dimanche 6 juillet 2025

8948 - sur la route de Mandalay

Le Reconquête de Mandalay : une sauvagerie aux antipodes de la poésie de Kipling...
… Mandalay, 7 mars 1945

Dans ses mémoires, le général Slim écrira que la traversée du fleuve Irrawady fut "la plus longue traversée de fleuve tentée dans n'importe quel théâtre de la Seconde Guerre mondiale", un exploit qui est certes techniquement exact mais qui, vu la disproportion des forces en présence, doit finalement bien davantage aux efforts des troupes du Génie, et à l’insigne faiblesse de l’opposition japonaise, qu’à l’héroïsme des fantassins de la 14ème Armée britannique !

Qu'importe : ayant réussi à franchir le seul véritable obstacle dressé sur leur route, les dits fantassins ont à présent le champ libre pour reconquérir le reste de la Birmanie, et en particulier la ville et cette Colline de Mandalay couverte de stupas et de monastères bouddhistes, rendue célèbre par un poème de Kipling, et que les avant-gardes de la 19ème D.I. indienne aperçoivent dès le 7 mars.

"Ship me somewheres east of Suez, where the best is like the worst,
Where there aren't no Ten Commandments an' a man can raise a thirst;
For the temple-bells are callin', an' it's there that I would be
By the old Moulmein Pagoda, looking lazy at the sea;
On the road to Mandalay,
Where the old Flotilla lay"

Mais Kipling est bien loin, et sa poésie n'a rien à voir avec la sauvagerie du moment puisque, comme de coutume, les soldats japonais, sans le moindre espoir de l’emporter, ni même de stopper la progression de leurs adversaires, les soldats japonais résistent avec acharnement et, comme de coutume, préfèrent se suicider ou se laisser tuer jusqu'au dernier plutôt que de se rendre, ce qui, quelque part, arrange bien les hommes de la 14ème, qui ne soucient guère de faire des prisonniers.

"Nous les avons submergés puis tués, et tués et tués encore", notera tranquillement un officier britannique dans son journal…

samedi 5 juillet 2025

8947 - et au milieu, coule un fleuve

Soldats britanniques franchissant l'Irrawady sans grand stress, 14 février 1945 
… Irrawady, février 1945

En vérité, la messe de la défaite japonaise en Birmanie n’a même plus à être prononcée, et bien plus que l’entêtement de Kimura et de ses soldats, le principal obstacle qui, en ce mois de février 1945, se dresse devant la 14ème Armée n’est autre que l’immense fleuve Irrawady, lequel barre entièrement le pays d’Est en Ouest et, de Myitkyina au Nord à Rangoon au Sud, s’étire sur quelque 2 000 km.

Depuis que les guerres existent, la traversée d’un fleuve par une armée en campagne n’a jamais été une mince affaire, et elle l'est d'autant moins dans ce cas-ci que les moyens de le traverser manquent cruellement et se limitent en vérité à de modestes jonques, de vieux ferrys depuis longtemps époumonés, et un invraisemblable bric-à-brac de petites embarcations de fortune et de radeaux minables, dont la simple vision inspirerait les pires craintes au combattant le plus endurci...

Face à un adversaire disposant d’une artillerie convenable, et d’un minimum de soutien aérien, la pitoyable "flotte d’Invasion" constituée tant bien que mal par la 14ème Armée du général Slim serait immédiatement envoyée par le fond et avec de très lourdes pertes humaines.

Mais en ce mois de février 1945, les forces japonaises de Birmanie sont à ce point au bout de leur rouleau que la traversée de l’Irrawady, qui s’échelonne sur plusieurs semaines et en de multiples endroits du fleuve, s’effectue sans véritable problème.

Tout n’est maintenant plus qu’une simple question de temps…

vendredi 4 juillet 2025

8946 - quelque chose a changé

Civils birmans en fuite - ici en 1942 - "quel est le vainqueur aujourd’hui ?"
cerise sur le sundae,Slim peut également compter, du moins en théorie, sur l’appui de la population birmane qui, loin d’avoir été "libérée" par les Japonais, a au contraire énormément souffert de ceux-ci depuis leur arrivée dans le pays, en 1942.

Mais dans ce domaine-là, il y a cependant loin de la coupe aux lèvres !

Car à l’instar de tous les peuples des colonies occidentales conquises par le Japon en 1941 et 1942, les Birmans - nous l’avons dit - ne sont nullement disposés à se précipiter à nouveau dans les bras de leurs anciens colonisateurs une fois les Japonais vaincus !

C’est donc sous les regards joyeux mais néanmoins lourds de sous-entendus de la population birmane que les hommes de la 14ème Armée britannique progressent lentement vers le sud-ouest.

Fidèles à leurs habitudes, les Japonais résistent avec acharnement et, là encore conformément à leurs habitudes, le plus souvent jusqu’à la mort, mais au sein de la 14ème, les plus anciens ne peuvent s’empêcher d’observer que "quelque chose a changé"

Autrefois sûrs d'eux-mêmes et de leur supériorité raciale, mais à présent déguenillés, ces Nippons, qui combattent avec de vieux fusils et mitrailleuses, très peu de munitions, et quasiment aucun canon (!), qui sont privés de tout soutien aérien et même de tout médecin, dont l’ordinaire se résume à un peu de riz parfois agrémenté de la viande d'un singe ou de l’un ou l’autre chien errant directement abattu sur le bord de la route, ces Nippons, donc, ne sont en effet plus que l’ombre de leurs glorieux aînés qui, à peine trois ans auparavant, avaient infligé à la Grande-Bretagne et son armée une des déroutes les plus humiliantes de leur Histoire !

En pratique, les dits Japonais, trop peu nombreux, et de toute manière inefficaces, ne peuvent, au mieux, que retarder l'inéluctable sans véritablement mettre en péril leurs adversaires et les plans de bataille du général Slim…

jeudi 3 juillet 2025

8945 - en Birmanie, du nouveau...

La Birmanie, ou le "Front oublié"par excellence...
… et puisque la British Pacific Fleet en est réduite à ronger son frein - ou devrait-on dire sa chaîne d’ancre - aux îles de l’Amirauté, revenons sur le plancher des vaches, et plus précisément en Birmanie, cette Birmanie où, depuis 1942, les Britanniques - rappelons-nous - combattent bien davantage la maladie, les insectes et les serpents venimeux que les Japonais.

Victorieux en 1942, et à peine menacés en 1943, notamment, et comme nous l’avons vu, par les Chindits de Wingate, les dit Japonais ont cependant vu leurs ultimes rêves de conquêtes brisés à Imphal (mars) et Kohima (juin 1944), avant de se voir finalement forcés à une  humiliante retraite, qui leur a coûté plus de 60 000 tués et blessés, eux aussi bien davantage victimes d’épuisement et de maladies que des balles ennemies.

Contraint par le cours des événements à rompre avec la tradition de tous ses prédécesseurs, le nouveau commandant-en-chef du Front birman, le général Heitarō Kimura, a cette fois sagement décidé de ne plus combattre dans la jungle et les collines, et de se contenter plutôt de la seule Birmanie "utile", à savoir celle des grandes villes comme Rangoon ou Mandalay, et aussi celle des rizières, des usines et des installations pétrolières, qui représentent encore quelque intérêt pour l'effort de guerre nippon et qui, en principe du moins, devraient permettre de résister sur place en quasi-autarcie.

Mais même avec des ambitions ainsi réduites, les forces qui, en ce début de 1945, demeurent à sa disposition, s'avèrent néanmoins dramatiquement insuffisantes pour affronter le poids de la moindre offensive alliée !

Car contrairement à lui, le général William Slim, qui commande la 14ème Armée britannique, dispose non seulement d’effectifs et de moyens à présent largement supérieurs aux siens, mais aussi et surtout, grâce à une Aviation dont Kimura est désespérément dépourvu, de la possibilité de les appuyer en permanence, et même de les déplacer au gré des besoins à n'importe quel moment et en n'importe quel endroit du Front.

Ce dont il ne va certes pas se priver…

mercredi 2 juillet 2025

8944 - "Les navires étaient arrivés et prêts, mais personne n'en avait besoin"

Le Victorious, à Manus. "Et maintenant, on faut quoi ?"
 … 30 janvier 1945

Car le 30 janvier, la  "magnifique flotte britannique" a - enfin - mis le cap vers le Pacifique, et dans un premier temps vers l’Australie, atteignant Freemantle le 04 février, et Sydney le 10.

Mais si les Australiens sont ravis de la voir arriver, et les équipages pas mécontents non plus de goûter à l’hospitalité des Australiens,… et surtout des Australiennes, l’avenir de la flotte elle-même est encore loin d’être clair !

"Le contre-amiral Fisher était arrivé à Sydney et avait appareillé le 24 février pour Manus [aux Iles de l’Amirauté], où le train des équipages, encore embryonnaire, était en cours de formation. 

L'amiral Fraser avait au moins obtenu [des Américains] l'autorisation de rapprocher la flotte de la zone des combats, et la flotte principale quitta donc Sydney le 28 février, sous le pavillon du vice-amiral Sir Bernard Rawlings à bord du King George V, arrivant à Manus le 7 mars. 

La flotte y demeura,… et se contenta de regarder passer le reste du monde. Les navires britanniques s'attendaient à participer aux opérations à venir contre les îles Ryukyu, mais l’ordre de l'amiral King n'arrivait pas. 

Tandis que la 6ème Armée du général [américain] Krueger repoussait le reste des troupes de Yamashita sur Luçon [aux Philippines], que les Marines américains subissaient un mois de calvaire pour la conquête des aérodromes d'Iwo Jima, que la 14ème Armée de Slim, en Birmanie, traversait l'Irrawaddy et se préparait à prendre Mandalay, et qu'en Europe, Bradley et Montgomery fonçaient vers le Rhin, la British Pacific Fleet était à Manus, s’entrainant, se ravitaillant, et jetant l'ancre. 

Les navires étaient arrivés et prêts, mais personne n'en avait besoin" (1)

(1) ibid, page 117

mardi 1 juillet 2025

8943 - dans l'indifférence

Janvier 1945 : un Seafire de l'Indefatigable vient, comme tant d'autres, de terminer sa carrière contre la barrière de sécurité...
… (…) "La défense antiaérienne de la flotte était également clairement défaillante. 

La force de couverture avait certes réussi à abattre jusqu'au dernier appareil ennemi, mais ces derniers étaient néanmoins parvenus à s’approcher dangereusement près des porte-avions. 

La discipline de tir, et la reconnaissance des appareils, étaient également déficientes. Outre l’inutile tragédie survenue à l'Illustrious, un Hellcat s’était ainsi retrouvé sous le feu du King George V alors qu'il avait pourtant interrompu son attaque, et des Seafire (…) avaient été endommagés par des tirs amis (même s'il faut préciser que les dits Seafire avaient eux-mêmes pris des risques en poursuivant leur ennemi si près de la flotte). 

La fragilité des Seafire sur porte-avions, qui contrastait de manière saisissante avec la robustesse des avions américains, avait d'autre part été démontrée une fois de plus. 

La nécessité de la discipline aérienne avait également été soulignée à maintes reprises. Les intérêts des bombardiers n'auraient pas nécessairement été mieux servis si l'escorte de chasse était demeurée rigoureusement à leurs côtés. Toutefois, des Avenger avaient été perdus parce que laissés sans escorte, et incapables de faire entendre leurs appels à l'aide" (1)

Mais peut-être plus grave est tout simplement le fait que ces opérations, aussi utiles puissent-elles être, n’ont finalement intéressé personne y compris - et c’est tout de même un comble ! - en Angleterre-même, où l’opinion publique ne se préoccupe en vérité que des ultimes soubresauts de l’Allemagne nazie après la Bataille des Ardennes (2) et, quoi que dans une bien moindre mesure, de la reconquête par les Américains de ce Pacifique vers lequel les navires britanniques viennent enfin de mettre le cap…

(1) ibid, page 113
(2) sur la Bataille des Ardennes : Saviez-vous que… Nuts

lundi 30 juin 2025

8942 - cette éternelle complainte de la British Pacific Fleet...

La raffinerie de Soengei Gerong, après le raid. La production n'y fut là aussi réduite que de 30%
… depuis le début de ses opérations sur Sumatra, la British Pacific Fleet a perdu 16 appareils au combat, mais en a également vu 11 autres s’abimer dans les flots, et 14 se crasher à l’appontage.

Même si elles n’ont rien d’irrémédiables dans l'absolu, surtout à cette étape de la guerre, ces pertes n’en sont pas moins élevées,… surtout si on considère le fait que la production pétrolière japonaise, bien que ralentie, n’a nullement été stoppée.

Les différents raids n’ont pourtant pas été inutiles,... ne serait-ce qu’en révélant les faiblesses dont souffre encore la "magnifique flotte britannique" tant vantée par Churchill 

"Les opérations sur Palembang avaient démontré que la flotte avait un besoin urgent de groupes aériens mais aussi d'un porte-avions de réserve. 

(…) Une troisième frappe était réalisable, et même clairement nécessaire : les chasseurs ennemis avaient été largement éliminés, la météo était toujours favorable et la position de la flotte demeurait inconnue de l'ennemi, mais Meridian Three avait dû être abandonnée car « il n'y avait pas assez de pétrole » – cette éternelle complainte de la British Pacific Fleet, dont la force de ravitaillement disposait tout juste d’assez de carburant pour permettre aux navires d’atteindre [à présent] l’Australie. 

De plus, le ravitaillement entre les frappes avait occupé deux jours entiers (1), alors que la flotte aurait pu être en grand danger" (2)

(1) contrairement à l’US Navy, qui ne pratiquait plus que le ravitaillement en côte-à-côte avec plusieurs tuyaux en même temps, la Royal Navy privilégiait encore le ravitaillement en file indienne, bien plus lent mais jugé plus sûr, où le pétrolier se contente de trainer un seul et unique tuyau accroché à une bouée, et sur lequel vient se raccorder le navire à ravitailler 
(2) Winton, op cit, page 112