dimanche 23 mars 2025

8233 - le début de l'escalade

Troupes japonaises en route vers Lang Son (Indochine), septembre 1940
… Indochine française, 22 septembre 1940

A l’été 1940, la défaite française en Europe a d’ailleurs vite offert au Japon l'occasion rêvée de s'emparer à peu de frais, le 22 septembre, du nord de l'Indochine française.

Washington a aussitôt protesté,… en interdisant notamment à ses industriels d'exporter vers le Japon de l'acier, des produits manufacturés et de l'essence pour avions.

C’est le début de l’escalade,… une escalade encore renforcée par la décision américaine, prise quelques mois auparavant, de déménager leur Flotte du Pacifique à Pearl Harbor.

Logique au point de vue militaire - les îles Hawaï sont bien plus proches des Philippines et du Japon que la côte ouest américaine - ce déménagement a néanmoins rencontré une vive opposition au sein de l’US Navy, qui l'a jugé inutilement risqué et, pour s’y être trop violemment objecté, l’amiral James Richardson, commandant-en-chef de la dite flotte, a d’ailleurs été démis de ses fonctions, et remplacé par Husband Kimmel.

Côté britannique, et bien que l’on suive avec une égale inquiétude l’évolution de la situation dans le Pacifique, le Cabinet de Winston Churchill (1), et Churchill lui-même, ne manifestent toutefois aucun désir d’expédier cuirassés et porte-avions à Singapour, ou même à Sydney,… comme le réclament pourtant Australiens et Néo-Zélandais depuis de nombreux mois.

Pire encore : alors que les Américains s’efforcent tant bien que mal, et avec leurs faibles moyens du moment, de renforcer leurs positions aux Philippines ou à Wake, les Britanniques ont plutôt tendance à dégarnir les leurs au profit de la défense de la Métropole et de la Méditerranée

(1) le 10 mai 1940, Winston Churchill, jusque-là Premier Lord de l’Amirauté, était devenu Premier Ministre suite à la démission de Neville Chamberlain

samedi 22 mars 2025

8232 - avant qu'il ne soit trop tard...

Emplacements des défenses de Singapour : de gros canons pour repousser une attaque navale...
… Mandchourie, 16 mai 1939

Avec trop peu de navires, des navires pas assez modernes,… mais aussi des navires que personne, pour des raisons autant de coût que de sécurité, n’entend stationner - si ce n’est pour de brèves visites de courtoisie - directement à Singapour, c-à-d fort près du Japon mais fort loin de la métropole, la survie de Singapour, mais aussi celle de Brunei, de Hong-Kong et de toutes les colonies et possessions britanniques d’Extrême-Orient en cas d’attaque japonaise repose donc en pratique sur l’intervention des cuirassés de la Flotte américaine du Pacifique et sur ceux que la Grande-Bretagne parviendra, de peine et de misère, à acheminer dans cette région du globe.

On a souvent dit de la Chute de Singapour qu’elle s’explique par l’impréparation et l’infatuation des militaires britanniques face à l’ennemi japonais - ce qui est vrai, du moins en partie - ou par le fait que les énormes canons installés sur l’île-forteresse ne peuvent tirer que vers la mer - ce qui est faux, du moins en partie - mais la véritable raison de cette chute, et aussi de celles, côté américain, de Bataan et de Corregidor, est ailleurs : tout au long des années 1920 puis 1930, personne, et pas plus à Londres qu’à Washington, n’a en effet imaginé  que tous les cuirassés américains puissent être mis hors de combat dès les premières minutes du conflit et, en conséquence, se retrouver bien incapables de porter secours à qui que soit !

Reste que dans le Pacifique, la menace ne cesse de croître : après avoir envahi la Mandchourie en 1931, puis s’être emparés de Pékin, Shanghai, Canton, et Nankin en 1937, les Japonais se sont finalement heurtés aux Soviétiques le 11 mai 1939, lors de l’incident dit "du Nomohan", à la frontière entre la Mongolie extérieure et leur nouvel État fantoche du Mandchoukouo.

Sporadiques mais violents, les affrontements ont duré quatre mois, et si l'Aviation japonaise est demeurée maîtresse du ciel, ce sont cependant les blindés soviétiques qui, au sol, ont fait toute la différence, et contraints le Japon à signer la paix le 16 septembre suivant.

Bloqués dans leur expansion vers le Nord par les Soviétiques, embourbés par l’immensité du territoire chinois, les Japonais ont alors tout naturellement reporté leurs espoirs d’expansion vers le Sud, c-à-d vers le Pacifique…

vendredi 21 mars 2025

8231 - une volonté d'endiguement

Le cuirassé japonais Fuso, en 1933, lors de sa reconstruction quasi-totale...
… rétrospectivement, cette stratégie britannique, que l’on pourrait qualifier d’endiguement, apparait certes quelque peu naïve, mais il importe de préciser que personne, à l’époque, n’imagine que les fortifications de Singapour, avec en particulier leurs énormes canons de 15, 9.2 et 6 pouces (380, 234 et 152mm) puissent être prises à revers par une opération terrestre venue de Malaisie,… et encore moins que la Flotte américaine du Pacifique puisse quant à elle être anéantie à son mouillage dès les premières minutes du conflit !

Qui plus est, alors que la Marine impériale japonaise, tout au long des années 1920 puis 1930, ne va cesser de moderniser ses navires existants, en les allongeant, en changeant leurs machines et en les hérissant de canons et de plaques de blindage supplémentaires afin de leur conférer "une aptitude maximale au combat", la Royal Navy, faute de réelle volonté mais aussi, et malheureusement, de budget (1), est fort loin de mettre autant d’ardeur dans la modernisation de sa flotte !

Le Hood, ultime et plus gros croiseur de bataille du monde, ne bénéficiera ainsi que de modifications cosmétiques entre sa mise en service en 1920, et sa tragique disparition du fait du cuirassé allemand Bismarck, vingt-et-un ans plus tard.

Le Repulse et, surtout, le Renown, seront mieux traités sur ce point,… sans pour autant que les améliorations dont ils feront l’objet puissent rivaliser avec celles entreprises sur les navires japonais.

Et ce qui est vrai pour les croiseurs de bataille l’est tout autant pour les cuirassés : deux des cinq Queen Elizabeth, ainsi que les cinq Revenge (2), pourtant plus récents, ne seront pour ainsi dire pas modifiés durant tout l’entre-deux-guerres, et entameront donc la 2ème G.M. quasiment dans la configuration qui était la leur lors de la 1ère !

La meilleure manière de perdre une bataille a toujours été de ne pas s'y préparer..

(1) sur les quelque deux milliards de livres consacrés à la Défense entre 1920 et 1934, la Royal Navy s’en accapara néanmoins 47% (contre 40 à l’Armée de Terre et 13% à la RAF), ce qui démontre bien l’ampleur du problème, et des coûts, des gros bâtiments de guerre…

(2) conçus dans l’urgence, les Revenge étaient pour l’essentiel une version simplifiée, mieux protégée mais plus lente et globalement moins efficace, des Queen Elizabeth précédents

jeudi 20 mars 2025

8230 - la stratégie d'Albion

Canon de 15" (380mm) à Singapour : l'illusion de la puissance...
… car dans le Pacifique, la véritable menace pour l’Empire britannique, ce ne sont pas les Américains, mais bien les Japonais qui, après avoir conquis la Corée et Port-Arthur (Chine) au début des années 1900, ont fait main basse sur la plupart des colonies allemandes du Pacifique, et notamment Rabaul, à l’occasion de la 1ère G.M., et ne font désormais même plus mystère de leurs (grandes) ambitions dans la région !

Et pour la Grande-Bretagne, et plus encore pour la Royal Navy, le péril japonais s’avère particulièrement difficile à appréhender !

Sur le papier, et même après le Traité de Washington, Albion domine encore largement en terme de navires de guerre avec, par exemple, 18 cuirassés contre seulement 10 au Japon, mais le problème, c’est qu’elle n’a d’autre choix que de les éparpiller sur toutes les mers du Monde et aux quatre coins de son vaste empire alors que le Japon, lui, peut concentrer l’intégralité de ses forces navales, mais aussi aériennes ou terrestres, dans le seul Océan Pacifique.

Dit autrement, pour l’emporter contre la Marine impériale japonaise dans un classique combat navire contre navire, la Royal Navy devrait disposer d’une flotte deux à trois fois plus grande qu’elle ne l’est, ce que les conditions financières, et à présent légales, interdisent absolument !

Tout au long des années 1920 puis 1930, les Britanniques, bien conscients de leur faiblesse, vont alors s’appuyer sur une stratégie qui, à défaut de briller par son incomparable génie, offre du moins l’avantage de la simplicité puisque reposant toute entière sur deux principes essentiels : les gros canons des batteries côtières, et en particulier ceux de l’île-forteresse de Singapour, d’une part, la Flotte américaine du Pacifique de l’autre.

Les premiers auront pour mission sinon de dissuader les Japonais, du moins d’en retarder la progression suffisamment longtemps pour permettre l’arrivée d’une flotte britannique de renfort prélevée sur les effectifs de l’Atlantique et/ou de la Méditerranée, et qui pourra ensuite opérer depuis Singapour-même ou, dans le pire des cas, depuis l’Australie.

Quant à la Flotte américaine du Pacifique, pour l’heure stationnée sur la côte californienne (1), sa participation aux côtés de la Grande-Bretagne semble garantie, puisque personne n’imagine en effet une Guerre du Pacifique qui se limiterait à un simple conflit Grande-Bretagne/Japon

Voilà pour la stratégie…

(1) la Flotte américaine du Pacifique demeura stationnée à San Pedro (à proximité de Los Angeles) jusqu’au printemps de 1940, lorsque la montée des tensions dans le Pacifique incita le gouvernement Roosevelt à la délocaliser à Pearl Harbor 

mercredi 19 mars 2025

8229 - séparés par davantage qu'une même langue

Le Colorado, en 1923 : 33 000 tonnes et 8 canons de 406mm...
 … les cuirassés des uns et des autres ne pourront de surcroit pas dépasser un tonnage maximum de 35 000 tonnes, et un calibre maximal de 16 pouces (406mm) pour l'artillerie.

Mais d’autres mesures de limitation sont également prévues pour les croiseurs (10 000 tonnes et 8 pouces - 203mm - au maximum) ainsi que pour ces nouveaux-venus que sont les porte-avions, dont le rôle et le véritable potentiel restent encore à ce point énigmatiques qu’ils se voient carrément autorisés à emporter eux aussi des canons d'un calibre allant jusqu’à 8 pouces,... soit équivalant à celui des croiseurs !

Malgré ses défauts, et les innombrables récriminations dont il va rapidement faire l’objet, le Traité de Washington est le premier exemple réussi d’accord de limitation des armements entre grandes puissances, puisqu’il va bel et bien stopper la course à la surenchère pendant plus d’une décennie.

Toutefois, si les contribuables ont toutes les raisons de se réjouir du dit accord, les amiraux et les milieux nationalistes ne peuvent en revanche s'empêcher de faire triste mine, et c’est particulièrement vrai chez les Japonais qui, en ces années 1920 où le prestige des Nations se calcule encore au nombre et la taille des cuirassés et de leurs canons, jugent proprement humiliant d’avoir à se contenter de 10 cuirassés ou croiseurs de bataille quand Britanniques et Américains sont autorisés à en posséder 18 !

Et c’est aussi le cas chez les Britanniques qui, dès 1927, et pour la première fois, vont en effet devoir partager le trône à égalité avec les Américains, lesquels, s’il faut du moins en croire George Bernard Shaw, sont certes des cousins "séparés par une même langue" (1), mais aussi, et de plus en plus, des rivaux particulièrement dans ce Pacifique qu’ils en sont venus à considérer comme une véritable Mare Americana où les Britanniques sont désormais de trop.

Pour les responsables de la Royal Navy, et pour le gouvernement de Sa Gracieuse Majesté, les Américains, bien que fort déplaisants, sont cependant loin de représenter la menace la plus grave pour l'Empire...

(1) "The English and the Americans are two peoples divided by a common language"


mardi 18 mars 2025

8228 - l'inflation galopante

Le Nagato, en 1924 : symbole des nouvelles ambitions japonaises...
… Washington, 06 février 1921.

Mais pour bien comprendre autant cette spectaculaire résurrection que son inévitable et presque immédiat crépuscule, il importe, comme toujours, de revenir plusieurs années en arrière, et plus précisément au lendemain d’une 1ère G.M. qui, un peu partout dans le monde, a vu une incroyable augmentation non seulement du tonnage mais aussi du nombre et, inévitablement, du coût, des cuirassés en service.

Si le Dreadnought britannique - premier cuirassé moderne - pouvait, avec ses 18 000 tonnes et ses dix canons de 305mm, passer pour un monstre à son lancement en 1906, il fait à présent figure de nain face aux américains Colorado ou japonais Nagato, qui avouent 33 000 tonnes et 8 canons de 406 ou 410mm, et rien, pas même la fin de la "dernière des guerres", ne semble vouloir mettre un terme à cette inflation constamment alimentée par la volonté des amiraux de disposer de davantage de navires, de plus gros navires, et de plus gros canons, que leurs rivaux étrangers.

En 1921, néanmoins soucieux de mettre un terme à cette surenchère qui menace d’engloutir les économies du monde entier, le Président américain Warren G. Harding a convoqué à Washington une grande conférence visant à réduire les ambitions navales des uns et des autres,… à commencer bien sûr par celles des États-Unis eux-mêmes qui, l’année précédente, proclamaient encore leur volonté de bâtir une gigantesque flotte de combat "qui ne soit dépassée par personne dans le monde"

Le 06 février 1922, après de longues et pénibles tractations au cours desquelles les Américains ont - déjà - scandaleusement espionné les délégations invitées (!), un compromis a finalement été trouvé : les Britanniques pourront conserver 22 cuirassés ou croiseurs de bataille (1) jusqu’en 1927, puis devront se contenter de ne plus en avoir que 18, soit le même nombre que les Américains, tandis que les Japonais, les Italiens et les Français seront quant à eux limités à 10 chacun, ce qui - on s’en doute - ne va pas manquer d’alimenter les rancoeurs dans les années à venir…

(1) apparu peu après le premier Dreadnought, le croiseur de bataille dispose du même armement qu'un cuirassé, auquel il ressemble d'ailleurs à s'y méprendre, mais troque une partie du blindage de ce dernier au profit de machines plus puissantes, lui conférant une vitesse supérieure  

lundi 17 mars 2025

8227 - Le Crépuscule de l'Empire

Le cuirassé Prince of Wales en train de couler... à l'image de tout l'Empire britannique
… dans la mémoire collective, la Guerre du Pacifique est une longue série de sanglants affrontements navals, terrestres et aériens entre le Japon d’une part, et les États-Unis de l’autre.

Bien qu’également présents en nombre, les Australiens, les Néo-Zélandais, les Néerlandais, les Indiens, ou encore les Français, les Philippins ou les Canadiens (!) sont quasiment absents du récit car systématiquement relégués à des Fronts le plus souvent qualifiés, et au mieux, de "secondaires", et de toute manière contraints, ne serait- ce que pour des raisons de basse logistique, de n’opérer que dans l’ombre et sous la tutelle permanente d’Américains fort peu soucieux de leur concéder le moindre rôle et surtout la moindre parcelle de gloire.

Et ainsi en est-il également des Britanniques, pour ainsi dire complètement chassés de la région après la Chute de Singapour, et qui vont mettre des mois, et en vérité plus de deux ans, avant d’y faire une timide réapparition qui demeurera néanmoins elle aussi constamment tributaire de la bonne, et plus souvent de la mauvaise, volonté américaine.

Et ainsi en est-il en particulier de leur composante navale, l’Eastern Fleet qui, proprement ridiculisée après la désastreuse affaire de Kuantan, où elle avait perdu ses deux plus grosses unités en moins de deux heures, sera d’abord contrainte de se replier sur Ceylan, prélude à une très humiliante retraite qui ne s’achèvera finalement qu’au Kenya (!), où les navires survivants, après y avoir rouillé inutilement pendant des semaines, ne retrouveront un semblant d’utilité militaire qu’en s’en prenant… à la colonie française de Madagascar, demeurée fidèle à Vichy !

Et il s’écoulera ensuite deux ans avant que les navires de guerre britanniques reparaissent dans le Pacifique au sein d’une nouvelle British Pacific Fleet (BPF) qui, dans un rôle toutefois subalterne, participera certes à la victoire contre le Japon, mais verra également le soleil jeter ses derniers feux sur l’Empire britannique tout entier

C’est à cette histoire, largement et fort injustement méconnue, que je vous convie au cours des prochaines semaines…