mardi 23 décembre 2025

9128 - telle la cigale après avoir chanté tout l’été...

4 juillet 1946 : après un demi-siècle, le drapeau américain est amené. Les Philippines sont indépendantes...
… "L’un des principaux objectifs de guerre du Japon avait été d'affaiblir, puis d'éliminer, l'influence coloniale européenne en Extrême-Orient. Paradoxalement, cet objectif fut atteint, malgré la défaite du Japon lui-même. 

Après la défaite du Japon, une vague irrésistible de nationalisme, souvent d'inspiration et de contrôle communistes, déferla en effet sur toute l'Asie. Le modèle d'avant-guerre du continent s'effondra sous la pression des
changements politiques et des guerres civiles" (1)

Car telle la cigale après avoir chanté tout l’été, les Européens, après avoir dépensé tous leurs moyens durant la guerre, n’ont à présent plus la force matérielle, politique, mais aussi morale de récupérer leurs colonies du sud-est asiatique puis de s’y maintenir !

Cette admission, malheureusement, est loin d’être immédiate et, en quantités d’endroits, va donner lieu à des affrontements sanglants qui, dans certains cas, vont même durer des années mais se solderont, dans tous les cas, par le départ humiliant des puissances coloniales, et l’Indépendance des pays colonisés.

Sans surprise, puisque prévu depuis bien avant la guerre, le premier domino à tomber n’est autre que les Philippines.

Colonisé par les Espagnols à partir de 1565, devenu américain en 1898 après la Guerre hispano-américaine, le territoire a accédé, le 15 novembre 1935, au statut de Commonwealth des Philippines, toujours contrôlé par les Américains, mais possédant déjà son Président et ses propres institutions, et devant accéder à l’Indépendance complète après 10 ans, Indépendance finalement proclamée par les États-Unis eux-mêmes le 4 juillet 1946, soit moins d'un an après la Capitulation japonaise...

Et de un…

(1) Winton, op cit, page 495

lundi 22 décembre 2025

9127 - mais ceci fait...

Hisser du drapeau britannique, à Singapour : la volonté de faire comme si rien ne s'était passé...

… l’ampleur de ces différents rapatriements va, à l’évidence, exiger des mois d’efforts et mobiliser des milliers d’hommes et aussi des dizaines et même des centaines de navires, parmi lesquels figureront d’ailleurs des navires de guerre japonais désarmés, dont le désormais fameux et indestructible destroyer Kamikaze.

Mais ceci fait, et autant du côté britannique, hollandais, ou français, comment justifier ensuite le maintien des uns et des autres au profit des colonies d’avant-guerre ? 

Comment justifier la présence de dizaines de porte-avions, de cuirassés, de croiseurs, de destroyers aux coûts d’opération et d’entretien vertigineux et qui n’ont de toute manière plus aucune armée ennemie à affronter ?

Comment, surtout, justifier celle de milliers de conscrits à qui on a simplement demandé de combattre les Japonais et qui, ces derniers à présent vaincus, ont toutes les raisons de vouloir rentrer chez eux le plus vite possible… et aucune de vouloir demeurer en Asie du Sud-Est pour aider au rétablissement des colonies ?

Et au pays, l’opinion publique est bien du même avis : maintenant que la guerre est finie, et les prisonniers de guerre sauvés et sur le chemin du retour, pourrait-on SVP ramener les boys au pays ?

Et pourrait-on aussi, si ce n'est pas trop demander, se préoccuper du quotidien au pays, c-à-d des montagnes de ruines à déblayer, des milliers d’usines et d’habitations à reconstruire, de l’Économie à rebâtir, ou encore de ces maudits tickets de rationnement qui continuent d’empoisonner la vie de tout le monde, plutôt que de se relancer immédiatement dans des aventures coloniales qui ont désormais plutôt mauvaise presse et toutes les chances, vu l’opposition de plus en plus manifeste des populations locales, de dégénérer en autant d’affrontements aussi sanglants que ruineux…

dimanche 21 décembre 2025

9126 - bien fait pour leur g…

Soldat indien surveillant des prisonniers japonais. Singapour, septembre 1945

… car à Singapour comme un peu partout en Asie, le rapatriement volontaire vers la Grande-Bretagne, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Hollande ou encore les États-Unis de plusieurs centaines de milliers de soldats occidentaux libérés des camps japonais se déroule parallèlement… au rapatriement, cette fois forcé et vers le Japon, d’un nombre encore plus élevé de soldats japonais maintenant fait prisonniers par les Occidentaux !

Et comme si cela ne suffisait pas déjà, s’y ajoute également le rapatriement tout aussi forcé, et toujours vers le Japon, de plusieurs centaines de milliers de civils japonais qui, depuis des décennies, voire même depuis leur naissance (!), étaient présents en Mandchourie, en Chine, à Hong-Kong, à Shanghai, à Singapour, en Corée ou encore à Taiwan, soit, et à l’instar des germanophones d’Europe de l’Est, en autant d’endroits où ils ne manqueraient pas d’être massacrés par la population locale s’ils s’entêtaient à vouloir y demeurer !

Alors que les anciens prisonniers occidentaux n’éprouvent à présent que soulagement et aussi fierté d’appartenir au camp des vainqueurs, et envisagent avec optimisme leur retour à la vie civile et dans un pays qui les accueillera avec joie et dont ils n’auront finalement été absents que quelques mois ou au pire quelques années, ces civils japonais, eux, ont tout perdu et tout abandonné derrière eux, ressentent l’humiliation et la honte de tous les vaincus,… et ont toutes les raisons d’appréhender leur supposé "retour" non seulement dans un pays qu’ils avaient pour ainsi dire oublié, voire, pour certains, jamais connu (!), mais aussi dans un pays lui aussi vaincu, ruiné et dévasté par les bombardements, un pays où les emplois sont inexistants, et un pays où on risque fort de les considérer comme des étrangers, des parias, et des bouches inutiles.

Si l’expression ne figure pas encore dans le langage courant, il s’agit bel et bien, et tout comme au même moment en Europe de l’Est, d’une "purification ethnique" qui, bien sûr, ne préoccupe et n’indigne personne, puisque les intéressés appartiennent "au mauvais camp", celui qui a perdu la guerre, et une guerre dans laquelle ils ne se sont pas rendus franchement sympathiques.

Vas Victis, bien fait pour leur g…

samedi 20 décembre 2025

9125 - une tâche titanesque

Soldats australiens, à Singapour, après leur libération du camp de Changi, septembre 1945

… l'île-forteresse reprise sans aucun combat, commence alors la tâche, autrement plus ardue, de retrouver, soigner, nourrir, recenser, rassembler et finalement évacuer par mer les dizaines de milliers de prisonniers de guerre occidentaux présents à Singapour.

A Singapour… mais aussi un peu partout en Asie où se trouvent encore des contingents japonais !

"Comme dans le Pacifique, la planification et l'organisation par le SEAC du rapatriement des prisonniers de guerre et des internés furent dépassées par les événements. 

La Force clandestine 136 et les groupes "E" (1) avaient, quelques mois avant la Capitulation japonaise, découvert des camps en Malaisie, au Siam et en Indochine française et, lorsque cela était possible, établi des contacts avec les détenus. 

Des équipes de contrôle du RAPWI (2) avaient également été mises en place. 

Mais l'hypothèse de base de toute la planification était basée sur l'idée que dits les camps seraient libérés progressivement, c-à-d au fur et à mesure de la reconquête des territoires, alors que soudainement, quelque 125 000 prisonniers de guerre et internés (y compris ceux de Java), répartis sur une vaste zone, dans quelque 250 camps, nécessitaient tous un rapatriement urgent et simultané" (2)

Et ce rapatriement est en vérité une tâche titanesque, qui va durer des semaines, et même des mois, et surtout une tâche qu’il va falloir mener en même temps qu’un autre rapatriement, celui-là encore plus important, et d’une toute autre nature…

(1) unités d’élite composées d’agents infiltrés appartenant au Special Operations Executive (SOE) britannique 

(2) Recovery of Allied Prisoners of War and Internees (RAPWI), organisation chargée de la récupération des prisonniers de guerre et internés alliés.

(3) ibid, page 493

vendredi 19 décembre 2025

9124 - l'heure de Singapour

Mountbatten, prononçant son allocution après la reddition de Singapour, 12 septembre 1945

… et la délégation japonaise qui se présente dans la soirée sur le croiseur Sussex semble effectivement si pressée de rendre les armes qu’un de ses officiers, visiblement agacé, reproche aux Britanniques d’être arrivés "deux heures en retard", et s’entend tranquillement répondre "ici, nous ne sommes pas à l’heure de Tokyo" (1)

Heure de Tokyo ou de Singapour, la reddition des quelque 77 000 hommes du général Itagaki n’en est pas moins actée peu après, et sera formalisée le 12 septembre suivant à l’hôtel de ville, en présence de Mountbatten lui-même.

Dans les rangs japonais, tout le monde n’accepte cependant pas cette reddition. Pour y échapper, plusieurs centaines d’officiers et de soldats ont recours au suicide, tandis que d’autres décident plutôt de rejoindre les rangs de la guérilla communiste qui, dans la Malaisie voisine, lutte déjà contre le retour des Britanniques.

Mais pour l’heure, tout se déroule en tout cas infiniment mieux qu’on ne pouvait l’espérer au départ, et la bonne volonté des Japonais ne manque d'ailleurs pas d’impressionner les Britanniques. 

Sur le destroyer Rotherham, qui a accosté à la base navale, un lieutenant observe ainsi que "sur la table étaient disposés de nombreux feuillets de papier de riz, des cartes de Singapour, chaque feuillet étant soigneusement indexé. Peu importe ce qu'on demandait, il semblait y avoir une carte indiquant tous les endroits où tout cela était stocké : obus de 4 pouces, seaux, pneus, nous les nommions, ils les avaient et nous pouvions être conduits immédiatement aux magasins où ils se trouvaient

En tant que premier lieutenant, j'étais impatient de dénicher des légumes frais pour l'équipage de mon navire. Les Japonais firent venir un lieutenant "Agriculture" qui, ayant reçu mon ordre, disparut rapidement. Il réapparut le long de Rotherham à onze heures ce soir-là avec un camion rempli d'ignames et de haricots frais – juste assez pour ravitailler une flottille entière. 

Ce lieutenant "Agriculture" fut une surprise pour nous. Apparemment, les Japonais avaient un officier de ce grade dans chaque base et sa mission était de veiller à ce que le territoire conquis soit utilisé à bon escient afin de subvenir aux besoins des troupes" (2)

(1) il n’y a en fait qu’une heure de différence entre Singapour et Tokyo

(2) Winton, op cit, page 485

jeudi 18 décembre 2025

9123 - la Perle de l'Empire

Le Myoko, à Singapour, en septembre 1945, en compagnie des sous-marins I-501 et -502
… Singapour, 4 septembre 1945

Mais deux semaines auparavant, un événement bien plus significatif s’est produit à Singapour, lorsque, dans le cadre de l’Opération Tiderace, des bâtiments de l’East Indies Fleet, après s’être affranchis des champs de mines, se sont présentés devant Singapour le 3 septembre, précédant d’une journée le convoi transportant les premiers éléments de la 5ème Division d’Infanterie indienne partie de Rangoon - libérée nous l’avons vu le 3 mai.

Pour reprendre Singapour, la fameuse Perle de l’Empire, Louis Mountbatten, Supreme Allied Commander South East Asia Command (SEAC), avait prévu, pour le 9 septembre, un débarquement mobilisant pas moins de 100 000 fantassins, et des centaines de navires et d’avions.

Mais l’annonce de la Capitulation japonaise, le 15 aout, lui a en quelque sorte coupé l’herbe sous le pied, et finalement ramené ce plan grandiose à des dimensions infiniment plus raisonnables mais comprenant tout de même quelque 90 navires de guerre, dont les cuirassés britannique Nelson et français Richelieu, sept porte-avions d’escorte (!) et plusieurs croiseurs, dont le Sussex.

En face, les Japonais, qui se sont emparés de l’île-forteresse le 15 février 1942, disposent encore de quelque 77 000 hommes, de plus d’une centaine d’avions, ainsi que d’une poignée de navires de guerre, parmi lesquels figurent les croiseurs Myōkō et Takao - tous les deux en si mauvais état qu’ils ne sont depuis longtemps plus utilisés que comme batteries à peine flottantes - mais aussi - rappelons-nous - le petit, très vieux, mais néanmoins indestructible destroyer Kamikaze ainsi que, pour l'anecdote, les sous-marins I-501 et I-502, autrement dit... les anciens U-181 et U-862 allemands, lesquels se trouvaient immobilisés à Singapour le jour de la Capitulation du Reich, et qui ont aussitôt été saisis et pris en compte par les Japonais !

Avec ces moyens, les Japonais, s’ils le voulaient, seraient certainement en mesure d’organiser une résistance coriace, mais leur Empereur-Dieu a parlé et il faut lui obéir, en sorte que le 20 aout, le commandant de la place, le général Seishiro Itagaki, a directement câblé à Mountbatten pour lui indiquer que lui-même et ses hommes se plieraient aux décisions du monarque, et rendraient les armes dès l’arrivée des forces britanniques…

mercredi 17 décembre 2025

9122 - un bien éphémère retour...

Navires de guerre occidentaux, à Shanghai, en décembre 1945 : un retour bien éphémère

… Shanghai, 18 septembre 1945

Le cas de Hong-Kong réglé, et pour longtemps, place maintenant à Shanghai, et plus précisément à sa célèbre concession, d’abord britannique, puis devenue officiellement "internationale" en 1863.

Le 8 décembre 1941, dans la foulée de l’attaque contre Pearl Harbor, la dite concession est évidemment passée sous le contrôle total des Japonais (1), qui s’y trouvaient déjà depuis 1895, et qui y sont demeurés jusqu’à la fin de la guerre.

Le 18 septembre, l’arrivée des croiseurs Belfast et Argonaut et de trois destroyers se déroule toutefois, sans difficulté et sans la moindre effusion de sang, les troupes japonaises ayant abandonné la place.

Mais à Shanghai, l’heure n’est hélas plus à la présence occidentale, et encore moins aux "concessions internationales" : si les Américains et les Nationalistes de Tchang se contentent provisoirement de fermer les yeux, une "Commission de Liquidation", chargée de régler les détails de la rétrocession du territoire à la Chine, n’en est pas moins immédiatement mise en place, tandis que la guerre civile, qui a repris de plus belle entre partisans de Tchang et de Mao, ne tarde pas à pousser les rares Occidentaux qui s’y trouvent encore, ou qui auraient souhaité y revenir, à s’en aller chercher fortune ailleurs.

De toute manière, en 1949, avec la victoire de Mao et l’arrivée des troupes communistes, la messe est dite et les ultimes restes de la concession internationale définitivement liquidés sans que les Britanniques - qui se consoleront en conservant néanmoins Hong-Kong - soient en mesure de s’y opposer de quelque manière que ce soit… 

(1) cet épisode sera notamment décrit en 1987 dans le film de Steven Spielberg Empire of the Sun