lundi 28 février 2022

7122 - la fin de la présence japonaise


... Fort Drum, 13 avril 1945, 10h45

En quelques minutes, plus de 10 000 litres de carburant, et quelques charges à retardement, sont injectés dans les entrailles de Fort Drum qui, à 10h45, disparaît dans un formidable nuage de fumée et d'explosions.

En tout, il aura fallu moins d'une heure pour neutraliser "l'imprenable Fort Drum", mais l'incendie qui lui dévore le cœur va quant à lui durer encore plusieurs jours !

Et quand les Américains pourront enfin y pénétrer, une semaine plus tard, ce sera pour constater, sans surprise, que l'intégralité de la garnison japonaise a péri, suffoquée ou carbonisée (1)

Si la Reconquête de Fort Drum marque la fin officielle (2) de la présence nippone dans et autour de Manille, la logique, mais aussi le simple bon sens, voudraient à présent que les Japonais, mais aussi les Américains, en tirent les conséquences, et décident d'arrêter les frais et de passer à autre chose.

On est hélas loin du compte…

(1) laissé à l'abandon depuis le vendredi 13 avril 1945, Fort Drum, et ses canons rouillés, depuis longtemps silencieux, se dresse encore aujourd'hui à l'entrée de la Baie de Manille, comme une ultime témoignage du fanatisme et de la folie des Hommes...
(2) le 16 avril, après deux jours de bombardement aérien et naval, les troupes américaines débarqueront également sur l'île voisine de Caraboa pour n'y découvrir qu'un... cochon. La garnison japonaise ayant quitté les lieux plusieurs jours auparavant

dimanche 27 février 2022

7121 - comme au Moyen-Âge...

Une plateforme improvisée permet aux Américains de débarquer sur Fort Drum
... Fort Drum, 13 avril 1945, 10h00

Or justement, le 28 mars, dans leur reconquête de l'île de Caballo, quelques kilomètres plus au Sud, les Américains sont tombés sur une curieuse poche de résistance, établie par les Japonais dans deux anciens puits prolongés par des tunnels s'enfonçant profondément dans le roc.

Toutes les tentatives pour les en déloger ayant échoué, quelqu'un, peut-être inspiré par l’expérience du Tunnel Malinta à Corregidor, a alors eu l’idée d’y déverser une dizaine de milliers de litres d'essence et de gasoil, puis d'y mettre le feu, avec un résultat final si convaincant que le haut-commandement a très vite décidé de rééditer l'expérience sur Fort Drum.

Reste néanmoins à s'approcher du rocher. Le 11 avril, des navires de guerre vont ouvrir la voie : bien qu'incapables de percer la formidable muraille de plus de 8 mètres d'épaisseur, leurs obus réussissent néanmoins à mettre hors service les deux ou trois pièces d'artillerie légère dont disposent encore les défenseurs japonais.

Le 13 avril, à 10h00, une barge d'assaut peut alors impunément s'approcher à quelques mètres de l’ouvrage avec à son bord un commando qui, durant plusieurs jours, a répété l'opération sur une portion de la forteresse de Corregidor, transformée pour l’occasion en terrain d'exercice.

Une plateforme et une rampe improvisées qui font immanquablement penser au Moyen-Age leur permettent bientôt de prendre pied sur le toit de la casemate, puis d'introduire un tuyau d'essence par les évents, le tout sans que les Japonais, gênés par des tireurs d'élite américains, soient en mesure de s'interposer…

samedi 26 février 2022

7120 - un cuirassé en béton

Une des casemates latérales de Fort Drum. Notez les cratères d'obus
… et de fait, en 1942, les multiples attaques japonaises se sont avérées sans effet : les plus gros obus de marine et les plus lourdes bombes d’avions ont certes détruit les superstructures mais n’ont même pas écorné le béton de l’ouvrage !

Lorsque le général Wainwright a capitulé à Corregidor, le 6 mai 1942, les quelque 200 défenseurs de l’imprenable Fort Drum se sont alors rendus aux Japonais non sans avoir pris soin, comme leurs camarades de Corregidor, de détruire toutes les installations, et en particulier les tubes des quatre canons de 356mm, ne laissant ainsi à leurs vainqueurs qu’une simple coquille vide

Et comme à Corregidor, le manque de moyens, et pendant longtemps de nécessité, a ensuite empêché toute véritable remise en état, en sorte qu'en avril 1945, les quelques 70 marins japonais présents sur le rocher ne disposent guère que de quelques mitrailleuses ou canons légers pour affronter l'armada que les Américains se préparent à lancer contre eux.

A vrai dire, cette ultime présence nippone en Baie de Manille relève surtout du symbole, un symbole que les défenseurs japonais, sans illusion sur l'issue finale, entendent néanmoins entretenir le plus longtemps possible, et un symbole que les Américains, a contrario, veulent effacer le plus vite possible !

Début avril, un vedette lance-torpilles venue en reconnaissance s'est faite canarder par la garnison. L'affaire a fait trois morts, prouvé - s'il en était encore besoin - la volonté des Japonais de demeurer sur place, et renforcé - si cela était encore nécessaire - celle des Américains de les en déloger.

Reste néanmoins à trouver la manière, et surtout une manière qui ne mettrait aucune vie américaine en péril...

vendredi 25 février 2022

7119 - le Fort Boyard des Philippines

Fort Drum, ou l'incoulable cuirassé de béton
… même si elle s’est avérée bien plus longue et difficile que prévu et même si elle s’est, au bout du compte, soldée par une véritable orgie de viols, de meurtres et de destructions, la Reconquête de Manille n’en constitue pas moins, après celles de Leyte, de Bataan, et de Corregidor, un nouveau et fort médiatique succès pour Douglas MacArthur.

Si MacArthur s’en était tenu là, tout comme si, cinq ans plus tard, il s’en était tenu au 38ème Parallèle après avoir débarqué à Inchon et reconquis Séoul, il figurerait encore aujourd’hui parmi les plus grands et les plus incontestables chefs de guerre du 20ème siècle.

Mais aux Philippines comme plus tard en Corée, MacArthur refusa de s’en tenir là…

Et aussi anecdotique puisse-t-il sembler, l’épisode d’El Fraile, ou plus exactement de Fort Drum, est sans conteste la meilleure illustration de ce qui va suivre.

El Fraile est un rocher minuscule, guère plus de 100 mètres de long par 30 de large, planté tout comme Corregidor à l’embouchure de la Baie de Manille, et que les Américains ont commencé à fortifier au début du 20ème siècle pour en faire une sorte de Fort Boyard philippin.

Aplani au pic et à la dynamite, le rocher tout entier a en effet servi de fondation à une énorme casemate, dont les murs de béton armé font entre 8 et 10 mètres d’épaisseur, et le plafond plus de 6 mètres !

Au sommet de la casemate, on a ensuite installé deux tourelles doubles dotées de canons de 356mm et, sur les flancs, une demi-douzaine de pièces de 76 à 155mm, avant d’y ajouter quelques superstructures et un mat pour le contrôle de tir, qui en ont fait un quasi-cuirassé, certes immobile mais en revanche incoulable et à vrai dire invulnérable à tout bombardement naval ou aérien…

jeudi 24 février 2022

7118 - le penthouse du Malinta Hotel

MacArthur, dans les ruines de Manille "Ce n'était pas un moment agréable"
… comme il l’a fait à Corregidor, MacArthur peut désormais parader à Manille, ou plutôt dans ce qu’il en reste, sans véritablement manifester beaucoup d’émotion à l’égard des ruines et de ce que viennent de subir ces Philippins qui, malgré leur misère, ne le considèrent pas moins comme un libérateur

A vrai dire, ce qui préoccupe surtout le Grand Homme en ce moment,... c’est plutôt l’état dans lequel il a retrouvé son ancien logement !

"MacArthur se fraya un chemin à travers les décombres de son ancien quartier jusqu’au penthouse du Manila Hotel (1), où il trouva sa bibliothèque saccagée, un colonel japonais mort sur le tapis. 

"Ce n'était pas un moment agréable… Je goûtais jusqu'à la lie l’amertume de voir ainsi dévastée une maison tant aimée", écrira-t-il plus tard.

Au milieu d'une catastrophe humaine aussi dévastatrice, il semble bizarre qu'il ait ainsi fait étalage de la perte de simples biens personnels. Il écrivit ensuite à sa femme Jean, pour lui annoncer malgré tout une bonne nouvelle : il avait réussi à récupérer toute l'argenterie familiale.

Il réquisitionna ensuite un manoir, la Casa Blanca, dans le chic quartier de Santa Mesa, pour y établir sa nouvelle résidence, et au mépris de la critique générale (2), pria Jean de le rejoindre là-bas" (3)

(1) bâti en 1909, le Manila Hotel était, et est toujours, le plus luxueux hôtel de Manille. Son penthouse avait servi d’appartement privé à MacArthur de 1935 à 1941.
(2) en temps de guerre, même les officiers supérieurs n’avaient en principe pas le droit de faire venir leurs épouses là où ils servaient
(3) Hastings, op cit

mercredi 23 février 2022

7117 - l'ultime orgie des damnés

… pour autant qu’on le sache, aucun des quelque 15 000 fusiliers-marins du contre-amiral Iwabushi n’a survécu à cette ultime orgie des damnés.

Le corps d’Iwabushi lui-même, qui se serait suicidé le 25 ou le 26 février, ne sera jamais retrouvé.

Sans surprise, c’est cependant la population civile de Manille qui a payé le plus lourd tribut : on estime généralement à quelque 100 000 (!) le nombre d’hommes, de femmes, d’enfants, et de vieillards philippins tués lors des combats.

Côté américain, les pertes sont en revanche bien plus mesurées : un millier de morts et six mille  blessés, autant dire rien eut égard à la férocité des affrontements et à l’ampleur des destructions.

C’est évidemment tant mieux pour les GI’s et leurs familles au pays, mais c’est just too bad pour les civils philippins et leur patrimoine architectural.

Mais pouvait-il en être autrement quand la volonté des Japonais de résister jusqu’à la Mort se liguait à celle des Américains de minimiser à tout prix les pertes dans leurs propres rang ?

Pris entre ces deux volontés invincibles, Manille, et la population civile de Manille, se trouvaient simplement au mauvais endroit au mauvais moment.

Dans quelques jours, à Fort Drum, il n’y aurait du moins aucun civil, et aucun patrimoine architectural, pour faire les frais de la querelle…


mardi 22 février 2022

7116 - "Ceux qui ont survécu à la haine japonaise n'ont pas survécu à l'amour américain"

Intramuros, 22 avril 1945 : la haine japonaise et l'amour américain
… Manille, 4 mars 1945

Il est bien question de protéger les civils et, a fortiori, le patrimoine architectural philippin ! 

"Selon une estimation d'après-guerre, pour six habitants assassinés par les défenseurs japonais, quatre autres furent tués par le feu de leurs libérateurs américains. Certains historiens iront même jusqu’à inverser ce rapport.

"Ceux qui ont survécu à la haine japonaise n'ont pas survécu à l'amour américain", écrivit Carmen Guerrero (1). "Les deux étaient également mortels, le second d'autant plus parce qu'il était recherché et désiré" (2)


Le 3 mars, les GI's sont maîtres de la place". Le lendemain, le fracas des armes et des explosions s’apaise enfin, et si quelques coups de feu éclatent encore ici et là, la capitale des Philippines est officiellement débarrassée d’une Occupation japonaise qui aura duré trois ans.

Mais à quel prix ! Au plan matériel déjà, la Manille coloniale, fondée par les Espagnols en 1571, a tout simplement cessé d’exister et n’est plus à présent qu’un immense amoncellement de gravats, où les rares immeubles encore debout ne sont plus que des coquilles vides et calcinées.

Et sur le plan humain, le bilan est bien plus tragique…

(1) auteure et historienne philippine, née en 1922
(2) Hastings, op cit

lundi 21 février 2022

7115 - "la mort par bombardement serait probablement plus miséricordieuse"

Un M1 de 240mm, plus gros obusier de l'armée américaine, en action contre Intramuros
… Manille, 28 février 1945

Le 28 février, le commandant du 14ème Corps, écrivit que "le C-in-C [MacArthur] a refusé ma demande d'utiliser l’Aviation sur Intramuros. Je ne voulais pas la demander car je sais que cela causerait la mort de civils retenus captifs par les Japs.

[Mais] Nous savons aussi que les Japonais brûlent un grand nombre de personnes, leur tirent dessus et les passent à la baïonnette. Aussi horrible cela puisse-t-il sembler, la mort par bombardement serait probablement plus miséricordieuse

Je crains que le refus du C-in-C de me laisser bombarder n'entraîne davantage de pertes parmi mes hommes… Je comprends ce qu'il pense du fait de bombarder des gens, mais cela se fait en ce moment partout dans le monde - Pologne, Chine, Angleterre, Allemagne, Italie - alors pourquoi pas ici ! La guerre n'est jamais belle. J’ai l’honnêteté de dire que je sacrifierais la vie de Philipinos dans de telles circonstances afin de sauver celles de mes hommes" (1)

Alors, à Intramuros, on se décide pour un compromis boiteux, et disons-le surréaliste : on réunit tous les canons disponibles, en ce compris de monstrueux obusiers M1 de 240mm, et on martèle ensuite les murs et les défenses japonaises, afin d’offrir un passage plus facile à l’Infanterie !

Débouchant presque à zéro, près de 150 canons et obusiers vont ainsi expédier… 42 153 projectiles sur Intramuros et le transformer en un gigantesque amas de gravats !

(1) Hastings, op cit

dimanche 20 février 2022

7114 - entre les murs

Sherman à la Porte Santa Lucia, Intramuros, 28 février 1945
... Intramuros est le plus ancien quartier de Manille, et un chef d’œuvre d'architecture coloniale.

Bâti par les Espagnols à la fin du 16ème siècle, l’endroit a toutes les allures d’une cité médiévale, avec en particulier une formidable muraille de 22 pieds de haut et de 8 de large (!) qui la ceinture et lui a d’ailleurs donné son nom d'"Intra-Muros, c-à-d "entre les murs"

En février 1945, face à l’artillerie lourde, aux obus explosifs et aux bombes d’avions, les dits murs ont évidemment perdu beaucoup de leur intérêt mais n’en constituent pas moins un sérieux obstacle pour les assaillants surtout si, comme les fusiliers-marins du contre-amiral Iwabushi, on y ajoute des milliers de "boucliers humains" raflés parmi la population civile prise en otage.

Alors que faire pour en déloger les Japonais qui s’y sont retranchés et qui ne manifestent aucune intention de se rendre ?

Avant l’invasion des Philippines, MacArthur a donné des ordres très stricts visant à épargner les bâtiments et ces civils philippins qu’on est après tout venu libérer (!), et personne n’imagine dès lors employer l’Aviation pour bombarder cette cité historique et les civils qui s'y trouvent

Mais, d’un autre côté, on ne peut pas non plus envoyer l’Infanterie seule à l’assaut des remparts, car comment annoncer aux soldats, et à leurs futures veuves au pays, qu’ils doivent mourir en masse afin d’épargner un paquet de vieilles pierres et des milliers de civils philippins ?

samedi 19 février 2022

7113 - une ethnie si inférieure

Civil philippin, exécuté les mains liées dans le dos, février 1945
… à mesure que l’étau se resserre, la brutalité insensée des Japonais ne fait que croître.

Sachant leur dernière heure venue, ces derniers passent plus que jamais leurs nerfs sur les civils philippins, otages ou non, qui ont le malheur de se trouver sur leur passage.

Aux tueries gratuites, et aux viols massifs à cinq, dix ou vingt soldats s’ajoutent bientôt les mutilations et actes de barbarie tout aussi gratuits que massifs.

Ici, on décapite les hommes au sabre; là, on éventre les enfants et même les bébés à la baïonnette; ici, on coupe la langue, les seins ou les oreilles – et parfois tout à la fois - des femmes qu’on vient de violer; là, on enferme les prêtres dans des caves ou dans leurs églises qu’on arrose d’essence avant d’y mettre le feu et d’y lancer quelques grenades.

Rien de neuf en vérité : à Nankin, en 1937, cette même armée japonaise, rappelons-nous, s’était déjà livrée aux mêmes activités au détriment des civils chinois, et sans même avoir l’excuse à l’époque d’être acculée par un ennemi implacable et sur le point de triompher.

Mais au fond, que reprochent donc les Japonais à ces malheureux Philippins sans défense ? d’être catholiques et de se trouver sur leur chemin, peut-être; d'abriter en leur sein des "espions" et des "terroristes" pro-américains, sans doute; mais aussi, et surtout, d’appartenir à une ethnie inférieure, qui a refusé d’entrer dans la "Sphère de Coprospérité de la Grande Asie" si "généreusement" offerte par Tokyo et qui, suprême outrage, a même préféré se rallier à ses anciens maîtres, soit aux colonisateurs occidentaux !

vendredi 18 février 2022

7112 - souvenirs de Nankin

… et quel calvaire !

Pour les marins japonais, très vite coupés de toute chaîne de commandement et dès lors contraints de se battre par petits groupes ou même isolément, à l’endroit où ils se trouvent, et sans aucun espoir d’en sortir vivant, tout civil philippin est une proie et une cible en puissance !

Et les femmes en sont naturellement les premières victimes : arrachées à leurs maisons, traînées dans les rues, puis violées en groupes, elles sont finalement éventrées à la baïonnette, exactement comme à Nankin, huit ans plus tôt.

Mais les hommes, les vieillards, les enfants, ne sont pas mieux lotis : lorsqu’ils ne sont pas abattus en pleine rue, comme au stand de tir, ceux-là sont systématiquement poursuivis et exécutés jusque dans les églises où ils ont vainement cherché refuge.

Pendant un interminable mois, Manille va ainsi se métamorphoser en un monstrueux abattoir à ciel ouvert, et en un enfer de flammes, de tirs et d’explosions, où Américains et Philippins ne progressent qu’à une allure d’escargot tant il faut se battre quartier par quartier, rue par rue, et finalement maison par maison.

Chez les défenseurs japonais, on n’hésite pas, afin de poursuivre la lutte le plus longtemps possible, à rafler des dizaines, des centaines, et pour finir des milliers d’otages parmi la population civile, et à s’en servir comme autant de "boucliers humains" dressés – avec un succès au demeurant très relatif – face aux troupes américaines qui ne sont certes pas là pour tuer des civils philippins mais qui n’entendent pas pour autant mourir à la place des dits civils.

La reconquête du district d’Intramuros va d’ailleurs le démontrer tragiquement…

jeudi 17 février 2022

7111 - "Nos forces sont occupées à éliminer rapidement l'ennemi de Manille"

Bloc d'appartements détruit dans le district de Malate. Notes les impacts d'obus
… avant de se présenter devant Manille, MacArthur qui, rappelons-le, avait lui-même refusé de se battre au même endroit trois ans plus tôt, n’avait jamais envisagé la possibilité d’avoir à la reconquérir non seulement quartier par quartier, mais carrément rue par rue, maison par maison, voire pièce par pièce !

Aucun plan n’a donc jamais été établi pour une telle éventualité et -circonstance assurément aggravante - les troupes américaines chargées de reprendre à présent la ville n’ont elles-mêmes, contrairement à leurs homologues servant en Europe, aucune expérience du combat en milieu urbain, c-à-d lorsque la Mort se dissimule sur tous les toits et derrière la moindre fenêtre, lorsque l’horizon du soldat est entièrement bouché par de hauts immeubles qui, s’il se décide à les abattre, s’avèrent encore plus dangereux une fois détruits, tant leurs gravats offrent alors à l’ennemi une possibilité quasi infinie de se dissimuler aux regards.

Et pour ne rien arranger, il y a MacArthur lui-même, qui tarde à comprendre, ou pire refuse de comprendre, et qui, loin de prendre la réelle mesure de la situation, s’obstine au contraire à rédiger des communiqués triomphants !

"Nos forces sont occupées à éliminer rapidement l'ennemi de Manille",  annonçait un bulletin de son quartier général le 6 février, et un autre, rédigé le lendemain, affirmait que "La 37ème Division d’Infanterie et la 1ère Division de Cavalerie poursuivent leurs opérations de nettoyage dans le nord de Manille, tandis que la 22ème Division Aéroportée est occupée à faire la même chose dans le sud de Manille"

MacArthur lui-même déclara le 6 février que la capitale avait été sécurisée à 06h30 ce matin-là. Le magazine Time, gobant l'affirmation du général (…) souligna que la ville était tombée "comme un fruit mûr". En réalité, son calvaire venait à peine de commencer"

(1) Hastings, op cit

mercredi 16 février 2022

7110 - le martyr d'une ville

Cadavres de philippins dans une rue de Manille, février 1945
Bataan et Corregidor redevenues américaines après l’annihilation de leurs garnisons nippones, revenons à présent quelques semaines en arrière, et plus précisément à Manille où, le 4 février, un peloton de reconnaissance du 14ème Corps n’a eu d’autre choix que de battre en retraite sous les tirs ennemis.

Presque entièrement constitués des marins du contre-amiral Iwabushi, les défenseurs japonais sont environ 17 000, soit facilement deux fois moins nombreux que les soldats américains et les guérilleros philippins qui les assiègent.

Comme ces derniers peuvent de surcroît compter sur de l’artillerie lourde et un support aérien dont les premiers sont totalement dépourvus, l’issue finale de cette future Bataille de Manille ne fait aucun doute, ce qui explique, du moins en partie, l’orgie de viols et de tueries qui va maintenant s’y dérouler

Car les Japonais, sachant qu’ils n’ont plus rien à perdre, et aucune chance d’infliger des pertes significatives à leurs adversaires , sont bien résolus à passer leurs nerfs et leurs frustrations sur la population civile et les prêtres catholiques de cette ville de près d’un million d’habitants ! 

"Les Japonais savaient qu’ils étaient pris au piège, et ils se battirent en conséquence. Et les principales victimes de cette bataille ne furent pas des combattants, mais bien la population civile, qui en souffrit atrocement.

Au lieu de la parade triomphale à travers les rues pour laquelle il
[MacArthur] s’était soigneusement préparé, il se retrouva à présider le martyr de la ville de Manille" (1)

(1) Hastings, op cit

mardi 15 février 2022

7109 - l'annihilation

MacArthur, visitant l'entrée Est du Malinta Tunnel dévasté, où des centaines de Japonais moururent carbonisés ou asphyxiés
… Corregidor, 1er mars 1945

Dans le reste de l'île, au demeurant, ce sont souvent les Japonais eux-mêmes qui, piégés dans des grottes ou des tunnels sans issue, préfèrent se donner la mort plutôt que se constituer prisonnier,… épargnant ainsi quelques centaines de litres de diesel, et quelques tracas, à leurs adversaires.

Pendant plusieurs jours, Corregidor va régulièrement continuer à résonner d'un bout à l'autre du bruit des explosions provoquées par ces irréductibles nippons qui, seuls ou en groupes, ont décidé de se suicider à la grenade ou au fusil.

Le 1er mars, l’île, qui n'est plus que dévastation, est officiellement redevenue américaine.

Six jours plus tard, en authentique Grand Seigneur,MacArthur y débarque à son tour, afin d'assister en personne au grandiose lever de la bannière étoilée en cet endroit qu’il avait dû fuir trois ans plus tôt.

L'Honneur américain est vengé, et d'autant plus totalement qu'on ne déplore au bout du compte que 200 morts et quelque 700 blessés dans leurs rangs,… alors que 99 % de la garnison japonaise, estimée à près de 7 000 hommes, a purement et simplement été annihilée !

A Fort Drum, dans un mois, ce sera carrément du 100%...

lundi 14 février 2022

7108 - faute de gaz...

Le Malinta Tunnel, aujourd'hui attraction touristique. Des centaines de Japonais y périrent en 1945
... Corregidor, 23 février 1945

Mais en ce 21 février 1945, au même endroit, et alors que les rôles sont maintenant inversés, la garnison japonaise ne manifeste quant à elle absolument aucune volonté de se rendre, et s’avère au contraire plus déterminée que jamais à combattre jusqu’à la mort.

Et le problème, c’est que personne, parmi les assaillants américains, ne manifeste la moindre envie de s’aventurer dans ces centaines de mètres de tunnel afin de les en déloger !

Dès lors, que faire ?

En mars 1944, rappelons-nous, la Commission Lethbridge anglo-américaine avait quant à elle recommandé l’usage de gaz moutarde et phosgène contre les positions défensives souterraines des Japonais, une recommandation aussitôt endossée par la quasi-totalité des hauts responsables militaires américains, et notamment par Halsey, en novembre, devant Peleliu, mais une recommandation catégoriquement rejetée par le Président Roosevelt.

Alors le 23 février, faute de pouvoir employer les gaz, les "bricoleurs du dimanche" de l'US Army passent à l’action et décident tout simplement… de déverser des milliers de litres de gasoil dans le dit Tunnel, puis d’y mettre le feu, avant de murer toutes les entrées au bulldozer, condamnant ainsi les défenseurs japonais à une mort atroce, brûlés vifs ou asphyxiés !

Légalement parlant, l’Honneur est sauf puisqu’aucun gaz de combat n’a été testé sur des soldats ennemis…

dimanche 13 février 2022

7107 - la reconquête de Corregidor

Para américain et son bazooka, en action contre un bunker japonais, Corregidor, 16 février 1945
... Corregidor, 16 février 1945

Au matin du 16 février 1945, le fracas des explosions fait soudainement place au vrombissement des C-47, desquels éclosent bientôt des dizaines et finalement des centaines de corolles blanches : la Reconquête de Corregidor vient de commencer…

Malgré les craintes de l’État-major, le largage du 503ème Régiment de parachutistes sur Topside s’avère un succès… et une surprise totale pour les défenseurs japonais qui, malgré les bombes et les obus qui recommencent à pleuvoir sur eux, ne tardent cependant pas à se ressaisir et à se lancer à l’attaque des positions américaines.

Quasiment en même temps que les parachutistes, les fantassins de la 24ème D.I. ont eux aussi commencé à débarquer environ un kilomètre plus à l'Est, s’attirant à leur tour une violente riposte japonaise.

Pendant près d’une semaine, avançant mètre par mètre, paras et fantassins s’efforcent de briser les contre-attaques suicide que les Japonais ne cessent de lancer contre eux, de jour comme de nuit, et sans le moindre espoir d'en sortir eux-mêmes vivants.

Lentement, mais inexorablement, les soldats nippons sont néanmoins repoussés vers chaque extrémité de l'île et, au centre, sous la colline Malinta et le Tunnel du même nom.

A l'Ouest, les combats vont se poursuivre jusqu'au 25 février, tandis qu’à l’Est, ils dureront encore trois jours de plus.

Au centre, tout le problème est maintenant de débusquer les Japonais qui se sont retranchés dans le Tunnel, soit à l'endroit précis où MacArthur avait lui-même établi son quartier-général, et où la garnison américaine s'était réfugiée trois ans plus tôt avant de finalement se rendre, le 6 mai 1942…

samedi 12 février 2022

7106 - et pourquoi pas des paras ?

Paras américains, atterrissant sur "Top Side", Corregidor, 16 février 1945
… trois ans plus tard, pour reconquérir "son" île, MacArthur a néanmoins donné son accord pour une manœuvre bien plus originale, puisque, parallèlement à l’indispensable et très classique débarquement à la pointe San Jose, un millier de parachutistes seront largués plus à l'Est, sur "Topside", c-à-d sur la plus haute colline de l'île.

Les Japonais, pense-t-on, n’imagineront jamais que l’on puisse larguer des troupes aéroportées - et surtout les larguer avec succès ! - non seulement sur une île aussi minuscule, mais de surcroît sur une colline bien déterminée de cette île, et presque à l'extrémité de celle-ci.

De fait, à l’État-major-même, beaucoup ont crié "casse-cou" et souligné les risques de voir la plus grande partie de ces jeunes-gens emportés par les vents fort loin de leur objectif, et donc condamnés à la noyade.

Mais les paras y croient, et en particulier leur chef, le lieutenant-colonel George Jones, sur les épaules duquel va reposer une des missions les plus audacieuses de la guerre.

Mais pour commencer, on va d’abord s’efforcer de "ramollir" les défenses japonaises : du 23 janvier au 16 février 1945, soit pendant trois semaines (!), bombardiers lourds, puis finalement croiseurs et destroyers, vont se relayer pour déverser plus de 600 tonnes de bombes et d’obus sur cette île de seulement 5 km2

A vrai dire, ce constant déluge pyrotechnique vise moins à annihiler la garnison japonaise qu’à l’empêcher de prendre du repos : depuis le sanglant débarquement sur Tarawa, en novembre 1943, chacun sait en effet que les soldats nippons, aussi fanatisés qu’habilement dissimulés et enterrés dans le sol, continuent de résister avec acharnement après des heures et même des jours de bombardement...

vendredi 11 février 2022

7105 - trois ans plus tard

Le Malinta Tunnel, en 1942. Trois ans plus tard, rien ou presque n'avait changé
... après la capitulation du général Wainwright, le 6 mai 1942, l’Armée japonaise a naturellement occupé, et tenté de remettre en état, les forts qu’elle venait de conquérir, mais, faute de moyens et, pendant longtemps de réel besoin, très peu de choses ont pu être menées à bien, en sorte qu’en ce mois de février 1945, le Corregidor japonais présente toujours, à quelques nuances-près, l’aspect du Corregidor américain de mai 1942.

A l’extérieur, c.-à-d. en surface, les ouvrages construits par les Américains sont demeurés à l’état de ruines, et le peu qui y a été rebâti est de toute manière condamné à subir le même sort du fait des nouveaux bombardements, américains cette fois, qui ne vont pas manquer de s'abattre sur l'île.

En sous-sol, les soldats japonais peuvent au moins compter sur les infrastructures souterraines creusées par les Américains et, en particulier sur le fameux Malinta Tunnel, long de 250 mètres d'Ouest en Est, et flanqué d'innombrables tunnels latéraux protégeant efficacement personnel, approvisionnements et munitions, contre les bombardements aériens et navals.

Lorsque MacArthur y avait établi son quartier général, le dit Tunnel abritait même un hôpital de campagne, capable d'accueillir un millier de lits.

En ce mois de février 1945, plus de 6 000 soldats japonais sont encore stationnés sur l'île.

Manquant cruellement d'armements lourds, et privés de toute possibilité de repli, ces hommes sont certes sans illusion sur le sort qui les attend, mais du moins bien résolus à vendre chèrement leur peau, et confiant du fait qu’en 1942, ils avaient eux-mêmes dû batailler pendant des mois et, pour finir, mener une véritable opération de débarquement, avant de venir à bout de la résistance américaine sur Corregidor…

jeudi 10 février 2022

7104 - venger l'humiliation

Les fortifications américaines, à la chute des Philippines, en 1942
… pour MacArthur, la reconquête de l’île fortifiée de Corregidor, épousant vaguement la forme d'un têtard et plantée au beau milieu de l’entrée de la Baie de Manille, est d’une importance capitale, puisque c’est là, sur ce minuscule caillou de seulement 9 km2, qu’il s’est retranché, fin décembre 1941, et que c’est de là qu’il s’est enfui, humilié et vaincu mais se promettant d’y revenir, le 12 mars 1942.

A Corregidor, mais aussi sur les îlots voisins de Caballo, Carabao et El Fraile, l’Armée américaine avait commencé, au début du siècle, à construire des ouvrages fortifiés, et ce afin de barrer l’accès à la Baie, seul objectif véritablement stratégique pour tout envahisseur potentiel.

Celui de Corregidor avait été baptisé Fort Mills, et celui d’El Fraile, Fort Drum – nous y reviendrons – mais en décembre 1941, les uns et les autres, conçus avant l’avènement de l’Aviation, étaient déjà largement obsolètes.

Grâce à leurs tunnels et leurs multiples épaisseurs de béton armé, ils offraient certes une bonne protection aux défenseurs, mais n’étaient déjà plus en mesure, à l’instar de ceux de la Ligne Maginot, de réellement barrer la route à qui que ce soit.

En 1942, ils avaient néanmoins brillamment tenu leur rôle, et résisté pendant des mois aux attaques japonaises, ne s’inclinant que finalement que le 6 mai, bien après que tout espoir de recevoir des renforts se soit évanoui (1)

(1) Contre le Japon, l’US Navy ne remporta sa première victoire que le 5 juin suivant, à Midway, à des milliers de kilomètres des Philippines…

mercredi 9 février 2022

7103 - Back to Bataan

Le Retour à Bataan... plus facile au cinéma que dans la réalité
… Péninsule de Bataan, 21 février 1945

Pour reprendre Manille, MacArthur a imaginé une très classique manœuvre d'encerclement, qui passe, dans un premier temps, par la reconquête de la Péninsule de Bataan puis, dans un deuxième mouvement, par celle de l’île de Corregidor, que le Grand Homme lui-même, rappelons-nous, avait dû fuir le 12 mars 1942.

Le 29 janvier 1945, donc, les GI’s débarquent au Nord de la Péninsule, et plus précisément à San Narciso, sans rencontrer la moindre opposition. 

Mais malgré l’aide appréciable de la guérilla philippine, les choses se compliquent deux jours plus tard, lorsque les uns et les autres finissent, comme à l’accoutumée, par se heurter aux positions défensives des Japonais qui, comme à l’accoutumée, ont habilement utilisé les caprices d’un terrain montagneux pour se dissimuler et se retrancher.

Malgré l’intervention massive de l’Aviation, et un usage tout aussi immodéré du napalm et des lance-flammes, les troupes piétinent donc pendant deux semaines, et il faut même attendre un deuxième débarquement, plus au Sud, pour les voir enfin triompher des soldats japonais qui, fidèles à leur réputation, combattent jusqu’à la mort.

Le 21 février, après la liquidation des dernières poches de résistance, la messe est dite et la bannière étoilée de nouveau hissée sur Bataan.

Ne reste plus maintenant l’île-forteresse de Corregidor

mardi 8 février 2022

7102 - la "forteresse" de Manille

Tankistes américains, à côté d'un rescapé de Santo Tomas. Notez le bidon de lait concentré
… bien que capitale des Philippines, Manille n’offre pourtant aucun intérêt stratégique particulier, en plus de s’avérer impossible à défendre.

En décembre 1941, MacArthur lui-même avait d’ailleurs refusé d’y livrer bataille, et avait plutôt concentré ses moyens dans la Péninsule de Bataan, à l’Ouest, et sur les ouvrages fortifiés de Fort Drum et, surtout, de Corregidor, qui, au Sud de Bataan, barraient l’entrée de la Baie de Manille.

Trois ans plus tard, Yamashita en est arrivé à la même conclusion, et a lui aussi décidé de ne pas s’acharner à défendre la ville, ordonnant simplement au commandant local, le général Shizuo Yokohama, de détruire le port et ses installations, puis de retraiter avec ses troupes derrière le fleuve Pasig non sans avoir au préalable fait sauter tous les ponts.

Seulement voilà : en février 1945, Manille héberge également quelque 16 000 marins japonais, le plus souvent rescapés de l’un ou l’autre naufrage des mois précédents - comme celui du cuirassé Musashi - et depuis lors laissés sans affectation, faute du moindre navire disponible.

Surtout, les dits marins ne relèvent pas de Yamashita mais bien du contre-amiral Sanji Iwabushi, lequel, contrairement à Yamashita, est bien décidé à résister dans cette ville qu’il a tout fait, depuis plusieurs semaines, pour transformer en forteresse !

Enfin, et puisque la Marine a au contraire décidé de défendre Manille jusqu’à son dernier homme, Yokohama estime que l’Honneur de l’Armée exige à présent qu’il en fasse de même avec  les trois bataillons qui lui restent !

Et Némésis de ricaner devant la folie des Hommes…

lundi 7 février 2022

7101 - "J'ai été embrassé. J'ai été embrassé"

MacArthur, visitant Santo Tomas : "J'ai été embrassé. J'ai été embrassé"
… et sans surprise, c’est un MacArthur toujours en quête de reconnaissance et de gloire personnelles, qui se présente bientôt devant les rescapés

"Ils semblaient utiliser leurs dernières forces pour se frayer un chemin assez près pour saisir ma main", écrira-t-il d'un ton mièvre. "Ils pleuraient et riaient de manière hystérique, et tous en même temps s’efforçaient de me remercier

J'ai été attrapé par ma veste. J'ai été embrassé. J'ai été embrassé. Ce fut un moment merveilleux et inoubliable : sauver des vies, pas prendre la vie" (1)

Et dès le lendemain de la libération du camp, le Grand Homme d'exiger de ses troupes qu'elles pénètrent directement dans Manille !

"Il en était obsédé" , déclarera un officier du 14ème Corps, "Avec juste une poignée d'éclaireurs, nous avons longé une route jonchée de nos morts et de Japonais morts jusqu’à ce que nous soyons bloqué par la résistance ennemie. Je ne sais pas pourquoi nous n’avons pas tous été tués"

(…) Au sud de Manille, Eichelberger de la 8ème Armée écrira "Nous avons rencontré plus de résistance autour de Nichols Field que ce à quoi nous nous attendions. Nous avions espéré entrer sans résistance, et je ne me souviens d'aucun rapport du G-2 (2) qui aurait prédit que les Japonais essaieraient de tenir dans la ville"

Le quartier général de MacArthur annonçait la chute imminente de la capitale, mais l’ennemi n'était pas d'accord"
(2)

(1) et (3) Hastings, op cit
(2) dans l’armée américaine, le G-2 désigne le Renseignement militaire au niveau divisionnel et supérieur


dimanche 6 février 2022

7100 - "Soldat, vous êtes réel ?"

Civils américains, juste après leur libération du camp de Santo Tomas
… Université de Santo Tomas, 3 février 1945, 21h00

Le 23 janvier, bien que ralenti par la résistance japonaise, le rouleau-compresseur américain atteint Clark Field, là où le 19 octobre précédent, l’amiral Onishi avait précisément convaincu ses aviateurs de se suicider en masse en se précipitant avec leurs appareils sur les navires américains

Encore une semaine de combats et la chute de la place ouvre la route de Manille, qui n'est plus qu'à une soixantaine de kilomètres mais dont la prise, là encore bien plus difficile que prévu, va se transformer en authentique carnage.

Mais avant cela, le 3 février, la 1ère Division de Cavalerie est parvenue aux abords de l’Université de Santo Tomas, objectif qui, en dehors de son aspect historique - fondée en 1611, c’est la plus ancienne université d’Asie - abrite un camp peuplé de plus de 3 000 civils américains interné par les Japonais depuis 1942.

A 21h00, le Sherman Battlin’ Basic enfonce les portes du camp. "Où sont les foutus Japs ?", crie un soldat américain en pénétrant dans le bâtiment principal. "Soldat, vous êtes réel ?", s’exclame une vieille femme avant que le reste des prisonniers, terriblement émaciés et affaiblis, n’entonnent le God Bless America

Un officier japonais, pistolet dans une main et sabre dans l’autre, surgit soudain devant le tank et est aussitôt abattu.

"Gémissant et se tordant de douleur sur le sol, il fut saisi par les jambes et traîné jusqu'à l'infirmerie du bâtiment principal, des prisonniers lui donnant des coups de pied et lui crachant dessus, un ou deux hommes le tailladant même avec des couteaux, et certaines des femmes le brûlant avec des cigarettes alors qu’il passait devant elles. Le blessé finit par recevoir des soins médicaux américains, mais mourut quelques heures plus tard" (1)

(1) Hastings, op cit

samedi 5 février 2022

7099 - ce qu’on attend de nous est de porter un solide coup à ces Américains"

Lingayen : une succession d'attaques kamikazes condamnées à s'épuiser d'elles-mêmes
… Lingayen, 9 janvier 1945

Le 6 janvier 1945, la 7ème Flotte - ou devrait-on dire "la Flotte de MacArthur" se présente dans le Golfe de Lingayen,… pour y être immédiatement et chaudement accueillie par les pilotes kamikazes qui, en trois jours, vont couler ou endommager plus d’une vingtaine de bâtiments, dont le cuirassé New-Mexico, qui porte la marque de l’amiral Oldendorf

Début catastrophique, donc, mais heureusement sans conséquence puisque la pénurie d’avions et de pilotes kamikazes, par définition à usage unique, contraint bientôt le commandement japonais à renoncer de lui-même à ces attaques !

Le 9 janvier, précédés de l’habituel et apocalyptique bombardement naval, les premiers soldats américains - au final, ils seront plus de 170 000 - débarquent à Lingayen  sans guère rencontrer de résistance,... attendu que Yamashita a fort logiquement décidé de positionner ses propres troupes sur toutes les collines qui dominent le Golfe !

Après trois jours, et alors que les officiers de Renseignement de la 6ème Armée commencent à se dire que MacArthur, finalement, avait peut-être raison, les avant-gardes tombent enfin sur les premières défenses japonaises qu’il faut, comme de coutume, emporter une à une, à l’explosif, au napalm ou au lance-flammes.

Si la progression américaine s’avère donc fort lente, Yamashita n’en sait pas moins qu’elle est inexorable, et qu’aucune victoire n’est possible : "ce qu’on attend de nous", a-t-il déclaré à ses officiers avant la bataille, "est de porter un solide coup à ces Américains afin de conforter la position de notre gouvernement à la table des négociations"

Encore faut-il, néanmoins, que les dits Américains aient réellement l’intention de négocier quoi que ce soit

vendredi 4 février 2022

7098 - "il n’y a pas beaucoup de soldats japonais là-bas !"

.. mais Yamashita n’est pas dupe un seul instant !

Au Nord, et plus précisément à Baguio, où il a établi son quartier-général non loin de l’Académie militaire (1), le "Rommel japonais" dispose de 150 000 hommes, mais également de 30 000 dans la Péninsule de Bataan, et de 80 000 au Sud de Manille, soit de quelque 260 000 hommes qui, certes, manquent d’Artillerie et, à l’exception des kamikazes, sont totalement dépourvus de soutien aérien, mais n’en sont pas moins résolus à se battre jusqu’au dernier pour leur pays et leur Empereur.

Dans le camp américain, MacArthur, fidèle à ses habitudes, sous-estime gravement, et tout à fait volontairement (!), les effectifs qu’il va devoir affronter : lors d’une réunion préparatoire à Tacloban (Leyte) il a même carrément envoyé promener les responsables du Renseignement de la 6ème Armée qui affirmaient s’attendre à une forte opposition de la part de l’ennemi. 

"Sornettes", s’est exclamé le Grand Homme, "il n’y a pas beaucoup de soldats japonais là-bas !"

Une fois de plus, et ce ne sera hélas pas la dernière, MacArthur semble vivre dans un monde parallèle, où la Réalité doit s’effacer devant ses désirs personnels, et où toute critique de sa stratégie est exclue par avance.

Il faut dire qu’un aveu public de future et forte opposition japonaise ne manquerait pas de sonner à nouveau l’alerte chez tous ceux qui, à commencer par George Marshall et le Président Roosevelt, se demandent si cette idée de reconquérir les Philippines est véritablement la meilleure chose à faire pour débarquer un jour au Japon et remporter la guerre !

Tapie dans l’ombre, Némésis n’a que faire de ces considérations, et se réjouit au contraire du bain de sang à venir..

(1) l’Académie militaire philippine était établie à Baguio depuis 1908

jeudi 3 février 2022

7097 - "Les communiqués de MacArthur sont scandaleusement inexacts"

Les vieux cuirassés américains, Pennsylvania en tête, pénétrant dans le Golfe de Lingayen
 … "un communiqué de MacArthur affirmait que 117 997 soldats ennemis avaient été tués à Leyte, ce qui représentait au moins le double de la réalité.

Les soldats de MacArthur étaient furieux de sa proclamation de victoire [du jour de Noël] alors que celle-ci était encore loin d’être assurée.

Bien que la 6ème Armée du général Krueger ait effectivement quitté la zone des combats afin de se préparer pour le futur débarquement à Luzon, la 8ème Armée du général Eichelberger continuait à mener de lourds combats pour venir bout des "poches de résistance" dont leur commandant-en-chef parlait avec une si grande insouciance.  

"Les communiqués de MacArthur sont scandaleusement inexacts", écrivit le lieutenant Gage Rodman du 17ème d’Infanterie.  "Nous qui étions sur terrain savions bien que nous avions à peine commencé à nous battre quand il fit cette ridicule déclaration selon laquelle notre objectif était déjà sécurisé" (1)

De fait, le 8 janvier 1945, le général Eichelberger, qui a hérité de la tâche supposément facile de "nettoyer" ces poches de résistance, n’hésite pas à écrire que "tout ce théâtre d’opérations a été victime d’un optimisme très exagéré", tandis que d’autres considèrent carrément qu’en débarquant à Leyte en octobre, MacArthur a tout simplement débarqué sur la mauvaise île !

Mais ce n’est cependant pas le pire car le 15 décembre, afin de reconquérir l'ïle de Luzon, qui abrite la ville de Manille, capitale des Philippines, MacArthur a eu l’idée d’organiser un nouveau débarquement sur l’île de Mindoro dans le double objectif de se constituer une base arrière... mais surtout de faire croire aux Japonais que l'attaque sur Luzon serait menée par le Sud alors qu'il a en réalité l’intention de la lancer au Nord-Ouest, dans le Golfe de Lingayen

(1) Hastings, op cit

mercredi 2 février 2022

7096 - à quand la victoire ?

Pompiers du porte-avions Intrepid au travail après une attaque kamikaze, 25 novembre 1944
… alors que s’écoulent les dernières heures de 1944, les Américains ont plus que jamais le vent en poupe.

Qu’ils appartiennent à l’Armée de Terre, à la Marine ou à l’Aviation, ils ont tous l’assurance de toujours combattre avec beaucoup plus de moyens, et de bien meilleurs moyens, que l’ennemi, et ils savent tous que la victoire finale leur est désormais acquise.

Mais la date de cette victoire, et surtout son coût humain préalable, restent en revanche inconnu. Sur le Front comme au pays, la lassitude se fait de plus en plus sentir, et c’est bien là le problème !

Au début de la guerre, quand la situation dans le Pacifique apparaissait désespérée tant les Japonais y volaient de victoires en victoires, les militaires américains acceptaient sans problème les pertes dans leurs rangs, et les civils américains comprenaient sans difficulté que leur succès final - par ailleurs loin d’être garanti ! - prendrait assurément beaucoup de temps.

Mais à présent que le sort des armes a définitivement changé de camp, et que la bannière étoilée dispose d’une écrasante supériorité sur l’hinomaru, les premiers rechignent de plus en plus à sacrifier leur vie, et les seconds comprennent de moins en moins pourquoi toute cette affaire n’est pas déjà réglée !

Ainsi, après Spruance, ouvertement blâmé en juin pour sa trop grande prudence aux Mariannes, Halsey s’est retrouvé sous le feu des critiques pour sa trop grande…  impétuosité devant Leyte, en octobre, et est aujourd’hui menacé de cour martiale pour avoir trop tardé à suspendre ses opérations et à s’éloigner du Typhon Cobra - très vite rebaptisé Typhon Halsey - qui, le 17 décembre, s’est abattu sur la 3ème Flotte et a emporté trois destroyers, détruit près de 150 aéronefs, gravement endommagé une dizaine de bâtiments (dont trois porte-avions légers) et, surtout, entraîné la mort de quelque 800 marins (1)

Et même le grand Douglas MacArthur commence à être la cible de critiques : sa Reconquête des Philippines, que beaucoup considéraient comme une lubie inutile bien avant qu’elle ne débute, a déjà pris beaucoup de retard et s’est avérée bien plus difficile et coûteuse que prévu !

Et on n’a encore rien vu…
 
(1) Saviez-vous que... 5597 à 5601

mardi 1 février 2022

7095 - l'opulence américaine

Le tanker Cahaba ravitaillant le porte-avions Shangri-La et le cuirassé Iowa, 8 juillet 1945
… et quel contraste avec la Marine américaine !

Avant-guerre, l’US Navy était certes déjà la première du monde, à égalité avec la Royal Navy, mais en seulement trois ans, la mégalomanie de son chef, l’amiral Ernest King, et le chèque en blanc que lui a signé le gouvernement Roosevelt au lendemain de Pearl Harbor, lui ont permis de quasiment décupler (!) son tonnage, qui, de trois millions de tonnes en 1941 atteindra presque trente millions de tonnes à la Capitulation japonaise (!),... au point de surpasser à lui seul le tonnage de toutes les autres marines du monde réunies !

En cette fin de 1944, la Flotte américaine du Pacifique, qui bien que la plus importante n’est qu’une des composantes de l’US Navy, possède à elle seule quatre fois plus de navires de guerre - et des navires bien plus puissants, efficaces et meurtriers - que la Marine impériale japonaise qui, de toute manière, est de plus en plus condamnée à rouiller à l’ancre, faute de mazout !

Tout ceci, bien sûr, nécessite une logistique dont l’ampleur, aujourd’hui encore, défie l’imagination : en cinq mois, soit de septembre 1944 à janvier 1945, les pétroliers américains ont ainsi dû transporter, à travers de milliers de km d’Océan Pacifique pas moins de 81 millions de barils de mazout (1) et 460 millions de litres d’essence… rien que pour ravitailler les porte-avions de la 3ème Flotte de Halsey et leurs escorteurs !

Mais encore convient-il également d’acheminer, et le plus souvent directement depuis les États-Unis, les munitions, les pièces de rechange, les médicaments, le ravitaillement - en ce compris bien sûr les steaks ! - ou encore le sacro-saint courrier, qui permettent à des centaines de milliers marins américains (2) de demeurer opérationnels pendant des mois, sans toucher le moindre port….

(1) un baril de pétrole fait 159 litres
(2) un seul porte-avions avions de la classe Essex héberge plus de 3 000 marins et aviateurs