samedi 18 mai 2024

7924 - la Truie Sauvage

La Truie Sauvage : les bombardiers sont rendus visibles par les nuages, éclairés par des projecteurs
... car de manière assez incroyable, un bon nombre des bombardiers abattus l’a été du fait de simple chasseurs monomoteur naviguant à vue et menés par le major Mayo Hermann !

Début 1943, Hermann, lui-même pilote émérite de bombardiers lors du Blitz sur Londres, a en effet imaginé une nouvelle manière de s’en prendre aux appareils ennemis : la "Truie Sauvage".

Schématiquement, Wilde Sau consiste à guider sommairement depuis le sol plusieurs dizaines d’intercepteurs, le plus souvent monomoteur, en direction du flot de bombardiers ennemis, qu’ils attaquent ensuite à vue, à haute altitude, à la lueur des incendies ou des projecteurs, ou alors - et mieux encore - lorsque ces derniers se dessinent en ombres chinoises au-dessus de nuages éclairés par en-dessous avec des projecteurs.

Longtemps sceptiques, les responsables de la Luftwaffe ont néanmoins fini par donner leur accord après le désastre de Hambourg, lorsque les radars, qui guidaient jusque-là les intercepteurs jusqu’au stream de bombardiers ennemis, ont été rendus inopérants par le brouillage.

Parce qu’elle permet de se passer de l’aide des dits radars, la Truie Sauvage a incontestablement bien des avantages,... mais elle n’en souffre hélas pas moins de sérieuses limitations.

D’abord, et vu qu'il est matériellement impossible de couvrir toute l’Allemagne de projecteurs, elle ne peut en effet être mise en œuvre qu’au-dessus de grandes villes comme, précisément, Berlin, c-à-d là où la concentration de faisceaux lumineux est susceptible de générer un éclairage suffisant...

vendredi 17 mai 2024

7923 - un bien mauvais début...

Largage de windows par un Lancaster, ici en 1944
... Berlin, 24 août 1943, 00h35

Même si elle ne débutera officiellement qu’à la mi-novembre, la Bataille aérienne de Berlin est précédée, dès la nuit du 23 au 24 août, par un premier raid mené par quelque 600 bombardiers qui, comme c’est désormais la coutume, sèment des milliers de windows tout au long de leur progression.

Mais si cette méthode, qui a fait merveille à Hambourg, "aveugle" une fois de plus les radars allemands, les résultats ne sont cette fois - et c’est bien le moins qu’on puisse en dire ! - pas au rendez-vous, puisque plus d’une quarantaine d'appareils sont rapidement envoyés au tapis, alors que la quasi-totalité des bombes tombe quant à elle dans la campagne, autour de la capitale !

Bien mauvais début, donc, et d'autant plus que les raids suivants, menés les 31 août, 01 puis 03 septembre, n’amènent aucune amélioration,... et ne font au contraire qu’accroître les pertes !

"Après deux autres raids coûteux – sur Mannheim, où le Bomber Command perdit trente-quatre bombardiers, et sur Munich, où il en perdit seize – la météo au-dessus de Berlin se détériora.

En dix-neuf jours, le Bomber Command avait perdu un tiers des quadrimoteurs engagés, et un quart de ses équipages.

Cela ne pouvait continuer ainsi; Harris décida alors de retarder la Bataille de Berlin jusqu'à ce que le Bomber Command trouve une solution à la Truie Sauvage" (1)

(1) Randall. op cit, page 193

jeudi 16 mai 2024

7922 - si le Passé est le moindrement garant de l’Avenir...

Arthur Harris, ou bombarder parce ce qu'il le faut et qu'on ne sait rien faire d'autre...
... mais même en pilonnant Berlin pendant des mois, même en y déversant au moins 40 000 tonnes de bombes explosives et incendiaires, peut-on réellement croire que l’on va enfin réussir à concrétiser la Prophétie de Douhet, à savoir raccourcir la guerre, et contraindre l’Allemagne à la Capitulation,... ce que ni le premier raid Millenium sur Cologne, ni les innombrables bombardements sur les différentes villes de la Vallée heureuse, ni celui, proprement apocalyptique, mené sur Hambourg, n’ont jusqu’ici réussi à provoquer ?

Berlin est certes la capitale et la plus grande ville d’Allemagne, le siège de ses ministères et de ses administrations, et aussi un centre industriel de première importance, mais le Reich n’a jusqu’ici jamais cessé de démontrer son extraordinaire résilience aux bombardements, et Führer lui-même, claquemuré dans son bunker de Rastenburg, où, depuis le début de la guerre, il passe la quasi-totalité de son temps (1), n’y réside pas, et se moque de toute manière de ce qui peut bien arriver à cette ville qu’il n’a jamais aimé.

Si le Passé est le moindrement garant de l’Avenir, on peut donc dores et déjà estimer que cette campagne qui s’annonce va elle aussi se solder par un nouvel et lamentable échec.

Mais alors, pourquoi s’entêter ? Pourquoi s’obstiner, nuit après nuit, à y expédier des centaines d’appareils et des milliers de jeunes-gens dont on sait par avance qu’un grand-nombre n’en reviendra pas ?

Et les réponses, désespérantes, sont toujours les mêmes : parce qu’il faut bien faire quelque chose; parce qu’on ne sait en définitive rien faire d’autre de tous ces bombardiers et de tous ces aviateurs qui, depuis des années, ont tout de même été construits et formés à grands frais; parce que la Grande-Bretagne se doit encore et toujours de montrer à Staline qu’à défaut de pouvoir ouvrir un Second Front en France, comme le Petit Père des Peuples le réclame depuis l’été de 1941, elle est du moins capable de clouer nombre d’Allemands dans leur Heimat; parce que les civils britanniques ne demandent en vérité qu’à voir périr les civils allemands, lesquels rêvent pour leur part de voir les civils britanniques subir le même sort; parce que les dirigeants britanniques - Churchill en tête - sont littéralement fascinés à la simple idée de réduire Berlin en cendres

... et aussi parce que Harris est bien décidé à y arriver !

(1) Saviez-vous que... La Tanière du Loup

mercredi 15 mai 2024

7921 - "40 000 tonnes de bombes"

Les "Tours à Flak" : des adversaires redoutables... et indestructibles !
... si chacun, à l’éventuelle exception d’Arthur Harris, peut désormais - et à bon droit ! - douter des théories de Douhet et de la possibilité de voir la guerre raccourcie par le "tout aérien", la perspective de voir Berlin transformée en montagne de gravats, et nombre de ses habitants en petits tas de cendres, n’en sonne pas moins agréablement à l’oreille de la grande majorité des Britanniques, et évidemment à celles de Churchill qui, nous l’avons dit, n’a du reste jamais cessé, depuis au moins 1942, de réclamer du Bomber Command qu’il s’en prenne à la "grande ville".

Le 19 août 1943, soit deux jours après le premier bombardement américain sur Schweinfurt, et au lendemain du raid britannique sur Peenemünde, le Vieux Lion a encore réitéré sa demande à Harris qui, sans surprise, lui a aussitôt répondu avec enthousiasme, et lui a annoncé son intention de bombarder la capitale du Reich "aussitôt que possible", perspective d'autant plus agréable qu'elle lui évitera d'avoir à trouver de nouvelles excuses... pour ne pas bombarder Schweinfurt en appui aux Américains !

Néanmoins réaliste, Harris a cependant souligné dans sa missive que cette Bataille de Berlin "prendrait du temps", qu’elle coûterait cher en équipages britanniques, et aussi qu’elle réclamerait au moins... "40 000 tonnes de bombes" !

Quarante mille tonnes de bombes sur une seule ville ! Presque cinq fois plus qu’à Hambourg, trente fois plus qu’à Cologne, quatre-vingt-huit fois plus qu’à Coventry et même... quatre cents fois plus qu’à Rotterdam !

Les chiffres, désormais, ne veulent plus dire grand-chose,... et ne voudront plus rien dire du tout dans à peine deux ans, lorsque, grâce aux efforts des scientifiques qui s'ingénient jour et nuit à imaginer des moyens plus performants pour tuer leurs prochains, une unique bombe, affectueusement surnommée Little Boy, autrement dit Petit Garçon, représentera à elle seule l’équivalant de... 15 000 tonnes de TNT !

Mais n’anticipons pas...

mardi 14 mai 2024

7920 - Objectif Berlin !

Harris s'attendait à perdre jusqu'à 500 avions au-dessus de Berlin. Il n'allait pas être déçu...
... mais pour toutes ces raisons - et on pourrait encore en trouver d’autres - Berlin est aussi la ville la plus défendue d’Allemagne !

Anéantir une ville de cette taille, ainsi qu’une bonne partie de ses quatre millions d’habitants, ne sera donc pas une tâche facile, ce pourquoi Harris a-t-il prévu non pas un, mais bien plusieurs dizaines (!) de bombardements, d’ampleurs variées, qui vont se succéder à intervalles plus ou moins réguliers sur pas moins de sept mois !

Schématiquement, on peut donc dire de cette future Bataille aérienne de Berlin qu’elle sera le compromis, ou l’enfant illégitime, de la Bataille de la Rühr et du Bombardement de Hambourg.

Vu la longueur de cette campagne, et la résistance - que l’on prévoit acharnée - de la Flak et de la chasse de nuit allemande, on peut également s’attendre à subir de lourdes pertes dans ses propres rangs.

Après avoir perdu quelque 800 avions en cinq mois d’opérations au-dessus de la Vallée heureuse, et encore 90 autres en dix jours au-dessus de Hambourg, Harris s’attend d’ailleurs à en perdre jusqu'à 500 de plus au-dessus de la capitale du Reich 

"Nous pouvons détruire Berlin de bout en bout si l'USAAF se joint à nous", a-t-il déclaré. "Cela nous coûtera entre 400 et 500 avions [mais] cela coûtera la guerre à l'Allemagne".

Mais le problème, déjà, c’est que l’USAAF continue de refuser toute idée de bombardement de nuit, et aussi que, décimée par ses récents raids, elle n’a de toute manière aucune intention de se présenter de jour au-dessus de Berlin,... du moins tant et aussi longtemps qu’elle ne disposera pas de chasseurs en mesure d’accompagner ses bombardiers jusque-là.

Et reste aussi qu’après tant de promesses jamais concrétisées, on peut se demander si, en dehors de Harris lui-même, il reste encore quelqu’un dans le camp allié pour croire que la destruction de Berlin, à supposer-même qu’elle se réalise, provoquera réellement la chute du Troisième Reich...

lundi 13 mai 2024

7919 - une véritable cible militaire

Raser Berlin : une entreprise complexe, qui ne manquerait pas de provoquer de lourdes pertes
... plus que tout autre ville du Reich, et en dépit des quelque quatre millions de civils qu'elle héberge, Berlin constitue, en soi, une véritable cible militaire.

Outre ses administrations, ses ministères, et, bien sûr, la Chancellerie elle-même, Berlin, malgré un début de délocalisation des industries vers des grottes ou des tunnels ferroviaires, reste en effet, en cette fin de 1943, presque entièrement dédiée à la production de guerre, et abrite encore la moitié de l'industrie électromécanique allemande, avec des usines comme AEG (radios, isolateurs, générateurs), Telefunken (radios, radars) ou Robert Bosch (allumages pour véhicules et avions)

Mais Berlin est aussi le troisième centre de production de roulements à billes d'Allemagne, un important centre de constructions aéronautique, avec les usines Heinkel (d’où sortent 26 bombardiers quadrimoteurs He-177 par mois), Henschel (avions d'assaut Hs-129 et bombardiers Ju-88), Focke-Wulf, Dornier et Flettner, l'usine de moteurs Argus (occupée à fabriquer les pulsoréacteurs des bientôt célèbres fusées V1), et bien sûr l'immense usine de Daimler-Benz à Genshagen, qui produit à elle seule 20% des moteurs d'avions allemands.

De leur côté, Auto-Union (qui s'appellera un jour Audi) et Alkett produisent en grande série les blindés et canons automoteurs dessinés, notamment, par Ferdinand Porsche, et dont Maybach, installé à Tempelhof, réalise quant à lui les moteurs, tandis que des milliers de camions et de véhicules militaires de toutes sortes sortent pour leur part des usines Demag à Staaken, ou encore Büssing et Nationale Automobile à Oberschöneweide.

Outre un indéniable impact psychologique, raser une fois pour toutes la capitale de "l'Empire du Mal" cadre donc parfaitement avec les théories défendues par Douhet.

Reste néanmoins à y arriver...

... et aussi à se convaincre qu’en y arrivant, on pourra réellement mettre un terme à la guerre...

dimanche 12 mai 2024

7918 - l'objectif ultime

Même protégés par la nuit, les bombardiers restaient vulnérables, notamment aux Shrage Musik
... les dernières pertes de la 8ème Air Force sur Schweinfurt, suivies par son retrait forcé de l’espace aérien allemand, ne peuvent en revanche que convaincre les Britanniques, et bien sûr Arthur Harris (!), de la supériorité du Bomber Command et de sa propre doctrine d’engagement.

Chacun, incluant Harris lui-même, est certes prêt à reconnaître que les attaques de jour sur des objectifs réellement militaires et non pas sur des villes peuvent donner de bons résultats et, ne serait-ce que par nature, qu’elles s’avèrent de surcroit généralement plus précises que celles menées de nuit.

Mais tout le monde, à commencer par Harris, s’entend également sur le fait qu’elles provoquent trop de pertes parmi les équipages, et des pertes qui, au-dessus du territoire allemand, deviennent même carrément insupportables !

Après cinq mois de raids sur la "Vallée heureuse", après avoir proprement incinéré Hambourg, et aussi après les bombardements américains sur les usines de Regensburg, Schweinfurt, Brème, ou encore Francfort, Harris estime en tout cas que le Bomber Command est à présent suffisamment fort, et l’Allemagne suffisamment affaiblie, pour passer à la vitesse supérieure et à l’objectif ultime...

...Berlin.

Berlin, la capitale du Reich millénaire, et donc de ce Reich mille fois honni que l’on s’est juré d'abattre, et dont on espère précipiter la chute en s’en prenant au centre-même de son Pouvoir.

Mais si la destruction de Cologne, de toutes les villes de la Rühr, de Hambourg et de tant d’autres cités allemandes n’a jusqu’ici nullement incité les responsables du Reich à déposer les armes, ni la population du Reich à se révolter contre ces derniers, peut-on réellement croire que celle de Berlin y parviendra...