lundi 29 février 2016

4752 - l'escadron de protection

Julius Schreck, premier Reichsführer-SS officieux et chauffeur personnel d'Hitler
… pour arriver au Pouvoir par le biais des élections, Hitler sait aussi qu’il doit "rassurer" la population quant à ses intentions, ce qui implique "d’adoucir"  quelque peu le discours,… mais aussi les manières, et en particulier celles des  militants de la SA, trop souvent impulsifs et bagarreurs, et dont la fidélité à sa propre personne est au demeurant fort discutable.

Or Hitler ne vénère rien tant que la fidélité, ce pourquoi il dispose d’ailleurs, depuis mai 1923, d’une petite escouade de garde du corps, la Stosstrupp, dont les membres, bien qu’issus des SA, n’obéissent qu’à lui, et lui sont dévoués corps et âme.

Craignant de plus en plus pour sa propre sécurité, Hitler décide donc, en avril 1925, de  passer à la vitesse supérieure, et de se constituer une véritable garde prétorienne, la Schutzstaffel ("escadron de protection", ou SS), dont le commandement est pour l’heure confié à Julius Schreck (1), compagnon de la première heure - il s’est inscrit au parti nazi en 1920 - et ancien de la Stosstrupp.

A l’automne, chaque section du NSDAP se voit priée de mettre une dizaine d’hommes au service de cette nouvelle SS mais, faute d’argent et aussi, faute de l'assentiment des responsables de la SA, qui y voient une menace à leurs propres prérogatives, les effectifs de celle-ci ne progressent que très lentement

En 1928, entretemps passée aux mains de Joseph Berchtold, premier Reischsführer-SS officiel, puis d’Erhard Heiden (3), la SS ne comptera toujours que quelque 300 membres, apparemment condamnés à vivoter éternellement dans l’ombre de la SA…

(1) demeuré chauffeur personnel d'Hitler, décédé des suites d’une méningite en mai 1936
(2) rentré dans le rang, décédé en aout 1962
(3) assassiné en avril 1933 sur ordres de son successeur… Heinrich Himmler

dimanche 28 février 2016

4751 - refonder le parti

Défilé de SA à Francfort, 1925
… s’il veut l’emporter par des moyens "légaux" - c-à-d électoraux - Hitler doit disposer d’un parti non seulement puissant mais aussi entièrement dévoué à sa cause, deux conditions qui, en ce début de 1925, sont très loin d’être acquises.

Bien qu’officiellement ré-autorisé à la mi février, le NSDAP a en effet perdu énormément de fidèles depuis l’échec du putsch et sa clandestinité forcée, passant de plus de 55 000 à moins de 25 000 membres.

Si Hitler est convaincu - à raison - de posséder un potentiel de séduction bien supérieur à celui du malheureux chef-par-interim Alfred Rosenberg, il sait aussi que la route sera longue pour rattraper les militants perdus, surtout qu’il va lui falloir également tenir compte du vieux clivage droite-gauche qui déchire le parti depuis sa création.

Parce que le NSDAP se veut un à la fois national mais aussi socialiste, il recrute aussi bien dans la population rurale archi-conservatrice que dans les milieux urbains, volontiers anti-capitalistes et tentés par une nationalisation de l’économie.

Politiquement parlant, Hitler se sent pour sa part bien plus proche de l’aile droite, incarnée notamment par l’ultra-antisémite Julius Streicher, que de l’aile gauche, où l’on retrouve notamment les frères Gregor et Otto Strasser... ainsi qu’un certain Joseph Goebbels, dont le talent oratoire ne le cède guère qu’à celui d’Hitler lui-même.

Concilier deux visions aussi différentes, et rallier les (considérables) ego respectifs des uns et des autres à sa propre personne, est une entreprise titanesque, qui va d'ailleurs mobiliser son énergie pendant plusieurs années.

Mais c’est aussi une entreprise dangereuse pour cet homme qui, se sentant menacé, veut maintenant étoffer les effectifs de ses gardes-du-corps attitrés...

samedi 27 février 2016

4750 - se racheter une conduite

Affiche électorale du NSDAP, 1928 : respecter la Loi... puis la réécrire
... mais Hitler sait aussi que s'il veut recouvrer son droit à la parole, et faire lever l'interdiction qui pèse sur le NSDAP  il n'a d'autre choix que de se "racheter une conduite".

Plus question donc de fomenter un nouveau coup d'État, ni même de laisser penser qu'on serait sur le point d'en fomenter un : l'accession au Pouvoir, auquel il s'est juré de parvenir, se fera obligatoirement par des moyens légaux.

Le 5 janvier 1925, il en fait d'ailleurs le serment solennel à Heinrich Held, Ministre-Président de Bavière, ce qui, le 16 février, lui vaut d'obtenir la réhabilitation officielle du NSDAP. 

Le droit de tenir des discours publics ne lui sera cependant rendu qu'en 1927, ce qui, dans l'immédiat, va donc le contraindre à recourir à différents "porte-voix", et en particulier à  Joseph Goebbels, futur - et célèbre - Ministre de la Propagande du Troisième Reich

Cette conversion soudaine d'Hitler au principe de la Légalité n'est évidemment qu'une manœuvre de pur opportunisme : rien ne l'empêchera par exemple, aussitôt parvenu au Pouvoir, d'être le seul à pouvoir encore définir ce qui est "légal" ou non,... ni même à interdire tout autre parti politique que le sien !

Au demeurant, les moyens "légaux" qu'il se propose à présent de suivre ne le sont souvent que moyennant une considérable ouverture d'esprit : les affrontements violents avec les opposants politiques - et en particulier avec les communistes du KPD - restent par exemple toujours inscrits au programme, même s'ils devront s'inscrire dans un cadre plus "ordonné" qu'autrefois, ce qui, comme nous allons le voir, va d'ailleurs bientôt permettre à Heinrich Himmler d'émerger de l'anonymat et de se tailler une formidable place au soleil...

vendredi 26 février 2016

4749 - On n’est jamais si bien servi par soi-même…

Ludendorff : brillant général, pitoyable politicien
… dans le calme de sa cellule de prison, Hitler a eu le temps d’analyser les causes de son échec de novembre 1923… et d’en tirer les conséquences.

Plus question par exemple d’encore jouer le tambour au bénéfice d’un grand homme : amèrement déçu par Ludendorff, qui avant, pendant, et même après le putsch, s’est avéré rien moins que lamentable, Hitler considère à présent que c’est lui, et lui seul, qui saura sauver l’Allemagne et lui faire recouvrer sa grandeur

On n’est jamais si bien servi par soi-même…

Reste néanmoins à se débarrasser une fois pour toutes de l’encombrant général !

Heureusement, Ludendorff, bien qu’acquitté par le tribunal, et même élu, en mai 1924, au Reichstag, sous la bannière du Nationalsozialistische Freiheitsbewegung ("Parti national-socialiste de la Liberté" ou NSFB) (1), a déjà beaucoup perdu de sa superbe auprès de l'électorat.

Revenu aux affaires dès sa sortie de Landsberg, et manœuvrant avec habileté, Hitler va alors réussir à le marginaliser en quelques semaines, puis à le pousser à la faute en l’incitant à se présenter contre son ancien collègue Paul Hindenburg à la présidentielle de mars 1925, dont Ludendorff sortira définitivement ridiculisé, en n’ayant recueilli que les voix d’un électeur sur cent…

(1) coalition d’extrême-droite formée à peine un mois plus tôt, le NSFB regroupait les membres du Deutschvölkische Freiheitspartei (DVFP) créé en décembre 1922 et ceux du NSDAP désormais interdit

jeudi 25 février 2016

4748 - un homme, une prison, une Mercedes

La photo, recadrée et retouchée, d'Hitler à sa sortie supposée de Landsberg
... l'anecdote est révélatrice : le 20 décembre 1924, ce ne sont pas de simples militants anonymes, mais bien Heinrich Hoffman, son ami et photographe déjà officiel (1), qui attend Adolf Hitler à sa sortie de prison.

Arrivé en compagnie d'Adolph Mueller, un sympathisant et riche éditeur munichois à qui appartient l'indispensable Mercedes - Hitler ne circule jamais qu'en Mercedes - Hoffman s'empresse d'immortaliser le chef du NSDAP dans une posture qualifiée de "pensive" ou de "déterminée" et bientôt diffusée dans le monde entier.

Mais comme la gestuelle si spectaculaire d'Hitler lors de ses discours, qui doit au moins autant à de longs et rigoureux entraînements qu'à un vrai talent inné, cette photo des "premiers pas vers la Liberté" résulte en fait d'un savant montage puisque la Mercedes dans laquelle se prépare soi-disant à monter Hitler n'est pas garée devant la porte de la prison, mais bien devant le Bayertor, le portail d'entrée de la vieille ville de Landsberg

Une autre, en plan large, avec des passants, devant une prison qui n'en est pas une
S'étant vu refuser le stationnement devant la prison, Hoffman s'est en effet contenté d'embarquer Hitler un peu plus loin, puis de le faire poser, en compagnie de la Mercedes,... face au Bayertor dont l'aspect évoque d'autant mieux une authentique porte de prison que le photographe a ensuite pris soin de retoucher le cliché, pour le rendre plus .authentique" !

Car de tous les dirigeants politiques de l'époque, Hitler est sans doute le premier - sinon le seul - à avoir véritablement compris le nouveau et formidable pouvoir des médias et de l'image, qu'il maîtrise, utilise et manipule avec un talent déjà remarquable mais qui va encore s'améliorer dans les mois et les années à venir...

(1) Hoffman est également l'auteur de la célèbre photo - authentique ou non - du 02 aout 1914 montrant Hitler sur la Place de l'Odeon, en train de fêter la déclaration de guerre...

mercredi 24 février 2016

4747 - Libre !

"On croit qu'il quittera la vie publique". NYT, 21/12/24
... Prison de Landsberg, 20 décembre 1924

Le 01 avril, Adolf Hitler avait été condamné à cinq ans d'emprisonnement pour son  rôle de principal - sinon d'unique - meneur lors du Putsch de la Brasserie qui, rappelons-le s'était soldé par un échec. mais aussi par une vingtaine de morts et plusieurs dizaines de blessés.

Mais en tenant compte de la durée de sa détention préventive, et aussi de sa "bonne conduite" sous les barreaux, c'est en homme libre qu'il franchit à présent les portes de la Prison de Landsberg !

Inimaginable il y a un an à peine,  ce dénouement laisse donc au chef du NSDAP la possibilité de prendre un tout nouveau départ,... mais un départ auquel personne ou presque ne prédit la moindre chance de succès !

Sans aller jusqu'à l'analyse du New-York Times, qui dans un minuscule entrefilet du 21 décembre le voit carrément renoncer à la vie publique et s'en retourner dans son Autriche natale (!), la plupart des observateurs se demandent en effet comment Hitler qui, au terme des conditions de sa libération ne peut même pas prendre la parole en public (!), pourrait bien réussir à relancer un parti en totale déliquescence et officiellement interdit depuis le 09 novembre 1923.

Mais Hitler a mûri en prison.

Et il a un plan.

mardi 23 février 2016

4746 - "C’est un engagement désintéressé au service d’une grande idée et d’une juste cause"

Strasser, à gauche d'Hitler sur la photo... et au sein du NSDAP
… automne 1924

Devenu en quelque sorte le suppléant de Gregor Strasser en Basse Bavière, Himmler est à présent un homme peu rémunéré mais fort occupé, dont le zèle contribue d’ailleurs au succès du Völkischer Block qui, aux élections fédérales de décembre, va attirer quelque 10% des électeurs locaux.
"J’ai énormément de travail", écrit Himmler à un de ses correspondants en Italie. "Je dois m’occuper de toute l’organisation en Basse Bavière, et la développer entièrement. Je n’ai pas une minute à moi (…) J’apprécie énormément ce travail d’organisateur, dont je suis", ajoute-t-il non sans exagération, "le seul responsable".

Mais Himmler ne serait pas Himmler s’il ne se plaignait pas dans le même souffle des difficultés qu’il rencontre.

"Tout irait bien si on pouvait envisager la victoire ou se préparer au combat pour la liberté dans un avenir prévisible", poursuit-il. "C’est un travail qui ne portera aucun fruit dans un proche avenir. (…) C’est un engagement désintéressé au service d’une grande idée et d’une juste cause, pour lequel, naturellement, nous ne recevrons jamais aucune reconnaissance et ne pouvons nous attendre à en recevoir un jour". (1)

Heureusement pour lui, un événement extraordinaire, auquel personne - et certainement pas lui-même - ne croyait plus, va bientôt radicalement changer la donne…

(1) Longerich, op. cit., page 82

lundi 22 février 2016

4745 - "Ses discours sont de merveilleux exemples de Germanisme et d’Arianisme"

Affiche de propagande du Völkischer Block, 1924
… d’un simplisme à l’autre, Himmler cherche aussi des réponses - et des solutions - dans le mysticisme, l’ésotérisme, le spiritualisme et même l’astrologie, y compris - voire surtout - lorsque les dites doctrines parlent d’une "Terre creuse", ou encore de  mystérieux continents perdus et autrefois peuplés de surhommes.

C’est aussi de cette époque que date son intérêt pour les écrits et les discours d’Hitler, qu’il ne connaissait jusqu’ici qu’à travers ce qu’en disaient les journaux, la radio, et les propos de ses camarades des Freikorps, à commencer bien sûr par Ernst Röhm

"Il [Hitler] est vraiment un grand homme", s'enthousiasme-t-il, "et par-dessus tout un homme pur et authentique. Ses discours sont de merveilleux exemples de Germanisme et d’Arianisme" (1)

Mais pour l’heure, Hitler est en prison, en sorte qu’à l’été de 1924, Himmler se rapproche plutôt de Gregor Strasser, un ex-pharmacien, mais surtout un ancien lieutenant de la 1ère G.M. qui, en dépit de son appartenance au NSDAP désormais interdit, et de sa propre condamnation à un an d’emprisonnement pour son rôle dans le  Putsch de la Brasserie, a rapidement été libéré,... et même élu le 4 mai au Parlement de Bavière en tant que représentant d’un "Völkischer Block" ("Bloc populaire") qui se veut l'aile gauche du NSDAP !

Député très occupé - qui sera par ailleurs élu, cette fois au Reichstag, en décembre - Strasser n’a aujourd'hui plus guère de temps à consacrer aux activités militantes de Basse-Bavière

C’est la première véritable chance d’Himmler…

(1) Longerich, op. cit. page 79

dimanche 21 février 2016

4744 - quand la vie fait du surplace

Hitler, en 1924
… mais en dépit des satisfactions qu'elles procurent, ces activités militantes ne sauraient compenser les soucis personnels et financiers dont Himmler est de plus en plus accablé.

Si la carrière d’officier à laquelle il se destinait s’est depuis longtemps envolée, celle d’exploitant agricole tarde toujours à se concrétiser, et ses idées d’émigration vers un pays plus accueillant demeurent cantonnées au domaine du rêve.

Vivant toujours chez ses parents, toujours sans emploi, toujours puceau, mais continuant en revanche à nourrir une très haute estime de lui-même, Himmler ne peut admettre que sa vie s’obstine à faire du surplace.

Incapable de s’en attribuer une quelconque responsabilité, il tend au contraire à en accuser les autres - en particulier les Juifs - et à chercher des "solutions" dans les théories raciales et politiques les plus extrêmes et les plus délirantes

De l'ignoble et obscur pamphlet de la Deutschvölkische Schutz und Trutz Bund ("Ligue populaire allemande de protection et de défense"), il voit ainsi "Une brochure magnifique. La dernière partie surtout, qui dit comment il est possible de corriger la race, est d'une magnifique, d'une haute valeur morale" (1)

(1) Guido Knopp, La SS, page 92

samedi 20 février 2016

4743 - le retour à l'anonymat

Ernst Röhm, en 1923
... laissons à présent Adolf Hitler à sa prison, et à son écriture de Mein Kampf, et revenons à Heinrich Himmler, que nous avons laissé dans l'après-midi du 9 novembre 1923, au moment où lui-même et ses camarades étaient autorisés à quitter la Ludwigstrasse, et le quartier-général de la Reichswehr qu'ils assiégeaient depuis la veille.

Laissé libre comme l'air en raison de sa totale insignifiance, Himmler n'a à présent d'autre choix que de s'en retourner au domicile de ses parents,... et à un anonymat dont on sait hélas peu de choses

A la mi-février, on le voit pourtant rendre une visite amicale à son chef, Ernst Röhm, emprisonné à la prison de Stadelheim dans l'attente de son jugement.

Dans le même temps, il commence à militer au sein du NSDAP désormais interdit, jouant notamment l'agitateur en Basse-Bavière, un rôle certes modeste mais qui témoigne tout de même de son extrême fidélité à un mouvement auquel plus personne ne prédit pourtant le moindre avenir,... et d'autant moins qu'Hitler l'a fort imprudemment confié en son absence aux mains d'Alfred Rosenberg, pseudo-intellectuel friand de mysticisme - il est membre de l'Ordre de Thulé (1) -  mais très mauvais organisateur et assurément incapable - n'est pas Hitler qui veut - de maintenir l'unité des rangs par la seule puissance de sa personne ou de son verbe

Cette c'est cette fidélité indéfectible, à laquelle Hitler est très attaché, qui va remarquablement bien servir Himmler dans les années à venir...

(1) La Thule-Gesellschaft (Société ou Ordre de Thule) était convaincue de l’existence d’une race humaine supérieure - les Aryens - qui auraient vu le jour dans un hypothétique continent nordique - l’Hyperborée - depuis longtemps disparu.

vendredi 19 février 2016

4742 - une incroyable mansuétude

La cellule d'Hitler, à la prison de Landsberg
… Munich, 01 avril 1924

Et le 01 avril 1924, un tribunal sous le charme se contente de condamner Hitler à une peine de 5 années de détention, sentence incroyablement légère en regard de la gravité des faits, et qui s’accompagne de surcroît de la décision de ce même tribunal de ne pas expulser ce citoyen autrichien vers son pays natal, attendu que la déportation ne saurait s’appliquer à cet homme "qui pense et sent en allemand" ! (1)

Hitler a donc réussi l'impossible,... et même davantage, puisque la mansuétude du tribunal touche également ses co-accusés : condamné à 15 mois seulement, Röhm est aussitôt libéré sur parole, et Ludendorff carrément acquitté, le tribunal considérant en effet que dans cette triste affaire, les uns et les autres n’ont finalement agi "que par pur esprit patriotique et par la plus noble des volontés" !

Incarcéré à la prison-forteresse de Landsberg, Hitler a maintenant tout le temps de ruminer les causes de son échec,… et d’en tirer les conséquences.

Grâce au soutien des quelques amis qui lui restent fidèles, et notamment de Winnifred Wagner (2), qui lui fournit plumes et papier, il va ainsi entamer l’écriture d’un des livres les plus fondamentaux, et les plus maudits, du 20ème siècle, mi-biographie de ses années passées, mi-description de son programme politique futur…

Mein Kampf

(1) après la libération d’Hitler de la prison de Landsberg, le gouvernement allemand, pour s'en débarrasser, voudra néanmoins l'expulser en Autriche. Mais les autorités autrichiennes s’y opposèront, arguant du fait qu'ayant refusé de servir dans l'armée autrichienne, et plutôt combattu pendant quatre ans dans l'armée allemande, Hitler n'est plus Autrichien. Un an plus tard, en mars 1925, Hitler rédigera d'ailleurs une demande formelle d'abandon de la nationalité autrichienne, qui lui sera accordée sans difficulté le 30 avril 1925. Il restera alors apatride pendant sept ans, n'obtenant la nationalité allemande qu'en février 1932, suite à sa nomination comme conseiller ministériel.
(2) Belle-fille de Richard Wagner, Winnifred adhérera formellement au parti nazi en 1929

jeudi 18 février 2016

4741 - "Hitler est un homme hautement doué qui, parti, de peu, a atteint par son sérieux et son travail acharné une situation respectée dans la vie publique"

Ludendorff et Hitler : je t'aime, moi non plus...
… Hitler croit-il vraiment que la "Providence" qui, à plusieurs reprises, l’a déjà sauvé des balles et des obus, se portera une fois de plus à son secours, ou alors, se sachant perdu, veut-il simplement laisser à l’Histoire une autre image que celle d’un raté ? Est-il inconscient ou alors formidablement retors ? - le fait est que, prenant tout le monde par surprise, le voilà qui se reconnaît dès le départ comme le seul et unique responsable du putsch !

"Je ne suis pas venu au tribunal pour nier quoi que ce soit ou éviter mes responsabilités" déclare-t-il "Ce putsch, je l'ai porté seul. En dernière analyse, je suis le seul à l'avoir souhaité. Les autres accusés n'ont collaboré avec moi qu'à la fin"

Jour après jour, au bluff, mais avec un talent oratoire inouï, Hitler transforme ce procès d’un soulèvement sanglant en procès du régime qui l’a rendu possible, et même nécessaire !

"Je suis convaincu" dit-il, "que je n'ai rien souhaité de mal. Je porte les responsabilités pour toutes les conséquences. Mais je dois dire que je ne suis pas un criminel et que je ne me sens pas comme tel, bien au contraire !"

Et aussi incroyable cela puisse-t-il sembler au lecteur contemporain, cette tactique porte fruits : séduits par l’immense talent naturel de ce petit moustachu atrabilaire, et adhérant eux-mêmes dans une large mesure à son discours nationaliste, pangermaniste, antisémite et revanchard, les magistrats laissent faire, le premier procureur allant jusqu’à admettre - et c’est quand même un comble ! -  que l’accusé Hitler  "est un homme hautement doué qui, parti de peu, a atteint par son sérieux et son travail acharné une situation respectée dans la vie publique. Il s'est totalement sacrifié aux idées qui le pénétraient et il a pleinement accompli son devoir de soldat. On ne peut lui reprocher d'avoir utilisé à son profit la situation qu'il s'est faite" !

mercredi 17 février 2016

4740 - l'absence d'avenir

Les accusés du Putsch de la Brasserie
… Munich, 26 février 1924

En ce mois de février 1924, l’avenir du nazisme semble singulièrement  compromis : le parti est en effet officiellement interdit depuis le 9 novembre de l’année précédente; ses principaux chefs - à commencer par Hitler lui-même - sont sous les verrous ou - à l’image d’Hermann Goering - en fuite à l’étranger; et les rares militants qui y croient encore, n'ont à présent plus d'autre choix que la clandestinité.

Le 26 février, lorsque s’ouvre le procès du "Putsch de la Brasserie", personne ne donne par conséquent la moindre chance à Hitler, jugé pour rébellion armée, haute trahison,... ainsi que pour le meurtre des quatre policiers tombés à la Feldherrnhalle.

Autant d’accusations passibles de la peine de mort ou, à tout le moins d’une très lourde peine d’emprisonnement...

Et c’est d’autant plus vrai que personne, et pas même l’Accusation (!), ne cherche à incriminer le général Erich Ludendorff, que son immense popularité, et sa qualité de héros national, rendent intouchable et qui, de fait, va bientôt être acquitté !

Comme le Tribunal n’a d’autre part aucune envie de s’appesantir sur le rôle pour le moins ambigu joué dans cette affaire par le trio Kahr/Lossow/Seisser, Hitler reste donc le principal sinon le seul accusé, et la prudence, pour ne pas dire la simple Raison, voudrait qu’il joue à présent profil bas, et tente par tous les moyens possibles de minimiser son rôle afin de sauver sa tête.

C’est pourtant tout le contraire qui va se produire…

mardi 16 février 2016

4739 - le sentiment du devoir accompli

Röhm, entouré de Goering et d'Hitler, en 1931
... à quelques centaines de mètres de là, Ernst Röhm et ses SA vivent eux aussi des moments difficiles.

Assiégeant depuis la veille au soir le quartier-général de la Reichswehr dans la Ludwigstrasse, ils se sont finalement retrouvés... assiégés par des éléments de cette même Reichswehr, accourus depuis Augsburg à l'appel d'Otto von Lossow que Ludendorff - comme nous l'avons vu - a fort imprudemment libéré en compagnie de Gustav von Kahr et Hans-Ritter von Seisser

Après avoir appris le sanglant échec d'Hitler, suivi de l'arrestation de Ludendorff à la Feldherrnhalle, Röhm juge néanmoins plus sage de ne pas insister et, en échange de sa propre arrestation, parvient à obtenir un sauf-conduit et même... les honneurs militaires (!) pour tous ses hommes, et notamment pour son porte-étendard, Heinrich Himmler, dont le rôle, dans cette triste affaire que l'Histoire retiendra sous le nom de Putsch de la Brasserie, s'est donc limité à tenir la hampe d'un drapeau !

Renvoyé dans ses foyers, et à ses modestes occupations, Himmler n'en éprouve pas moins la satisfaction du devoir accompli : sans doute pour la première fois de sa vie, il a enfin l'impression d'avoir accompli quelque chose, et même "participé à l'Histoire".

Pour l'heure, néanmoins, la dite Histoire paraît fort mal engagée pour le NSDAP et surtout pour son chef, Adolf Hitler, auxquels tous les observateurs n'accordent plus le moindre avenir.

Ils se trompent...

lundi 15 février 2016

4738 - la fusillade de la Feldherrnhalle

Après 1933, la Feldherrnhalle, allait devenir un des haut-lieux du nazisme
... Feldherrnhalle, Munich, 9 novembre 1923, 12h30

Car si l'échec du putsch apparaît déjà évident à la plupart des observateurs, Hitler, lui, n'a nullement l'intention d'en rester là, et décide au contraire de jouer son va-tout !

Dans les rues de Munich, il prend la tête d'un cortège de plus d'un millier d'insurgés, avec la ferme intention de rallier, par son verbe mais aussi grâce à la présence de Ludendorff, tous les policiers et militaires qui lui barrent le passage !

Mais si le premier barrage de police est franchi sans encombre, le second, à proximité de la Feldherrnhalle, s'avère fatal : vers 12h30, une fusillade éclate, sans que l'on sache aujourd'hui encore qui - des loyalistes ou des insurgés - a tiré en premier.

La confusion est totale, mais à ce petit jeu, les loyalistes, plus nombreux, mieux armés, et mieux organisés, ont rapidement le dessus : debout à côté d'Hitler, l'ancien diplomate Max Erwin von Scheubner-Richter est mortellement touché, et Hitler blessé à l'épaule. 

Les insurgés ne tardent pas à se débander, à l'image de leur chef, qui décampe sans demander son reste et que la police arrêtera deux jours plus tard dans la maison de campagne de son ami et mécène, Ernst "Putzi" Hanfstaengl, où les deux hommes se sont réfugiés

Ludendorff et Julius Streicher sont immédiatement arrêtés, alors que Hermann Goering, blessé, parvient à s'échapper avant de se réfugier en Autriche, et finalement en Suède.

Appelée à devenir un des haut-faits, et même une des légendes fondatrices du nazisme, cette fusillade de la Feldherrnhalle, a fait quatre victimes chez les policiers loyalistes, et une quinzaine chez les insurgés...

dimanche 14 février 2016

4737 - les assiégeants assiégés

Himmler, portant l’étendard de la Reichskriegsflagge, 9 novembre 1923
… désormais acquis à la cause d’Hitler et de Ludendorff, Lossow, Seisser et Kahr sont autorisés à retourner dans la grande salle, qu’Hitler, avec le talent qu’on lui connait, enflamme aussitôt par ses incantations belliqueuses.

Tout étant désormais pour le mieux, le public est enfin autorisé à sortir et à rentrer chez lui,… à l’exception bien sûr de quelques notables, arrêtés sur place par le secrétaire particulier d'Hitler, Rudolf Hess, afin de servir d’otages.

La prudence la plus élémentaire voudrait que Lossow, Seisser et Kahr figurent parmi eux - et c'est d'ailleurs bien l'intention d'Hitler - sauf qu'à l'insu de ce dernier, Ludendorff décide plutôt de les libérer,... ce dont ils profitent bien entendu pour disparaître et renier leur engagement, en appelant des renforts de troupes à la rescousse !

Et contrairement aux déclarations d'Hitler, cette  troupe, justement, demeure majoritairement fidèle au régime, en sorte qu'au matin du 9 novembre, les rares Munichois qui se risquent dans les rues ont la chance d'assister à des scènes surréalistes : un peu partout dans la ville, des bâtiments officiels sont en effet assiégés par quelques dizaines ou centaines d'insurgés... eux-même assiégés par un nombre sans cesse croissant de policiers et de militaires loyalistes !

Parmi ces insurgés figure un petit homme à lunettes et militant anonyme : Heinrich Himmler, qui, pour l’heure, se contente de tenir l’étendard de la Reichskriegsflagge à la barricade dressée devant le quartier-général de l’Armée, toujours aux mains de l'ancien gouvernement. 

A ce stade, il est déjà évident que le coup de poker d'Hitler a échoué, et beaucoup de Munichois de penser que le chef du NSDAP va fatalement en tirer les conséquences, et accepter de jeter l'éponge.

C'est bien mal le connaître...

samedi 13 février 2016

4736 - "La révolution nationale a éclaté !"

La Bürgerbräukeller de Munich, où Hitler fit irruption, pistolet au poing
… Bürgerbräukeller, Munich, 8 novembre 1923, 20h30

Ayant appris que Kahr, Lossow et Seisser ont l’intention de donner un grand meeting à la Bürgerbräukeller au soir du 8 novembre, Hitler décide de sauter sur l’occasion.

Peu après 20h00, tandis que plusieurs milliers de sympathisants des trois hommes sont massés dans la grande salle, plusieurs camions chargés de SA rassemblés par Ernst Röhm se présentent devant la brasserie.

A 20h30, alors que Kahr à commencé à prendre la parole, Hitler, pistolet au poing, fait soudain irruption avec plusieurs dizaines d’hommes en armes !

Face au tumulte qui s'ensuit, Hitler tire un coup de feu en l'air, puis monte tranquillement à la tribune 

"La révolution nationale a éclaté !" déclare-t-il, avant d’ajouter que le gouvernement bavarois est renversé, et l’Armée et la Police passées dans le camp des insurgés.

Reste cependant à en convaincre les Bavarois eux-mêmes (!), à commencer par Kahr, Lossow et Seisser, poussés manu militari dans une pièce voisine, et qu’Hitler s’efforce maintenant de rallier en leur promettant des porte-feuilles ministériels au sein du gouvernement qu’il se propose de former en compagnie de Ludendorff.

Mais les discussions tergiversent, et ce n’est qu’à l’arrivée du dit Ludendorff - que la foule accueille sous de formidables tonnerres d’applaudissements - que les trois hommes acceptent finalement - et très provisoirement - d’épouser la cause d’Hitler…

vendredi 12 février 2016

4735 - passer outre

Gustav-Ritter von Karr
… 06 novembre 1923

Jusqu'ici, Hitler avait toujours considéré le ralliement préalable de l’armée et de la police bavaroises comme une condition sine qua non à un putsch éventuel.

Mais en dépit de tous les efforts de séduction qu’il déploie depuis des semaines auprès des uns et des autres, il a la désagréable surprise d’apprendre, le 6 novembre, que Kahr, Lossow et Seisser, qui rêvent pour leur part d'une sécession de la Bavière, ont finalement décidé de s’opposer par la force à sa propre "Marche sur Berlin".

Hitler craint-il de voir vite retomber le soufflé de l’indignation populaire ? d’être débordé sur sa droite par plus extrême que lui ?... ou pense-t-il, déjà, que la Providence, et la seule "Force de la volonté", suffiront à balayer tous les obstacles ? - le fait est qu'il décide de balayer toutes ses réticences initiales et, préfigurant en cela la politique du pari et de la surenchère qui deviendra bientôt sa marque de commerce, de passer à l’attaque dès le 9 novembre,... soit le jour anniversaire de cette République de Weimar qu’il abhorre !

Le plan prévu est remarquablement simple, pour ne pas dire simpliste : au signal donné, des groupes armés doivent en effet se rendre maîtres des gares, des centres de communication et de tous les bâtiments publics - au premier rang desquels figurent évidemment les commissariats - non seulement à Munich mais aussi dans les principales villes de Bavière, comme Nuremberg ou Augsburg, et y imposer une loi martiale qui passe bien entendu par l'arrestation des leaders syndicaux et de tous les responsables communistes connus.

Voilà pour le principe...

jeudi 11 février 2016

4734 - la nouvelle Marche sur Rome

Mussolini (au centre) après la Marche sur Rome d'octobre 1922
… 24 septembre 1923

Le 24 septembre, face à la dégradation de la situation politico-économique, le gouvernement fédéral de Gustav Streseman décide de renoncer à sa politique de résistance passive, et de se plier aux conditions exigées par la France et la Belgique, un geste que les partis d’extrême-droite, à commencer par le NSDAP, dénoncent aussitôt comme une "trahison" face à un diktat.

Fasciné par la Marche sur Rome qui a permis aux chemises noires de Benito Mussolini d’accéder au Pouvoir un an auparavant, Hitler est résolu à en faire de même.

Mais l’Allemagne n’est pas l’Italie ! Aussi conservateurs, nationalistes et anti-Français soient-ils, les responsables politiques bavarois sont des légalistes, naturellement rebutés par toute forme d'agitation, et a fortiori par l’idée-même d’un putsch.

Et dans cette République fédérale de Weimar, Gustav von Kahr, Otto von Lossow et Hans-Ritter von Seisser, respectivement commissaire général, chef de l'armée et chef de la police de Bavière, doivent également tenir compte de l’opinion des autres Lander, et du Pouvoir central de Berlin.

Hitler le sait qui, en compagnie de Ludendorff, multiplie les discussions avec les responsables bavarois, lesquels en font de même avec leurs homologues fédéraux.

Mais après plusieurs semaines de grenouillages en tout sens, l’impasse demeure totale…

mercredi 10 février 2016

4733 - à la recherche d'un "grand homme"

Ludendorff et Hitler, en 1923
… reste que la notoriété et l’influence du NSDAP et de son chef n’ont pour l’heure guère franchi les limites de la Bavière, ce pourquoi Hitler a-t-il besoin, pour réussir le putsch qu’il se propose de mener, d’un "grand homme" bien plus connu et populaire que lui, c-à-d en mesure de rassembler non pas quelques dizaines de milliers de convaincus d’avance, mais bien des millions d’Allemands sceptiques et timorés.

Ce "grand-homme", Hitler est persuadé de l’avoir trouvé en la personne d’Erich Ludendorff, général-en-chef des armées allemandes lors de la Première Guerre mondiale.

Exilé en Suède après l’Armistice, puis rentré en Allemagne en 1920, Ludendorff est un ultra-nationaliste et un ultra-conservateur,... donc un homme naturellement porté à épouser la cause sur NSDAP et de son chef.

Aujourd’hui encore, les interprétations varient cependant quant au degré de responsabilité - et de sincérité - des deux hommes dans les événements qui vont suivre

Pour certains, Ludendorff n’est qu’un paisible homme de paille exagérément naïf dont le diabolique Hitler tire toutes les ficelles. 

Pour d’autres, c’est au contraire Hitler qui, dans cette affaire, est, sinon le plus naïf, en tout cas le plus sincère des deux, puisque n’ambitionnant pour l’heure rien d’autre que le rôle d’un simple "tambour", dont les bruyants roulements réveilleront l’Allemagne toute entière et la rallieront au panache du général…

mardi 9 février 2016

4732 - un mouvement en expansion...

La Stosstrupp Hitler à Munich, septembre 1923
… dans l’esprit d’Hitler, il est vital de canaliser ce mécontentement sous la bannière du NSDAP, puis de s’en servir pour précipiter la chute du gouvernement bavarois, prélude à celle de la République de Weimar dans son ensemble.

Depuis 1919 et l’arrivée d’Hitler, le NSDAP s’est considérablement renforcé, multipliant par mille le nombre de ses adhérents, et ralliant sous sa bannière quantités de groupuscules et de personnalités d’extrême-droite, comme Julius Streicher ou Hermann Goering.

Sous le couvert d’une association de gymnastique (!), devenue SturmAbteilung ("Section d’Assaut" ou SA) en octobre 1921, le parti s’est aussi doté d’un grand nombre de "gros bras" pour la plupart issus des Freikorps, à l’image de leur chef Ernst Röhm, ou… d’Heinrich Himmler qui, à cette époque, n’est encore qu’un militant fort basique, et parfaitement anonyme, du mouvement.

Signe des temps, et de sa propre importance, Hitler se trouve lui-même placé, depuis mai 1923, sous la protection rapprochée de la Stosstrupp Hitler ("peloton de choc d’Hitler"), soit une vingtaine de garde du corps triés sur le volet… et traînant déjà un lourd passé judiciaire.

Dévoués à Hitler jusqu'à la Mort, n'obéissant qu'à lui, et opérant déjà en marge des SA, ces hommes vont constituer l'embryon de ce qui donnera  bientôt naissance à l'organisation la plus crainte et la plus haïe du Troisième Reich, la célèbre Schutzstaffel, ("échelon de protection" ou SS) dont les missions et effectifs ne cesseront de croître tout au long des années suivantes, mais dont la tâche essentielle demeurera toujours d'assurer la sécurité d'Hitler contre ses ennemis, de l'intérieur comme de l'extérieur…

lundi 8 février 2016

4731 - le bon moment

billet de 100 000... milliards de Marks, février 1924
… 11 janvier 1923

Aux termes du Traité de Versailles de 1919, l’Allemagne, jugée seule responsable de la guerre, a été condamnée à verser de lourdes indemnités financières à ses vainqueurs, et particulièrement à la France et à la Belgique, ravagées par quatre années de conflit.

Mais le versement des dites indemnités s’avère si difficile que le 11 janvier 1923, les gouvernements belges et français s’entendent pour envoyer des troupes occuper le bassin industriel de la Ruhr afin de se payer "en direct" sur les centres de production de charbon et d’acier.

La politique de résistance passive décrétée par les autorités allemandes, et le marasme économique qui s’ensuit, ont aussitôt pour effet de propulser l’inflation - déjà très élevée - vers des sommets si vertigineux que leur simple évocation tétanise encore les Allemands d’aujourd’hui : en novembre 1920, le 100 Marks est le plus gros billet de banque en circulation; en février 1924, il a cédé la place à un billet de 100 000… milliards de Marks !

Dans les brasseries, le verre de bière s’affiche désormais à 4 milliards de Marks, et dans les restaurants, le prix des repas augmente carrément d’heure en heure !

Après l’occupation et la présence en Rhénanie de troupes coloniales d’origine africaine, ces événements ont évidemment pour effet d’exacerber les tensions et de profiter aux partis nationalistes d’extrême-droite, et en particulier au NSDAP d’Adolf Hitler, dont le nombre d’adhérents double (à 55 000 personnes) entre février et novembre 1923.

En parfait opportuniste, Hitler sait que les temps sont désormais mûrs pour un putsch

Reste à l’organiser…

dimanche 7 février 2016

4730 - au travail !

Hitler, en 1922
... 01 septembre 1922

Privé du soutien financier de ses parents, Himmler n'a maintenant d'autre choix que de terminer ses études, puis de se mettre aussitôt à la recherche d'un véritable travail.

A l'été 1922, sorti ingénieur agronome avec la mention "Bien", il décroche, le 01 septembre, un emploi de directeur adjoint dans une usine d'engrais, un emploi qu'il conserve jusqu'en septembre de l'année suivante, mais un emploi dont on sait aujourd'hui très peu de choses parce que totalement éclipsé par l'événement - autrement plus considérable - qui va se produire dans sa vie en novembre 1923...

... le Putsch de la Brasserie

Car tandis qu'Himmler poursuivait ses études et ruminait ses frustrations, Hitler n'est pas demeuré inactif !

Après avoir découvert qu'il "savait parler", cet agitateur-né s'est en effet mis à attirer des foules de plus en plus considérables, ce qui lui a permis de gravir rapidement tous les échelons du NSDAP jusqu'à en prendre la tête, le 29 juillet 1921

Ultranationaliste, antisémite autant par opportunisme que par conviction : Hitler ne rêve que d'une chose : renverser l'Ordre actuel, et en particulier cette République de Weimar qu'il abhorre, et le remplacer par un régime autoritaire, apte à dénoncer les "injustices" du Traité de Versailles et à restaurer la grandeur de l'Allemagne.

Vaste projet, donc, mais aussi projet dans lequel Hitler ne se voit encore que dans un simple rôle du tambour...

samedi 6 février 2016

4729 - "un complot bestial destiné à nous briser en tant que race, et finalement à nous détruire"

Les troupes coloniales d'occupation : un thème cher à l'extrême-droite allemande
… aigri, s’apitoyant de plus en plus sur lui-même, Himmler voit du moins s’approcher la fin de son parcours universitaire,… une perspective qu’il considère pourtant avec bien davantage d’angoisse que de satisfaction, ce qui peut s’expliquer par sa crainte du lendemain dans cette Allemagne qui n’offre que bien peu de perspectives, mais aussi par de sérieux doutes sur son réel intérêt pour l’Agriculture, profession qu’il semble avoir surtout embrassée dans l’espoir d’y rencontrer quantités d’anciens militaires.

De fait, le futur ingénieur agronome envisage à présent de prolonger son séjour sur les bancs d'école : en mai 1922, il s'inscrit ainsi à la Faculté des Sciences politiques de Munich, mais voit bientôt ses espoirs s'effondrer une fois de plus : au bout du rouleau suite à l'inflation qui fait rage depuis la fin de la guerre - et qui est loin d'être terminée ! - ses parents n'ont en effet plus les moyens de financer les études supérieures de leurs trois enfants.

C'est une nouvelle et terrible désillusion pour Himmler, qui se voit de surcroît contraint de trouver un emploi de bureau mal rémunéré - qu'il apprend immédiatement à détester - pour financer la fin de son cursus actuel

Dans le même temps - mais est-ce vraiment une coïncidence - son journal intime se couvre de plus en plus de considérations méprisantes sur les Juifs, et de commentaires laudatifs sur les pamphlets antisémites qu’il dévore les uns après les autres.

En toute logique, cet antisémite-en-devenir et jusque-là surtout tenté par l’uniforme se découvre un intérêt pour la politique, qui le pousse tout naturellement vers les partis d’extrême-droite, lesquels dénoncent avec virulence le Traité de Versailles et l’Occupation de la Rhénanie par des troupes françaises comprenant - suprême insulte - un grand nombre de soldats africains perçus comme "un complot bestial destiné à nous briser en tant que race, et finalement à nous détruire" (1)

En tête de ces partis, on trouve tout naturellement le NSDAP d'Adolf Hitler...

(1) ibid, page 61

vendredi 5 février 2016

4728 - la bombe à retardement

Himmler, dans les années 20'
... "où finirai-je", écrit-il dans son journal, "en Espagne, en Turquie, dans la Baltique, en Russie, au Pérou ? J'y pense souvent. Dans deux ans, si Dieu le veut, je ne serai plus en Allemagne, sauf" - s'empresse-t-il d'ajouter - "s'il y a des combats et que je me retrouve soldat". (1)

A l'évidence, la frustration d'Himmler d'avoir raté une belle carrière d'officier est intacte - il tente d'ailleurs, mais sans succès, d'intégrer la Réserve de la Reichswehr - tout comme l'est celle de ne pouvoir dépasser le stade des relations platoniques avec aucune femme de sa connaissance : "où finirai-je, quelle femme voudrai-je aimer et voudra m'aimer ?"

En visite chez des amis, il se fait ainsi ridiculiser par la maîtresse de maison "Elle s'est particulièrement moquée de moi et m'a traité d'eunuque quand je lui ai avoué  que je n'avais jamais bavardé avec des filles et ainsi de suite" (2), écrit-il dans son journal.

A mesure que les mois passent, ces frustrations se reflètent inévitablement dans son caractère et le rendent de plus en plus dépressif, le transformant, comme diraient les psychiatres modernes, en véritable "bombe à retardement"


Ici, il critique "le manque d'intérêt et de maturité de cette génération d'étudiants d'après-guerre" qui, contrairement à lui, n'ont jamais été appelés sous les drapeaux; là, il s'oppose à cette "vanité des femmes de vouloir régenter des domaines où les femmes n'ont aucune habilité"

"Je suis quelqu'un si faible de caractère que je ne tiens même plus mon journal", finit-il par écrire (3)

(1) Longerich, op cit, page 53
(2) ibid, page 55
(3) ibid page 56

jeudi 4 février 2016

4727 - frustrations

Membres des Freikorps, au début des années 20'
... tandis qu'Hitler multiplie les incantations dans les brasseries de Munich, Himmler, lui, reprend tranquillement le cours de ses études agraires qui - du moins à ce que l'en en sait - se déroulent sans éclat mais aussi sans difficulté particulière.

A l'automne de 1920, il effectue même un nouveau stage dans une exploitation agricole, un stage qui, cette fois, se termine sans problème, tout comme celui de l'année suivante.

Parallèlement, le jeune-homme poursuit ses lectures de pamphlets incendiaires,... mais aussi de romans légers, avec une préférence marquée pour ceux où de vertueuses et fragiles demoiselles se retrouvent secourues et protégées par des chevaliers-servants bien décidés à demeurer chastes jusqu'au lendemain du mariage.

Le fait qu'Himmler continue, dans le même temps, de fréquenter quantités de cercles étudiants exclusivement masculins, mais aussi de s'entraîner et de parader en uniforme au sein des Freikorps, donnera évidemment lieu - mais surtout après la guerre - à de nombreux soupçons d'homosexualité ou, à tout le moins, d’homo-érotisme, sur lesquels son journal personnel est malheureusement muet.

Le dit journal laisse en revanche paraître les frustrations de plus en plus profondes du jeune-homme à l'égard de la vie qu'il mène en Allemagne et s'attend à y mener dans un avenir prévisible, ce pourquoi envisage-t-il un jour d'émigrer en Turquie, et un autre d'en faire de même au Pérou...

mercredi 3 février 2016

4726 - les deux H

une complicité certaine... qui aurait pu ne pas être
... avec le recul, on peut sans doute juger inévitable qu'Hitler et Himmler aient fini par s'entendre comme larrons en foire pendant plus de deux décennies afin de conquérir l'Allemagne d'abord, le reste de l'Europe ensuite

Leur profil présente en effet d'étonnantes similitudes : ainsi, sans être véritablement asociaux, les deux hommes sont des solitaires, qui préfèrent de loin les plaisirs de la lecture à ceux que pourraient leur apporter l'alcool, la nourriture, le tabac,... ou la fréquentation de leurs contemporains, en particulier des femmes, qu'ils idéalisent comme autant de petites choses fragiles et merveilleuses mais aussi sans cervelle, et avec lesquelles ils se montrent toujours charmants mais pas du tout entreprenants.

Et s'ils ne méritent en rien le qualificatif "d'incultes" qu'on leur accolera bientôt, ce ne sont pas non plus des intellectuels, mais plutôt des autodidactes mal dégrossis, qui lisent certes beaucoup mais sans aucune méthode, et qui privilégient de loin les romans faciles, les chroniques édifiantes,... et les pamphlets nationalistes et antisémites prétendument "sérieux", voire "scientifiques", mais qui ne sont en fait que fatras d'élucubrations incroyablement simplistes, haineuses et racistes.

Mais outre leurs détestables goûts littéraires, les deux hommes partagent également maintes rancœurs, à commencer par cet Armistice de 1918, dont ils rendent les Juifs et les Francs-maçons responsables et qui, non content de ruiner et d'humilier l'Allemagne toute entière, les a privés, eux, de l'existence bien ordonnée à laquelle ils aspiraient. 

Pourtant, les jeux ne sont pas encore faits ni pour l'un ni pour l'autre, et leur rencontre - qui parait pourtant aller de soi - ne se produira d'ailleurs pas avant plusieurs années,... qu'ils vivront néanmoins l'un et l'autre comme des années de maturation, et de préparation, au "grand destin" qui les attend...

mardi 2 février 2016

4725 - contre toute attente

Hitler, au début des années 1920
… car pour le caporal Hitler, cet Armistice a immédiatement éveillé ses craintes d’un retour à l'insécurité et à la misère... 

Mais contre toute attente, et plutôt que de le démobiliser sine die comme tant d’autres, et notamment comme l’aspirant Heinrich Himmler, ses supérieurs ont plutôt décidé de le garder quelque temps sous l’uniforme (1)

Peu après sa sortie de l'hôpital, ils l’ont même chargé d’une mission spéciale : infiltrer un des nombreux groupuscules völkisch alors endémiques dans les brasseries de Münich. 

Devenu une sorte d’informateur en tenue civile, le caporal Hitler a ainsi eu la chance d’assister à une réunion du Deutsche Arbeiter Partei (DAP) ou "Parti Ouvrier Allemand" (2), fondé par Anton Drexler le 5 janvier 1919 

Si Hitler n’en est guère sorti impressionné, et a plutôt considéré ce mouvement comme juste bon à divertir une poignée de militants – mi-bagarreurs, mi-ivrognes – dans les arrière-salles, il y a pourtant adhéré peu après, avant de découvrir, à sa grande surprise, et comme il l'écrira plus tard dans Mein Kampf, qu'il "savait parler" à la foule. 

Grâce à ce "don", il a ensuite gravi, à une vitesse météorique, les marches de cet obscur parti dont il va d’ailleurs finir par prendre la tête le 29 juillet 1921, après en avoir évincé son fondateur.... (1) 

(1) Hitler ne fut officiellement démobilisé qu’à la fin de mars 1920 
(2) rebaptisé NSDAP (Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei) en mars 1920

lundi 1 février 2016

4724 - "l'homme nouveau"

Hitler (à droite) sur le Front des Flandres
… le 5 aout 1914, un petit moustachu enthousiaste du nom d’Adolf Hitler s’est porté volontaire pour servir dans l’armée bavaroise, où il a rapidement connu – comme il l’écrira plus tard - "les plus belles années de sa vie".

Car pour lui, le déclenchement de la 1ère GM s’est surtout avéré une renaissance : pour la première fois depuis des années, cet artiste raté et quasi clochard, qui a toujours considéré le travail comme indigne de lui, a trouvé un but à sa vie, et une communauté humaine à laquelle s'identifier. 

Plus besoin en effet de se préoccuper de l'improbable vente d'une aquarelle, ni de la quête d'un refuge où passer la nuit : l'armée allemande a pourvu à tous ses besoins, lui a versé une solde régulière, et lui a dit quoi faire et quoi penser. 

Pendant quatre ans, en véritable "homme nouveau", il a servi au Front en qualité d'estafette, affectation qui, n’en déplaise à ses détracteurs, n’avait rien d’une 'bonne planque" : tout au long de la guerre, le taux de mortalité parmi les messagers entre les différents secteurs du Front ne l’a en effet cédé en rien à celui des soldats dans les tranchées - Hitler a d'ailleurs été blessé à plusieurs reprises, et décoré deux fois pour bravoure.

Sa dernière blessure, en août 1918, lui a même valu la Croix de Fer de Première Classe - distinction rare pour un caporal – mais aussi un long séjour à l’hôpital, où on l’a soigné pour une cécité passagère due à une exposition au gaz. 

Mais comme toutes les bonnes choses – fussent-elles guerrières – ont une fin, l’Armistice du 11 novembre 1918 a mis brutalement fin à cette vie bien ordonnée…