mardi 10 décembre 2019

6232 - "neutraliser l'édifice"

Frido von Senger : intellectuel et catholique fervent
… au yeux de l’Histoire, Bernard Freyberg est, et restera probablement à jamais l’iconoclaste, le vandale qui, sur de fausses présomptions, a ordonné la destruction d’une Abbaye millénaire et connue dans toute la Chrétienté, sans autre résultat concret que de… faciliter la tâche des défenseurs allemands !

Mais la vérité, comme souvent, est infiniment plus complexe et mérite d’ailleurs que l’on s’y attarde quelque peu.

Car dans le camp allié, et du général au simple soldat, personne ou presque ne croit les déclarations du général von Senger !

Même si les multiples observations aériennes menées au fil des semaines au-dessus de l’Abbaye n’ont rien révélé de suspect, chacun demeure en effet convaincu que l’Abbaye héberge, sinon des combattants, du moins de nombreux observateurs ennemis qui, de cette position ô combien privilégiée, sont en mesure de repérer le moindre mouvement des troupes, et donc de diriger contre elles un feu aussi précis que meurtrier,... cause dès lors évidente de tous les échecs, et de toutes les pertes, des attaques précédentes.

Freyberg, nous l’avons vu, est avant tout soucieux de préserver ses troupes, mais son opinion est entièrement partagée par le général Francis Tuker, commandant de la 4ème D.I. indienne qui devra mener l’attaque, lequel n’a lui non plus pas la moindre envie d’envoyer ses propres soldats à l’abattoir.
 
"Quand Tuker, toujours à son G.G. mais cloué au lit (1) avait appris que sa division devait mener l’attaque sur Monte Cassino, il avait immédiatement décidé que l’édifice devrait être neutralisé. Trois attaques américaines menées contre lui avaient déjà échoué et Tuker jugeait futile "de se frapper la tête contre la partie la plus solide de toute la position et de risquer ainsi l’échec de toute l’opération"" (2)

(1) bien que demeurant le chef en titre de la 4ème D.I., Francis Tuker, souffrant d’arthrite, avait cédé le commandement opérationnel de la division à son subordonné, Harry Dimoline.
(2) Shelfold, op cit

1 commentaire:

Anonyme a dit...

Bonjour...toujours une excellente lecture dans votre blog.

Dans cette histoire on a un général allemand pétri de culture chrétienne et de scrupules (à la façon du "silence de la mer" de Vercors), une vraie rareté alors qu'en cette fin de guerre ce sont les brutes SS genre Sepp Dietrich qui mênent la danse... et en face un sportif de l'extrême, pas forcément méchant homme, mais fonceur et plein d'adrénaline (pour qui la guerre est un sport de plus) et qui de plus a besoin de se refaire une réputation.

La destruction du monastère était peut-être inévitable et tactiquement justifiée (Il y a eu bien des trésors artistiques détruits dans cette guerre, comme la salle d'Ambre de Koningsberg, les galères de Caligula laborieusements sorties par les italiens du lac de Nemi au milieu des années 30, une floppée de belles églises en Normandie (en particulier à Caen et St Lô, toute la vieille ville du Havre datant de François 1°, sans parler de la Russie ...la liste est interminable)

En faisant pilonner le monastère à coups de bombardiers lourds, Freyberg (qui n'était pas une tête politique ) a involontairement offert à la propagande de l'axe une occasion de se déchaîner en criant au crime contre la Kultur : Les affiches italiennes où on voit un soldat américain (bien entendu un noir) embarquer une statue de Vénus (message subconscient de viol) ou l'oeuvre ahurissante d'un nazi hollandais où l'Amérique est représentée par une créature mi robot mi King Kong composée de bombes, de gangsters ,de tanks , de B17, d'une jambe de l'actrice Betty Grable et coiffée d'une cagoule du KuKlxKlan pour couronner le tout.
Le problème n'est pas tant cette destruction du monastère que le fait qu'elle n'ait servi à rien sur le plan militaire.

Sur la toute fin de la guerre il y aura quand même un certain nombre de généraux allemands qui bien conscients de la défaite annoncée, tâcheront de limiter les dégâts . On connaît l'attitude de Von Choltitz ( le film Paris Brûle t'il ?) et un peu moins la façon dont La Rochelle avec sa base à sous marins mais aussi son admirable ville ancienne (et bastiondes huguenots français depuis Henri IV) a échappé au pire: L'amiral allemand et l'amiral de Vichy (tous deux protestants) ont pactisé discrètement "entre marins" pour faire semblant de faire un minimum de guerre et attendre des temps meilleurs.