samedi 30 avril 2016

4813 - de la "religion" à la "race"

Juifs berlinois, fin 1941. Seule l'étoile jaune les distinguait des autres Allemands
… jusqu’au 19ème siècle, il était de coutume de définir le "Juif" (mais aussi le "Catholique", le "Protestant", le "Musulman") comme la personne qui pratiquait "la religion juive" ("catholique", "protestante", "musulmane")

Simple à comprendre, cette définition offrait d’autre part de larges possibilités de rédemption : le "Juif" était certes un individu maléfique - et d'ailleurs souvent associé à Satan - mais un individu qui demeurait néanmoins "réformable", puisque simplement "égaré" sur la voie d'une "mauvaise" religion, d'une "mauvaise interprétation" du message divin.
 
Dès le 19ème siècle, les progrès de la laïcité, et les partisans des États-nations, avaient néanmoins fini par présenter le "Juif" non plus comme un adepte de la "religion juive", mais bien comme le membre d'une véritable  "race" à part entière et bien entendu distincte des autres.

Ce changement de perspective entraîna une conséquence dramatique : là où les conversions - volontaires ou forcées - pouvaient autrefois faire perdre la "judéité", le concept de "race" maintenait pour ainsi dire à tout jamais le "Juif" dans son état initial, puisqu’il suffisait de posséder des parents, des grands-parents, voire même des aïeuls, reconnus comme "Juifs" pour être soi-même défini comme tel, et ce même si on n’était pas circoncis, si on ne pratiquait pas la religion juive, ou si on avait embrassé une autre religion !

Mais n’en déplaise aux partisans des théories raciales, il était cependant difficile, et même souvent impossible, d’identifier un "Juif" sur autre chose que la religion, et c’était particulièrement vrai dans des pays comme l’Allemagne, où nombre de "Juifs" étaient issus de mariages mixtes ou de parents depuis longtemps convertis au catholicisme, ou alors n’évoquaient en rien, par leur mode de vie, leur apparence physique ou leur nom patronymique, l’idée que l'on se faisait généralement d'un "Juif".

vendredi 29 avril 2016

4812 - l'ennemi (presque) parfait

Les Juifs : l'ennemi idéal... à condition de pouvoir les identifier facilement
... "aussi haïssables que les Bolcheviques, bien plus martyrisables que les Protestants et les Catholiques, et bien plus nombreux que les Témoins de Jéhovah"...

... ainsi pourrait-on résumer en une phrase la place exacte des Juifs dans la démonologie nazie, une démonologie qui, au demeurant, n'a rien d'inédite, ni même de spécifiquement allemande, puisque fondée sur des siècles et des siècles de superstitions, de fantasmes, et de persécutions communes à toute l'Europe.

Depuis la naissance du NSDAP, en 1919, les Juifs, donc, sont - et de loin - les ennemis préférés des Nazis, parce qu'on peut les accuser de tous les maux - de la hausse des prix au chômage, en passant par l'hyperinflation et les mauvaises récoltes, sans oublier bien sûr le fameux "coup de poignard dans le dos" ayant précipité l'odieux Armistice de 1918 et le non moins ignominieux Traité de Versailles de 1919 - et ensuite les traquer, les emprisonner, les brutaliser - et bientôt les exécuter - sans susciter aussitôt l'indignation populaire.

En fait, les Juifs allemands - et dans quelques années les Juifs de l'Europe entière -  seraient même l'ennemi parfait s'il ne fallait au préalable apporter la réponse à une question insoluble

Qu'est-ce qu'un "Juif"...

jeudi 28 avril 2016

4811 - ... persécuter les autres

Le triangle violet des détenus emprisonnés parce que Témoins de Jehovah
... avant 1933, l'Allemagne comptait quelque 30 000 "Étudiants de la Bible", plus connus sous le nom de "Témoins de Jehovah".

Apparus seulement à la fin du 19ème siècle, vingt fois moins nombreux que les Juifs, et volontiers antisémites, les Témoins n'avaient jusqu'alors jamais été considérés - y compris par les Nazis eux-mêmes - comme un réel danger ni, a fortiori, comme une "race" à jamais incompatible avec le simple fait d'être Allemand.

Mais avec l'arrivée d'Hitler au Pouvoir, certains points de leur doctrine leur ont vite valu l'inimitié du régime,... et l'attention toute particulière des forces de police.

Dans l'Allemagne nouvelle, les mœurs quelque peu mystérieuses des Témoins, et leur prosélytisme incessant - qui se poursuivra d'ailleurs jusqu'à la fin de la guerre ! - ont déjà de quoi en irriter plus d'un, mais c'est leur refus obstiné du salut nazi et, surtout, de la conscription, qui va véritablement leur être fatale.

Interdits dans tout le Reich dès la fin de 1933, chassés de l'Administration, contraints de vivre dans la clandestinité, les Témoins seront persécutés jusqu'à la fin de la guerre, et verront plus de 6 000 d'entre eux expédiés en prison ou en camp de concentration, où on les affublera d'un triangle violet pour bien les distinguer des autres détenus.

A la chute du Troisième Reich, plus d'un millier de Témoins, exécutés ou victimes de mauvais traitements, auront ainsi disparu...

mercredi 27 avril 2016

4810 - "décrédibiliser" les uns...

Albert Hartl, en 1946.
... si Himmler rêve de se débarrasser un jour des églises, ce n'est donc pas pour faire de ses concitoyens les "hommes-sans-Dieu" chers aux Bolcheviques, mais bien pour recréer, en Allemagne, les anciennes traditions et liturgies germaniques ou vikings largement fantasmées et issues de ses nombreuses lectures de jeunesse !

En attendant ce jour, il faut faire avec ce que l'on a,... et plus exactement avec des institutions religieuses souvent hostiles au régime mais qui bénéficient encore d'un large soutien populaire 

Dans les années à venir, le département du SD dédié aux affaires cultuelles - pour l'heure paradoxalement dirigé par le prêtre défroqué (!) et futur membre de l'Einsatzgruppe C Albert Hartl - va donc, en collaboration avec la Gestapo, consacrer son énergie à tenter de "décrédibiliser" les églises protestante et, surtout, catholique, en s'en prenant plus particulièrement, et de manière fort "visible", aux prélats soupçonnés, à tort ou à raison, de favoriser la fuite des capitaux, de se mêler un peu trop des affaires de l'État, ou encore d'entretenir des comportements - comme l'homosexualité - considérés comme "immoraux".

En fabriquant à la chaîne quantités de nouveaux "ennemis" - et des "ennemis" autrement plus redoutables que les modestes prélats allemands ! - la guerre va cependant mettre un sérieux frein aux initiatives anti-religieuses d'Himmler,...

... sauf en ce qui concerne deux groupes de croyants bien précis.

mardi 26 avril 2016

4809 - "Je n’ai jamais toléré un athée dans les rangs de la SS"

"Je n’ai jamais toléré un athée dans les rangs de la SS"
… en octobre 1935, Himmler n’a d’ailleurs eu d’autre choix que de rassurer personnellement le Führer, fort inquiet de l’hostilité persistante de la SS à l’égard des églises allemandes.
 
"J'attache la plus grande importance à des relations pacifiques entre l’Église et l’État", lui a-t-il déclaré (1)

Et de fait, à maintes reprises, le Reichsführer ne va d'ailleurs pas hésiter à réprimander, et même à chasser de la SS, ceux de ses ouailles coupables d’avoir perturbé une cérémonie liturgique, ou molesté un prélat.
 
D'autre part, "chaque SS est libre d’appartenir ou non à une église", ajoute-t-il en 1937, "C’est un choix personnel, dont il est redevable devant Dieu ou sa conscience" (2)

Tout est cependant affaire d'opportunité et de timing : pour Himmler, l'objectif ultime demeure bel et bien de purger l’Allemagne de sa regrettable dépendance au Christianisme - "si notre génération ne le fait pas, je pense qu’il perdurera encore longtemps", dira-t-il en 1942 - mais les Temps ne sont tout simplement pas mûrs pour un pareil bouleversement.
 
Pour autant, l’opposition viscérale d’Himmler aux cultes protestant et, surtout, catholique, ne peut en aucune manière être confondue avec un quelconque athéisme : "Je n’ai que faire des dénominations", ajoutera-t-il en 1944, "je laisse ça à chaque individu, mais je n’ai jamais toléré un athée dans les rangs de la SS. Tout membre de la SS a une Foi profonde en Dieu, en ce que mes ancêtres appelaient dans leur langage le Waralda, l’Ancien, celui qui est plus puissant que nous" (2)

(1) ibid, page 219
(2) ibid, page 220

lundi 25 avril 2016

4808 - les églises et la SS

Papen (à gauche) et le cardinal Pacelli (futur Pape Pie XII), 20 juillet 1933
… s’agissant des églises protestantes et catholiques, la situation est en revanche plus complexe.

Grand adepte de la mythologie germanique, et du paganisme, Heinrich Himmler est un anti-chrétien - et un anti-catholique - convaincu : "Nous devons nous débarrasser du Christianisme", dira-t-il en 1942, "il nous a accablé tout au long de notre Histoire, et affaibli lors de chaque conflit" (1)

Et comme la SS se doit là aussi d’être exemplaire, les aumôniers et étudiants en théologie en ont été très logiquement exclus dès 1934.

En 1935, Himmler a franchi un pas supplémentaire, en interdisant à ses SS de jouer tout rôle actif au sein des communautés religieuses, avant de leur refuser, deux ans plus tard, le droit de participer à la moindre cérémonie liturgique,… du moins en uniforme

Mais dans un pays encore largement voué aux cultes protestants et catholiques, il n’est cependant pas question de s’en prendre de front aux églises elles-mêmes : le 20 juillet 1933, le Reich, en la personne de von Papen, a d’ailleurs signé avec le Saint-Siège un important concordat (2) - toujours en vigueur aujourd’hui - qu’Hitler, qui a bien d’autres soucis en tête - et en particulier des plans de conquête - n’a évidemment aucune envie de dénoncer au profit du Reichsführer-SS, dès lors contraint de réfréner ses ardeurs…

(1) Longerich, op cit, page 218
(1) bien que minoritaires, à environ 32% de la population, les catholiques allemands étaient très actifs dans la vie publique, particulièrement en Bavière

dimanche 24 avril 2016

4807 - ... et de franc-maçons

La Mort pour la franc-maçonnerie en Allemagne, affiche, 1935
… autrefois régulièrement cités eux aussi comme "ennemis", mais bien moins nombreux que les communistes, les Franc-maçons allemands ne relèvent plus pour leur part que de l’anecdote

La plupart des loges se sont en effet auto-dissoutes dès 1933, et les rares qui ont survécu ont été éliminées à l’été 1935.

Au demeurant, et contrairement aux communistes, les Franc-maçons  n’ont jamais fait l’objet de traques ou de persécutions systématiques (1) : une fois les Nazis au Pouvoir, l’Administration s’est par exemple contentée de licencier, ou de discriminer, ses employés franc-maçons, et le Parti de les exclure définitivement de ses rangs, manière tout aussi efficace, mais quand même moins brutale, de les priver de tout avenir dans un Troisième Reich où l’appartenance au NSDAP est devenu sésame obligé (2) pour tout qui cherche à faire carrière ou même à dénicher  un emploi raisonnablement rémunéré.

Le "Risque maçonnique" paraît à présent si peu crédible qu’Heydrich en a même signé le certificat de décès officieux lorsqu’il a fermé le registre spécialement dédié aux Franc-maçons au sein du SD, et autorisé divers "Musées de la Franc-maçonnerie" ouverts au public et où se retrouvent exposés artefacts et documents arrachés à ces derniers...

(1) à la connaissance de l'auteur, il n'existe aucun cas de franc-maçon allemand envoyé en camp de concentration uniquement en raison de son appartenance à la franc-maçonnerie
(2) au nombre de 800 000 à l'été 1932, les Nazis étaient passés à 1 600 000 au moment de l’arrivée d’Hitler au Pouvoir. En mai 1933, ils étaient 2 500 000, et… 5 300 000 six ans plus tard. En 1945, le parti d’Adolf Hitler comptera plus de 8 500 000 membres en règle…





samedi 23 avril 2016

4806 - la pénurie de communistes...

Erich Honecker, photographié après son arrestation, décembre 1935
… historiquement premier groupe "à risques", les communistes sont désormais une espèce en voie de disparition dans l’Allemagne d’Hitler.

Repartis à la chasse en 1935, après plusieurs mois d'accalmie, les limiers de la Gestapo ont en effet arrêté près de 14 000 membres du KPD

Parmi eux, on trouve un jeune militant anonyme, qui va passer les dix prochaines années de sa vie en prison mais deviendra un jour Président de la RDA...

... Erich Honecker

Mais si Himmler, pour des raisons stratégiques, persiste à affirmer "qu’une frange importante de notre Nation pourrait demeurer vulnérable au poison du Bolchevisme" (1), le vivier du Bolchevisme allemand, lui, est bel et bien en train de dépérir de manière dramatique : en 1936, le bilan de la chasse aux communistes ne s’est en effet élevé qu’à quelque 11 000 personnes, et va même tomber à seulement 8 000 en 1938, année des premières grandes conquêtes hitlériennes.

Des conquêtes qui, comme nous allons le voir, et considérées du point de vue d’Himmler, auront au moins pour avantage de créer de fort nombreux "ennemis" supplémentaires !

(1) Longerich, op. cit. page 213

vendredi 22 avril 2016

4805 - l'acceptabilité sociale

La Gestapo : une organisation surtout redoutée des groupes "à risques"
… parce qu’elle a besoin du soutien de la population allemande, et surtout d’informations sur les "ennemis" susceptibles de se dissimuler au sein de celle-ci, la Gestapo se doit d'être "socialement acceptable" ou, selon les propres termes d'Himmler, de se montrer "compréhensive" et même "généreuse" … du moins envers ceux "qui le méritent"

"Les activités de la Gestapo se concentraient sur trois groupes en particulier : les Juifs, les opposants de gauche, ainsi que les prêtres politisés et les membres des sectes. Le contrôle exercé sur les autres Allemands "ordinaires", à l’exception des homosexuels, était relativement faible, et lorsqu’il leur arrivait de faire l’objet d’une enquête, ceux-là s’en sortaient généralement avec un avertissement ou une peine légère" (1)

Dit autrement, et à la condition de ne pas faire partie d’un groupe "à risques", les Allemands s’accommodent fort bien non seulement de la nouvelle police secrète et "idéologique" mise sur pieds par Himmler et Heydrich, mais aussi du régime nazi dans son ensemble !

(…) "En Union soviétique, le climat de peur qui régnait sous Staline imprégnait tout, comme jamais ce ne fut le cas en Allemagne sous Hitler avant les derniers jours du régime (...) Nul n'était à l'abri des coups frappés à la porte à minuit. On avait beau tout faire pour se conformer, on pouvait bien crier tous les slogans du monde, la hargne de Staline était telle que rien de ce que vous faisiez, disiez ou pensiez ne pouvait vous sauver si on vous mettait sur la sellette.

(...) la vérité demeure que la majorité des Allemands - très certainement jusqu'au moment où l'Allemagne a commencé à perdre la guerre - se sentaient personnellement en sécurité et si heureux qu'ils eussent voté pour Hitler s'il y avait eu des élections libres. En Union soviétique, au contraire, même le plus proche et le plus loyal des collègues de Staline ne pouvait dormir tranquille"
(2)

(1) Longerich, op. cit., page 213
(2) Laurence Rees, Auschwitz, page 14

jeudi 21 avril 2016

4804 - l'obligatoire respectabilité

Pour Himmler, les "ennemis" devaient être traités "avec respect"... s'ils le méritaient
... mais si tous les "ennemis du Reich" doivent être combattus de façon "impitoyable", Himmler insiste néanmoins sur l’obligatoire "respectabilité" (Anständigkeit) du processus,... du moins vis-à-vis de tous les opposants "qui le méritent" !

Car dans ce domaine comme dans bien d'autres, le Reichsführer-SS distingue clairement les "Aryens" (et assimilés) des "sous-humains" que sont les Juifs et les Bolcheviques, avec qui "il serait insensé d'avoir une attitude chevaleresque, vu que leurs méthodes politiques impliquent l'immoralité, la tromperie et le mensonge, et qui, en accord avec des principes typiquement juifs, considèrent le fait de ne pas détruire un opposant comme un signe de faiblesse"

"L'un dans l'autre", ajoute Himmler, "j'aimerais dire que nous autres, Allemands, devons au moins apprendre à ne pas considérer les Juifs et les organisations influencées par les Juifs comme des êtres humains qui sont membres de notre propre espèce et comme des gens qui partagent notre façon de penser" (1)

Dans quelques années, commentant devant l'élite de ses SS les résultats de "l'Endlösung der Judenfrage"la "Solution finale à la question juive", Himmler ne dira pas autre chose en soulignant que "Nous avions le droit moral, nous avions le devoir envers notre peuple de détruire ce peuple qui voulait nous détruire"

(1) Longerich, op. cit., page 198

mercredi 20 avril 2016

4803 - les règles cardinales

Heydrich : véritable nazi ou simple fonctionnaire ambitieux et sans scrupule ?
... n'étant désormais plus redevables que devant Hitler en personne, les SS ont les coudées franches pour "traiter" les "ennemis du Reich" comme ils le veulent. 

Dès le début de l'été, Heydrich s'empresse d'ailleurs d'établir les "quatre règles cardinales" qui, jusqu'à la chute finale du nazisme, régiront la "police idéologique" 

Primo, la lutte contre les "ennemis du Reich" (Juifs, francs-maçons, "prêtres politiques" et autres intellectuels plus ou moins "libéraux"), devra être menée de façon "complète" mais surtout "préventive", c-à-d AVANT que les intéressés aient eu le temps de commettre leurs forfaits ! 

Deuxio, cette lutte ne pourra sous aucun prétexte se retrouver limitée ou freinée par des contraintes légales : les agents du SD et le Gestapo auront donc de facto la liberté d'agir à peu près comme ils veulent, et de mener toutes les actions répressives qu'ils estiment nécessaires. 

Tertio, toutes les forces de Police devront à terme être unifiées au sein d'un seul et même "Service de Protection de l'État" : le futur Reichssicherheitshauptamt ou "Office central de la Sécurité du Reich" (RSHA) - nous y reviendrons - placé sous sa seule autorité. 

Quarto, et peut-être la règle la plus importante, seule une brutalité impitoyable, et l'absolue conviction du bien-fondé de celle-ci, permettront au bout du compte de venir à bout de tous les "ennemis" du peuple allemand...

mardi 19 avril 2016

4802 - le triomphe du "complot permanent"

Heydrich, Himmler et Hitler : la logique de la surenchère permanente
... Berlin, 17 juin 1936 

Mais comme il fallait s'y attendre, Frick et son administration ne partagent pas du tout la vision d'une "menace idéologique" à la fois permanente et omniprésente !

Appelé à trancher en dernier ressort cette querelle qui s'envenime depuis des mois, Hitler, succombant une fois de plus à la logique de la surenchère, va finalement se décider en faveur d'Himmler et d'Heydrich et de leur "complot permanent", tout comme il se décidera, dans quelques années, en faveur de la "guerre éternelle", échafaudant de nouveaux plans de conquêtes avant-même d'en avoir fini avec les conquêtes en cours ! 

"Himmler et Heydrich allaient finalement voir leurs demandes satisfaites : jusqu'en 1945, la [seule] assise légale des mesures de Police demeurerait le décret sur l'Incendie du Reichstag du 28 février 1933, une mesure d'urgence qui avait restreint les droits fondamentaux inscrits dans la Constitution de Weimar, tels les droits individuels des prisonniers, la liberté d'expression et la confidentialité des communications écrites et orales. 

Tout au long du Troisième Reich, la Police allemande allait [donc] opérer sous un État d'urgence permanent" (1). 

Dans l'immédiat, en ce 17 juin 1936, il nomme en tout cas Himmler chef très officiel de toutes les polices d'Allemagne et désormais seulement redevable devant lui,... au grand dam de Frick, dès lors inexorablement engagé sur une pente descendante qui le verra petit à petit perdre ses prérogatives et jusqu'à son portefeuilles de Ministre de l'Intérieur, qu'il abandonnera le 20 août 1943 (1)... à nul autre qu'Himmler lui-même ! 

(1) Gerwarth, op. cit., page 89 
(2) comme lot de consolation, Frick se vit alors offrir le poste de Protecteur de Bohème-Moravie, occupé jusqu'à son assassinat par... Reinhard Heydrich.

lundi 18 avril 2016

4801 - la "menace idéologique"

Himmler et Heydrich : "l'État d'exception" permanent...
... entre Frick d'un côté et le tandem Himmler/Heydrich de l'autre, tout se résume en fait au point de savoir si les camps de concentration, et plus généralement l'ensemble du système politico-répressif soigneusement mis en place par la SS, constituent une réponse temporaire à une situation d'urgence ou, au contraire, la nouvelle règle de fonctionnement, quasi constitutionnelle, du Troisième Reich.

Pour défendre leur "vision", et leurs propres prérogatives, Himmler et Heydrich ont donc besoin de nombreux "ennemis" à présenter au Führer

Au début de l'été de 1935, la Gestapo repart donc à la chasse aux communistes que l’on suspecte cette fois - à tort ou à raison - de hanter l’administration allemande : à la fin de l’année, plus de 14 000 d’entre eux auront ainsi été arrêtés et placés en détention préventive. 

Mais comme il n’y a tout simplement plus assez de communistes dans le Reich, d’autres catégories doivent impérativement les remplacer à court terme ! 

Dès le mois de mai, dans une série d’article parus dans le Schwarze Korps, le journal de la SS, Heydrich a d’ailleurs planté le décor, soulignant que les ennemis du nazisme, loin d’avoir été vaincus, sont en réalité non seulement plus nombreux mais surtout plus insidieux que jamais, puisque se dissimulant à présent dans la "Juiverie et la Franc-maçonnerie mondiales" ainsi que chez les "prêtres politisés". 

Et puisque la police ordinaire, affirme Heydrich, est incapable de faire face à cette "menace idéologique", c’est la police idéologique - autrement dit la SS - qui devra naturellement mener la lutte. 

"Si nous voulons protéger notre peuple", souligne-t-il par ailleurs, "nous devons traiter durement nos opposants, fut-ce au risque de maltraiter l’un ou l’autre individu, et d’être dès lors vilipendés comme des brutes sauvages par certaines personnes assurément bien intentionnées" (1) 

(1) Longerich, op. cit. page 196

dimanche 17 avril 2016

4800 - le retour à la normale

Frick et Himmler : deux visions opposées de l'Ordre au sein d'une même dictature
... de par son idéologie exaltant l'ordre et l'usage de la violence, le nazisme porte certes en son sein les graines de l'État policier que souhaite Himmler mais, et au moins jusqu'en 1936-1937, les Conservateurs comme Franz von Papen, les "Nazis modérés" comme Albert Speer, et à vrai dire l'immense majorité des citoyens allemands, tous ceux-là demeurent fermement convaincus d'un "retour à la normale", c-à-d à un État de Droit - fut-il autoritaire - si tôt les derniers "ennemis" - communistes, Juifs, et autres "déviants" sexuels ou moraux - définitivement éliminés. 

Bien que nazi convaincu, et compagnon de route du Führer depuis 1919, Wilhelm Frick, un éminent avocat et juriste bavarois, milite également pour ce retour. 

Ancien chef de la Police de Munich, député fédéral en 1924, Ministre de l'Intérieur de Thuringe en 1930, Frick est devenu Ministre de l'Intérieur du Reich en janvier 1933,... ce qui lui a aussitôt valu d'entrer en conflit ouvert avec Hermann Goering, grand-maître de la Police de Prusse puis de la Gestapo 

Comme souvent en pareil cas, et comme nous l'avons vu, c'est un troisième larron, Heinrich Himmler, qui a finalement tiré les marrons du feu, mais dans l'étrange et à vrai dire surréaliste organigramme du Troisième Reich, le Ministre de l'Intérieur, bien qu'ayant perdu le contrôle effectif de la Police au profit du Reichsführer-SS, demeure, dans ce domaine du moins, le supérieur hiérarchique de ce dernier, et entend bien, à ce titre, rogner dans les prérogatives de la SS, en ramenant la Police dans son propre giron !

"Frick (...) continuait de soutenir que les nouveaux instruments de répression sous le contrôle de la SS - et en particulier les camps de concentration - ne constituaient que des outils temporaires, créés dans le but de s'emparer du Pouvoir, et dans la foulée de sa saisie, et qu'ils devaient donc retourner sous un strict contrôle gouvernemental une fois le calme politique rétabli. 

En 1935, le réseau communiste clandestin désormais largement anéanti, et ses chefs emprisonnés, il décida que le temps était venu de démanteler les outils de répression extra-judiciaire de la SS et d'en revenir à des moyens légaux pour lutter contre les crimes politiques. 

Himmler et Heydrich, par contraste, essayaient d'étendre leurs pouvoirs de Police précisément au moment où l'État nazi paraissait manquer d'ennemis à arrêter (...) Il leur fallait vendre [à Hitler] l'idée d'un État policier permanent" (1) 

(1) Gerwarth, op. cit. page 86

samedi 16 avril 2016

4799 - un fâcheux manque de criminels

Travailleurs forcés à Dachau, en 1933. Ce camp allait servir de modèle aux autres
... en cette année 1935, l’Allemagne nazie s'achemine donc tranquillement vers un véritable État policier dominé par Heinrich Himmler.

Mais avec les SA contraints de rentrer dans le rang, les communistes et socio-démocrates tous emprisonnés ou en fuite, et les syndicats dissous et remplacés par un "Deutsche Arbeitsfront" ("Front allemand du Travail" ou DAF) entièrement aux ordres d’un parti devenu unique et d'un Führer désormais "inattaquable", cet État policier manque paradoxalement… de criminels !

Nommé Inspecteur général des Camps après ses succès à Dachau, Theodor Eicke, n’a d’ailleurs eu d’autre choix que de fermer la plupart d’entre eux, et d’en libérer les détenus, en sorte qu’à la fin du printemps de 1935, les geôles du Troisième Reich, qui hébergeaient plus de quarante mille prisonniers politiques deux ans plus tôt, n'en abritent plus guère que trois mille, autant dire rien pour une dictature totalitaire de quelque soixante-six millions d’habitants !

En attendant les guerres de conquête qui ne manqueront pas de multiplier les opposants et autres "terroristes" à traquer et éliminer, Himmler se trouve par conséquent confronté à un singulier défi : justifier l’existence - et les crédits - d’une SS qui, bien que volontairement réduite de près de soixante mille personnes depuis un an, compte encore plus de cent-quarante mille hommes dans ses rangs…

vendredi 15 avril 2016

4798 - la Paix des Braves

Canaris et Heydrich : une collaboration fructueuse... jusqu'à la mort de ce dernier
... 17 janvier 1935 

Avec l'arrivée de Wilhelm Canaris, les relations entre l'Abwehr et le SD jusque-là teintées de méfiance réciproque, vont considérablement se renforcer,... au plus grand bénéfice d'Himmler lui-même 

Sans être un admirateur inconditionnel d'Hitler, Canaris est en effet un ultra-conservateur - pour ne pas dire un réactionnaire - prêt à approuver crimes et guerres d'expansion... en autant bien sûr qu'ils se traduisent par des victoires et des gains pour l'Allemagne !

En pratique, et au moins jusqu'à la mort d'Heydrich en 1942, l'Abwehr et le SD, quoique rivaux, s'entendront donc fort bien pour collaborer à la réussite des différentes politiques hitlériennes. 

Le 17 juillet 1935, au terme d'une conférence de plus de trois heures, Canaris et Heydrich vont d'ailleurs signer une "Paix des Braves", ou plus exactement un mémorandum en dix points que leurs subalternes respectifs qualifieront bientôt de "Dix Commandements" : à l'Abwehr le monopole de l'espionnage et du contre-espionnage militaire, ainsi que la protection des installations de l'armée; au SD celui de l'espionnage industriel et du renseignement aux zones frontalières...

... et à la Gestapo la lutte contre tous les crimes politiques commis dans le Reich...

jeudi 14 avril 2016

4797 - le lot de consolation

Himmler (de dos), Goebbels et Canaris, en 1936
... 01 janvier 1935

Si Hitler n'aime pas les généraux de la Reichswehr - qui le lui rendent bien - il sait aussi qu'il a besoin d'eux, c-à-d de militaires professionnels, pour "briser les chaînes de Versailles" puis partir à la conquête de ce "lebensraum", de cet "espace vital", qu'il rêve depuis dix ans de conquérir à l'Est, deux objectifs que le "Fidèle Heinrich" et ses SS, malgré toute leur bonne volonté et leur dévouement à sa personne et au nazisme, ne sont nullement en mesure de réaliser.

Jusqu'à la Capitulation de l'Allemagne nazie, en mai 1945, la Reichswehr, officiellement devenue Wehrmacht le 16 mars 1935, conservera donc son autonomie et demeurera - et de loin - la principale force armée du pays.

La principale... mais pas la seule car Himmler, bien que stoppé net dans ses ambitions, va pour sa part commencer à armer ses SS, et à leur conférer une véritable formation militaire... distincte de celle de la Wehrmacht, exemple parmi tant d'autres des dédoublements et gaspillages qui vont caractériser le Troisième Reich jusqu'à sa chute !

Pour l'heure, le Reichsführer-SS trouve au moins une consolation dans le limogeage de Conrad Patzig, chef de l'Abwehr, c-à-d du Renseignement militaire, qui, jugé trop peu "coopératif" est  le 01 janvier 1935 remplacé par le contre-amiral Wilhelm Canaris, quant à lui ami de longue date et longtemps mentor d'Heydrich dans la Reichsmarine (1)

(1) Saviez-vous que... L'homme au coeur de fer

mercredi 13 avril 2016

4796 - les deux Werner

von Runstedt, von Fritsch et von Blomberg, en 1934
... après la purge du 30 juin, et le plébiscite du 30 août, Heinrich Himmler est désormais inattaquable dans son rôle de Grand-Maître de la Police.

Mais dans le bestiaire si particulier de ce nouveau "Troisième Reich", l'appétit vient en mangeant, et le Reichsführer-SS rêve déjà à de nouveaux horizons,... et pourquoi pas de mettre la main sur cette Reichswehr pour le compte de laquelle il vient pourtant d'abattre - au propre et au figuré - un Ernst Röhm qui se promettait justement d'en faire de même !

Il faut dire que, considéré de son point de vue, les chefs de l'Armée régulière sont idéologiquement peu sûrs : respectivement Ministre de la Guerre et commandant-en-chef de l'Armée de Terre (Oberkommando des Heeres, ou OKH), Werner von Blomberg et Werner von Fritsch sont certes reconnaissants à la SS de l'avoir débarrassée une fois pour toutes de la menace SA, et à Hitler d'accroître  leurs effectifs et leur budget de façon considérable (1), mais,  et à l'instar de la quasi-totalité de l'État-major, ils sont loin d'être des nazis convaincus, et font même preuve d'un consternant manque d'enthousiasme à l'égard des choix politiques du Führer et de ses envies belliqueuses !

Fin décembre, Himmler passe donc à l'offensive, accusant von Fritsch de fomenter - à l'instar de Röhm - rien de moins qu'un coup d'État militaire contre le régime !

Au fil des jours, les tensions entre la Reichswehr et la SS s'enveniment, au point de finalement forcer Hitler à intervenir en personne,... et à rappeler les sphères de compétence des uns et des autres, mettant ainsi un terme définitif - en théorie du moins - aux ambitions d'Himmler

(1) de 1933 à 1939, 52% des dépenses publiques allemandes seront consacrées au réarmement !

mardi 12 avril 2016

4795 - la triple couronne

Le 19 aout, par référendum, Hitler devint à la fois Chancelier et Président du Reich
... 2 août 1934

Sur le papier, Hindenburg pourrait encore limoger Hitler et, en s'appuyant sur la Reichswehr, proclamer la Loi martiale et exiger de nouvelles élections, mais à 86 ans, et atteint d'un cancer au poumon, il n'en a plus la force et a d'ailleurs préféré quitter Berlin et se retirer, début juin, dans sa propriété de Prusse orientale.

Hitler, de son côté, pourrait certainement le faire disparaître d'une manière ou d'une autre, mais, en fin stratège, il sait que le temps joue pour lui et qu'il lui suffit donc d'attendre que le vieillard passe tranquillement de vie à trépas, ce qui se produit finalement le 2 aout 1934.

La fonction de Président du Reich est donc vacante, mais plutôt que de prendre le temps, et le risque, d'une nouvelle élection, Hitler décide plutôt de cumuler à la fois sa fonction actuelle de Chancelier avec celle de Président, en devenant tout simplement "le Führer" - autrement dit "le Chef" ou "le Guide" - d’un "Troisième Reich".

Ce véritable coup de force constitutionnel se trouve rapidement légitimé a posteriori par un plébiscite supplémentaire, lequel, organisé le 19 aout, se transforme en triomphe, en lui offrant 89 % des suffrages !

Ne lui reste plus maintenant qu'à remplacer le traditionnel serment d'allégeance de l'Armée à la Nation par un serment de fidélité à sa propre personne pour coiffer de facto les couronnes de chef de l'Etat, de chef du Gouvernement et de chef des Armées !

"Une chose du moins est certaine. Herr Hitler est à présent inattaquable, même dans les milieux qui n'adhèrent pas entièrement au national-socialisme", reconnaît dans la foulée l'ambassadeur de Grande-Bretagne à Berlin

Il ne croit pas si bien dire...

lundi 11 avril 2016

4794 - solder les comptes

Le journaliste Fritz Gerlich, autre victime du 30 juin
... juillet 1934

Rapide, brutale et - il faut bien le dire - brillamment orchestrée par Heydrich, la purge du 30 juin 1934 a fait quelque 200 morts, parmi lesquels Röhm et ses principaux lieutenants, ou l'ex Chancelier Kurt von Schleicher et le chef de l'Action catholique Erich Klausener 

Mais on y retrouve aussi des "connaissances" plus anciennes, avec lesquels Hitler a voulu solder de vieux comptes, comme l'ex commissaire général de Bavière Gustav von Kahr, le journaliste Fritz Gerlich (interné à Dachau depuis mars 1933) ou encore... Gregor Strasser (1), celui-là même qui avait initié l'ascension d'Himmler au sein du parti nazi.

On n'est jamais trahi que par les siens...

Ayant vu disparaître leur chef et co-fondateur du mouvement, sans personnalité de premier plan pour reprendre immédiatement le flambeau et contester l'absolutisme d'Hitler, les SA n'ont maintenant plus d'autre choix que de "rentrer dans le rang",... ou plus exactement d'intégrer ceux de cette Reichswehr dont ils avaient eux-mêmes voulu prendre le contrôle, et qui, ainsi considérablement renforcée, deviendra la Wehrmacht en mai 1935.

Définitivement débarrassé de toute opposition, Himmler peut maintenant régner sans partage sur le front policier et répressif. Euphorique, il vient d'ailleurs de récompenser Heydrich, en le nommant Gruppenfuhrer-SS (lieutenant-général) pour services rendus.

Hitler, lui, doit cependant encore affronter un ultime obstacle.

Cet obstacle a 86 ans et un cancer du poumon.

Il s'appelle Paul von Hindenburg...

(1) réfugié en Autriche depuis 1933, son frère Otto entama alors une longue période d'errances, qui le vit finalement s'établir au Canada dix ans plus tard

dimanche 10 avril 2016

4793 - la purge du 30 juin

La pension Hanselbauer de Bad Wiessee, où Röhm fut arrêté, le 30 juin 1934
... Bad Wiessee (Bavière), 30 juin 1934, 06h30

Hitler croit-il vraiment aux documents qu'on lui soumet et qui "prouvent" la trahison de Röhm et sa volonté de le renverser,... ou se contente-t-il tout simplement, et en parfait opportuniste, de sauter sur la première occasion qui se présente pour se sortir de la fâcheuse situation où il s'est lui-même enferré et qui mine sa propre crédibilité au sein du parti ?

Le fait est qu'il se décide enfin à agir, et même à agir en personne : le 30 juin 1934, flanqué d'une escorte de SS venus dans des camions aimablement prêtés par la Reichswehr il fait irruption à la pension Hanselbauer de Bad Wiessee où Röhm et plusieurs de ses lieutenants sont descendus.

La scène est incroyable, surréaliste : au beau milieu du 20ème siècle, dans un des pays les plus avancés d'Europe, le chef du plus important parti politique, le Chancelier d'Allemagne, hurle, vitupère, enfonce les portes des chambres et, pistolet au poing, signifie lui-même à Röhm et ses adjoints qu'ils sont tous en état d'arrestation pour haute trahison !

Transféré à la prison de Stadelheim, près de Munich - cette même prison qui l'avait déjà hébergé dix ans plus tôt après le fiasco du Putsch de la Brasserie - Röhm entend bientôt les coups de feu d'un peloton d'exécution commandé par Sepp Dietrich - chef de la Leibtstandarte-SS, la garde personnelle du Führer - occupé à passer plusieurs de ses partisans par les armes.

Mais dans son cas à lui, le dit Führer, et pour les raisons déjà évoquées, hésite encore, ce qui, une fois de plus contraint Himmler, Heydrich et Goering à lui forcer la main. 

Si Hitler finit par se rendre à leurs arguments, il privilégie néanmoins l'option du suicide : le 2 juillet, Theodor Eicke, chef du camp de concentration de Dachau, et Michel Lippert, un ancien policier devenu SS en 1931, se présentent donc dans la cellule de Röhm et, lui tendant un pistolet chargé d'une seule balle, lui conseillent de mettre fin à ses jours, avant de devoir, suite à son refus, se résoudre à procéder eux-mêmes à une exécution, ou plutôt un assassinat, qu'ils présenteront comme la conséquence d'une tentative d'évasion, afin de préserver la "sensibilité" d'Adolf Hitler envers son vieux compagnon du "Temps de la Lutte"...

samedi 9 avril 2016

4792 - forcer la main

Hitler ne voulait pas condamner Röhm. D'autres décidèrent de lui forcer la main
... car cette volonté de "poursuivre la révolution" mais aussi de prendre le contrôle de l'Armée régulière a le don de fédérer dans une rare unanimité non seulement les caciques du NSDAP et - pour d'évidentes raisons - tous les généraux de la Reichswehr, mais aussi l'ensemble des Conservateurs allemands qui, à l'image de von Papen sont disposés à s'accommoder d'une dictature... en autant que celle-ci respecte les Églises ainsi que leurs propres possessions et privilèges dans la société allemande !

Bien que cette crise couve depuis des mois, Hitler s'entête pourtant dans son refus de prendre parti contre son vieux compagnon du "Temps de la Lutte", ce qui inquiète de plus en plus Himmler et tous ceux qui estiment que l'indécision du Führer en cette affaire finira par pousser les Conservateurs, ou l'Armée elle-même, à en appeler directement au vieux Président Hindenburg, lequel pourrait alors démettre Hitler de ses fonctions de Chancelier et proclamer la Loi martiale, dans l'attente de nouvelles élections générales dont rien ne garantit que le NSDAP sortirait une nouvelle fois vainqueur !

Mais si le Führer rechigne, pourquoi ne pas lui forcer la main... en montant, au besoin de toutes pièces, un dossier accablant contre Röhm ?

Début mai, le SD de Heydrich commence donc à échanger des informations sur Röhm avec les services du renseignement militaire de la Reichswehr, amorçant par la même un rapprochement entre la SS et l'armée régulière. 

En partie réelles, en partie fabriquées par les uns et les autres, ces informations, qui sont présentées à Hitler fin juin, accréditent l'hypothèse d'un coup d’État de la SA contre le régime, légitimant ainsi... une "attaque préventive" de la SS contre Röhm et ses principaux lieutenants qui, circonstance favorable, ont justement décidé de prendre quelques jours de vacances bien mérités en Bavière.

Mais si Röhm et ses aides de camp figurent naturellement en tête de la liste des personnes à arrêter, emprisonner et exécuter, Heydrich, désireux de "faire le ménage" une bonne fois pour toutes, y a ajouté d'autres noms - comme celui du général et ancien Chancelier Kurt von Schleicher - qui n'ont aucun rapport avec la SA...

vendredi 8 avril 2016

4791 - l'erreur fatale

Röhm voulait une "seconde révoultion", ce fut celle de trop
... avec ses manières de soudard, ses incessantes revendications, et son jusqu’au boutisme révolutionnaire, Ernst Röhm s'est fait beaucoup d'ennemis au sein du NSDAP, surtout depuis que son homosexualité est entrée dans le domaine public.

Pour un parti qui prétend incarner la moralité et les véritables "valeurs" traditionnelles de l'Allemagne et de la Famille, les préférences sexuelles du chef de la SA - mais aussi d'une bonne partie de son État-major personnel ! - ont évidemment de quoi en irriter plus d'un.

Curieusement, et bien que connaissant Röhm depuis plus de dix ans, Himmler par naïveté ou aveuglement volontaire, n'en a lui-même pris connaissance qu'en 1931, et n'y a longtemps vu que de vulgaires ragots colportés par des adversaires politiques

Mais à présent que le Reichsführer-SS est résolu à écarter son ancien mentor, cette "faiblesse" constitue un argument supplémentaire à présenter à Hitler (1)

Le véritable argument, cependant, est ailleurs : contrairement à Hitler, à Himmler, à Goebbels et à la plupart des caciques du parti, Röhm ne considère pas l'arrivée des Nazis au Pouvoir comme une fin en soi, mais plutôt comme le simple point de départ d'une "seconde révolution" - cette fois complète - de la société allemande.

Une "seconde révolution" bien entendu fondée sur le nombre et la force de ses SA auxquels l'armée régulière - infiniment moins nombreuse - devra évidemment se soumettre.

C'est l'erreur fatale...

(1) Hitler était cependant au courant de l'homosexualité de Röhm depuis sa première rencontre avec lui, en 1919...

jeudi 7 avril 2016

4790 - l'obstacle Hitler

Goebbels, Hitler et Röhm, en 1933
... l'obstacle Goering écarté, reste maintenant celui - autrement plus considérable d'Ernst Röhm et de  sa Sturmabteilung. qui, au printemps 1934, aligne plus de quatre millions de membres !

Et le défi ne s'annonce pas facile à relever (1)

Sur le plan personnel déjà, Röhm et Himmler sont, sinon intimes, du moins de vieilles connaissances qui s'apprécient mutuellement. Surtout, Röhm est des plus anciens compagnons d'Hitler, et le seul de qui il tolère d'être encore appelé "Adolf" - tous les autres membres du NSDAP ayant depuis longtemps appris à ne plus s'adresser à lui que sous le bien plus réglementaire "Mon Führer".

Or Hitler, contrairement à Staline, est étonnamment - et remarquablement - fidèle à ses vieux compagnons, comme il le sera plus tard à ses généraux : il faut vraiment que ceux-ci le déçoivent ou le trahissent gravement pour qu'il se décide enfin à les chasser de sa vue et de sa mémoire, et même ainsi, il se contente généralement de les renvoyer dans leur foyer, avec salaire et retraite complètes, plutôt que de les confier à ses sbires, ou à un peloton d'exécution.

Himmler doit donc procéder avec prudence, et la première étape serait d'abord d'affaiblir la position de Röhm auprès d'Hitler, de faire clairement prendre conscience à ce dernier du danger que celui-ci représente non seulement pour lui-même, mais aussi pour le parti et l'Allemagne toute entière.

Röhm, malheureusement pour lui, prête déjà le flanc à de nombreuses critiques, et est affligé d'importants défauts facilement exploitables.

Surtout si on ne se soucie guère de la Vérité...

(1) au même moment, les effectifs de la SS se montaient à environ 200 000 hommes, ceux de la Reichswehr demeurant limités à environ 100 000 personnes

mercredi 6 avril 2016

4789 - seuls maîtres à bord

Dès 1934, la SS fut maître de la Police allemande, en particulier de la Gestapo
... début mai, Himmler et ses SS sont donc devenus les seuls maîtres de toutes les forces de Police allemandes, et en particulier de la nouvelle Geheime Staatspolizei 

Replaçons néanmoins les choses en perspective : avec un effectif de quelque 2 000 fonctionnaires, pour la plupart issus, comme Müller (1), des corps policiers "traditionnels", la Gestapo de 1934 est certes une machine impressionnante - surtout si on la compare au bien plus modeste SD - mais si ses effectifs ne vont cesser d'augmenter dans les années à venir - en 1937 elle aura déjà triplé son personnel - elle ne sera jamais, contrairement à la légende abondamment véhiculée par la littérature et le cinéma, cet immense complexe bureaucratique espionnant tout le monde et connaissant tout sur tout.

En 1937, elle ne disposera par exemple que de 126 officiers pour surveiller les agissements des 500 000 habitants de Düsseldorf, de 43 à Essen pour 650 000 habitants, et... de 22 à Würzburg, pour les 840 000 habitants de toute la Basse Franconie.

A Berlin-même, pourtant capitale du Reich et ville de 4 500 000 âmes, ses effectifs ne dépasseront jamais 5 600 personnes, soit l'équivalent d'un "gestapiste" pour quelque 800 habitants

Pour débusquer les communistes, les Juifs et en fait tous les autres "ennemis du peuple allemand", le flair de ces trop rares limiers ne servirait à rien sans l'encouragement à la bonne vieille délation, que la "Loi sur les "comportements malveillants" du 21 mars 1933 a déjà considérablement encouragé et qui, dans les années à venir va pulvériser tous les records (2)

(1) Heinrich Müller était entré dans la police bavaroise en 1919
(2) Dans les archives de la seule Gestapo de Düsseldorf, on retrouvera ainsi, après guerre, quelque 72 000 dossiers de dénonciation,... sans compter les quelque 30 000 qui auraient disparu.

mardi 5 avril 2016

4788 - Goering d'abord...

Malgré ses airs de matamore, Goering fut le premier s'incliner devant Himmler
... 01 avril 1934

Malgré ses nombreux succès du printemps et de l'été, Himmler sait qu'il n'est toujours pas de taille, avec sa modeste SS, à affronter Röhm ou Goering, ni, a fortiori, les deux à la fois

Heureusement pour lui, le "darwinisme politique" tant vanté par Hitler va maintenant lui venir en aide.

Dans sa hâte de "nazifier" les forces de police prussiennes,  puis d'en augmenter dramatiquement les effectifs, Goering a en effet commis l'erreur d'incorporer plus de 25 000 membres de la SA, dont la réputation de brutalité et d'indiscipline n'était pourtant plus à faire, et qui n'obéissaient jusqu'ici - et fort vaguement - qu'à Röhm lui-même.

A la fin de 1933, voyant "sa" police lui échapper de plus en plus, Goering décide alors d'en ouvrir plus largement les portes à la SS, c-à-d à la seule formation idéologiquement sûre et capable de faire contrepoids. 

Une décision tactiquement logique mais stratégiquement désastreuse puisque Himmler et Heydrich en profitent aussitôt pour placer leurs propres pions !

Le 01 avril 1934 , les jeux sont faits : Rudolf Diels, protégé de Goering et chef de la Gestapo, est limogé; le 20, Goering en personne n'a plus d'autre choix que de céder le contrôle effectif de la Police de Prusse à Himmler qui, deux jours plus tard, transfère à son tour la Gestapo dans les mains d'Heydrich, dont le premier geste est évidemment de "faire le ménage", en plaçant des "hommes sûrs" - c-à-d ses hommes à lui, et en particulier Heinrich Müller - au sein de cette institution appelée à connaître un essor fulgurant..

lundi 4 avril 2016

4787 - grise mine

Miliciens SA incitant au boycott des magasins juifs, Berlin, avril 1933
… avec ce véritable blanc-seing du Reichstag, Hitler a maintenant les coudées franches, ne craignant finalement plus qu’un coup de force - toujours possible mais de plus en plus théorique - d’un Hindenburg qui vit ses derniers mois.

Et le Führer ne se gêne pas d’en profiter : le 01 avril, soit une semaine à peine après le vote de la Loi d’habilitation, le boycott des magasins juifs est organisé dans tout le pays; le 02 mai, les syndicats sont officiellement interdits et dissous; le 22 juin, c’est au tour du SPD de subir le même sort; le 14 juillet, le NSDAP devient même le seul parti politique autorisé en Allemagne, une réalité que de nouvelles élections, organisées le 12 novembre suivant, légitiment a posteriori, en lui offrant quelque 92% des suffrages !

Mais si Hitler, et les Nazis dans leur ensemble, ont de quoi jubiler, il n’en va pas de même pour Himmler : déjà contraint de vivoter de longue date dans l’ombre de Röhm et de ses SA, le voilà à présent confronté à un Goering qui, avec sa nouvelle Police de Prusse, affiche de très grandes ambitions !

Face à ces deux hommes, le Reichsführer-SS sait qu’il n’est pas de taille, ce pourquoi préfère-t-il jouer profil bas et attendre patiemment de les voir commettre un faux pas fatal, ce qui, compte tenu de leur ego démesuré, et de leurs nombreuses faiblesses personnelles, ne va d’ailleurs pas tarder…

dimanche 3 avril 2016

4786 - le chantage implicite

Hitler s'adresse au Riechstag, hébergé au Kroll Opera, 23 mars 1933
... Berlin, 23 mars 1933

"(...) A la fin de son discours, Hitler fit des concessions apparemment importantes. Ni le Reichstag ni le Reichsrat, assura-t-il, n'étaient menacés dans leur existence (...) les droits des Églises ne seraient pas réduits, ni leurs relations avec l'État modifiées" 

A l'évidence, le Zentrum social-chrétien, auquel appartient von Papen, constitue son objectif principal. 

(...) S'agissant de la position de l'Église catholique, [les promesses d'Hitler] semblaient apporter les garanties qu'avait exigé le Zentrum (...) Les députés de ce parti, qui se réunirent avant le vote, étaient malgré tout divisés. Si la loi d'habilitation ne passait pas, il était question de guerre civile, de recours à la force. Une fois encore, la tactique hitlérienne du chantage implicite avait payé. 

"Le chef du parti, le prélat Ludwig Kaas, plaida que "la patrie courait les plus graves dangers. Nous n'osons pas nous dérober". Non sans formuler les plus grandes réserves, et exprimer leurs sentiments de responsabilité envers la Nation, d'autres personnalités de premier plan, tels Heinrich Brünning (ancien Chancelier) et Joseph Ersing (l'un des syndicalistes les plus éminents du parti) lui apportèrent finalement leur soutien, suivis par les autres députés du Zentrum 

(...) Sous un tonnerre d'applaudissements des députés du NSDAP, Hitler regagna la tribune (...) "En cette heure, nous en appelons au Reichstag et lui demandons de nous accorder ce que nous aurions pu prendre de toute manière" 

(...) Kaas, pour le Zentrum, déclara que son parti était prêt à voter le texte; d'autres chefs de parti en firent autant, puis le projet fut mis aux voix. Par 441 voix contre 94, celles des socio-démocrates, le Reichstag, instance démocratique, avait voté sa mort"

 (1) Kershaw, op cit 662-664

samedi 2 avril 2016

4785 - la quête des pleins pouvoirs

05 mars 1933 : après l'incendie du Reichstag, le NSDAP obtient 44% des voix
... mars 1933

Avec 44% des suffrages aux élections du 5 mars, et l'appui de ses différents partenaires nationalistes, Hitler peut à présent gouverner seul et sans trop se soucier des convenances démocratiques.  

Mais la menace Hindenburg n'a pas disparu, pas plus d'ailleurs que celle des socio-démocrates du SPD ni, plus généralement, de tous ceux qui, à l'image de von Papen, et parce qu'ils n'ont jusque-là soutenu le nazisme que du bout des lèvres et uniquement comme bouclier contre le bolchevisme, risquent, une fois ce péril écarté, de se retourner contre lui.

Pour assurer sa position, Hitler va alors réclamer des parlementaires une loi spéciale d'habilitation, la
Gesetz zur Behebung der Not von Volk und Reich vom 24. März 1933 ( "Loi du 24 mars 1933 édictée en vue de remédier à la détresse du peuple et du Reich") lui conférant les pleins pouvoirs.

Mais une telle loi exige néanmoins un vote aux deux-tiers de l'assemblée, tâche a priori impossible puisque les Nazis et leurs alliés ne représentent qu'un peu plus de la moitié des parlementaires.  

L'éviction des députés communistes, à présent emprisonnés ou en fuite, ne modifie pas suffisamment la donne.  Et comme le ralliement des socio-démocrates du SPD - que Hitler haït presque autant que les Juifs et les communistes - est par principe exclu, ne reste donc plus aux Nazis qu'à "persuader" les nombreux petits partis siégeant au Reichstag - désormais hébergé au Kroll Opera - de voter en faveur du projet... .

"Une svastika géante dominait la salle. Des hommes en armes de la SA, de la SS et du Stalhlen gardaient toutes les issues et cernaient l'édifice. Ils donnaient aux députés un aperçu de ce qui allait suivre si la loi d'habilitation ne recueillait pas suffisamment de voix. (...) "Afin d'obtenir la majorité des deux-tiers, Frick (2) avait calculé que, si l'on décomptait purement et simplement les députés communistes, il suffirait de 378 voix et non plus 432. Au besoin, ajouta Goering, on pourrait éjecter de la chambre quelques socio-démocrates"  (...) Le Ministre de l'Intérieur du Reich proposa également une manipulation éhontée de la procédure du Reichstag afin de s'assurer de la majorité qualifie requise. Les députés absents sans excuse seraient considérés comme présents (...) L'absentéisme comme forme de protestation était donc exclu" (1)

(1) Kershaw, op cit, page 662

vendredi 1 avril 2016

4784 - dans l'ombre

Röhm, Goering et Himmler, en 1933
... ironiquement, et alors que la seule évocation de leurs initiales glacera bientôt d'effroi l'Allemagne puis l'Europe entière, la SS d'Himmler et le petit SD d'Heydrich ne jouent aucun rôle dans ces événements décisifs, puisque c'est la police régulière - celle de la République - par ailleurs aidée de bataillons entiers de volontaires SA, qui se charge de traquer, d'arrêter et d'incarcérer les communistes et leurs sympathisants supposés.

Et il faut attendre le 5 mars, et le résultat des nouvelles élections au Reichstag, pour qu'Himmler puisse enfin sortir de l'ombre : après s'être vu confier le poste de chef de la police de Munich, le Reichsführer-SS prend bientôt le contrôle de toute la police politique de Bavière, qu'il cède le 9 mars à Heydrich, lequel, avec sa détermination coutumière, entreprend alors de la transformer en appareil répressif modèle, recrutant avec soin ses subordonnés, parmi lesquels figure un certain Heinrich Muller appelé à devenir patron de la tristement célèbre Gestapo. 

Muller n'est pas nazi - il ne le deviendra officiellement qu'en mai 1939 - mais qu'importe : Heydrich, dont le nazisme et l'antisémitisme véritables sont eux-mêmes pour le moins sujets à caution, s'intéresse bien davantage aux compétences et à l'efficacité de ses collaborateurs qu'a leurs opinions idéologiques... 

Dans le même temps, le premier "camp de concentration" est inauguré à Dachau, à une quinzaine de kilomètres de Munich, 

Si l'ordinaire y est déjà extraordinairement brutal, et les décès par maladie, inanition ou "accident" fort nombreux, la véritable particularité de Dachau est ailleurs : celui qui a le malheur d'y entrer connait certes la date de son incarcération,... mais jamais sa durée (!), en sorte que sa libération, si elle survient, le pousse - et c'est bien là tour l'intérêt du système - à se montrer reconnaissant envers ses geôliers et le régime politique qui l'a pourtant expédié en enfer et qui peut à tout moment l'y renvoyer sans jugement et pour une durée tout aussi indéterminée..