lundi 3 novembre 2025

9078 - où l'on reparle du moral bombing...

Le King George V, ou bombarder les côtes faute de mieux...

… les habitués de ce blogue savent que, tout au long de la 2ème G.M., les responsables britanniques et américains, lorsque confrontés aux critiques quant à l’efficacité de leurs bombardements sur la production industrielle - quantifiable - de l’adversaire, ne cessèrent de se retrancher derrière l’argument - malheureusement… non quantifiable - du "moral bombing" (1)

Si leurs bombes, de fait, tombaient loin, et souvent très loin (!), des usines et installations visées et, en conséquence, s’avéraient incapables de stopper véritablement et surtout durablement la production, elles n’en exerçaient pas moins, affirmaient-ils, un effet non négligeable sur le moral de la population ennemie, ce qui, soulignaient-ils encore, ne pouvait à terme, et conformément aux célèbres théories formulées avant-guerre par l’Italien Giulio Douhet, qu’amener la dite population à renier ses dirigeants, à se révolter contre eux et, au bout du compte, à exiger et obtenir la Paix.

Et même en ces ultimes semaines de la guerre, les responsables de la Marine, lorsque soumis aux mêmes critiques, n’agissent pas autrement 

"L’amiral Rawlings croyait [néanmoins] que les bombardements navals avaient un effet [plus] considérable sur l'ennemi (…) Les habitants des villes qui avaient subi les deux craignaient davantage les bombardements navals lourds que les bombardements aériens explosifs ou incendiaires. Les raids aériens étaient généralement précédés d’avertissements et cessaient dès le départ des avions. Mais personne ne savait quand un bombardement [naval] commencerait, ni combien de temps il durerait.

(…) L’absentéisme des travailleurs augmentait presque toujours après un tel bombardement. À Hitachi, bombardée le 17 juillet, l'usine de Yamate cessa complètement sa production pendant un mois en raison d'un absentéisme persistant, bien que seuls quatre obus soient tombés à l'intérieur du périmètre de l'usine.

Aux raffineries de cuivre Hitachi, la production de minerai de cuivre chuta de façon spectaculaire après le bombardement, passant de 40 000 à seulement 1 500 tonnes par mois : les mineurs refusant, à juste titre, de descendre dans les mines, de peur qu'un nouveau bombardement n'endommage les pompes et n'inonde les puits. Cependant, dans deux usines, dont l'usine sidérurgique de Wanishi, régnait une sorte d'esprit "Blitz londonien" : le moral des troupes remonta même après un bombardement, et des efforts supplémentaires furent déployés pour accroître la production (2)

(1) sur le sujet : Saviez-vous que… La Grande Illusion

(2) ibid, page 420

dimanche 2 novembre 2025

9077 - un nouveau bombardement naval

Tir depuis la tourelle arrière du King George V : puissant, mais peu précis

 … Hamamatsu, 29 juillet 1945

Aucune attaque aérienne n’étant prévue pour le lendemain, le King George V et quelques escorteurs en profitent pour rallier d’autres cuirassés américains qui se préparent à lancer un bombardement naval sur Hamamatsu (Honshu) dans la nuit du 29 au 30 juillet.

L’objectif assigné au King George V est la "Fabrique d’instruments de musique No 2" qui, contrairement à ce que son nom laisse supposer, ne fabrique plus aucun piano ou violon, mais uniquement des hélices en bois… destinées à des avions de combat de toute manière privés de pilotes et surtout d’essence (!), ce qui, une fois encore, et avant-même l’arrivée des premiers obus, augure mal du véritable intérêt militaire de toute l’opération.

Mais, une fois encore, puisque les navires et les obus sont là, autant s’en servir, et de fait, peu avant minuit, le cuirassé britannique déverse, durant une quarantaine de minutes, et à une distance de près de 20 000 mètres, pas moins de 265 obus de 356mm sur l’ancienne usine d’instruments de musique, avec néanmoins, et une fois encore, des résultats pitoyables, puisque des reconnaissances aériennes ultérieures démontreront que sur les 179 impacts observables, seulement 7 - autrement dit à peine 4% - ont réellement touché l’usine en question !

Consolation toutefois, les Américains n’ont pas véritablement brillé non plus dans le même exercice, puisque, sur la Fabrique No 1, le cuirassé Massachusetts n’a par exemple réussi à placer que 9 obus de 406mm sur 109, soit 8%

"Le bombardement mit [également] hors service l'usine de locomotives de Hamamatsu, déjà lourdement bombardée par l’Aviation depuis près de trois mois. Deux autres sites industriels de la région avaient d’autre part pratiquement cessé leur production avant le bombardement. Un troisième ne fut même pas touché. Les ponts de Tenryu et de Bentenjima, dont dépendait la ligne principale du chemin de fer du Tokaido, furent également épargnés; eussent-ils été détruits que la plupart des industries des régions de Nagoya et de Tokyo se seraient retrouvées paralysées. 

Les effets directs du bombardement furent donc limités. L'amiral McCain semblait avoir raison lorsqu'il affirma que les avions effectuant cette nuit-là des missions de réglage de tirs au profit des cuirassés auraient pu causer plus de dégâts que les cuirassés eux-mêmes" (1)

(1) ibid, page 420

samedi 1 novembre 2025

9076 - jamais deux sans trois

La carcasse du croiseur Aoba, à Kure, en 1946

… Kure, 28 juillet 1945

N’anticipons pas car, le ravitaillement des navires complété autant chez les Américains que chez les Britanniques, il convient à présent de se remettre à la besogne.

Or, justement, l’examen des photographies aériennes prises au-dessus de Kure démontre que plusieurs navires de guerre japonais n’ont été que peu endommagés, voire pas endommagés du tout, lors de l’attaque du 24 juillet.

Ce simple constat, et aussi le fait qu’à cette étape du conflit, on commence tout de même à manquer de cibles qui n’ont pas déjà été "traitées" au moins une fois à la bombe ou à la roquette, amène tout naturellement à planifier une seconde frappe.

Mais jamais deux trois puisque, pour la 3ème fois, les Britanniques se retrouvent exclus de la fête !

"Au lieu de cela, ils s’en prirent aux aérodromes et aux appareils stationnés sur les terrains d'Akashi, de Fukuyama et de Sato, aux chantiers navals de Harima et Habu, ainsi qu’aux navires repérés dans la Mer intérieure. 260 sorties offensives furent effectuées, dont dix frappes individuelles et quatre frappes combinées. 

Pour une fois, la réaction ennemie s’avéra vigoureuse et la flotte perdit huit appareils au combat ou victimes de la DCA" (1)

Pour la perte de vingt-sept appareils, les Américains, de leur côté, enregistrent de nouveaux coups au but sur l’Ise, le Haruna, l’Aoba et, surtout sur le porte-avions lourd inachevé Katsuragi et le porte-avions léger Ryūhō, qui avaient tous deux largement été épargnés lors de l’attaque du 24.

Pour la 3ème Flotte, c’est un succès facile de plus, néanmoins quelque peu gâché par l’arrivée inattendue - et surtout non désirée ! - non pas d'appareils britanniques, mais bien... de quelque 79 bombardiers B-24 de l'USAAF qui, partis d’Okinawa (2), sont bien décidés à se tailler eux aussi une part du gâteau japonais, et en particulier une part du malheureux croiseur Aoba, lequel se retrouve victime de quatre bombes supplémentaires… 

(1) ibid, page 417

(2) lors de cette attaque tout sauf indispensable, l’USAAF perdra elle-même deux B-24 et en verra quatorze autres endommagés par la DCA…

vendredi 31 octobre 2025

9075 - moralement injuste

Churchill et Attlee : un futur incertain d'un côté, un passé rejeté de l'autre...

… pour beaucoup, et pas seulement chez les Britanniques, l’éviction-surprise de Churchill, et son remplacement par le Travailliste Clement Attlee, sont moralement injustes.

Bien avant la guerre, c’est en effet Churchill qui, contre vents et marées, n’a jamais cessé de mettre la Grande-Bretagne en garde contre les visées de l’Allemagne nazie, et durant celle-ci, c’est encore Churchill qui a pour ainsi dire tenu la Grande-Bretagne, mais aussi son Empire, à bout de bras et, au bout du compte, qui lui a permis de figurer en bonne place parmi les vainqueurs.

Mais malgré toute la sympathie et même la reconnaissance qu’il lui porte, le peuple britannique, manifestement, en a eu plus qu’assez de Churchill, et surtout plus qu’assez de la guerre et des sacrifices, plus qu’assez des fiancés, époux et fils perdus au Front, plus qu’assez de la misère et des tickets de rationnement pour des produits aussi élémentaires et quotidiens que le beurre, le pain ou la viande.

Le peuple britannique, manifestement, souhaite des jours meilleurs et aspire à un changement que le Parti Conservateur, au Pouvoir depuis 10 ans, et Churchill, Premier Ministre depuis 5 ans, n’incarnent plus depuis longtemps,… et d’autant moins que le second n’a jamais caché ses intentions d’utiliser au besoin l’Armée après la guerre afin de  permettre à la Grande-Bretagne de conserver ses colonies africaines et indiennes, et aussi de récupérer ses colonies asiatiques tombées aux mains des Japonais !

En parfait Conservateur rétrograde, Churchill n’a en effet jamais voulu entendre parler de cette "décolonisation" pourtant constamment prônée par les Américains mais aussi, et de plus en plus souvent, par les citoyens britanniques eux-mêmes.

Sans se déclarer ouvertement favorable à la dite décolonisation, et donc à la disparition de l’Empire, Clement Attlee, lui, mesure bien mieux la réalité du monde actuel, l’état désormais dramatique des Finances publiques, et les difficultés quasiment insurmontables que ne manquerait pas de rencontrer la Grande-Bretagne si elle s’obstinait à conserver ou à récupérer ses colonies contre la volonté des populations locales.

Alors que la guerre contre le Japon n’est pas encore terminée, le projet de reconquête de l’Asie a donc déjà bien du plomb dans l’aile, en Angleterre du moins.

Mais n’anticipons pas….


jeudi 30 octobre 2025

9074 - le départ de Churchill

La victoire de Clement Attlee, ou la surprise du 26 juillet 1945...

… 26 juillet 1945

Après une nouvelle série de frappes le 25 juillet, la journée du 26 est une journée de ravitaillement en mer, un ravitaillement qui, comme à l’accoutumée, se déroule beaucoup mieux chez les Américains que chez les Britanniques, une fois de plus victimes de leurs traditionnels problèmes de tuyaux rompus, de pompes au débit insuffisant, de pétroliers trop petits, trop lents ou accablés de divers problèmes mécaniques, mais aussi du manque d’équipements et de pièces de rechange pour les différents navires de la flotte, ce qui, dans un cas comme dans l’autre, force une fois de plus l’amiral Rawlings à solliciter l’aide des Américains, en particulier pour le ravitaillement en mazout des croiseurs Newfoundland et Achilles.

Mais pour les marins et aviateurs de la British Pacific Fleet, cette journée du 26 juillet 1945 est aussi, et peut-être surtout, marquée par l’annonce du résultat officiel des élections du 5 juillet (1), un résultat qui, à la surprise générale, voit les Conservateurs évincés au profit des Travaillistes,... et le grand Winston Churchill lui-même contraint de céder son poste de Premier Ministre à un Clement Attlee qui - et c’est bien le moins qu’on puisse en dire - est très loin de partager sa volonté de reconstruire comme si de rien n’était les colonies britanniques d’avant-guerre !

"La flotte accueillit le résultat de ces élections avec des sentiments mitigés. À tort ou à raison, chacun estimait en effet qu'un gouvernement travailliste permettrait de "ramener les hommes à la maison" plus rapidement après la fin de la guerre. Pourtant, il s’avéra également que de nombreux marins ne comprenaient pas qu'un changement de gouvernement impliquait également un changement de Premier ministre. 

La nouvelle du départ de Winston Churchill du 10 Downing Street fut un choc" (2)

(1) la lenteur du processus s’explique par les difficultés à collecter les votes des civils et des militaires servant outre-mer

(2) ibid, page 414 


mercredi 29 octobre 2025

9073 - une victoire inattendue

L'épave du porte-avions Kaiyo, en 1946
… pour la seconde fois, la British Pacific Fleet doit donc se contenter d’un "lot de consolation"

"Pendant ce temps, la Task Force 37 britannique attaquait des cibles secondaires : des aérodromes au nord-est de Shikoku, ainsi que des navires en mer intérieure (1) et à Osaka, où se trouvaient quelques navires de guerre japonais de moindre importance. 

Pour la première fois, les conditions météorologiques étaient favorables aux Avenger et quinze frappes furent menées dans la journée, dont cinq combinées, composées d'Avenger, de Seafire, de Firefly et de Corsair. Un Seafire et un Avenger furent perdus lors de l'attaque de Tokushima, l'un des aérodromes les mieux défendus du sud du Japon, avec près de deux cents canons antiaériens" (2)

Par chance, la deuxième vague d’attaque tombe néanmoins, et par pur hasard, sur le petit porte-avions d’escorte japonais Kaiyo (3), réfugié dans la baie de Shido Wan, sur la côte de Shikoku, sans bien sûr un seul appareil à son bord, mais néanmoins sous la protection des escorteurs 4 et 30 (4), lesquels sont promptement envoyés par le fond tandis que le Kaiyo, gravement endommagé, n’a d’autre choix que de s’échouer volontairement sur le rivage.

Même si elle leur a tout de même coûté quatre appareils, cette victoire inattendue contre des navires de guerre japonais vient assurément mettre un peu de baume au coeur des Britanniques qui, bien que désormais autorisés à combattre directement aux côtés des Américains, n’en continuent pas moins de le faire dans l’ombre et sous le contrôle total de ces derniers.

Et c’est loin d’être fini…

(1) la Mer intérieure de Seto est l’étendue d’eau séparant trois des quatre îles principales du Japon, à savoir Honshū, Shikoku et Kyūshū
(2) Winton, op cit, page 411
(3) né paquebot en 1938 sous le nom d’Argentina Maru, converti en transport de troupes au début de la guerre, le Kaiyo était devenu un porte-avions d’escorte en 1943
(4) les escorteurs japonais de type D sont des 700 tonnes armés de deux pièces de 120mm

mardi 28 octobre 2025

9072 - l'Honneur américain n'a pas de prix...

L'épave à moitié chavirée du porte-avions Amagi, à Kure, en 1946

… Kure, 24 juillet 1945

Aussi inutiles soient-ils devenus pour l’effort de guerre nippon, les porte-avions, cuirassés, croiseurs ou destroyers de la Marine impériale présents à Kure n’en sont pas moins habilement camouflés, protégés contre les attaques à la torpille par la faible profondeur de la rade, et surtout couverts par une grande quantités de canons antiaériens de tout calibre, qui vont coûter aux Américains plusieurs dizaines d’appareils et d’aviateurs.

Qu’importe : même s’il a un coût, l’Honneur américain, celui foulé aux pieds à Pearl Harbor, à Wake, à Manille, à Corregidor et en tant d’autres endroits au début de la guerre, cet Honneur n’a manifestement pas de prix !

Et de fait le porte-avions Amagi, les cuirassés-porte-avions Ise et Hyuga, le cuirassé Haruna, ou encore les croiseurs Tone, Ōyodo et Aoba, se retrouvent bientôt transformés en amas de ferrailles, et seulement sauvés de l’engloutissement complet par la faible profondeur des eaux !

Pour les Américains, et malgré les pertes dans leurs propres rangs, cette attaque du 24 juillet s'avère en tout cas un succès complet,… mais aussi un succès qui appelle néanmoins une récidive, puisque plusieurs navires japonais n’ont été que légèrement endommagés lors de cette succession d’attaques aériennes menées tout au long de la journées, attaques qui, pour l’anecdote, ont également entraîné la perte des antiques croiseurs-cuirassés Iwate et Izumo ainsi que du cuirassé Settsu, qui datent pourtant tous d’avant la 1ère G.M. et ne servaient plus depuis longtemps que pour l’entraînement des équipages ou, dans le cas du Settsu, comme navire-cible (1)

(1) ironiquement, le cuirassé américain Utah, débarrassé de ses tourelles, ne servait lui aussi plus que de navire-cible et d’entraînement lorsqu’il fut coulé en décembre 1941, dans la rade de Pearl Harbor, par des aviateurs japonais qui l’avaient confondu avec un porte-avions !