieux principe des vases communicants, ce sera bientôt au tour du malheureux Hartenstein d'essuyer les remontrances de ses supérieurs, qui lui enjoignent de quitter les lieux sur l'heure et de ne plus participer à aucune opération de sauvetage...

lundi 5 juillet 2004

484 - une trève humanitaire












... Mis au courant de l'incident du Laconia, et de ses centaines de naufragés perdus en plein océan, l'amiral Dönitz, responsable de la flotte sous-marine, est très inquiet : avec pareille surcharge, comment l'U-156 pourrait-il s'esquiver en cas d'attaque ennemie ?

De son côté, Werner Hartenstein a eu une autre idée : nouer des contacts par voie diplomatique et faire accepter une trêve, pour raison humanitaire, le temps de permettre à un navire quelconque de se rendre sur les lieux pour y recueillir les survivants.

Sachant que ce genre de tractations prend toujours beaucoup de temps, il décide lui-même, sans en référer à ses supérieurs, de lancer un SOS, par radio et en anglais, à l'attention de tout navire se trouvant dans les parages, il donne la position du naufrage et s'engage à ne pas attaquer ce navire pourvu qu'il ne soit pas attaqué lui-même...

Du jamais vu en temps de guerre.

Dans un premier temps, cette démarche courageuse semble donner de bons résultats. Dans l'étroit poste radio du U-156, Hartenstein apprend qu'un sous-marin italien et trois autres U-booten font route vers lui, que les autorités françaises ont été contactées afin qu'elles envoient des navires de sauvetage venus du Sénégal.

Au matin du 14 septembre 1942, le U-156, transformé en navire-hôpital de fortune, a pu regrouper pas moins de 1.500 naufragés, groupés sur 22 canots et radeaux de sauvetage du Laconia. Et il en a personnellement repêché plus de 400, dont la moitié ont ensuite été répartis sur les canots disponibles.

L'équipage du sous-marin s'efforce de réconforter les blessés, de leur fournir des vivres et du café chaud dans l'attente des secours qui, leur dit-on, ne sauraient tarder.

Le 15, le U-506 apparaît à l'horizon. Hartenstein lui confie la moitié des Italiens recueillis à son bord. Puis les deux sous-marins, prenant les embarcations de sauvetage en remorque, mettent le cap sur Abidjan (Côte d'Ivoire) en suivant des itinéraires différents.

De son côté, le U-507 en a fait de même pour les canots qu'il a rencontrés sur sa route.

dimanche 4 juillet 2004

483 - l'affaire du Laconia











12 Septembre 1942, 20H00. Les yeux rivés au périscope du sous-marin U-156, Werner Hartenstein contemple avec attention, et pour la dernière fois, la silhouette d'un grand paquebot qui se dessine sous l'horizon.

C'est un 20 000 tonnes de la compagnie Cunard-White Star Line, le Laconia, lancé à plus de 25 noeuds au large du Golfe de Guinée, et qui navigue seul, sans la moindre escorte, comme le veut la règle habituelle du temps de guerre, où l'on considère que la vitesse de ces grands navires constitue leur meilleur atout pour se dérober aux attaques.

Par petites étapes, le "Laconia" ramène de Suez vers l'Angleterre près de 2 000 soldats, marins et aviateurs britanniques, quelques femmes et enfants, ainsi que... 1 800 prisonniers de guerre italiens, capturés à El Alamein en juillet et entassés à fond de cale, dans des conditions exécrables, sous la garde d'un peloton de soldats polonais.

A 20H07, deux torpilles jaillissent du U-156. L'une d'entre elles touche le paquebot à l'arrière, l'autre en plein milieu de la cale n°4 remplie de prisonniers. C'est un véritable massacre...

Le Laconia va sombrer en 50 minutes. Partout des cris et des hurlements. Dans les cales les italiens se battent avec leurs gardiens et tentent désespérément de s'enfuir par les hublots, les écoutilles, la moindre ouverture qui les conduirait vers la lumière, la liberté, vers la Vie. Beaucoup périront, noyés comme des rats.

Hartenstein a fait surface, il cherche à identifier sa victime. Soudain, on entend des cris, des appels à l'aide... en italien. On repêche quelques survivants. Et effectivement, ce sont bien des prisonniers italiens, donc des alliés. Il y en aurait plus de 1.500. Que faire ? On ne peut tout de même pas les abandonner au milieu de l'océan...

Hartenstein demande de nouveaux ordres. Sans attendre la réponse, il commence à faire monter les italiens à son bord, mais la mer grouille littéralement de centaines de naufragés qui s'accrochent à toutes les épaves possibles, et le sous-marin navigue, pour ainsi dire, en plein dedans.

Alors, de sa propre initiative, démarche incroyable dans cette guerre totale, Hartenstein contacte tous les bâtiments allemands dans les parages, leur expose la situation et sollicite leur aide.

samedi 3 juillet 2004

482 - une erreur de jeunesse

... Au moment d’ouvrir le feu sur la raffinerie d’Aruba, ce 17 février 1942, l’enseigne responsable de la manœuvre donne l’ordre de surseoir au tir, pour ne pas toucher les fidèles qui, en ce dimanche matin, se dirigent vers l’église voisine.

Plusieurs minutes s'écoulent et ajoutent à la nervosité de l’équipage, qui se sait dangereusement exposé sur les flots. Distrait par cet incident, l'enseigne Von dem Borne a oublié d'inspecter le canon avant le tir, et de retirer la tape de bouche qui protège le tube lorsque le sous-marin est en plongée…

Au premier coup, la pièce éclate, blessant grièvement le jeune enseigne et un autre marin.

Plus question de bombarder la raffinerie. Pire encore : le jeune enseigne doit être amputé, et la gangrène se déclare. L'U-156 n'a pas de médecin, et l'enseigne est le fils d'un officier supérieur de la Kriegsmarine...

Hartenstein contacte alors ses supérieurs par radio et demande des instructions. Après plusieurs jours de négociations avec les autorités françaises de Vichy, l'U-156 obtient finalement l'autorisation de laisser débarquer ses blessés à Fort de France (Martinique) avant de reprendre le large puis de regagner Lorient, où il arrive le 17 mars.

En voulant sauver la vie de civils innocents, un jeune officier a non seulement fait avorter la mission, mais y a presque perdu la vie...

vendredi 2 juillet 2004

481 - un beau geste

... reconnu apte au combat le 24 décembre 1941, l'U-156 a débouché du canal de Kiel et, naviguant essentiellement en surface a pris la direction de l'Atlantique à la vitesse moyenne de 12 nœuds.

Jusqu'à l'apparition de la propulsion nucléaire - et en dépit de diverses tentatives comme celle des turbines au peroxyde d'hydrogène - les sous-marins se caractérisent par leur système mixte diesel/électrique qui, fondamentalement n'a guère évolué depuis la première guerre mondiale. Les moteurs diesel offrent la vitesse (jusqu'à 18 noeuds) et l'autonomie plusieurs milliers de kilomètres) pour gagner le théâtre d'opérations ou pour attaquer en surface. Les moteurs électriques ne sont utilisés qu'en plongée, quelques minutes avant le torpillage d'un navire ennemi, ou pour se soustraire aux attaques de ce dernier. Si les diesels sont généralement très robustes - qualité allemande oblige - les moteurs électriques imposent en revanche la présence d'une quantité impressionnante de batteries à la fiabilité parfois aléatoire (surtout après de longues semaines de mer) et aux performances limitées (moins de 8 noeuds et une autonomie de quelques dizaines d'heures seulement).

Ayant rallié Lorient (Morbihan) début janvier 1942, l'U-156 a appareillé le 19 pour la Mer des Caraïbes.

Un mois plus tôt, le 11 décembre 1941, l'Allemagne a déclaré la guerre aux États-unis, et les côtes américaines sont devenues pour les sous-mariniers allemands des cibles d’autant plus tentantes que les lumières de New-York ou de Miami leur permettent de s’orienter à leur aise : malgré la guerre, les États-Unis ne connaissent pas le black-out.

Le dimanche 17 février au matin, après avoir coulé deux pétroliers, l'U-156 se trouve au large de l'île d'Aruba (Antilles Néerlandaises) dont il se propose d'attaquer, au canon, les réservoirs à mazout.

Possession hollandaise, l'île d'Aruba comporte en effet d'importantes raffineries pour le pétrole brut importé du Venezuela. Après décembre 1941, le gouvernement hollandais en exil à Londres a autorisé les Américains à y débarquer des troupes.

Ayant fait surface, les marins de l’U-156 se précipitent vers la pièce de 105mm. La cible est immanquable mais alors qu'il s'apprête à ouvrir le feu, comme à l'exercice, l'enseigne responsable de la manoeuvre aperçoit dans ses jumelles la procession des fidèles qui se dirigent vers l'église voisine...

Tirer dans ces conditions provoquerait à coup sûr une véritable boucherie. L'enseigne est jeune : il donne l'ordre de surseoir au tir, un joli geste dans une sale guerre...

Un geste qui va lui coûter cher.

jeudi 1 juillet 2004

480 - la Bataille de l'Atlantique

... La prise de commandement effectuée, les dernières cérémonies achevées, l'U-156 a pris la mer, emportant 49 hommes vers un Destin qui s'achèvera brutalement le 8 mars 1943 dans la Mer des Caraïbes.

Pendant plusieurs mois, loin des regards indiscrets, le sous-marin et son équipage se sont entraînés dans la Baltique à détruire les bâtiments ennemis, mais aussi à se soustraire à leurs attaques... Dans cette "Bataille de l’Atlantique", le chasseur devient vite gibier et il importe alors de s'enfoncer le plus rapidement possible sous les flots, de se dérober au bâtiment de surface qui vous traque au sonar, d’esquiver l'impitoyable grenadage qui s'ensuit...

Dépourvus de radar, les sous-marins allemands ne peuvent compter que sur la vigilance des guetteurs, debouts sur l'étroite dunette, à quelques mètres seulement au dessus des flots. Tout est une question de secondes, et malheur au guetteur inattentif, à l’officier maladroit ou au marin simplement trop lent pour signaler le danger ou exécuter une manoeuvre d'urgence : les erreurs se paient comptant, en vies humaines, souvent au prix de l'équipage tout entier.

Depuis septembre 1939, une soixantaine d'U-Booten allemands pavent déjà le fond des océans. C’est peu et beaucoup à la fois. Car si construire des sous-marins n'est pas un obstacle pour l'industrie allemande, il est en revanche bien plus difficile de remplacer les marins expérimentés ayant subi un entraînement complet en temps de paix, parmi lesquels figurent les "grands as" comme Gunther Prien.

Du reste, dès la mi-1943, pour pallier aux pertes et au manque chronique d'effectifs, il sera nécessaire de muter dans les sous-marins des officiers de l'armée de terre et même de l'aviation (!), avec les conséquences que l'on devine aisément sur l’efficacité et la survivabilité des sous-marins…