jeudi 9 décembre 2010

2834 - tourisme sur cendres

... Dresde, 16 février

Un calme effrayant s'est abattu sur la grande ville de Saxe, réduite à néant par les bombardements britanniques, puis américains, des jours précédents.

Totalement dépassées par l'ampleur de la catastrophe, des équipes de sauveteurs fouillent les gravats à la recherche d'éventuels survivants, mais ne trouvent souvent que des cadavres, dont le nombre va bientôt imposer une méthode d'élimination directement héritée du Moyen-Âge.

"Des travailleurs et des prisonniers russes creusèrent des tombes dans les cimetières de Dresde pour dix mille tombés au champ d'honneur. Survint un radoucissement du temps (...) qui accéléra la décomposition. Il ne restait plus d'autre choix (...) que de donner l'autorisation d'incinérer les corps. Cela eut lieu sur l'Altmarkt, où l'on bâtit d'immenses grils avec des poutrelles de fer. Sur chacun d'eux, on disposa environ cinq cents corps les uns sur les autres. On les imprégna d'essence et on y mit le feu" (1)

Ironie : ces grils improvisés ont été construits avec la participation de SS qui ont appris cette méthode de crémation pour le moins originale au camp d'extermination de Treblinka...

A l'énoncé des pertes et des destructions, Hitler parle d'exécuter autant de prisonniers de guerre anglo-américains qu'il y a eu de civils allemands tués dans le bombardement, ce qui, dans son esprit, reviendrait, en reniant les Conventions de Genève d'une manière aussi flagrante, à contraindre les troupes allemandes à se battre jusqu'au bout.

Ce n'est qu'à grand-peine que l'État-major de l'armée parvient à le convaincre d'y renoncer...

Mais l'infatigable Ministre de la Propagande, Joseph Goebbels, a une autre idée, plus originale, celle d'organiser, sur les ruines-même de Dresde, une sorte de "tourisme des cendres" : tous les soldats allemands ayant de la famille à Dresde vont ainsi se voir accorder des permissions exceptionnelles qui leur permettront de visiter la ville - ou plutôt ce qu'il en reste - et, à leur retour en unités, d'en parler à leurs camarades, ce qui, pense-t-on, devrait les inciter à se battre avec une ardeur renouvelée, convaincus qu'ils seront qu'il n'y a rien à attendre de plus des Anglo-Américains que des Soviétiques.

Las : c'est tout le contraire qui se produit : à présent confrontés à la perspective d'une annihilation totale de leur pays, les soldats du Front de l'Ouest vont, dans les jours qui suivent, lutter de plus en plus mollement, et se laisser capturer par milliers, dizaines de milliers, et finalement centaines de milliers...

(1) cité par Jorg Friedrich, "L'Incendie", page 394. Les événements de Dresde ont toujours fait l'objet d'innombrables polémiques. Celle relative au nombre de morts ne fait pas exception. On considère aujourd'hui que les pertes humaines, évaluées à bien plus de 100 000 par l'occupant russe au lendemain de la guerre, tournent plutôt aux alentours de 35 000

1 commentaire:

Midomar a dit...

Vu le titre du chapitre "D'un pont à l'autre", je m'attendais à ce qu'on parle de Remagen.
J'étais donc un peu surppris de repartir vers l'est, sur des sujets tels que la Volkssturm, le Wilhem Gustloff ou la fuite des populations civiles devant les russes.
La campagne de propagande du docteur Goebbles commence à me faire apercevoir les raisons de ce petit détour ;-)

Merci encore pour le blog, qui est vraiment sympa et intéressant.
Félicitations.