vendredi 26 décembre 2025

9131 - la Fin de l'Indochine française

Dien-Bien-Phu, ou l'ultime baroud de la France en Indochine...

… Dien-Bien-Phu, 7 mai 1954

Au début de 1954, après neuf années de combats aux fortunes diverses, et malgré l’arrivée d’un soutien américain composé, notamment, de bombes au napalm pudiquement rebaptisées "munitions spéciales", l'impasse est toujours totale et la guerre, impossible à gagner pour la France.

Pour forcer le Destin, ou du moins contraindre Ho Chi Minh à revenir à la table de négociations, l’État-major français décide alors de recourir à une tactique déjà utilisée, rappelons-nous, par le Britannique Orde Wingate en Birmanie : bâtir un camp retranché en plein territoire ennemi, un camp retranché amplement approvisionné en armes et munitions, et régulièrement ravitaillé par les Airs, et un camp retranché sur lequel l’ennemi finira par se casser les dents.

Ce camp retranché, c’est Dien-Bien-Phu, au Nord-Ouest du Vietnam, près de la frontière laotienne, et sur le papier, l’idée est bonne… et serait même excellente si le Vietminh n'avait, de son côté, la mauvaise idée de s'emparer l'une après l'autre des collines réputées "imprenables" qui entourent le dit camp, puis de les hérisser de pièces de DCA… soviétiques, rendant bientôt impossible - comme à Stalingrad - tout ravitaillement mais aussi toute évacuation sanitaire.

Le 7 mai 1954, après deux mois de siège dans des conditions atroces, la garnison de la place est finalement contrainte à la reddition : sur les quelque 15 000 hommes qui combattaient dans les rangs français - en ce compris des Vietnamiens et des Nord-africains - 3 500 ont été tués ou sont portés disparus, et 11 000 - dont seuls 3 500 survivront à la captivité - faits prisonniers.

En soi, cela ne représente qu’environ 4% des 450 000 hommes des forces franco-indochinoises, mais bon nombre de ses meilleurs bataillons, et si on y ajoute le fait que le Vietminh, de son côté, a perdu de 25 à 30 000 hommes, on peut écrire que Dien-Bien-Phu est loin d’être le désastre militaire que l’on prétend

Mais politiquement, cette défaite est en revanche une véritable catastrophe, car après Dien-Bien-Phu, la France n'aura de cesse que de faire la paix le plus rapidement possible, et à n'importe quel prix,… quitte à abandonner au passage le million de Nord-Vietnamiens, majoritairement catholiques, qui fuiront éperdument vers le Sud dès la signature des Accords de Genève, le 20 juillet 1954, lesquels aboutiront à l'Indépendance et à la partition du Vietnam et, bientôt, à une autre guerre, américaine cette fois…

jeudi 25 décembre 2025

9130 - une fermeté trop loin

Troupes Vietminh paradant à Hanoï, 1946

… Haïphong, 23 novembre 1946

Faut-il continuer à négocier avec les Indépendantistes,... ou alors se battre pour leur faire entendre raison ?

Viscéralement anti-communiste, l’amiral Georges Thierry d'Argenlieu opte en tout cas pour la fermeté, et ses consignes… de fermeté aboutissent, sans surprise, à un incident, celui de Haïphong, important port vietnamien alors contrôlé par les Indépendantistes.

Le 23 novembre 1946, en appui à une opération terrestre pour reprendre la ville, des navires de guerre français ouvrent en effet le feu sur les quartiers chinois et vietnamiens, qui se retrouvent entièrement détruits.

Aujourd’hui encore, les circonstances du drame, de même que son bilan exact - plusieurs centaines ou alors milliers de morts - sont sujets à controverses, mais sa conséquence est en tout cas définitive : après Haïphong, il ne sera jamais plus question de négociation, mais seulement de guerre.

S’ensuivent des semaines, des mois, et au bout du compte des années d’affrontements au début sporadiques mais de plus en plus intenses à mesure que les Indépendantistes reçoivent du soutien et des armes soviétiques, et les Français du soutien et des armes… américaines, Washington s’étant finalement rallié à l’argument des Français selon lequel leur combat en Indochine était d’abord et avant tout un combat contre le communisme.

Reste qu’en France-même, ce conflit est tout sauf populaire, ce qui a dès lors convaincu les autorités à renoncer à toute idée d’y envoyer des conscrits : ce sont des soldats de métier, et des volontaires, parfois étrangers, qui combattent dans cette "Guerre d’Indochine" qui, au début de 1954, atteint son paroxysme…

mercredi 24 décembre 2025

9129 - un cas n'est pas l'autre...

2 septembre 1945 : à Hanoï, Ho Chi Minh proclame unilatéralement l'Indépendance du Vietnam

… Hanoï, 2 septembre 1945

Prévue depuis 10 ans, et acceptée depuis 10 ans par la puissance coloniale, l’Indépendance des Philippines est en quelque sorte l’antithèse de celle du Vietnam.

Le 9 mars 1945, rappelons-nous, les Japonais, qui contrôlaient et occupaient le Vietnam, ont en effet décapité - au figuré mais aussi et très souvent au propre - l'ensemble des responsables politiques et militaires français du territoire, en sorte que lorsque Ho Chi Minh, quant à lui discrètement soutenu depuis 1942 par les Américains et leur OSS, proclame unilatéralement l’Indépendance à Hanoï le 2 septembre 1945, soit le jour-même de la Capitulation japonaise, celle-ci est immédiatement rejetée par la France… qui, malheureusement pour elle, n’a pour l’heure aucun moyen de s’y opposer !

Dans une France exsangue et ruinée par la guerre, avec une population au mieux indifférente et au pire favorable aux Indépendantistes et à Ho Chi Minh, et avec des Américains qui n’ont aucune sympathie pour De Gaulle et le colonialisme français, rassembler de tels moyens est en effet tout sauf facile, et de fait, ceux-ci vont mettre des semaines, et même des mois, avant d’arriver sur place, en nombre néanmoins insuffisant pour espérer faire plier les Indépendantistes.

Mieux vaudrait sans doute négocier un compromis, une quelconque formule de "souveraineté-association", qui aurait le mérite de satisfaire ces derniers tout en maintenant le territoire dans la sphère française.

Telle est est tout cas la solution préconisée par le général Leclerc qui, à son retour du Vietnam, en juillet 1946, écrit, fort lucidement, qu'il a "recommandé au gouvernement la reconnaissance de l’État du Vietnam, il n'y avait pas d’autre solution. Il ne pouvait être question de reconquérir le Nord par les armes, nous n'en avions pas, et nous n'en aurions jamais les moyens (…) Il faut garder le Vietnam dans l'Union française, voilà le but, même s'il faut parler d'Indépendance"

Ho, qui il est vrai n’a lui non plus pas encore les moyens de ses ambitions, n’est a priori pas opposé à une formule de ce genre. Des pourparlers laborieux s’engagent donc qui, à terme, pourraient - peut-être - déboucher sur un accord, mais, en novembre 1946, tout déraille définitivement… 

mardi 23 décembre 2025

9128 - telle la cigale après avoir chanté tout l’été...

4 juillet 1946 : après un demi-siècle, le drapeau américain est amené. Les Philippines sont indépendantes...
… "L’un des principaux objectifs de guerre du Japon avait été d'affaiblir, puis d'éliminer, l'influence coloniale européenne en Extrême-Orient. Paradoxalement, cet objectif fut atteint, malgré la défaite du Japon lui-même. 

Après la défaite du Japon, une vague irrésistible de nationalisme, souvent d'inspiration et de contrôle communistes, déferla en effet sur toute l'Asie. Le modèle d'avant-guerre du continent s'effondra sous la pression des
changements politiques et des guerres civiles" (1)

Car telle la cigale après avoir chanté tout l’été, les Européens, après avoir dépensé tous leurs moyens durant la guerre, n’ont à présent plus la force matérielle, politique, mais aussi morale de récupérer leurs colonies du sud-est asiatique puis de s’y maintenir !

Cette admission, malheureusement, est loin d’être immédiate et, en quantités d’endroits, va donner lieu à des affrontements sanglants qui, dans certains cas, vont même durer des années mais se solderont, dans tous les cas, par le départ humiliant des puissances coloniales, et l’Indépendance des pays colonisés.

Sans surprise, puisque prévu depuis bien avant la guerre, le premier domino à tomber n’est autre que les Philippines.

Colonisé par les Espagnols à partir de 1565, devenu américain en 1898 après la Guerre hispano-américaine, le territoire a accédé, le 15 novembre 1935, au statut de Commonwealth des Philippines, toujours contrôlé par les Américains, mais possédant déjà son Président et ses propres institutions, et devant accéder à l’Indépendance complète après 10 ans, Indépendance finalement proclamée par les États-Unis eux-mêmes le 4 juillet 1946, soit moins d'un an après la Capitulation japonaise...

Et de un…

(1) Winton, op cit, page 495

lundi 22 décembre 2025

9127 - mais ceci fait...

Hisser du drapeau britannique, à Singapour : la volonté de faire comme si rien ne s'était passé...

… l’ampleur de ces différents rapatriements va, à l’évidence, exiger des mois d’efforts et mobiliser des milliers d’hommes et aussi des dizaines et même des centaines de navires, parmi lesquels figureront d’ailleurs des navires de guerre japonais désarmés, dont le désormais fameux et indestructible destroyer Kamikaze.

Mais ceci fait, et autant du côté britannique, hollandais, ou français, comment justifier ensuite le maintien des uns et des autres au profit des colonies d’avant-guerre ? 

Comment justifier la présence de dizaines de porte-avions, de cuirassés, de croiseurs, de destroyers aux coûts d’opération et d’entretien vertigineux et qui n’ont de toute manière plus aucune armée ennemie à affronter ?

Comment, surtout, justifier celle de milliers de conscrits à qui on a simplement demandé de combattre les Japonais et qui, ces derniers à présent vaincus, ont toutes les raisons de vouloir rentrer chez eux le plus vite possible… et aucune de vouloir demeurer en Asie du Sud-Est pour aider au rétablissement des colonies ?

Et au pays, l’opinion publique est bien du même avis : maintenant que la guerre est finie, et les prisonniers de guerre sauvés et sur le chemin du retour, pourrait-on SVP ramener les boys au pays ?

Et pourrait-on aussi, si ce n'est pas trop demander, se préoccuper du quotidien au pays, c-à-d des montagnes de ruines à déblayer, des milliers d’usines et d’habitations à reconstruire, de l’Économie à rebâtir, ou encore de ces maudits tickets de rationnement qui continuent d’empoisonner la vie de tout le monde, plutôt que de se relancer immédiatement dans des aventures coloniales qui ont désormais plutôt mauvaise presse et toutes les chances, vu l’opposition de plus en plus manifeste des populations locales, de dégénérer en autant d’affrontements aussi sanglants que ruineux…

dimanche 21 décembre 2025

9126 - bien fait pour leur g…

Soldat indien surveillant des prisonniers japonais. Singapour, septembre 1945

… car à Singapour comme un peu partout en Asie, le rapatriement volontaire vers la Grande-Bretagne, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Hollande ou encore les États-Unis de plusieurs centaines de milliers de soldats occidentaux libérés des camps japonais se déroule parallèlement… au rapatriement, cette fois forcé et vers le Japon, d’un nombre encore plus élevé de soldats japonais maintenant fait prisonniers par les Occidentaux !

Et comme si cela ne suffisait pas déjà, s’y ajoute également le rapatriement tout aussi forcé, et toujours vers le Japon, de plusieurs centaines de milliers de civils japonais qui, depuis des décennies, voire même depuis leur naissance (!), étaient présents en Mandchourie, en Chine, à Hong-Kong, à Shanghai, à Singapour, en Corée ou encore à Taiwan, soit, et à l’instar des germanophones d’Europe de l’Est, en autant d’endroits où ils ne manqueraient pas d’être massacrés par la population locale s’ils s’entêtaient à vouloir y demeurer !

Alors que les anciens prisonniers occidentaux n’éprouvent à présent que soulagement et aussi fierté d’appartenir au camp des vainqueurs, et envisagent avec optimisme leur retour à la vie civile et dans un pays qui les accueillera avec joie et dont ils n’auront finalement été absents que quelques mois ou au pire quelques années, ces civils japonais, eux, ont tout perdu et tout abandonné derrière eux, ressentent l’humiliation et la honte de tous les vaincus,… et ont toutes les raisons d’appréhender leur supposé "retour" non seulement dans un pays qu’ils avaient pour ainsi dire oublié, voire, pour certains, jamais connu (!), mais aussi dans un pays lui aussi vaincu, ruiné et dévasté par les bombardements, un pays où les emplois sont inexistants, et un pays où on risque fort de les considérer comme des étrangers, des parias, et des bouches inutiles.

Si l’expression ne figure pas encore dans le langage courant, il s’agit bel et bien, et tout comme au même moment en Europe de l’Est, d’une "purification ethnique" qui, bien sûr, ne préoccupe et n’indigne personne, puisque les intéressés appartiennent "au mauvais camp", celui qui a perdu la guerre, et une guerre dans laquelle ils ne se sont pas rendus franchement sympathiques.

Vas Victis, bien fait pour leur g…

samedi 20 décembre 2025

9125 - une tâche titanesque

Soldats australiens, à Singapour, après leur libération du camp de Changi, septembre 1945

… l'île-forteresse reprise sans aucun combat, commence alors la tâche, autrement plus ardue, de retrouver, soigner, nourrir, recenser, rassembler et finalement évacuer par mer les dizaines de milliers de prisonniers de guerre occidentaux présents à Singapour.

A Singapour… mais aussi un peu partout en Asie où se trouvent encore des contingents japonais !

"Comme dans le Pacifique, la planification et l'organisation par le SEAC du rapatriement des prisonniers de guerre et des internés furent dépassées par les événements. 

La Force clandestine 136 et les groupes "E" (1) avaient, quelques mois avant la Capitulation japonaise, découvert des camps en Malaisie, au Siam et en Indochine française et, lorsque cela était possible, établi des contacts avec les détenus. 

Des équipes de contrôle du RAPWI (2) avaient également été mises en place. 

Mais l'hypothèse de base de toute la planification était basée sur l'idée que dits les camps seraient libérés progressivement, c-à-d au fur et à mesure de la reconquête des territoires, alors que soudainement, quelque 125 000 prisonniers de guerre et internés (y compris ceux de Java), répartis sur une vaste zone, dans quelque 250 camps, nécessitaient tous un rapatriement urgent et simultané" (2)

Et ce rapatriement est en vérité une tâche titanesque, qui va durer des semaines, et même des mois, et surtout une tâche qu’il va falloir mener en même temps qu’un autre rapatriement, celui-là encore plus important, et d’une toute autre nature…

(1) unités d’élite composées d’agents infiltrés appartenant au Special Operations Executive (SOE) britannique 

(2) Recovery of Allied Prisoners of War and Internees (RAPWI), organisation chargée de la récupération des prisonniers de guerre et internés alliés.

(3) ibid, page 493