jeudi 30 novembre 2023

7754 - les cousins américains

Retardé par d'innombrables problèmes de développement, le B-36 n'entrera en service qu'en 1949
... disposant d'un territoire énorme, et confrontés à la perspective de devoir, un jour ou l'autre, mener une nouvelle guerre en Europe, les Américains sont eux aussi à la recherche d'appareils en mesure de transporter une importante charge de bombes sur une très grande distance.

Les plus ambitieux rêvent même de bombardiers lourds capables d'opérer directement au-dessus de l'Europe tout en décollant depuis l'autre côté de l'Atlantique : début 1941, craignant que la Grande-Bretagne ne soit contrainte de capituler avant l'entrée en guerre des États-Unis, l'United States Army Air Corps (USAAC) va ainsi lancer un appel d'offres pour un bombardier proprement titanesque, qui pourrait décoller des États-Unis, ou au minimum de Terre-Neuve, traverser l'Atlantique, bombarder Berlin,... et en revenir, le tout à une vitesse de croisière de plus de 400 km/h, à plus de 12 000 mètres d'altitude (donc hors de portée des canons anti-aériens allemands), et en transportant au moins 4 tonnes de bombes !

C'est beaucoup - et beaucoup trop - demander pour l'époque, et de fait, l'appareil qui en émergera finalement, le monstrueux Convair B-36, ne volera qu'en août 1946, n'entrera en service qu'en 1949, ne convaincra pas grand-monde,... et ne deviendra raisonnablement opérationnel qu'après l'ajout de quatre turboréacteurs (1) aux six moteurs à hélice d'origine !

Pour la guerre qui s'en vient en Europe (2), il va donc falloir faire avec ce qu'on a, autrement dit avec les quadrimoteurs Boeing B-17 (premier vol en juillet 1935) et Consolidated B-24 (décembre 1939), soit deux appareils relativement rustiques et que l'on va rapidement surnommer "forteresses volantes" en raison de la grande quantité de mitrailleuses dont ils sont équipés,... et qui contrastent singulièrement avec ce dont disposent leurs cousins britanniques...

(1) les turboréacteurs permettaient de raccourcir la distance au décollage et d'augmenter la vitesse de pointe au-dessus de la cible, mais étaient coupés pendant la plus grande partie du vol, afin de diminuer la consommation de carburant.
(2) ayant effectué son premier vol en septembre 1942, le beaucoup plus moderne Boeing B-29 ne sera utilisé que contre le Japon

mercredi 29 novembre 2023

7753 - un trio de choc

Le Lamcaster : la version britannique de la vision de Douhet
... si, pour des raisons essentiellement de coût et de polyvalence, Allemands, Italiens, Français, Japonais ou encore Soviétiques, privilégient des bombardiers moyens bi- et parfois trimoteurs, Britanniques et Américains, bien que possédant également nombre d'appareils semblables dans leur inventaire, n'en poursuivent pas moins, tout au long des années 1930, et avec des fortunes diverses, l'étude et la réalisation de machines autrement plus grandes et complexes.

Isolés sur leur île, mais ayant également un Empire extraordinairement étendu à défendre, les Britanniques perçoivent sans doute mieux que d'autres l'intérêt de disposer d'avions offrant non seulement une plus grande charge utile, mais aussi un meilleur rayon d'action,... ce qui ne peut se concilier qu'avec des appareils au moins quadrimoteurs.

Si l'Avro Manchester, étrange quadrimoteur à seulement deux hélices (!), ne laissera pas un souvenir impérissable à ses rares utilisateurs (pas plus d'ailleurs que le Heinkel 177 allemand de configuration analogue), son successeur et dérivé Lancaster (premier vol en janvier 1941), va en revanche marquer tous les esprits... y compris allemands (!), et finir par éclipser ses prédécesseurs Short Stirling (mai 1939) et Handley Page Halifax (octobre 1939)

Avec ce trio de bombardiers lourds rapidement produits à des milliers d'exemplaires (!), l'Angleterre disposera, peu après le début de la guerre, sinon de véritables croiseurs aériens, du moins d'appareils raisonnablement en mesure de concrétiser la vision de Douhet, c-à-d capables de pénétrer loin derrière la ligne de Front, et de détruire les usines et villes allemandes sans que l'Infanterie britannique ait besoin de les investir.

En théorie du moins...

mardi 28 novembre 2023

7752 - un stratégique "light"

Le Martin B-10... tout droit sorti des Aventures de Flash Gordon !
... sans abandonner totalement l'idée du bombardement stratégique et des gros appareils multimoteurs, les nations industrielles vont donc privilégier le bombardement tactique, c-à-d opéré au profit et à proximité du Front par des avions de taille moyenne, généralement bi- et parfois trimoteurs, jugés plus polyvalents et dans tous les cas moins coûteux et plus faciles à fabriquer et à mettre en service.

Et grâce au progrès technique, et en particulier grâce à l'amélioration de l'aérodynamisme des cellules et à l'accroissement de la puissance et de la fiabilité des moteurs, les performances de ces machines somme toute modestes vont progressivement s'améliorer au point, à la fin des années 1930, de faire douter de l'intérêt de posséder, ou même de concevoir, quelque chose de réellement plus gros.

Si le prototype de l'Amiot 143 français, sorti en janvier 1931, semble encore relever de la Préhistoire de l'Aviation, le Martin B-10 américain, apparu à peine un an plus tard, incarne déjà pleinement la modernité... du moins telle qu'on la conçoit dans les Aventures de Flash Gordon !

La montée des périls aidant, des appareils de plus en plus ambitieux sortent bientôt des tables à dessins : le Savoia-Marchetti SM-79 italien prend ainsi son envol en octobre 1934, suivi, le mois suivant, par le Dornier Do-17 allemand et, deux ans plus tard, par le Vickers Wellington britannique et le Mitsubishi Ki-21 japonais, entre autres...

Et sur les rares théâtres d'opération où ils apparaissent, et en particulier en Espagne et en Chine, ces bombardiers moyens semblent tenir leurs promesses, s'avérant capables d'appuyer la marche des troupes, mais aussi d'observer les mouvements de l'ennemi et même de pilonner ses villes et villages,... à condition toutefois qu'ils ne se situent pas trop loin en arrière du Front.

Si le bombardier moyen a donc la cote auprès de ses utilisateurs, deux d'entre-eux n'en poursuivent pas moins l'étude et la réalisation de machines autrement plus lourdes et ambitieuses...

lundi 27 novembre 2023

7751 - l'avion-à-tout-faire

L'Amiot 143 : typique des "avions à tout faire" tels qu'on les concevait au début des années 30
... pour Douhet et ses partisans, c'est l'Aviation, et en particulier les grands croiseurs aériens, qui décideront du sort des guerres de demain, en détruisant dès les premières minutes du conflit les usines et les villes de l'adversaire, abrégeant celui-ci.

Mais les militaires ne sont pas du tout convaincus, et c'est particulièrement vrai - et pour d'évidentes raisons - de l'Infanterie, qui n'entend nullement renoncer à son statut historique de "Reine des Batailles", et qui ne considère l'Aviation que comme une force de servitude, certes plus ou moins indépendante mais néanmoins subordonnée, et dont la mission première est de soutenir directement l'action des troupes au sol.

Dans cette perspective, la constitution d'une flotte de gros bombardiers multimoteurs n'offre pour ainsi dire aucun intérêt, et d'autant moins qu'elle nécessiterait la mobilisation d'énormes moyens financiers qui, dans cette période de disette budgétaire de l'entre-deux-guerres, ne pourraient être réunis... qu'en sacrifiant ceux, déjà fort chiches, alloués à l'Infanterie et à la Marine !

L'un dans l'autre, militaires et politiciens privilégient donc la création d'une flotte de bombardiers bi- ou trimoteurs bien plus petits que ceux imaginés par Douhet. Des bombardiers qui ne pourront évidemment pas s'aventurer fort loin au-dessus du territoire ennemi, ni y causer de gros dommages, mais qui seront en revanche bien plus polyvalents, plus faciles à mettre en œuvre,... et bien moins chers à l'achat comme à l'emploi !

Le problème, c'est que personne ne veut pour autant renoncer totalement à la vision défendue par Douhet : ces bombardiers "raisonnables" devront donc être de véritables "avions-à-tout-faire", c-à-d des appareils non seulement capables d'appuyer l'Infanterie, de réaliser des missions d'observation, mais aussi d'assumer, du moins en partie, le rôle en principe dévolu aux grands croiseurs aériens, ce qui, on s'en doute déjà, est bien plus facile à dire qu'à faire, et va d'ailleurs donner lieu à bien des désillusions...

dimanche 26 novembre 2023

7750 - loin de la coupe aux lèvres...

Le Martin MB "capable de couler un cuirassé"... à condition qu'il ne bouge et ne se défende pas
... en réussissant à couler le cuirassé Ostfriesland lors de tests de bombardements, en 1921, l'Américain Billy Mitchell avait ensuite prouvé que même les plus gros navires de guerre du monde n'étaient pas à l'abri de l'Aviation.

Mais pour obtenir ce spectaculaire résultat, les Martin MB-2 utilisés par Mitchell et ses hommes avaient à ce point été surchargés qu'aucun d'entre-eux n'aurait survécu si l'Ostfriesland avait été doté de canons antiaériens et d'un équipage résolu à se défendre !

Cinq ans plus tard, une étude allemande avait d'ailleurs conclu que "fondamentalement, (...) les [bombardiers] géants n'ont en général pas été d'une grande efficacité. Les énormes frais de mise en œuvre, la mobilisation d'un personnel et d'un matériel important, les problèmes de remplacement et la nécessité de leur adapter des aérodromes spécialement, ne furent pas à la hauteur du but poursuivi" (1)

Depuis la Traversée de La Manche par Blériot, en 1909, l'Aviation a pourtant réalisé d'énormes progrès, mais pour concrétiser le rêve de Douhet, c-à-d pour être en mesure de transporter puis de larguer un chargement de bombes conséquent sur des usines et des villes situées à des centaines voire des milliers de km en arrière du Front, il faudrait concevoir et fabriquer - et surtout fabriquer en grand nombre ! - des machines gigantesques, qui excèdent de très loin les moyens matériels et aussi financiers de l'époque !

Extrêmement complexes, fragiles, effroyablement coûteux, manquant désespérément de puissance, construits à une poignée d'exemplaires, ou carrément à l'unité (!), les quelques géants multi-moteurs militaires ou civils qui parviendront à prendre l'air dans les années suivantes s'avéreront autant d'échecs  et d'impasses techniques qui, certes, enflammeront toujours l'imagination des spectateurs qui auront la chance de les voir voler, mais qui auraient été bien incapables de mener quelque guerre que ce soit.

Mais au fond, quelle guerre les militaires, et en particulier les militaires allemands, veulent-ils exactement mener ?

(1) Fana de l'Aviation, no 476, page 76

samedi 25 novembre 2023

7749 - des débuts anecdotiques

Chargement de bombes sous un bimoteur Gotha : une efficacité purement anecdotique...
... au début de la 1ère G.M., les Zeppelin, avec leur forme de cigare et leurs moteurs propulsifs, avaient représenté la première matérialisation pratique - encore que très imparfaite - d'un rêve que chérissaient les militaires du monde entier depuis l'apparition des ballons captifs : disposer d'une machine volante capable non seulement d'observer les positions et mouvements de l'armée ennemie - ce que faisaient déjà ces derniers - mais également en mesure de se mouvoir librement dans les airs, dans toutes les directions possibles, et donc de survoler en toute impunité - du moins le pensait-on - le territoire et les villes de l'adversaire, afin d'y lancer des bombes.

De simple engin d'observation, le ballon était ainsi devenu arme offensive : dès le début de 1915, les grands dirigeables allemands avaient donc entrepris de bombarder l'Angleterre, et en particulier Londres, avec une précision toute relative, y tuant près de 500 civils,... et - déjà - dix fois moins de militaires.

Un instant désemparée face à cette nouvelle menace venue du ciel, l'industrie britannique avait néanmoins promptement réagi et commencé à livrer des avions de chasse qui avaient d'abord contraint les Zeppelin à ne plus opérer que de nuit, avant de les chasser définitivement du ciel anglais.

Pour les remplacer, les Allemands avaient alors opté pour de gros biplans de bombardement, comme les bimoteurs Gotha, mais les performances de ces derniers ne dépassaient guère celles des Zeppelin, et leurs résultats en terme de morts et de destruction n'avaient en réalité relevé que de l'action psychologique, pour ne pas dire de l'anecdote.

"En 1917-1918, les bimoteurs Gotha et quadrimoteurs Riesen (1) poursuivirent les raids [sur Londres] et firent 836 morts et 1 994 blessés". Partis de jour, la moitié des appareils n'avaient pas trouvé Londres, et le cinquième de ceux qui y parvinrent furent abattus. Les représailles britanniques en 1918 [opérées avec des Handley-Page 0/400] firent 746 morts et 1 843 blessés du côté allemand. Tout cela restait dans la moyenne du nombre des victimes annuelles de la circulation" (2)

(1) abréviation de Riesenflugzeug ou "avion géant", les Riesen étaient également fabriqués par Zeppelin
(2) Jorg Friedrich, "Der Brand, Deutschland in Bombenkrieg, 1940-1945", trad. française "L'Incendie", Éditions de Fallois, 2004)

vendredi 24 novembre 2023

7748 - Things to Come

Chiens entraînés au port du masque à gaz, Angleterre, 1939
... 1935

En 1935, loin des journalistes et des caméras, la Regia Aeronautica de Benito Mussolini déverse 3 200 tonnes de bombes au gaz sur les combattants de l'empereur éthiopien Haïlé Sélassié - armés seulement de sagaies et de quelques vieux fusils - sauvant à plusieurs reprises la vie de fantassins italiens en bien mauvaise posture, et donnant en quelque sorte raison à tous ceux qui pronostiquaient la victoire finale du "tout aérien" et le couronnement du bombardier stratégique comme arme absolue des conflits futurs.

L'année suivante, dans "Things to Come" ("Les Mondes futurs"), le cinéaste William Cameron Menzies et le romancier H.G. Wells offrent au monde la vision prémonitoire - bien que largement exagérée - de ce que sera la Seconde Guerre mondiale, avec ses villes détruites et ses populations contraintes de descendre sous terre pendant des années afin d'échapper aux bombardements.

Encore un an, et la destruction de la petite ville de Guernica par une aviation allemande ressuscitée et engagée aux côtés de Franco dans la Guerre civile espagnole, renforce les thèses les plus pessimistes : non contents de raser la ville le 26 avril 1937, les appareils de la Légion Condor y ont en effet tué plus de 1 500 personnes, majoritairement des femmes, des enfants et des vieillards.

Alors que la Seconde Guerre mondiale se rapproche d'heure en heure, le spectre de la destruction totale des villes, voire de la Civilisation elle-même, s'impose dans tous les esprits avec de plus en plus de certitude : dans les cinémas, on n'hésite d'ailleurs pas à projeter des images d'hommes, de femmes, d'enfants, mais aussi de chevaux et même de chiens (!) s'entraînant au port du masque à gaz,... histoire sans doute de convaincre la population civile que la vie pourra se poursuivre quoi qu'il advienne !

Pourtant, et paradoxalement, les forces aériennes des uns et des autres sont encore fort loin d'être en mesure de concrétiser l'Apocalypse annoncé...