samedi 30 novembre 2013

3921 - le coup de tonnerre

... 30 avril 1931

Bien que marqué à droite par son héritage familial, Reinhard, nous l'avons dit, est largement apolitique, son bref passage au sein des Freikorps en 1919 et 1920 n'ayant finalement été rien d'autre que la brève aventure romantique d'un adolescent de quinze ans.

Lina, en revanche est, à l'instar de toute sa famille, la militante convaincue et fort active d'un parti politique - le parti nazi - qui, aux élections générales de septembre 1930 est devenu, avec 6,5 millions d'électeurs, le deuxième parti d'Allemagne.

Mais, là encore, la conversion de Reinhard au nazisme, puis au métier de bourreau, cette conversion n'aurait probablement pas eu lieu sans un événement aussi catastrophique que totalement inattendu. 

Car en janvier 1931, peu après l'annonce officielle de ses fiançailles, et alors qu'il nage en plein bonheur, quelle n'est pas la surprise du futur marié de se voir convoqué devant un tribunal militaire pour "manquement à l'Honneur".

Ce manquement, qui aujourd'hui prêterait assurément à sourire, est d'avoir rompu... une promesse de mariage préalable !

Toutes les archives ayant été détruites par la guerre ou par la Gestapo elle-même, l'identité  exacte de la plaignante ainsi bafouée, ou plus exactement de son père, cette identité demeure et demeurera probablement à jamais un mystère, mais l'attitude d'Heydrich, qui devant ses juges refuse d'accepter le moindre blâme et rejette la faute sur la jeune-fille elle-même, cette attitude va transformer en catastrophe  ce qui n'aurait dû lui valoir qu'une simple réprimande : le 30 avril 1931, la sanction tombe - le renvoi pur et simple de la Marine...

vendredi 29 novembre 2013

3920 - le chant de la sirène

... les marins, dit-on, sont sensibles au chant des sirènes.

Mais s'il collectionne les sirènes, et les collectionnera d'ailleurs jusqu'à sa mort, le Lieutenant de Marine Reinhard ne serait jamais devenu l’Obergruppenführer-SS et Reichsprotektor de Bohème-Moravie s'il n'avait succombé au chant de Lina von Osten

Née le 14 juin 1911 sur la petite île de Fehmarn (Schleswig-Holstein) d'un père instituteur et aristocrate depuis longtemps déchu, Lina a très tôt fait preuve d'un caractère bien déterminé, n'hésitant pas, à seulement 17 ans, à quitter sa famille et son petit village natal pour s'en aller seule a Kiel avec l'ambition de devenir institutrice.

Mais Lina est aussi, et peut-être surtout, une nazie convaincue et de la première heure qui, un an plus tard, a rejoint les rangs du NSDAP après avoir succombé, comme tant d'autres, à un discours enflammé d'un petit homme moustachu du nom d'Adolf Hitler, et à sa promesse d'une renaissance de la Grande Allemagne.

Le 6 décembre 1930, lors d'un bal à Kiel, elle ne peut s'empêcher de remarquer un grand et beau lieutenant de 26 ans : Reinhard Heydrich.

L'intéressé - rappelons-le - n'a aucune conviction politique particulière : contrairement à Lina, il n'a d'ailleurs jamais lu Mein Kampf et, comme beaucoup d'officiers de l'époque, il ne se gêne pas de faire remarquer à qui veut bien l'entendre - y compris à cette jolie blonde de 19 printemps - qu'Hitler n'est rien d'autre qu'un "caporal de Bohème".

Si Lina est aussi choquée que séduite, c'est pourtant Reinhard qui, subjugué par cette jeune-fille ultra-politisée, se jette à ses pieds et lui demande de l'épouser cinq jours plus tard !

Lina hésite mais, le 18, les deux tourtereaux sont secrètement fiancés, et l'on nagerait même en plein roman a l'eau-de-rose si de lourds nuages noirs ne cessaient de s'accumuler sous le ciel de cette fragile République de Weimar que Lina et toute sa famille souhaitent voir renversée le plus rapidement possible au profit du NSDAP...

jeudi 28 novembre 2013

3919 - une destinée à nouveau toute tracée

... Juillet 1928

Promu second lieutenant en 1926, puis officier des transmissions sur le vieux pre-dreadnought Schleswig-Holstein en 1928, Reinhard continue de mystifier son entourage, que ce soit par sa pratique du violon ou celle, non moins assidue, du sport.

A ses camarades, il ne cache d'ailleurs pas son ambition de devenir tantôt amiral,... tantôt pentathlète représentant l'Allemagne aux Jeux Olympiques !

Mais s'il cherche désespérément a se faire accepter par ses pairs, quitte à s'inventer un antisémitisme de bon aloi, il se montre en revanche arrogant et cassant envers ses subordonnés, un trait de caractère qui le poursuivra jusqu'à sa mort.

Le 1er juillet 1928, le voilà premier lieutenant et muté à terre, ce qui lui offre désormais beaucoup de temps libre et donc la possibilité de s'adonner encore davantage au sport, à la musique....et aux femmes, qu'il se met a collectionner.

Grand, blond, bel homme, et avantagé par le prestige de l'uniforme, le lieutenant Heydrich a en effet beaucoup de succès auprès de la gent féminine, en ce compris chez les filles de joie qui, dans tous les pays du monde, servent de port d'attache ô combien temporaire aux marins.

Mais alors que sa destinée semble une fois de plus toute tracée, une rencontre fortuite va venir en bouleverser le cours...

mercredi 27 novembre 2013

3918 - une carrière discrète

... 1924

On sait finalement peu de choses du passage du jeune Reinhard au sein de la petite marine de Weimar, l’Intéressé lui-même ne s'étant jamais montré fort loquace à ce sujet.

Au sein de ce milieu de grandes traditions viriles, sa voix de fausset et sa passion pour le violon - qu'il s'entête à vouloir jouer à bord - ne contribuent certes pas à le rendre populaire.

A cela s'ajoute la résurgence des rumeurs quant à sa supposée "judéité", rumeurs contre lesquelles il doit sans cesse se défendre en s'affichant ouvertement comme antisémite, encore que rien - soulignons-le une fois de plus - ne permet d'affirmer qu'il le soit réellement.

Sur le plan politique, l'adolescent qui flirtait volontiers avec l'extrême droite en 1919 est même en train de se métamorphoser en adulte totalement apolitique, qui considère tous les partis, en ce compris le nouveau parti nazi d'un certain Adolf Hitler, avec le même dédain, ne s'intéressant en fait qu'à sa carrière, à la musique, au sport...et aux femmes.

S'il n'est certes pas l'homme le plus populaire au sein de la Marine allemande, Reinhard va pourtant se lier d'amitiés, à partir de 1924,  avec le premier officier du vieux croiseur Berlin, un 4 000 tonnes lancé en 1903 et qui n'est plus utilisé que pour l'entraînement.

Né en 1887, donc de 17 ans son aîné, Wilhelm Franz Canaris partage avec Reinhard une passion pour la musique ainsi qu'un goût de l'intrigue qui, dans les années à venir, va lui permettre non seulement de devenir amiral mais aussi, et surtout, de prendre la tête du renseignement militaire allemand, l'Abwehr, en janvier 1935...

mardi 26 novembre 2013

3917 - le gars de la Marine

... Kiel, 1er avril 1922

Outre ses implications politiques, cette crise économique qui terrasse l'Allemagne d'après 1918 a naturellement des conséquences catastrophiques sur les finances de la famille Heydrich, pratiquement acculée à la ruine par l'hyper-inflation et la diminution vertigineuse des élèves inscrits au Conservatoire de Halle.

Dans ces conditions, plus question pour le jeune Reinhard de succéder à son père à la tête de l'entreprise familiale : ayant décroché son diplôme du secondaire en 1922 avec la mention très bien, ce dernier décide alors de tenter sa chance dans la Marine de guerre... ou du moins le peu qui en reste après le sabordage de la Hochseeflotte en rade de Scapa Flow le 21 juin 1919 (1)

Aujourd'hui encore, beaucoup voient dans ce choix fort peu "musical" une nouvelle preuve du romantisme de ce jeune-homme de 18 ans qui, affirment-ils, aurait surtout été motivé par la lecture des récits du Comte Félix von Luckner, grand ami de la famille et, surtout, célèbre corsaire allemand de la 1ère G.M. (2)

Que cela soit vrai ou non, le dit choix offre au moins la perspective d'un emploi stable et raisonnablement rémunéré au sein d'une Allemagne aux prises avec un chômage massif et endémique.

Reste que réduite à seulement 15 000 hommes et à une poignée de croiseurs et de pre-dreadnought démodés, la Reichsmarine de 1922 n'est plus que l'ombre fantomatique de la Kaizerlische marine de 1914, alors la deuxième du monde...

Qu'importe : entré comme cadet a Kiel le 1er avril 1922, Reinhard est promu enseigne deux ans plus tard et envoyé à l'école d'officiers de Flensburg....

(1) Saviez-vous que... 3698
(2) de 1916 a 1917, le Seeadler (aigle des mers), un trois mats à moteur auxiliaire commandé par le Comte von Luckner, écuma l'Atlantique sud dans ce qui constitua l'ultime baroud des grands voiliers armés

lundi 25 novembre 2013

3916 - et puis vint la Crise...

... s'il ne subsiste aucune trace des activités réelles du jeune Reinhard  au sein des Freikorps qui combattirent les communistes de 1919 à 1920, on peut raisonnablement affirmer que les dites activités furent en réalité minimales, pour ne pas dire symboliques.

Bien que glorifié pour d'évidentes raisons au cours des années les plus noires du nazisme, l'engagement de cet adolescent de 15 ans dans la "lutte contre le bolchevisme", cet engagement ne peut d'autre part s'interpréter comme une adhésion personnelle et précoce de l'intéressé à une sorte de "nazisme-d'avant-le-nazisme" : pour Reinhard, comme pour la plupart des jeunes-gens auxquels l'Armistice de novembre 1918 a épargné le passage sous les drapeaux, les Freikorps constituaient plutôt une manière romantique, et pas trop risquée, de poursuivre à domicile, et même de remporter, une guerre que leurs aînés - "trahis" ou non - avaient perdue dans les tranchées de France ou de Belgique.

S'engager chez les Freikorps plutôt que chez les Spartakistes (1) témoignait certes d'une personnalité plus attirée par l'extrême-droite que par l'extrême-gauche, mais le romantique Reinhard n'aurait jamais eu l'opportunité de devenir le terrifiant Heydrich si la situation économique d'après-guerre n'avait plus laissé aux Allemands que le choix entre la peste et le choléra : après avoir perdu deux millions de soldats et connu quatre millions de blessés durant le conflit (2), l'Allemagne, jugée seule responsable de la guerre, fut contrainte d'abandonner 13% de son territoire national, et de verser à ses vainqueurs des indemnités telles qu'elles ruinèrent le pays, précipitèrent des millions de citoyens au chômage et provoquèrent une telle hyper-inflation  qu'en 1923 le kilo de beurre allait se transiger pour la bagatelle de 13 000 Reichsmarks...

(1) fondée par Karl Liebknecht et Rosa Luxembours au début de la 1ère G.M., la ligue spartakiste donna naissance quatre ans plus tard au parti communiste allemand (KPD)
(2) en 1914, l'Allemagne comprenait environ 65 millions d'habitants

dimanche 24 novembre 2013

3915 - et puis vint l'année 1919...

... mars 1919

Jusqu'en 1916, Bruno Heydrich n'avait jamais été antisémite - même selon les normes assez particulières de l'époque - et son fils Reinhard ne l'était certes pas davantage.

Hélas, en mettant le gagne-pain du premier en péril, et en exposant le second à subir maintenant  les quolibets de ses camarades d'école, les soupçons de "judéité" nés de l'affaire du Musik-Lexicon ont à tout le moins accru les préventions des intéressés à l'endroit du peuple élu.

Jusqu'à l'automne de 1918, et en dehors de leur inévitable fidélité au Kaiser et à un conservatisme de bon aloi, ni le père ni le fils n'avaient d'autre part eu la moindre "opinion politique" véritablement digne de ce nom.

Hélas, l'Armistice du 11 novembre 1918, puis les multiples soulèvements communistes des mois suivants, y compris dans la cité jusque-là fort paisible de Halle, tout cela va pousser le premier à s'affilier au très monarchiste et très antidémocratique Parti National du Peuple Allemand (DNVP), et le second à nourrir une considérable sympathie à l'endroit des Freikorps, milices d'extrême-droite composées de soldats démobilisés et de simples citoyens qui, dans de nombreuses villes d'Allemagne, font régulièrement le coup-de-feu avec les communistes.

A Halle, les affrontements entre les uns et les autres vont d'ailleurs faire une quarantaine de morts et une centaine de blessés et se traduire, le 3 mars 1919, par l'imposition de la loi martiale mais aussi par la création d'une force de défense civile de quelque 400 volontaires parmi lesquels personne ne remarque un adolescent dégingandé de 15 ans.

Reinhard Heydrich...

samedi 23 novembre 2013

3914 - les premiers soupçons de judéité

... en 1874, la mère de Bruno Heydrich, devenue veuve, s'était remariée avec un serrurier  protestant du nom de Gustav Robert Süss, patronyme fréquemment - mais abusivement - associé à la judéité.

L'anecdote en serait restée là si, en 1916, à la lecture du Musik-Lexicon - l'encyclopédie de la musique et des musiciens allemands, Bruno n'avait découvert, à l'entrée le concernant, une mention le signalant comme "compositeur juif".

Stupéfaction - Bruno avait en effet neuf ans quand sa mère s'était remariée avec Gustav Robert Süss, lequel n'était donc que son beau-père et pas plus juif que lui - mais surtout inquiétude car, dans l'Allemagne de Guillaume II, même s'ils ne sont plus victimes de pogroms, les Juifs sont encore loin d'être appréciés et reconnus comme citoyens à part entière, et surtout comme des citoyens auxquels les bons bourgeois catholiques et protestants de Halle seraient prêts à confier leurs enfants.

Pour rétablir sa réputation, mais aussi sauver son gagne-pain, Bruno, qui n'est ni plus ni moins antisémite que n'importe quel autre allemand de l'époque, Bruno, donc, intente un procès public à l'éditeur, un procès qu'il gagne lorsqu'il apparaît que l'article le concernant a en fait été rédigé par un ancien élève qu'il avait lui-même chassé de son Conservatoire, et qui a donc agit par vengeance personnelle

Mais si l'affaire est gagnée au plan juridique, et l'encyclopédie révisée dès l'édition suivante, le mal est fait et les soupçons de "judéité", à présent éveillés, vont perdurer dans les années à venir, alimentés notamment par le fait qu'un des oncles de la mère de Reinhard a lui-même épousé une juive....

vendredi 22 novembre 2013

3913 - et puis vint la guerre...

... 1914

Mais en réalité, le jeune Reinhard, passionné par la musique wagnérienne et les romans de Sherlock Holmes, le jeune Reinhard ne serait jamais devenu Heydrich, meurtrier de masse et bourreau-en-chef du Troisième Reich, si la Première Guerre mondiale n'était venue bouleverser la donne.

Contrairement à son futur maître Adolf Hitler, qui à l'instar de dizaines de milliers de Munichois, et de millions d'Allemands adultes, va se jeter dans ce conflit avec enthousiasme, Reinhard, né en 1904, est trop jeune pour endosser l'uniforme, et c'est donc de fort loin, et tranquillement assis sur les bancs de son école secondaire qu'il va assister, pendant quatre ans, au gigantesque incendie en train de  ravager l'Europe entière.

Mais aussi lointain puisse-t-il paraître pour cet enfant de dix ans, le dit conflit a néanmoins des conséquences fâcheuses sur le train de vie des Heydrich, puisque le très lucratif Conservatoire paternel ne tarde pas à péricliter :  les bourgeois de Halle ayant, en ces temps devenus difficiles, bien d'autres priorités que d'offrir une éducation musicale à leur progéniture.

Et c'est avec consternation, et colère, que les Heydrich, déjà contraints de réduire considérablement leur train de vie pendant quatre ans, vont accueillir l'annonce de l'Armistice, un Armistice que chacun, à commencer par Reinhard lui-même, va immédiatement attribuer à un "coup de poignard dans le dos" porté par les communistes... et les Juifs.

Des Juifs dont Bruno Heydrich voudrait d'ailleurs bien ne plus entendre parler...

jeudi 21 novembre 2013

3912 - sans prédisposition

.. 1910

Contrairement à ce que l'on aimerait croire, rien, et certainement pas une quelconque "propension à faire le mal", ne prédestine le jeune Reinhard à devenir un des pires meurtriers de masse de l'Histoire.

Élevé dans une famille à la fois unie, aisée et bien éduquée, l'enfant démontre même très vite ses talents pour la musique, et en particulier pour celle d’un certain… Richard Wagner, qu’il découvre en 1910, à l’occasion d’une représentation du Ring.

Cette passion pour Wagner, également partagée par le futur Führer et Chancelier d’Allemagne Adolf Hitler, ne l’empêche pourtant pas de réussir brillamment à l’école et d’entrer ainsi au secondaire, que ne fréquentent à l’époque que 10% des enfants allemands.

De constitution fragile, et régulièrement malade, Reinhard est également incité par ses parents à pratiquer divers sports, dont la natation, la gymnastique… et l’escrime, où il excellera bientôt.

Durant ses loisirs, Reinhard lit beaucoup, et en particulier des romans policiers et d’espionnage,... avec des conséquences pour le moins inattendues : "Tout au long de la [1ère] Guerre [mondiale] et des années 1920, il entretiendra son intérêt pour le genre et en fera bon usage lorsqu'il rencontrera Himmler [chef suprême de la SS] en 1931. Aucun des deux hommes n'avait la moindre idée quant à la manière de mettre sur pied un service d'espionnage, mais Heydrich se servit de ses connaissances acquises à la lecture des histoires de détectives et d'espions pour impressionner Himmler, au point que celui-ci lui offrit l'emploi de créer le service de renseignements de la SS : le futur SD" (1)

(1) Robert Gerwarth , Hitler's Hangman, The Life of Heydrich, page 24

mercredi 20 novembre 2013

3911 - une enfance privilégiée

... Halle, 7 mai 1904

Reinhard Tristan Eugen Heydrich est né le 7 mars 1904 dans la très prussienne ville de Halle, alors en plein boom économique et où population a triplé en un demi-siècle, pour atteindre près de 160 000 personnes.

A force de sacrifices, et malgré ses origines extrêmement modestes, son père, Bruno, a réussi à embrasser une carrière de musicien, et même à acquérir une certaine notoriété comme compositeur et chanteur d'opéra, ce qui, en décembre 1897, lui a permis d'épouser Elisabeth Krantz, beaucoup plus riche que lui et par ailleurs aussi fervente catholique qu'il est lui-même protestant fort peu pratiquant.

Ayant déménagé à Halle peu après son mariage, Bruno y a alors fondé une école de musique vite devenue si populaire auprès de la bourgeoisie locale qu'elle a fini par devenir Conservatoire tout en lui permettant à lui et et sa famille de vivre très confortablement et dans la considération générale.

Si sa mère, pianiste douée, donne quelques cours au sein du dit Conservatoire, elle se consacre d'abord et avant tout - et dans la meilleure tradition de l'époque - à son ménage et à ses enfants qui, tout au long de leur enfance puis de leur adolescence, auront donc la chance de vivre et de grandir au sein d'un foyer non seulement très uni mais également cultivé et à l'abri du besoin.

Et les résultats ne se font pas attendre, car, destiné dès sa naissance à reprendre le Conservatoire familial, le jeune Reinhard, qui tire son prénom du personnage principal du premier opéra écrit par son père, le jeune Reinhard, donc, est capable de déchiffrer les partitions et de jouer au piano avant même d'entrer à l'école primaire, en 1910...

mardi 19 novembre 2013

3910 - véritable démon de l'Enfer ou alors banal fonctionnaire ?

... mais comment parler d'un homme aussi peu "ordinaire" que Reinhard Heydrich, responsable de l'arrestation, de la déportation, et finalement de la mort de millions d'êtres humains ?

L'approche la plus classique, et en tout cas celle qui vient le plus immédiatement à l'esprit, est celle de la démonisation

Seule approche autorisée dans les années d'après-guerre, et encore très populaire aujourd'hui, la démonisation consiste tout bonnement à considérer Heydrich et tant d'autres bourreaux du Troisième Reich comme de véritables entités diaboliques, quasiment sorties des Enfers, et à ce point terrifiantes et perverses qu'on ne pourrait même pas les qualifier de sociopathes tant elles semblent en vérité étrangères au genre humain lui-même.

Rassurante pour l'esprit, cette approche fut d'autre part largement mise en avant par les subordonnés d'Heydrich, comme Otto Ohlendorf ou Adolf Eichmann, qui, lors de leurs procès respectifs - nous y reviendrons - et pour sauver leur propre peau, s'empressèrent de présenter leur défunt patron comme un individu dépourvu de tout sentiment humain et si dangereux que nul - et certainement pas eux ! - n'aurait jamais osé discuter ses ordres - aussi délirants fussent-ils - par peur d'y perdre la vie.

Plus récente, car datant seulement des années 1960, des approches comme celle du psychologue Stanley Milgram sur la "soumission naturelle à l'autorité", ou de la philosophe Hannah Arendt sur la "banalisation du Mal" - nous y reviendrons là aussi - tendent plutôt à faire d'hommes comme Heydrich de simples fonctionnaires carriéristes, avant tout préoccupés par la volonté de trouver une solution pratique, pour ne pas dire bureaucratique, à la mission - fut-elle de mort - que leur a confié quelqu'un d'autre.

A priori totalement différentes, ces deux approches sont en réalité fort complémentaires, comme nous allons tenter de le montrer dans les pages qui vont suivre...

lundi 18 novembre 2013

3909 - un vivant paradoxe

... père de famille affectueux, Reinhard Heydrich était  également un grand buveur, un mari volage, et même un coureur de jupons invétéré, ce qui, à plusieurs reprises, faillit d'ailleurs lui coûter sa carrière

Organisateur remarquable, il parvenait toujours à s'entourer de gens compétents, mais jamais à s'en faire aimer tant il semblait lui-même totalement dénué d'empathie.

Numéro Trois dans la hiérarchie officieuse du Reich millénaire, dont il contribua largement à définir la substance, il était en définitive bien plus craint que son supérieur théorique, le Reichsführer-SS Heinrich Himmler.

Contrairement à tous les autres hauts dignitaires nazis, Heydrich était aussi un homme qui aimait flirter quotidiennement avec la Mort et qui, alors que rien ne l'y obligeait, n'appréciait rien tant que quitter le confort de son bureau pour s'installer dans l'étroit et inconfortable habitacle de chasseurs Messerschmitt.

A chaque fois qu'il le pouvait, il embarquait à bord de l'un d'eux pour des missions de guerre qui, à défaut de victoires, lui valurent plusieurs accidents, lesquels finirent par pousser Hitler, qui l'appelait "l'homme au coeur de fer", à lui ordonner de ne plus quitter le sol.

Bien qu'ayant vu ses ailes rognées, Heydrich n'en continua pas moins de défier volontairement la mort, ne circulant qu'en voiture découverte, et le plus souvent sans escorte, alors qu'il se savait pourtant un des hommes les plus haïs - et donc les plus menacés - de toute l'Europe occupée, ce qui finit d'ailleurs par causer sa perte, dans une petite rue de Prague, le 27 mai 1942.

Sa mort donna lieu à de gigantesques funérailles nationales à Berlin, mais aussi à un épouvantable massacre dans le petit village tchèque de Lidice.

Du début à la fin, la vie de Reinhard Heydrich fut un paradoxe...

dimanche 17 novembre 2013

3908 - "l'homme au coeur de fer"


(à Jindriska Nováková, qui avait 14 ans en 1942...)


... grand, blond, athlétique, il était pourtant affligé d'une voix de fausset qui ne cessa de lui attirer les railleries.

Avec son profil de médaille et ses nombreux exploits sportifs, il était l'incarnation-même de "l'idéal aryen", mais dut pourtant se battre tout au long de sa vie contre ceux qui le soupçonnaient d'origines douteuses, et en particulier d'avoir un peu trop de sang juif dans les veines.

Unanimement décrit, y compris par ses pires détracteurs, comme un homme extrêmement intelligent, il brilla néanmoins bien plus sur les terrains de sport, et dans les salles d'escrime, que sur les bancs de l'école.

Bon pianiste, excellent violoniste, doté d'une réelle sensibilité musicale, il fut aussi un tueur impitoyable et à ce point dénué de scrupules qu'il n'hésita pas une seconde à organiser le fichage systématique, la déportation, et finalement la mort de millions d'êtres humains.

Il s'appelait Reinhard Heydrich mais Hitler l'appelait...

... "l'homme au cœur de fer"

samedi 16 novembre 2013

3907 - l'erreur finale

... mais en définitive, s'agissant du Vanguard, la principale erreur ne fut pas d'en retarder indûment la livraison, ni de renoncer à le terminer en porte avions : la principale erreur fut d'en poursuivre la construction jusqu'au bout et surtout bien après qu'il soit devenu évident que la guerre serait terminée, et lui-même sans aucun avenir, avant qu'il soit achevé !

Les Français, dira-t-on, n'avaient eux-mêmes mis le Jean Bart officiellement en service qu'en 1949 (!), mais ce dernier était déjà terminé à 75%, et en mesure de naviguer, au début de la guerre (1) alors que le Vanguard, lui, n'avait même pas encore été mis sur cale !

Difficilement explicable aujourd'hui, ce choix britannique permit certes au Vanguard d'exister, contrairement aux Illinois et Kentucky américains, qui demeurèrent inachevés, mais le condamna en revanche à ne vivre qu'à moitié et sans autre fait marquant dans sa courte carrière que d'avoir, l'espace d'un mois, servi de yacht royal au Roi George VI et à sa famille, partis visiter l'Afrique du Sud !

Parce que ultime avatar de la famille des cuirassés, le Vanguard fut constamment à l'arrière de l'avant-garde...

(1) en novembre 1942, le Jean Bart, demeuré fidèle au gouvernement français de Vichy, avait d'ailleurs tiré quelques obus sur les forces américaines occupées à débarquer au Maroc dans le cadre de l'Opération Torch

vendredi 15 novembre 2013

3906 - l'idée était pourtant bonne...

... longtemps décriée, la décision de greffer un armement usagé sur une nouvelle coque était pourtant une bonne idée, et même la seule option envisageable si l'on entendait offrir rapidement un successeur aux cuirassés de la classe King George V.

Ce successeur, le Vanguard, fut pourtant victime de tels retards dans sa définition puis sa construction qu'il s'avéra incapable d'entrer en service avant la fin du conflit !

Bien que réelles, les contraintes nées du dit conflit -  en particulier les pénuries de main d’œuvre, de matières premières ou de chantiers navals - ne peuvent expliquer pareil fiasco, car ce sont en fait les atermoiements des responsables britanniques eux-mêmes qui en constituent la cause principale.

Après avoir invoqué l'urgence pour justifier pareil bricolage, ceux-ci ne cessèrent par la suite, et sous le louable prétexte de "profiter des enseignements de la guerre", d'exiger quantités de modifications impossibles à exécuter dans un délai raisonnable quand bien-même la construction eut-elle bénéficié de la plus haute priorité.

En tout état de cause, mieux aurait valu un cuirassé imparfait mais disponible en 1942 ou 1943, qu'un autre sans doute meilleur mais seulement livrable après la fin de la guerre !

Après s'être pris à douter autant des délais que de l'intérêt réel du dit cuirassé, ces mêmes responsables envisagèrent, fin 1942, de le terminer en porte-avions. Une conversion frappée au sceau du gros bon sens, et parfaitement réalisable au plan technique, mais à laquelle ils décidèrent néanmoins de renoncer au seul prétexte qu'elle retarderait la mise en service de six mois.

Là encore, mieux aurait valu courir le risque de six mois supplémentaires plutôt que de se retrouver, au final, avec plusieurs années de retard et, surtout, un navire complètement inutile puisque condamné par l'inexorable évolution de la Guerre sur Mer...

jeudi 14 novembre 2013

3905 - l'opposé parfait

... pour son plus grand malheur, le Vanguard fut l'opposé parfait du Warspite.

Entré en service en 1915, à une époque où le monde entier ne jurait que par les gros canons et les épaisses plaques de blindage, le Warspite eut en effet la chance de connaître une longue carrière - qui dura une trentaine d'années - et aussi celle de participer activement à deux guerre mondiales (1)

Le Vanguard, en revanche, bien que commandé au début de 1939,  ne fut mis en service qu'en 1946, ce qui le priva non seulement de toute possibilité de s'illustrer lors de la 2ème G.M., mais le condamna de surcroît à ne faire que de la figuration - encore qu'il serait plus juste dans son cas de parler de "représentation" -  au cours des années suivantes, lesquelles furent du reste singulièrement raccourcies puisque, bien que seulement décommissionné en 1959 (et ferraillé en 1960), il n'était de facto déjà plus en service depuis 1955.

Deux guerres et trente ans pour l'un, aucune guerre et onze années seulement pour l'autre, la partie était par trop inégale, ce qui explique pourquoi le Warspite est demeuré dans les mémoires alors que le Vanguard est immédiatement tombé dans l'oubli.

Le paradoxe veut pourtant que, bien que conçu dans l'urgence, et relevant pour une bonne part du bricolage, ou plus exactement de la récupération de pièces usagées, le Vanguard se soit pourtant avéré un excellent bâtiment, et même le meilleur cuirassé jamais construit en Grande-Bretagne.

Un cuirassé qui, avec un peu de chances, eut assurément connu un tout autre destin...

(1) Saviez-vous que... The Grand Old Lady

mercredi 13 novembre 2013

3904 - "Ferraillez le Vanguard !"

... Portsmouth, 4 août 1960

Au sein de la flotte de réserve, le Vanguard n'a à présent plus grand-chose à faire,... si ce n'est attendre la fin, une fin que la Royal Navy, comme si elle éprouvait malgré tout des remords, n'est pourtant nullement désireuse de hâter puisque la décision de procéder au ferraillage ne va finalement tomber que le 9 octobre 1959, soit quatre ans plus tard !

Dans l'intervalle, le Vanguard a malgré tout eu la chance de participer à un combat... cinématographique, puisqu'il a en effet servi de cadre à plusieurs scènes du film "Coulez le Bismarck !", scènes dans lesquelles le pauvre cuirassé britannique a d'ailleurs joué le rôle... du terrifiant navire allemand !

Mais en ce 4 août 1960, le mot d'ordre est plutôt "Ferraillez le Vanguard !", puisque l'immense navire, péniblement halé par plusieurs remorqueurs, quitte le porte de Plymouth à destination du chantier de démolition de Faslane,... ce même chantier de démolition, et cette même et suprême humiliation, auxquelles le Warspite - le plus glorieux des cuirassés britanniques - avait échappé en avril 1947, en rompant ses amarres et en s'échouant sur une côte des Cornouailles (1)

L'Histoire voudrait-elle se répéter qu'elle ne s'y prendrait pas autrement puisque le Vanguard se met à bientôt à dériver puis, sous les yeux de milliers de spectateurs éberlués, par s'échouer sur le front de mer de Southside !

Mais cette fois du moins, les démolisseurs ne seront pas obligés de se rendre sur place puisque le Vanguard, rapidement dégagé de sa fâcheuse position, ralliera Faslane cinq jours plus tard, pour y disparaître définitivement sous le feu des chalumeaux au début de 1962.

Comme il avait raté son entrée, le Vanguard a raté sa sortie..  


((1) Saviez-vous que... 3811

mardi 12 novembre 2013

3903 - une certaine image de la Grande-Bretagne

… faute de pouvoir encore transporter le monarque britannique, le Vanguard, de par ses dimensions et l’impression de puissance qu’il dégage, n’en est pas moins représentatif de la Grande-Bretagne, ou du moins d’une certaine image de celle-ci, ce pourquoi la Royal Navy, faute de mieux, l’utilise-t-elle surtout dans ce rôle.

En 1949, promu navire-amiral de la Flotte de Méditerranée, le Vanguard va ainsi multiplier les visites de courtoisie en France, en Italie, en Égypte ou en Grèce.

Un an plus tard, devenu navire-amiral de la Home Fleet, il en fait de même dans l’Atlantique.

S’ensuivent alors trois années de manœuvres et de visites diplomatiques, entrecoupées des inévitables retours en chantier naval pour entretien ou remise à niveau des équipements

En juin 1953, à la suite du couronnement de la Reine Elizabeth, le Vanguard participe à la grande revue navale de Spithead, puis encore à de nouvelles manœuvres, avant de retourner en cale sèche pour plusieurs mois, à l’automne 1954.

Remis en état en 1955, le Vanguard, bien qu’il n’ait pas encore fêté son 10ème anniversaire, est à présent complètement désuet, ce pourquoi se voit-il, dès sa sortie du chantier naval, promu navire-amiral… de la flotte de réserve, manière élégante de dire qu’il est désormais voué à la ferraille...

lundi 11 novembre 2013

3902 - les conversions manquées

… 1949

Fin 1942, doutant déjà de son avenir en tant que cuirassé, l’Amirauté britannique avait envisagé la conversion du Vanguard en porte-avions, sur le modèle de ce que les Japonais étaient eux-mêmes occupés à réaliser avec le Shinano.

Jugée trop coûteuse, et surtout trop longue à réaliser (!), l’idée était cependant demeurée sans suite et le Vanguard, pour son plus grand malheur, avait donc été achevé et mis en service comme cuirassé au printemps 1946.

Deux ans plus tard, désespérant de lui trouver un emploi, cette même Amirauté envisage à présent de le débarrasser d’une partie de sa formidable artillerie conventionnelle et de le convertir en navire lance-missiles antiaériens, destiné à la protection des porte-avions.

Cette idée, partagée au même moment par d’autres marines, et notamment par l’US Navy pour plusieurs de ses grandes coques, cette idée-là ne manque pas  elle non plus d’intérêt, mais coûterait assurément fort cher en plus de laisser la Royal Navy au prise avec un bâtiment qui, à 45 000 tonnes et avec un équipage de plus de 1 800 hommes, serait largement surdimensionné pour pareil usage, en plus de demeurer ruineux à entretenir.

Faute d’alternative, le Vanguard, né cuirassé, va donc demeurer cuirassé jusqu’à sa mort et sans pour autant goûter à la satisfaction de redevenir yacht royal ne serait-ce que quelques jours : son voyage en Australie de 1949 annulé, George VI, qui avait ensuite envisagé de passer quelques jours de convalescence à bord, mourra en effet le 6 février 1952 sans y avoir remis les pieds, et quand sa fille Elizabeth sera à son tour couronnée reine, le 2 juin 1953, celle-ci disposera alors, avec le Britannia, d’un navire infiniment mieux adapté à la villégiature, et bien plus économique à l’usage...

dimanche 10 novembre 2013

3901 - ... la Royal Navy beaucoup moins

... automne 1948

Et hélas pour elle, la Royal Navy est encore bien moins lotie que sa cousine américaine !

A égalité de grands bâtiments jusqu'en 1939, elle a été complètement larguée par celle-ci durant la guerre et, bien que la Paix soit revenue, elle est aujourd'hui incapable de conserver les navires qui lui restent. : le Warspite, les trois autres Queen Elizabeth, les quatre Royal Sovereign, les deux Nelson  ainsi que le Renown vont tous être ferraillés entre 1947 et 1949 afin d'offrir aux porte-avions un sursis d'une dizaine d'années.

Il faut dire que les contraintes financières mises à part, l'Angleterre de 1947, occupée à perdre ses colonies et possessions les unes après les autres, n'a certes plus besoin de son énorme marine de jadis...

Mais alors que faire du Vanguard, cet immense navire mis en service il y a à peine deux ans, et dont le seul emploi notable a jusqu'ici consisté à emporter la famille royale pour une croisière de villégiature et de relations publiques à l'autre bout du monde ?

Justement, le Roi George VI a prévu d'entreprendre, en janvier 1949, une croisière analogue en Australie et en Nouvelle-Zélande, ce qui va donc permettre au cuirassé de reprendre du service après plus d'un an passé à se morfondre dans un chantier naval !

Mais en novembre, la santé de plus en plus déclinante du monarque entraîne hélas l'annulation du dit voyage, laissant une fois de plus le Vanguard sans véritable affectation...

samedi 9 novembre 2013

3900 - la Croisière s'amuse...

... ayant quitté Potsmouth le 1er février 1947, le cuirassé - ou devrait-on dire le yacht royal - arrive sans encombre à Cape Town le 17 puis, après avoir débarqué ses illustres hôtes, entreprend une série de visites de courtoisie et de manœuvres militaires le long des côtes d'Afrique du Sud.

Le 22 avril, il est temps pour la croisière de remettre le cap sur l'Angleterre, qu'elle rallie le 11 mai suivant, à la plus grande satisfaction de leurs majestés, qui ont beaucoup apprécié le voyage.

En juillet, le Vanguard appareille à nouveau... pour un chantier naval qui va l'héberger jusqu'au mois d'août 1948 !

Au-delà des travaux d'entretien et de remise à niveau, qui sont sans doute nécessaires, pareille immobilisation témoigne aussi de l'impuissance de l'Amirauté à trouver un véritable emploi à ce mastodonte de 45 000 tonnes, mis en service il y a à peine plus d'un an.

Le Vanguard a beau être un navire flambant neuf, un navire techniquement très réussi et qui, à la différence de ses prédécesseurs de la classe King George V, tient par ailleurs admirablement bien la mer, toutes ses qualités sont aujourd'hui de bien peu d'importance : la fin de la guerre a en effet entraîné, partout dans le monde, une diminution spectaculaire des budgets militaires, donc l'obligation pour les marins de "réduire la voilure" en renonçant à une partie de leur flotte.

Même aux États-Unis - cet Eden d'abondance - l'US Navy doit à présent se séparer  d'un nombre incalculable de bâtiments, y compris de la quasi-totalité de ses propres cuirassés et de la plus grande partie de ses porte-avions qui, dans le meilleur des cas, vont  être mis sous cocons mais, bien souvent, simplement confiés à l'implacable chalumeau des démolisseurs : entre septembre 1945 et juin 1950, le nombre de porte-avions américains va ainsi passer de 98 à... 15 !

vendredi 8 novembre 2013

3899 - symboles crépusculaires

... février 1947

Pour la monarchie britannique, recourir aux services d'un énorme navire de guerre pour un voyage aussi protocolaire que festif - avec passage de la Ligne de l'Équateur et baptêmes des novices par sa Majesté le Roi Neptune en personne - tout cela n'est certes pas inédit.

Mais dans le cas du Vanguard, et de la visite de George VI en Afrique du Sud, ce voyage est assurément riche en symboles... crépusculaires.

Victorieux après la 2ème G.M., l'Empire britannique sur lequel, comme celui de Charles-Quint, le soleil ne se couchait jamais, cet Empire est à présent ruiné et incapable de conserver ses différentes colonies qui, à l'image de l'Inde, sont toutes occupées à prendre leur envol et à se proclamer indépendantes sans qu'aucune "politique de la canonnière" puisse encore y changer quoi que ce soit.

Le Vanguard est certes bien plus qu'une simple canonnière, mais il n'en est pas moins, tout comme l'Empire auquel il appartient, lui aussi condamné par l'Histoire à jeter ses derniers feux dans une vaine et dérisoire illusion de puissance.

Quant à George VI, qui n'est monté sur le trône que par accident, et dont la santé est de plus en plus chancelante, son rôle se limite à présent à solder les comptes de tous ses prédécesseurs et à assister, impuissant, à la fin de la grandeur britannique...

jeudi 7 novembre 2013

3898 - ... à yacht royal

... août 1946

Parvenu sur le trône par accident en mai 1937 suite à l'abdication-surprise de son frère Edward VIII, le Roi George VI n'avait que fort peu visité son vaste empire avant le déclenchement de la 2ème G.M.

En 1946, la Paix revenue, l'occasion paraît enfin propice pour une visite officielle en Afrique du Sud.

Reste néanmoins à trouver un moyen de transport capable d'accommoder le souverain mais aussi sa famille, sa suite et sa nombreuse domesticité...

Lorsqu'elle ne dispose pas d'un véritable yacht royal, la famille régnante ne dédaigne pas recourir aux services d'un paquebot régulier, voire même d'un gros navire de guerre, comme le cuirassé Renown qu'avait déjà utilisé le Prince de Galles en 1920 pour ses visites à travers l'Empire.

Pourquoi dès lors ne pas mobiliser le dernier-né et le plus gros des cuirassés britanniques, en l'occurrence le HMS Vanguard, pour permettre à Sa Majesté George VI de voyager dignement jusqu'au Cap ?

Sans véritable affectation depuis la fin de ses essais officiels, le cuirassé va donc repasser, d'août à décembre 1946, par un chantier naval de Portsmouth pour y faire l'objet de divers aménagements intérieurs, avec notamment un lobby, une salle à manger, une salle de séjour, des chambres et plusieurs salles de bain pour le Roi, la Reine et leurs deux filles...

mercredi 6 novembre 2013

3897 - de navire de tous les superlatifs...

... 12 mai 1946

Entre la commande initiale du Vanguard et sa mise en service, il aura donc fallu attendre sept ans.

Sept longues années durant lesquelles est née, s'est déroulée puis s'est achevée une nouvelle guerre mondiale, mais aussi, et surtout, sept années durant lesquelles le porte-avions a définitivement ravi au cuirassé le titre de Roi des Océans, précipitant ce dernier dans l'anonymat, et bientôt vers le parc à ferrailles...

Avec 45 000 tonnes, 250 mètres de long, une vitesse de 30 nœuds, et un puissant armement entièrement guidé par radars, le Vanguard est pourtant le navire de tous les superlatifs, soit le cuirassé  le plus gros, le plus rapide, le plus puissant,... et à vrai dire le meilleur jamais construit en Grande-Bretagne puisque bénéficiant d'une expérience de plus de 40 ans, acquise dans la douleur et le feu des combats.

Si certains lui reprochent encore ses "dents de grand-tante", et plus exactement ses huit canons de 380mm et ses quatre tourelles datant de 1915, les uns et les autres ont néanmoins donné pleine satisfaction sur d'autres bâtiments - dont le Warspite - tout au long de la 2ème G.M.

Mais en cette année 1946 où l'on parle à la fois de Paix éternelle et de triomphe de la Raison comme de feu nucléaire et de missiles téléguidés capables de frapper à des milliers de kilomètres de distance, en cette année 1946, donc, à quoi peuvent encore servir des pièces d'artillerie conventionnelles qui portent à peine à trente kilomètres ?

Et à quoi peut encore servir un cuirassé, fut-il le meilleur jamais sorti d'un chantier naval anglais ?

... et pourquoi pas de yacht royal ?


mardi 5 novembre 2013

3896 - sept ans plus tard...

... 30 novembre 1944

En ce 30 novembre 1944, et comme c'est la coutume, les ouvriers du chantier naval sont venus assister au lancement du dernier-né des cuirassés britanniques, le HMS Vanguard, qui, trois ans après sa mise sur cale, et cinq ans après sa commande initiale, est enfin baptisé par nulle autre que la Princesse - et future Reine - Elizabeth II alors âgée de 18 ans.

Mais si le baptême est princier et constitue d'ailleurs une première pour l'intéressée, le Vanguard, lui, est encore loin de pouvoir entrer en service !

Les aménagements intérieurs, les équipements, l'armement,... tout cela doit en effet encore être installé, puis testé, ce qui, même si le navire bénéficiait à présent d'une absolue priorité, exigerait encore de nombreux mois.

Et de fait, il faut attendre le 12 mai 1946 - soit dix-huit mois supplémentaires ! - avant de le voir en mesure de rallier les rangs d'une Royal Navy... qui ne sait déjà plus quoi en faire !

Car la guerre, cette guerre pour laquelle il a été conçu et commandé dans l'urgence (!), cette guerre est maintenant terminée depuis un an et, dans l'euphorie et les illusions qui continuent d'accompagner la toute jeune Organisation des Nations Unies, personne n'envisage la renaissance d'un conflit à court ou moyen terme ni, surtout, d'un conflit qui requerrait l'usage des énormes canons du Vanguard,  lequel, pour son plus grand malheur, se retrouve ainsi sans utilité...

lundi 4 novembre 2013

3895 - cet attachement si typique des Britanniques à l'égard des traditions surranées

... automne 1944

En cet automne de 1944, la construction du Vanguard, débutée trois ans auparavant, n'est toujours pas achevée.

Et à vrai dire, seule la force de l'inertie, et aussi cet attachement si typique des Britanniques à l'égard des traditions surranées, peuvent encore justifier la poursuite des travaux, car les chances que le Vanguard puisse entrer en service avant la fin prévisible de la guerre sont à présent quasiment nulles !

Et quand bien-même y arriverait-il, à quoi pourrait-il encore servir ?

En Méditerranée, les cuirassés de la Regia Marina se sont en effet rendus aux Britanniques en septembre 1943, et en Mer de Norvège, le Tirpitz, dernier grand navire de ligne allemand, a été irrémédiablement endommagé par un bombardement le 15 septembre 1944, et sera bientôt coulé par un autre le 12 novembre (1), en sorte qu'il n'y a plus guère que dans le Pacifique que le Vanguard pourrait encore trouver à s'employer.

Mais même là, la quasi-totalité de ses adversaires potentiels a déjà été envoyée par le fond, en ce compris le monstrueux Musashi de 70 000 tonnes (second et dernier cuirassé de la classe Yamato), coulé le 24 octobre par l'Aviation américaine lors de la Bataille de Leyte qui a également vu, le lendemain, la disparition du Yamashiro, ultime cuirassé jamais coulé par les obus d'un autre cuirassé...

(1) Saviez-vous que... Coulez le Tirpitz
(2) Saviez-vous que... 2715 à 2730 

dimanche 3 novembre 2013

3894 - aux USA, au Japon...

... aux États-Unis, la construction des Montana a donc été annulée au profit de nouveaux porte-avions, et celle des Iowa ralentie puis réduite d’un tiers pour la même raison

Mais les Japonais sont allés beaucoup plus loin encore : après avoir enfoncé toutes les limites du raisonnable, en commandant cinq Yamato de 70 000 tonnes dotés de neuf pièces de 456mm, puis dressé les plans de deux autres, encore plus gros, équipés de 6 à 8 canons de 510mm (!), les Japonais, donc, ont changé d’idée du tout au tout, annulant la construction des quatrième et cinquième Yamato et de leurs deux successeurs et, surtout, convertissant le troisième en un gigantesque porte-avions de 65 00 tonnes (1)

Car en juin 1942, un véritable désastre s’est abattu sur la Marine impériale qui, à Midway, a perdu son invincibilité en même temps que quatre de ses précieux porte-avions.

Tous les programmes de cuirassés ont alors été annulés, et tous les moyens disponibles reportés sur la construction de nouveaux porte-avions.

Au printemps 1943, la situation militaire continuant à se dégrader, une étape supplémentaire va encore être franchie : la conversion des vieux cuirassés Ise et Hyuga, mis en service en 1917 et 1918, en "cuirassés-porte-avions " hybrides (2), lesquels vont abandonner leurs deux tourelles arrière de 356mm au profit – très relatif ! – d’un pont d’envol de seulement 70 mètres de long prévu pour l’emport d’une vingtaine d’hydravions de bombardement…

(1) Ce porte-avions, le Shinano, ne fera cependant pas une longue carrière : mis en service le 19 novembre 1944, il sera coulé dix jours plus tard, sans un seul avion à son bord, par le sous-marin américain USS Archerfish
(2) Opération uniquement motivée par le désespoir, cette conversion ne constitua en réalité qu’un énorme gâchis de temps et de moyens, sans le moindre intérêt militaire

samedi 2 novembre 2013

3893 - pour quoi faire ?

... 1943

L'idée du Vanguard, rappelons-le, ne s'était imposée qu'une fois l'Amirauté britannique arrivée à la conclusion qu'aucun des six cuirassés de la classe Lion ne pourrait entrer en service avant 1944 ou 1945.

Le Vanguard n'était donc qu'un "plan B", accepté faute de mieux et surtout avec la conviction qu'en utilisant un maximum de pièces déjà existantes - en particulier l'armement - et en modifiant légèrement des plans eux aussi existants - ceux du Lion - on parviendrait à gagner quelques années et à offrir ainsi à la Royal Navy un nouveau cuirassé dont elle semblait avoir un urgent besoin (1)

Mais en raison des aléas et des pénuries dus à la guerre, et surtout des atermoiements de l'Amirauté elle-même, qui ne cesse d'exiger de nombreuses modifications, l'échéancier de mise en service du Vanguard rejoint à présent celui de la défunte classe Lion !

A quoi bon dès lors en poursuivre la construction, surtout si l'on considère qu'en trois ans, l'utilité de ce genre de bâtiments a dramatiquement chuté.

Aux États-Unis, la construction des cinq Montana de 66 000 tonnes et douze canons de 406mm, déjà suspendue depuis mai 1942, est formellement abandonnée en juillet 1943 au profit de la construction de nouveaux porte-avions.

Et même la classe précédente des Iowa n'échappe aux coupures : sur les six navires commandés, quatre seulement entreront finalement en service, mais avec beaucoup de retard, avant la Capitulation japonaise, tandis que les deux derniers demeureront à jamais inachevés...

(1) après la perte de ses huit cuirassés ancrés à Pearl Harbor, l'US Navy envisagea elle aussi semblables mesures d'urgence, et notamment le rachat au Chili du vieux dreadnought Almirante Lattore, construit en Grande-Bretagne et entré en service en 1915 sous le nom de HMS Canada


vendredi 1 novembre 2013

3892 - l'échéancier impossible

... 1942

En toute logique, la perte du Hood (mai 1941), du Barham (novembre 1941) et finalement du Prince of Wales et du Repulse (décembre 1941), tout cela devrait à présent donner un sérieux coup d'accélérateur à la construction du Vanguard.

Mais comme les sous-marins allemands sont toujours aussi nombreux dans l'Atlantique, la réparation et la construction de navires de transport, et de leurs indispensables escorteurs, demeure prioritaire et continue de mobiliser les ressources.

Et pour ne rien arranger, ni l'acceptation des plans ni la mise sur cale du Vanguard n'ont mis un terme à la manie des demandes de modifications !

Tirant prétexte de la poursuite du King George V et du Bismarck, où le premier cité a failli se retrouver en panne de mazout au beau milieu de l'Atlantique, l'Amirauté va ainsi réclamer une nouvelle majoration du volume des réservoirs mais aussi, après examen de la disparition du Prince of Wales (1) l'installation de nouvelles cloisons étanches et le repositionnement complet des hélices intérieures et extérieures, à présent séparées par plus de 15 mètres

Ajoutons-y d'autres demandes relatives à l'armement, aux équipements et aux radars, ou encore un tout nouveau dessin pour la proue (destiné à améliorer le comportement et la stabilité par mer agitée), et on comprend vite que l'échéancier de mise en service, déjà très optimiste, est devenu impossible à tenir et que le Vanguard risque de ne pas être prêt avant 1944 ou 1945 !

(1) le 10 décembre 1941, une torpille d'avion avait frappé et tordu l'arbre d'hélice extérieur bâbord du Prince of Wales. L'hélice et l'arbre, qui continuaient à tourner, avaient alors déchiré la coque du cuirassé, lui faisant embarquer plusieurs milliers de tonnes d'eau, qui avaient fini par noyer les machines.