vendredi 19 décembre 2025

9124 - l'heure de Singapour

Mountbatten, prononçant son allocution après la reddition de Singapour, 12 septembre 1945

… et la délégation japonaise qui se présente dans la soirée sur le croiseur Sussex semble effectivement si pressée de rendre les armes qu’un de ses officiers, visiblement agacé, reproche aux Britanniques d’être arrivés "deux heures en retard", et s’entend tranquillement répondre "ici, nous ne sommes pas à l’heure de Tokyo" (1)

Heure de Tokyo ou de Singapour, la reddition des quelque 77 000 hommes du général Itagaki n’en est pas moins actée peu après, et sera formalisée le 12 septembre suivant à l’hôtel de ville, en présence de Mountbatten lui-même.

Dans les rangs japonais, tout le monde n’accepte cependant pas cette reddition. Pour y échapper, plusieurs centaines d’officiers et de soldats ont recours au suicide, tandis que d’autres décident plutôt de rejoindre les rangs de la guérilla communiste qui, dans la Malaisie voisine, lutte déjà contre le retour des Britanniques.

Mais pour l’heure, tout se déroule en tout cas infiniment mieux qu’on ne pouvait l’espérer au départ, et la bonne volonté des Japonais ne manque d'ailleurs pas d’impressionner les Britanniques. 

Sur le destroyer Rotherham, qui a accosté à la base navale, un lieutenant observe ainsi que "sur la table étaient disposés de nombreux feuillets de papier de riz, des cartes de Singapour, chaque feuillet étant soigneusement indexé. Peu importe ce qu'on demandait, il semblait y avoir une carte indiquant tous les endroits où tout cela était stocké : obus de 4 pouces, seaux, pneus, nous les nommions, ils les avaient et nous pouvions être conduits immédiatement aux magasins où ils se trouvaient

En tant que premier lieutenant, j'étais impatient de dénicher des légumes frais pour l'équipage de mon navire. Les Japonais firent venir un lieutenant "Agriculture" qui, ayant reçu mon ordre, disparut rapidement. Il réapparut le long de Rotherham à onze heures ce soir-là avec un camion rempli d'ignames et de haricots frais – juste assez pour ravitailler une flottille entière. 

Ce lieutenant "Agriculture" fut une surprise pour nous. Apparemment, les Japonais avaient un officier de ce grade dans chaque base et sa mission était de veiller à ce que le territoire conquis soit utilisé à bon escient afin de subvenir aux besoins des troupes" (2)

(1) il n’y a en fait qu’une heure de différence entre Singapour et Tokyo

(2) Winton, op cit, page 485

jeudi 18 décembre 2025

9123 - la Perle de l'Empire

Le Myoko, à Singapour, en septembre 1945, en compagnie des sous-marins I-501 et -502
… Singapour, 4 septembre 1945

Mais deux semaines auparavant, un événement bien plus significatif s’est produit à Singapour, lorsque, dans le cadre de l’Opération Tiderace, des bâtiments de l’East Indies Fleet, après s’être affranchis des champs de mines, se sont présentés devant Singapour le 3 septembre, précédant d’une journée le convoi transportant les premiers éléments de la 5ème Division d’Infanterie indienne partie de Rangoon - libérée nous l’avons vu le 3 mai.

Pour reprendre Singapour, la fameuse Perle de l’Empire, Louis Mountbatten, Supreme Allied Commander South East Asia Command (SEAC), avait prévu, pour le 9 septembre, un débarquement mobilisant pas moins de 100 000 fantassins, et des centaines de navires et d’avions.

Mais l’annonce de la Capitulation japonaise, le 15 aout, lui a en quelque sorte coupé l’herbe sous le pied, et finalement ramené ce plan grandiose à des dimensions infiniment plus raisonnables mais comprenant tout de même quelque 90 navires de guerre, dont les cuirassés britannique Nelson et français Richelieu, sept porte-avions d’escorte (!) et plusieurs croiseurs, dont le Sussex.

En face, les Japonais, qui se sont emparés de l’île-forteresse le 15 février 1942, disposent encore de quelque 77 000 hommes, de plus d’une centaine d’avions, ainsi que d’une poignée de navires de guerre, parmi lesquels figurent les croiseurs Myōkō et Takao - tous les deux en si mauvais état qu’ils ne sont depuis longtemps plus utilisés que comme batteries à peine flottantes - mais aussi - rappelons-nous - le petit, très vieux, mais néanmoins indestructible destroyer Kamikaze ainsi que, pour l'anecdote, les sous-marins I-501 et I-502, autrement dit... les anciens U-181 et U-862 allemands, lesquels se trouvaient immobilisés à Singapour le jour de la Capitulation du Reich, et qui ont aussitôt été saisis et pris en compte par les Japonais !

Avec ces moyens, les Japonais, s’ils le voulaient, seraient certainement en mesure d’organiser une résistance coriace, mais leur Empereur-Dieu a parlé et il faut lui obéir, en sorte que le 20 aout, le commandant de la place, le général Seishiro Itagaki, a directement câblé à Mountbatten pour lui indiquer que lui-même et ses hommes se plieraient aux décisions du monarque, et rendraient les armes dès l’arrivée des forces britanniques…

mercredi 17 décembre 2025

9122 - un bien éphémère retour...

Navires de guerre occidentaux, à Shanghai, en décembre 1945 : un retour bien éphémère

… Shanghai, 18 septembre 1945

Le cas de Hong-Kong réglé, et pour longtemps, place maintenant à Shanghai, et plus précisément à sa célèbre concession, d’abord britannique, puis devenue officiellement "internationale" en 1863.

Le 8 décembre 1941, dans la foulée de l’attaque contre Pearl Harbor, la dite concession est évidemment passée sous le contrôle total des Japonais (1), qui s’y trouvaient déjà depuis 1895, et qui y sont demeurés jusqu’à la fin de la guerre.

Le 18 septembre, l’arrivée des croiseurs Belfast et Argonaut et de trois destroyers se déroule toutefois, sans difficulté et sans la moindre effusion de sang, les troupes japonaises ayant abandonné la place.

Mais à Shanghai, l’heure n’est hélas plus à la présence occidentale, et encore moins aux "concessions internationales" : si les Américains et les Nationalistes de Tchang se contentent provisoirement de fermer les yeux, une "Commission de Liquidation", chargée de régler les détails de la rétrocession du territoire à la Chine, n’en est pas moins immédiatement mise en place, tandis que la guerre civile, qui a repris de plus belle entre partisans de Tchang et de Mao, ne tarde pas à pousser les rares Occidentaux qui s’y trouvent encore, ou qui auraient souhaité y revenir, à s’en aller chercher fortune ailleurs.

De toute manière, en 1949, avec la victoire de Mao et l’arrivée des troupes communistes, la messe est dite et les ultimes restes de la concession internationale définitivement liquidés sans que les Britanniques - qui se consoleront en conservant néanmoins Hong-Kong - soient en mesure de s’y opposer de quelque manière que ce soit… 

(1) cet épisode sera notamment décrit en 1987 dans le film de Steven Spielberg Empire of the Sun

mardi 16 décembre 2025

9121 - une bonne chose de faite !

Le croiseur Swiftsure, entrant dans le port de Hong-Kong, 30 aout 1945
… Hong-Kong, 1er septembre 1945

La reconquête de Hong-Kong, colonie britannique depuis 1841, mais dont les Japonais se sont emparés le jour de Noël… 1941 (!), est donc jugée prioritaire par le Foreign Office britannique.

Et, contrairement à bien d’autres, cette reconquête-là ne s’annonce pas trop difficile, d’abord parce que les Américains n’y trouvent cette fois rien à redire (!), parce que Tchang Kaï-chek, après néanmoins ses habituels atermoiements, ne s’oppose pas non plus au retour des Britanniques,… et enfin parce que la population locale, qui craint autant les Nationalistes de Tchang que les Communistes de Mao, y est même plutôt favorable.

Ne reste donc plus qu’à s’affranchir des champs de mines - tâche dévolue à la Marine australienne - et surtout à régler le cas de la garnison japonaise… avant-même - urgence oblige - la signature officielle de la Capitulation prévue, nous l’avons vu, pour le 2 septembre !

Le 30 aout, le croiseur Swiftsure, accompagné de quelques autres bâtiments, se présente donc devant le port de Hong-Kong, protégé par les appareils de l’Indomitable… qui s’empressent d’envoyer par le fond ou de disperser les quelques vedettes japonaises, et supposées suicides, aperçues en train de quitter leur mouillage !

Le 1er septembre, après seulement quelques brèves escarmouches sans gravité, Hong-Kong est à nouveau aux mains des Britanniques. 

Voilà au moins une bonne affaire de faite,… et même pour longtemps, puisque Mao, qui s’emparera de toute la Chine en 1949 après la fuite de Tchang vers Taiwan, ne s’opposera pas lui non plus à la présence des Britanniques, lesquels y demeureront même jusqu’en 1997 et l’expiration du bail sur les Nouveaux Territoires, consenti en 1898 et pour 99 ans (1) par la dynastie Qing

(1) en 1997, à l'expiration du bail, la souveraineté des Nouveaux Territoires sera transférée à la République Populaire de Chine en même temps que l’île de Hong-Kong proprement dite, et de Kowloon, ajoutée à celle-ci en 1860


lundi 15 décembre 2025

9120 - le beau sourire et la puissante canonnière...

L'Indomitable, à Hong-Kong, en septembre 1945

… car tout Travailliste et désormais dirigé par Clement Attlee soit-il, le nouveau gouvernement de Sa Gracieuse Majesté n’est pour l’heure pas davantage disposé que les gouvernements français et hollandais à céder aux sirènes de cette "décolonisation" pourtant plébiscitée depuis longtemps par l’Allié américain !

Pire encore : tout comme ces derniers, il entend au contraire reconquérir au plus vite ses colonies abandonnées en 1941-42 aux mains des Japonais… et ce quoi que puisse en penser l’Allié américain !

Et l’affaire, nous l’avons dit, est tout sauf évidente ne serait-ce qu’en raison du fait, déjà, que les dites colonies… sont encore souvent occupées par des contingents plus ou moins importants de soldats japonais, qui soit n’ont pas entendu le discours de Capitulation de leur Empereur vénéré, soit n’ont aucune intention de s’y soumettre !

Et comme il est dit, dans la vieille logique coloniale, qu’un beau sourire et une puissante canonnière valent toujours mieux qu’un beau sourire seul, les navires de la British Pacific Fleet et leurs équipages vont donc tout naturellement être mobilisés pour leur porter le message que "Britain is Back", et aussi prolonger le beau sourire des mandataires et fonctionnaires britanniques appelés à se (ré)installer dans les colonies d’avant-guerre.

Bien avant la Capitulation japonaise, le Foreign Office a du reste identifié les trois colonies à reconquérir au plus vite, à savoir Shanghai (qui sera dévolue au porte-avions léger Colossus, aux croiseurs Bermuda et Argonaut et à quatre destroyers), Singapour (avec le porte-avions léger Vengeance, le cuirassé Anson, quatre destroyers mais aussi, vu la présence de nombreux prisonniers de guerre, du paquebot canadien Prince Robert) et, en priorité absolue, Hong-Kong (avec les porte-avions lourd Indomitable et léger Venerable, les croiseurs Swiftsure et Euryalus et également quatre destroyers)

Voilà pour le plan…

dimanche 14 décembre 2025

9119 - quand les grilles s'ouvrent...

Prisonniers de guerre, après leur libération

"Les équipages des destroyers avaient été formellement avertis de ne pas "harceler" leurs passagers afin de leur arracher des "récits d'atrocité".

Mais les marins comprirent rapidement que le problème n'était pas de convaincre un rescapé de parler de ses expériences personnelles, mais bien de l'en empêcher. 

Après des années d'humiliations, de mauvais traitements, de quasi-famine, de travail forcé et de maladie, les dits passagers mouraient d'envie de se confier. 

L'atmosphère claustrophobe et repliée sur soi des camps, les châtiments cruels, le souvenir d'amis morts de maladie ou exécutés… tout cela avait contribué à les rendre introspectifs

Mais une fois les grilles ouvertes, les souvenirs avaient afflué et les hommes racontaient la même histoire encore et encore, à qui voulait bien les écouter, ou faire semblant de les écouter" (1)

A la fin du mois de septembre, la quasi-totalité des prisonniers de guerre alliés présents au Japon, soit plus de 24 000 hommes, auront toutefois été évacués autant par les navires de la 3ème Flotte que par ceux de la British Pacific Fleet dont les équipages, pourtant, sont encore loin de pouvoir rentrer au pays.

Car parallèlement à la recherche et au rapatriement des prisonniers de guerre, une autre mission, au moins aussi importante, s’est immédiatement imposée aux autorités britanniques…

… la reconquête des colonies perdues

(1) ibid, page 463

samedi 13 décembre 2025

9118 - "une des scènes les plus émouvantes de la guerre"

Survivants du camp de prisonniers d'Omori, 29 aout 1945

… Tokyo, 3 septembre 1945

"Le premier navire de guerre britannique à embarquer des prisonniers de guerre fut le [porte-avions d’escorte] Speaker, qui appareilla pour Manille le 3 septembre avec 473 hommes du Commonwealth à bord. 

Le capitaine James avait reçu l'ordre de passer près des plus gros navires, mais lorsqu'il vit les ponts de chaque navire bondés d'hommes, tous débordant d'enthousiasme, il sortit le Speaker de la Baie par "un chemin des plus tortueux". Le départ du Speaker de la Baie de Tokyo fut l'une des scènes les plus émouvantes de la guerre. 

"Alors qu'il franchissait le mouillage britannique, les équipages de tous les navires britanniques lui firent un adieu inoubliable. La vue de ce petit porte-avions, avec son équipage prêt à quitter le port conformément aux usages navals, mais avec, en plus, ces centaines d'anciens prisonniers de guerre alignés sur le pont d'envol, acclamant comme des fous et se faisant acclamer, me fit monter les larmes aux yeux et me fit réaliser ce que la présence de la grande flotte dans la Baie de Tokyo signifiait pour ces hommes" 

(…) Dans certains cas, l'évacuation par voie maritime était la plus facile à organiser. Le Newfoundland, le Gambia et plusieurs destroyers furent chargés de kits de survie, de couvertures, de lits, de cantines, de couverts, de cigarettes, de chocolat et de nourriture provenant d'autres navires de la flotte (…) Ces navires furent affectés au [Task Group] TG 30.6 et naviguèrent vers divers ports japonais afin d’embarquer des passagers et les ramener dans la Baie de Tokyo.

(…) Les destroyers arrivaient souvent dans la Baie de Tokyo au crépuscule, alors que le soleil se couchait derrière la montagne sacrée du Fuji Yama. "Mais c’était une image différente des habituelles estampes japonaises. C’était une scène qui, par certains aspects, rappelait plutôt Dunkerque : des destroyers transportant des centaines de passagers vêtus de toutes sortes de vêtements, entassés sur les ponts supérieurs et recevant les acclamations tumultueuses de tous les navires de Sa Majesté alors qu'ils entraient dans le port intérieur de Yokohama où se trouvaient les navires-hôpitaux" 

(1) ibid, pages 459 à 462