lundi 29 décembre 2025

9134 - de l'Eastern Fleet...

Kuantan : quand l'Angleterre perd sa flotte et bientôt ses colonies...

… la protection des colonies britanniques d’Asie incombait prioritairement, pour ne pas dire exclusivement, à la Royal Navy, et plus précisément à sa composante Extrême-Orientale, l’Eastern Fleet

Mais enfant pauvre et négligé de cette Royal Navy, la dite Eastern Fleet n’avait jamais possédé les moyens d’une telle ambition et, bien avant la guerre, il était déjà entendu par tout le monde qu’en cas d’affrontement avec le Japon - hypothèse de plus en plus probable au fil du temps - le salut des colonies passerait obligatoirement par une alliance immédiate entre l’Eastern Fleet et la Flotte américaine du Pacifique, autrement mieux dotée.

Fin 1941, devant la montée des périls, mais contre l’avis des responsables de la Royal Navy qui avaient aussitôt crié casse-cou, Churchill avait décidé d’expédier des renforts navals à Singapour, mais non contents d’être inadaptés et largement insuffisants, les dits renforts, en l’occurrence le cuirassé Prince of Wales et le croiseur de bataille Repulse, avaient été envoyés par le fond à Kuantan (Malaisie) trois jours à peine après l’attaque japonaise contre Pearl Harbor,... qui avait quant à elle sinon anéanti, du moins neutralisé la Flotte américaine du Pacifique pour plusieurs mois !

Ces deux évènements dramatiques et quasi-simultanés avaient inévitablement sonné le glas des colonies, facilement conquises par les Japonais, mais également contraint l’Eastern Fleet à se replier d’abord sur Ceylan, puis, en avril 1942, jusqu’au Kenya, d’où, réduite à peau-de-chagrin, elle n’avait ensuite quasiment plus bougé pendant deux ans, se contentant d’assurer de bien inoffensives patrouilles le long des côtes africaines, ainsi que des missions d’escorte pour les convois en direction ou en provenance de la Mer rouge et du Canal de Suez… 

dimanche 28 décembre 2025

9133 - Grandeur et Déchéance...

Churchill, en 1951 : aussi diminué que la Grande-Bretagne...

… en 1940, la Grande-Bretagne était une puissance mondiale et un Empire sur lequel le ciel ne se couchait jamais.

En 1940, la Royal Navy était, bien qu'à égalité avec l’US Navy, la première Marine de Guerre du Monde

Mais en 1945, la Grande-Bretagne était déjà reléguée dans l’ombre des deux véritables "Grands" - les USA de Truman et l’URSS de Staline - et la Royal Navy n’était déjà plus que la parente pauvre de sa cousine américaine, chez qui elle était sans cesse contrainte de quémander des armes, des équipements et du carburant pour simplement lui permettre de continuer à opérer.

Et en 1950, la Grande-Bretagne, qui avait déjà perdu bon nombre de ses colonies, n’était plus qu’une puissance régionale ruinée, et la Royal Navy, qui s'était vue forcée d'envoyer à la casse une bonne partie de ses bâtiments, une Marine de second ordre.

En dix ans à peine, le soleil s’était bel et bien couché sur l’Empire, et la Royal Navy avait été la première non seulement à assister, mais aussi à participer au spectacle.

Un an plus tard, Winston Churchill, humilié aux élections de 1945 et contraint de quitter le Pouvoir au bénéfice de Clement Attlee, redevenait Premier Ministre au détriment de ce même Clement Attlee,... mais ne pouvait plus rien faire d’autre qu’acter une bonne fois pour toutes la déchéance et la chute vertigineuse autant que définitive de sa patrie ainsi que de cette Royal Navy dans laquelle il avait mis tant d’espoirs, en particulier dans le Pacifique, où il avait été jusqu'à créer de toutes pièces une British Pacific Fleet directement mise au service des Américains qui n'en voulaient pourtant pas et ne savaient pas quoi en faire...

samedi 27 décembre 2025

9132 - un mouvement planétaire et inexorable

… les Philippines d’un côté, le Vietnam de l’autre, deux visions radicalement différentes,... et deux exemples d'une décolonisation obtenue à un prix radicalement différent !

Entre les deux, et rien qu’en Asie du Sud-Est, on trouve l’Inde (arrachée aux Britanniques en 1947), la Birmanie et Ceylan (arrachées à ces mêmes Britanniques en 1948), l’Indonésie (arrachée aux Hollandais en 1949, après quatre ans de conflit), le Cambodge et le Laos (arrachés aux Français en 1954, dans la foulée de l’Indépendance et de la partition du Vietnam), la Malaisie (arrachée aux Britanniques en 1957) ou encore le Bornéo du Nord et le Sarawak (arrachés aux Britanniques en 1963) et finalement Singapour (aux Britanniques, en 1965) et Hong-Kong (aux Britanniques, en 1997)

Moins de vingt ans après la Capitulation japonaise, et si l’on exclut Hong-Kong, qui ne s’est de toute manière maintenue que par la volonté de la Chine elle-même, toutes ces Indépendances, obtenues tantôt par la négociation, tantôt par la force, ont radicalement changé la face du monde,… mais aussi donné un sérieux coup de pouce aux Indépendantistes du monde entier, particulièrement africains et nord-africains et également en lutte contre les puissances coloniales européennes qui, là non plus, ne seront jamais en mesure de s’opposer à un mouvement devenu planétaire et inexorable.

Instituée au lendemain de la 2ème G.M., l’Organisation des Nations Unies, qui ne comptait que 51 membres à sa création, en 1945, en dénombre aujourd’hui pas moins de... 193, pour la plupart issus de la décolonisation.

La Grande-Bretagne fut, sans surprise, la principale victime de ce phénomène : en 1940, on disait encore du Soleil qu’il ne se couchait jamais sur son vaste Empire, mais moins de dix ans plus tard, le crépuscule était bel et bien tombé sur celui-ci.

Ironiquement, et bien qu’ayant lui aussi perdu l’intégralité de ses colonies après 1945, le Japon, jusque-là ultra-militarisé et régulièrement en guerre, devint quant à lui le pays le plus stable et le plus paisible de toute l’Asie…

vendredi 26 décembre 2025

9131 - la Fin de l'Indochine française

Dien-Bien-Phu, ou l'ultime baroud de la France en Indochine...

… Dien-Bien-Phu, 7 mai 1954

Au début de 1954, après neuf années de combats aux fortunes diverses, et malgré l’arrivée d’un soutien américain composé, notamment, de bombes au napalm pudiquement rebaptisées "munitions spéciales", l'impasse est toujours totale et la guerre, impossible à gagner pour la France.

Pour forcer le Destin, ou du moins contraindre Ho Chi Minh à revenir à la table de négociations, l’État-major français décide alors de recourir à une tactique déjà utilisée, rappelons-nous, par le Britannique Orde Wingate en Birmanie : bâtir un camp retranché en plein territoire ennemi, un camp retranché amplement approvisionné en armes et munitions, et régulièrement ravitaillé par les Airs, et un camp retranché sur lequel l’ennemi finira par se casser les dents.

Ce camp retranché, c’est Dien-Bien-Phu, au Nord-Ouest du Vietnam, près de la frontière laotienne, et sur le papier, l’idée est bonne… et serait même excellente si le Vietminh n'avait, de son côté, la mauvaise idée de s'emparer l'une après l'autre des collines réputées "imprenables" qui entourent le dit camp, puis de les hérisser de pièces de DCA… soviétiques, rendant bientôt impossible - comme à Stalingrad - tout ravitaillement mais aussi toute évacuation sanitaire.

Le 7 mai 1954, après deux mois de siège dans des conditions atroces, la garnison de la place est finalement contrainte à la reddition : sur les quelque 15 000 hommes qui combattaient dans les rangs français - en ce compris des Vietnamiens et des Nord-africains - 3 500 ont été tués ou sont portés disparus, et 11 000 - dont seuls 3 500 survivront à la captivité - faits prisonniers.

En soi, cela ne représente qu’environ 4% des 450 000 hommes des forces franco-indochinoises, mais bon nombre de ses meilleurs bataillons, et si on y ajoute le fait que le Vietminh, de son côté, a perdu de 25 à 30 000 hommes, on peut écrire que Dien-Bien-Phu est loin d’être le désastre militaire que l’on prétend

Mais politiquement, cette défaite est en revanche une véritable catastrophe, car après Dien-Bien-Phu, la France n'aura de cesse que de faire la paix le plus rapidement possible, et à n'importe quel prix,… quitte à abandonner au passage le million de Nord-Vietnamiens, majoritairement catholiques, qui fuiront éperdument vers le Sud dès la signature des Accords de Genève, le 20 juillet 1954, lesquels aboutiront à l'Indépendance et à la partition du Vietnam et, bientôt, à une autre guerre, américaine cette fois…

jeudi 25 décembre 2025

9130 - une fermeté trop loin

Troupes Vietminh paradant à Hanoï, 1946

… Haïphong, 23 novembre 1946

Faut-il continuer à négocier avec les Indépendantistes,... ou alors se battre pour leur faire entendre raison ?

Viscéralement anti-communiste, l’amiral Georges Thierry d'Argenlieu opte en tout cas pour la fermeté, et ses consignes… de fermeté aboutissent, sans surprise, à un incident, celui de Haïphong, important port vietnamien alors contrôlé par les Indépendantistes.

Le 23 novembre 1946, en appui à une opération terrestre pour reprendre la ville, des navires de guerre français ouvrent en effet le feu sur les quartiers chinois et vietnamiens, qui se retrouvent entièrement détruits.

Aujourd’hui encore, les circonstances du drame, de même que son bilan exact - plusieurs centaines ou alors milliers de morts - sont sujets à controverses, mais sa conséquence est en tout cas définitive : après Haïphong, il ne sera jamais plus question de négociation, mais seulement de guerre.

S’ensuivent des semaines, des mois, et au bout du compte des années d’affrontements au début sporadiques mais de plus en plus intenses à mesure que les Indépendantistes reçoivent du soutien et des armes soviétiques, et les Français du soutien et des armes… américaines, Washington s’étant finalement rallié à l’argument des Français selon lequel leur combat en Indochine était d’abord et avant tout un combat contre le communisme.

Reste qu’en France-même, ce conflit est tout sauf populaire, ce qui a dès lors convaincu les autorités à renoncer à toute idée d’y envoyer des conscrits : ce sont des soldats de métier, et des volontaires, parfois étrangers, qui combattent dans cette "Guerre d’Indochine" qui, au début de 1954, atteint son paroxysme…

mercredi 24 décembre 2025

9129 - un cas n'est pas l'autre...

2 septembre 1945 : à Hanoï, Ho Chi Minh proclame unilatéralement l'Indépendance du Vietnam

… Hanoï, 2 septembre 1945

Prévue depuis 10 ans, et acceptée depuis 10 ans par la puissance coloniale, l’Indépendance des Philippines est en quelque sorte l’antithèse de celle du Vietnam.

Le 9 mars 1945, rappelons-nous, les Japonais, qui contrôlaient et occupaient le Vietnam, ont en effet décapité - au figuré mais aussi et très souvent au propre - l'ensemble des responsables politiques et militaires français du territoire, en sorte que lorsque Ho Chi Minh, quant à lui discrètement soutenu depuis 1942 par les Américains et leur OSS, proclame unilatéralement l’Indépendance à Hanoï le 2 septembre 1945, soit le jour-même de la Capitulation japonaise, celle-ci est immédiatement rejetée par la France… qui, malheureusement pour elle, n’a pour l’heure aucun moyen de s’y opposer !

Dans une France exsangue et ruinée par la guerre, avec une population au mieux indifférente et au pire favorable aux Indépendantistes et à Ho Chi Minh, et avec des Américains qui n’ont aucune sympathie pour De Gaulle et le colonialisme français, rassembler de tels moyens est en effet tout sauf facile, et de fait, ceux-ci vont mettre des semaines, et même des mois, avant d’arriver sur place, en nombre néanmoins insuffisant pour espérer faire plier les Indépendantistes.

Mieux vaudrait sans doute négocier un compromis, une quelconque formule de "souveraineté-association", qui aurait le mérite de satisfaire ces derniers tout en maintenant le territoire dans la sphère française.

Telle est est tout cas la solution préconisée par le général Leclerc qui, à son retour du Vietnam, en juillet 1946, écrit, fort lucidement, qu'il a "recommandé au gouvernement la reconnaissance de l’État du Vietnam, il n'y avait pas d’autre solution. Il ne pouvait être question de reconquérir le Nord par les armes, nous n'en avions pas, et nous n'en aurions jamais les moyens (…) Il faut garder le Vietnam dans l'Union française, voilà le but, même s'il faut parler d'Indépendance"

Ho, qui il est vrai n’a lui non plus pas encore les moyens de ses ambitions, n’est a priori pas opposé à une formule de ce genre. Des pourparlers laborieux s’engagent donc qui, à terme, pourraient - peut-être - déboucher sur un accord, mais, en novembre 1946, tout déraille définitivement… 

mardi 23 décembre 2025

9128 - telle la cigale après avoir chanté tout l’été...

4 juillet 1946 : après un demi-siècle, le drapeau américain est amené. Les Philippines sont indépendantes...
… "L’un des principaux objectifs de guerre du Japon avait été d'affaiblir, puis d'éliminer, l'influence coloniale européenne en Extrême-Orient. Paradoxalement, cet objectif fut atteint, malgré la défaite du Japon lui-même. 

Après la défaite du Japon, une vague irrésistible de nationalisme, souvent d'inspiration et de contrôle communistes, déferla en effet sur toute l'Asie. Le modèle d'avant-guerre du continent s'effondra sous la pression des
changements politiques et des guerres civiles" (1)

Car telle la cigale après avoir chanté tout l’été, les Européens, après avoir dépensé tous leurs moyens durant la guerre, n’ont à présent plus la force matérielle, politique, mais aussi morale de récupérer leurs colonies du sud-est asiatique puis de s’y maintenir !

Cette admission, malheureusement, est loin d’être immédiate et, en quantités d’endroits, va donner lieu à des affrontements sanglants qui, dans certains cas, vont même durer des années mais se solderont, dans tous les cas, par le départ humiliant des puissances coloniales, et l’Indépendance des pays colonisés.

Sans surprise, puisque prévu depuis bien avant la guerre, le premier domino à tomber n’est autre que les Philippines.

Colonisé par les Espagnols à partir de 1565, devenu américain en 1898 après la Guerre hispano-américaine, le territoire a accédé, le 15 novembre 1935, au statut de Commonwealth des Philippines, toujours contrôlé par les Américains, mais possédant déjà son Président et ses propres institutions, et devant accéder à l’Indépendance complète après 10 ans, Indépendance finalement proclamée par les États-Unis eux-mêmes le 4 juillet 1946, soit moins d'un an après la Capitulation japonaise...

Et de un…

(1) Winton, op cit, page 495