vendredi 23 mai 2025

8904 - un succès avant tout médiatique

Les Chindits de Wingate : un succès bien plus médiatique que militaire...
… depuis que les guerres existent, et en Birmanie comme partout dans le monde, sous-estimer la capacité de résistance et d’imagination de l’ennemi, et lui prêter au contraire ses propres intentions et faiblesses, a toujours été une erreur,… que les Américains répèteront d’ailleurs dans quelques années, lors de leurs multiples opérations de bombardement au Vietnam !

La création de camps retranchés semi-permanents en plein cœur du territoire ennemi, ardemment défendue par Wingate à la Conférence de Québec, n’a elle non plus pas donné grand-chose.

Bien que séduisante sur le papier, cette idée novatrice s’est en effet très rapidement heurtée à la cruelle épreuve de la Réalité birmane : parfois impossible, et dans tous les cas extraordinairement coûteux en matériel et en vies humaines, le ravitaillement et le soutien aérien des dits camps, indispensable à leur survie, n’a en effet jamais cessé de poser d’innombrables problèmes logistiques aux Alliés qui, confrontés d’autres part aux incessantes contre-attaques terrestres des Japonais, n’ont en définitive eu d’autre choix que de les abandonner les uns après les autres après quelques semaines ou quelques mois, ce qui, pour la petite histoire, n’empêchera pourtant pas les Français de retenter la même expérience quelques années plus tard en Indochine,… et en particulier dans la tristement célèbre plaine de Dien-Bien-Phu !

Au bout du compte, et comme en 1943, on peut donc dire des actions des hommes de Wingate et de Merrill qu’elles ont d’abord et avant tout servi à (im)mobiliser plusieurs divisions japonaises et, surtout,… à fournir à la Propagande alliée, toujours avide d’aventures exemplaires et de héros quasi-surhumains, l’occasion de maints récits épiques à servir aux humbles combattants du Front et aux encore plus anonymes ouvriers des usines d’armements.

Pour Churchill, ce succès avant tout médiatique est toutefois loin d'être suffisante...

jeudi 22 mai 2025

8903 - à quoi bon ?

Combattre en Birmanie exigeait de constants ravitaillements aériens américains
… mais comme en 1943, ces opérations de pénétration opérées en plein cœur du territoire birman ne débouchent en définitive que sur un résultat mi-figue, mi-raisin.

En six mois, Chindits et Merrill’s Marauders ont en effet passé bien plus de temps à combattre la jungle et la maladie que les Japonais,... et y ont laissé bien plus d’hommes !

Des dizaines de locomotives et de ponts ont certes été détruits, des voies ferrées sabotées, des dépôts de vivres ou de carburants incendiés, et des victoires remportées dans des endroits aux noms aussi exotiques que Kenu, Magaung ou Myitkyina.

Mais contre toute attente, ces résultats, par ailleurs obtenus à un prix humain et logistique extravagant, et en particulier par la mobilisation de centaines d’avions et de planeurs (!), n’ont hélas provoqué aucun véritable effondrement du Front qui, au départ du dernier combattant britannique ou américain, est toujours fermement tenu par les Japonais.

Pour les détracteurs de Wingate - aussi nombreux aujourd'hui qu'hier - la principale raison de cet échec réside tout bonnement dans l’incapacité chronique de l’intéressé à réaliser que l’Armée impériale japonaise, était infiniment moins tributaire de la logistique et des engins mécanisés que l’Armée britannique et, a fortiori, américaine, tous les coups portés contre les infrastructures et les moyens de communication japonais tant par les Chindits que les Merrill’s Marauders ne pouvant dès lors représenter qu’une vague nuisance pour des soldats nippons depuis longtemps habitués à combattre avec fort peu de moyens.
 
Alors, à quoi bon...

mercredi 21 mai 2025

8902 - même motif... même terrible constat

La tombe de Wingate, au cimetière américain d'Arlington, partagée avec tous les membres du B-25
… Bishnupur, Inde, 24 mars 1944

Épuisé autant par son expédition de 1943 en Birmanie que par ses excentricités et son hygiène de vie déplorable, Orde Wingate  - nous l’avons dit - n’est plus en état de participer directement à cette Opération Thursday de 1944, mais il a néanmoins tenu à en superviser le bon déroulement de la manière la plus étroite possible, et ce par le biais de fréquentes inspections sur le terrain, nécessairement opérées grâce aux bons soins de l’Aviation américaine.

Et le 24 mars, c’est au retour d’une de ces inspections qu’il va malheureusement trouver la mort, lorsque le B-25 dans lequel il a pris place s’écrase accidentellement près de Bishnupur, au nord-est de l’Inde (1)...

Son homologue et disciple américain, Frank Merrill, a néanmoins plus de chance : bien que lui aussi très affecté physiquement par les épouvantables conditions de combat dans la jungle de Birmanie, et victime, le 29 mars- soit cinq jours après la mort de Wingate - d’une crise cardiaque, Merrill est quant à lui évacué à l’arrière,... où il apprend, début août, la chute de la ville et de l’aéroport japonais de Myitkyina, principal objectif de sa campagne birmane.

A cette date, sur les quelque 3 000 hommes de l’effectif initial, les Merrill’s Marauders ne comptent toutefois plus que… 130 officiers et soldats en état de combattre, tous les autres ayant été tués, blessés ou, le plus souvent, terrassés par les accidents ou la maladie !

Mêmes motifs… et même terrible constat pour les quelque 12 000 Chindits de Wingate, dont les premiers ont pénétré en Birmanie dès le début du mois de février mais qui, fin juillet, non contents de déplorer pas moins de 1 400 morts et 2 400 blessés dans leurs rangs, sont en si piteux état que plus de la moitié des survivants en auront pour des mois d’hôpital et de repos…

(1) bien que sujet britannique, Wingate sera finalement enterré au cimetière américain d'Arlington, en compagnie des autres membres, majoritairement américains, du B-25

mardi 20 mai 2025

8901 - la Route de Birmanie

La Route de Birmanie : quand plus rien ne semble impossible...
… mais qu’elles soient britanniques ou américaines, les troupes - par ailleurs près de dix fois plus nombreuses qu’en 1943 (!) - qui devront bientôt s’élancer en Birmanie n’y resteront pas quelques semaines, mais bien… plusieurs mois (!), ce qui, on s’en doute, va nécessiter une logistique et des moyens incomparablement plus importants !

La solution retenue, et évidemment proposée par Wingate lui-même, va donc consister à envoyer en avant de petits groupes d’éclaireurs, qui se chargeront de défricher sommairement, et de sécuriser, quelques sites propres à l’atterrissage de planeurs d’assaut, dont les équipages prépareront ensuite des pistes quant à elles capables d’accueillir les C-46 et C-47 qui achemineront les armes, les munitions, le ravitaillement et le gros de la troupe.

Dans ce pays plus grand que la France et ô combien difficile d'accès, on va ainsi créer des camps fortifiés semi-permanents, d’où partiront des colonnes de soldats qui s’enfonceront plus profondément en territoire ennemi pour y mener des raids et des missions de sabotage et surtout, sécuriser la construction de la Route de Birmanie ou, plus exactement, de celle de Ledo (1) qui, depuis la ville indienne du même nom, serpente jusque Kunming et doit permettre, à terme, de ravitailler les troupes de Tchang Kaï-chek plus sûrement et plus efficacement que par les Airs.

Tout ceci implique naturellement de réunir au préalable des dizaines et même des centaines d’avions de transport, de liaison et de soutien, qui, durant toute la durée des opérations, effectueront de constantes rotations entre l’Inde, les camps retranchés, et les colonnes de soldats occupées à cheminer dans la jungle, parachutant vivres et munitions et, lorsque c’est possible, évacuant blessés et malades.

Ce sera une tâche titanesque,… que seuls les Américains sont une fois de plus capables de mener à bien, ce qui, quelque part, relativise déjà la volonté de la Grande-Bretagne de reconquérir ses territoires et possessions par la seule force de ses moyens…

(1) construite par les Britanniques entre Lashio (Birmanie) et Kunming (Chine) la première Route de Birmanie avait été coupée par les Japonais à la fin de 1942 et remplacée par un itinéraire plus au Nord, partant cette fois depuis Ledo, rapidement rebaptisé Route Stilwell

lundi 19 mai 2025

8900 - si les Britanniques le font, pourquoi pas nous...

Les Maraudeurs de Merrill, ou "si les Britanniques le font, pourquoi pas nous"
… si Wingate ne pourra donc pas accompagner ses valeureux Chindits dans la nouvelle opération qu’il se propose de lancer en Birmanie au début de 1944, ses aventures, et le vibrant exposé qu’il en a fait lors de Quadrant, ont en tout cas convaincus les Américains de la nécessité de disposer eux aussi de pareilles formations militaires dans leur arsenal.

Début septembre 1943, un appel a donc été lancé à travers toutes les unités de l’armée américaine, et les premiers volontaires ont commencé à arriver à Bombay le mois suivant pour y former une  "5307th Composite Unit" naturellement entraînée par nuls autres que Wingate et ses Chindits,... et elle aussi destinée à opérer en Birmanie.

Mais comme rien n’est jamais simple en Asie ni même entre Alliés, cette nouvelle unité, bien qu’entraînée en Inde par les Britanniques, et devant opérer avec les Britanniques sur un territoire dévolu aux Britanniques du South East Asia Command de Mountbatten et de son 11ème Groupe d’Armées, sera néanmoins placée sous le commandement exclusif… des Américains, et en l’occurrence sous celui du très acariâtre Joseph Stilwell et de son Northern Combat Area Command (NCAC)

Il faut dire qu’en plus d’une frontière avec l’Inde, la Birmanie possède également une frontière avec la Chine, et que la Force X, autrement dit les unités de Tchang Kaï-chek placées sous commandement américain, font régulièrement des incursions en Haute-Birmanie, une réalité que Mountbatten, soucieux de ménager l'allié américain, a bien dû prendre en compte

Et pour commander la 5307ème sur le terrain, Stilwell a bien entendu jeté son dévolu sur un Américain, en l’occurrence le brigadier-général Frank Merrill, dont les hommes vont bientôt être connus dans le monde entier sous le nom de Merrill's Marauders

Les Maraudeurs de Merrill

dimanche 18 mai 2025

8989 - le Lawrence d'Arabie de la Jungle,

Orde Charles Wingate, ou le Lawrence d'Arabie de la Jungle...
… mais si Longcloth s'est donc soldé par un échec militaire, son impact psychologique s'est en revanche avéré retentissant !

Habilement exploitées par la Propagande britannique, et par une Presse toujours à la recherche de personnages hauts en couleurs et de récits sortant de l’ordinaire, Les Aventures d’Orde Wingate et de ses valeureux Chindits dans la Jungle de Birmanie sont très vite devenues un immense succès populaire, et une formidable histoire de camaraderie, d’héroïsme et de dépassement de soi, que l’on a abondamment commenté dans les casernes, les bureaux les ateliers et les écoles, et qui a prouvé au monde entier que les petits hommes jaunes n’étaient pas invincibles, et aussi que la Grande-Bretagne, n’en déplaise aux arrogants Yankees, était encore capable de se battre et même d’innover en matière de combat !

Tout cela, bien sûr, a naturellement ravi Winston Churchill, et lui a du reste rappelé sa jeunesse et ses propres et folles aventures à Cuba, en Inde, au Soudan, en Afrique du Sud, lorsque tout le monde tombait sous les balles autour de lui alors qu’il s’en sortait chaque fois sans la moindre égratignure (!), ce pourquoi le Vieux Lion s’est-il empressé d’inviter Wingate à Londres, avant de le prier de l’accompagner au Canada pour Quadrant, autrement dit la Première Conférence de Québec, où l’intéressé a livré, le 17 août 1943, un plaidoyer très exalté pour l’intensification de ce type d’opérations et même pour la création, en plein cœur du territoire ennemi, de véritables camps fortifiés ravitaillés par les airs, une idée que reprendront, plus tard, Français et Américains au Vietnam, avec des fortunes néanmoins fort diverses, en particulier à Dien Bien Phu !

Début 1944, Wingate, à présent devenu le Lawrence d'Arabie de la Jungle, et revêtu du prestige et de toute l’autorité nécessaires, est donc en mesure de lancer une nouvelle opération d’incursion d’une ampleur jamais vue, puisque réunissant plus de 20 000 hommes,… qui vont néanmoins devoir se passer de lui !

Car à 40 ans seulement, Wingate, dont chacun doute de plus en plus de l’état mental, est déjà au bout du rouleau : très éprouvé physiquement par ses différentes aventures mais aussi par son épouvantable hygiène de vie - il a l’habitude de grignoter les oignons crus qu’il porte souvent autour du cou et, au Caire, a contracté la typhoïde après avoir volontairement bu l’eau d’un vase de fleurs ! - n’est malheureusement plus en état de commander lui-même sur le terrain…

samedi 17 mai 2025

8988 - des débuts pénibles

Wingate, en 1943, à son retour d'opérations en Birmanie
… mais le Front birman s’étant très rapidement effondré, Wingate n’a eu d’autre choix que de renoncer à l’idée d’y organiser des raids de type commando.

Qu’importe, il a bientôt accouché d’un concept infiniment plus ambitieux et novateur : mettre sur pied des unités capables d’opérer cette fois en profondeur, et pendant des mois,… en pleine jungle et à l’intérieur des lignes japonaises !

A l’État-major britannique, où chacun, depuis les premiers jours de 1942, s’est absolument convaincu de l’invincibilité des petits hommes jaunes dans la jungle, on lui a naturellement rit au nez, mais Wingate s’est entêté et a fini par obtenir de Wavell une brigade d’Infanterie indienne -  embryon des futurs Chindits - qu’il a aussitôt mise à l’entraînement dans la jungle indienne, en pleine saison des pluies,… avec un résultat proprement catastrophique, puisque des centaines d’hommes n’ont pas tardé à tomber gravement malades !

Mais il en fallait bien plus pour décourager un personnage comme Wingate qui, en février 1943, a enfin reçu l’autorisation de passer de la théorie à la pratique, en lançant une opération grandeur nature - Longcloth - en Birmanie.

A leur rappel, six semaines plus tard, ses quelques 3 000 Chindits, contraints de vivre sur le terrain dans des conditions inimaginables, ont parcouru des centaines de km dans la jungle, menant ici et là des actions de sabotage et, surtout, contraignant les Japonais à mobiliser plusieurs dizaines de milliers d’hommes pour leur donner la chasse.

Du point de vue militaire, le bilan s’est toutefois avéré fort mitigé, et même franchement calamiteux en regard des pertes subies, puisque plus de 800 Chindits, soit le tiers des effectifs engagés, ont en effet péri dans la jungle (!), tandis que les survivants déguenillés, épuisés, affamés, malades, et couverts de vermine, en sont sortis en si mauvais état que seuls 600 d’entre-eux ont finalement été jugés aptes à reprendre du service, après plusieurs mois de repos et de soins…