lundi 27 septembre 2004

568 - le mal aimé

... "paradoxal" est assurément le qualificatif qui convient le mieux au Bell P39 "Airacobra", méprisé dans son pays natal (les États-Unis), rejeté par le pays qui l'avait acheté (la Grande-Bretagne) mais grandement apprécié dans le pays où il échoua finalement (l'Union Soviétique)

A bien des égards, l'Airacobra était pourtant, en 1937, un appareil révolutionnaire: non seulement entièrement métallique et à train d'atterrissage tricycle, mais aussi équipé d'un moteur placé au centre du fuselage, ce qui avait libéré assez de place à l'avant pour y installer un canon de... 37mm, considéré comme l'arme absolue contre les bombardiers ennemis.

Sans blindage, privé d'armement mais nanti d'un turbocompresseur, le prototype atteignait 630 kms/h et grimpait à 6 000 mètres en moins de cinq minutes.

Hélas, considérant que leur pays n'avait aucune chance d'être attaqué par des bombardiers volant à haute altitude, les responsables américains renoncèrent au turbocompresseur, ce qui, une fois le blindage et l'armement installés, fit chuter la vitesse de 40 kms/h et condamna le pauvre Airacobra à mettre deux minutes de plus pour atteindre la même altitude.

De fait, les Britanniques qui, sur la foi des performances du prototype avaient commandé l'avion à 675 exemplaires en avril 1940, furent tout surpris - et carrément mortifiés - lorsqu'ils virent débarquer les versions de série en juillet 1941.

Jugeant leurs Airacobra totalement inadaptés à la guerre à l'Ouest, ils les cédèrent aux Russes, et c'est en Union Soviétique que le vilain canard de chez Bell fit l'essentiel de sa carrière, en y affrontant non pas les bombardiers ennemis à haute altitude - tâche pour laquelle il avait pourtant été dessiné - mais en y combattant les tanks et véhicules allemands au ras du sol (!)

Et les Russes se montrèrent si satisfaits de cet avion dont personne ne voulait qu'ils reçurent l'essentiel des versions ultérieures : sur les quelques 9 500 appareils construits, plus de 5 000 leur furent livrés.

Étonnant destin pour ce rejeton mal-aimé du capitalisme, qui devint enfant chéri du paradis des prolétaires...

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