
Aujourd'hui tombée dans l'oubli, cette mise en accusation correspondait à la volonté américaine, mise en avant par Murray Bernays dès septembre 1944, afin d'éviter la multiplication des procès individuels en se contentant de juger les "organisations" auxquelles les individus avaient appartenu.
Pour Bernays, qui tirait son argumentation des gangs criminels américains, "Il ne serait pas nécessaire d'accuser chacun de leurs membres, mais uniquement des "individus représentatifs". Une fois l'organisation jugée et condamnée, chaque membre pourrait être jugé en tant que complice d'un crime et avoir droit à un procès sommaire organisé par les Alliés".
Mais s'il était relativement facile de démontrer le caractère criminel de vulgaires gangs comme celui d'Al Capone, et de déduire la culpabilité individuelle de la simple appartenance à ces gangs, il en allait tout autrement pour les "organisations" nazies qui, à elles six, avaient hébergé plusieurs millions de personnes dans leurs rangs : la Waffen-SS - qui n'était qu'une des composantes de la SS - avait compté largement plus d'un million d'hommes (!)
Pour qu'une organisation soit reconnue "criminelle" au sens du Tribunal de Nuremberg, il fallait qu'elle ait clairement des "buts criminels", qu'elle constitue "un groupe dont les membres sont liés les uns aux autres et organisés en vue d'un but [criminel] commun", et enfin "que la formation du groupe ou son utilisation ait un rapport avec les crimes définis par le Statut [du Tribunal]. (1)
En pratique, si la SS, le parti nazi et la Gestapo furent bel et bien reconnues "organisations criminelles", le Tribunal arriva néanmoins à la conclusion que le simple fait de les déclarer "criminelles" ne pouvait suffire à lui seul à démontrer ensuite la culpabilité de chacun de leurs membres. Dans ses attendus, il souligna en effet que, dans la mesure où la criminalité des individus était déterminée par celle de "l'organisation" à laquelle ils avaient appartenu, il fallait néanmoins prouver, pour chaque individu, qu'il avait adhéré à cette organisation a) en pleine connaissance de ses buts, et b) sans contrainte aucune, ce qui, dans les faits, était quasiment impossible.
"Au total, l'accusation de criminalité pour les "organisations" fit long feu. Ainsi, souligne Bradley F Smith, "s'évanouit le grand rêve de voir expédier au gibet ou dans des camps de travaux forcés des milliers, voire des millions de nazis endurcis". On n'entreprit jamais de campagne systématique pour définir et répartir le blâme sur tous ceux qui étaient responsables des fléaux du nazisme" (2)
(1) Wieviorka, page 145
(2) ibid, page 149
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