jeudi 27 novembre 2025

9102 - l'exaspération

"Je n'attendrai pas très longtemps !", caricature américaine, 14 aout 1945

… Tokyo, 14 août 1945

A Tokyo, pendant ce temps-là, confusion et tergiversations règnent toujours en maître, et le silence officiel des autorités nippones, lié à l’incapacité de ses responsables politiques et militaires à se mettre d’accord, a évidemment le don d’exaspérer au plus haut point les Américains !

"Ces journées de négociations avec un ennemi haï et vaincu ont mis à rude épreuve la patience du public", souligne l'ambassadeur britannique à Washington (…) "L’homme de la rue semble plus désireux que jamais d'entendre parler de l'amiral Halsey chevauchant le cheval blanc d'Hirohito, comme il s’est vanté de le faire, plutôt que d'écouter d’autres explications sur les problèmes de l’administration japonaise soumise au bombardement aérien" (1)

Peut-être pour hâter les choses, et comme ils l’avaient déjà fait le 8 septembre 1943 face aux tergiversations italiennes pour rendre public l’Armistice de Cassibile pourtant signé cinq jours plus tôt (2), les Américains décident alors de passer à l’action.

"Le matin du 14 août, au palais impérial, Kido (3) fut réveillé par un assistant qui lui tendit un tract, l'un des centaines de milliers de tracts largués sur Tokyo la nuit précédente par des B-29, et qui reprenait le texte de la lettre de l'Empereur du 10 août acceptant Potsdam ainsi que la réponse de Byrnes.

Aucun des deux documents n'avait jusqu'alors été vu par le public japonais. Kido expliqua à Hirohito qu'il craignait que ce bombardement de propagande ne précipite l'action des putschistes, et proposa donc d'organiser de toute urgence une réunion extraordinaire des vingt-trois membres du Cabinet et du Conseil suprême pour la direction de la Guerre, au cours de laquelle l'empereur annoncerait sa décision d'accepter la note de Byrnes" (4)

(1) et (4) Hastings, op cit

(2) Saviez-vous que… La Bataille d'Italie

(3) le marquis Kōichi Kido était le Gardien du Sceau privé de l’Empereur, et son plus proche conseiller

mercredi 26 novembre 2025

9101 - un bonheur ne vient jamais seul

Seafire sur le pont de l'Indefatigable

… côtes du Honshu, 11 aout 1945, 17h00

Et la météo, justement, n’autorise aucune nouvelle frappe pour le lendemain, le 11 aout, ce qui, côté britannique, permet au moins d’économiser du carburant.

A 17h00, un bonheur ne venant jamais seul, les dits Britanniques apprennent également que les Américains, malgré tout optimistes quant à l’issue des tractations avec le Japon, autorisent à présent la British Pacific Fleet à participer à la future occupation navale de l’archipel, une participation certes réduite au porte-avions Indefatigable, au cuirassé King George V, aux croiseurs Newfoundland et Gambia, et à une dizaine de destroyers, mais une participation qui, rappelons-nous, n’était nullement acquise lorsque Churchill avait mis la BPF à la disposition des États-Unis au début de 1945, et une participation dont le caractère limité offre de surcroit l'avantage d’économiser à nouveau de nombreuses tonnes de mazout !

Le 12, tel que prévu, l’essentiel de la BPF, et en particulier les porte-avions Formidable, Victorious et Implacable, remettent donc le cap vers Manus et, au-delà, vers l’Australie, mais le lendemain, les Japonais n’ayant toujours pas officiellement accepté la fameuse Capitulation "sans condition" qu’on exige d’eux, Halsey, à bon droit, s’estime autorisé à repartir à l’attaque.

"Le 13, la Task Force 38 attaqua à nouveau des aérodromes dans la plaine de Tokyo et revendiqua la destruction de 307 appareils ennemis. L'Indefatigable, désormais seul porte-avions du Commonwealth, effectua pour sa part une frappe matinale contre une usine chimique à Onagawa. La seconde frappe, dans l'après-midi, trouva les cibles cachées par les nuages et fut en conséquence annulée" (1)

Le lendemain, 14 aout, ce qui reste de la BPF se ravitaille auprès de pétroliers américains en prévision des frappes du 15, qui seront aussi les dernières de la guerre…

(1) Winton, op cit, page 443

mardi 25 novembre 2025

9100 - "au cas où"...

Truman, ou comment maintenir le cap défini depuis des années par Roosevelt...

… autre signe de bonne volonté, les Américains, à la demande expresse des Britanniques, renoncent également à leur exigence de voir l’Empereur signer en personne l’Acte officiel de Capitulation,... épargnant ainsi une considérable humiliation à Sa Divine Majesté.

Enfin, et peut-être plus significativement, Truman lui-même donne l’ordre formel de ne plus utiliser de nouvelles bombes atomiques sur le Japon sans son autorisation expresse, alors que, rappelons-nous, l’USAAF était autorisée, depuis le 25 juillet, à lancer tout ce qu’elle voulait au moment où elle le voulait sur le territoire nippon,… sous la seule réserve de la disponibilité des bombes elles-mêmes !

Il faut dire qu’aux USA comme partout ailleurs, l’enthousiasme pour le soufflé - ou plutôt le champignon - atomique a commencé à retomber à mesure que chacun prenait conscience de l’énormité des destructions et des pertes humaines provoquées par la Bombe, ainsi que des conséquences potentielles de celle-ci sur le devenir-même de l’Humanité !

Reste "qu’au cas où", ordre est néanmoins donné de préparer de nouvelles bombes atomiques, la troisième devant être disponible à partir du 19 août.

Mais s’il n’est, pour l’heure, plus question d’en utiliser une directement contre le Japon, Truman entend néanmoins maintenir les responsables japonais sous pression, ce pourquoi refuse-t-il toutes les demandes d’arrêter également les bombardements conventionnels : entre le 10 et le 14 août, les B-29 vont ainsi déverser quelques milliers de tonnes de bombes supplémentaires sur les villes japonaises,... et y tuer quelques milliers de personnes de plus.

Et au large des côtes japonaises, la 3ème Flotte et la British Pacific Fleet vont quant à elles continuer leurs frappes comme si de rien n’était avec, pour seules limites, celles des munitions et du carburant disponibles.

Mais aussi les humeurs de la météo…

lundi 24 novembre 2025

9099 - Oui,... mais plutôt non

MacArthur et Hirohito, en septembre 1945 : quand les USA écrasent physiquement le Japon...

... car à Washington, la réponse pour le moins alambiquée du gouvernement japonais à la Déclaration de Potsdam, ou plus exactement l'exigence d'une "condition impériale", a suscité bien plus de colère que de satisfaction !

Ces perfides Japonais, pense-t-on, ne cherchent une fois de plus qu’à gagner du temps et n’ont décidément toujours rien compris à la signification, peut-être trop occidentale pour eux, d’une Capitulation… "sans condition" !

Pour autant, au Département d’État, et plus encore, à des milliers de km de là, au Foreign Office britannique, chacun comprend les difficultés que rencontrent en ce moment les modérés japonais,… et aussi qu’il ne serait finalement profitable à personne de renforcer le camp des ultras qui, s’ils venaient à l’emporter pour de bon à Tokyo, contraindraient alors les États-Unis soit à débarquer en force au Japon, soit à lancer une campagne de bombardement nucléaire massive, qui se traduirait par le génocide de toute la population japonaise,… deux perspectives aussi peu enthousiasmantes l’une que l’autre.

Reste qu’en acceptant cette "condition impériale" réclamée par le gouvernement Suzuki, on reviendrait bel et bien sur l’exigence d'une Capitulation… "sans condition" qui depuis deux ans constitue le fondement-même de la politique américaine, et qu’on donnerait aussi aux Japonais l'impression qu’ils sont, jusqu’au bout, demeurés maîtres de leur Destin !

Alors, dans l’après-midi du 10 août, le Président Truman se décide à endosser une note de compromis rédigée par le Secrétaire d’État James Francis Byrnes, laquelle stipule "qu'à partir du moment de la capitulation, l'autorité de l’Empereur et du gouvernement japonais pour gouverner l'État sera soumise au Commandant suprême des puissances alliées" - autrement dit au général MacArthur - et aussi que "la forme ultime de gouvernement du Japon sera établie par la volonté librement exprimée du peuple japonais lui-même". 

dimanche 23 novembre 2025

9098 - La guerre est donc terminée ?

Bâtiments de l'aérodrome de Tokishuma, attaqués par des avions de la BPF

… côtes du Honshu, 10 aout 1945, 21h00

Quelques heures plus tard, et à quelques centaines de km de là, Britanniques et Américains se remettent quant à eux à la besogne

"Le 10 août fut une autre journée fructueuse, avec 372 sorties aériennes et des frappes contre des navires à Okkaichi et Onagawa Wan, ainsi que sur les aérodromes de Masuda, Matsushima et Koriyama. 

Les artilleurs antiaériens japonais furent efficaces jusqu'au bout ; un Corsair, un Avenger et deux Firefly furent détruits lors d'une frappe combinée à Koriyama. 

Le bilan de la journée s'établit à seize avions ennemis détruits et trente et un endommagés ; deux destroyers, deux navires d'escorte, divers autres navires, des locomotives, du matériel roulant et des installations aéroportuaires furent également endommagés. 

La dernière frappe eut lieu à 18h00 et les flottes se retirèrent" (1)

A 21h00, une nouvelle sensationnelle se propage sur le King George V : selon une agence de Presse nippone, le Japon a accepté les termes de la Déclaration de Potsdam !

La guerre est donc terminée ? 

Oui,… mais plutôt non

(1) Winton, op cit, page 436

samedi 22 novembre 2025

9097 - où l'on repart pour un tour de manège

Hirohito, sur le pont du cuirassé Musashi, en 1943 : une constante complicité avec l'Armée

… Tokyo, 10 août 1945

L’Empereur-Dieu parti, tous les participants à la Conférence, en ce compris les militaires, signent alors un document présenté par Togo et approuvant la décision impériale.

Mais alors que l’horizon semble enfin s’éclaircir, les représentants militaires s’empressent toutefois d’introduire un amendement, qui accepte la Déclaration de Potsdam "sous réserve que la déclaration alliée ne comporte aucune exigence qui porterait atteinte aux prérogatives de Sa Majesté en tant que Suzerain".

On est donc bel et bien reparti pour un nouveau tour de manège,… puisque le caractère hautement alambiqué de cette formulation ne manquera pas de faire bondir les Américains, tant il se prête à une multitudes d’interprétations possibles !

Dans le même temps, et au propre comme au figuré, les ultras parmi les ultras fourbissent leurs armes et ourdissent carrément un Coup d’État, qui se traduirait par l’arrestation et l’assassinat de tous les politiciens favorables à Potsdam, la création d’un nouveau gouvernement décidé à poursuivre la guerre jusqu’au bout, fut-ce au prix d’un Holocauste général, et, si nécessaire, la destitution de l’Empereur lui-même !

Chacun retient son souffle et attend à présent une réponse des Alliés, ou plus exactement une réponse des Américains, puisque ce sont les seuls qui, depuis le début, dictent le tempo

vendredi 21 novembre 2025

9096 - supporter l'insupportable

Hirohito, passant l'armée en revue sur son cheval blanc, en 1938

… Tokyo, Palais impérial, 9 août 1945, 23h50

Peu avant minuit, dans l’abri antiaérien du Palais impérial, une conférence extraordinaire a quant à elle été convoquée par l’Empereur-Dieu. 

En principe décisive, cette conférence débute par la lecture du texte de la Déclaration de Potsdam mais, comme c’est le cas depuis des semaines, les uns et les autres sont encore loin de s’accorder sur la réponse à lui donner !

Togo, Ministre des Affaires étrangères, se déclare ainsi prêt à l’accepter… à condition qu’une clause soit introduite garantissant le statut actuel de l’Empereur, tandis qu’Anami, Ministre de la Guerre, continue de prêcher la résistance à outrance.

A 02h00, voyant que l’on ne fait une fois de plus que tourner en rond, le Premier Ministre Suzuki se lève soudainement, s’incline devant l’Empereur, et lui demande tout de go d’exprimer sa volonté

Hirohito, toujours assis à la table, se penche en avant et dit alors : "Je vais exprimer mon opinion. C'est la même que celle du Ministre des affaires étrangères. Il faut supporter l'insupportable", avant de poursuivre par une critique à peine voilée de l’Armée pour ne pas avoir tenu, depuis 1941, ses promesses envers la Nation.

Le Premier Ministre Suzuki prend alors la parole : "Nous avons entendu votre auguste Pensée", lui dit-il avant que Hirohito, qui a dit tout ce qu’il avait à dire, se décide à quitter la pièce sous les courbettes obligées de toute l’assistance…