jeudi 25 avril 2024

7901 - toutes affaires cessantes

Ancêtre des missiles de croisière, la fusée V1 fut la première à entrer en service
... Londres, 15 juillet 1943

Au début, pourtant, la plupart des hommes de science consultés, et en particulier le propre conseiller scientifique de Churchill, Frederick Lindemann - qui n’y voit qu’un canular - refusent d’y croire... peut-être parce qu’ils seraient sans doute incapables de réaliser eux-mêmes de tels engins !

Mais en pleine guerre, qui aurait l’idée de mobiliser autant d’hommes et d’argent pour un simple canular ?

Après plusieurs semaines où analystes et services de renseignements s’efforcent de réunir toutes les pièces de cet étrange puzzle, il faut bien se rendre à l’évidence : les engins en question sont bel et bien des fusées dont la finalité ne fait aucun doute.

Et si l’on peut encore douter - à bon droit, comme nous le verrons par la suite - de leur efficacité, ou plus exactement de leur réelle capacité à changer le cours de la guerre, tout doit néanmoins être tenté, et le plus rapidement possible, pour mettre fin à la menace !

Alors, le 15 juillet, Churchill, appuyé par le Secrétaire d'État à l'Intérieur Herbert Morrison et par Lindemann lui-même, enfin revenu à la raison, ordonnent au Bomber Command de procéder à un bombardement massif de Peenemünde dès que les conditions, notamment météo, le permettront.

Sans doute Harris préfèrerait-il s’en prendre à une autre ville allemande, mais cette fois, les instructions reçues ne se prêtent à aucune "interprétation" : devenu prioritaire, le bombardement de Peenemünde, est finalement fixé à la nuit du 17 au 18 août, soit à peine quelques heures après le bombardement, par les Américains, de Regensburg et Schweinfurt.

Pur hasard du calendrier - il faut en effet des jours et même semaines pour monter une opération de cette envergure, et le Bomber Command et la 8ème Air Force, nous l’avons dit, opèrent indépendamment l’un de l’autre - mais ce hasard, comme nous allons le voir, va néanmoins avoir d’importantes conséquences...

mercredi 24 avril 2024

7900 - Alerte générale !

Tir d'un V2 d'essai, à Peenemünde
... Peenemünde, 22 avril 1943

Et Hitler, on s’en doute, est littéralement enthousiasmé par les images de lancements qu’on lui présente,... et encore plus par l’idée de pouvoir bientôt expédier quotidiennement des dizaines et peut-être même des centaines de fusées sur les villes de ces satanés Anglais qui ne cessent de bombarder les villes allemandes,... en attendant de pouvoir les expédier un jour sur les villes de ces non moins satanés Américains !

Et le Führer d'ordonner que Peenemünde se voit aussitôt attribuer la plus haute priorité dans tous les domaines.

Savants, ingénieurs, techniciens... et travailleurs forcés, affluent. Peenemünde abrite maintenant plus de 15 000 personnes, et bien qu’encore nombreux, les problèmes liés aux fusées et missiles se résolvent un à un.

Encore quelques mois, pense-t-on, et on pourra offrir au Führer l’arme parfaite, et même l’arme "miracle", dont la toute-puissance permettra à elle-seule de renverser le cours des événements, de plus en plus défavorables au Reich.

Mais le problème, c’est que tout ce remue-ménage va immanquablement finir par retenir l’attention des observateurs britanniques !

Et de fait, le 22 avril 1943, une photo aérienne révèle l’existence, sur le site, d’étranges objets - en fait un V1 sur une rampe de lancement et un V2 sur une remorque en direction d’un pas de tir - qu’on ne sait trop comment interpréter, mais dont on réalise bientôt le but en les reliant aux informations reçues depuis des mois de toute l’Europe occupée, et faisant état du développement, à Peenemünde, de mystérieuses "Vergeltungswaffen" - "d’armes de vengeance"- et de "fusées" d'une puissance jamais vue..

Alerte générale !

 

mardi 23 avril 2024

7899 - un site idéal

Une V2 et le Musée de Peenemünde, installé dans ce qui était autrefois la centrale électrique
... minuscule port de pêche de la Baltique, sur l’à peine moins modeste île côtière d’Usedom,Peenemünde, ne serait jamais passé à l’Histoire si, en 1936, l’Armée de Terre et la Luftwaffe ne s’étaient entendues, sur la suggestion d’un jeune et brillant physicien de 24 ans, Werner von Braun - qui l’avait découvert quasiment par hasard mais l’avait vite jugé parfait - pour y construire un gigantesque centre de recherches destiné aux essais et développements de missiles et de moteurs-fusées d’où sortiraient, un jour, l’avion sans pilote V1 et le missile V2

Le relatif isolement d’Usedom rend en effet l’endroit facile à sécuriser, et le littoral de la Baltique, peu fréquenté et lui aussi facile à sécuriser, va permettre, au fil des mois, de tester toutes sortes d’engins à l’abri des regards indiscrets.

Mais dans ce domaine-là, tout ou presque reste encore à inventer. Les échecs, inévitables, sont donc nombreux. Quelques fusées réussissent bien, de temps à autres, à s’élever dans les airs, mais explosent le plus souvent après un délai désespérément bref et, quand elles n’explosent pas, se perdent dans une direction qui n’est pas du tout celle que l’on veut.

On est encore loin, très loin, d’une quelconque arme opérationnelle, et encore plus d’une arme véritablement "miracle", mais le Reich, qui vole alors de victoire en victoire, n’est pas non plus particulièrement pressé d’en obtenir une, et ne consacre donc au centre de Peenemünde que le minimum d’attention, et de financement, nécessaires.

Ce n’est qu’à partir de 1943, lorsque le vent commence à vraiment mal tourner pour l’Allemagne, que Peenemünde va enfin obtenir la faveur des plus hauts dignitaires nazis,...

... à commencer bien sûr par Hitler !

lundi 22 avril 2024

7898 - dans l'attente de meilleurs jours

B-17, devenu perte totale après son atterrissage sur une plage anglaise, décembre 1943
... dit autrement, en moins de trois semaines et trois raids, la 8ème Air Force, par ailleurs toujours écartelée entre l’Europe de l’Ouest et la Méditerranée, se retrouve maintenant quasiment décimée, ce qui, une fois encore, semble donner raison aux Britanniques et à Arthur Harris, lesquels comprennent de moins en moins pourquoi ces fous de yankees s’entêtent dans la voie, manifestement sans issue, du bombardement de jour qui, certes, donne parfois de bons résultats, mais provoque toujours énormément de pertes dans leurs propres rangs !

Les Américains, Eaker en tête, font pour l’heure le gros dos et demeurent convaincus qu’ils finiront bien, à la longue, par goûter à de meilleurs jours.

De toute manière, aux États-Unis, les usines d’aviation et les écoles de pilotage, qui pour leur part ne craignent aucun bombardement, tournent à plein régime, et sont parfaitement en mesure de compenser les pertes,... et même bien au-delà !

Reste que les appareils détruits et les équipages perdus ne sauraient être remplacés en seulement quelques jours.

En pratique, il va même s’écouler plusieurs semaines, et en fait quasiment deux mois, avant que la 8ème Air Force se représente au-dessus des usines de roulements à billes de Schweinfurt,... deux mois dont les Allemands, qui ont parfaitement réalisé l’ampleur de la menace, vont naturellement tirer profit pour renforcer leurs propres défenses, et faire de ce nouveau raid un échec encore plus sanglant que le premier.

Mais n’anticipons pas car il nous faut à présent repasser immédiatement dans le camp britannique où, quelques heures à peine après l’atterrissage du dernier B-17 de retour de Schweinfurt (!), et seulement deux semaines après le dernier raid massif sur Hambourg, on se prépare fiévreusement à en lancer un tout aussi massif et tout autant appelé à passer à l’Histoire !

L’objectif désigné, qui ne paye pourtant pas de mine, est une petite île de la Baltique abritant, parait-il, une base militaire dont les équipages n’ont jamais entendu parler...

... Peenemünde

dimanche 21 avril 2024

7897 - avec des si...

Même lorsqu'ils rentraient, nombre de bombardiers n'étaient plus bons que pour la ferraille
... la Propagande américaine, immédiatement mobilisée, s’empresse évidemment de présenter le Raid Regensburg/Schweinfurt, où ont également disparu une vingtaine de chasseurs allemands, comme un éclatant succès de la 8ème Air Force.

Il est vrai qu’Albert Speer, rapidement informé, en dresse lui-même un bilan plutôt impressionnant.

La totalité de la production des usines Messerschmitt de Regensburg est en effet à l'arrêt, ce qui, pour un bon moment, va priver la Luftwaffe de quelque 200 chasseurs par mois. Et bien que moins touchées, les usines de roulement à billes de Schweinfurt n’en vont pas moins accuser une baisse de production de quelque 40%.

Mais le problème, une fois encore, c’est que les usines finissent toujours par être réparées et qu’il existe, un peu partout en Allemagne ou dans les territoires sous son contrôle, d’autres usines en mesure de prendre le relais et ainsi de permettre au Reich de continuer la lutte.

Si les Américains, le 17 août 1943, avaient pu disposer d’autant de bombardiers que les Britanniques, soit environ 800, ou s’ils avaient été en mesure, le lendemain ou les jours suivants, de lancer un second raid de la même ampleur que le premier sur Schweinfurt, comme le craignait d’ailleurs Speer, peut-être la production de roulements à billes aurait-elle été suffisamment et durablement amputée pour hâter la fin de la guerre.

Mais, au propre étonnement de Speer, ce ne sera pas le cas.

Car en moins de trois semaines, après Ploeisti, après Regensburg, après Schweinfurt, la 8ème Air Force vient de perdre plus de 120 appareils et équipages, et a vu au moins autant d’avions prendre le chemin du parc à ferrailles...

samedi 20 avril 2024

7896 - un échec prévisible

B-17, au-dessus de Schweinfurt
... Schweinfurt, 15h00

Et lorsque les premiers B-17 américains se présentent finalement au-dessus de Schweinfurt et des usines de roulements à billes, vers 15h00, trente-deux des leurs ont déjà été envoyés au tapis !

Et ce n’est certes pas les quelques 400 tonnes de bombes que les survivants y déversent qui vont maintenant transformer en victoire ce qui a déjà toutes les allures d’un coûteux échec.

Car contrairement à ce qui s’est passé quelques heures plus tôt à Regensburg, la précision est cette fois toute relative, les bombardiers qui se succèdent durant plusieurs minutes étant il est vrai de plus en plus gênés par la fumée des incendies provoqués par chacun de leurs prédécesseurs.

Reste maintenant à regagner l’Angleterre, une tâche qui, après les pertes du trajet aller, semble à bon droit impossible pour de nombreux équipages,... mais qui va néanmoins se trouver facilitée par le fait que la chasse allemande, qui multiplie les sorties depuis la fin de la matinée, commence elle aussi à accuser la fatigue et devra de toute manière, à partir d’Eupen, compter avec la présence des P-47 puis des Spitfire accourus à la rescousse des éclopés

Quatre autres B-17 n’en sont pas moins abattus avant que le reste de la formation, soit 198 appareils, regagne finalement ses bases anglaises, en fin d’après-midi.

Au total de ces deux missions, sur les 376 bombardiers qui ont pris l’air ce jour-là, 60, soit 16%, ont disparu avec leur équipage de 10 hommes, tués ou faits prisonniers, et plusieurs dizaines d’autres avions ne sont en fait plus bons que pour le parc à ferrailles...

vendredi 19 avril 2024

7895 - malgré tout...

B-17 en route vers Schweinfurt, beaucoup n'en reviendront pas...
... Eupen (Belgique), 14h10

Sans doute aurait-il mieux valu en rester là, et donc annuler le bombardement de Schweinfurt, ce qui, plus tard, aurait au moins eu l’avantage de pouvoir présenter Double Strike comme un franc succès de la 8ème Air Force.

Mais les missions s’annulent d’autant moins qu’elles ont été longuement préparées et que le haut-commandement, qui a déjà convoqué la Presse, s’attend à ce qu’elles se soldent par un succès.

Alors, vers midi, les 230 B-17 s’envolent vers Schweinfurt... et leur destin.

Compte tenu des multiples retards, et comme si l’on voulait, par avance, se faire pardonner, on a néanmoins réussi à leur adjoindre une centaine de Spitfire britanniques supplémentaires, qui les accompagneront jusqu’à Anvers, où les P-47, entretemps ravitaillés et réarmés, prendront le relais et les escorteront jusqu’à Eupen avant de devoir, faute de carburant, rebrousser chemin à leur tour et s’en retourner en Angleterre.

Sans surprise, la chasse allemande attend ce nouveau raid, le second de la journée, de pied ferme et, bien que plus ou moins gênée par les Spitfire, puis par les P-47, passe immédiatement à l’attaque.

A 14h10, au moment où les P-47 font demi-tour, un B-17 a déjà été abattu, et plusieurs autres plus ou moins sévèrement endommagés, mais le pire, naturellement, est encore à venir puisque, à présent débarrassés des escorteurs, Me-109 et autres FW-190 ont désormais le champ libre et bénéficient même d’un soutien inédit, celui de dizaines de bimoteurs Me-110, en principe chasseurs de nuit mais néanmoins appelés à la curée.

"Les attaques étaient menées par vagues, toutes les dix minutes environ. Un groupe de chasseurs terminait son attaque, atterrissait pour faire le plein et revenait. "Ils continuaient d’aller et venir, rapporta un navigateur, et nous avions encore des kilomètres à parcourir avant la cible" (1)

(1) Randall, op cit, page 169