dimanche 27 novembre 2005

994 - l'obsession laborieuse

... depuis des siècles, les Allemands considéraient les Juifs comme des parasites se refusant non seulement à tout travail "véritable" mais aussi - et c'était encore plus grave - s'enrichissant malhonnêtement sur le dos des infatigables travailleurs allemands.

Dans l'imaginaire nazi, contraindre les Juifs à un travail manuel extrêmement pénible constituait donc une punition aussi terrible que la Mort - si pas davantage. Une punition qui vengerait l'Allemagne des siècles d'oisiveté dont avait jusque-là profité ce peuple honni.

Peu importait d'ailleurs que ce travail s'avère économiquement productif : on pouvait tout aussi bien forcer les Juifs à travailler pour l'industrie d'armements que les contraindre à frotter les rails de trams voire même - comme cela se fit à de multiples reprises - les obliger à déplacer des cailloux ou de lourds sacs de sable d'un endroit à un autre avant de les remettre à l'emplacement d'origine.

A Buchenwald, par exemple, "certains des travaux effectués au camp avaient une utilité. D'autres étaient totalement dépourvus de sens et n'étaient qu'une forme de torture, pour le seul amusement des SS. Les Juifs, en particulier, étaient souvent contraints de construire des murs qu'ils auraient à démolir le lendemain, pour les reconstruire le surlendemain, etc."

Pareille obsession laborieuse entrait cependant en conflit avec l'autre impératif idéologique de se débarrasser des Juifs par tous les moyens possibles, c-à-d par l'émigration forcée dans un premier temps, puis par l'extermination pure et simple. Une fois exilé en Amérique du Sud, ou carrément réduit à un petit tas de cendres, le Juif ne pouvait évidemment être "puni" une deuxième fois par une mise au travail forcé, ni contribuer de quelque manière que ce soit à l'économie et à l'effort de guerre allemands.

Cette contradiction, qui devait perdurer tout au long du Troisième Reich, fut encore exacerbée par les impératifs de la production de guerre. Les industriels réclamaient en effet à corps et à cris une main d'oeuvre abondante - et si possible gratuite - qui pourrait remplacer les millions de travailleurs allemands enrôlés sous les drapeaux. Comme l'idéologie nazie s'avérait également réfractaire au travail des femmes allemandes en usines, il n'y avait en vérité d'autre choix que d'importer massivement de la main d'oeuvre européenne plus ou moins volontaire (les fameux "volontaires pour l'Allemagne" ou autres "STO"), ou de transformer en esclaves les millions de prisonniers - et particulièrement les Russes et les Juifs - qui croupissaient dans les ghettos et les camps.

Jamais conciliées, ces multiples exigences contradictoires devaient provoquer un nombre inimaginable de conflits, d'ordres et de contre-ordres, et l'on vit à de multiples reprises des usines pourtant essentielles à l'effort de guerre réduites au chômage technique faute de main d'oeuvre, expédiée dans les chambres à gaz, ou, au contraire, des camps d'extermination à l'arrêt, faute de "matière première" à gazer...

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