lundi 14 août 2006

1254 - éviter la Berezina

... Dans une guerre, la frontière qui sépare le repli stratégique de la débandade pure et simple tient souvent à peu de choses.

Malgré son extrême répugnance à abandonner un terrain si chèrement conquis, et à accepter les arguments de ses généraux qui le suppliaient d'autoriser la retraite, Hitler comprenait néanmoins que l'armée allemande, épuisée par six mois de campagne meurtrière, n'avait pas les moyens de tenir le Front face à la centaine de divisions rassemblées par Joukov.

Mais dans son esprit, se profilait surtout le spectre de la Berezina, qui avait vu Napoleon perdre son armée - et bientôt son trône - en ordonnant une retraite précipitée en plein hiver. Une retraite qui s'était rapidement transformée en débâcle : forcés d'abandonner armes et matériel, privés de tout abri dans la steppe, mourant de faim et de froid, constamment harcelés par les Russes, les soldats de la Grande armée étaient morts par dizaines de milliers (1)

Aux considérations de prestige personnel et de fierté nationale s'ajoutait donc une authentique dimension stratégique : permettre à l'armée de retraiter dans l'hiver russe, c'était aussi courir le risque de la perdre complètement.

Au sein de l'État-major, certains voyaient même la guerre définitivement perdue, et les tanks russes, que rien ne semblait pouvoir arrêter, déjà aux portes de Berlin.

Totalement abattu, le Maréchal von Bock, dont les troupes avaient déjà reculé de plus de 100 kms, écrivit le 13 décembre qu'il fallait laisser à Hitler lui-même le soin de décider si son groupe d'armée centre devait tenter de tenir sur place, ou continuer à battre en retraite, le risque de voir l'armée s'effondrer étant, selon lui, le même dans les deux cas.

C'est Guderian qui, le 16 décembre, reçut la réponse du Führer : "Par l'engagement personnel du commandant, des commandants subalternes et des officiers, il fallait obliger les troupes à une résistance fanatique sur leurs positions, sans tenir compte de l'ennemi qui enfonçait les flancs ou l'arrière (...) Il ne saurait être question de retrait. Hormis en certains endroits où il y a eu pénétration profonde de l'ennemi" (2)

Des milliers de soldats allemands allaient payer cette décision de leur sang...

(1) au total, la Campagne de Russie coûta la vie à quelques 300 000 soldats français
(2) Kershaw, pp 661-662

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