dimanche 14 décembre 2025

9119 - quand les grilles s'ouvrent...

Prisonniers de guerre, après leur libération

"Les équipages des destroyers avaient été formellement avertis de ne pas "harceler" leurs passagers afin de leur arracher des "récits d'atrocité".

Mais les marins comprirent rapidement que le problème n'était pas de convaincre un rescapé de parler de ses expériences personnelles, mais bien de l'en empêcher. 

Après des années d'humiliations, de mauvais traitements, de quasi-famine, de travail forcé et de maladie, les dits passagers mouraient d'envie de se confier. 

L'atmosphère claustrophobe et repliée sur soi des camps, les châtiments cruels, le souvenir d'amis morts de maladie ou exécutés… tout cela avait contribué à les rendre introspectifs

Mais une fois les grilles ouvertes, les souvenirs avaient afflué et les hommes racontaient la même histoire encore et encore, à qui voulait bien les écouter, ou faire semblant de les écouter" (1)

A la fin du mois de septembre, la quasi-totalité des prisonniers de guerre alliés présents au Japon, soit plus de 24 000 hommes, auront toutefois été évacués autant par les navires de la 3ème Flotte que par ceux de la British Pacific Fleet dont les équipages, pourtant, sont encore loin de pouvoir rentrer au pays.

Car parallèlement à la recherche et au rapatriement des prisonniers de guerre, une autre mission, au moins aussi importante, s’est immédiatement imposée aux autorités britanniques…

… la reconquête des colonies perdues

(1) ibid, page 463

samedi 13 décembre 2025

9118 - "une des scènes les plus émouvantes de la guerre"

Survivants du camp de prisonniers d'Omori, 29 aout 1945

… Tokyo, 3 septembre 1945

"Le premier navire de guerre britannique à embarquer des prisonniers de guerre fut le [porte-avions d’escorte] Speaker, qui appareilla pour Manille le 3 septembre avec 473 hommes du Commonwealth à bord. 

Le capitaine James avait reçu l'ordre de passer près des plus gros navires, mais lorsqu'il vit les ponts de chaque navire bondés d'hommes, tous débordant d'enthousiasme, il sortit le Speaker de la Baie par "un chemin des plus tortueux". Le départ du Speaker de la Baie de Tokyo fut l'une des scènes les plus émouvantes de la guerre. 

"Alors qu'il franchissait le mouillage britannique, les équipages de tous les navires britanniques lui firent un adieu inoubliable. La vue de ce petit porte-avions, avec son équipage prêt à quitter le port conformément aux usages navals, mais avec, en plus, ces centaines d'anciens prisonniers de guerre alignés sur le pont d'envol, acclamant comme des fous et se faisant acclamer, me fit monter les larmes aux yeux et me fit réaliser ce que la présence de la grande flotte dans la Baie de Tokyo signifiait pour ces hommes" 

(…) Dans certains cas, l'évacuation par voie maritime était la plus facile à organiser. Le Newfoundland, le Gambia et plusieurs destroyers furent chargés de kits de survie, de couvertures, de lits, de cantines, de couverts, de cigarettes, de chocolat et de nourriture provenant d'autres navires de la flotte (…) Ces navires furent affectés au [Task Group] TG 30.6 et naviguèrent vers divers ports japonais afin d’embarquer des passagers et les ramener dans la Baie de Tokyo.

(…) Les destroyers arrivaient souvent dans la Baie de Tokyo au crépuscule, alors que le soleil se couchait derrière la montagne sacrée du Fuji Yama. "Mais c’était une image différente des habituelles estampes japonaises. C’était une scène qui, par certains aspects, rappelait plutôt Dunkerque : des destroyers transportant des centaines de passagers vêtus de toutes sortes de vêtements, entassés sur les ponts supérieurs et recevant les acclamations tumultueuses de tous les navires de Sa Majesté alors qu'ils entraient dans le port intérieur de Yokohama où se trouvaient les navires-hôpitaux" 

(1) ibid, pages 459 à 462

vendredi 12 décembre 2025

9117 - la quille n'est pas pour tout de suite...

Le King George V, en Baie de Tokyo. Le Missouri et un porte-avions non identifié à l'arrière-plan

… à l’exception d’une poignée d’officiers supérieurs directement invités sur le Missouri, les hommes de la British Pacific Fleet n’ont cependant pu apercevoir la Cérémonie de Capitulation que de très loin et se sont même contentés, pour la plupart de la suivre à la radio.

Mais au moins, voilà, c’est fait : la guerre est officiellement terminée ! Et puisqu’elle est officiellement terminée, pourrait-on enfin rentrer au pays et, pour beaucoup, goûter aux joies, mais aussi aux incertitudes, de "la quille", c-à-d de la démobilisation et du retour à la vie civile ?

Et bien non : "la quille" n’est pas encore pour tout de suite !

Car il faut d’abord retrouver, dénombrer, regrouper, soigner, et finalement rapatrier par mer les milliers de Britanniques et membres du Commonwealth prisonniers, depuis parfois plusieurs années, de camps japonais disséminés dans tout l’archipel !

"La récupération et le rapatriement se déroulèrent par étapes : découverte aérienne des camps et parachutage immédiat de vivres et de fournitures médicales; contact au sol entre le personnel allié et les camps; transport des anciens prisonniers de guerre vers Yokohama par route, rail, mer et air; identification, tri et "traitement" des prisonniers de guerre et des internés; évacuation par voie aérienne, ou parfois maritime, du Japon vers des centres de réadaptation à Manille; rapatriement des prisonniers de guerre et des internés dans leur pays d’origine s’ils le souhaitaient - tous les internés ne souhaitant en effet pas être rapatriés. 

Très peu de camps japonais étaient connus de la Croix-Rouge internationale. Beaucoup furent identifiés depuis les airs par des avions de l’USAAF et par des appareils de la 3ème Flotte, dont l’Indefatigable et ses destroyers d’escorte, demeurés en mer afin de prévenir une trahison japonaise de dernière minute. 

Plusieurs camps non enregistrés furent découverts par la 3ème Flotte, et celui d’Okkaichi le fut par les appareils de l’Indefatigable" (1)

(1) Winton, op cit. page 459 

jeudi 11 décembre 2025

9116 - "La séance est levée !"

MacArthur, signant l'Acte de Capitulation avec, derrière lui, les généraux Wainwright et Percival

… USS Missouri, Baie de Tokyo, 02 septembre 1945, 09h25

La Cérémonie de Capitulation japonaise, nous l’avons dit, est un show à l’américaine, et même une one-man-show dirigé de main de maître par le grand Douglas MacArthur en personne

Mais c’est du moins un show qui a le mérite de ne pas étirer inutilement la sauce, puisqu’il ne va finalement durer que trente-trois minutes !

Trente-trois minutes pour clore une guerre mondiale qui aura fait plus de 50 millions de morts.

Son discours terminé par un fort sobre et encore plus bref "La séance est levée !", le Grand Homme se tourne alors vers Halsey.

"Faites les démarrer maintenant !"

Et au signal de Halsey, des centaines d’appareils – ils seront plus de deux mille au total – commencent à défiler au-dessus du Missouri mais aussi et surtout au-dessus des citoyens de Tokyo qui ne peuvent, une fois de plus, que constater l’ampleur de leur défaite et la toute-puissance de leurs vainqueurs.

La Seconde Guerre Mondiale est officiellement terminée, mais l’Asie est encore loin d’en avoir fini avec les dits vainqueurs…

mercredi 10 décembre 2025

9115 - une cérémonie bien réglée

La délégation nippone, menée par le ministre Shigemitsu et le général Umezu

… USS Missouri, Baie de Tokyo, 02 septembre 1945, 09h00

En Grand Seigneur, ou peut-être pour se faire pardonner de prendre toute la place, MacArthur a néanmoins pris soin d’offrir cadeaux et places d’honneur à ceux qui furent ses camarades de combat mais surtout ses rivaux,... à commencer bien sûr par l'amiral Nimitz qui, en plus de se retrouver cosignataire de l’Acte officiel de la Capitulation, aura ainsi au moins eu la satisfaction de voir la cérémonie organisée non point à Terre mais sur un bâtiment de la Navy.

On a les victoire qu’on peut...

Mais en plus de Nimitz, le Grand Homme a également pris soin d’inclure un représentant de chacun des pays alliés impliqué dans le conflit, ce qui peut se comprendre dans le cas des Britanniques, des Australiens, des Néo-Zélandais, des Chinois ou des Hollandais, mais surprend davantage dans le cas des Canadiens, des Français et, plus encore, des Soviétiques qui, rappelons-le, ne sont entrés en guerre qu’au lendemain d’Hiroshima, et dans le seul but de se tailler à bon compte une plantureuse part de gâteau.

Pour signer les documents, les délégués disposent de six stylos, bien évidemment choisis par MacArthur lui-même, et tous noirs à l’exception d’un seul,… que sa femme recevra en cadeau après la cérémonie.

Il n'y a pas de petits profits...

Un des cinq stylos noirs sera remis – délicate attention - à Jonathan Wainwright – le vaincu américain de Corregidor – et un autre à Arthur Percival – le vaincu britannique de Singapour, tous deux récemment libérés de captivité

Bien que leur présence soit évidemment obligatoire (!), les délégués japonais, menés par le Ministre des Affaires étrangères Mamoru Shigemitsu et le Chef d'État-major de l'Armée Yoshijiro Umezu, ne constituent en définitive que de simples éléments décoratifs, que les marins du Missouri, agglutinés sur toutes les passerelles, photographient d’ailleurs sous toutes les coutures, s’esclaffant parfois de les découvrir si petits ou alors si guindés, en redingote et haut-de-forme…

mardi 9 décembre 2025

9114 - l'arrivée du Maître de Cérémonie

Marins et officiers américains, contemplant la Cérémonie de Capitulation japonaise

… USS Missouri, Baie de Tokyo, 02 septembre 1945, 08h43

Dès l’aube, et signe que la méfiance n’a toujours pas totalement disparu, des Marines ont été postés un peu partout sur le cuirassé, et des vedettes à moteur déployées de part et d’autre de la coque, histoire de parer une éventuelle attaque de… plongeurs-suicide.

Par petits groupes, correspondants de guerre, photographes et, bien entendu dignitaires américains et étrangers, commencent à se présenter à l’échelle de coupée.

Sur la terre ferme, les spectateurs japonais ne peuvent que se montrer fascinés non seulement par la puissance du Missouri mais aussi, et surtout… par les quelque 250 navires de guerre, dont quelques-uns britanniques, éparpillés derrière lui.

A 08h43, c’est le Maître de Cérémonie lui-même, Douglas MacArthur, rentré de Manille le 30 aout, qui fait son entrée en scène, saluant ici et serrant des mains là-bas, avant de brièvement s’isoler avec Halsey dans la cabine de ce dernier.  

Trois jours auparavant, le Grand Homme a officiellement été nommé Supreme Commander of the Allied Powers (SCAP), chargé de diriger l’Occupation du territoire japonais et d’en réformer les institutions, deux tâches qu’il est bien décidé à mener jusqu’au bout,… même si un de ses premiers gestes a été d'ordonner à la police militaire américaine d’arrêter tout soldat américain simplement surpris à offrir des cigarettes à un Japonais.

Ou plus probablement à une Japonaise...

lundi 8 décembre 2025

9113 - A la guerre, tout est affaire de symboles…

MacArthur, ouvrant la Cérémonie de Capitulation. Notez le drapeau du Commodore Perry de 1853 à l'arrière-plam

… en apprenant que "sa" 3ème Flotte et "son" cuirassé Missouri avaient été choisis pour héberger la cérémonie officielle de Capitulation, Halsey a aussitôt contacté le Musée de l’Académie navale d’Annapolis pour que lui soit envoyé... le drapeau américain arboré par le commodore Matthew Perry lorsque celui-ci s’était présenté, le 8 juillet 1853, en cette même Baie de Tokyo, avec la frégate Powhatan, afin de forcer le gouvernement japonais de l’époque d’ouvrir ses ports aux navires de commerce américains !

Et ce drapeau, acheminé avec son cadre par avion spécial (!), s’est immédiatement et très ostensiblement vu accroché sur une des parois du pont où se tiendra la cérémonie, sur le tribord avant du cuirassé.

A la guerre, tout est affaire de symboles…

Parlant de symboles, le commandant-en-chef de la British Pacific Fleet, Sir Bruce Fraser, venu tout spécialement en compagnie du cuirassé Duke of York, a tenu à y aller avec le sien : puisqu’il faudra bien que les documents soient signés sur une table, autant que cette table soit britannique, en acajou ouvragé, et provenant de surcroit d’un autre cuirassé britannique ayant participé celui-là à cette glorieuse Bataille du Jutland de 1916... sur laquelle nous reviendrons bientôt.

Transbordée sur le Missouri, la dite table fait effectivement l’admiration de tous,... jusqu’à ce qu’on se rende compte, juste avant le début de la cérémonie, qu’elle sera... trop petite pour accueillir tous les documents nécessaires !

Panique à bord ! Chacun se précipite dans les entrailles du navire à la recherche d’un substitut plus grand, que l’on déniche finalement dans le mess de l’équipage et que l’on s’empresse de revêtir d’un drap vert, histoire de cacher autant que possible ses origines par trop prolétaires…