lundi 9 septembre 2024

8038 - Mistel

Le Mistel : une idée intéressante... sur le papier
... jugé - non sans raison (!) - par trop extrême, le Reichenberg a de toute manière été vite supplanté par un programme à peine plus réaliste : le Mistel.

En pratique, le Mistel n’est quant à lui rien d’autre qu’un vieux bimoteur déclassé - généralement un Junkers 88 - inhabité, débarrassé de tous ses équipements, truffé de plusieurs tonnes d'explosifs, et sur le dos duquel on attache ensuite un chasseur monomoteur, Me-109 ou Fw-190

Le pilote du chasseur est supposé assurer le décollage puis le convoyage de l'ensemble jusqu'à l'objectif désigné, puis se libérer du bombardier après avoir lancé celui-ci selon un angle de 15 degrés vers la cible, sur laquelle il explosera quelques secondes plus tard.

Le bombardier est certes sacrifié à chaque occasion. Toutefois, la Luftwaffe disposant encore de beaucoup d'avions mais de très peu de pilotes et encore moins d'essence, cette perte est finalement de peu d'importance, tandis le système offre le gros avantage d'être simple et rapidement disponible, et, toujours par rapport au Reichenberg,... de garantir à son pilote une chance cette fois raisonnable de survie !

Le problème, c’est que, par sa conception-même, cet étrange bombardier composite s'avère en revanche extrêmement vulnérable à la DCA et surtout à la chasse alliée : à la moindre apparition d'un appareil allié dans le ciel, le pilote allemand n'a d’ailleurs d'autre choix que de se séparer immédiatement du bombardier pour s’enfuir à tire-d'aile, laissant ainsi ce dernier continuer sa course et s’écraser n’importe où mais jamais où on le voudrait !

De fait, malgré des prémisses relativement encourageantes, la formule du Mistel va, comme tant d’autres, s'avérer un échec si total qu'on ne connaît aucun exemple de cible effectivement détruite par eux...

dimanche 8 septembre 2024

8037 - ... à l'autre

Le Reichenberg : un V1 piloté jusqu'à la cible et - théorioquement - évacuable en vol...
... au sein de la Luftwaffe, les plus irréductibles, ou les plus nazis, veulent pourtant encore y croire, mais à mesure que les jours passent et que la situation, autant sur Terre que dans les Airs, se dégrade et devient plus désespérée, les concepts dont ils accouchent se font eux-mêmes de plus en plus désespérés et délirants.

Si le Me-163 à moteur-fusée, qui va pourtant tuer bien plus de pilotes allemands qu’il n’aura réussi à abattre de bombardiers américains (!), paraissait encore "raisonnable" face au Bachem Natter, le Fieseler Fi-103R "Reichenberg" est en revanche de la même veine que ce dernier,... et n’offre lui aussi qu’une probabilité de survie infime à celui qui est supposé le mener jusqu’au but, lequel, cette fois, n’est pas un bombardier américain, mais bien une cible terrestre bien définie et de petite dimension, comme un pont ou une centrale électrique, qu’un V1 ordinaire, sur lequel le Reichenberg est d’ailleurs conçu, est incapable d’atteindre, du fait de sa très grande imprécision.

En pratique, donc, le Reichenberg n’est rien d’autre qu’un V1 sur lequel on a greffé une verrière et un semblant de poste de pilotage seulement accessible à un pilote de (très) petite taille, et que ce dernier est supposé évacuer en parachute juste avant que l’engin, qui a conservé sa charge explosive habituelle d’une tonne, frappe la cible !

Et non contente d’être déjà périlleuse dans son principe-même, l’évacuation est ici rendue quasi-impossible par la présence, derrière la verrière, du pulso-réacteur Argus, qui a toutes les chances de frapper mortellement le pilote dès que celui-ci tentera de s’extraire du cockpit, vu qu’il n’existe aucune forme de siège éjectable !

En pratique donc, et malgré près de 200 exemplaires construits, le Reichenberg ne sera lui non plus jamais utilisé au combat,... là encore pour le plus grand bien de ses utilisateurs potentiels...

samedi 7 septembre 2024

8036 - d'un délire...

Le Bachem "Natter",... ou le délire à l'état brut !
... il faut dire que face à une Luftwaffe incapable de se remettre de la saignée de Bodenplatte, et de toute manière autant à court de pilotes que de carburant, les équipages des bombardiers anglo-américains ont désormais la partie facile dans un ciel quasi-vide de tout chasseur allemand !

Ceux-ci n’ont pourtant pas complètement disparu : les mitrailleurs des bombardiers en aperçoivent encore quelques-uns uns ici et là, parfois même sous la forme "d’avions-miracles" Me-262 à réaction ou, encore plus rarement, Me-163 à moteur-fusée.

Toutefois, ces derniers sont bien trop peu nombreux pour menacer sérieusement la réussite du moindre raid, et parce que construits à la va-vite ou selon des spécifications par trop extrêmes, s’avèrent en définitive bien plus dangereux pour leurs utilisateurs que pour leurs adversaires,... la palme du genre revenant sans conteste à l’incroyable - et à vrai dire inénarrable - Bachem Ba-349 "Natter", qui n’est rien d'autre qu’un missile vaguement piloté, construit entièrement en bois, tiré depuis une rampe de lancement dressée à la verticale, et que son pilote est supposé évacuer en parachute - aucun atterrissage n'étant prévu -après avoir accompli sa mission et éjecté tout le cône avant contenant les roquettes air-air - la partie arrière étant quant à elle supposée redescendre tranquillement vers le sol grâce à un autre parachute, pour être réutilisée par la suite.

Lorsque le Natter lui a été présenté, à l’automne 1944, Heinrich Himmler, chef suprême de la SS, s’est cependant enthousiasmé pour ce projet théoriquement en mesure d’offrir une défense locale immédiate aux villes et sites industriels menacés par les bombardements alliés

La SS, a qui le programme a donc échu, a lancé les commandes pour la construction de centaines de Natter et de rampes destinées à leur lancement, mais le 01 mars, le premier vol piloté s’est immédiatement soldé par un désastre et la mort de son infortuné pilote quelques secondes à peine après le lancement, et en pratique, aucun de ses engins complètement délirants ne sera jamais tiré contre le moindre bombardier allié,... au plus grand soulagement des infortunés qui auraient dû les mener au combat...

vendredi 6 septembre 2024

8035 - "Le Bomber Command a désormais détruit 63 villes allemandes de cette manière !"

Cadavre féminin, retrouvé dans les ruines d'un abri anti-aérien. Dresde, février 1945
 ... Pforzheim, 24 février 1945

Après Dresde, après l’enfer de Dresde, on aimerait évidemment pouvoir écrire que la Grande Illusion est maintenant chose du Passé, et que Britanniques et Américains sont à présent définitivement convaincus que ce n’est pas en bombardant des villes qu’ils mettront un terme à la guerre, ou même raccourciront celle-ci

Mais après Dresde, Harris est déjà décidé à s’en prendre à la ville natale du célèbre et défunt Fritz Todt,Pforzheim, au nord de la Forêt Noire...

"Les attaques des 24 et 25 février détruisirent 83% du bâti de la ville et tuèrent 17 600 personnes, soit 20% de la population de la ville. "L’endroit tout entier a été incendié !", se vanta Harris à la réunion ultérieure des chefs de l’Armée de l’Air (...)  "Le Bomber Command a désormais détruit 63 villes allemandes de cette manière !"" (1)

Et de fait, à Pforzheim, c’est au lance-flammes que les autorités locales décident de recourir pour se débarrasser des cadavres...

Encore une semaine, et, le 01 mars, près de 500 bombardiers britanniques écrasent ce qui reste de Mannheim. Le lendemain, plus de 800 autres en font de même sur ce qui reste de Cologne qui, le 07, tombe aux mains de l’Infanterie américaine, laquelle franchit le Rhin le lendemain, après avoir capturé intact le célèbre Pont Ludendorff à Remagen.

Ironiquement, grâce à cette Infanterie qui, à l’Ouest comme à l’Est, progresse chaque jour un peu plus en territoire allemand, le nombre de villes allemandes encore "bombardables" diminue quant à lui à vue d’œil (!), ce qui, néanmoins, n’incite nullement Harris ou Spaatz à arrêter les frais ni même à ralentir la cadence...

(1) Randall, op cit, page 328

jeudi 5 septembre 2024

8034 - le tourisme des cendres

soldats morts dans un abri : leur masque anti-gaz ne les a pas protégés du manque d'oxygène
... à l'énoncé des pertes et des destructions, Hitler entre comme à son habitude dans une rage folle et se promet d'exécuter autant de prisonniers de guerre anglo-américains qu'il y a eu de civils allemands tués dans le bombardement !

Pas question toutefois de discerner enfin chez lui une preuve d’apitoiement envers son propre peuple : le calcul du Führer est en effet purement froid et rationnel, car en agissant de la sorte, c-à-d en reniant les Conventions de Genève d'une manière aussi flagrante, les soldats mais aussi les civils allemands n’auraient alors plus d’autre choix que de combattre jusqu’à la mort,... par crainte de subir la vengeance inévitable des Alliés !

Ce n'est qu'à grand-peine que les militaires, qui ont eux aussi quelque raison de craindre cette même vengeance, parviennent à le convaincre d'y renoncer...

Mais l'infatigable Ministre de la Propagande, Joseph Goebbels, a alors une autre idée, plus originale, celle d'organiser, sur les ruines-même de Dresde, une sorte de "tourisme des cendres" : tous les soldats allemands ayant de la famille à Dresde vont ainsi se voir accorder des permissions exceptionnelles qui leur permettront de visiter la ville - ou plutôt ce qu'il en reste - et, à leur retour en unités, d'en parler à leurs camarades, ce qui, pense Goebbels, devrait alors les inciter à se battre avec une ardeur et une foi patriotique décuplées, convaincus qu'ils seront qu'il n'y a en vérité rien de bon à attendre autant des  Anglo-Américains que des Soviétiques.

Las : c'est tout le contraire qui se produit, car à présent confrontés de visu à la perspective d'une annihilation totale de leur pays mais aussi de leurs foyers et de leurs familles, les soldats du Front de l'Ouest vont plutôt, dans les jours qui suivent, lutter de plus en plus mollement, et se laisser capturer par milliers, dizaines de milliers, et finalement centaines de milliers...

mercredi 4 septembre 2024

8033 - le triomphe du gril...

Cadavres brûlés sur un gril à la Place de l'Altmarkt
... plus question d'honorer quelques dizaines de martyrs du Reich de Mille Ans : ne serait-ce que pour des raisons sanitaires, il faut au contraire faire disparaître, et surtout faire disparaître le plus vite possible (!), des milliers et des milliers de corps souvent carbonisés au point d'en être rendus totalement inidentifiables !

A Dresde, les équipes de secours, totalement dépassées par l'ampleur de la catastrophe, fouillent inlassablement les gravats à la recherche d'éventuels survivants, mais ne trouvent le plus souvent que des cadavres.

Combien de cadavres ? Aujourd’hui encore, nul ne peut le dire avec certitude.  Évalué à "bien plus de 100 000" par l'occupant russe au lendemain de la guerre, le total des morts de Dresde tourne plutôt aujourd’hui aux alentours des 35 000, ce qui demeure néanmoins considérable,... et excédait de toute manière largement ce que les autorités locales étaient capables de "traiter" avec les faibles moyens dont elles disposaient à l’époque.

Alors, pour se débarrasser du "problème", celles-ci finissent par recourir à une méthode d'élimination directement héritée du Moyen-Âge.

"Des travailleurs et des prisonniers russes creusèrent des tombes dans les cimetières de Dresde pour dix mille personnes tombées au champ d'honneur. Survint un radoucissement du temps (...) qui accéléra la décomposition. Il ne restait plus d'autre choix (...) que de donner l'autorisation d'incinérer les corps. Cela eut lieu sur l'Altmarkt, où l'on bâtit d'immenses grils avec des poutrelles de fer. Sur chacun d'eux, on disposa environ cinq cents corps les uns sur les autres. On les imprégna d'essence et on y mit le feu" (1)

Ironie de l’Histoire, ces grils improvisés ont été construits avec la participation de SS, qui ont eux-mêmes appris cette méthode de crémation pour le moins originale au camp d'extermination de Treblinka, où on la pratiquait sur les cadavres des Juifs assassinés...

(1) Jorg Friedrich, "L'Incendie", page 394

mardi 3 septembre 2024

8032 - l'ironie suprême

Cadavre d'une mère, effondrée sur le berceau de son enfant qu'elle vainement tenté de protéger
... pour les Britanniques, et pour Harris - à supposer qu’il ait jamais eu besoin d’une justification pour s'en prendre à une ville - le Bombardement de Dresde est évidemment une manière de venger le fait que 180 fusées V1 et V2, soit le total le plus important jamais enregistré jusque-là, se sont abattues sur l'Angleterre cette semaine-là, et aussi un moyen de tenir la promesse, faite à Staline quelques jours plus tôt, de paralyser toutes les voies de communication ferroviaire, attendu que, selon les renseignements soviétiques, la gare de Dresde et ses environs sont actuellement bondés de soldats en route vers le Front de l’Est.

Et de fait, la gare de Dresde et ses alentours sont effectivement bondés... mais de réfugiés fuyant l’avancée de l’Armée rouge !

Et l’ironie suprême veut qu’après le raid nocturne des Britanniques sur le centre-ville, les dits réfugiés vont être rejoints dans les environs de la gare par des milliers de citadins occupés à fuir les flammes qui ravagent le dit centre-ville,... et que cet endroit va précisément se retrouver ciblé, le lendemain, 14 février, par... 316 forteresses volantes américaines qui, pour faire bonne mesure, seront relayées par 211 autres le surlendemain !

"C’était", écrivit l'historien Frederick Taylor, "comme si l'ennemi avait anticipé chaque mouvement des habitants de Dresde, puis les avait tués tel du bétail astucieusement conduit dans des enclos" (1)

Au total, du 13 au 15 février, quelque 1 300 bombardiers lourds vont ainsi transformer une cité jusque-là miraculeusement épargnée par la guerre en un nouvel enfer sur terre, un enfer où les cadavres se comptent bientôt par milliers, puis dizaines de milliers, et finissent par largement excéder la capacité d’en disposer.

Au début de la guerre aérienne, l'Allemagne nazie n'éprouvait pourtant aucune difficulté à offrir cérémonie officielle, cercueil décent et sépulture individuelle à chaque victime civile des bombardements britanniques, ainsi bien sûr que décorations, indemnisations et sympathies personnelles du Führer aux survivants et héritiers.

Mais depuis la mi-1943, les morts sont devenus à ce point nombreux qu’il a fallu en revenir aux fosses communes, et passer des cercueils en sapin aux sacs de toile que l'on coud simplement autour des cadavres avant de les lancer un par an dans la fosse...

(1) Randall, op cit, page 327