mercredi 1 mai 2024

7907 - le problème fondamental

Sans réservoirs supplémentaires, le P-47 ne pouvait escorter les bombardiers que jusqu'à Eupen
... octobre 1943

Faute des Britanniques, ce sont donc les Américains qui vont devoir, en plein jour, repartir à l’attaque de Schweinfurt.

Et pour les équipages appelés à y participer, cette perspective est loin d'être encourageante : depuis le massacre du 17 août, la 8ème Air Force a en effet perdu 45 appareils sur 338, soit 13% de l’effectif, le 06 septembre au-dessus de Stuttgart, et encore à peu près autant le 04 octobre lors de raids simultanés sur Wiesbaden, Francfort et Sarregemines !

Elle a certes reçu de nouveaux avions et de nouveaux équipages, et également commencé à récupérer les appareils dépêchés en Afrique du Nord et qui ont participé au bombardement de Ploeisti et au soutien des opérations alliées en Sicile puis en Italie.

Mais son problème fondamental est - malheureusement - toujours le même : le manque de chasseurs d’escorte, et surtout leur absence totale au-dessus du territoire allemand, laquelle fait passer le taux de pertes moyen de 2% à près de 7% lorsque les bombardiers ne peuvent compter sur aucun soutien !

Faute d’un volume d’essence suffisant en interne, et de réservoirs largables, les Spitfire ne peuvent en effet accompagner les bombardiers que jusqu’à Anvers, et les P-47 que jusqu’à Eupen.

En théorie, les bimoteurs P-38 pourraient faire l’affaire, mais bien qu’autrement plus maniables que leurs homologues Me-110 allemands, ils ne le sont pas autant que les monomoteurs Me-109 et FW-190 qu’ils doivent affronter dans le ciel. Surtout, leurs moteurs supportent mal le froid et l’humidité ouest-européens, ainsi que l’altitude élevée où évoluent les bombardiers et où se déroulent les combats.

La solution viendra plus tard,... mais trop tard pour Schweinfurt

mardi 30 avril 2024

7906 - "Le bilan de Hitler en tant que prophète n’est pas vraiment de nature à inspirer confiance"

Schweinfurt : une rude coup pour les Américains, qui acceptèrent néanmoins d'y revenir
... mais de manière incroyable, Harris fait la sourde oreille, et continuera de le faire jusqu’à la fin de la guerre !

Dans sa réponse à la demande - qui est en fait un ordre - de Bottomley, Harris souligne ainsi que "Le bilan de Hitler en tant que prophète n’est pas vraiment de nature à inspirer confiance" (...) "Il est assurément impossible de croire qu’une augmentation de plus de 50% de la dévastation existante [par le biais des bombardements des villes] en quatre mois puisse être supportée par l’Allemagne sans un effondrement total"(1) 

Fut-elle de bonne dimension, repérer une installation industrielle dans l’obscurité est évidemment plus difficile - rappelons-le - que d’en faire de même avec une grande ville, mais la destruction des barrages de la Möhne et de l’Eder, en mai, suivie par celle du Centre de Recherches de Peenemünde, en août, prouve cependant que le Bomber Command, à condition de le vouloir réellement, a maintenant bel et bien les moyens de frapper de nuit des objectifs précis et de taille relativement modeste.

Pourtant, ni en août 1943 ni dans les mois suivants, le Bomber Command ne s’en prendra  à Schweinfurt, et Harris, tout à son obsession du bombardement de zone, s’efforcera au contraire, et par tous les moyens possibles, de n’employer ses bombardiers qu’à incinérer jusqu’à la dernière des villes allemandes !

Si tout le monde s’accorde aujourd’hui pour affirmer que le bombardement de Peenemünde n’a, au mieux, retardé que de deux mois l’entrée en service des fusées V1 et V2, on estime également que si celui de Schweinfurt et des usines de roulements avait été mené jusqu’au bout, la guerre se serait elle-même terminée en moins de six mois.

Peenemünde "fut un succès important, mais les V2 étaient – ​​et demeureraient toujours – moins importants que les roulements à billes. Lorsque les V2 seraient finalement produits, ils se révéleraient une arme de terreur inefficace et, plus important encore, sans roulements à billes, il n’y aurait pas eu de V2, car il n’y aurait pas eu de guerre" (1)

L’Histoire, bien sûr, s’écrit avec des faits, et pas avec des "si", mais on peut néanmoins regretter qu’au soir du 17 août 1943, 596 bombardiers britanniques se soient élancés vers Peenemünde plutôt que vers Schweinfurt, d’où venaient tout juste de revenir 198 bombardiers américains...

(1) et (2) Randall, op cit page 171-172

lundi 29 avril 2024

7905 - pourquoi ?

Ouvrières de Schweinfurt, s'affairant sur des roulements, ici en 1928
... c’est un des plus grands mystères de la 2ème G.M. : pourquoi les Alliés, qui connaissent pourtant l’importance vitale des roulements à billes pour le Reich, et qui, à Casablanca, ont d’ailleurs mis la destruction des usines qui les fabriquent en tête de liste des priorités, pourquoi les Alliés ne repassent-ils pas immédiatement à l’attaque de Schweinfurt et des deux ou trois seuls autres sites qui en produisent ?

Passe encore pour les Américains qui, non contents d’être relativement peu nombreux sur le terrain, et d'avoir de surcroît vu leurs effectifs décimés le 01 août sur Ploeisti, puis à nouveau le 17 sur Regensburg et Schweinfurt, ont, à l’évidence, besoin de plusieurs semaines pour se remettre.

Mais pourquoi les Britanniques ne font-ils rien ? Pourquoi n’envoient-ils pas leurs propres appareils bombarder Schweinfurt de nuit ? Pourquoi Harris qui, après Casablanca, a pourtant lui aussi reçu instruction de s’en prendre aux usines de roulements à billes, s’entête-t-il à "saper le moral du peuple allemand" plutôt qu’à détruire l’industrie de guerre allemande,... comme ne cesse d'ailleurs de lui rappeler sa propre hiérarchie !

"L’état-major de l’Air britannique fit pression sur Harris pour qu’il bombarde Schweinfurt jusqu’à la fin de 1943, et continua à le faire des mois après le raid. "Il est essentiel", écrivit Norman Bottomley, chef d’état-major adjoint de l’Air, à Harris, "que la tentative de parvenir (...) à la destruction maximale des principales zones habitées d’Allemagne ne vienne pas compromettre la mise en œuvre de la politique anglo-américaine commune consistant à employer la force de bombardement de nuit chaque fois que possible pour la destruction de centres vitaux associés à des industries vitales, comme, par exemple, les usines d'assemblage de roulements à billes et de chasseurs; ces industries se sont vu accorder la plus haute priorité dans le plan d’offensive combinée des bombardiers".

(...) "Vos forces de bombardiers de nuit apporteraient la plus grande contribution en détruisant complètement les centres vitaux qui ne pourraient être atteints de jour qu’à un coût élevé ; les exemples sont Schweinfurt, Leipzig et les centres de l’industrie des chasseurs bimoteurs"

S’appuyant sur un rapport des services de renseignement, Bottomley poursuivit : "Alors que le peuple allemand craint les attaques nocturnes, Hitler et le haut commandement allemand craignent les attaques de précision de jour contre des usines individuelles. Hitler se vante ouvertement de pouvoir, grâce aux organisations de son parti, contrôler le moral de la population pendant un temps considérable" (...)  "L’état-major de l'Air", ajouta Bottomley, doit avoir une vision un peu moins confiante que [vous] de la possibilité de faire capituler l’ennemi grâce aux seuls bombardements de zone…" (1)

(1) Randall, op cit, page 171

dimanche 28 avril 2024

7904 - Chaque jour, Speer écoutait les bombardiers...

B-17 abattu et exhibé à la population allemande. Les Anglais faisaient la même chose de leur côté
... après des mois de bombardements sur la "Vallée Heureuse", après la destruction des barrages de la Möhne et de l’Eder, après le cataclysme de Hambourg, ces trois nouveaux raids massifs menés en moins de 24 heures, et en trois endroits différents du Reich sont en tout cas la goutte de trop pour Hans Jeschonnek, chef d’État-major de la Luftwaffe, qui, mis sous pression depuis des mois par Goering, se suicide quelques heures plus tard.

Pour Günther Korten (1), aussitôt désigné comme remplaçant, cette promotion inattendue a tout du cadeau empoisonné, mais l’intéressé va néanmoins faire tout ce qu’il peut pour augmenter la production de monomoteurs de chasse - sérieusement amputée, rappelons-le, après le raid américain sur Regensburg - et pour en rapatrier autant qu’il peut depuis le Front de l’Est, avec pour résultat que le nombre d’avions de ce type présents à l’Ouest, qui était déjà passé de 635 en janvier à 800 en juillet, va atteindre 975 appareils en octobre... c-à-d au moment où la 8ème Air Force va elle-même repartir à l’attaque des usines de roulements à billes de Schweinfurt !

Car malgré leurs pertes du 17 août, les Américains, Eaker en tête, n’ont pas renoncé à l’idée de raser complètement Schweinfurt et de mettre un terme définitif à la fabrication des dits roulements, ce qui, nous l’avons vu, est d’ailleurs la crainte et la hantise d’Albert Speer !

"Speer s’était mis immédiatement mis au travail pour relever Schweinfurt. Il avait brièvement réfléchi à la possibilité de déménager les usines, mais ceci aurait retardé leur production de trois à quatre mois. Au lieu de cela, il ordonna à ses équipes de réparer Schweinfurt du mieux possible et commença à puiser dans les réserves.

En huit semaines, les dites réserves avaient disparu. Les quelques roulements à billes produits étaient transportés chaque nuit, souvent dans de simples sacs, depuis ce qui restait des usines de Schweinfurt jusqu’aux chaînes de montage. Chaque jour, Speer écoutait les bombardiers et s'inquiétait pour Berlin-Erkner, Cannstatt et Steyr : "À cette époque, nous nous demandions anxieusement combien de temps il faudrait à l’ennemi pour se compte qu’il pourrait paralyser la production de milliers d’usines d’armement simplement en détruisant cinq ou six cibles relativement petites"" (2)

(1) grièvement blessé lors de l’attentat du 20 juillet 1944 contre Hitler, Günther Korten décèdera de ses blessures deux jours plus tard
(2) Randall, op cit, pp 172-173

samedi 27 avril 2024

7903 - plus que mitigé

von Braun, tout sourire, à Peenemünde, en mars 1941
... le premier objectif de ce raid - rappelons-le - est de tuer le plus de savants et de techniciens possible, mais si leurs bâtiments se retrouvent bel et bien aplatis par les bombes, la plupart des intéressés - qui contrairement aux travailleurs forcés bénéficient d’abris ! - vont s’en sortir indemnes, Walter Thiel (responsable moteur de la fusée V2) et Erich Walther (responsable du développement), constituant les exceptions les plus notables.

Von Braun, principal maître d’œuvre, est indemne et, sur ce point, le Bombardement de Peenemünde s’avère déjà un échec flagrant.

Le bilan du second objectif, qui était de rendre le site impropre à tout usage ultérieur en y détruisant toutes les installations ainsi que le plus grand nombre de fusées possible, est plus encourageant, mais Peenemünde, qui bénéficiera pourtant de trois bombardements massifs ultérieurs (!), cette fois par les Américains, n’en continuera pas moins ses activités, à allure néanmoins réduite, jusqu’à la fin de la guerre, et chacun s’accorde aujourd’hui pour dire que celui du 18 août 1943 n’a, au mieux, retardé que de deux mois l’entrée en service des fusées V1 et V2, les Allemands ayant en effet déjà commencé à délocaliser la fabrication des fusées vers des sites moins exposés et bientôt, comme le Mittelwerk("usine du centre") de Nordhausen, totalement invulnérables aux bombes.

Résultat plus que mitigé, donc, et de surcroît aggravé par des pertes cette fois largement supérieures à l’habitude.

Car la chasse de nuit allemande, un instant leurrée par l’incursion de Mosquito sur Berlin, s’est très vite ressaisie, et s’est même littéralement déchaînée sur la troisième et dernière vague d’attaque britannique, envoyant pas moins de 28 de ses 178 quadrimoteurs au tapis en à peine 15 minutes !

Au total, lors de cette sortie pour lui inédite, le Bomber Command a perdu 40 appareils sur 596, soit 7% de l’effectif engagé...

vendredi 26 avril 2024

7902 - pour quelques dommages collatéraux de plus...

Un des pas de tirs de Peenemünde après le raid : notez les cratères de bombes
... Peenemünde, 18 août 1943, 00h35

Contrairement aux habitudes du Bomber Command, il ne s’agit pas cette fois de bombarder une grande ville, mais bien une une petite île, et en fait seulement la partie qui abrite le centre de recherches, avec l’intention - c’est l’objectif numéro un - d’y tuer le plus de savants et de techniciens possible ! 

Pour y arriver, la première condition est évidemment... d'apercevoir la cible elle-même (!), ce pourquoi a-t-on décidé de l’attaquer uniquement à la pleine lune, et à seulement 2 400 mètres d’altitude, ce qui, là encore, rompt avec les habitudes, mais rendra également les avions plus vulnérables.

Dans la nuit du 17 août, 596 quadrimoteurs prennent donc la direction de Peenemünde,... précédés par les inévitables Mosquito Pathfinder qui doivent marquer la zone à bombarder.

Mais d’autres Mosquito s’envolent également pour Berlin : en y larguant là aussi des marqueurs colorés, ainsi que quelques bombes pour faire bonne mesure (!), on espère ainsi convaincre le commandement allemand de l’imminence d’un raid massif sur la capitale,... et donc l’inciter à y expédier tous les chasseurs de nuit disponibles !

Enfin, d'autres Mosquito, et une dizaine de Beaufighters, se dirigeront vers divers aérodromes d'où opèrent les dits chasseurs, avec pour objectif de les surprendre au décollage ou à l'atterrissage, moments où ils sont eux-mêmes les plus vulnérables.

Peu après minuit, les premiers Pathfinders partis pour Peenemünde survolent la base, mais une erreur de marquage va néanmoins sceller le sort de plus de 500 travailleurs forcés : les premières bombes, larguées à 00h35, s’abattant en effet sur leurs baraquements plutôt qu’aux endroits prévus.

Quelques dommages collatéraux de plus dans une guerre qui y est depuis longtemps accoutumée...

jeudi 25 avril 2024

7901 - toutes affaires cessantes

Ancêtre des missiles de croisière, la fusée V1 fut la première à entrer en service
... Londres, 15 juillet 1943

Au début, pourtant, la plupart des hommes de science consultés, et en particulier le propre conseiller scientifique de Churchill, Frederick Lindemann - qui n’y voit qu’un canular - refusent d’y croire... peut-être parce qu’ils seraient sans doute incapables de réaliser eux-mêmes de tels engins !

Mais en pleine guerre, qui aurait l’idée de mobiliser autant d’hommes et d’argent pour un simple canular ?

Après plusieurs semaines où analystes et services de renseignements s’efforcent de réunir toutes les pièces de cet étrange puzzle, il faut bien se rendre à l’évidence : les engins en question sont bel et bien des fusées dont la finalité ne fait aucun doute.

Et si l’on peut encore douter - à bon droit, comme nous le verrons par la suite - de leur efficacité, ou plus exactement de leur réelle capacité à changer le cours de la guerre, tout doit néanmoins être tenté, et le plus rapidement possible, pour mettre fin à la menace !

Alors, le 15 juillet, Churchill, appuyé par le Secrétaire d'État à l'Intérieur Herbert Morrison et par Lindemann lui-même, enfin revenu à la raison, ordonnent au Bomber Command de procéder à un bombardement massif de Peenemünde dès que les conditions, notamment météo, le permettront.

Sans doute Harris préfèrerait-il s’en prendre à une autre ville allemande, mais cette fois, les instructions reçues ne se prêtent à aucune "interprétation" : devenu prioritaire, le bombardement de Peenemünde, est finalement fixé à la nuit du 17 au 18 août, soit à peine quelques heures après le bombardement, par les Américains, de Regensburg et Schweinfurt.

Pur hasard du calendrier - il faut en effet des jours et même semaines pour monter une opération de cette envergure, et le Bomber Command et la 8ème Air Force, nous l’avons dit, opèrent indépendamment l’un de l’autre - mais ce hasard, comme nous allons le voir, va néanmoins avoir d’importantes conséquences...