mardi 14 mai 2024

7920 - Objectif Berlin !

Harris s'attendait à perdre jusqu'à 500 avions au-dessus de Berlin. Il n'allait pas être déçu...
... mais pour toutes ces raisons - et on pourrait encore en trouver d’autres - Berlin est aussi la ville la plus défendue d’Allemagne !

Anéantir une ville de cette taille, ainsi qu’une bonne partie de ses quatre millions d’habitants, ne sera donc pas une tâche facile, ce pourquoi Harris a-t-il prévu non pas un, mais bien plusieurs dizaines (!) de bombardements, d’ampleurs variées, qui vont se succéder à intervalles plus ou moins réguliers sur pas moins de sept mois !

Schématiquement, on peut donc dire de cette future Bataille aérienne de Berlin qu’elle sera le compromis, ou l’enfant illégitime, de la Bataille de la Rühr et du Bombardement de Hambourg.

Vu la longueur de cette campagne, et la résistance - que l’on prévoit acharnée - de la Flak et de la chasse de nuit allemande, on peut également s’attendre à subir de lourdes pertes dans ses propres rangs.

Après avoir perdu quelque 800 avions en cinq mois d’opérations au-dessus de la Vallée heureuse, et encore 90 autres en dix jours au-dessus de Hambourg, Harris s’attend d’ailleurs à en perdre jusqu'à 500 de plus au-dessus de la capitale du Reich 

"Nous pouvons détruire Berlin de bout en bout si l'USAAF se joint à nous", a-t-il déclaré. "Cela nous coûtera entre 400 et 500 avions [mais] cela coûtera la guerre à l'Allemagne".

Mais le problème, déjà, c’est que l’USAAF continue de refuser toute idée de bombardement de nuit, et aussi que, décimée par ses récents raids, elle n’a de toute manière aucune intention de se présenter de jour au-dessus de Berlin,... du moins tant et aussi longtemps qu’elle ne disposera pas de chasseurs en mesure d’accompagner ses bombardiers jusque-là.

Et reste aussi qu’après tant de promesses jamais concrétisées, on peut se demander si, en dehors de Harris lui-même, il reste encore quelqu’un dans le camp allié pour croire que la destruction de Berlin, à supposer-même qu’elle se réalise, provoquera réellement la chute du Troisième Reich...

lundi 13 mai 2024

7919 - une véritable cible militaire

Raser Berlin : une entreprise complexe, qui ne manquerait pas de provoquer de lourdes pertes
... plus que tout autre ville du Reich, et en dépit des quelque quatre millions de civils qu'elle héberge, Berlin constitue, en soi, une véritable cible militaire.

Outre ses administrations, ses ministères, et, bien sûr, la Chancellerie elle-même, Berlin, malgré un début de délocalisation des industries vers des grottes ou des tunnels ferroviaires, reste en effet, en cette fin de 1943, presque entièrement dédiée à la production de guerre, et abrite encore la moitié de l'industrie électromécanique allemande, avec des usines comme AEG (radios, isolateurs, générateurs), Telefunken (radios, radars) ou Robert Bosch (allumages pour véhicules et avions)

Mais Berlin est aussi le troisième centre de production de roulements à billes d'Allemagne, un important centre de constructions aéronautique, avec les usines Heinkel (d’où sortent 26 bombardiers quadrimoteurs He-177 par mois), Henschel (avions d'assaut Hs-129 et bombardiers Ju-88), Focke-Wulf, Dornier et Flettner, l'usine de moteurs Argus (occupée à fabriquer les pulsoréacteurs des bientôt célèbres fusées V1), et bien sûr l'immense usine de Daimler-Benz à Genshagen, qui produit à elle seule 20% des moteurs d'avions allemands.

De leur côté, Auto-Union (qui s'appellera un jour Audi) et Alkett produisent en grande série les blindés et canons automoteurs dessinés, notamment, par Ferdinand Porsche, et dont Maybach, installé à Tempelhof, réalise quant à lui les moteurs, tandis que des milliers de camions et de véhicules militaires de toutes sortes sortent pour leur part des usines Demag à Staaken, ou encore Büssing et Nationale Automobile à Oberschöneweide.

Outre un indéniable impact psychologique, raser une fois pour toutes la capitale de "l'Empire du Mal" cadre donc parfaitement avec les théories défendues par Douhet.

Reste néanmoins à y arriver...

... et aussi à se convaincre qu’en y arrivant, on pourra réellement mettre un terme à la guerre...

dimanche 12 mai 2024

7918 - l'objectif ultime

Même protégés par la nuit, les bombardiers restaient vulnérables, notamment aux Shrage Musik
... les dernières pertes de la 8ème Air Force sur Schweinfurt, suivies par son retrait forcé de l’espace aérien allemand, ne peuvent en revanche que convaincre les Britanniques, et bien sûr Arthur Harris (!), de la supériorité du Bomber Command et de sa propre doctrine d’engagement.

Chacun, incluant Harris lui-même, est certes prêt à reconnaître que les attaques de jour sur des objectifs réellement militaires et non pas sur des villes peuvent donner de bons résultats et, ne serait-ce que par nature, qu’elles s’avèrent de surcroit généralement plus précises que celles menées de nuit.

Mais tout le monde, à commencer par Harris, s’entend également sur le fait qu’elles provoquent trop de pertes parmi les équipages, et des pertes qui, au-dessus du territoire allemand, deviennent même carrément insupportables !

Après cinq mois de raids sur la "Vallée heureuse", après avoir proprement incinéré Hambourg, et aussi après les bombardements américains sur les usines de Regensburg, Schweinfurt, Brème, ou encore Francfort, Harris estime en tout cas que le Bomber Command est à présent suffisamment fort, et l’Allemagne suffisamment affaiblie, pour passer à la vitesse supérieure et à l’objectif ultime...

...Berlin.

Berlin, la capitale du Reich millénaire, et donc de ce Reich mille fois honni que l’on s’est juré d'abattre, et dont on espère précipiter la chute en s’en prenant au centre-même de son Pouvoir.

Mais si la destruction de Cologne, de toutes les villes de la Rühr, de Hambourg et de tant d’autres cités allemandes n’a jusqu’ici nullement incité les responsables du Reich à déposer les armes, ni la population du Reich à se révolter contre ces derniers, peut-on réellement croire que celle de Berlin y parviendra...

samedi 11 mai 2024

7917 - une vérité de plus en plus alternative

Goering et Hitler : "J’affirme officiellement que les avions de combat américains n’ont jamais atteint Aachen !"
... ne pouvant croire la réaction de Goering, Galland s’efforce néanmoins de répliquer.

- "Vous avez déjà plané vers l'est, monsieur ? Si mon propre avion était abattu…"
- "J’affirme officiellement que les avions de combat américains n’ont jamais atteint Aachen !".
- "Mais, monsieur, ils étaient là !"
- "Je vous donne par la présente un ordre officiel indiquant qu'ils n'étaient pas là ! Est-ce que vous comprenez ? Les chasseurs américains n’étaient pas là ! Vous saisissez ? J’ai l’intention d’en informer le Führer. Vous avez mon ordre officiel !" (1)
- "Oui, Monsieur, les ordres sont les ordres..."

Une fois de plus, et comme à Cologne - rappelons-nous - Goering refuse ainsi d’accepter les faits lorsqu’on les lui présente, et s’enferme dans ce que d’aucuns appellerait aujourd’hui non pas un "mensonge", mais bien une "vérité alternative".

Ce n’est donc pas la première fois, ce ne sera pas non plus la dernière (2), et, psychologiquement, la logique du Reichsmarschall peut sans doute se comprendre : reconnaître que les chasseurs américains sont déjà aux portes du Reich, c’est en effet reconnaître qu’ils les franchiront bientôt... avec toutes les conséquences que cela implique pour l’Allemagne (!), et c’est aussi reconnaître quelque chose que le Führer, de son côté, n’a lui non plus aucune envie de reconnaître ni même d'entendre !

Le problème, c'est que personne n’a jamais gagné la moindre guerre par son refus obstiné d’admettre la réalité des faits...

(1) cité par Randall, op cit, pages 178-179
(2) le 09 janvier 1945, lorsque le général Guderian s’efforcera pour sa part d’expliquer à Hitler que, selon les dernières reconnaissances aériennes en sa possession, les Soviétiques ont massé près de 8 000 (!) avions de combat sur la Vistule et en Prusse orientale, ce dernier sera lui aussi interrompu par Goering, qui s’exclamera "Ne croyez pas cela, Mein Führer ! Ce ne sont pas de vrais avions. Ce sont simplement des leurres !"


vendredi 10 mai 2024

7916 - "C’était quoi cette idée de dire au Führer que des chasseurs américains ont pénétré sur le territoire du Reich ?"

Réservoir largable de 75 gallons (280 litres) sous l'aile d'un P-51B
... après ce second raid sur Schweinfurt, l’heure est en tout cas à l’optimisme dans le camp allemand.

Ce dernier bombardement américain a, il est vrai, causé de nouveaux et importants dommages aux usines de roulements à billes, mais il n’y a rien là d’irréparable et, surtout, les Américains, comme ne cesse d’ailleurs de le proclamer le Reichsmarschall Goering, ne sauraient continuer longtemps avec de telles pertes !

Certains, à commencer par Galland, sont néanmoins dubitatifs, en particulier depuis que des épaves de chasseurs américains - qui n’avaient pourtant pas encore été dotés de dispositifs destinés à accroître leur autonomie - ont été retrouvées jusqu’à Aachen, c-à-d déjà aux limites du territoire du Reich.

Après avoir rapporté la nouvelle à Hitler, l’intéressé a d'ailleurs été aussitôt convoqué par Goering dans son train spécial.

- "C’était quoi cette idée de dire au Führer que des chasseurs américains ont pénétré sur le territoire du Reich ?"
- "Herr Reichsmarschall, ils voleront bientôt encore plus profondément"
- "C’est absurde ! Qu'est-ce qui vous donne de tels fantasmes ? C’est du pur bluff !"
- "Voilà, ce sont les faits, Herr Reichsmarschall. Des chasseurs américains ont été abattus au-dessus d’Aachen. Il n’y a aucun doute là-dessus"
- "Ce n’est tout simplement pas vrai, Galland. C'est impossible"
- "Vous pourriez aller vérifier la situation vous-même, monsieur. Les avions abattus sont à Aachen"
- "Allons, Galland, laissez-moi vous dire quelque chose. Je suis moi-même un pilote de chasse expérimenté. Je sais ce qui est possible. Mais je sais aussi ce qui ne l’est pas. Admettez que vous avez fait une erreur. Ce qui a dû se passer, c'est qu'ils ont été abattus beaucoup plus à l'ouest. Je veux dire, s’ils étaient très haut dans les airs lorsqu’ils ont été abattus, ils auraient pu planer bien plus loin avant de s’écraser !"

jeudi 9 mai 2024

7915 - appelez-moi Mustang

Le P-51B à réservoirs largables : la solution au problème de l'escorte des bombardiers
...  reste qu’après Brème, Marienbourg, Munster et Schweinfurt, la 8ème Air Force, qui vient de perdre pas moins de 148 appareils en une semaine (!), et en a vu au moins autant prendre la direction du parc à ferrailles, n’a maintenant plus d’autre choix que de suspendre ses opération,... ou plus exactement toutes les missions de pénétration à l’intérieur du territoire allemand, et ce jusqu’à ce qu’ingénieurs et industriels soient en mesure de découvrir sinon la quadrature du cercle, du moins le moyen de permettre à un chasseur américain monomoteur de bénéficier d’un rayon d’action égal à celui d’un bombardier quadrimoteur !

Et cette solution existe,... du moins sur le papier, depuis plusieurs mois, puisqu’il "suffirait", en théorie, de doter un tel chasseur de réservoirs supplémentaires à la fois largables et offrant le volume de carburant adéquat.

Des deux candidats examinés, le P-47 et le P-51, le second semble le plus prometteur, surtout depuis qu’il a troqué son moteur Allison V-1710 d’origine qui, faute d’un compresseur à deux étages, s’essoufflait à haute altitude, au profit d’un Rolls-Royce "Merlin" - le même que celui du Spitfire - construit sous licence par Packard.

En y ajoutant un réservoir largable de 280 litres sous chaque aile, et un autre, fixe, de 320 litres boulonné dans le fuselage juste derrière le pilote, le P-51, que tout le monde appelle désormais "Mustang", semble à présent en mesure d’escorter les bombardiers jusqu’en Allemagne-même (1)

Reste cependant à lui apporter les "quelques petites modifications" qui lui permettront réellement d’emporter tout cela, à les tester toutes en vol,... et enfin, et surtout, à fabriquer en grande série non seulement les réservoirs, mais aussi toutes les pièces nécessaires à leur installation, ce qui, à l’évidence, va exiger plusieurs mois, et reporter la mise en service opérationnel au mieux à la toute fin de 1943...

(1) des modifications analogues seront également apportées au P-47 qui, néanmoins, abandonnera progressivement son rôle d’escorteur pour celui de chasseur-bombardier

mercredi 8 mai 2024

7914 - le durcissement

Touché par un coup direct sur le poste de pilotage, un B-17 s'abat en flammes
... aujourd’hui totalement oublié par l’Histoire qui, pour d’évidentes raisons, lui a depuis longtemps préféré celui de Schweinfurt, le Bombardement de Munster par la 8ème Air Force, le 10 octobre 1943, n’en marque une étape décisive de la guerre aérienne.

Pour la première fois, les Américains se sont en effet ralliés à la logique britannique, et ont délibérément visé un centre-ville et des immeubles d’habitation.

Des villes avaient certes déjà été atteintes auparavant, et des quartiers entiers rasés, mais il ne s’agissait encore que de "dommages collatéraux" bien entendu regrettables mais dus à des erreurs de visée, des problèmes techniques, une mauvaise météo, ou encore à la simple et très humaine volonté des équipages américains de ne pas s’attarder plus que de raison au-dessus d’une zone infestée de canons anti-aériens et de chasseurs allemands.

A Munster, en revanche, la 8ème, qui venait elle-même de subir de très lourdes pertes, et qui s’apprêtait à en subir d’encore bien pires, a volontairement ciblé une cathédrale, un dimanche, à midi, dans le but évident de tuer le plus de civils allemands possible, et de détruire autant de leurs maisons que possible, avec, pour seule justification, le fait que nombre d’entre-eux travaillaient à la gare de triage avoisinante et que, sans eux, morts ou contraints de déménager dans une autre ville, la dite gare verrait ses propres activités inévitablement réduites.

La 8ème n’en est pas encore au point de vouloir incinérer toutes les villes allemandes et leurs habitants, comme le Bomber Command s’efforce quant à lui de le faire depuis des mois, mais un verrou moral autant que tactique, a visiblement sauté, qui va entraîner un considérable durcissement de cette guerre aérienne que beaucoup pensait pourtant décisive et surtout de nature à abréger la fin du conflit, mais qui, au contraire, ne cesse de se prolonger elle-même sans que plus personne ne semble en mesure d'en prévoir la fin...