mardi 31 janvier 2006

1059 - et pourtant, elle vole...

... en décidant d'abandonner le programme du bombardier XB-35 à hélices, l'USAAF avait néanmoins permis à Northrop d'achever la construction de la quinzaine d'exemplaires de présérie, qui serviraient de bancs d'essais volants avant d'être progressivement convertis en version YB-49 à réaction.

Débutés en juin 1946, les essais des XB-35 se poursuivirent jusqu'en 1948. S'ils permirent d'accumuler une expérience considérable sur le comportement des ailes volantes, ils confirmèrent également leur instabilité congénitale et l'inadéquation complète des moteurs Pratt & Whitney aux XB-35, sur lesquels ils vibraient et surchauffaient excessivement.

Débutée dès juin 1945, la conversion de deux exemplaires de XB-35 à hélices en YB-49 à réaction prit bien plus de temps que prévu. Le premier vol n'eut en effet lieu qu'en octobre 1947. Il avait en effet fallu adapter tant bien que mal une structure qui, initialement prévue pour quatre moteurs à hélices, n'était pas dessinée - ni dimensionnée - pour recevoir huit moteurs à réaction, leurs prises d'air et - surtout - leurs énormes réservoirs de carburant.

A plus de 800 kms/h, la vitesse maximale de la version à réaction effectuait un bon de près de 200 kms/h sur la version à hélices. Mais la consommation bien plus élevée des réacteurs réduisait du même coup l'autonomie de plus de 50%, passant d'environ 12 000 à moins de 5 000 kms (!) Dans ces conditions, il n'était plus possible de présenter le YB-49 comme "bombardier transatlantique". Bien que jugées considérables en 1941, ses capacités d'emport le rétrogradaient d'ailleurs au rang de "bombardier moyen" en 1947, fort loin de celles du futur Boeing B52.

Dit autrement, la merveilleuse aile volante Northrop avait été rattrapée par les progrès réalisés sur les avions conventionnels, sans que soit pour autant résolus les problèmes de stabilité qui accablaient le programme depuis le début. Il aurait fallu concevoir un tout nouvel avion, avec des réservoirs véritablement adaptés à la consommation gargantuesque des réacteurs de l'époque. L'Air Force, déjà engagée dans le programme des futurs bombardiers B-47 et B-52, n'en avait pas les moyens. L'écrasement du second prototype, le 5 juin 1948, ne fit rien pour arranger les choses.

Les responsables de l'Air Force avaient tout simplement perdu la foi dans les ailes volantes, ainsi que dans les capacités de Northrop à en faire un jour des machines véritablement opérationnelles. La conversion des derniers XB-35 à hélices en YB-49 à réaction fut annulée, et les avions survivants envoyés à la ferraille les uns après les autres. Le 15 mai 1950, le programme fut définitivement enterré. Le même jour, le premier prototype fut entièrement détruit par un incendie provoqué par un accident sur l'aire de parking de la base d'Edwards.

Cette fois, c'était vraiment la fin, et plus personne n'entendit parler des ailes volantes pendant plus d'une génération, jusqu'à ce que les progrès de l'électronique embarquée permettent enfin à leur lointain héritier - le bombardier furtif B-2 - de réaliser leurs promesses...

lundi 30 janvier 2006

1058 - les grandes espérances
















... avec des si, et surtout l'électronique d'aujourd'hui, l'Aéronautique que nous connaissons aurait sans doute un autre visage. Mais quand les grandes ailes volantes de Jack Northrop s'élancèrent dans le ciel, à la fin des années 1940, les commandes électriques, le contrôle dynamique et les micro-processeurs n'existaient pas encore, et le pilotage assisté par ordinateur n'était qu'une vue de l'esprit.

Qu'elles soient allemandes ou américaines, issues du cerveau des frères Horten ou de celui de Jack Northrop, les ailes volantes dépourvues de nos modernes gadgets restaient à la merci des éléments et ne dépendaient pour leur survie que de l'habileté de leurs pilotes, lesquels, habitués aux avions classiques, avaient bien du mal à en appréhender les réactions, et plus encore à les maîtriser.

Le Boeing B-29 n'avait pas encore effectué son premier vol que déjà l'USAAF se mit à songer à son remplacement, qui devrait cette fois s'avérer capable de franchir une distance de près de 16 000 kms sans escale, donc d'être en mesure de décoller des États-Unis pour bombarder directement l'Allemagne et en revenir (!).

Comme les ingénieurs allemands l'apprirent également à leurs dépens, pareille performance dépassait de fort loin les capacités techniques de l'époque. Et de fait, la guerre était déjà terminée avant que le Consolidated B-36 - qui finalement remporta l'appel d'offres de l'USAAF - ne puisse entrer en service,... sans pour autant satisfaire aux exigences du cahier des charges.

Bien qu'écartée au profit de celle - bien plus classique - de Consolidated, la proposition XB-35 de Northrop pour une aile volante retint néanmoins suffisamment l'attention de l'USAAF que pour se voir accorder un financement destiné à la construction d'une quinzaine de B-35 de présérie ainsi que celle de quatre démonstrateurs N9M, à l'échelle 1/3

Malheureusement, le programme d'essais fut entaché de nombreux incidents et accidents - dont le crash d'un des démonstrateurs - attribuables tantôt aux moteurs, tantôt aux doublets d'hélices contra-rotatives, tantôt aux éternels problèmes de stabilité inhérents à la formule-même de l'aile volante. Début 1944, il devint évident que le XB-35 (pas plus d'ailleurs que le B-36) ne serait prêt avant la fin de la guerre : les véritables versions de série - qui n'atteindraient de toute manière pas les performances promises - ne pourraient en effet - au mieux - être livrée que début 1947.

Pire encore : les progrès fulgurants enregistrés sur les moteurs à réaction condamnaient par avance la formule de l'aile volante à hélices. Sagement, l'USAAF décida alors d'annuler tout le programme du XB-35. Les exemplaires de présérie, qui n'avaient pas encore pris l'air, seraient néanmoins achevés afin de servir de bancs d'essais volants, et pour être progressivement convertis à la réaction, en remplaçant leurs quatre moteurs Pratt & Whitney par huit turboréacteurs Allison, lesquels offriraient - du moins l'espérait-on - une seconde vie à l'avion, et une nouvelle chance aux ailes volantes...

dimanche 29 janvier 2006

1057 - si son nez avait été moins long

... le grand avionneur Marcel Dassault avait coutume de dire que si un avion était beau, il volerait bien. Les ingénieurs de Grumman auraient assurément dû s'inspirer de cette maxime lorsqu'ils conçurent le XF5-F1 "Skyrocket".

Esthétiquement déjà, avec son aile dépassant largement de l'avant du fuselage, et ses moteurs qui semblaient bien trop gros pour lui, l'avion était véritablement horrible. Répondant à un programme de la Navy de 1938 pour un chasseur embarqué capable d'atteindre près de 400 Mph, le prototype du "Skyrocket" volait d'ailleurs si mal qu'il ruina très vite toutes ses chances auprès de la Navy, laquelle lui préféra le dessin, beaucoup plus élégant, de Vought, qui devait donner naissance au célèbre "Corsair"

Les allongements successifs du nez permirent de résoudre progressivement les défauts de l'avion, et notamment son excès de traînée aérodynamique, mais ne firent pas grand-chose pour améliorer son esthétique. Né moche, le malheureux "Skyrocket" était condamné à rester moche, y compris lorsque Grumman en proposa une variante (XP-50) légèrement modifiée à l'USAAF qui, un an après la marine, réclamait elle aussi un intercepteur correspondant grosso-modo aux mêmes spécifications.

Las ! Après avoir échoué face au prototype de Vought, le "Skyrocket" (légèrement) redessiné échoua face au prototype de Lockheed, lequel, sous sa future dénomination de P-38 "Lightning" devait lui aussi accéder à la célébrité tandis que le "Skyrocket" sombrait totalement dans l'oubli...

samedi 28 janvier 2006

1056 - costaud, mais inutile

... aux antipodes du maigrelet Bell XP-77, le Supermarine "Spiteful" se voulait couronnement logique de la longue et glorieuse lignée des "Spitfire" apparue en 1936. Il en fut seulement le dernier et inutile rejeton.

Fin 1942, alors qu'ils songeaient aux futurs développements du "Spitfire", les ingénieurs de Supermarine envisagèrent de remplacer la traditionnelle et caractéristique aile elliptique de l'avion par un nouveau profil, directement inspiré de celui du North American P-51 "Mustang" qui venait juste d'entrer en service. Ce profil, dit "à écoulement laminaire" était réputé plus efficace et plus sûr à très grande vitesse.

En juin 1944, cette nouvelle aile - et son train d'atterrissage modifié - fut testée sur un Spitfire Mk XIV traditionnel, démontrant tout à la fois une légère amélioration de la vitesse de pointe... et une sérieuse dégradation du comportement à basse vitesse. A l'évidence, on ne pouvait se contenter de la simple greffe d'une aile d'un profil différent : il fallait quasiment construire un nouvel avion, qui serait propulsé par le nouveau Rolls-Royce "Griffon", affichant 1 400 CV... de plus que le "Merlin" de 1936 (!)

Il fallut néanmoins attendre janvier 1945 pour assister au premier vol du prototype du véritable "Spiteful" de série, lequel réclama plusieurs modifications qui n'étaient pas encore terminées à la capitulation de l'Allemagne.

Ne conservant plus qu'une vague ressemblance avec son ancêtre, le "Spiteful" était assurément un monstre de puissance et, avec 780 kms/h, le plus rapide "Spitfire" jamais construit. Mais c'était aussi le premier "Spitfire" à avoir aussi clairement atteint les limites extrêmes de son développement et de celui des moteurs à pistons.

L'avenir étant clairement à la réaction, la production prévue de 370 exemplaires fut bientôt ramenée à... 17, ferraillés les uns après les autres dans l'immédiat après-guerre. Triste fin pour un avion qui aurait assurément mérité mieux mais qui était né trop tard...

vendredi 27 janvier 2006

1055 - le gringalet

... avant même le début de la Seconde Guerre mondiale, les comptables du monde entier s'étaient rendus compte que si les performances des avions ne cessaient d'augmenter, leur complexité - et surtout leur coût - ne cessaient eux aussi de suivre une courbe exponentielle.

Conscients du phénomène, et des risques que cette véritable explosion des budgets faisaient peser sur leur activité, les constructeurs explorèrent, à différentes reprises, la piste du "chasseur léger", volontairement simple (pour ne pas dire "simpliste"), construit bien évidemment en matériaux non stratégiques (le plus souvent en bois) et le plus légèrement possible, ce qui impliquait évidemment un armement réduit, une quasi-absence de blindage, et un moteur choisi davantage pour son économie que pour ses performances.

Naturellement, l'engin devait néanmoins demeurer capable d'affronter ses rivaux plus lourds, plus puissants, plus sophistiqués et plus coûteux, ce qui, si cela s'était avéré réalisable, aurait assurément amené les comptables à se demander pour quelle mystérieuse raison ils avaient honoré pendant des années les factures de ces derniers (!) Mais, comme il fallait s'y attendre, du Caudron-Renault au Heinkel "Volksjager", en passant par le Bell XP-77, la formule du "chasseur léger et économique" n'aboutit en réalité qu'à créer des gringalets non seulement incapables de se mesurer à leurs rivaux plus costauds, mais coûtant de surcroît presque aussi cher qu'eux...

Construit presque entièrement en bois, et minimaliste à tout point de vue (1 500 kgs et deux mitrailleuses seulement), le Bell XP-77 contrastait singulièrement avec le reste d'une production américaine débordant littéralement de mitrailleuses, plaques de blindage et chevaux vapeurs.

Avec 500 CV seulement - le quart de ce dont disposait un "Corsair" ! - les performances du XP-77 s'avérèrent également si pitoyables que l'USAAF, qui en avait commandé 25 exemplaires "pour voir" en 1942, décida deux ans plus tard d'y renoncer avant même les premiers vols,... qui démontrèrent l'inutilité totale du programme et de l'argent qui y avait été investi...

jeudi 26 janvier 2006

1054 - le Grizzly volant

... en 1942, l'USAAF américaine lança un appel d'offres pour un "destroyer" spécialement destiné à l'attaque des bunkers, tanks, et autres engins blindés.

Contre toute attente, ce fut la petite société Beech - jusque-là connue pour ses petits avions de tourisme - qui, en décembre 1942, remporta le marché du bimoteur XA-38 "Destroyer", bientôt rebaptisé "Grizzly" en fonction de ses caractéristiques pour le moins sauvages, puisque alignant la bagatelle d'un canon de 75mm antichars et six mitrailleuses de 12,7mm capables de tirer vers l'avant (!)

Aussi formidable pouvait-il paraître pour l'époque, l'armement de ce gros ours mal léché n'en était pas moins totalement obsolète. A son premier vol, en mai 1944, il y avait déjà belle lurette que Britanniques, Russes et même Américains avaient renoncé aux canons embarqués de gros calibre - toujours exagérément lourds et à la cadence de tir trop faible - pour leur préférer les roquettes air-sol, non seulement plus efficaces et plus faciles d'emploi, mais qui pouvaient de surcroît être mises en oeuvre par n'importe quel chasseur-bombardier déjà existant.

Peut-être plus grave encore, les moteurs prévus pour les "Grizzly" n'étaient autres que les mêmes Wright R-3350 qui équipaient les bombardiers B-29, lesquels bénéficiaient bien entendu de la priorité absolue des approvisionnements.

Excellent avion au demeurant, le "Grizzly volant" était donc condamné à mort dès sa naissance, ce que la fin de la guerre confirma bientôt. En septembre 1945, la commande fut annulée, et les deux prototypes rapidement envoyés à la ferraille..

mercredi 25 janvier 2006

1053 - le bélier volant

... en septembre 1942, ayant eu vent des travaux d'Alexander Lippisch sur un petit intercepteur à moteur-fusée (le futur Messerschmitt 163 "Komet"), Jack Northrop réussit à convaincre l'USAAF de l'importance, pour les États-Unis, de posséder semblable appareil, qui serait bien entendu construit lui aussi selon la formule de "l'aile volante"

Codé XP-79, l'avion fut aussitôt affublé du sobriquet de "Flying Ram", ou "bélier volant", à cause de sa forme inusitée, qui laissait à penser qu'il détruirait les avions ennemis en les abordant, ce que sa cellule, construite presque entièrement en magnésium, interdisait pourtant absolument. Si le Me-163 était déjà jugé fort peu réaliste, le XP-79 enfonçait quant à lui allègrement toutes les limites du rationnel : le pilote était en effet couché dans un habitacle minuscule, qui contrastait singulièrement avec l'envergure démesurée de l'aile.

Trois prototypes de ce futur chasseur furent mis en construction dès janvier 1943. Mais l'usine Northrop étant fort occupée par des projets bien plus prioritaires, leur réalisation fut alors confiée à un petit sous-traitant californien, qui ne tarda pas à accumuler les retards. En mars 1943, l'USAAF, de plus en plus dubitative devant les performances annoncées par Northrop et - surtout - par la propulsion à moteur-fusée, exigea leur remplacement par deux moteurs à réaction,... qui n'étaient pas encore au point et dont l'intégration à l'intérieur de l'aile allait par ailleurs poser de nombreux problèmes.

Ce n'est finalement qu'en juillet 1945 (!) que le prototype transformé en biréacteur se retrouva en mesure de débuter ses essais de roulage. La guerre en Europe en Europe était déjà terminée depuis deux mois. Celle du Pacifique l'était depuis quatre semaines lorsque le XP-79 put enfin prendre l'air... à la remorque d'un P-38 "Lightning". Après 15 minutes de vol normal, l'avion échappa soudain au contrôle du pilote, partit en vrille et s'écrasa au sol.

L'aventure du "bélier volant" était définitivement terminée. L'agonie des ailes volante allait commencer...

mardi 24 janvier 2006

1052 - la crêpe volante

... Charles H. Zimmerman était un original qui, bien avant que le monde ne se passionne pour les "soucoupes volantes", eut l'idée d'un engin volant à profil circulaire.

En 1937, nullement découragé par les sceptiques, il parvint à intégrer l'équipe de Chance-Vought - celle-là même qui allait construire le célèbre "Corsair" - et à la convaincre de tester son idée. Nous étions en octobre 1939. La guerre venait d'éclater en Europe, et l'US Navy, qui redoutait de s'y retrouver plongée un jour ou l'autre, était à la recherche d'idées nouvelles pour remplacer son parc d'avions embarqués de plus en plus obsolètes.

Jugeant l'idée d'un profil circulaire aussi fascinante que peu rassurante, les responsables de la Navy réclamèrent tout de même la construction préalable d'un démonstrateur, c-à-d d'un prototype à échelle réduite, chargé de valider (ou d'infirmer) l'intérêt de la formule. Celui-ci - le V-173 - effectua son premier vol en novembre 1942. A ce stade, les exigences techniques avaient depuis longtemps altéré le profil originel du "Flying Pancake" - de la "crêpe volante" - comme l'engin fut rapidement surnommé. Deux moteurs à hélice avaient été installés à l'avant, de part et d'autre de la cellule, et plusieurs ailerons ajoutés ici et là, pour tenter d'en maîtriser le comportement.

Si les sceptiques furent confondus par les premiers essais - la crêpe volait, et même relativement bien - il était néanmoins évident que des mois et même des années d'efforts seraient encore nécessaires avant de parvenir à en faire un engin réellement opérationnel sur porte-avions. La Navy n'en décida pas moins de persévérer dans l'expérience, en commandant cette fois le prototype (XF5-U) du véritable appareil de série, bien évidemment plus gros, plus puissant et plus lourd que le démonstrateur. Le problème, c'est que Vought était déjà bien trop occupé au même moment à produire ses "Corsair" en quantités industrielles. Les travaux se poursuivirent donc à un rythme fort ralenti jusqu'en mars 1947.

La guerre était finie depuis longtemps, et la Navy à présent fascinée par les nouveaux avions à réaction. Le démonstrateur du "Flying Pancake" fut donc envoyé au musée, et le prototype de la version de série ferraillé sans même avoir volé...

lundi 23 janvier 2006

1051 - le tank volant

... si le projet britannique de "Jeep volante" paraît quelque peu surréaliste au lecteur contemporain, que dire de celui, soviétique, de faire voler un tank T-34 de 32 tonnes, sinon qu'il relevait carrément de la démence.

À la différence de la "Jeep volante", l'idée générale consistait cette fois à greffer autour du char une véritable cellule - bien évidemment démontable - de planeur biplan, qui décollerait ensuite à la remorque d'un gros bombardier. Parvenu derrière les lignes ennemies, le planeur se séparerait de son avion-tracteur et se poserait par ses propres moyens à une vitesse d'environ 110 kms/h. En soi, cette dernière caractéristique augurait déjà mal de la viabilité du projet, puisque les roulements du tank devraient, dans les premières secondes de l'atterrissage, supporter non seulement le poids et la formidable décélération de l'engin, mais aussi une vitesse deux fois supérieure à la vitesse maximale du tank sur route ouverte (!)

Par rapport à la relative simplicité du "Rotabuggy", l'Antonov KT s'annonçait donc comme une machine d'autant plus complexe qu'elle serait pilotée en vol depuis le tank lui-même (!) Cela faisait tout de même beaucoup, même pour les Soviétiques, qui décidèrent, en 1939, de tester au préalable la formule sur un char léger T-60 de 5 tonnes seulement,... qu'il fallut quand même débarrasser de sa tourelle avant l'essai, lorsqu'on réalisa soudainement que le pilote serait incapable de voir quoi que ce soit à l'intérieur de celle-ci (!)

Si le pilote et le tank parvinrent à survivre, en 1942, au seul et unique vol de cet invraisemblable équipage, il apparut néanmoins que le "tank volant" volait en réalité très mal, qu'un tank sans tourelle ni canon ne serait guère utile au combat, et qu'il n'existait de toute manière, dans l'arsenal soviétique, aucun avion assez puissant pour remorquer un T-34 de 32 tonnes transformé en planeur (!)

L'affaire en resta donc là sans que l'on sache vraiment pourquoi on avait attendu aussi longtemps, et déployé autant d'efforts, avant de se rendre compte de son impossibilité pratique...

dimanche 22 janvier 2006

1050 - la jeep volante

... durant la Seconde Guerre mondiale, la plupart des ingénieurs aéronautiques passèrent leur temps à tenter d'affiner la silhouette de leurs créations afin de leur permettre de voler toujours plus haut et plus vite.

Plus terre-à-terre, ou simplement plus original, Raoul Hafner préféra quant à lui passer son temps à apprendre à voler à... une Jeep (!)

Génial petit véhicule à quatre roues motrices d'environ une tonne, la Jeep jouait assurément un rôle essentiel dans la victoire des Alliés contre les forces de l'Axe. Mais, malgré ses qualités, elle ne pouvait tout de même pas se déplacer aussi vite qu'un avion, donc accompagner les commandos parachutistes alors régulièrement largués derrière les lignes ennemies.

Comme il n'existait pas encore d'avions capables de l'emporter dans les airs puis - surtout - de la parachuter en plein vol, ne restait comme solution que de la hisser à bord d'un gros planeur de transport, lui-même tracté jusqu'à l'objectif par un puissant bombardier quadrimoteur. Une opération fastidieuse, pas vraiment discrète et qui exigeait beaucoup de moyens et de préparation.

Hafner, qui s'intéressait aux hélicoptères et autogyres depuis les années 1920, eut alors l'idée de se passer de planeur de transport en transformant tout simplement en planeur la Jeep elle-même.

Fondamentalement, le "Rotabuggy" était donc une Jeep ordinaire, prolongée à l'arrière par un demi-fuselage et des empennages démontables, et surmontée par un rotor libre fonctionnant sur le principe des autogyres. Au décollage, et en théorie, la Jeep était remorquée par l'avion-tracteur jusqu'à une vitesse d'environ 60 kms/h, suffisante pour embrayer le rotor dont l'action soulevait le véhicule et le métamorphosait en planeur. La Jeep désormais volante était alors tractée par l'avion jusqu'à l'objectif, et s'y posait, toujours remorquée par l'avion. Il suffisait ensuite de démonter le rotor et le demi-fuselage - récupérés pour d'autres missions - et de s'en aller tranquillement avec la Jeep.

La réalité des tests, à la fin de 1943, s'avéra hélas sensiblement différente de la théorie, et valut tant de frayeurs à ses utilisateurs qu'il fut finalement décidé de s'en tenir sagement à la formule éprouvée du véritable planeur de transport, et ce jusqu'à l'apparition, après-guerre, d'avions-cargos enfin capables de les emporter et de les parachuter directement du haut des airs...

samedi 21 janvier 2006

1049 - le mal nommé

... en 1939, l'US Army Air Force lança un appel d'offres pour un chasseur monomoteur, capable d'intercepter des bombardiers ennemis à grande vitesse et très haute altitude.

Compte tenu des motorisations existantes, et à l'instar de leurs homologues allemands puis japonais, les ingénieurs de Curtiss adoptèrent eux aussi la formule du moteur arrière entraînant une hélice propulsive, solution considérée comme plus aérodynamique que la traditionnelle implantation moteur avant et hélice tractrice.

Toujours pour gagner en aérodynamisme, les empennages horizontaux furent supprimés et remplacés - tout comme sur les Henschel P75 et Kyushu "Shinden" - par une aile en flèche et une voilure canard. Et c'est alors que les ennuis commencèrent.

Dès ses premiers essais, en 1941, le prototype du XP-55 "Ascender" fit en effet montre d'une stabilité détestable, et ce malgré le montage d'un moteur bien moins puissant que celui prévu pour les modèles de série. Pendant des mois, les ingénieurs de Curtiss s'efforcèrent d'y remédier par tous les moyens possibles, en augmentant l'envergure des ailes et en ajoutant des cloisons et des dérives un peu partout sur la cellule,... ce qui n'empêcha pas celle-ci de s'écraser en novembre 1943, tuant son pilote.

A cette époque, le projet avait déjà perdu beaucoup de son intérêt, et surtout tout critère d'urgence. Les essais et modifications se poursuivirent donc, mais à un rythme ralenti, tout en continuant de révéler de nombreux problèmes, de l'instabilité toujours chronique au mauvais refroidissement du moteur caréné à l'arrière, en passant par des caractéristiques de décrochage aussi subites que vicieuses et des performances très en retrait de celles exigées et par ailleurs déjà atteintes par des avions bien plus traditionnels que "l'Ascender"

Lorsque le troisième prototype s'écrasa, en mai 1945, il y avait déjà belle lurette que l'USAAF s'était désintéressée du programme. Le prototype survivant fut alors interdit de vol et envoyé au musée...

vendredi 20 janvier 2006

1048 - ... est rarement celle du lendemain

... durant toute la guerre, l'industrie japonaise se montra incapable de développer et de produire en quantités les compresseurs et turbo-compresseurs que réclamaient désespérément les avionneurs et pilotes nippons pour pouvoir affronter leurs adversaires américains à armes égales.

Préoccupante dès le début de la guerre, cette carence s'avéra véritablement dramatique à l'été 1944, lorsque les pilotes japonais - ou plus exactement leurs moteurs - commencèrent à s'époumoner vainement en tentant d'intercepter les bombardiers B29 américains qui, grâce à leurs turbo-compresseurs, volaient presque aussi vite mais surtout bien plus haut qu'eux.

Faute de meilleurs moteurs à pistons, ou mieux encore de moteurs à réaction, il ne restait plus qu'à tenter de construire un meilleur avion, et à vrai dire un avion très différent des "Hyen", "Hayate" (et a fortiori "Zero") qui constituaient encore l'essentiel de la chasse japonaise. De fait, avec son aile en flèche et son moteur placé à l'arrière et entraînant une hélice propulsive, le Kyushu "Shinden" rompait avec toutes les normes japonaises - et même occidentales - en la matière, ce que confirmait l'absence d'empennages horizontaux remplacés - comme sur les Henschel P75 et Curtiss "Ascender" - par de petits plans "canards" installés à l'avant, de part et d'autre du fuselage.

Si l'idée pouvait sembler séduisante, encore aurait-il fallu en confier la réalisation à une firme renommée et capable de maîtriser les nombreux problèmes qu'une conception aussi novatrice et radicalement différente ne manquerait pas de provoquer. Mais comme les dites firmes étaient déjà bien trop occupées à construire des chasseurs conventionnels, la réalisation de l'engin fut confiée à Kyushu,... fort modeste société aéronautique ne disposant par ailleurs d'aucune expérience dans le domaine des voilures "canards"

Comme il fallait s'y attendre, et malgré des travaux qui débutèrent dès l'automne 1943, le premier prototype ne fut prêt à prendre l'air que le 3 août 1945... trois jours avant qu'un B29 ne largue une bombe atomique sur Hiroshima (!) Deux autres vols d'essais purent encore être menés à bien avant la capitulation du Japon, vols qui révélèrent par ailleurs les nombreux défauts de l'avion et de la formule "canard".

Au total, cette étrange machine qui devait sauver le Japon vola moins de 45 minutes...

jeudi 19 janvier 2006

1047 - la Vérité du jour...

... bien que totalement méconnu, le Henschel P75 illustre mieux que tout autre l'incroyable dérive de l'Aéronautique militaire allemande tout au long de la Seconde Guerre mondiale.

Eut-il été présenté en 1944 que ce projet d'intercepteur eut certainement suscité l'enthousiasme des responsables du RLM, désespérément à court de miracles. Proposé en 1941, le P75 fut très rapidement rejeté par ces mêmes responsables, qui lui reprochèrent son irréalisme.

Il faut dire qu'en 1941, tout militait contre cet avion, à commencer par sa ligne résolument futuriste, son aile en flèche, l'absence d'empennages horizontaux (remplacés par de petits plans "canards" à l'avant du fuselage), son moteur DB-610 résultant de l'accouplement de deux DB-605, son doublet d'hélices contra-rotatives et - last but not least - l'implantation tout à l'arrière - donc propulsive - de ce moteur et de ces hélices,...

Toutes ces caractéristiques, considérées comme parfaitement utopiques, firent du malheureux P75 une machine indésirable en 1941-1942, alors que le Reich semblait sur le point de gagner la guerre et avait pourtant les moyens de construire l'avion

Deux ans plus tard, ces mêmes caractéristiques auraient finalement été jugées timides, et ce alors-même que l'Allemagne n'était plus que ruines et aurait été bien incapable de le mettre en production.

Avant l'heure, c'est pas l'heure, et après l'heure, c'est trop tard

mercredi 18 janvier 2006

1046 - le dernier des Zerstörer

... depuis la Bataille d'Angleterre, même les plus fervents supporters des "Zerstörer" avaient fini par perdre la foi dans ces gros bimoteurs Messerschmitt assurément rapides et puissamment armés, mais trop peu agiles pour affronter avec quelque chance de succès les monomoteurs britanniques puis américains.

Cela n'empêcha pourtant pas Messerschmitt de construire ses "Zerstörer" 110/210/410 pratiquement jusqu'à la fin du conflit, ni même de leur chercher un successeur plus performant mais reprenant peu ou prou la même recette.

Extérieurement, le bimoteur Messerschmitt 329 n'était pas sans évoquer le plus petit Messerschmitt 163 à moteur-fusée, dû à Alexander Lippisch. C'était lui aussi un appareil quasi monobloc à aile en flèche et dépourvu d'empennages horizontaux. La propulsion était cette fois assurée par deux DB-603 noyés à l'arrière des ailes et entraînant des hélices propulsives, montage jugé plus aérodynamique que la traditionnelle disposition des 110/210/410, où les moteurs, installés à l'avant, entraînaient des hélices tractrices.

Fondamentalement, le 329 était donc un 110/210/410 toujours aussi lourdement armé mais construit quasiment "à l'envers", et doté des derniers raffinements aérodynamiques, ce qui, l'espérait-on, lui permettrait enfin d'affronter les monomoteurs alliés à armes égales.

La guerre eut-elle duré plus longtemps que la formule du "Zerstörer" se serait peut-être enfin avérée concluante. Hélas, elle se termina alors que la maquette d'aménagement en bois venait à peine d'être achevée, et au moment où les moteurs à hélice tiraient définitivement leur révérence, terrassés par le développement de la propulsion par réaction...

mardi 17 janvier 2006

1045 - ... aux déconvenues de la flèche inverse

... si l'aile en flèche permettait d'augmenter la vitesse maximale des avions, elle dégradait également leur comportement à faible vitesse et basse altitude, au point de les rendre dangereux, ce qui imposa très vite l'ajout de cloisons et autres volets hyper-sustentateurs, forcément lourds et compliqués.

Pour pallier cet inconvénient, les ingénieurs de Junkers eurent alors une idée ahurissante et à vrai dire digne d'un roman de Jules Vernes : inverser le sens de la flèche, qui se retrouva donc orientée non pas vers l'arrière (comme dans tous les avions à réaction actuels) mais bien vers l'avant (!)

Aérodynamiquement, et à la différence de l'aile en flèche arrière, l'aile en flèche inverse permettait aux extrémités des plans de ne décrocher qu'en tout dernier lieu, ce qui rendait l'avion beaucoup plus sûr et stable à faible vitesse. En revanche, elle augmentait considérablement les contraintes en torsion, au point qu'il fut rapidement jugé nécessaire de disposer les moteurs très en arrière des ailes, afin de tenter d'en limiter les effets.

Même ainsi, le concept semblait si étrange, et à vrai dire si éloigné du simple bon sens, qu'on décida d'en valider la pertinence sur un avion expérimental - le Junkers 287. Pour gagner du temps, et de l'argent, cet appareil devait être construit avec un maximum de pièces déjà existantes et même... avec des pièces récupérées sur des avions américains abattus. Les roues avant (non escamotables) provenaient ainsi d'un bombardier américain B24 "Liberator", le fuselage d'un Heinkel 177 "Greif", le train d'atterrissage principal d'un Junkers 352, et la queue d'un Junkers 388 (!)

Il en résulta un véritable monstre, dont la laideur criante ne fit certes pas grand-chose pour améliorer les préjugés déjà considérables envers l'aile en flèche inverse. Conçu en tant que biréacteur, le Junkers 287 était tout simplement trop lourd pour décoller. Il fallut donc lui adjoindre deux autre réacteurs, montés de part et d'autre du fuselage et, comme ce n'était pas encore suffisant, deux fusées largables d'appoint sous les ailes.

Plusieurs essais en vol purent être menés avant la fin de la guerre. Mais, bien qu'effectivement très stable, le Junkers 287 fut loin d'atteindre les performances calculées. Capturés par les Soviétiques, les prototypes de l'avion furent ensuite modifiés par leurs soins, et brièvement testés, sans qu'aucune production en série n'en résulte. Aujourd'hui encore, l'aile à flèche inverse demeure pur caprice d'ingénieur...

lundi 16 janvier 2006

1044 - de la conquête de la flèche...

... si la plupart des recherches allemandes sur les "avions miracles" ne purent être mises au point avant la fin de la guerre, si bon nombre d'entre elles débouchèrent sur de véritables impasses technologiques, il en est tout de même quelques unes qui eurent tout à la fois le temps d'être lancées dans la bataille et la chance de s'avérer satisfaisantes. L'aile en flèche est de celle-là.

Habitués que nous sommes à la silhouette effilée des avions à réaction d'aujourd'hui, nous avons oublié que jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, et à l'exception de quelques tentatives sans lendemain, les avionneurs du monde entier concevaient encore leurs machines avec une aile droite, jugée naturellement stable. En Allemagne plus qu'ailleurs, le fabuleux développement des recherches aérodynamiques durant la guerre, et l'obligation d'innover pour contrebalancer la supériorité numérique des Alliés, amena pourtant les ingénieurs à se passionner pour l'aile en flèche, gage d'une spectaculaire amélioration des vitesses de pointe. Une aile qui se retrouva sur plusieurs de leurs créations de fin de guerre - comme le Messerschmitt 262 - et sur la quasi-totalité de leurs prototypes futuristes.

Au lendemain de la guerre, les Alliés se disputèrent tout naturellement l'expérience allemande dans ce domaine, ramenant chez eux, par wagons ou cargos entiers, les avions, la documentation technique, et bien entendu les techniciens et aérodynamiciens allemands - dont Alexander Lippisch - pour aider leurs propres avionneurs à concevoir de meilleurs appareils.

Pionniers dans le domaine des ailes en flèche, les Allemands furent aussi les premiers à en mesurer les inconvénients et limites. Si la flèche augmentait la vitesse de pointe de l'avion, elle dégradait également la portance et la stabilité à faible vitesse, à proximité du sol et, bien entendu, à l'atterrissage. Résumé autrement, l'avion équipé d'une aile en flèche s'avérait plus performant à haute altitude et grande vitesse, mais moins efficace et souvent dangereux à faible vitesse et basse altitude.

De ce constat devait tout naturellement naître une idée : celle de pouvoir modifier la flèche d'une aile en fonction des besoins, donc de créer ce que l'on appela bientôt la "géométrie variable". Le Messerschmitt P1101 fut la première réalisation en ce domaine. Et même s'il ne vola jamais, même si l'incidence de son aile n'était réglable qu'au sol et non pas en vol, en fonction du profil des missions prévues, la découverte de son prototype, dans les ruines de l'usine Messerschmitt d'Augsburg, intéressa suffisamment les Américains pour les inciter à le ramener chez eux et le confier à société Bell, chez qui il servit de modèle pour la construction du X-5 et, au delà, pour tous les chasseurs à géométrie variable développés après la guerre...

dimanche 15 janvier 2006

1043 - l'impasse

... en février 1938, la célèbre aviatrice Hanna Reitsch avait permis à la petite société Focke-Achgelis - spécialisée dans les autogyres et les hélicoptères - d'accéder à une renommée mondiale en pilotant plusieurs soirs d'affilée leur dernière création - le Fa-61 - à l'intérieur-même d'un Deutschlandhalle sports stadium plein à craquer.

Il n'en fallait pas plus pour convaincre l'Allemagne nazie de s'intéresser aux voilures tournantes riches de promesses militaires, notamment dans le domaine du transport, de la reconnaissance, ou de l'évacuation sanitaire. Mais il y avait loin des promesses à la réalité.

Plus encore que l'avion, l'hélicoptère souffrait à l'époque, et dans tous les pays du monde, du très mauvais rapport poids/puissance du moteur avec lequel on tentait de l'équiper. Il en résultait des machines aux performances fort modestes, qui tenaient davantage du fragile bricolage de tubes soudés que d'authentiques engins de combat capables de remplir de véritables missions à proximité du Front.

De fait, malgré ses dimensions respectables, et un moteur BMW développant la bagatelle de 1 000 CV - record absolu pour l'époque -, le développement du Focke-Achgelis Fa-223 "Drache" ne fut d'aucune utilité pour l''Allemagne nazie, et la vingtaine d'exemplaires construits à un rythme d'escargot avant la fin du conflit servirent d'abord et avant tout à accumuler divers records de vitesse et d'altitude pour voilures tournantes.

Dès la fin de la guerre, Heinrich Focke se retrouva en France, et particulièrement à la SNCASE, pour y monnayer son expérience en matière d'hélicoptères. Mais le fruit de cette collaboration, le SNCASE SE 3000, se révéla une impasse technologique. Simple copie française du Fa-223, et incorporant d'ailleurs un maximum de pièces d'origine, le SE 3000 se caractérisait en effet par la présence de deux rotors certes contrarotatifs mais implantés non pas l'un derrière l'autre - comme dans les Piasecki américains - mais bien l'un à côté de l'autre, donc de chaque côté du fuselage. Il en résultait un invraisemblable et fort lourd assemblage de supports et d'arbres de transmission, bien évidemment non carénés et débordant très largement à l'extérieur, ce qui pénalisait d'autant la traînée aérodynamique.

Après quelques vols d'essais, la SNCASE préféra jeter l'éponge et envoyer les Fa-223/SE 3000 à la ferraille

samedi 14 janvier 2006

1042 - Star Wars










... aérodynamicien aux idées fort peu conventionnelles, Alexander Lippisch est surtout connu comme "père" du Messerschmitt 163 "Komet" (Saviez-vous que... - 929), un petit intercepteur à moteur-fusée dont quelques dizaines d'exemplaires purent être mis en oeuvre avant la fin de la 2ème Guerre mondiale,... et qui s'avérèrent finalement bien plus mortels pour leurs pilotes que pour leurs adversaires.

Très - et en vérité, trop - en avance sur son époque, le Me-163 se singularisait déjà par sa voilure en flèche et l'absence d'empennages horizontaux, autant de caractéristiques très favorables aux grandes vitesses - le Me-163 atteignait quasiment la vitesse du son - à défaut de l'être à la stabilité.

En mauvais termes avec Messerschmitt, Lippisch décida de voler de ses propres ailes, en concevant un appareil véritablement supersonique - le Lippisch P-13a - qui reprenait, en les poussant à l'extrême, plusieurs idées déjà développées sur le Me-163, sur les ailes volantes Horten et, surtout, sur son planeur d'essais DM-1.

Fondamentalement, le P-13a était un statoréacteur noyé à l'intérieur d'une épaisse voilure delta surmontée d'une large dérive verticale servant aussi de... poste de pilotage. Les essais en soufflerie furent jugés satisfaisants, mais rien de concret ne put en sortir avant la fin de la guerre. A en juger par les réalisations ultérieures de Lippisch au profit des Américains, on peut du reste douter que le P-13 aurait répondu aux attentes de son créateur et de ses partisans, la guerre eut-elle duré plus longtemps.

Discrètement exfiltré d'Allemagne à la faveur de l'Opération Paperclip, Lippisch se retrouva en effet consultant pour plusieurs avionneurs américains, en particulier pour Convair, chez qui il mit en pratique ses idées en matière d'ailes delta. Bien qu'entrés en service opérationnel, malgré leurs nombreux défauts, au début des années 1950, les avions qui en résultèrent - les F-102 "Delta Dagger" et F-106 "Delta Dart" - ne laissèrent pourtant pas une marque indélébile dans l'Histoire de l'Aviation militaire...

vendredi 13 janvier 2006

1041 - après l'heure, c'est trop tard

... au début de la guerre, les célèbres Junkers 87 "Stuka" avaient fait régner la terreur au dessus de l'Europe, et remporté de nombreux succès, grâce à la précision de leurs bombardements en piqué. Mais dès le début de la Bataille d'Angleterre, les dits Stuka s'avérèrent bien trop lents et trop vulnérables aux attaques de la DCA et des chasseurs ennemis pour être encore engagés au dessus de secteurs trop défendus.

En février 1943, réalisant l'imminence d'un débarquement allié sur les plages françaises, la Luftwaffe réclama donc un nouveau bombardier en piqué, qui ajouterait cette fois la rapidité à la légendaire efficacité du Stuka, à présent totalement démodé

Pour répondre à cette demande, les ingénieurs de Henschel imaginèrent une minuscule avion à réaction, capable d'échapper non seulement aux chasseurs ennemis, mais aussi - et surtout - aux tirs de défense antiaérienne les plus violents. Pour y arriver, il était naturellement indispensable de piquer à très grande vitesse. Mais il fallait aussi réduire au minimum la surface frontale de l'avion, donc la visibilité que ce dernier offrirait aux canonniers ennemis au moment du piqué.

Dans le Henschel 132, tout fut donc sacrifié à la réduction de la surface frontale,... y compris la position du pilote, désormais couché sur le ventre. Le moteur à réaction directement installé sur le dos du fuselage - à la manière du Heinkel 162 - procurait quant à lui toute la puissance nécessaire tout en n'augmentant la surface frontale que de manière négligeable.

On estimait généralement qu'un engin aussi petit, déboulant en piqué à près de 900 kms/h, constituerait pour l'artillerie antiaérienne une cible impossible à atteindre. Encore fallait-il que le pilote, couché dans l'habitacle, soit en mesure d'apercevoir la cible et de déterminer à la fraction de seconde près le moment exact pour larguer sa bombe, une prouesse qui dépassait les capacités humaines et exigeait donc un calculateur... qui ne fut naturellement pas livré dans les délais requis.

La complexité des problèmes théoriques et techniques à résoudre retarda d'ailleurs le programme de plus d'un an. Les premiers prototypes ne furent donc commandés qu'en mai 1944,... un mois avant le débarquement de Normandie, dont le succès retarda à son tour la construction des prototypes. Désormais jugée beaucoup moins prioritaire, cette construction ne débuta donc qu'en mars 1945, pour livraison prévue en juin,... soit deux mois après l'arrivée des chars russes dans l'usine Henschel...

jeudi 12 janvier 2006

1040 - l'arbre et l'hélice

... dans l'entre-deux guerres, les avionneurs de tous les pays rivalisèrent d'efforts et d'ingéniosité afin de réduire la traînée aérodynamique de leurs créations, et donc augmenter leurs performances.

Si certaines de leurs réalisations - comme les ailes à écoulement laminaire ou les trains d'atterrissage escamotables - sont aujourd'hui bien connues et toujours d'application, il en est d'autres dont la singularité et les contraintes d'emploi furent telles qu'elles les condamnèrent bien vite à l'oubli.

Parmi ces progrès vite avortés le Heinkel 119 occupe assurément une place de choix. En 1936, réalisant que le moteur à hélice et le poste de pilotage d'un avion traditionnel généraient beaucoup de traînée, les ingénieurs de Heinkel eurent l'idée de déplacer le moteur au centre du fuselage, d'installer le poste de pilotage à la place du moteur - donc dans la pointe avant - et de relier l'hélice au moteur par un long arbre de transmission passant... au milieu du dit poste de pilotage, qu'il séparait d'ailleurs en deux, avec le pilote et co-pilote de chaque côté.

Si la formule était aérodynamiquement satisfaisante, et si elle permit aux prototypes ainsi gréés de battre plusieurs records de vitesse, elle s'avérait ergonomiquement pénible pour les pilotes, et terriblement gênante pour les mécaniciens chargés de l'entretien d'un moteur littéralement noyé dans le fuselage et fréquemment sujet à la surchauffe. Résultant de l'accouplement de deux DB-601 à douze cylindres, ce nouveau DB-606 était de surcroît accablé d'une multitude de problèmes techniques, à vrai dire communs à toutes les moteurs jumelés.

Malgré huit prototypes construits, le Heinkel 119 ne déboucha donc sur aucune production en série, et ce malgré tous les efforts de Heinkel qui, pour parvenir à le vendre, n'avait d'ailleurs pas hésité à en transformer un exemplaire en... hydravion dont les flotteurs, et leur forêt de tubes, annihilaient littéralement tous les efforts du constructeur pour réduire la traînée...

mercredi 11 janvier 2006

1039 - c'est pas parce qu'on n'a pas de queue...

... en s'affranchissant du fuselage séparé, et des empennages de l'avion traditionnel, l'aile volante offrait théoriquement une réduction de traînée aérodynamique de 30 à 50%, et donc une appréciable amélioration en terme de performances et de consommation.

Mais pour les avionneurs habitués depuis des décennies à concevoir des appareils généreusement pourvus de tous ces appendices, cette approche représentait une rupture philosophique s'apparentant à une véritable plongée dans l'inconnu, ainsi que de coûteux investissements en temps et matériel pour apprendre à construire "différemment".

Plutôt que de se lancer dans pareille aventure, la plupart des constructeurs tentèrent alors, partout dans le monde, de concilier les deux formules ou, plus exactement, de continuer à concevoir des avions au demeurant traditionnels mais cette fois dépourvus d'empennages horizontaux et/ou verticaux, donc théoriquement plus aérodynamiques.

Ainsi, à l'été 1944, lorsque le RLM allemand réclama un chasseur "de zone", pour des missions d'interception ponctuelles ne dépassant pas le quart d'heure de vol, les ingénieurs de Junkers imaginèrent-ils un minuscule appareil à réaction et aile en flèche - le Junkers EF-128 - qu'ils privèrent de tout appendice caudal, histoire de gagner en performances, en consommation, mais aussi en temps d'assemblage.

Naturellement, pour compenser la perte de stabilité de ce chasseur "sans queue", les ingénieurs n'eurent d'autre choix que d'ajouter des dérives et des élevons directement sur les ailes,... réduisant du même coup une bonne partie des gains aérodynamiques escomptés.

Comme la plupart des "merveilles nazies", le Junkers EF-128 n'eut pas le temps lui non plus de dépasser le stade des esquisses et maquettes de soufflerie,... ce qui valait peut-être mieux pour la réputation de leurs différents concepteurs, ainsi que pour conserver intacte la ferveur quasi-mystique qu'elles continuent de susciter aujourd'hui dans le coeur des passionnés d'Aviation.

La vérité, hélas, force à reconnaître que les quelques appareils "sans queue" construits dans l'après-guerre sont loin d'avoir laissé d'excellents souvenirs à leurs utilisateurs, à commencer par les Américains qui, après avoir perdu sur accidents plus de 25% de leur Chance-Vought "Cutlass" - précisément construits sur des plans allemands - furent bien contents, après seulement trois années d'utilisation, de les troquer contre des Grumman "Cougar" infiniment plus traditionnels et quant à eux pourvus d'une queue en bonne et due forme...

mardi 10 janvier 2006

1038 - 3 x 1 000 = 0

...en 1944, le RLM lança également un appel d'offres pour la réalisation d'un bombardier moyen à réaction, capable de transporter un minimum de 1 000 kilos de bombes à une vitesse minimale de 1 000 kms/h et sur une distance minimale de 1 000 kilomètres

La proposition de Junkers, provisoirement codée 1000x3, prenait elle aussi la forme d'une aile volante biréacteur, bien entendu dépourvue de tout empennage générateur de traînée. Comme toutes les autres propositions basées sur la même formule, celle-ci n'eut jamais le loisir de dépasser le stade des études préliminaires, et sombra dans l'oubli sitôt la guerre terminée

Rétrospectivement, on peut d'ailleurs se demander si la fascination des ingénieurs allemands pour les ailes volantes aurait réellement débouché sur quelque chose de concret, et donc si une seule de ces merveilles - qui continuent de fasciner aujourd'hui - serait réellement entrée en service, la guerre eut-elle duré plus longtemps.

Sans même évoquer les graves carences de l'industrie allemande - qui, à la fin de la guerre, n'était plus en mesure de fabriquer que des petits chasseurs monomoteurs - on se doit de garder à l'esprit les difficultés - celles-là beaucoup mieux documentées - que rencontraient au même moment, mais de l'autre côté de l'Atlantique, les pilotes américains qui tentaient quant à eux de donner vie aux ailes volantes du génial Jack Northrop.

Comme les frères Horten, Jack Northrop éprouvait lui aussi une véritable fascination pour les ailes volantes, qu'il tenait pour la solution idéale - et en fait la seule possible - au handicap de poids et de traînée obligatoirement engendrés par le fuselage, la queue et les empennages d'un avion conventionnel.

Mais les créations de Jack Northrop, tout comme celles des frères Horten, souffraient en contre-partie du défaut commun à toutes les ailes volantes - le manque de stabilité - lequel provoqua de nombreux accidents, souvent mortels, lesquels, au final, se traduisirent par l'abandon total des ailes volantes durant une trentaine d'années, avant que les progrès de l'électronique embarquée - seule capable de maîtriser l'instabilité fondamentale de la formule - ne leur redonnent vie sous la forme du bombardier furtif B2

Mais ceci est une autre histoire...

lundi 9 janvier 2006

1037 - les Aventuriers de l'Amerika Bomber

... en 1944, le RLM allemand demanda à la société Arado de concevoir un bombardier stratégique à réaction, capable de transporter 4 tonnes de bombes à 5 000 kilomètres.

Ce dernier choix apparaît curieux, attendu que l'avion - eut-il jamais volé - aurait de toute manière été incapable de rallier New-York et d'en revenir, ce qui - nous l'avons vu - correspondait à une des nombreuses obsessions hitlériennes. Mais sans doute faut-il y voir les derniers vestiges de réalisme dans le chef des responsables du RLM qui, un an plus tard, en pleine débâcle, n'hésiteraient pourtant pas à demander aux frères Horten de réaliser un bombardier - le Horten XVIII - capable de franchir le double de cette distance (!)

Quoi qu'il en soit, et même si l'Arado E-555 n'était pas, stricto sensu, un véritable "Amerika Bomber", les exigences de son cahier des charges n'en dépassaient pas moins de fort loin les capacités techniques de l'époque, ainsi que celles de l'industrie allemande en général.

Pour tenter tant bien que mal de les satisfaire, les ingénieurs de chez Arado n'avaient eu, aux aussi, d'autre choix que de recourir à la formule d'une aile volante, propulsée par six réacteurs BMW installés en pack au dessus de l'aile, une disposition surprenante tant elle ne pouvait qu'aggraver la traînée aérodynamique d'un appareil qu'on voulait au contraire le plus lisse possible. De plus, un tel regroupement des moteurs directement les uns à côté des autres ne pouvait qu'accroître les risques de pannes et la probabilité qu'une défaillance ou un incendie sur un réacteur se propage rapidement aux autres.

La solution avait en revanche le mérite de la simplicité et d'un usinage rapide, qui contrastait singulièrement avec le soin maniaque - et les difficultés techniques - que rencontraient au même moment les frères Horten pour noyer deux réacteurs seulement dans la cellule de leur bien plus petit Horten IX .

En toute logique, l'Arado E-555 aurait donc été moins performant, mais plus réaliste et bien plus facile à construire que le Horten XVIII. L'Histoire, hélas, fut incapable de trancher en faveur de l'un ou de l'autre, puisqu'aucun des deux n'eut le temps de franchir le stade des études préliminaires avant la capitulation de l'Allemagne...

dimanche 8 janvier 2006

1036 - les yeux plus gros que le ventre

... le petit chasseur-bombardier Horten IX n'était pas encore en production que déjà les frères Horten planchaient sur son "grand-frère" de bombardement transatlantique, le Ho XVIII

Depuis des années, une des obsessions de Hitler - une de celles qu'il valait mieux ne pas discuter - était en effet de bombarder les États-Unis, et particulièrement New-York, en représailles des bombardements américains sur l'Allemagne. Peu importait au Führer que l'Allemagne n'ait pas les moyens de construire l'appareil en série du moment qu'elle fut au moins capable de produire ne serait-ce qu'un seul avion qui s'en irait larguer une seule bombe sur l'Empire State Building ou la Statue de la Liberté.

Les effets de ce bombardement seraient évidemment plus psychologiques que matériels, mais pour l'homme qui ne jurait que par le "triomphe de la volonté", c'était bien là l'essentiel. Du reste, les chercheurs allemands travaillant également sur la bombe atomique, une frappe nucléaire sur New-York, ou du moins sur Londres ou Moscou, pouvait être envisagée pour 1946 ou 1947. Et pour cela, il n'était nul besoin de construire des milliers de bombardiers...

Le problème, c'est que cette obsession hitlérienne se heurtait, comme tant d'autres, à la cruelle réalité des chiffres et des possibilités techniques de leur époque : tout ravitaillement au vol ou au sol étant exclu, il aurait fallu, pour atteindre New-York et en revenir, disposer d'une autonomie supérieure à 10 000 kms, ainsi que d'un avion suffisamment rapide pour échapper aux chasseurs que l'ennemi ne manquerait pas de dresser sur sa route. Les moteurs à pistons conventionnels manquant par trop de puissance, et les moteurs à réaction consommant bien trop de carburant, tous les avionneurs allemands s'étaient cassés les dents sur cette équation, ne réussissant, au mieux, qu'à fabriquer une poignée de prototypes - comme le Messerschmitt 264 (1) - bien incapables d'un tel exploit, qui dut par ailleurs attendre le milieu des années 1950, et le Boeing B52, pour se réaliser.

En théorie, par sa spectaculaire diminution de traînée par rapport à un avion conventionnel, et par sa grande capacité d'emport de carburant, l'aile volante Horten permettait de résoudre cette équation insoluble. Avec une distance franchissable calculée de 11 000 kms, un plafond de 16 000 mètres, et une vitesse maximale de 850 kms, le Horten XVIII aurait peut-être pu combler les voeux du Führer si la capitulation allemande ne s'était produite deux mois avant la date prévue pour le commencement de la construction du prototype...

(1) Saviez-vous que... - 103 -

samedi 7 janvier 2006

1035 - les frères Horten

... Il y a deux manières de construire un avion. La première, connue de tous et utilisée partout dans le monde, consiste à le dessiner sur le modèle des oiseaux : un long corps - le fuselage - et des ailes de chaque côté. La seconde, beaucoup moins usitée et quelque peu mystérieuse, s'inspire du cerf-volant, ou du boomerang

Par rapport à l'avion conventionnel, la seconde conception - appelée "aile volante" - offre plusieurs avantages, en particulier une spectaculaire diminution du poids et de la traînée. Dans un avion conventionnel, le fuselage, bien qu'indispensable, est en effet un poids mort, qui ne joue par ailleurs aucun rôle dans la portance. La présence obligatoire, à son extrémité, d'une queue, avec ses empennages horizontaux et verticaux, l'alourdit encore davantage et dégrade encore un peu plus la finesse. Puisque fuselage et empennages représentent de 30% à 50% de la traînée totale, l'avion qui parviendrait à s'en passer - l'aile volante - pourrait théoriquement, à puissance motrice identique, voler plus vite et aller plus loin.

Dans l'Allemagne des années 1930 et 1940, l'aile volante était synonyme des frères Walter et Reimar Horten, lesquels avaient bâti leur réputation sur la construction de planeurs ultra-performants,... en forme d'ailes volante. Seule activité aéronautique échappant véritablement au Traité de Versailles, le vol à voile avait rapidement pris une importance considérable en Allemagne, mais ne pouvait jouer qu'un rôle mineur dans les projets bellicistes de Hitler une fois celui-ci arrivé au Pouvoir. La dégradation continue de la situation militaire, dès 1942, incita néanmoins les responsables de la Luftwaffe à faire preuve d'ouverture, et à s'intéresser à des idées non-conventionnelles, jugées seules capables de contrebalancer la supériorité numérique de plus en plus écrasante des Alliés.

Lorsque la Luftwaffe exigea un "3 x 1 000", soit un bombardier ou chasseur-bombardier capable de transporter 1 000 kilos de bombes à 1 000 kms/h sur une distance de 1 000 kms, seule l'aile volante fut jugée capable d'une telle performance, compte tenu des trop faibles puissances et fortes consommations des moteurs à réaction alors disponibles

En mars 1944, le Horten IX, construit essentiellement en bois, effectua ses premiers vols en tant que planeur,... mais il fallut attendre près d'un an avant que les premiers réacteurs puissent être livrés - et surtout installés - à bord de l'engin. Les essais en vol s'étant finalement révélés satisfaisants, décision fut prise de fabriquer l'appareil en série dans les ateliers de la Gothaer Waggonfabrik, société qui avait déjà acquis une solide renommée dans la construction d'excellents planeurs d'assaut, comme le Go-242.

Pour le Go-229 - nouveau nom de l'aile volante Horten IX - l'avenir s'annonçait donc radieux, mais l'effondrement de l'Allemagne en décida autrement. Le 14 avril 1945, l'armée américaine s'empara de l'usine et mis la main sur les prototypes. L'un d'eux, partiellement démonté, figure aujourd'hui dans les réserves de la Smithsonian Institution...

vendredi 6 janvier 2006

1034 - deux, c'est pas mieux

... en 1941, réalisant qu'elle ne disposait dans son inventaire d'aucun avion assez puissant pour remorquer ses plus gros planeurs, la Luftwaffe avait demandé à Ernst Heinkel de lui en construire un sine die,... et ce en soudant deux Heinkel 111 bimoteurs l'un à côté de l'autre et autour d'un cinquième moteur central (Saviez-vous que... - 528)

Trois ans plus tard, cette même Luftwaffe réclama semblable traitement pour le bimoteur de chasse Dornier 335, alors sur le point d'entrer en service. Très original par sa conception, avec un moteur tractif et un moteur propulsif placés l'un derrière l'autre à chaque extrémité du fuselage, le Dornier 335 offrait des performances impressionnantes, qui dépassaient celles de tous les chasseurs à moteur à pistons de l'époque, et égalaient même celle du Messerschmitt 262 à réaction.

Puisque le Dornier 335 était si performant, accoupler deux fuselages de Dornier l'un à côté de l'autre permettrait - du moins en théorie - de réaliser un quadrimoteur d'observation à très long rayon d'action, surpassant aisément tout ce qui existait jusque-là et qui, en incorporant un maximum de pièces déjà existantes, pourrait rapidement être mis en production, et à moindre coût.

Compte tenu de son expérience dans le domaine des jumelages d'avions, la réalisation fut tout naturellement confiée à Heinkel avant que ce dernier, trop occupé de son côté, ne la refile finalement à Junkers, lequel en profita pour la renommer Junkers 635.

Comme la réalisation du Dornier 335 original avait elle-même subi d'importants retards en raison d'une multitude de difficultés techniques, problèmes de fabrication et autres ordres et contre-ordres ministériels (Saviez-vous que... - 525), l'avion ne put être livré qu'à onze exemplaires avant la fin du conflit, ce qui fit tout de même... onze de plus que le malheureux Junkers 635, dont la production fut arrêtée en février 1945, avant-même le vol du premier prototype...

jeudi 5 janvier 2006

1033 - le Triebflugel

... bien que balbutiants, les premiers moteurs à réaction apparus lors de la 2ème Guerre mondiale semblaient suffisamment riches de promesses que pour convaincre les ingénieurs qu'ils représentaient bel et bien l'avenir de l'Aéronautique militaire.

Cependant, outre une consommation trop importante, et une fiabilité souvent pathétique, le principal handicap de ces moteurs se situait au décollage. Leur trop faible poussée à cet instant, et la température des gaz à la sortie de la tuyère, exigeaient en effet la construction de pistes non seulement interminables mais aussi bétonnées. Plus question donc des courtes pistes de terre, d'herbe ou de goudron qui constituaient jusque-là la norme.

Ces nouvelles pistes étaient évidemment encore plus repérables par l'adversaire, donc encore plus vulnérables à ces attaques... à moins bien sûr de s'en passer totalement, en réalisant le vieux rêve de tous les avionneurs du monde depuis le début de l'Aviation : l'appareil à décollage vertical.

Le positionnement à la verticale d'un moteur à réaction offrait théoriquement la possibilité d'un tel décollage, mais posait de telles difficultés pratiques - en particulier au niveau de la poussée requise - que les premières réalisations viables ne virent le jour que dans les années 1960. D'un autre côté, les hélicoptères - qui à cette époque effectuaient également leurs premiers sauts - permettaient certes pareil envol, mais ne pouvaient - du fait de la rotation de leurs longues pales flexibles - offrir les mêmes performances qu'un avion.

Le Triebflugel se voulait donc la réponse des ingénieurs de Focke-Wulf à ce problème. L'appareil proposé ressemblait, grosso-modo, à une fusée dressée à la verticale et dotée, au tiers de sa hauteur, d'un rotor tripale, à l'extrémité desquelles on installait un statoréacteur. Comme les trois statoréacteurs exigeaient une vitesse relative d'au moins 300 kms/h avant de se mettre en marche, la rotation initiale était assurée par trois fusées Walter, qui faisaient tourner les pales jusqu'à la vitesse requise pour le démarrage des statoréacteurs, lesquels, en accélérant encore davantage la rotation, permettait ensuite le décollage de l'engin.

Des tests réalisés en soufflerie démontrèrent que la formule était techniquement viable, mais rien ne put en sortit avant la fin de la guerre. Eut-elle duré plus longtemps qu'il demeure néanmoins douteux que le Triebflugel aurait jamais été en mesure d'entrer en service, tant les problèmes liés à la transition du vol vertical au vol horizontal (et inversement) ainsi qu'à la phase d'atterrissage - avec le pilote couché sur le dos et un appareil descendant "à reculons" sous lui - auraient été insurmontables (1)

(1) tous les essais réalisés après guerre, et dans le monde entier, sur des appareils semblables furent autant de coûteux échecs

mercredi 4 janvier 2006

1032 - la folie furieuse

... le Heinkel "Julia" et le Bachem "Natter" étaient des missiles antiaériens que chevauchait un pilote censé les conduire jusqu'à la cible. Le Fi-103 "Reichenberg" était une bombe volante V1 dans laquelle on avait installé un pilote afin de pallier le dramatique manque de précision de l'engin.

Encore plus extrême, et relevant carrément de la folie furieuse, le projet EWN-4 était, grosso-modo, une fusée V2 munie d'ailes et surmontée d'un pilote.

A l'instar de la V1 et de toutes les fusées et avions sans pilote essayés à l'époque, la V2 ordinaire souffrait elle aussi d'une imprécision telle qu'elle la condamnait au seul bombardement d'objectifs de grandes dimensions - autrement dit, des villes - sans réelle valeur militaire.

Il était évident que les recherches accomplies dans les domaines de l'électronique et de l'autoguidage finiraient, à terme, par répondre aux voeux des militaires. Le problème, c'est que ces recherches n'avaient aucune chance d'aboutir avant la fin de la guerre. Pourquoi, dès lors ne pas tenter, là encore, d'installer dans le nez de l'engin un pilote qui le guiderait jusqu'à la cible, puis s'en éjecterait - du moins l'espérait-on - d'une façon ou d'une autre juste avant l'impact (1)

Mais de la théorie à la pratique, il y avait plus qu'un abîme...

En supposant-même que "l'homme-missile" - en fait un véritable astronaute en combinaison spatiale, dans sa cabine blindée - puisse survivre au décollage ainsi qu'aux formidables accélérations, vitesses et altitudes atteintes par le projectile - ce qui n'avait rien d'évident - encore fallait-il qu'il se retrouve ensuite en mesure de piloter l'engin dans la dernière phase du vol, tâche impossible avec les seules minuscules dérives dont étaient équipées les V2 originelles.

Il était donc indispensable de greffer des moignons d'ailes sur l'engin, ce qui, au demeurant, permettrait également d'améliorer ses qualités de plané, donc son rayon d'action. Si on lui greffait donc un pilote, mais aussi des ailes, des moteurs plus puissants, et même plusieurs étages, les ingénieurs ne doutaient pas de parvenir, un jour, à lui faire franchir l'Atlantique (!), comblant ainsi les voeux du Führer, lequel réclamait depuis des années de bombarder New-York, ne serait-ce qu'une seule fois et avec un seul appareil.

Cela faisait assurément bien trop de "si" pour un seul engin. Comme il fallait s'y attendre, rien ne pu donc sortir d'une telle formule avant la capitulation allemande, et la V2 pilotée demeura pur fantasme d'ingénieur...

(1) dans "Le Secret de l'Espadon", le dessinateur et scénariste Edgar-Pierre Jacobs a recours a semblable solution pour ses héros Blake et Mortimer

mardi 3 janvier 2006

1031 - tout simplement ignoble

... fin 1943, alors que les ingénieurs allemands désespéraient de parvenir à trouver la cause du mystérieux problème de stabilité qui affectait les premières fusées V1, la déjà légendaire Hanna Reitsch s'était portée volontaire pour une mission véritablement insensée : piloter un de ces engins à l'intérieur duquel on avait hâtivement installé un minuscule cockpit et un semblant de poste de pilotage, si étroit qu'elle seule était capable de s'y installer.

C'est à l'occasion de ce vol qu'elle découvrit le défaut dans le système gyroscopique d'autoguidage de l'engin, lequel pu dès lors entrer en production et être lancé à des milliers d'exemplaires, qui semèrent bientôt la mort et la désolation à Londres, Antwerpen ou Liège.

L'expérience de ce premier vol piloté avait à ce point impressionné la jeune-femme - par ailleurs nazie fervente - qu'elle avait aussitôt proposé au Führer la création d'une "escadrille suicide" de V1 dont les pilotes, des jeunes-gens fanatisés, se seraient jetés avec leur appareil sur les cibles ennemies comme le feraient, plus tard, les kamikazes japonais.

Mais le suicide, fut-il dans l'intérêt de la patrie, n'entrait guère dans la mentalité allemande et l'affaire en resta là jusqu'à l'été 1944, lorsque le débarquement de Normandie, et l'impossibilité d'atteindre par des bombardements traditionnels les objectifs militaires alliés trop âprement défendus, redonna brièvement vie au programme. Puisque le V1 ordinaire était bien trop imprécis, pourquoi ne pas y installer un pilote qui se chargerait de guider la bombe volante jusqu'à l'objectif ?

Copie quasi-conforme du V1 originel, le Fi-103 "Reichenberg" incorporait lui aussi, en à peine moins bricolé, le minuscule cockpit et le semblant de poste de pilotage inaugurés par Hanna Reitsch. Largué en vol par un Heinkel 111 - comme, là encore, de nombreux V1 traditionnels - l'engin était censé voler jusqu'à la cible (navire, pont, bâtiment quelconque) par ses propres moyens avant que le pilote ne le mette en piqué et ne l'évacue en parachute.

Compte tenu de l'étroitesse de l'habitacle, et de la présence du pulso-réacteur Argus juste derrière celui-ci, la probabilité que le dit pilote en sorte vivant, bien que très légèrement supérieure à celle du Mitsubishi Ohka japonais (ou elle était carrément nulle), avoisinait tout de même le zéro absolu.

Au total, 175 exemplaires de cette monstruosité furent construits, mais pas un seul n'entra finalement en service...

lundi 2 janvier 2006

1030 - extravagante Julia

... dès le début des années 1940, il était devenu évident que les grosses pièces de l'artillerie antiaérienne conventionnelle étaient entrées dans l'ère des rendements décroissants, et seraient donc de moins en moins capables de faire face à l'arrivée de nouveaux bombardiers volant de plus en plus vite et de plus en plus haut. Heureusement, le potentiel de développement des missiles et avions sans pilote semblait infiniment plus prometteur.

Puisque les V1 et V2 étaient appelés à remplacer les bombardiers que le Reich n'avait plus les moyens de construire, pourquoi, se dirent les ingénieurs, ne pas tenter d'en extrapoler des versions plus petites, capables quant à elles de remplacer tout à la fois les chasseurs et les canons antiaériens de la Luftwaffe (1), et ce en interceptant à haute altitude, et de manière imparable, les bombardiers ennemis ? Naquirent ainsi une poignée d'engins certes exotiques - comme le Schmetterling, l'Enzian, le Wasserfall, ou encore le Rheintochter - mais qui ne furent efficaces que bien après la guerre,... et uniquement aux mains des vainqueurs de l'Allemagne...

Aux traditionnelles difficultés techniques déjà rencontrées sur les V1 et V2 s'y ajoutait en effet une autre, bien plus rédhibitoire : l'impossibilité d'assurer un guidage précis vers la cible. En effet, si la notoire imprécision des V1 et V2 (qui tombaient n'importe où dans un rayon de plusieurs kilomètres) ne constituait pas un handicap majeur - ces engins ne visant que des grandes villes - il en allait tout autrement des missiles antiaériens, lesquels devaient impérativement exploser sur (ou à proximité immédiate) de bombardiers de taille réduite, se déplaçant à plusieurs centaines de kms/h, et toujours capables de manoeuvres évasives.

En attendant la réalisation de systèmes d'autoguidage perfectionnés basés sur le radar ou l'infrarouge - qui n'avaient aucune chance d'entrer en service avant la fin de la guerre - ne restait donc que la solution du missile... piloté. A l'été 1944, un appel d'offres fut donc lancé pour la réalisation d'un petit appareil que l'on lancerait à la verticale, le long d'une rampe installée à proximité immédiate des sites industriels visés par les bombardiers alliés.

Bien évidemment construit de la manière la plus rudimentaire possible, et en bois, le Heinkel P-1077 "Julia" tenait donc tout à la fois de la fusée (pour le décollage), de l'avion (pour l'attaque) et du planeur (pour le retour au sol)... un concept qui multipliait pour ainsi dire les risques par trois, et qui se serait sans aucun doute avéré plus mortel pour ses utilisateurs que pour l'ennemi si la SS - à qui le programme avait étrangement été confié - ne lui avait finalement préféré la formule, encore plus radicale, du Bachem Natter (Saviez-vous que... - 533), lequel n'eut jamais l'occasion d'entrer en service, pour le plus grand bien de ses éventuels pilotes...

(1) l'artillerie antiaérienne allemande - la célèbre Flak - était administrativement rattachée à la Luftwaffe, et servie par du personnel de celle-ci

dimanche 1 janvier 2006

1029 - comme un vol de chimères...

... "L'état de guerre incite le scientifique à de grands élans d'imagination. Le monde à sa disposition s'élargit soudain dans des proportions insoupçonnées. Cela se traduit notamment par la possibilité de disposer de ressources à un degré dont on ne peut que rêver en temps de paix", écrivit le professeur Solly Zuckerman, un des principaux concepteurs britanniques des bombardements incendiaires sur l'Allemagne.

Durant la 2ème Guerre mondiale, l'Aviation fut une des grandes bénéficiaires de cette véritable explosion des budgets. Des bombardiers transatlantiques aux chasseurs supersoniques, en passant par les ailes en flèche ou les turboréacteurs, plus rien ne semblait impossible. Et les performances s'envolèrent en même temps que les nouveaux avions tout droit sortis des planches à dessins.

Mais comme il fallait s'y attendre, ces "grands élans d'imagination" rendus possibles par la débauche de moyens soudainement mis à leur disposition poussa également les ingénieurs dans des voies sans issue, ou vers de formidables et coûteux échecs qu'une analyse plus sereine des données et des perspectives aurait assurément permis d'éviter.

Tous les pays connurent évidemment semblables mésaventures, mais aucun davantage que l'Allemagne, ce qui n'avait finalement rien que de très logique. Confrontés à des adversaires toujours supérieurs en nombre, et soumis à une dictature qui exigeait des miracles, les ingénieurs allemands n'avaient en vérité d'autre choix que de tenter d'élaborer des "avions miracles", dont les performances proprement extravagantes compenseraient à elles seules l'infériorité numérique permanente de la Luftwaffe.

De fort nombreux projets proposés à cette époque dépassaient de très loin les possibilités techniques du moment. D'autres n'étaient que d'inutiles chimères. Certains enfin relevaient carrément de la folie furieuse.

C'est à une évocation de ces fabuleux oiseaux, dont la plupart ne volèrent jamais, que je vous invite tout au long de ce mois de janvier...