mardi 15 février 2005

709 - "Pourvu que l'Arrière tienne"

... Paradoxalement, les progrès enregistrés dans l'artillerie et les armes à tir rapide (comme les mitrailleuses) avaient davantage protégé les villes qu'elles ne les avaient contraintes à se soumettre.

Jusqu'à l'apparition des tanks, tout à la fin du conflit, la Première Guerre mondiale, loin d'être affaire de mouvements, fut d'abord et avant tout une querelle de tranchées érigées au beau milieu des champs, donc fort loin des capitales politiques, économiques et industrielles des deux adversaires.

Pendant quatre ans, les belligérants s'échangèrent des milliers de tonnes d'obus et de mitrailles au dessus de leurs tranchées respectives, pour un résultat qui, mesuré en terme de progression ou de recul, dépassait rarement quelques dizaines ou centaines de mètres.

Le "Front" était véritablement devenu un rempart infranchissable qui, de part et d'autre, protégeait les villes ainsi que les usines d'armements situées en leur centre, lesquelles pouvaient donc, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, continuer à produire tranquillement balles et obus, mitrailleuses et canons qui, une fois acheminés jusqu'au Front, hachaient ensuite des dizaines de milliers de pauvres types dans une sorte d'infernal mouvement perpétuel.

"Pourvu que l'Arrière tienne !", ironisaient les soldats de 14-18, abasourdis - pour ne pas dire scandalisés - de découvrir au fil d'une de leurs rares permission que la vie en ville n'avait pour ainsi dire pas varié depuis le début de la guerre. Les citadins devaient certes composer avec quelques restrictions ou pénuries, mais on les voyait toujours se rassembler au cinéma et au théâtre, se promener avec insouciance dans les squares et, s'ils étaient suffisamment fortunés, s'attabler dans les meilleurs restaurants et cabarets de la ville.

A cette époque, les tranchées de Verdun et les villes de Paris ou de Berlin étaient bien moins séparées par quelques centaines de kilomètres de prairies et de champs que par des années-lumières d'incompréhension mutuelle. Au delà des statistiques des pertes - par ailleurs souvent trafiquées - le citadin, tout à sa vie tranquille et bien réglée, était incapable de réaliser l'enfer et la réalité du Front alors que le combattant, lui, se persuadait que le monde entier n'était plus - et même se devait de ne plus être - qu'un gigantesque abattoir, ce qui le remplissait d'autant plus d'amertume lorsqu'il constatait que ce n'était pas le cas...

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