vendredi 25 novembre 2005

992 - "Et ces gosses n'avaient pas de maman. Ils n'avaient pas de petit pain au chocolat"

.. Après la déportation des parents juifs arrêtés lors de la célèbre "rafle du Vel d'Hiv" de juillet 1942 vint celle de leurs enfants, restés emprisonnés dans les camps de Beaune-La-Rolande et Pithiviers, dans l'attente du bon vouloir des Allemands.

Le 15 août, une interminable cohorte d'enfants prit finalement le chemin de la gare et monta dans le train qui devait, dans un premier temps, les conduire à Drancy et, au delà, à Auschwitz. "Je me souviens que les gens du village nous regardaient, et ils nous regardaient avec ce même dégoût que j'éprouvais moi-même. On devait peut-être sentir mauvais, on était rasés, couverts de boutons. Et je voyais le visage dégoûté des gens, comme on peut avoir, des fois, dans le métro, quand on voit des SDF sales et couchés"

A Drancy, où elle dormit avec son frère à même le béton, au milieu des excréments, Annette remarqua que "personne ne s'occupait de nous. On était vraiment livrés complètement à nous-même. Je n'ai pas le souvenir qu'aucun adulte se soit occupé de nous".

Grâce aux relations de leur père - qui avait échappé à la rafle - Annette et Michel Muller purent finalement sortir de Drancy, et échapper à la déportation : un orphelinat catholique les prit en charge et les cacha jusqu'à la fin de la guerre. La majorité des enfants juifs internés à Drancy n'eut hélas pas cette chance. Sept convois ferroviaires les acheminèrent à Auschwitz, où ils furent immédiatement gazés.

"Le matin avant le départ, raconta une adulte également détenue à Drancy, on les habillait autant qu'on pouvait, mais la plupart ne pouvaient même pas porter leur petit ballot. Ils ne voulaient pas descendre. On a été obligés de les prendre (...) il n'y avait plus que quatre-vingt enfants qui étaient restés à l'infirmerie et qu'on pensait pouvoir sauver, mais pas du tout (...) Le matin de [leur] déportation, quand on a voulu les descendre, ça a été des cris et des coups de pieds (...) Les gendarmes [français] sont montés et les ont fait descendre... Vraiment une difficulté... Et un ou deux gendarmes avaient l'air tout de même un peu tristes devant ce spectacle"

"On a voyagé en deux ou trois jours", se rappelle Jo Nisenmann, alors âgé de 18 ans, qui fit partie du convoi du 26 août 1942. "On est arrivé à la gare avant Auschwitz. Ils avaient besoin d'hommes. D'hommes valides parce qu'à proximité, il y avait un camp de travail. Alors, ils ont arrêté le train et fait descendre 250 personnes [dont il fit partie]. Ils nous faisaient descendre à coups de crosse et de bâtons (...) J'ai laissé ma petite soeur... Mais malgré tout, on ne pensait pas ce qui allait se passer (...) Je ne me souviens pas qu'ils aient pleuré. Je voyais des gosses tout petit, plus beaux les uns que les autres. On les a exterminés (...) Derrière chez moi [aujourd'hui] il y a une maternelle. Je vois les mamans qui attendent leurs enfants avec un petit pain au chocolat. Et ces gosses n'avaient pas de maman. Ils n'avaient pas de petit pain au chocolat"

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