mercredi 30 juin 2004

479 - le Korvetten-kapitan Werner Hartenstein

... le 4 septembre 1941, le Korvetten-käpitan Werner Hartenstein prit le commandement du U-156 (type IX-C), un sous-marin flambant neuf qui, à l’instar d’une jeune épousée, avait revêtu ses plus beaux atours pour la circonstance.

76 mètres de long, 1.120 tonnes, six tubes lance-torpilles (quatre à
l'avant, deux à l'arrière) et un canon de 105mm : le type IX-C était une machine à l’efficacité toute germanique, conçue pour donner la mort froidement, rapidement, à un ennemi qui, jusqu'au dernier moment, ne se sera pas aperçu de sa présence...

De fait, dans la plupart des cas, les navires alliés, qui se traînent à 12 nœuds sur l’Atlantique, groupés en convois comme lors de la guerre 1914-1918, sont attaqués de nuit, lorsque les guetteurs qui n’ont pas succombé à la somnolence peinent à distinguer au devant d’eux.

La traversée dure plusieurs semaines, et si la peur reste omniprésente, c’est surtout l’ennui qui domine. Si le navire transporte du charbon, des tanks, des locomotives ou des camions, le marin se couche tout habillé et avec son gilet de sauvetage, car s’il est torpillé, le bâtiment coulera en quelques minutes, parfois en quelques secondes. En revanche, si le navire transporte de l’essence ou des explosifs, le marin peut se permettre de dormir en pyjama : la moindre explosion entraînant une mort aussi assurée qu’instantanée, dans une mer recouverte de flammes.

Chez les sous-mariniers allemands, la traque est également éprouvante. Il faut repérer les convois alliés et coordonner l’attaque avec les autres sous-marins, qui opèrent généralement en meutes. La traversée et la traque s’effectuent toujours en surface, au diesel. La plongée ne s’opère qu’au moment de l’attaque, et pour échapper aux frégates, corvettes et destroyers qui escortent le convoi. Bien que très fiables, les diesels allemands ne donnent qu’un maximum de 18 nœuds, soit une vitesse à peine supérieure à celle du convoi, et inférieure à celle des escorteurs qui l’encadrent. En plongée, et sur batteries, la vitesse chute à 7 ou 8 nœuds, et l’autonomie à quelques heures.

C’est donc une guerre tactique, qui épuise les équipages. Une guerre où le chasseur tente se placer en position favorable pour surprendre sa proie,... mais où il risque également de se faire surprendre à son tour. On ne compte plus les sous-marins qui, voulant surprendre, ont été surpris par un hydravion ou un navire d’escorte, et grenadés à mort...

mardi 29 juin 2004

478 - Das Boot

... Si les guerres sont partout choses horribles, il se trouve toujours, déclara Pierre Clostermann, des individus qui, à toutes les époques et dans tous les pays, éprouvent un curieux plaisir à les rendre plus horribles encore.

La Pologne écrasée en quelques semaines, la Seconde Guerre mondiale se figea pendant de longs mois, s’enfonça dans une "drôle de guerre" où chaque belligérant, retranché dans ses fortifications, se contenta d’observer l’autre à distance.

Mais si tout était calme sur terre et dans les airs, il en allait autrement sur, et surtout sous les mers. Dès le 03 septembre 1939, le sous-marin U30 envoya par le fond le paquebot britannique Athenia,
tuant plus d'une centaine de civils innocents.

Le 13 octobre suivant, Günther Prien devient héros national en réussissant, avec une audace folle, à torpiller le cuirassé "Royal Oak" en plein coeur du dispositif militaire britannique, dans son mouillage de Scapa Flow (Ecosse), tuant plus de 800 officiers et marins.

La guerre sous-marine était lancée et allait coûter aux Alliés près de 20 millions de tonnes de navires, et plusieurs milliers de marins. Elle allait aussi paver les océans de 780 sous-marins allemands sur 1 135 !, soit 65% d’une flotte sous-marine que l’Angleterre, en signant le Pacte naval germano-britannique de 1935, avait contribué à créer.

Sur la tombe d’un sous-marinier, affirme un poème allemand, ne fleurissent pas les roses. Et de fait, plus de 30 000 d’entre eux trouvèrent la mort, le plus souvent broyés ou noyés, dans leurs étroits cercueils d’acier, où ils avaient vécu et combattu pendant des mois dans la peur, la sueur et la crasse dont le film "Das Boot" ne rend finalement qu’une image édulcorée.

Héros de toute l’Allemagne après l’affaire Scapa Flow, Gunther Prien lui-même disparut sous les flots, avec son U-47, le 6 mars 1941, après avoir coulé 28 navires de commerce alliés et leurs équipages...

lundi 28 juin 2004

477 "l'Amour est plus important que la politique"

... lorsque "Le Grand Amour" sortit pour la première fois en salles, le 12 juin 1942, la ville de Cologne venait d'être réduite en cendres par l'aviation britannique.

Deux ans plus tard, alors que l'Allemagne n'était déjà plus qu'un champ de ruines et Zarah Leander retournée dans sa Suède natale, le film avait déjà rapporté plus de 9 millions de Reichsmarks, et avait été vu par 27 millions de spectateurs.

Lorsqu'elle avait signé son contrat avec la UFA, en 1937, Zarah Leander gagnait 200 000 Reichsmarks par an, une fortune qui n'était finalementn que broutilles en regard de ce que lui rapportèrent ses derniers films et surtout ses disques, vendus à des millions d'exemplaires et enregistrés en allemand, français et suédois.

Rentrée en Suède à l'été 1943, Zarah Leander fut longtemps ostracisée par ses propres compatriotes qui, pourtant, avait acclamé sa réussite allemande et commercé sans vergogne avec le Troisième Reich pour lequel certains avaient même combattu au sein d'unités SS.

En juin 1941, le Roi Gustave V lui-même avait envoyé un télégramme à Hitler, lui souhaitant "un grand succès dans l'écrasement du bolchevisme". Mais dans les années de l'immédiat après-guerre, le nom de Zarah Leander était devenu synonyme de maladie honteuse.

Bien que fort riche, Zarah Leander s'ennuyait des feux de la rampe et fit tout pour y revenir. Ce n'est qu'en 1949 qu'elle put à nouveau se produire à Malmö et tourner quelques films, qui ne renouèrent jamais avec ses gigantesques succès de la UFA allemande.

Ses chansons, en revanche, lui permirent de se produire longtemps partout dans le monde, où elle multiplia à ce point les "tournées d'adieux" qu'elle se rendit caricature d'elle-même

Elle mourut à Stockholm, le 23 juin 1981, à l'âge de 74 ans

"Je chante des chansons qui dans quatre-vingt-dix pourcents des cas parlent d'amour. Parce que pour quatre-vingt-dix personnes sur cent, l'amour est plus important que la politique. C'est ma conviction"

dimanche 27 juin 2004

476 - le Grand Amour et quelques SS travestis

... Dans "Le Grand Amour", qui marqua l'apogée de la carrière de Zarah Leander, le moment le plus surréaliste est assurément celui où la star, au moment d'entonner sa chanson "Je sais qu'un jour surviendra un miracle", apparaît sur scène au milieu de femmes au visage dissimulés par des boas en plumes.

"Le problème (...) était de trouver des femmes aussi volumineuses que Zarah elle-même pour produire une image homogène et esthétique", expliqua le comédien Wolfgang Preiss. Mais on ne les a pas trouvées. Alors on est allé chercher les SS de la Leibstandarte Adolf Hitler [la garde personnelle du Führer] : ils avaient une stature de garde du corps et mesuraient tous la même taille (...) il suffisait de signer un ordre de mission pour les envoyer sur le plateau, et cela permettrait d'éviter de payer des figurants. Voilà pourquoi on ne trouve qu'une seule femme dans ce plan : Zarah, au milieu du ballet. Tous les autres étaient des travestis".

Des travestis recrutés parmi la fine fleur de la SS, celle qui s'était taillée une réputation de cruauté implacable en traquant notamment les homosexuels et... les travestis !

"Comme comédien, j'étais un parfait inconnu", raconta Wolfgang Preiss. "Alors que j'avais déjà revêtu mon uniforme de colonel, je suis passé devant le vestiaire des figurants (...) L'adjudant m'a vu et a hurlé "Garde à vous !", et ils se sont tous immobilisés comme ils étaient, en robe, avec leurs perruques, de travers, à moitié maquillés ou en sous-vêtements (...) J'ai dit aussi naturellement que possible "Repos, continuez", mais intérieurement, j'étais mort de rire".

Aussi grotesque et idéologiquement absurde que fut cette scène, elle n'empêcha pas le film d'obtenir la mention "de grande valeur pour la politique de l'État, l'Art et la Nation".

samedi 26 juin 2004

475 - "Ce n'est pas ce que nous voulions dire"

... dans la filmographie de Zarah Leander, il est presque impossible de trouver une référence politique, ou même une référence à la guerre elle-même.

L'action de la plupart des films de Zarah se passe "à l'étranger" et, comme dans "Marie Stuart", pour ainsi dire en dehors du Temps.

"Le Grand Amour", qui fut également son plus grand succès, a beau mettre en scène un beau lieutenant de la Luftwaffe (Viktor Staal) dont la chanteuse Hanna Holberg (Zarah Leander) tombe amoureuse après l'avoir rencontré dans un abri anti-aérien (!), il n'en donne pas moins une vision idyllique de l'Allemagne en guerre, où les bombardements alliés donnent aux citoyens allemands l'occasion de nouer des romances et d'organiser des pique-niques dans les caves.

En fait, cette vision était même tellement idyllique que l'omniprésent Joseph Goebbels, qui se faisait livrer chaque samedi les rushes d'une semaine de tournage, ordonna que l'on recommence certaines scènes, et en particulier celle des fiancailles, qu'il fallut refaire "dans un appartement plus petit, avec moins d'invités, moins de champagne et plus de mousseux allemand".

Dans ce film, l'héroine renonce à exiger le bonheur conjugal lorsqu'elle comprend que la loyauté militaire de l'élu de son coeur passe avant toute chose, et son bonheur à elle. Après guerre, les détracteurs de Zarah virent évidemment dans ce film, et dans ses deux chansons ("Le Monde ne disparaîtra pas pour autant", "Je sais qu'un jour surviendra un miracle") un appel à la résistance des femmes allemandes, dont la plupart avaient déjà, à cette époque, un père, un fiancé, un mari ou un frère qui combattait au Front.

"Ce que nous voulions exprimer, c'était l'idée que la Paix allait revenir, que les gens pourraient de nouveau mener une vie normale", rétorqua Zarah Leander. "Les hommes au Pouvoir l'ont interprété autrement - "un miracle surviendra et nous dominerons le Monde" - mais ce n'est pas ce que nous voulions dire"...

vendredi 25 juin 2004

474 - Le Foyer Perdu

... que savait exactement Zarah Leander des atrocités du régime nazi dont elle était devenue la diva et dont elle distrayait civils et militaires en ces années de guerre ?

Sans doute très peu de choses. Partageant son temps entre sa somptueuse villa de Grunewald, les plateaux de cinéma, les fêtes continuelles et de longs séjours en Suède auprès de ses enfants, la chanteuse et comédienne n'avait finalement que fort peu de contacts avec la réalité, a fortiori lorsqu'elle se vantait, comme tant d'autres à cette époque, de "ne jamais se mêler de politique".

De fait, son engagement au profit du régime nazi fut tout aussi mercantile que sa désertion, en avril 1943. Ce n'est certes pas pour protester contre le nazisme et le sort réservé aux juifs ou aux homosexuels que Zarah Leander se retira en pleine gloire pour regagner sa Suède natale : c'est tout bonnement la destruction de sa villa, le 03 mars 1943, le jour-même de la première de "Foyer perdu", qui la persuada qu'il était d'autant plus temps de changer d'air que Joseph Goebbels et la UFA se faisaient à présent tirer l'oreille pour la payer en couronnes suédoises, telles que stipulé dans son contrat.

Du reste, si la Presse allemande, qui l'avait adulée, se déchaîna alors contre elle et la qualifia "d'amie des Juifs", l'intendant du cinéma du Reich, Hans Hinkel, ramena cette désertion à une nouvelle affaire mercantile.

"Dans les salles de cinéma du Reich, écrivit-il à Joseph Goebbels, cinq cents copies tournent actuellement en reprises et permettront d'engranger au total trois millions et demi de Reichsmarks. On peut sans aucun doute se passer de cet argent, mais (...) il sera extraordinairement difficile de pourvoir cinq cents salles avec d'autres films"

Les films de Zarah restèrent donc autorisés, et ses chansons continuèrent d'être diffusées à la radio allemande jusqu'en janvier 1945.

Zarah avait quitté le navire à temps, bien avant qu'il ne sombre. Et cette fuite lui évita non seulement la ruine mais aussi de trop sérieuses accusations, orsque la véritable nature du Troisième Reich, et en particulier de ses camps d'extermination, parvint aux oreilles du public

jeudi 24 juin 2004

473 - "ce beau kitsch qui réside en l'homme allemand"

... "Zarah Leander touchait un point de l'âme allemande, ce beau kitsch, l'âme kitsch qui réside en l'homme allemand. Et elle a tourné des films monstrueusement kitsch"

Et de fait, l'on chercherait en vain un quelconque message politique, et a fortiori une glorification du nazisme, dans la dizaine de films que Zarah tourna pour la UFA.

Le premier d'entre eux, "Paramatta, bagne de femmes", réalisé en 1937 par Detlef Sierk (le futur Douglas Sirk), résume à lui seul le ton, et le rôle dévolu à Zarah Leander par la propagande nazie : celui d'une artiste simplement chargée de divertir les foules et de leur faire oublier guerre et privations le temps d'un film.

Dans Paramatta, Zarah joue le rôle d'une femme qui, afin de sauver la réputation de son amant, se laisse condamner et envoyer en prison pour une escroquerie qu'il a lui-même commis.

Par la suite, tous les films de Zarah respecteront le même canevas totalement apolitique. Zarah sera tour à tour chanteuse, meneuse de revue, star de cinéma, cantatrice ou, comme dans "Marie Stuart,"reine malheureuse en amour mais douée pour le chant.

Tout était prétexte à exhibition de costumes et à étalage d'une opulence qui faisait de plus en plus défaut en Allemagne. Et comme il fallait remplacer le rêve hollywoodien, désormais interdit, dans le coeur des Allemands, les moments forts de ces films furent, dans la plus pure tradition des comédies musicales américaines, les passages chantés par Zarah elle-même.

Aussi kitsch qu'ils pouvaient être, les films de Zarah draînèrent des millions de spectateurs dans toute l'Europe, et ses chansons, comme "Le monde ne disparaîtra pas pour autant" furent de gigantesques succès, que ne renieraient pas les Madonna et Jennifer Lopez actuelles...

mercredi 23 juin 2004

472 - "Goebbels était un homme très intéressant"

... "Goebbels était un homme très intéressant. Il avait beaucoup d'humour et de compréhension. Ce qu'il a fait par ailleurs, ça n'est pas mon affaire"

C'est en ces termes que Zarah Leander défendit après guerre son statut de diva du cinéma nazi lorsque ses détracteurs vinrent lui demander des comptes.

Pourtant, il était impossible de lui reprocher la moindre conviction politique : "Zarah n'était ni nazie ni antinazie, elle voulait faire carrière", résuma le réalisateur Douglas Sirk qui, lorsqu'il s'appelait encore Detlef Sierck et pouvait encore travailler en Allemagne, avait fait tourner Zarah dans La Habanera (1937)

"Que serais-je devenue sans l'Allemagne ? Je ne suis pas sentimentale, mais que serais-je devenue ? Numéro dix en Amérique ? Rien du tout ?".

Et de fait, Zarah Leander préféra être numéro un dans l'Allemagne nazie que starlette hypothétique aux États-Unis. Du reste, entre son premier contrat pour la UFA (1936) et son retour définitif en Suède (1943), Zarah, qui ne tourna que dans une dizaine de films, fut la vedette la mieux payée d'Allemagne.

Et comme elle avait eu la prévoyance de se faire payer 53% de chacun de ses cachets en couronnes suédoises, elle échappa tout à la fois à la ruine et à la chute du Troisième Reich

"Où est-il donc écrit que les artistes, justement eux, doivent comprendre quelque chose à la politique ? Je suis presque heureuse que l'on m'ait collé l'étiquette "d'idiote politique" (...) Je suis la Leander, et cela doit suffire"

mardi 22 juin 2004

471 - la grande Zarah

... malgré le départ en exil de la plupart des intellectuels et artistes allemands, la vie culturelle et artistique, généreusement subsidiée par le régime nazi, continuait comme si de rien n'était.

A Bayreuth, Winnifred Wagner, grande admiratrice d'Hitler, dirigeait imperturbablement son Festival, où militaires et éclopés de guerre avaient progressivement remplacé le public traditionnel bon chic bon genre - Joseph Goebbels, Ministre de la Propagande, ayant tout simplement eu l'idée de faire racheter les billets par l'État, pour les distribuer ensuite aux héros et autres nazis méritants.

Sur les écrans d'Allemagne, et bientôt de toute l'Europe occupée, les films allemands avaient supplanté les productions étrangères - et particulièrement américaines. Et si leur qualité artistique laissait beaucoup à désirer, leur monopole de fait assurait aux producteurs allemands une pluie continue de Reichsmarks.

Marlène Dietrich ayant dédaigneusement refusé les offres hitlériennes, il fallut néanmoins se mettre à la recherche d'une autre diva, qui agirait comme locomotive, en drainant dans les salles un public qui, en cette période de guerre et de privations diverses, ne demandait qu'à se divertir.

Curieusement, la diva choisie était suédoise, et à cent lieues des clichés traditionnels de l'épouse aryenne exemplaire. Zarah Leander était une rousse voluptueuse à l'invraisemblable voix rauque. Et elle était si grande qu'il avait fallu installer nombre de ses partenaires masculins, dont Willy Birgel, sur des blocs de 10 centimètres de haut afin qu'ils puissent marcher à côté d'elle, le long des rails de la caméra, sans paraître ridicules...

lundi 21 juin 2004

470 - après Leni

... la mort, en septembre 2003, de la plus célèbre artiste du Troisième Reich, Leni Riefenstahl, n'a pourtant pas mis un terme à la querelle qui, depuis 60 ans, divise la communauté artistique et culturelle.

Alors que la plupart des artistes allemands, et particulièrement les Juifs, quittèrent volontairement l'Allemagne dès les premières années du nazisme, d'autres s'accrochèrent et mirent leur talent, et parfois leur génie, au service d'une idéologie ouvertement raciste et xénophobe, qui envoyait des millions de personnes au Front ou dans les camps de concentration.

Dès mai 1933, étudiants et activistes nazis se mirent à brûler publiquement les livres de Marx ou Freud, les romans de Thomas Mann, Stefan Zweig ou Erich Maria Remarque. Des artistes juifs comme Max Reinhardt ou Kurt Weill furent déchus de leur citoyenneté, et frappés d'interdiction professionnelle.

Dans toute l'Allemagne, des centaines d'écrivains, de comédiens, d'artistes, prirent le chemin de l'exil. Sur les plateaux de cinéma allemands, on vit disparaître Fritz Lang, Billy Wilder, Max Ophüls ou Peter Lorre. On vit aussi, et surtout, la grande Marlène Dietrich interdite de projection en Allemagne, où elle avait refusé de revenir, malgré les demandes pressantes d'un régime qui lui offrait pourtant cachets mirobolants et scénarios sur mesure.

Malgré cette véritable hémorragie de talents, il ne manqua jamais de peintres ni de sculpteurs pour exalter l'idéologie nazie, de réalisateurs ni d'acteurs pour distraire le peuple, y compris durant les heures les plus sombres de la guerre. Et si la plupart n'étaient que de pauvre tâcherons, qui passèrent aux oubliettes de l'Histoire dès la
chute du Troisième Reich, certains, comme Leni Riefenstahl, continuèrent leur petit bonhomme de chemin, tandis que d'autres, comme Arno Breker laissèrent d'authentiques regrets, et la plupart de leurs oeuvres, sous les chenilles des bulldozers alliés qui, pour "expurger le nazisme" ne firent que reproduire les autodafés et destructions des nazis eux-mêmes...

dimanche 20 juin 2004

469 - "c'est la photographe et la cinéaste la plus révolutionnaire de son temps"

... lorsque Hitler entra triomphalement à Paris Leni Riefenstahl, ivre de bonheur, lui écrivit :

"Avec une joie indescriptible, profondément émus et emplis d'une brûlante gratitude, nous vivons avec vous, mon Führer, votre plus grande victoire et la plus grande victoire de l'Allemagne (...) Plus que tout ce que pourrait concevoir l'imagination humaine, vous accomplissez des actes sans pareils dans l'Histoire de l'Humanité (...) Vous adresser tous nos voeux de réussite est beaucoup trop peu pour vous faire comprendre les sentiments qui m'animent"

Après guerre, ce télégramme fut naturellement versé au dossier de dénazification de Leni Riefenstahl, mais l'actrice et cinéaste eut beau jeu de démontrer qu'à l'époque, des millions d'Allemands avaient exprimé, sinon écrit, les mêmes sentiments envers Hitler.

Du reste, la troisième et dernière procédure de dénazification entamée contre elle (les deux précédentes s'étant terminées par des non-lieux) la classa simplement comme "suiviste", soit le niveau le plus bas sur l'échelle de l'infamie.

Par la suite, Leni ne cessa de poursuivre en Justice tous ceux et celles qui brandissaient son passé nazi, ou qui réfutaient ses "souvenirs" à la lumière des témoignages et documents historiques.

Mais si Leni gagna la plupart de ses procès, sa carrière en tant que réalisatrice était terminée, et lui fallut attendre 1962, et un voyage au Soudan, pour retrouver la célébrité en tant que photographe, avec son reportage sur les Noubas, qu'elle mit en scène et en valeur comme elle l'avait déjà fait pour les "Dieux du Stade" des Jeux Olympiques de Berlin, en 1936.

Personnage aussi adulé que détesté, Leni Riefenstahl mourut dans son sommeil, le 8 septembre 2003, à l'âge de 101 ans.

A celle qui déclara "L'art le plus pur, et la plupart des artistes se sont efforcés de l'atteindre, est dépourvu de responsabilités", le grand photographe Helmut Newton dédia ces mots : "En tant qu'artiste, je l'admire, c'est la photographe et la cinéaste la plus révolutionnaire de son temps. Même si ses sujets nazis étaient immondes"...

samedi 19 juin 2004

468 - "Je n'ai été au courant qu'après la guerre"

.. lorsque le tournage de Tiefland avait repris, en 1940, il s'était avéré difficile d'acheminer, en pleine guerre, le nombre de figurants espagnols requis par Leni. Et si, pour la "couleur locale", on avait pu reconstituer à grands frais le village de Roccabruna, on jugea néanmoins plus expéditif, et infiniment moins coûteux, de recruter les figurants parmi les centaines de Tsiganes emprisonnés au camp de Maxglan, près de Salzbourg.

S'ils furent raisonnablement logés et nourris, ces figurants forcés n'eurent évidemment pas droit à la moindre paye,... et furent envoyés à Auschwitz dès la fin du tournage.

La plupart n'en revinrent jamais.

Après guerre, Leni Riefenstahl ne cessa de clamer son innocence, de déclarer jusqu'à la fin de sa vie qu'elle ignorait tout de l'Holocauste et du sort qui attendait ses figurants tsiganes, et qu'elle avait été personnellement bouleversée par les photos des camps de concentration que les Américains, qui l'avaient arrêtée à Kitzbuhel en 1945, lui présentèrent alors.

Hélas, le rapport d'interrogatoire américain relève plutôt que "Mlle Riefenstahl est surtout inquiète pour son film Tiefland".

"Je ne voulais certainement pas me retrouver sous l'influence d'Hitler. J'ai seulement été étonnée de voir comment il parvenait à éliminer le chômage, comment il obtenait de telles réussites. Que des millions de personnes, des Juifs aient été tués, je ne pouvais pas le savoir (...) J'avais entendu parler de Dachau et de Theresienstadt. Pour tous les autres camps, je n'ai été au courant qu'après la guerre", déclara Leni.

"Nous étions dans un camp de transit. Elle est arrivée avec la police et elle a choisi les gens", répliqua Rosa Winter, une des rares figurantes de Tiefland à avoir survécu à Auschwitz...

vendredi 18 juin 2004

467 - Tiefland

... après "l'épisode polonais", jamais plus on ne revit Leni Riefenstahl sur le Front. Elle se retrancha dans son travail, et la réalisation d'un nouveau film - "Tiefland" - une saga compliquée relatant l'histoire d'un berger espagnol amoureux fou d'une ingénue tombée sous la domination d'un despote.

Commencée en 1934, la réalisation dura en fait... 20 ans, fut interrompue à de multiples reprises et, comme c'était devenu la norme dans les films de Leni, fit littéralement exploser les budgets, provoquant à maintes reprises l'ire du Ministre de la Propagande Joseph Goebbels.

Lorsqu'il sortit enfin en salles, en 1954, le film s'avéra un flop monumental, tant le décalage entre les spectateurs de l'époque et la vision artistique de Leni était devenu important. Le Stuttgarter Zeitung y vit même le "parfait exemple d'ennui cultivé avec virtuosité, servi par un montage aussi rapide qu'une limace souffrant d'une maladie du pied".

Il faut dire que Leni, en parfaite coquette, avait également tenu, à presque 40 ans, à jouer elle-même le rôle de l'ingénue face à un partenaire qui n'en avouait que 23, ce qui, même sous un éclairage avantageux, ne s'avérait guère convaincant.

Plus grave : la sortie de Tiefland fut aussi l'occasion d'une nouvelle polémique sur les liens de la réalisatrice avec l'idéologie nazie...

jeudi 17 juin 2004

466 - une Walkyrie en Pologne

... dès le coup d'envoi de la Seconde Guerre mondiale, la cinéaste Leni Riefenstahl s'était précipitée en Pologne avec son équipe, bien décidée à immortaliser la guerre comme elle l'avait si bien fait avec les Jeux Olympiques de Berlin, ou les congrès du Parti nazi à Nuremberg.

Le 10 septembre 1939, le général Von Manstein ne put s'empêcher de remarquer cette "actrice et réalisatrice célèbre accompagnée par une troupe de cameramen. (...) On aurait dit une partisane élégante, elle aurait pu avoir acheté sa tenue rue de Rivoli à Paris. Elle portait une sorte de tunique, des culottes et des bottes souples et hautes. Un pistolet était accroché à son ceinturon. Cet équipement de combat était complété par un couteau fiché dans la tige de sa botte, à la bavaroise. L'État-major resta un peu perplexe, je dois l'avouer, devant cette apparition inhabituelle"

Deux jours après cette ébouriffante apparition, la Walkyrie se présenta dans le secteur du général Von Reichenau, qui venait de s'emparer de la ville de Konskie.

Or, dans la nuit du 11 au 12 septembre, quatre soldats allemands en patrouille avaient été tués dans cette ville. La Wehrmacht avait alors rassemblé la population juive du lieu, lui avait ordonné de creuser des tombes, avant d'exécuter une vingtaine de ces croque-morts improvisés.

En déambulant dans la ville avec son équipe et des accompagnateurs militaires, Leni Riefenstahl avait aperçu les cadavres. "Leni Riefenstahl perd connaissance à la vue des Juifs morts" légenda sobrement un soldat allemand au dos de la photographie qu'il prit à cette occasion.

La cinéaste éprise de beauté venait de faire connaissance avec la réalité de la guerre, une réalité fort différente du cinéma et des grands-messes nazies. Elle s'en fut aussitôt protester auprès du général Von Reichenau, qui l'éconduisit tout aussi rapidement.

Réfugiée à Dantzig, elle n'en filma pas moins l'arrivée triomphante du Führer et de ses troupes dans la ville, les cadavres ayant depuis longtemps été enlevés des trottoirs...

"L'art le plus pur, déclara-t-elle, et la plupart des artistes se sont efforcés de l'atteindre, est dépourvu de responsabilités".

mercredi 16 juin 2004

465 - la Pologne liquidée

... si Adolf Hitler avait perdu son pari sur la neutralité de la France et de l'Angleterre qui, il en était convaincu, lui laisseraient envahir la Pologne sans réagir, il n'en avait pas moins gagné sur l'essentiel : conformément à son analyse, Français et Britanniques se contentèrent de lui déclarer la guerre... puis d'attendre tranquillement sur leurs positions, lui laissant ainsi tout le temps nécessaire pour vaincre la Pologne, s'en partager les dépouilles avec la Russie de Joseph Staline,... puis rapatrier sur le front occidental les soldats allemands victorieux en Pologne (!)

Le 06 octobre 1939, moins de six semaines plus tard, l'affaire était complètement liquidée. Et dès le 09 octobre, Hitler, décidément insatiable, manifesta son intention d'attaquer à l'Ouest le 12 novembre suivant (!)

Encore abasourdis par la rapidité de leur propre victoire, les généraux n'en firent pas moins remarquer au Führer qu'il faudrait du temps pour rapatrier et rééquiper les troupes en provenance de Pologne, et que la météo empêcherait de toute manière toute nouvelle offensive avant le printemps 1940.

Hitler ne se rendit à leurs arguments que de fort mauvaise grâce

Pour rapide que fut la guerre en Pologne, elle n'en avait pas moins été sanglante : rien qu'à Varsovie, plus de 60 000 Polonais avaient perdu la vie dans ce que l'on apprit bientôt à appeler des "bombardements de terreur".

Elle avait surtout donné le coup d'envoi de la chasse aux Juifs.

mardi 15 juin 2004

464 - une offensive "pour rire"

... si la France s'était engagée à venir en aide à la Pologne sans en avoir les moyens, et en se contentant de s'enterrer profondément sous sa Ligne Maginot dans l'attente de jours meilleurs, elle n'entendait pas pour autant perdre complètement la face.

Une offensive "pour l'Honneur" - ou plus exactement "pour rire" - fut donc mise mise sur pieds, afin de sauver les apparences et donner aux journalistes quelque histoire d'héroïsme à écrire.

Ce fut "l'offensive de la Sarre", région rendue à l'Allemagne quatre ans plus tôt, par le plébiscite du 14 janvier 1935.

"Suite à l'invasion éclair de la Pologne, début septembre 1939, l'État-Major français se trouva dans une position délicate. Tout en évitant la guerre, il fallait honorer l'accord de soutien militaire réciproque, signé entre la Pologne et la France. Ainsi, des troupes françaises ont effectué *une avance symbolique de 10 km* en territoire allemand avant de se retirer rapidement, *pratiquement sans combattre*. La région de la Sarre, théâtre de l'opération, avait été désertée par les troupes allemandes, qui avaient abondamment miné et piégé le terrain abandonné. Le caporal-chef Cauchy se souvient du fiasco.

"L'offensive de la Sarre ?, un désastre ! J'étais à la barrière et je voyais passer toutes les unités : des blindés légers, de la cavalerie, des motocyclistes... Je me suis retourné vers mon copain: "On a fini la guerre, ils vont entrer en Allemagne et ça va se passer sans nous..." On croyait qu'ils allaient entrer la-dedans comme dans du beurre, mais quand on les a vu revenir huit jours après on n'y croyait pas. Pourquoi revenaient-ils? Il y a un village en Allemagne qui s'appelle Walscheim. Des officiers du fort y sont allés et ont ramené des petits drapeaux nazis. Les Allemands avaient évacué le village sans combattre".

lundi 14 juin 2004

463 - "éviter les entreprises dangereuses"

... bien loin de venir en aide à son allié polonais comme elle s'y était pourtant engagée à maintes reprises, la France se retrancha sous la Ligne Maginot et un prudent attentisme.

"Face à cette impitoyable et incontournable réalité, Guy La Chambre et Vuillemin voulaient éviter toute entreprise qui risquât de susciter une réaction violente et massive de la Luftwaffe. Comme l'ensemble du haut commandement français, leur stratégie était de ne rien faire avant 1941. (...) Cette répugnance à l'égard de toute entreprise qui pût affaiblir le potentiel de l'Armée de l'Air et contrarier son programme de réarmement se retrouva dans bien des attitudes de Vuillemin pendant la drôle de guerre. (...) Aussi, dès le début du mois de septembre 1939, décida-t-il de bien prendre garde à ne pas user l'aviation dans des entreprises dangereuses".

(...) la montée en puissance du bombardement fut plus que laborieuse. Le 1er décembre 1939, à peine 114 avions avaient été livrés, dont 58 en ligne; en janvier 1940, il n'y en avait que 137, dont 7 en ligne. Le problème était que la plupart de ces avions Étaient incomplets [dépourvus d'armement, de radio, de viseur, voire même d'hélices !] et donc inutilisables. Vuilleminm, en février 1940, savait qu'en cas d'attaque Allemande, il ne pourrait engager pas plus d'une vingtaine d'avions modernes, rincipalement des LeO 451 (...) A la veille de l'attaque générale, 497 avions de Bombardement modernes avaient été pris en compte par l'Armée de l'Air, mais seulement 140 servaient en unité (...) et à peine 27 stationnaient sur le front du Nord-Est. L'affaire s'annonçait donc sous un jour dramatique
".(Le Fana de l'Aviation, H.S. 7, décembre 1997)

Le 10 mai 1940, et dans le seul domaine de l'aviation, sur un effectif théorique de 4 807 avions de combat, l'Armée de l'Air française n'en alignait en réalité que... 1 013, et ce après voir soustrait les avions totalement démodés, les avions indisponibles, les avions sans pilote pour les mener au combat, les avions sans bombe, sans viseur, sans mitrailleuse, etc.

Même en y ajoutant la part britannique, le rapport de forces était d'environ deux contre un en faveur des Allemands, et cinq contre deux si on excluait les avions français totalement dépassés comme l'antédiluvien Amiot 143...

dimanche 13 juin 2004

462 - faire la guerre avec des tracts

... malgré la déclaration de guerre, l'état d'impréparation et de sous-équipement était tel que l'État-major français donna des ordres très stricts pour ne surtout pas provoquer les Allemands avec qui la France était pourtant en guerre (!)

"Les équipages des Amiot 143 qui survolaient l'Allemagne de nuit [parce qu'ils étaient trop vulnérables de jour] devaient franchir la frontière à 4000 m, puis plonger à l'altitude d'observation, si possible en dessous de 500 m [on se demande ce qu'ils pouvaient bien observer à cette altitude]; interdiction leur était faite d'employer leurs armes, sinon pour se défendre. Ils n'emportaient pas de bombes, mais des tracts, tandis que la Flak tirait contre eux des obus véritables. Les rencontres avec l'ennemi étaient, de toute façon, rares.

(...) Le II/38 n'accomplit sa première mission de guerre au dessus de l'Allemagne que le 21 novembre [à cette date, la Pologne avait déjà cessé d'exister] : une très longue reconnaissance (...) à 6 000 m d'altitude. Audineau jugea sévèrement (...) qu'à cette altitude, l'équipage, certes hors de portée des Allemands, n'avait rien pu observer

(...) Au II/34, en décembre, une seule reconnaissance sur l'Allemagne eut lieu de nuit, accompagnée d'un lâcher de tracts : des messages ou des encycliques du Pape, des plaisanteries sur Hitler (...) 700 kg de papier, 200 000 feuilles imprimées par avion.

Il y eut beaucoup de missions de ce genre. En Allemagne, malgré le couvre-feu, les usines en pleine activité restaient visibles : les équipages, la rage au coeur, lâchaient leurs bouts de papier qui ne servaient à rien sur des bâtiments où, par les lueurs qui filtraient des
verrières, ils devinaient l'ennemi fourbissant ses armes. Certains oubliaient de couper la ficelle des paquets, d'autres y ajoutaient des
pierres. Ils faisaient leur guerre

(...) à cette époque, s'il avait fallu, malgré tout, affronter les armées allemandes, les stocks de bombes n'auraient pas permis de combattre bien longtemps. Ce n'était après tout qu'un détail, puisque, de toute façon, il n'y avait pas d'avions pour les porter"
(Le Fana de l'Aviation 332, juillet 1997)

samedi 12 juin 2004

461 - une drôle de guerre

... le 1er septembre 1939, les premiers obus de la Seconde Guerre mondiale s'abattirent sur la Pologne.

Puissante sur le papier, l'armée polonaise en était malheureusement restée, comme beaucoup d'autres, à des doctrines datant de la Première Guerre, et fut rapidement dépassée par la puissance de feu et la mobilité de son adversaire, et en particulier par son aviation, qui s'était longuement entraînée sous le ciel d'Espagne, en soutien au général Franco.

Pendant 48 heures, Hitler fut sur le point de gagner son nouveau pari. Mais le 03 septembre, la France et la Grande-Bretagne se décidèrent finalement, comme elles s'y étaient engagées, à venir en aide à leur allié polonais, et à déclarer la guerre à l'Allemagne.

Pour les Polonais, cette annonce fut accueillie par un immense soulagement, qui se transforma bientôt en incrédulité, puis en colère, lorsqu'ils se rendirent compte que, loin de voler à leur secours, les soldats français s'enterraient profondément dans la ligne Maginot,
se gardant bien de toute action militaire qui aurait risqué de provoquer une contre-offensive allemande (!)

Il faut dire que l'état d'impréparation de l'armée française, aggravé par la victoire du Front Populaire, les congés payés et les grèves à répétition, ne lui permettait guère de mener des actions offensives qui, de toute manière, n'avaient pas l'assentiment d'une opinion publique encore massivement gangrenée par les pacifistes, et toujours aussi peu désireuse de "mourir pour Dantzig".

Dans le domaine de l'aviation par exemple, la France métropolitaine accusait un retard dramatique. La chasse disposait de 23 groupes, dont 4 volaient toujours sur des engins véritablement préhistoriques. Sur les 33 groupes de bombardement, seuls 4 étaient en cours de transformation sur du matériel moderne (Breguet d'assaut 691). Il n'y avait, en tout et pour tout, que CINQ bombardiers modernes (des LeO 451) en expérimentation,... qui se virent immédiatement privés de toute mission offensive pour ne plus assumer que de très vagues opérations de reconnaissance au sein de la 31ème escadre (!)

Pour les Polonais, l'affaire s'annonçait mal...

vendredi 11 juin 2004

460 - le coup de Gleiwitz

... le protocole secret du pacte germano-soviétique de non-agression définissait explicitement les "sphères d'influence réciproques en Europe orientale", accordant à Staline la Finlande, l'Estonie, la Lettonie et la Bessarabie, ainsi qu'une partie de la Pologne.

Il n'était plus question, comme le prétendait pourtant Hitler, de "désenclaver Dantzig", ni d'y créer un "corridor humanitaire" au bénéfice de la population germanophone : il s'agissait ni plus ni moins que d'attaquer militairement la Pologne, et de se la partager ensuite.

Mais Hitler était formaliste, il lui fallait un prétexte officiel. Ce prétexte, ce fut le fidèle Alfred Naujocks qui le lui fournit.

Né en 1908, adjoint de Reinhard Heydrich (chef de la SD et futur Reich-Protecteur de Bohème-Moravie), Alfred Helmut Naujocks
est un nazi de la première heure et - déjà - un spécialiste des actions clandestines.

Le soir du 31 août 1939, alors que les troupes allemandes n'attendent plus que le feu vert pour attaquer, son commando, revêtu d'uniformes polonais, s'empare de la station de radio allemande de Gleiwitz, en Silésie, à deux pas de la frontière polonaise

Une fausse "attaque", exécutée par de faux Polonais contre une vraie station de radio allemande, et qui doit, en diffusant une déclaration en polonais laissant croire à une attaque polonaise, apporter le prétexte idoine au Führer.

L'action est rondement menée, et les gardiens de la station promptement assommés à coups de crosses. Mais au moment où un des hommes de Naujocks s'apprête à lire le message sur les ondes, pas moyen de trouver le commutateur qui basculerait l'émission sur le réseau national (!)

Tant pis : l'émission ne sera perçue que par les quelques habitants du lieu. Ceci fait, Naujocks et ses hommes évacuent la station, tirent quelques coups de feu en l'air,... et abandonnent sur place un cadavre criblé de balles : celui d'un malheureux déporté du camp d'Orianenbourg, euthanasié pour l'occasion, puis revêtu d'un uniforme polonais.

Au matin du 1er septembre, le Völkischer Beobachter - journal officiel du parti nazi - titre à la Une sur "l'attaque polonaise".

Mais Hitler a déjà pris les devants : à 04H45, les premières troupes allemandes ont pénétré en Pologne. Et à Dantzig, le vieux pre-dreadnought "Schleswig-Holstein", vétéran de la Première guerre mondiale, a déjà tiré les premiers obus de la Seconde...

jeudi 10 juin 2004

459 - quand Naujocks entre en scène

... pour se poser en champion incontesté du pangermanisme, et plaire aux trois millions de germanophones des Sudètes, Adolf Hitler avait envahi la Tchécoslovaquie. Pour assurer la pérennité de son régime, et plaire aux dizaines de milliers de germanophones de Dantzig, il se préparait à présent à envahir la Pologne.

Ironiquement, les germanophones des Sudètes et de Dantzig finirent par se retrouver les principales victimes d'une opération qui visait officiellement à les "libérer" : après guerre, les uns et les autres furent chassés manu militari, et sans indemnité, des Sudètes et de Pologne, où leurs ancêtres s'étaient installés des siècles auparavant.

Et à la différence des Palestiniens, leurs descendants ne sont certes pas sur le point d'obtenir excuses, réparations et "droit au retour" : si tous les réfugiés sont égaux, certains le sont infiniment plus que d'autres...

Mais en ce 3 avril 1939, au moment où Adolf Hitler donnait ses directives en vue d'une attaque de la Pologne, nous n'en étions pas encore là. Le Reich était puissant et craint d'un bout à l'autre de l'Europe. Il avait conclu des alliances avec les fascismes italiens,
espagnols et japonais, et Adolf Hitler lui-même avait, contre toute attente, remporté tous ses paris - de la réintroduction du service militaire obligatoire à l'envahissement de la Tchécoslovaquie en passant par la réoccupation de la Rhénanie ou l'annexion de l'Autriche - sans que la France et la Grande-Bretagne, paralysées par le poids des pacifistes et la conviction que l'ogre allemand finirait bien par se calmer, n'interviennent.

De fait, le Führer était confiant de remporter à présent le pari polonais et, même s'il le perdait (c-à-d même si la France et la Grande-Bretagne lui déclaraient la guerre) de parvenir à digérer la Pologne bien avant que l'alliance franco-britannique soit en mesure de
lui nuire.

Restait néanmoins à sauver les apparences, à imaginer un prétexte justifiant l'invasion de la Pologne aux yeux de l'opinion publique internationale. Ce prétexte devait être fourni par un officier de la SS et authentique spécialiste des coups fourrés

Il s'appelait Alfred Naujocks

mercredi 9 juin 2004

458 - l'alliance de l'eau et du feu

... en 1938, Adolf Hitler avait annexé l'Autriche sans presque tirer un seul coup de feu. Il s'était ensuite emparé des Sudètes puis, en mars 1939, du reste de la Tchécoslovaquie, sans que la France et la Grande-Bretagne n'interviennent au profit de leur allié tchèque, comme ils s'y étaient pourtant engagés par traités.

Mieux encore : à Münich, en septembre 1938, Edouard Daladier et Neville Chamberlain avaient contraint la Tchécoslovaquie - dont le Premier ministre, Edvard Benes, n'avait même pas été convié à la conférence - à se défaire d'une partie de son territoire national au profit de l'Allemagne.

Dans ces conditions, il est facile d'imaginer qu'Hitler ait ensuite voulu rééditer - cette fois au détriment de la Pologne - une manoeuvre qui lui avait si bien réussi. Et qu'il se soit persuadé qu'une fois encore, la France et la Grande-Bretagne ne bougeraient pas, malgré leurs engagements envers les Polonais.

Du reste, quelques jours avant d'envahir la Pologne, et de siffler le coup d'envoi de la Seconde Guerre mondiale, Hitler n'en avait pas fait mystère au Ministre des Affaires étrangères italien, le Comte Galeazzo Ciano.

Au cours du dîner, alors qu'Hitler venait de lui révéler ses intentions, Ciano lui demanda s'il avait bien réfléchi à la réaction des Français. Hitler se mit à ricaner, déclarant que jamais la France n'oserait lui déclarer la guerre (ce en quoi il se trompait), ni ne viendrait militairement en aide à la Pologne (ce en quoi il avait raison)

Il faut dire que malgré sa ferme intention d'en découdre au plus tôt, le Führer avait pris ses précautions.

Le 22 mai, l'Allemagne et l'Italie avaient en effet signé le "Pacte d'Acier", une alliance militaire dont un des principaux auteurs n'était autre que le Comte Ciano lui-même.

Le 23 août, à la stupéfaction générale, Hitler abattit son Joker, et révéla à un monde incrédule l'existence d'un "pacte germano-soviétique" de non-agression, dont une clause, soigneusement tenue secrète, prévoyait déjà le partage de la Pologne entre une Allemagne violemment anti-communiste et une URSS ultra-communiste (!)

L'alliance de l'eau et du feu...

mardi 8 juin 2004

457 - "la Paix pour notre génération"

... le 30 septembre 1938, à Münich, la France et la Grande-Bretagne avaient à nouveau capitulé devant le diktat hitlérien, lui concédant le
territoire germanophone des Sudètes, rattaché à la Tchécoslovaquie par le Traité de Versailles de 1919.

Dès le lendemain, les troupes allemandes pénétrèrent dans la région,
follement acclamées par plus de trois millions de germanophones
enthousiastes.

Hitler avait encore gagné son pari : désireux de "sauver la Paix pour notre génération", la France et la Grande-Bretagne avaient dénoncé le Traité de Locarno de 1925, et contraint leur allié tchécoslovaque - qui du reste n'avait même pas été convié à la conférence ! - à se défaire de toute portion de son territoire national comptant au moins 50% de germanophones.

Pour sauver les apparences, Edouard Daladier et Neville Chamberlain avaient imposé une clause additionnelle à leurs accords avec Hitler : celle de garantir les nouvelles frontières de la Tchécoslovaquie contre toute agression.

Hitler avait acquiescé, et promis de limiter aux seules Sudètes son
expansion territoriale en Tchécoslovaquie.

Rentré à Paris, Edouard Daladier s'attendait à se faire copieusement conspuer pour ce reniement qui s'apparentait fort à une capitulation en rase campagne.

Ce fut tout le contraire : tout au long du parcours de la limousine
officielle, le Président du Conseil fut frénétiquement applaudi par des dizaines de milliers de pacifistes, soulagés de ne pas devoir "mourir pour Prague".

"Ah les cons !", s'exclama sobrement Daladier, sans illusion sur la suite des événements.

A Londres, l'accueil réservé au Premier ministre Neville Chamberlain fut tout aussi enthousiaste. "Voici le document qui garantit la Paix pour notre génération !", déclara-t-il à la foule, en brandissant fièrement le document signé par Adolf Hitler

"Vous avez voulu la Paix dans l'Honneur, vous aurez la guerre et le
déshonneur"
, rétorqua pour sa part l'éternel trublion de la politique
britannique. Un homme qui, quelques mois plus tard, symbolisera à lui tout seul la pugnacité britannique.

Il s'appelait Winston Churchill...

lundi 7 juin 2004

456 - l'annexion des Sudètes

... le 1er octobre 1938, l'encre des accords de Münich à peine séchée, les troupes allemands avaient pénétré dans le territoire des Sudètes, follement acclamées par plus de trois millions de germanophones.

Ayant compris que la France et la Grande-Bretagne ne feraient rien pour venir en aide à leur allié tchécoslovaque, comme ils s'y étaient pourtant engagés lors du Traité de Locarno de 1925 et une clause additionnelle aux accords de Münich, la Pologne et la Hongrie décidèrent à leur tour de passer à table, la première en s'emparant du territoire de Taschen, la seconde en annexant le sud de la Slovaquie.

Trois semaines plus tard, une directive secrète d'Hitler visant à s'emparer de ce qui restait de la Tchécoslovaquie, ramena les accords de Münich à leur juste valeur : celle d'un chiffon de papier.

Le 14 mars de l'année suivante, l'armée allemande passa à l'acte, et s'empara du reste de la Tchécoslovaquie - la rebaptisant protectorat de Bohème-Moravie - de nouveau sans que Paris et Londres n'interviennent.

Une fois de plus, l'audace hitlérienne avait payé, fait taire ses détracteurs, et permis à l'Allemagne d'augmenter son territoire de manière considérable, pour un coût dérisoire.

Une semaine plus tard (21 mars 1939), Hitler annonça sa ferme intention de rééditer l'opération, cette fois au détriment de la Pologne, dont il exigea qu'elle lui restitue le "corridor de Dantzig", ville majoritairement germanophone mais enclavée au sein du territoire polonais.

Dix jours plus tard (31 mars 1939), la France et la Grande-Bretagne déclarèrent leur soutien à la Pologne et à son gouvernement, qui avait rejeté les exigences allemandes.

Trois jours plus tard, Hitler ordonnait à l'État-major de préparer un plan d'invasion de la Pologne...

dimanche 6 juin 2004

455 - de Vienne à Munich

... le 4 février 1938, Adolf Hitler donna le coup de balai final aux derniers téméraires qui osaient encore contester ses décisions au sein du gouvernement.

Prétextant l'impérieuse nécessité de préserver la haute tenue morale du régime, il limogea le Ministre de la Guerre Werner Von Blomberg (qui s'était remarié avec une ancienne prostituée) et le chef des armées Werner Fritsch (accusé d'homosexualité)

Dans la foulée, le tiède Ministre des Affaires étrangères Konstantin Von Neurath fut remplacé par le docile Joachim Von Ribbentrop, tandis que Hitler, qui n'avait jamais dépassé le grade de caporal, prit en personne le commandement de l'armée.

Le 12 mars, les troupes allemandes pénétrèrent en Autriche, frénétiquement acclamées par les Autrichiens eux-mêmes, et sans que l'Angleterre ou la France n'interviennent. Le lendemain, l'Anschluss consacrait la fusion de l'Autriche à l'Allemagne

Un mois plus tard, le Führer renoua avec ses vieilles habitudes, en faisant approuver l'opération par un plébiscite remporté à 99% des électeurs allemands.

Le 30 mai, dans une directive adressée à la Wehrmacht, Hitler renouvela son intention d'envahir la Tchécoslovaquie, officiellement pour "libérer" la population germanophone des Sudètes, annexée à la Tchécoslovaquie par le Traité de Versailles de 1919.

Le 18 août, persuadé de l'imminente intervention de la France et de la Grande-Bretagne, le chef d'État-major Ludwig Beck présenta sa démission.

Mais le 29 septembre, contre toute attente, Neville Chamberlain et Edouard Dalladier, réunis à Münich, cédèrent aux revendications hitlériennes, et sacrifièrent leur allié chécoslovaque afin, affirmèrent-il, de "garantir la Paix pour notre génération"...

samedi 5 juin 2004

454 - régler le problème de "l'espace vital"

... Le 30 janvier 1937, le Reichstag renouvela, pour quatre années supplémentaires, les pleins pouvoirs qu'il avait déjà accordé à Adolf Hitler en mars 1933.

En juin, Werner Von Blomberg, Ministre de la Guerre, évoqua pour la première fois la perspective d'une attaque de la Tchécoslovaquie.

Non content de vider les caisses de l'État, le réarmement massif de l'Allemagne menaçait à présent d'épuiser les sources de matières premières en Allemagne-même.

Le 05 novembre 1937, l'Amiral Raeder, confronté à une crise de plus en plus aigüe des approvisionnements, convoqua une réunion à laquelle assista Adolf Hitler.

D'emblée, le Führer balaya l'ordre du jour de la réunion. Son objectif, déclara-t-il, était de régler une fois pour toutes le problème de "l'espace vital" par la guerre, en s'emparant chez les voisins de l'Allemagne des ressources vitales pour le pays.

À ses généraux qui lui firent remarquer que l'Allemagne ne serait fin prête pour la guerre qu'au milieu des années 1940, Hitler rétorqua qu'il n'hésiterait pas à précipiter les choses si une opportunité d'expansion territoriale se présentait plus tôt.

Le lendemain, Benito Mussolini décida de sauter dans le train en marche, en adhérant à son tour au pacte Anti-Komintern déjà conclu entre l'Allemagne et le Japon. Un mois plus tard, le 11 décembre 1937, l'Italie claqua elle aussi la porte de la Société des Nations.

Dans les semaines qui suivirent cette fatidique réunion du 05 novembre 1937, l'État-major allemand, résigné, s'attela donc à la tâche de préparer un plan d'invasion de la Tchécoslovaquie, persuadé que, cette fois, la France et la Grande-Bretagne ne manqueraient pas de déclarer la guerre à l'Allemagne...

vendredi 4 juin 2004

453 - la pensée-même du Führer

... avant de gazer les Juifs, l'Allemagne nazie s'était pour ainsi dire
"entraînée" sur le dos des handicapés physiques et mentaux allemands.

Une pétition adressée à Hitler par le père d'un enfant lourdement handicapé avait un jour amené le Führer à autoriser son médecin personnel, Karl Brandt, à accéder à la demande du père.

Devant l'absence de réactions des autorités civiles et religieuses, une véritable logistique d'euthanasie à grande échelle fut finalement mise en place. Partout en Allemagne, des médecins dressèrent des listes de patients à "traiter".

En octobre 1939, sur un simple ordre purement verbal du Führer, plus de 70 000 infirmes et malades mentaux purent alors être assassinés dans le but déclaré de "purifier la race aryenne".

Et lorsque certaines voix s'élevèrent pour réclamer au moins un ordre écrit, Hitler se contenta, dans la meilleure tradition des Rois de France, d'un vague mandat de quelques lignes, rédigé sur son papier à en-tête personnel, et antidaté au 1er septembre 1939, date du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.

En Allemagne, la Loi était désormais supplantée par le décret ou, mieux encore, par "l'ordre personnel du Führer", que les gauleiters et responsables locaux interprétaient ensuite de manière aussi vague que personnelle.

Le summum de l'ubuesque fut atteint en 1942, lorsqu'Hitler lui-même ajouta à ses fonctions de chef d'État et de chef suprême des armées le titre tout aussi ronflant de "Oberster Gerichtsherr", ou "chef suprême de la Justice", cumulant ainsi tous les pouvoirs.

Et comme il ne pouvait donner tous les ordres en personne, et encore moins veiller à leur application concrète sur le terrain, la délégation fut érigée en véritable système de gouvernement.

A une vitesse hallucinante, un État moderne s'était transformé en une gigantesque pétaudière maffieuse, où des hordes d'arrivistes s'efforçaient à présent de conquérir une minuscule parcelle de Pouvoir pour l'appliquer ensuite à leur seul profit, tout en s'efforçant de traduire les ordres, pour ne pas dire la pensée-même, du Führer...

jeudi 3 juin 2004

452 - en finir avec la "race juive"

... on s'est beaucoup interrogé, après guerre, sur l'obsession d'Hitler d'en finir avec la "race juive" au moment-même où le sort des armes venait de basculer en défaveur de l'Allemagne.

En janvier 1942, lorsque Reinhard Heydrich préside la Conférence de Wannsee sur la "Solution finale", les États-Unis viennent d'entrer en guerre, et le Reich d'échouer devant Moscou, perdant ainsi tout espoir d'une victoire rapide, sinon d'une victoire tout court.

Bien plus : l'organisation des camps, la nécessité de traquer, d'arrêter, de déporter, puis d'exterminer des millions de personnes prive l'Allemagne de ressources et de troupes qui auraient pu, qui auraient dû, être utilisées plus efficacement ailleurs.

Et même si l'organisation, finalement très "germanique", du génocide tend à en réduire le coût au minimum, et à récupérer tout ce qui peut l'être sur les cadavres (bijoux, alliances, dents en or, etc.), elle est loin de compenser les frais d'une opération qui, dans toute l'Europe, va mobiliser pendant trois ans des centaines de trains, des milliers de soldats, des milliers de tonnes de mazout, des milliers de mètres cubes de béton, autant de ressources vitales en période de guerre, et qui manquent cruellement sur le Front.

Paradoxalement, plus les armées allemandes reculent, plus la défaite s'annonce inéluctable, et plus l'extermination des Juifs se fait féroce et systématique, plus elle accapare troupes, approvisionnements et fournitures.

Mais ce paradoxe n'est qu'apparent : parce qu'ils se rendent compte que la guerre est perdue, les chefs nazis, Hitler en tête, cherchent par tous les moyens, dans une ultime orgie de damnés, à supprimer toute présence juive d'Europe tant que cela est encore possible. Ils s'efforcent de tenir au moins la promesse contractée par Hitler le 30 janvier 1939, lorsqu'il déclara que "s’il devait arriver que la finance juive internationale réussisse encore une fois à précipiter les peuples dans une nouvelle guerre mondiale, cela n’aurait pas pour effet d’amener la bolchevisation du globe et le triomphe des Juifs mais bien, au contraire, l’anéantissement de la race juive d’Europe".

Puisque la vie du Troisième Reich ne fut en réalité qu'une perpétuelle fuite en avant, un défi lancé au Temps, l'extermination des Juifs par l'Allemagne nazie ne pouvait que répondre à la même logique, à la même surenchère, à la même hâte.

Et elle ne pouvait, elle aussi, que se terminer en tragédie...

mercredi 2 juin 2004

451 - la Conférence de Wannsee

... le 31 juillet 1941, Hermann Göring (numéro 2 du régime nazi, ministre de l'Air, commandant de la Luftwaffe, chef suprême de l'économie de guerre) chargea Reynhard Heydrich (chef de la SD, "Reich Protecteur" de Bohême-Moravie, adjoint du chef de la SS Heinrich Himmler) d'élaborer une "solution finale au problème juif".

Le 20 janvier 1942, Reynhard Heydrich présida la Conférence de Wannsee, à laquelle assistèrent plusieurs hauts fonctionnaires du Reich, parmi lesquels figurait Adolf Eichmann, un SS autrichien, recruté par la police secrète nazie (SD) en 1934, et chargé dès 1938 d'organiser à Vienne et à Prague la déportation des juifs d'Autriche.

D'emblée, cette conférence écarta l'idée de déporter tous les Juifs d'Europe sur l'île de Madagascar, et lui préféra la solution de "camps de travail" est-européens, où les conditions de travail et de détention seraient suffisamment pénibles pour les y faire mourir en grand nombre. Les (rares) survivants devant ensuite être traités "en conséquence".

Pour des raisons évidentes, le protocole final ne mentionna pas l'extermination de manière explicite - qui aurait voulu apposer sa signature au bas d'un tel document quand Hitler lui-même ne parlait de l'éradication des Juifs que de manière elliptique ? - mais les premières chambres à gaz furent installées en Pologne dans les mois suivants, et "traitèrent" ceux et celles qu'on estimait inaptes au travail).

La responsabilité de toute cette infrastructure fut placée entre les mains d'Heinrich Himmler, chef de la SS dès 1929, chef de la Gestapo dès 1934, ministre de l'Intérieur en 1943, chef des forces armées allemandes de l'intérieur dès 1944.

La machine de mort put alors tourner à plein régime...

mardi 1 juin 2004

450 - une Nuit de Cristal

... avec l’assassinat, le 28 octobre 1938, d’Ernst Von Rath, troisième secrétaire de l’ambassade d’Allemagne à Paris, par le Juif Herschel Grynnszpan , le gouvernement allemand tenait le prétexte rêvé pour un nouveau – et spectaculaire – tour de vis à l’endroit des Juifs allemands, déjà considérés comme citoyens de seconde zone depuis qu’une loi de septembre 1935 les eut déchu de la nationalité allemande.

Dans la nuit du 9 au 10 novembre, éclata la "Nuit de Cristal". Dans toute l’Allemagne, les vitrines des magasins tenus par des Juifs explosèrent sous les coups de la population et des forces l’Ordre réunies. Près de 200 synagogues furent incendiées, 7 500
magasins ou établissements juifs pillés et saccagés. Une centaine de Juifs furent assassinés sur place, et près de 30 000 arrêtés et expédiés dans les "camps de concentration" créés par Heinrich Himmler dès le 20 mars 1933.

Dans un discours prononcé au Reichstag le 30 janvier 1939, Hitler déclara que "s’il devait arriver que la finance juive internationale réussisse encore une fois à précipiter les peuples dans une nouvelle guerre mondiale, cela n’aurait pas pour effet d’amener la bolchevisation du globe et le triomphe des Juifs mais bien, au contraire, l’anéantissement de la race juive d’Europe".

Le 23 novembre 1939, dans la Pologne conquise, les quelque 3 millions de Juifs furent contraints d’arborer l’étoile jaune. Le 1er septembre 1941, cette mesure fut étendue à l’ensemble des Juifs de l’Europe occupée.

En décembre, le gazage des Juifs dans des camions étanches débuta en Pologne. Mais la méthode était si primitive et si coûteuse (les gaz d’échappement du camion étaient simplement détournés dans la benne rendue plus ou moins hermétique) qu’elle était loin de satisfaire les responsables, qui se plaignirent amèrement de la lenteur des Juifs à mourir asphyxiés, ainsi que du coût élevé en carburant. Ils réclamèrent donc des moyens plus efficaces, plus "industriels", pour en finir avec cette race honnie.

Le 20 janvier 1942, la Conférence de Wannsee se chargea de mettre au point "la solution finale au problème juif"